II. RÉALITÉ ET FANTASMES DES CHANGEMENTS DE L'ARCTIQUE
Dans son ouvrage The Arctic in Fact and Fable , V. Stefanson décrit déjà en 1945 l'existence de « deux types de problèmes en Arctique, l'imaginaire et le réel. Des deux, l'imaginaire est le plus réel » . Soixante-dix ans plus tard, force est de constater que tel est toujours le cas !
La région Arctique est en effet depuis une dizaine d'années au coeur d'un emballement parfois irrationnel mais bien réel lié aux opportunités offertes par la fonte de la banquise. Or, les conséquences de ce comportement sont gigantesques : certains pays adoptent de véritables stratégies de développement et de grandes entreprises du secteur de l'énergie dépensent des milliards en études et projets. Ce phénomène n'est pas sans rappeler, à une échelle nettement plus grande, la ruée vers l'or de la fin du XIX e siècle dans le grand nord (déjà !) canadien et américain.
La ruée vers l'or du Klondike De l'or fut découvert le 16 août 1896 dans la région du Klondike dans le territoire canadien du Yukon. Lorsque la nouvelle arriva à San Francisco l'année suivante, elle entraîna la ruée d'environ 100 000 prospecteurs. Le trajet à travers le terrain difficile et le climat froid avec de lourdes charges se révéla trop dur pour nombre d'entre eux et seulement 30 000 à 40 000 arrivèrent sur place. Environ 4 000 trouvèrent de l'or. La ruée se termina en 1899 lorsque de l'or fut découvert à Nome en Alaska et que de nombreux prospecteurs quittèrent le Klondike. |
Afin de mieux comprendre les enjeux locaux et mondiaux que représente l'Arctique aujourd'hui, il convient de distinguer ce qui relève de la réalité et ce qui relève du fantasme. Quatre questions de fond se posent. Elles concernent les ressources naturelles, l'ouverture de nouvelles voies de navigation, l'avenir des peuples du Grand Nord et les enjeux stratégiques et militaires.
A. UN ACCÈS AUX RESSOURCES NATURELLES FACILITÉ
De même que le sous-sol du grand nord est riche de minerais et d'hydrocarbures, les eaux de l'océan Arctique sont riches de poissons. Mais deux limites ont empêché jusqu'à aujourd'hui leur exploitation pleine et entière : le froid et la présence de la banquise, d'une part ; le manque de connaissances scientifiques, d'autre part.
L'exploitation des ressources naturelles dans la région circumpolaire a connu des développements différents selon les pays. La pêche est l'activité principale des Inuits et des islandais depuis des siècles. Au Canada l'exploitation minière, pétrolière et gazière a débuté en 1920 par le forage du puits de pétrole de Norman Wells sur la rive nord du fleuve MacKenzie. En Russie, du temps du régime soviétique, la planification d'extraction des ressources et de développement des régions arctiques et subarctiques de Sibérie a entrainé la construction de villes ex-nihilo au-delà du cercle polaire et l'ouverture de la route maritime du Nord-Est en été et en hiver. Au Groenland, l'activité minière est présente depuis le début du XX e siècle avec l'exploitation des gisements de cryolite, un minéral entrant dans la fabrication de l'aluminium.
Cependant, l'exploration et l'exploitation des matières premières ont longtemps été freinées par les faibles cours de ces matières premières en comparaison des difficultés d'intervention en milieu polaire. Un ensemble de facteurs réduisait la rentabilité des investissements : coûts élevés d'exploration, salaires conséquents pour attirer la main d'oeuvre dans des endroits aussi isolés, extraction et acheminement minent la rentabilité de tels investissements ; la circulation en hiver, aisée sur le sol gelé (construction de routes d'hiver), mais le dégel est toujours le cauchemar des logisticiens des mines (même récemment, la construction des routes dans ces régions récemment dégagées des glaces de la dernière glaciation est difficile du fait de l'absence de gravier et de terre : le roc est à nu) ; la brièveté de la saison navigable, qui rendait difficile l'acheminement vers les marchés, alors que la construction d'un port est une entreprise coûteuse.
Dans les années 70, le double choc pétrolier voit néanmoins le cours du baril s'apprécier fortement et permet au Canada d'adopter un programme énergétique national visant à favoriser l'exploration des ressources naturelles dans les territoires les plus septentrionaux. Cette politique a été facilitée par la découverte d'un gisement de pétrole en Alaska voisin en 1968. C'est également à cette période que les premiers forages ont lieu en Norvège. Mais si le prix du pétrole augmente, ce n'est le cas, ni du gaz, ni des minerais et la rentabilité n'est toujours pas au rendez-vous.
Dans les années 2000, la concomitance de deux évènements va changer la donne : le réchauffement climatique et la fonte de la banquise estivale vont faciliter l'exploration et l'extraction des ressources ; l'envolée du cours des matières premières va soudain rendre rentable ce qui ne l'était pas avant. Tout cela est également vrai pour la pêche.
En effet, le décollage des économies émergentes (Chine, Inde, Brésil) qui consomment de plus en plus de matières premières fait face à une stagnation de la production, voire une régression en ce qui concerne le pétrole. Mécaniquement, les prix s'envolent. L'effet concerne les hydrocarbures, mais aussi les métaux (zinc, or, cuivre). L'index composite GFMS des métaux de base a ainsi augmenté de plus de 300 % entre juin 2002 et juin 2007. En outre, l'émergence des terres rares, indispensables aux nouvelles technologies, a accentué la tendance.
Dès lors, on a assisté à une frénésie d'exploration associée à la découverte et à la mise en exploitation de nombreux nouveaux gisements, tant en ce qui concerne les activités minières que les hydrocarbures.
1. L'exploitation des minerais en Arctique : la nouvelle ruée vers l'or
Zinc, fer, plomb, nickel, étain, platine, uranium, diamants, or ou encore terres rares... Les études géologiques font miroiter des richesses et l'intérêt est vif depuis plusieurs années pour les accaparer.
En Europe, tout d'abord, où l'exploitation minière était dévastée. En Scandinavie, l'exploitation du fer, du cuivre et du zinc ont connu une croissance phénoménale ces dernières années en raison du réchauffement climatique. Plusieurs milliards d'euros d'investissements miniers sont programmés en Suède, en Finlande et en Norvège (du fer à Kirkenes). On évoque plusieurs dizaines de milliers d'emplois. À titre d'exemple, la plus grande mine de fer souterraine est exploitée par une compagnie publique suédoise à Kiruna, dans la toundra. Afin d'étendre l'exploitation de la mine, la ville de 20 000 habitants doit être déplacée.
Le Groenland fait figure de nouvel eldorado, car c'est là que le recul de la banquise est le plus important et que le Gouvernement a concédé le plus de permis de prospection. Le nombre de licences est ainsi passé de 19 en 2001, à 75 en 2011. On y trouve du fer, du plomb, du zinc, du nickel, mais aussi de l'or, du platine, des diamants. En outre, le sous-sol groenlandais recèlerait entre 12 et 25 % des réserves mondiales de terres rares, ce qui en fait un concurrent potentiel pour la Chine, qui dispose d'un quasi-monopole sur l'exploitation de cette ressource dans le monde.
Le 24 octobre 2013, le gouvernement a signé un permis d'exploitation pour trente ans d'un gisement de minerai de fer à 150 km au nord-est de la capitale Nuuk, qui devrait produire 15 millions de tonnes par an. Enfin, de l'uranium a aussi été trouvé et le Parlement groenlandais en a autorisé l'extraction (par 16 voix contre 15), alors que celle-ci était jusque-là interdite. Ces richesses ont attiré non seulement des sociétés issues de pays déjà présents sur le marché minier comme l'Australie et le Canada, mais également des puissances asiatiques, la Chine et la Corée du Sud.
En Russie, la péninsule de Kola abrite du nickel, du charbon, du cuivre et du fer. Des diamants proviennent de la vallée de la Lena. On trouve aussi de l'or, de l'étain, de la houille et du tungstène. Enfin, la triste ville de Norilsk présente un des plus importants gisements de nickel, de cuivre et de palladium.
Norilsk, une ville malade de sa pollution Fondée au début des années 1930 par Staline pour exploiter les minerais de Sibérie, la ville usine de Norilsk possède aujourd'hui le plus grand centre industriel métallurgique au monde. Conséquence : chaque année, des millions de tonnes de dioxyde de soufre sont rejetées dans l'atmosphère par Norilsk Nickel, l'une des plus importantes usines métallurgiques de Russie. Datant de la période soviétique, le complexe ne respecte pas les normes et standards environnementaux actuels. En 1999, une étude a montré une très forte concentration de cuivre et de nickel dans les sols sur un rayon de 60 km autour de la ville. Les taux de maladies respiratoires des enfants y sont plus hauts que dans le reste du pays. |
Au Canada, de nombreux projets portés par des compagnies minières privées se développent essentiellement dans la province du Nunavut. Au Nunavik voisin, à l'extrême nord du Québec, une mine de nickel et de cuivre est exploitée depuis 1997. Elle renferme également d'importantes quantités de palladium, de platine et de cobalt.
Aujourd'hui, au nord du Nunavut BHP Billiton, Xstrata, Newton ou encore le français Areva « défrichent, explorent et quadrillent des parcelles de prospection grandes comme un petit pays d'Europe » (Hubert Fabre) 3 ( * ) . Lakshmi Mittal, président du groupe indien géant Mittalsteel, a annoncé un projet de mine à ciel ouvert sur le site de Mary River, près des îles de Baffin, dont les réserves estimées à 365 millions de tonnes de minerai de fer constituent un potentiel de 17 milliards d'euros.
Des explorations minières majeures sont en cours à travers l'ensemble du territoire arctique canadien. L'exploration diamantifère s'est intensifiée au cours des dernières années et cible principalement le nord-ouest de l'île de Baffin et la presqu'île de Melville, mais les sociétés De Beers et Stornoway en recherchent désormais également dans l'Extrême Arctique. Près des localités de Rankin Inlet et de Chesterfield Inlet, des filons diamantifères ont été mis à jour. Quant à la région de Kitikmeot, soit les parties continentales ouest et nord du Nunavut, les îles Victoria, Prince-de-Galles, du Roi-Guillaume et de Somerset, les sociétés minières explorent des filons diamantifères et aurifères. À Jéricho, une nouvelle mine de diamants a été mise en activité en août 2006. Le Canada est devenu en moins de 10 ans le troisième producteur mondial de diamants depuis la mise en exploitation des gisements boréaux d'Ekati et de Diavik (Territoires du Nord-ouest) en 1998.
L'exploration vise également divers autres minéraux tels que l'or, l'argent, l'uranium (les gisements subarctiques canadiens en font le premier producteur mondial), le fer, le cobalt, les saphirs et le charbon. Des gisements aurifères au nord du lac Baker (Nunavut) seront exploités au cours des prochaines années. À Ferguson Lake (centre du Nunavut), du nickel et du cuivre ont été découverts dans des gisements prometteurs. Le site très riche de Darnley Bay recèle cuivre et nickel. Sur l'île de Baffin, des gisements de fer, d'or, de saphirs ont été mis à jour. Dans le district de Kivalliq qui comprend l'est du Nunavut, l'île de Southampton et plusieurs petites îles, la prospection vise à découvrir des gisements d'or, de diamants, de nickel, de cuivre, de platine et d'uranium.
Alors que l'activité avait presque périclité, l'exploitation minière connait aujourd'hui un véritable boom en Arctique. La question du prix de revient est une variable essentielle dans ce renouveau. L'extraction en milieu polaire reste très onéreuse. Le manque d'infrastructures dans des territoires encore vierges devra être comblé : la construction de routes, de ports, de villes sont des investissements très lourds. Ils vont littéralement transformer (désenclavement, modernisation) la vie dans ces régions, non seulement pour leurs habitants mais également pour la nature. L'exemple sibérien ne peut qu'inciter à la prudence - pour ne pas dire la crainte - quant aux dangers pour l'environnement que représenteront ces développements. Certes, on ne construit plus aujourd'hui comme dans l'Union soviétique d'après-guerre. La conscience environnementale est très présente en Arctique, mais que pèsera-t-elle face aux milliards évoqués. Seule une législation contraignante en la matière permettra de préserver un patrimoine naturel d'une richesse rare !
2. La fièvre des hydrocarbures et le cauchemar d'une marée noire en milieu polaire
Selon une étude de l' US Geological Survey de 2008 4 ( * ) , la zone arctique recèlerait plus de 22 % des réserves mondiales d'hydrocarbures non encore découvertes, mais techniquement exploitables. Plus précisément, l'Arctique contiendrait plus de 10 % des réserves mondiales de pétrole et près de 30 % des réserves de gaz naturel (20 % du gaz naturel liquide). Comme le montre le tableau ci-dessous, tandis que l'Amérique du nord abriterait les deux tiers des réserves de pétrole, l'Arctique russo-européen disposerait de près des trois quarts des réserves de gaz (les réserves de gaz naturel étant près de 38 fois plus importantes que les réserves de gaz liquide).
Réserves estimées d'hydrocarbures en Arctique
Région |
Pétrole |
Gaz naturel |
Gaz liquide |
Moyenne |
Zone Arctique |
10 % |
30 % |
10 % |
22 % |
dont Amérique du nord et Groenland |
65 % |
26 % |
37 % |
35 % |
dont Eurasie |
34 % |
73 % |
62 % |
63 % |
Non déterminé |
1 % |
1 % |
1 % |
1 % |
Bien que ces chiffres ne soient que des estimations, ils ont fortement marqué les esprits et sont à l'origine de la fièvre exploratrice qui secoue l'Arctique depuis bientôt six ans. S'il convient de rester prudent, l'agitation des groupes pétroliers est réelle. En outre, les géologues français estiment qu'il y aurait beaucoup plus de gaz que de pétrole en Arctique et que les hydrocarbures sont majoritairement situés sous le plateau continental et non dans les grandes profondeurs près du pôle.
Source : Libération
Ce qui amène à mentionner un autre point important : 95 % de ces ressources estimées seraient situées dans la zone exclusive des États côtiers de l'Arctique. C'est donc chaque pays qui fixe les conditions d'exploration et d'extraction. Cela va aussi déterminer leur stratégie dans la région, d'une part, et dans la compétition économique mondiale, d'autre part.
a) Hydrocarbures en Arctique : la fièvre contagieuse
On remarque que le premier producteur actuel et potentiel est la Russie :
- elle est le premier producteur mondial de gaz et le deuxième de pétrole,
- en Arctique elle disposerait de 75 % des réserves connues de pétrole et de 90 % des réserves de gaz.
- en Russie même, 80 % des réserves de pétrole et 90 % des réserves de gaz et de charbon seraient au-delà du cercle polaire.
On comprend mieux pourquoi les premiers gisements connus de Sibérie occidentale sont exploités depuis les années 60.
Les progrès techniques (forages horizontaux, puits sous-balancés, pompes électriques submergées) ont permis à la production russe de s'envoler entre 1999 et 2004, mais ont soulevé des doutes quant à la viabilité des stocks. Les techniques modernes augmentent certes le taux de récupération du pétrole, mais épuisent plus rapidement les gisements.
Or, et c'est un fait marquant de ces dernières années, les ressources on shore ont tendance à s'épuiser et les pays se tournent maintenant vers la mer, où de nouveaux gisements apparaissent très prometteurs :
- en mer de Beaufort : un consortium canadien travaille dans le delta du MacKenzie et des explorations ont lieu en mer des Tchouktches ;
- le Groenland a autorisé l'entreprise écossaise Cairn Energy à forer dans la baie de Disko ;
- la Russie a sur son territoire plusieurs sites pleins de promesses : l'immense champ gazier de Chtokman à l'est de la mer de Barents, la péninsule de Yamal (on évoque 10 000 milliards de m 3 de gaz et 4,5 milliards de tonnes de pétrole), ou encore la mer de Petchora ;
- la Norvège a accordé, en janvier 2012, 26 permis de forer en mer de Barents et en mer de Norvège.
Face à cette demande étatique, le secteur privé a répondu présent et les compagnies pétrolières se sont mises à financer à grands frais des campagnes de prospection, dépensant des sommes considérables en exploration sous-marine ou en surveillance satellitaire de la banquise.
En Russie, Rosneft a conclu des accords avec l'américain Exxonmobil et l'italien ENI pour explorer la mer de Kara et le britannique BP a misé 10 milliards de dollars dans les gisements de Yamal. Le projet Chtokman a vu s'associer le russe Gazprom, le norvégien Statoil et le français Total. Shell a dépensé depuis 2002 plus de 4,5 milliards de dollars pour ses projets arctiques en Alaska et 1,5 milliard en mer de Beaufort. Le projet gazier du MacKenzie associant Shell Canada, Conco Philipps Canada, Exxon Mobil, Imperial Resources Ventures et l'Aborigenal Pipeline Group prévoit la construction d'un gazoduc de 1 220 km.
Pourtant, actuellement, il n'existe qu'un seul site de production offshore d'importance : Snovit en mer de Barents est exploité par la société Statoil depuis 2007. En effet, exploiter des hydrocarbures dans les eaux arctiques reste à la fois difficile, peu rentable et dangereux pour l'environnement. Et il paraît difficile aujourd'hui d'envisager une exploitation réelle avant une vingtaine d'années.
L'exploitation est difficile car les conditions naturelles restent extrêmes : la banquise se reforme en hiver, l'hostilité du milieu implique des risques difficiles à évaluer, il y a des tempêtes durant le retrait des glaces. Après l'extraction des hydrocarbures, il faut les transporter : les risques pour la navigation sont importants (icebergs dérivants, protection des personnels, etc.), le gaz est plus facile à extraire que le pétrole mais plus difficile à transporter. Enfin, la préservation de l'environnement pourrait constituer une priorité et des capacités de secours et de dépollution devraient d'abord être planifiées et dotées. Toutes ces caractéristiques ne font qu'augmenter le risque et par là-même le coût des forages en Arctique.
C'est ce qui a amené le géant de l'assurance, Lloyd's of London à tirer la sonnette d'alarme. La société a en effet estimé que les investissements en Arctique pourraient atteindre les 100 milliards de dollars dans les dix années qui viennent (en Russie, on évoque jusqu'à 400 milliards de dollars sur 20 ans pour la seule entreprise Rosneft). Cependant, devant les difficultés propres à l'activité polaire, Richard Ward, directeur de le Lloyd's a demandé à ses clients de « ne pas se précipiter, de réfléchir attentivement aux conséquences de leurs actions » . En effet, le montant des polices d'assurance pourrait atteindre un niveau stratosphérique.
b) Les dangers de l'exploitation en mer et le risque de marée noire
Hors Alaska, l'essentiel des ressources estimées se trouvent en offshore , c'est-à-dire en mer. Or, d'après plusieurs études, leur coût ne serait rentable que si le prix du baril reste à un niveau très élevé. On estime que le coût de l'exploitation on-shore serait l'équivalent des schistes bitumeux, soit entre 35 et 65 dollars le baril. L'exploitation off-shore, en revanche, est beaucoup plus onéreuse, entre 65 et 100 dollars le baril, selon la Lloyd's. Dès lors, si le baril est entre 110 et 120 dollars, l'investissement reste rentable. Mais selon certains modèles d'analyse, il ne faudrait pas que le baril plonge sous la barre de 75 dollars. Actuellement, le cours du baril est de 106 dollars.
C'est certainement la raison pour laquelle, l'année 2012 a été marquée par un recul de la part des acteurs économiques :
- Gazprom a dû reporter la mise en exploitation du projet Chtokman qui était prévue initialement pour 2016. Le projet a même été gelé sine die à la fin du mois d'août 2012. Très difficile d'accès, il a été victime de l'explosion des coûts d'exploration offshore et de la crise économique en Europe, ce qui a entraîné le désengagement de Total et l'annonce par Statoil du report de l'exploration à 2015 ;
- en juillet 2012, BP a renoncé au projet offshore Liberty pour des considérations techniques et budgétaires. Après dix-huit mois d'étude, il est apparu que les 100 millions de barils estimés sur le gisement ne permettraient pas d'atteindre le seuil de rentabilité ;
- après une saison d'exploration intense au large de l'Alaska qui s'est achevée en septembre 2012, la société Shell a dû gérer un incident sérieux sur un dôme d'endiguement. Elle s'est engagée à revoir et à renforcer son système de confinement des polluants avant de lancer une campagne de forage à grande échelle. Celle-ci était prévue en 2013, mais ne devrait pas démarrer avant 2016 ou 2017.
Ce recul provisoire - peut-être vaut-il mieux parler de temporisation - connaît plusieurs origines : le coût, les conditions naturelles extrêmes, les limites technologiques actuelles et enfin le risque énorme pour l'environnement.
Or, ce dernier sujet a pris une dimension plus importante en ce qui concerne l'exploitation du seul pétrole. Le Président de Total, M. Christophe de Margerie a déclaré le 26 septembre 2012 que « Du pétrole sur le Groenland, ce serait un désastre. Une fuite causerait trop de dommages à l'image de la compagnie ». Cette déclaration reflète la crainte partagée par tous des dégâts que causerait une marée noire dans les régions polaires.
En effet, il faudrait bien plus de temps à une marée noire pour se dissiper dans des eaux proches de l'état de glace que dans des eaux tempérées. Pire, la nappe de pétrole pourrait se glisser sous la glace et il serait quasiment impossible de contenir un déversement pris sous une épaisse calotte glaciaire. De même, comment intervenir à temps dans des eaux prises dans la glace ? Aujourd'hui, pour beaucoup d'experts, il serait tout à fait impossible de lutter contre une marée noire en milieu polaire. D'après Ron Bowden, haut responsable d'une entreprise canadienne spécialisée dans les interventions post-marées noires, "il n'existe, à l'heure actuelle, aucune solution ou méthode qui nous permettrait de récupérer du pétrole en cas de marée noire en Arctique".
Comme le rappelle Jean-Louis Etienne, la seule certitude que l'on a parce qu'elle est statistique, c'est qu'une marée noire est inévitable si on exploite du pétrole offshore . D'après les estimations de l'agence américaine Minerals Management Service, les blocs de concessions situés dans l'océan Arctique ou à proximité de l'Alaska ont une chance sur cinq d'être à l'origine d'une marée noire importante au cours de leur durée d'exploitation. En 2012, sous les effets du réchauffement climatique, un immense bloc de glace, grand comme deux fois la presqu'île de Manhattan s'est détaché du glacier Petermann situé au nord-ouest du Groenland pour dériver. Combien pèserait une plate-forme offshore si elle se trouvait sur sa route ? Deux exemples funestes permettent d'imaginer une telle situation catastrophe.
Le premier concerne l'échouage du pétrolier Exxon Valdez dans le détroit du Prince William en Alaska en 1989. Ce fut le plus gros naufrage pétrolier dans le monde. Alors qu'il transportait 180 000 tonnes de pétrole brut, 40 000 (soit 41 millions de litres) furent déversées dans l'océan pacifique. 300 km de côtes furent souillées, voire 2 000 km si on tient compte du dentelé des îles. Il a fallu près de 3,5 milliards de dollars et deux ans et demi de nettoyage intensif pour en sortir. Cela n'a pas empêché la mort de 3 000 mammifères marins et de 250 000 oiseaux.
Le second exemple est plus récent, mais - heureusement, si l'on peut dire - il ne se situe pas en Arctique. Il s'agit de l'accident survenu en 2010 sur la plate-forme Deep Water Horizon dans le Golfe du Mexique. La plateforme offshore mesurait 121 mètres de long, 78 mètres de large et 41 mètres de hauteur. Elle était capable de forer dans des conditions climatiques sévères : houle de 18 mètres crête à creux associée à un vent de 110 km/h. Elle était prévue pour résister à des tempêtes extrêmes, houle de 25 m crête à creux associée à un vent de 190 km/h. Le 20 avril 2010, une explosion et un incendie se déclarent sur la plate-forme. Elle a coulé deux jours plus tard, et repose désormais par 1 500 mètres de fond. Ce n'est que le 19 septembre de la même année que la fuite a été déclarée bouchée par le Gouvernement fédéral américain. Entre temps, c'est près 780 millions de litres qui se sont déversés en mer, soit 19 fois plus que lors de l'échouage de l'Exxon Valdez !
Selon, les autorités américaines, 127 millions de litres ont pu être récupérés grâce à l'implication de 6 500 navires. Or, d'une part, il n'existe pas une telle flotte en Arctique, d'autre part, les conditions de navigation en été comme en hiver ne permettraient pas pareille mobilisation. C'est pourquoi, on peut espérer qu'une exploitation de pétrole dans l'océan Arctique ne verra pas le jour rapidement.
Toutefois, le maintien d'un prix élevé du baril de pétrole dans les années qui viennent en raison de la raréfaction de cette ressource, va inciter les groupes pétroliers à développer la technologie permettant l'extraction en milieu polaire. En 2013, en effet, les extractions de pétrole dit conventionnels ont reculés de 1,5 % et seuls les forages d'Amérique-du-Nord, pétrole de schiste aux États-Unis et sables bitumineux au Canada, sont en hausse.
Concernant le gaz, le développement du gaz de schiste américain a certes fait baisser les prix, ce qui signifie que le gaz arctique devient moins rentable. Néanmoins, étant donné l'ampleur des réserves estimées en Arctique, l'impossibilité d'extraire le pétrole dans la région et l'importance de l'exploitation de cette ressource pour des pays comme la Norvège et la Russie, il ne faut pas douter que les gisements vont se développer.
3. La pêche en Arctique : une ressource à gérer durablement
a) La situation actuelle
La pêche dans l'océan Arctique est ancienne, puisqu'on pêche en mer de Barents depuis le XVIII e siècle, mais elle ne constitue pas une réalité unique. Chaque zone de pêche a ses spécificités : on n'y trouve pas les mêmes espèces, elles sont plus ou moins accessibles, elles n'appartiennent pas toutes à une organisation régionale de gestion de la pêche (ORGP) et quand c'est le cas, toutes n'appartiennent pas à une seule « ORGP arctique ».
On peut distinguer 6 zones :
- la mer de Barents, la mer de Norvège, la mer du Groenland et la mer d'Islande constituent la première ;
- la seconde se situe dans la baie de Baffin ;
- la troisième comprend la mer de Beaufort et l'archipel nord canadien (et la baie d'Hudson) ;
- la quatrième est la mer de Béring ;
- la cinquième, au nord de la Russie comporte la mer de Kara, la mer de Laptev, la mer de Sibérie orientale et la mer des Tchouktches ;
- la sixième, le coeur de l'Arctique.
Cette dernière région est encore majoritairement prisonnière des glaces même en été et n'est quasiment pas exploitée. Les mers du nord de la Russie et au nord du Canada le sont très peu. Dans ces trois zones, la pêche se limite à la crevette nordique et au saumon (dans des quantités infimes).
Les trois autres zones sont gérées par des ORGP : l'Organisation des pêches de l'Atlantique du Nord-Ouest(OPANO), la Commission des pêches de l'Atlantique du Nord-Est (CPANE) et l'Accord sur le colin dans la mer de Béring centrale (qui ne couvre donc pas l'ensemble de la mer de Béring). Parmi elles, la zone de l'Atlantique nord et la mer de Béring sont les deux zones les plus productives de l'océan Arctique. Les enjeux y sont aussi les plus importants car la productivité des espèces marines y est la plus forte.
C'est d'ailleurs parce que le colin d'Alaska, qui représente les deux tiers des prises en mer de Béring, a été victime de surpêche et a vu son stock menacé qu'un moratoire a dû être adopté en 1993, suivi par l'accord concernant la mer de Béring centrale en 1995. Près de vingt ans après, ce stock n'est toujours pas reconstitué et le moratoire est maintenu.
Dans la mer de Barents, on pêche principalement la morue, le capelan et le hareng, espèce qu'on retrouve aussi en grande quantité en mer de Norvège, ainsi que le merlan bleu. Plus à l'ouest en allant vers le Groenland, on trouve encore le capelan et la morue, mais également le sébaste et le flétan noir.
Dans la baie de Baffin, la pêche est beaucoup plus modeste. Elle concerne la crevette nordique, le flétan du Groenland et l'omble chevalier. Cette faiblesse s'explique par l'effondrement du stock de morue au début des années 90, notamment au large de Terre-Neuve, et alors même que l'OPANO existait depuis 1978. Mais la gestion de la pêche souffrait alors de deux handicaps : les quotas attribués par les États étaient largement supérieurs aux recommandations scientifiques et il n'était pas possible d'agir en haute mer où avait lieu la surpêche.
Enfin, la CPANE, parce qu'elle couvre une région essentiellement composée de Zones économiques exclusives (ZEE), dispose de peu de pouvoirs. Néanmoins, elle a facilité la collaboration entre la Norvège et la Russie sur les stocks de Morue et de Hareng en mer de Barents et a permis que des quotas de pêche soient alloués aux pays de l'Union européenne.
En outre, la lutte contre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée fait également partie des priorités de gestion durable des pêcheries. En Arctique, c'est sans surprise qu'on relève que les principales zones de pêche illégale se situent dans la mer de Barents et la mer de Béring, régions les plus productives. L'OPANO et la CPANE ont chacune établi une liste noire et coopèrent pour la surveillance dans l'Atlantique des navires visés par ces listes.
Néanmoins, il faut relever que la Russie, dont les côtes longent à la fois la mer de Barents et la mer de Béring, doit faire face à une importante pêche illégale, non reportée et non régulée. Celle-ci serait due à une législation inappropriée, des manques dans les contrôles et le rôle du crime organisé, la faiblesse des pénalités encourues par les fraudeurs et enfin l'importance de cette activité pour l'économie locale de certaines régions dans l'est du pays qui exportent vers l'Asie. Cela n'empêche pourtant pas la Russie de vouloir développer la pêche dans sa ZEE, en tirant profit de la fonte de la banquise.
b) De nouvelles possibilités de pêche dans les ZEE des États côtiers ?
La guerre du maquereau qui a opposé l'Islande et les Iles Féroé à l'Union européenne et à la Norvège ces dernières années est caractéristique de la remontée vers le nord d'un certain nombre d'espèces de poissons cherchant des eaux plus froides et ouvrant ainsi des possibilités de pêche nouvelles pour le États côtiers de l'Arctique.
Tandis qu'elle pêchait jusque-là chaque année 2 000 tonnes environ de maquereaux, l'Islande a augmenté unilatéralement son quota à 130 000 tonnes en 2010 et à 146 000 tonnes en 2011 (elle était suivie sur ce sujet par les Iles Féroé). Cette décision était justifiée, selon le pays, par une migration importante des maquereaux dans ses eaux exclusives en raison du réchauffement climatique. L'Union européenne et la Norvège ont estimé qu'une telle augmentation mettait en danger la survie de l'espèce. Ce conflit a contribué à la suspension par l'Islande de sa demande d'adhésion à l'Union européenne, bien qu'elle ait réduit son quota en 2013. L'affaire a connu un dernier rebondissement en 2014 quand un accord a été trouvé avec les Iles Féroé, mais sans que l'Islande ne le signe, dénonçant la surpêche...
La carte page 11 présente l'extension de la banquise arctique en septembre 2012, son plus bas niveau jamais enregistré. Elle donne une indication de ce que pourrait être, dans les années qui viennent, l'état de l'océan arctique durant plusieurs mois d'été. On y constate que trois zones seraient plus accessibles : l'Arctique russe, la mer de Beaufort, la baie de Baffin.
La Russie qui nourrit de grandes ambitions pour l'Arctique, veut développer la pêche dans sa zone économique exclusive. Or, actuellement, elle pêche peu dans ces eaux : si elle est active en mer de Barents, il n'y a pas ou guère de pêche en mer de Kara ou le long des côtes sibériennes, alors même qu'elles sont libres de glaces durant l'été. Un développement rapide est donc peu probable dans l'immédiat.
Dans la baie de Baffin , gérée par l'OPANO, le Canada et le Groenland souhaitent développer la pêche en haute mer, notamment en raison de la migration des espèces vers le nord et des eaux plus froides. Mais cela implique que l'industrie de la pêche puisse intervenir en haute mer et cela n'est pas vraiment le cas.
L'effondrement du stock de morues a permis aux crevettes nordiques de se développer (les premières étant un prédateur des secondes) et elle est désormais la première espèce pêchée dans les eaux groenlandaises. Mais les crevettes aiment les eaux froides et, dans les eaux les plus productives du Groenland du sud de la zone leur nombre décroit. Il faudra donc aller les chercher dans la haute mer libérée de la banquise. Du côté canadien, le manque de plateaux continentaux empêche l'espèce de progresser vers le nord, mais les quantités pêchées sont beaucoup plus faibles.
Dans le même temps, on constate que le trafic de navires de pêche dans la région a fortement augmenté entre 2005 et 2011 : de 30 à 275 passages par an. Cependant, cette statistique est à relativiser, car elle est due à l'augmentation du nombre de petits navires. Or, ceux-ci n'ont pas la capacité suffisante pour rester longtemps en mer et doivent faire plus d'aller-retour pour se réapprovisionner et décharger leurs marchandises, dans une région où les infrastructures manquent. Par conséquent, ils sont très mal armés pour une pêche en haute mer. Donc, en dépit d'une volonté politique, le manque d'infrastructures actuel pourrait limiter à l'avenir l'extension de la pêche réalisée par une petite flottille en croissance. Il n'en demeure pas moins que le trafic augmentant, la pollution aussi.
Dans la mer de Beaufort , où il n'y a pas d'organisation régionale de pêche, la situation est à la fois simple et compliquée. Simple parce que la pêche n'est pour l'instant pas autorisée dans les deux zones exclusives : les États-Unis ont décrété un moratoire de dix ans au moins, tant que les connaissances scientifiques ne permettront pas une exploitation commerciale de la zone ; au Canada, aucune licence n'est attribuée tant qu'un plan de gestion des pêches n'est pas mis en place pour le développement durable de son territoire côtier de l'Inuvialuit. Compliqué, parce qu'une zone est revendiquée par les deux pays et le Canada voit le moratoire américain comme un frein au développement de son territoire.
Cependant, tant que ce moratoire existe, les États-Unis ne permettront pas que des navires venus d'un pays tiers pêche dans leurs eaux territoriales en mer de Beaufort. Et il pourrait ne pas être levé rapidement, car les connaissances scientifiques sur les pêcheries arctiques sont faibles, particulièrement dans cette région qui a peu suscité l'intérêt commercial jusque-là.
Comme on le voit, le développement de la pêche dans les zones économiques exclusives (ZEE) se heurte principalement à l'inconnu : manque de connaissances scientifiques pour établir une pêche durable, manque d'évaluation de la rentabilité des pêcheries, manque d'infrastructures, manque d'investissements... Tant de raisons qui laissent penser que le développement de la pêche commerciale dans l'arctique « périphérique » ne se fera pas dans un futur proche.
Ce constat rend d'autant plus improbable la pêche au coeur de l'océan arctique à l'avenir.
c) La pêche au coeur de l'océan arctique, une perspective encore improbable
L'ONG Greenpeace a lancé une campagne virulente et habile contre le développement d'activités commerciales (pêche et exploitation des hydrocarbures, notamment) dans l'océan arctique. Cette campagne s'appuie sur une pétition visant à convaincre les États arctiques de créer une zone naturelle protégée autour de l'Arctique. Il faut reconnaître l'efficacité de Greenpeace puisqu'à ce jour plus de 5 300 000 personnes ont signé la pétition.
Cette campagne s'est accompagnée de deux actions « coup de poing », qui ont rencontré un certain écho médiatique. On se souvient tout d'abord que le navire Arctic Sunrise s'était lancé contre une plate-forme pétrolière de Gazprom avant d'être arraisonné et de voir les 30 membres de l'équipage arrêtés le 19 septembre 2013, puis être emprisonnés avant que des démarches diplomatiques ne permettent leur libération. Greenpeace vient d'annoncer que l'Arctic Sunrise devrait lui être rendu par les autorités russes. Plus récemment, le 1 er mai dernier, le Rainbow-Warrior et l' Esperanza ont tenté d'empêcher un tanker russe, le Mickail-Ulyanov , d'accoster à Rotterdam pour livrer du pétrole extrait d'une plate-forme offshore en Arctique.
Ces actions nous rappellent la nécessaire vigilance quant à la surveillance pour la protection de notre planète, mais elles reposent néanmoins sur un préalable discutable : les chalutiers industriels viendraient piller l'océan arctique, menaçant la pêche traditionnelle qui assure la survivance des populations locales depuis plusieurs siècles. Il y a là un peu d'exagération : tout d'abord, la pêche traditionnelle est pratiquée le long des côtes dans les eaux continentales et territoriales et non en haute mer arctique dans laquelle Greenpeace voudrait interdire toute forme de pêche susceptible de nuire aux écosystèmes marins ; en outre, comment et pourquoi les chalutiers viendraient piller l'Arctique ? Plusieurs raisons s'opposent en effet à cette dernière question.
En premier lieu, la faiblesse actuelle de la connaissance du coeur de l'Arctique ne laisse pas présager qu'il y ait des réserves de poissons qui méritent d'être pêchées. Et les stocks existants sont peu connus (sont-ils rentables ?) et mal localisés géographiquement. En second lieu, cette région n'est que partiellement sortie des glaces en 2012, et uniquement au nord du détroit de Béring (près de la mer des Tchoucktches). Elle reste très éloignée de toute infrastructure et de toute base et le coût de transport, fixe, est important ; néanmoins, elle est plus proche de l'Asie (qui comprend de grandes puissances maritimes) que l'Antarctique, 8 000 km contre 12 000. Enfin, dans ces conditions, venir pêcher en Arctique représente un risque coût/rentabilité des plus faibles : la distance est quand même longue pour une prise de risque assez élevée pour une rentabilité pas assurée.
Au final, aujourd'hui, les limites de la connaissance ne nous permettent pas de savoir s'il existe un stock exploitable prouvé dans l'océan Arctique ou de stock économiquement rentable. Dans une région éloignée des infrastructures de pêche et des principaux marchés de consommation, il y a donc peu de chances de voir se développer une pêche commerciale. Le risque existe cependant de voir des navires « tenter l'aventure », car la surpêche a fait des dégâts dans tous les océans du monde et combler le manque d'encadrement juridique de la pêche en Arctique est aujourd'hui une nécessité.
d) Une absence de cadre juridique à combler
Comme le résument très bien Frédéric Lasserre et Augustin Boyer, « il n'existe pas de gestion globale de la pêche commerciale dans l'Arctique, mais des gestions différentes dans des Arctiques différents » .
L'océan Arctique est soumis au droit de la mer selon lequel, la pêche en haute mer n'est pas considérée comme illégale. En Arctique, elle représente 2 800 000 km 2 sur un total de 14 000 000 km 2 , la grande majorité des eaux relevant des zones économiques exclusives des états côtiers. Or, une grande partie de ces zones n'est actuellement pas intégrée dans une organisation régionale des pêches, et au total, c'est près de la moitié de l'océan Arctique qui ne bénéficie pas d'une gestion régulée de ses pêcheries.
Certes, la coopération entre les pays a pu donner des résultats probants, comme la coopération russo-norvégienne en mer de Barents qui a permis d'améliorer l'état des stocks de maquereaux, cabillauds, harengs. Toutefois, la création d'une nouvelle organisation régionale des pêches permettrait d'assurer une meilleure garantie de la viabilité des pêcheries dans l'ensemble de l'océan Arctique.
Or, le code de conduite pour une pêcherie responsable de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture ( Food and agriculture organisation, FAO ) énonce dans son article 6.4 que « les décisions portant sur la conservation et l'aménagement dans le domaine de la pêche devraient être fondées sur les données scientifiques les plus fiables disponibles » . Ainsi, une organisation régionale de la pêche en Arctique, pour voir le jour, doit pouvoir s'appuyer sur des connaissances scientifiques qui font défaut actuellement comme le rappelle l'océanographe spécialiste de l'Arctique, Marie-Noëlle Houssais. C'est la raison pour laquelle, il faut soutenir la recherche scientifique en Arctique, afin d'approfondir les connaissances.
Néanmoins, cela ne suffira pas, car il n'existe pas de consensus parmi les États riverains pour la création d'une telle organisation. Comme il a été dit, beaucoup ambitionnent de développer la pêche dans leur ZEE et ne voient pas pourquoi il faudrait une ORGP pour le faire. Et, en l'absence de perspective du développement proche de la pêche commerciale en haute mer, ils ne voient pas le besoin d'ouvrir des négociations pour créer un nouvel organe international de régulation. Seuls les États-Unis et la Norvège y voient une nécessité. Le Canada et le Groenland pourraient s'y résoudre, mais dans le cas de ce dernier, le message est de moindre portée car ce n'est pas lui qui négocie les possibilités de pêche mais le Danemark. En outre, créer une nouvelle organisation dépasse le cadre des seuls États côtiers et la fixation de quotas ne pourraient se faire qu'avec la participation d'autres acteurs.
Aussi, il y a fort à parier que la pêche en haute mer arctique se développera en même temps que la connaissance de ce milieu s'approfondira, car la première se fera aussi sûrement que la glace fond et la seconde sera incontournable pour développer les pêcheries. Toutefois, les États côtiers de l'Arctique savent qu'ils ne peuvent contrôler la pêche en haute mer. S'il apparaissait que des navires pillent les ressources halieutiques de l'Arctique, ils ne pourraient pas l'empêcher. C'est la raison pour laquelle il faut soutenir sans relâche la création rapide d'une organisation régionale arctique de gestion de la pêche !
* 3 Hubert Fabre, géostratégie arctique : Les incidences stratégiques du réchauffement climatique, working paper 15-2013 in Institut Européen des relations internationales.
* 4 US Geological Survey , Circum-Arctic Resource Appraisal : Estimates of Undiscovered Oil and Gas North of the Arctic Circle, USGS Fact Sheet 2008-3049.