B. MIRACLE OU MIRAGE BRITANNIQUE ?

La situation du Royaume-Uni a fait l'objet de nombreux débats, certaines analyses corrélant la dynamique économique du pays à la précarité de l'emploi. Sont ainsi dénoncés les emplois peu qualifiés, à bas salaires, et l'impact d'une grande flexibilité permettant de multiplier les emplois à temps partiel dont la durée peut varier facilement.

Le contrat « zéro heure » ( Zero-hour contracts - ZHC) est particulièrement mis en cause et considéré comme emblématique de la précarité de la population active. Ce contrat offre une grande flexibilité à l'employeur puisqu'il ne l'oblige pas à fournir un nombre minimum d'heures de travail à ses employés qui doivent rester disponibles et ne sont rémunérés que pour les heures effectivement travaillées.

Le nombre de personnes bénéficiant d'un ZHC a considérablement augmenté depuis une dizaine d'années. En 2004, il s'élevait à 108 000 personnes, 252 000 en 2012. En 2014, l'ONS ( Office for national statistiques ) en dénombre 697 000 (soit 2,3% de l'emploi total) tandis qu'une étude du Chartered Institute of Personnel and Development (CIPD) évoque le nombre d'un million de personnes.

Selon l'ONS, la durée moyenne de travail d'une personne recrutée sur la base d'un ZHC est de 25 heures. Environ un tiers des personnes bénéficiant d'un tel contrat veulent travailler davantage. Les bénéficiaires d'un ZHC sont le plus souvent des femmes, et ont plutôt moins de 25 ans ou plus de 65 ans. Plus de la moitié d'entre eux disposeraient au maximum du General certificate of secondary education (diplôme de fin d'études générales, assimilé à l'équivalent du Brevet des collèges) ou du A Level (équivalent du baccalauréat, considéré comme une préparation aux admissions universitaires). Selon des études sur la population active, diffusées par des think tanks ( 13 ( * ) ) , le salaire moyen serait de 236 £ par semaine pour un bénéficiaire de ZHC - soit 1318 (14 ( * )) euros mensuels ou 15816 euros annuels- contre 482 £ -soit 2691 euros mensuels ou 32 300 euros annuels- pour une personne qui bénéficie d'un contrat « standard ».

Compte tenu de ces données, le « miracle » britannique pourrait-il être un « mirage » ?

Sans nier les faits, plusieurs éléments confortent une analyse positive de la dynamique au Royaume-Uni, confirmant le succès des fondamentaux de l'économie britannique.

Pour ce qui concerne le sujet du contrat « zéro-heure » évoqué ci-avant, une étude du CIPD en date du 5 août 2013 indique que 38% des travailleurs bénéficiant d'un ZHC déclarent travailler à temps plein, à plus de 30 heures par semaine. En outre, si un tiers des personnes travaillant à temps partiel souhaitent travailler davantage, 66% ne souhaitent pas travailler plus. Près de 60% des bénéficiaires d'un ZHC sont sous le même contrat depuis plus d'un an.

Le niveau de salaire des personnes bénéficiant d'un ZHC est par ailleurs lié au niveau d'études et de formation des personnes concernées, qui estiment à 65% toucher un salaire équivalent à ce qu'elles toucheraient avec un autre contrat permanent.

En outre, d'après une étude reprise par l'Institut de l'entreprise (15 ( * )) , les emplois salariés à temps plein représentent, sur les douze derniers mois, les trois quarts des créations d'emplois .

Un indicateur suivi par la Banque mondiale permet d'évaluer les inégalités. L'indice de Gini indique en effet dans quelle mesure la répartition des revenus (ou, dans certains cas, les dépenses de consommation) entre les individus ou les ménages au sein d'une économie s'écarte de l'égalité parfaite. Il est compris entre 0 (égalité parfaite) et 100 (inégalité absolue). Or d'après les statistiques disponibles sur le site de la Banque mondiale, cet indice est resté relativement stable au Royaume-Uni ces dernières années : 37,6 dans les années 2000-2004, 38,1 entre 2005-2009 et 38 entre 2010 et 2012.

Enfin, d'après les statistiques de l'OCDE (16 ( * )) , le revenu moyen disponible ajusté net des ménages (c'est-à-dire la somme dont dispose un ménage chaque année après impôts, soit le montant maximum qu'un ménage peut affecter à l'acquisition de biens ou de services), est de 27 029 USD par an au Royaume-Uni, plus élevé que la moyenne de l'OCDE, de 25 908 USD. Ce montant connaît une croissance annuelle moyenne depuis 2004. Même si cette croissance ne bénéficie pas à tous les ménages de façon homogène, la tendance observée au Royaume-Uni est comparable à celle observée en France , dont le revenu moyen disponible ajusté net se situe à 28 799 USD. En effet, le revenu moyen disponible ajusté estimé des 20% de ménages les plus aisés est de 57 010 USD par an au Royaume-Uni, et de 57 228 USD en France. Quant au revenu moyen disponible ajusté estimé des 20 % les plus modestes, il est de 10 195 USD par an au Royaume-Uni et de 12 267 USD en France.

Enfin si certaines analyses (17 ( * )) critiques de la croissance britannique ont dénoncé la multiplication des emplois peu qualifiés, d'autres études 18 ( * ) ont montré qu'entre 2006 et 2013, les emplois qualifiés au Royaume-Uni ont crû de 2,2 millions pour un total européen de 5,1 millions.

Toute l'attention des observateurs français doit bien évidemment être accordée au traitement social des travailleurs britanniques, mais les indicateurs économiques tendent à prouver que l'exemple du Royaume-Uni est davantage un « miracle » qu'un « mirage » .


* 13 Site Internet du think tank «Resolution Foundation» : « From the perspective of individual workers, the contracts have serious drawbacks for all but the minority who prize flexibility over security. Staff on them are likely to work fewer hours than they would like and earn less than equivalent staff. The Labour force survey suggests that those employed on zero-hours contracts receive lower gross weekly pay (an average of £236 per week) than those who are not (an average of £482 per week). This correlation is supported by the WERS, which suggests that companies using these contracts have a higher proportion of staff paid between the National Minimum Wage and the low pay threshold of £7.50 per hour ». ; article du 1 er juillet 2013 publié initialement dans Public Finance Magazine.

* 14 Taux de change au 17 juin 2015 : 1 GBP = 1,3956 EUR.

* 15 Institut de l'Entreprise, Eurodoxe Denis, « Dix idées reçues sur le Royaume-Uni », 5 mai 2015.

* 16 http://www.oecdbetterlifeindex.org/fr/topics/revenu/

* 17 http://www.skope.ox.ac.uk/wordpress/wp-content/uploads/2014/12/Skope_IssuesPaper33Holmes.pdf

* 18 https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/410289/GTP_EA_final_v8.pdf

Page mise à jour le

Partager cette page