C. L'ARCTIQUE : UNE RÉGION CLÉ DANS LE FONCTIONNEMENT ET LA CONNAISSANCE DE LA TERRE

Dans son Atlas des Pôles, le chercheur Éric Canobbio rappelle qu'en 1875, « alors que l'intérêt scientifique et politique sur les régions polaires ne cesse de croître, l'explorateur austro-hongrois Karl Weyprecht propose d'intensifier les observations météorologiques dans les hautes latitudes australes et boréales. D'un consensus scientifique sur la nécessité d'installer des stations de mesures va naitre la première année polaire internationale de 1882-1883. 15 stations météorologiques seront installées, dont 13 réparties sur les 21 millions de km 2 de l'Arctique. Ce dispositif, renforcé au cours du XX e siècle, se mettra au service d'enjeux civils nordiques comme l'aviation transpolaire et de la connaissance du climat mondial. »

Depuis, les travaux de la science ont permis de montrer que l'Arctique, comme l'Antarctique jouent un rôle essentiel dans la régulation du climat, mais également dans la connaissance de notre planète.

1. La participation de l'Arctique à la circulation thermohaline

Comme le rappelait Christian Gaudin 2 ( * ) : en Arctique, « il y a seulement trois ouvertures un peu importantes. Le détroit de Béring constitue l'ouverture vers le Pacifique. Large de 80 km, il est seulement profond de 38 m. La deuxième est celle de l'archipel canadien ou « passage du Nord-Ouest » ; elle ne permet pas une circulation océanique importante. La seule véritable ouverture est celle entre le Groenland et la Norvège, large de 1 500 km et marquée d'un sillon profond de 3 000 m.

Cette organisation de l'espace, marquée par une seule ouverture océanique, structure la circulation atmosphérique et les courants marins et permet de mieux comprendre la grande importance pour le climat de l'échange thermique qui s'y effectue entre le Gulf Stream d'un côté et le courant du Labrador de l'autre. »

De manière très schématique, la circulation atmosphérique et océanique mondiale est régie en grande partie par les pôles. Ils sont la source froide, comme le disait Henri Poincaré, qui permet de réguler la chaleur qui caractérise les régions méridionales. Arctique et Antarctique jouent ainsi un rôle essentiel dans la naissance et la disparition des grands courants marins. Pour sa part, l'Arctique a une grande influence sur le Gulf Stream , courant d'air chaud qui permet à l'Europe de bénéficier d'un climat plus clément que l'Amérique du Nord et l'Asie. Quelles conséquences aura le réchauffement de l'océan boréal sur ce courant marin ? Il est encore aujourd'hui difficile de le dire.

Les interactions entre les changements de glace et les courants aériens sont également compliquées à démontrer en l'état des connaissances. Beaucoup reste à faire pour mieux connaître le climat et son histoire et sur ce point, les pôles ont un rôle essentiel à jouer.

2. Les glaces polaires : archives du climat mondial

« Comprendre les climats anciens pour comprendre le futur du climat » . Par cette formule, Christian Gaudin résumait l'enjeu crucial que représente le maintien des grands glaciers polaires pour la connaissance de l'alchimie de notre planète. Et de préciser :

« La neige qui tombe, s'accumule et se transforme progressivement en glace en raison de la température et de son poids croissant car elle devient de plus en plus dense. Lors de ce processus, elle emprisonne définitivement quelques particules d'air environnant et des poussières. Ainsi, sous forme de couches successives se trouvent scellées des informations précieuses sur le climat . Le « sceau » n'est jamais brisé puisque les températures sont en permanence négatives de plusieurs dizaines de degrés.

La glace est stratifiée entre couches d'hiver et d'été. L'été, les couches sont moins denses car les grains sont plus gros en raison d'une température moins basse. La couche d'hiver est plus dense et parfois formée en croûte en raison du vent.

L'ensemble de cette glace se déplace au cours du temps du sommet de la calotte vers le fond et du centre vers la côte .

Au total, la neige tombée au centre du continent peut mettre plusieurs centaines de milliers d'années pour rejoindre la côte. C'est ce mécanisme qui fait des calottes du Groenland et de l'Antarctique des archives du climat mondial. »

Les études menées durant les 25 dernières années dans la région arctique ont permis de reconstituer l'ensemble du cycle depuis la dernière période chaude semblable à la nôtre. Une première campagne menée en 1989 a permis des reconstitutions climatiques remontant jusqu'à 105 000 ans. Une campagne menée entre 1996 et 2004 a permis grâce à un forage de 3 085 mètres, le plus profond réalisé dans cette région permet de remonter au-delà du dernier âge glaciaire, il y a 115 000 ans.

En 2004, les scientifiques de différents pays participant au programme international IPICS ( International Partnerships in Ice Core Sciences ) se sont demandé quelles étaient les informations nécessaires pour mieux comprendre le fonctionnement du climat. Ils ont déterminé les grandes orientations de la recherche en matière de forage glaciaire autour de quatre axes :

- Reconstituer le climat au-delà du million d'années

On sait qu'au-delà de 800 000 ans, les grands cycles climatiques n'étaient pas de 100 000 ans, mais de 40 000 ans. L'explication de cette différence pourrait s'avérer déterminante pour comprendre le climat futur, notamment concernant sa sensibilité aux différences d'insolation ou encore le rôle joué par les réservoirs naturels de gaz à effet de serre.

- Mieux comprendre la variabilité climatique en étudiant les 40 000 dernières années

Les 40 000 dernières années comprennent la transition de la dernière grande période glaciaire vers le climat d'aujourd'hui, au cours duquel se sont produits des changements brutaux marqués par des réchauffements et des refroidissements rapides (événements de Dansgaard-Oeschger). Cette période se révèle être la mieux documentée sur les réponses climatiques aux changements de grande envergure sous l'effet des variations naturelles. Ces évolutions et les réponses dans le temps et l'espace du système climatique peuvent nous aider à comprendre le climat futur ; le climat actuel connaissant un forçage extrêmement rapide sous l'effet de l'action de l'homme.

- Préciser les connaissances sur les 2 000 dernières années

Les données sont en effet nettement insuffisantes au-delà des 400 dernières années et manquent de fiabilité. Il y a beaucoup d'incertitudes sur le fonctionnement du climat de l'hémisphère Nord, notamment pour déterminer la fréquence et l'amplitude de l'oscillation arctique ou encore pour savoir si le réchauffement connu au Moyen-Âge en Europe était un phénomène régional ou plus large. Jusqu'à présent les différentes méthodes scientifiques utilisées permettent certes d'avoir un certain nombre d'informations mais elles restent imprécises et localisées.

- Tenter de comprendre notre futur en étudiant l'Éémien

On estime que cette période, il y a 125 000 ans, est la plus proche de la nôtre en termes climatiques, mais dont la température était plus élevée et durant laquelle le niveau de la mer était supérieur de 6 à 7 mètres à celui d'aujourd'hui. Compte tenu des résultats des forages glaciaires menés au Groenland et des estimations sur la masse de la calotte, ainsi que sur le niveau de la mer, tout laisse penser qu'à cette période la calotte du Groenland avait largement fondu. L'un des enjeux majeurs est de savoir si elle avait totalement fondu ou non et, s'il restait des glaciers, quel était le volume restant. Ce calcul est fondamental pour mesurer l'impact du réchauffement actuel. Quel va être son ampleur ? Quelles vont être ses conséquences sur la circulation océanique, le niveau des mers, le climat général ? Pour tenter d'y répondre, il faut trouver un nouveau lieu de forage au Groenland permettant d'atteindre des couches de glace non mélangées et non soumises à la fonte, qui soient plus veilles que celles trouvées jusqu'à ce jour et, si possible, plus vieilles que le dernier interglaciaire. Des glaces très anciennes ont déjà été retrouvées mais elles n'étaient pas exploitables pour des reconstitutions climatiques. Plusieurs équipes scientifiques, notamment danoises, sont persuadées que cette glace existe et peut être trouvée et exploitée. C'est le second grand axe d'effort du programme IPICS qui vise à obtenir une carotte permettant de reconstituer les 140 000 dernières années dans l'hémisphère Nord.

Parce que cette région présente des spécificités uniques, un environnement fragile et une importance singulière dans la mécanique climatique mondiale, elle mérite d'être protégée. Pourtant, les transformations induites par le réchauffement climatique laissent plutôt craindre une ruée vers des opportunités économiques qui ne pourraient que dégrader l'Arctique.


* 2 Rapport du Sénat n° 230 (2006-2007), Se donner les moyens de l'excellence : la recherche française à la veille de l'année polaire internationale, par M. Christian Gaudin, Sénateur.

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