B. LES CONCLUSIONS D'UN AUDIT TRÈS MODÉRÉ DANS SES EXIGENCES
Aucune compétence ou intervention de l'Union européenne n'a été laissée de côté par l'enquête qui a abouti à 32 rapports, mais il n'est repris ici que les conclusions les plus significatives et surtout les plus intéressantes pour d'éventuelles négociations. Ces conclusions seront classées en trois groupes : les domaines où la réforme s'impose de manière évidente et majoritaire, ceux où la réforme est souhaitable, mais fait encore débat et ceux enfin où le statu quo est satisfaisant. L'ensemble des conclusions témoignent d'une certaine modération dans l'exigence et d'une grande objectivité.
1. Les domaines où la réforme s'impose
a) Subsidiarité et proportionnalité
Dans ce rapport, se trouvent exprimées clairement les inquiétudes du Royaume-Uni quant à l'insuffisance de rigueur dans la mise en oeuvre de ces deux principes. On sent que le Royaume Uni déplore une pratique politique et opportuniste de la Commission, insuffisamment contrecarrée par les autres pouvoirs.
Ainsi le rapport contient des contributions qui soulignent que l'action de l'Union a souvent été menée en s'affranchissant de ces deux principes alors même que cette action n'était pas absolument nécessaire ou qu'elle était poursuivie à des coûts disproportionnés, ce qui ne pouvait manquer d'affaiblir la légitimité de l'Union.
Ce même rapport condamne aussi le recours trop fréquent à l'harmonisation et dénonce le manque de transparence et de contrôle démocratique du processus décisionnel de l'Union. Pour pallier ce manque, le Royaume-Uni suggère un renforcement du rôle des parlements nationaux, proposition de réforme qui a déjà trouvé de nombreux échos chez d'autres États membres. Le Royaume-Uni soutient l'idée d'un carton rouge, c'est-à-dire d'un droit de véto des Parlements nationaux.
S'il est admis que l'action de l'Union est nécessaire et même bénéfique pour tous les aspects ayant une dimension transnationale, il est cependant demandé de maintenir la flexibilité nécessaire pour continuer d'agir au niveau national. Il semble clair que le Royaume-Uni préfèrerait, de manière pragmatique, que l'obligation de résultat soit privilégiée par rapport à l'obligation de moyens.
D'une manière générale, l'audit souligne que si l'action de l'Union européenne peut être utile dans certains domaines, il convient pourtant de savoir discerner où elle ne l'est pas. Aussi par exemple, selon l'audit, la coopération policière transnationale est-elle globalement bénéfique alors que l'action de l'Union n'est pas nécessaire en matière de justice pénale.
Enfin, toujours à propos de la législation européenne, l'audit invite à mieux et moins légiférer en commençant par veiller à mettre en oeuvre pleinement les législations existantes avant d'en introduire de nouvelles. L'audit appelle de ses voeux une amélioration des études d'impact et une association en amont des experts, des gouvernements et des parlements nationaux, et enfin une amélioration du processus de décision qui passe essentiellement par une association des parlements nationaux en amont et à toutes les étapes de la décision.
b) La politique économique et monétaire
L'audit met en lumière une inquiétude britannique fondamentale : le fait que l'intégration toujours plus poussée de la zone euro modifie profondément la gouvernance de l'Union et son cadre d'action.
L'audit soutient l'idée qu'une réforme en profondeur de la gouvernance de la zone euro et de ses structures, via une révision des Traités, de même que des réformes structurelles sont nécessaires afin d'assurer une zone euro forte et stable. Le Royaume-Uni juge qu'il doit soutenir le projet d'une plus grande intégration de la zone euro - à laquelle il ne souhaite en aucun cas appartenir - à la condition expresse que celle-ci ne porte aucunement atteinte à ses propres intérêts.
L'audit recense les préoccupations du Royaume-Uni sur cette question délicate (dont tous nos interlocuteurs nous ont parlé) de la discrimination entre membres de l'Eurozone et non membres. Ces inquiétudes se résument ainsi :
- il y a des risques sérieux de fragmentation du Marché unique et de discrimination entre les membres et les non membres du fait de l'intégration en cours qui donne la prééminence aux décisions prises par la zone euro ;
- le risque que l'évolution des mécanismes de coordination des politiques économiques aille au-delà des compétences de l'Union et n'interfère avec des compétences strictement nationales ;
- le risque enfin d'un déficit démocratique sur la gouvernance économique et monétaire et de tensions entre l'euro-groupe et le Conseil Ecofin.
c) La libre circulation des personnes
La libre circulation des personnes a fait l'objet de vifs débats entre les ministres concernés (Intérieur et Foreign Office ). Ce rapport note en conclusion que la libre circulation a eu un impact largement positif pour le Royaume-Uni et ne confirme pas les allégations d'abus des prestations sociales, faute de preuves tangibles.
On doit toutefois relever la perception généralement négative qu'ont les Britanniques de la libre circulation des personnes qui reste un point de négociation avec Bruxelles aux yeux de toute la classe politique.
d) Le budget européen
L'audit souligne que le budget n'est pas approprié et que la PAC est disproportionnée et pourrait avantageusement faire l'objet d'une « renationalisation » (rapatriement de compétence). L'audit confirme l'hostilité du Royaume-Uni à la création de toute nouvelle ressource propre et réaffirme son soutien aux mécanismes de correction. Le Royaume-Uni, contributeur net, maintient sa position sur le « chèque ».
e) La politique de cohésion
L'audit se contente de renouveler le souhait britannique de ne plus avoir à contribuer à cette politique pour les zones les plus développées de l'Union européenne sans confirmer la position habituellement plus tranchée selon laquelle seuls les nouveaux entrants devraient bénéficier de cette politique et seulement pendant une période de rattrapage limitée dans le temps.
f) La PAC (politique agricole commune)
On pouvait s'attendre à ce que l'audit résume les critiques habituelles du Royaume-Uni à l'égard de cette politique qu'ils jugent trop coûteuse, mal ciblée et trop bureaucratique.
Sur ce sujet, l'audit commence par reconnaître que la PAC a forcément évolué depuis 30 ans et que, sous l'influence bénéfique des Britanniques, la réforme de la PAC a conduit à écarter la plupart des mesures les plus dommageables pour la concurrence et le marché.
Cependant, l'audit met en lumière le fait que les objectifs de la PAC demeurent flous et que les critères d'attribution sont encore largement irrationnels et déconnectés des buts que devrait poursuivre une telle politique.
Les organisations de défense de l'environnement ont fait savoir lors des auditions que les interventions sur les marchés et les paiements directs ont nui à la biodiversité et aux équilibres agricoles, mais elles ont salué le verdissement de la PAC.
L'accès des produits agricoles britanniques au Marché unique est salué comme une conséquence très positive. Toutefois, la PAC reste une politique technocratique récusée par la majorité des acteurs britanniques qui n'hésitent pas à avancer le projet d'une « renationalisation » de la politique agricole.
Le découplage est accusé de conduire au maintien d'exploitations non rentables et de nuire aux efforts d'amélioration de la productivité.
En revanche, l'Union est saluée pour son efficacité en matière de négociations commerciales internationales et de défense des produits agricoles européens.
g) Fiscalité
D'emblée, il est rappelé que l'impôt direct ne saurait être décidé que par les États membres. Il n'est possible de déroger à ce principe que si la dérogation facilite les échanges mondiaux (par exemple, les conventions fiscales sur le modèle de l'OCDE pour éviter la double taxation).
Le partage de cette compétence doit donc résulter d'un équilibre tendu entre, d'une part, la nécessité de permettre à tous de jouer à armes égales sur un marché unique et celle de réduire tous les obstacles aux échanges internationaux, et, d'autre part, la possibilité pour les États membres de réagir à leur environnement national propre en s'appuyant sur leur système fiscal propre. L'Union ne doit intervenir fiscalement que pour améliorer le marché intérieur.
L'audit réaffirme son attachement à la règle de l'unanimité et son hostilité à la coopération renforcée tendant à créer une taxe sur les transactions financières qui n'est dans l'intérêt ni du Royaume-Uni, ni de l'Union.
2. Les domaines où la réforme fait encore débat
a) Le Marché unique
L'audit reconnaît sans ambages que le Marché unique a contribué à la croissance du PIB britannique.
L'audit rappelle avec satisfaction que la libéralisation des marchés depuis vingt ans a permis de créer un marché unique intégré sinon parfait.
Il est souligné qu'il est impossible de déterminer avec précision les compétences de l'Union et celles des États membres dans l'organisation et la gestion du Marché unique. Cependant, il doit être clair que toute situation où apparaît une entrave à la liberté de circulation des personnes, des biens, des services ou des capitaux est une situation potentiellement illégale, susceptible d'un recours contentieux et devant, en tout état de cause si elle devait perdurer, être objectivement justifiée au nom de l'intérêt général.
Selon l'audit, l'intégration a apporté à l'Union et donc au Royaume-Uni d'appréciables avantages économiques. En contrepartie, le cadre réglementaire s'est alourdi et correspond au prix à payer.
L'audit conclut que le Marché unique est au coeur de la construction européenne, qu'il doit le rester et qu'il faut l'approfondir.
b) La libre circulation des services financiers et du capital
L'audit se déclare satisfait du partage des compétences, rappelle cependant le risque de l'intégration de l'Eurozone au détriment du marché intérieur à 28 et espère l'aboutissement du Marché unique des capitaux et des services financiers.
c) La politique sociale et de l'emploi
Il s'agit d'un des domaines d'intervention de l'Union qui soulève les débats les plus houleux au sein de la classe politique et des acteurs économiques. Beaucoup ne partagent pas l'idée qu'il existerait un « idéal social européen ».
D'autres soulèvent la question de savoir si la politique sociale est ou non un élément intrinsèque du Marché unique. Deux écoles existent au Royaume-Uni : celle qui soutient que l'Union étant un projet économique, la politique sociale et la politique de l'emploi ne sauraient relever que des États membres et celle (comprenant le EEF et le CBI, associations patronales) qui préconise que l'Union ne doit intervenir dans ces domaines que lorsque ses interventions permettent d'assurer l'égalité des chances entre les acteurs d'un même marché ou d'assurer le parfait fonctionnement du Marché unique. Les syndicats pour leur part soutiennent l'intervention de l'Union en toute circonstance au nom d'une obligation morale à protéger les salariés et l'emploi.
Ces divergences conduisent les responsables de l'audit à conclure au statu quo, à la réserve près que, là aussi, le processus législatif soit plus transparent et que les États membres puissent y participer davantage.
d) La politique commune de la pêche
L'audit conclut à l'échec de cette politique dans la mesure où les stocks de poisson s'amenuisent et où la pêche n'est plus un secteur économique rentable.
Toutefois, la récente réforme de 2013, poussée par les Britanniques, est considérée comme positive et apte à répondre aux problèmes énoncés. D'autre part, la majorité des acteurs considèrent qu'une forme de gestion supranationale des stocks de poisson est nécessaire.
e) La concurrence et la protection des consommateurs
Les règles concernant la concurrence et les aides d'État et la jurisprudence de la Cour de Justice contribuent à l'efficacité du marché unique et à ce titre, comme elles profitent aux consommateurs et à l'économie en général, elles font l'objet d'une approbation quasi générale dans l'audit.
Il n'en va pas de même de la protection des consommateurs. Cette politique bénéfique au Marché unique, selon l'audit, ne semble pas toujours bien pensée ni bien mise en oeuvre. En effet, l'harmonisation ne tient pas assez compte des conditions sociales, culturelles et économiques de chaque État membre.
3. Les domaines où le statu quo est satisfaisant
a) La coopération en matière de police et de justice pénale
L'audit est globalement positif sur la répartition actuelle des compétences. La possibilité pour le Royaume-Uni d' opt-in au cas par cas est perçue comme positive, permettant au gouvernement d'évaluer au cas par cas l'impact des propositions sur le système juridique interne britannique. Cependant, aucun consensus n'existe en faveur d'une action législative de l'Union en matière de droit pénal.
Ce qui est important est la coopération internationale pour lutter efficacement contre les défis de sécurité (cyber-attaques, terrorisme, crime organisé...).
b) L'élargissement
L'audit reflète la position britannique sur les élargissements passés considérés comme des succès, et sur les élargissements à venir considérés comme des progrès. Certes, il est rappelé qu'il faut oeuvrer pour renforcer la confiance et l'intérêt des opinions publiques devenues méfiantes à l'égard de tout nouvel élargissement, mais l'optimisme reste de mise, car du côté britannique, l'élargissement signifie d'abord l'élargissement du Marché unique.
c) La libre circulation des services
Sur ce chapitre, l'audit émet un satisfecit mais appelle à un approfondissement.
d) L'énergie
Le secteur de l'énergie est un secteur qui intéresse tout particulièrement le Gouvernement britannique qui en a fait une priorité de son action. Cette position le conduit à saluer les avancées du Traité de Lisbonne dans ce domaine.
Un consensus se dégage sur la nécessité de réformer et rendre transparent le marché de l'énergie, de le libéraliser et d'interconnecter les marchés nationaux. Il est également admis que la protection de l'environnement et la lutte contre le changement climatique doivent être intégrées dans la politique énergétique.
La sécurité énergétique, l'indépendance énergétique, ainsi qu'un approvisionnement régulier et bon marché pour soutenir la croissance et la compétitivité sont des objectifs rappelés dans l'audit qui conclut que l'exercice de la « compétence énergie » par l'Union est un avantage non négligeable. En effet, le Marché unique s'en trouve renforcé : le développement des énergies renouvelables, l'efficacité énergétique, le soutien à l'innovation et à la recherche, le poids de l'Union dans les négociations commerciales internationales, la libéralisation du marché de l'énergie sont autant de points positifs cités par l'audit.
e) L'asile et la migration extracommunautaire
Dans ces deux domaines, le Royaume-Uni n'applique pas l'intégralité de l'acquis communautaire du fait des opt-out exercés. L'audit confirme le bien-fondé des opt-out .
Les coûts et avantages pour le Royaume-Uni de conserver un système national de surveillance des frontières et d'octroi de visa en dehors de Schengen sont détaillés dans le rapport. Il apparaît, selon l'audit, que le fait de rester en dehors de Schengen permet de mieux lutter contre l'immigration illégale, le crime organisé et le terrorisme. Les contreparties négatives sont les obstacles apportés au développement du tourisme et des voyages d'affaires. Le rapport n'exclut pas un rapprochement plus grand avec FRONTEX et EUROSUR. Le Royaume-Uni soutient la directive sur les dossiers des passagers des vols aériens, directive dite PNR (Passenger Name Record), mais la politique des visas dans la zone Schengen est jugée trop souple.
En matière d'asile, le rapport prend acte que le partage des compétences, tel qu'il existe aujourd'hui, est satisfaisant.
f) La coopération judiciaire civile
Dans ce domaine, le Royaume-Uni use de son droit d'option et il n'est aucune nouvelle mesure qui puisse s'appliquer sur son territoire si le Royaume-Uni choisit l'opt-out .
g) La protection de l'environnement et le changement climatique
Dans ce rapport, reconnaissant que ces questions dépassent les frontières des États, une majorité se dégage en faveur du rôle prééminent de l'Union et estime que la politique de l'Union a amélioré la protection de l'environnement.
Cependant, une crainte se fait jour, concernant l'augmentation des coûts qui a découlé des nouvelles mesures prises par l'Union et la baisse de compétitivité qui s'ensuit. Le rapport rappelle qu'il doit y avoir une proportion entre les coûts supplémentaires engendrés par les normes européennes et les résultats obtenus sur le terrain de l'environnement.
h) Transports
Le Royaume-Uni soutient pleinement l'action de l'Union dans ce domaine, appelle à un renforcement de la libéralisation du rail et salue la législation libérale qui a permis la création d'une compagnie comme « Easy jet » .
i) Recherche et développement
Le rôle de l'Union dans ce secteur consiste à définir les priorités et à répartir les fonds selon un programme préétabli. Le fait que le Royaume-Uni ait su tirer le meilleur parti de cette politique européenne (Galileo, Copernicus...) conduit à des conclusions très positives dans le rapport qui est consacré à ce secteur.
j) Culture, tourisme et sports
Selon l'audit, les compétences de l'Union dans ces domaines sont négligeables et doivent le rester.
k) La politique étrangère
L'audit se réjouit du fait que la règle de l'unanimité conserve aux États membres toute latitude et qu'aucun soldat britannique ne puisse être envoyé au feu sans l'accord de son pays. En contrepartie, l'audit énumère les inconvénients de cette règle protectrice : difficulté à déterminer une stratégie claire, absence de leadership européen, lenteur de la prise de décision. Dans ce domaine, rien ne semble possible tant que le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne ne sont d'accord, si bien que le rapport s'interroge sur les questions suivantes :
- quel est le lien entre le fait que les États membres conservent une grande partie de leur souveraineté et l'inefficacité de la politique étrangère européenne ?
- le Royaume-Uni doit-il prendre le leadership de la défense européenne ?
- si l'Eurozone progresse vers une plus grande intégration, passant nécessairement par d'autres renoncements à la souveraineté pour les États qui en font partie, ne peut-on pas craindre qu'une politique étrangère de sécurité et de défense plus intégrée écarte les pays non membres de l'Eurozone ?
D'une manière plus générale, l'audit tend à montrer qu'à ce stade, il est dans l'intérêt du Royaume-Uni de travailler à 28 dans un certain nombre de domaines liés à la politique étrangère et de la défense.
L'audit ne salue pas l'action du SEAE, jugée médiocre et d'un coût bureaucratique et budgétaire élevé.
En revanche, à travers cet audit, le Royaume-Uni rappelle son intérêt pour les actions menées à deux ou à trois, et en particulier avec la France.
l) Santé, bien-être animal, sécurité sanitaire
Ce rapport conclut que dans ces domaines, l'action de l'Union apporte de réels avantages. Une seule critique affleure : l'Union attacherait une trop grande importance au principe de précaution.
m) Santé
L'action de l'Union est jugée positive, mais il n'est pas souhaitable de modifier la ligne de partage existant pour cette compétence. Pour le Royaume-Uni, l'action de l'Union n'a pas été déterminante quand il s'est agi d'appliquer l'acquis communautaire dans la mesure où le Royaume-Uni l'appliquait sans y être contraint.
n) Aide au développement et aide humanitaire
L'actuelle répartition des compétences est satisfaisante même si des améliorations en matière de coordination s'imposent. L'action de l'Union permet des économies d'échelle et ses priorités sont très proches de celles du Royaume-Uni.