B. VERS UNE POLITIQUE DE L'UNION EUROPÉENNE POUR L'ARCTIQUE
Le premier semestre 2014 a vu successivement le Parlement européen et le Conseil adopter une position concernant le Grand Nord. Si le premier, à travers un consensus entre les groupes politiques, a développé une approche nourrie et ambitieuse, le second, moins allant, s'est surtout montré ouvert à propositions.
Sur le fond, il convient de rappeler que l'Union européenne souffre d'un déficit d'image auprès des acteurs de la région : mal perçue par le Groenland, en conflit avec le Canada sur le commerce des produits dérivés du phoque, presque invisible pour la Russie qui favorise les relations interétatiques et encore mal comprise des peuples autochtones. C'est pourquoi, il lui faut, avant d'envisager d'affirmer plus sa présence, réparer les erreurs du passé.
1. Réparer les erreurs du passé
Afin de voir son rôle dans l'Arctique mieux reconnu et apprécié, l'Union européenne se doit d'abord de réparer certaines maladresses que son action a engendrées auprès des acteurs de l'Arctique. Il s'agit en premier lieu de l'interdiction d'importation des produits dérivés du phoque et de la résolution du Parlement européen de 2008.
a) Surmonter le traumatisme causé par l'interdiction du commerce des produits du phoque
La grande majorité des personnes auditionnées pour la préparation du présent rapport ont évoqué, à partir de leur expérience de terrain dans l'Arctique et des échanges avec les populations locales, l'embargo sur les produits du phoque comme la principale raison de la mauvaise image de l'Union européenne en Arctique.
En effet, avec le règlement 1007/2009 du 16 septembre 2009 l'Union européenne a fait le choix, lourd de conséquences d'interdire l'importation, la distribution et la commercialisation des produits dérivés du phoque sur son territoire, cela pour des raisons éthiques liées au bien-être de l'animal. C'est d'ailleurs la première fois qu'un motif éthique est invoqué à l'appui d'un embargo.
Toutefois, cette interdiction générale comporte une série de trois exceptions. Restent ouverts à l'importation les produits provenant de la chasse traditionnelle, de la chasse qui respecte la gestion durable des ressources marines et les produits destinés à l'usage personnel des voyageurs sous réserve de petites quantités et de façon occasionnelle.
Le 3 octobre 2013, la Cour de Justice de l'Union européenne s'est prononcée en faveur de l'interdiction des ventes des produits dérivés du phoque. Elle rappelle que le règlement 1007/2009 autorise la mise sur le marché européen des produits à condition qu'ils proviennent de la chasse traditionnelle par les populations locales elles-mêmes (inuites et autochtones), aux fins de subsistance.
En 2012, le Canada et la Norvège ont attaqué cet embargo devant l'Organisation mondiale du commerce. Dans son rapport, le groupe spécial chargé du règlement des litiges à l'OMC a souligné une entrave aux règles du GATT de 1994. Il a estimé en effet que l'interdiction de l'Union de commercialiser sur son territoire les produits dérivés du phoque non issus de la chasse traditionnelle a pénalisé en premier lieu les produits originaires du Canada et favorisé ceux en provenance du Groenland (qui a le statut de pays et territoire d'outre-mer dans l'Union). Il est vrai que le Groenland, (mais aussi la Suède) sont les premiers bénéficiaires du régime d'exemption précité. Pourtant, l'OMC a confirmé une première fois la décision de l'Union en novembre 2013, puis une deuxième fois en rejetant l'appel du Canada et de la Norvège le 22 mai 2014.
D'un point de vue diplomatique, la décision de l'OMC devrait désormais favoriser l'obtention par l'Union européenne du statut d'observateur permanent au Conseil de l'Arctique. En effet, lors de la réunion ministérielle à Kiruna en mai 2013, la candidature de l'Union au statut d'observateur permanent a finalement été acceptée. Toutefois, le Canada avait conditionné son application effective à la résolution du litige qui les oppose sur la commercialisation des produits dérivés du phoque. Alors qu'il exerce la présidence tournante du Conseil Arctique, nul ne sait aujourd'hui s'il acceptera de lever son veto.
Pour expliquer la ligne très dure du Canada, certains évoquent des considérations de politique intérieure. L'intransigeance de ce pays sur ce sujet parait effectivement disproportionnée et pourrait plutôt relever des relations entre le pouvoir fédéral canadien du Premier ministre Stephen Harper et les peuples autochtones du grand nord canadien.
En outre, l'Union européenne n'est pas la seule à avoir interdit l'importation des produits du phoque. Les États-Unis et la Russie l'interdisent aussi.
Toutefois, il convient de bien mesurer l'impact qu'a eu cette interdiction sur les populations locales, qui misaient sur ce secteur pour développer leur économie. Car au-delà des peaux de phoques, on peut commercialiser de nombreux produits dérivés. Au Canada, la vente des produits dérivés concerne, en plus de la peau (artisanat de fourrure et du cuir), l'huile (collagène et oligoéléments pour l'industrie pharmaceutique, cuisine traditionnelle) et la chair (viande).
Chaque année, environ 900 000 phoques sont tués dans le monde à des fins commerciales ou de subsistance. Au Canada, la chasse au phoque est une activité qui permet à 600 000 personnes (locaux et populations inuites) de subvenir à leurs besoins (source importante de nourriture et de revenus). Ce sont 6 000 personnes qui en vivent au titre du commerce. Cependant, ce chiffre est en constant recul du fait de la fonte des glaces et de l'effondrement du prix des peaux de phoque. Dans ce contexte, l'embargo européen sur la vente de produits dérivés du phoque a contribué à considérablement réduire l'activité de la chasse et les ressources des populations autochtones.
Aujourd'hui, l'Union européenne doit s'interroger sur ce qu'elle veut concernant ces produits. Trois lignes semblent s'imposer : la gestion durable de l'espèce, des méthodes d'abattage qui ne soient pas barbares, la protection de l'écosystème. Négocier avec les pays exportateurs et les représentants des populations vivant traditionnellement de cette chasse pourrait permettre d'établir une filière respectueuse de ces critères tout en étant viable économiquement. C'est en ouvrant à nouveau des négociations que l'on sortira de ce problème, plutôt qu'en attendant des arbitrages de l'OMC.
b) Dépasser la résolution du Parlement européen de 2008
À l'initiative de l'ancien Premier ministre français Michel Rocard, le Parlement européen a adopté une résolution le 9 octobre 2008 qui demandait à la Commission européenne d'agir pour appliquer à l'Arctique un traité équivalent à celui régissant l'Antarctique.
Ce dernier, depuis l'ajout du Protocole de Madrid en 1991, fait de l'Antarctique une « réserve naturelle consacrée à la paix et à la science ». En conséquence, il interdit les activités relatives aux ressources minérales autres que celles menées à des fins scientifiques et exige une étude d'impact sur l'environnement avant toute action.
Cette position, si elle a reçu le soutien de nombreuses ONG de défense de l'environnement comme Greenpeace et le WWF, a considérablement dégradé l'image du Parlement européen et de l'Union elle-même auprès des États et des populations de l'Arctique. En effet, à la différence de l'Antarctique, l'Arctique n'est pas un continent sans habitants, mais un océan entouré de continents et peuplé de quatre millions d'habitants.
En outre, cette résolution est allée à l'encontre de la déclaration d'Ilulissat de mai 2008 dans laquelle les cinq États présents lors de son adoption ont déclaré que le cadre formé par le Conseil de l'Arctique, la Convention des Nations unies sur le droit de la mer et les autres conventions applicables aux milieux marins constituait « une base solide pour la gestion responsable par les cinq États côtiers et les autres utilisateurs de l'océan Arctique » .
Aussi, le Parlement européen a adopté une nouvelle résolution le 20 janvier 2011 dans laquelle il a abandonné la précédente ligne, reconnu l'utilité des institutions de gouvernance existantes et proposé un renforcement du Conseil de l'Arctique. Cependant, une nouvelle étape a semblé nécessaire afin que l'Union européenne se montre attentive à l'évolution d'une région qui change vite. C'est pourquoi, le Parlement européen a adopté une nouvelle résolution le 10 mars 2014.
2. Une nouvelle résolution du Parlement européen sur l'Arctique
C'est le 10 mars 2014 que le Parlement européen a adopté une résolution européenne sur la stratégie de l'Union européenne pour l'Arctique, fondée comme souvent sur un compromis entre les groupes politiques. Avant de détailler les orientations suivies dans cette résolution, il convient de présenter les propositions des différents groupes.
a) Les propositions de résolution des groupes au Parlement européen
Les résolutions proposées par les différents groupes politiques du Parlement européen présentent une similarité saisissante tant sur le plan de l'orientation générale que sur les formulations employées. Quelques grands axes peuvent être tracés pour chacune des propositions.
•
La proposition du groupe Parti Populaire
Européen (PPE)
Le PPE met en exergue les enjeux économiques présents dans l'Arctique, tout en soulignant à maintes reprises le nécessaire respect des principes du développement durable. Il appelle ainsi à recentrer les activités des institutions de l'Union sur les domaines qui concernent les intérêts « politiques, environnementaux ou économiques » de l'Union et ses États membres, et insiste particulièrement sur le rôle des entreprises européennes dans la protection des intérêts économiques européens sur le long terme. Le PPE fait valoir l'importance majeure de la coopération internationale ainsi que la nécessité d'assurer une représentation de l'Union au sein d'institutions en rapport avec l'Arctique (directement comme le Conseil de l'Arctique ou indirectement comme l'Organisation Maritime Internationale (OMI)). L'investissement, la recherche et l'exploitation des ressources naturelles dans la région sont encouragées, à condition qu'ils respectent des normes environnementales contraignantes ainsi que les droits des populations locales.
•
La proposition du groupe Socialistes et
Démocrates (S&D)
Le S&D reconnaît tout autant l'importance des enjeux économiques dans l'Arctique, mais insiste sur la nécessité de donner une dimension régionale à l'action européenne afin de s'assurer de son soutien local et de sa légitimité. Il recommande ainsi la création de nouvelles instances assurant une meilleure représentation des acteurs régionaux, locaux et autochtones de l'Arctique ou de favoriser l'entreprenariat régional et rural. Le S&D propose également une protection environnementale plus étendue que le PPE, en notant par exemple la possibilité d'interdire les forages pétroliers et gaziers dans certaines zones de l'Arctique et en soutenant une approche « de précaution ». Il remarque enfin la nécessité de se doter d'un budget approprié pour respecter ces objectifs.
•
La proposition du groupe de l'Association
des Libéraux et Démocrates pour l'Europe (ALDE)
Si la proposition de l'ALDE se montre très similaire à celle du PPE, elle s'en distingue néanmoins en appelant l'Union à se concentrer sur les régions arctiques et subarctiques européennes pour légitimer son action. Tout en reprenant l'ensemble des préconisations du PPE et des S&D, elle inclut la perspective du tourisme au sein du développement économique potentiel de l'Arctique. Elle demande enfin à la Commission de se donner des objectifs contraignants en matière d'environnement ainsi que de soutenir activement la France dans l'organisation de la conférence sur le climat Paris 2015.
• La proposition du groupe des Conservateurs
et Réformistes Européens (ECR)
Toutes les propositions de l'ECR sont reprises des préconisations du PPE, mais l'ECR semble considérer que les intérêts européens dans l'Arctique sont de natures politique et économique uniquement, occultant par là même toute dimension environnementale. Bien que la proposition mentionne à quelques reprises le développement durable, celui-ci est compris dans son sens économique plus qu'environnemental. Le volet écologique est presque inexistant (un seul article s'inquiète du réchauffement climatique). L'ECR insiste enfin sur la recherche et demande une meilleure gestion des programmes et financements divers existants déjà au sein de l'Union.
•
La proposition du groupe de la Gauche
unitaire européenne/Gauche verte nordique (GUE/NGL)
La proposition de la GUE est la seule proposition présentant une opposition totale à l'exploitation des intérêts économiques présents dans l'Arctique. Elle qualifie les effets du changement climatique de « catastrophiques » et s'oppose catégoriquement à l'exploitation industrielle de l'Océan Arctique, en particulier à l'exploitation des ressources pétrolières et gazières « supposées » de la région. Elle préconise ainsi l'instauration d'un moratoire sur l'exploitation industrielle de l'Océan Arctique - une proposition qui reprend une revendication de la campagne Save the Arctic de Greenpeace -, ainsi que la mise en place de fonds dédommageant les populations locales. Elle attribue une responsabilité particulière à l'Union et ses États membres dans la lutte contre le réchauffement climatique. Enfin, elle dénonce la militarisation croissante du Grand Nord et la menace que celle-ci comporte pour la stabilité et la paix dans la région. Sur ce point, elle érige en modèle le traité sur l'Antarctique (1991), qui permet une coopération pacifique en matière de recherche.
•
La proposition du groupe des
Verts/Alliance Libre Européenne (Verts/ALE)
La proposition des Verts est bien sûr intransigeante sur les questions environnementales. Au contraire de la GUE, elle se montre ouverte sur la question de l'exploitation des opportunités économiques dans les régions arctiques. Cependant, elle prend soin de mentionner un nombre conséquent de faits scientifiques dénonçant la gravité du réchauffement climatique, et insiste sur l'importance majeure du principe de précaution ainsi que d'une approche de la gestion en fonction des écosystèmes. À la différence des autres propositions, elle ne se satisfait pas des accords de « search and rescue » (recherche et sauvetage) et d'intervention en cas de marée noire, insuffisamment contraignants en matière de régulation et de responsabilité attribuée aux opérateurs pétroliers. Elle demande également une interdiction des forages pétroliers dans les eaux arctiques situées dans l'Union et l'EEE. Enfin, elle reprend les inquiétudes de la GUE quant à la militarisation de la région et pointe la responsabilité des gouvernements et des citoyens du monde entier dans la protection de l'Arctique.
Il est intéressant de noter que les Verts adoptent cependant une position très pragmatique et s'efforcent de se montrer constructifs par rapport à certains échecs passés comme par exemple le projet de Traité de l'Arctique ou les conséquences économiques et sociales de l'interdiction européenne de la commercialisation des produits issus du phoque.
b) La résolution adoptée par le Parlement européen
• L'orientation générale :
une politique arctique unie, cohérente et concrète,
articulée autour du développement durable
Dès le premier considérant, la résolution souligne l'intérêt (à noter, la disparition du mot « légitime » présent dans la majorité des propositions) de l'Union européenne pour l'Arctique. Elle insiste sur la nécessité d'une politique arctique unie de l'Union, d'une stratégie cohérente et d'un plan d'action concret mettant l'accent sur les questions socio-économiques et environnementales. Elle rappelle à maintes reprises que l'exploitation des opportunités économiques dans l'Arctique doit s'opérer dans le respect de l'environnement ainsi que des populations locales. Enfin, elle demande une meilleure utilisation des financements et des programmes existants ainsi qu'un soutien budgétaire approprié de la Commission.
•
La nécessité d'une
coopération internationale étendue
Le Parlement rappelle l'implantation actuelle de l'Union dans l'Arctique, de par l'appartenance à l'Union d'États arctiques (le Danemark, la Finlande et la Suède), l'existence d'un peuple autochtone arctique dans l'Union (les Sames) et l'étendue de la contribution de l'Union à la recherche dans l'Arctique. La représentation de l'Union dans les institutions en rapport avec l'Arctique est fortement encouragée, que ce soit au sein du Conseil de l'Arctique ou d'autres institutions comme l'OMI. La résolution déplore les effets de l'interdiction européenne des produits dérivés du phoque et exhorte la Commission à régler les problèmes persistant avec le Canada, pour pouvoir obtenir le statut d'observateur permanent au sein du Conseil de l'Arctique. Enfin, le Parlement fait état de son soutien à une coopération internationale intensive : politique de la Dimension septentrionale avec la Russie, la Norvège et l'Islande, Conseil euro-arctique de la mer de Barents, partenariats stratégiques avec le Canada, les États-Unis et la Russie, contribution au développement durable au Groenland.
•
L'insistance sur le niveau régional
et local, garant de la légitimité de l'action européenne
dans l'Arctique
Le Parlement reconnaît la diversité des sociétés (modernes industrialisées, rurales, autochtones) au sein des régions arctiques, et rappelle que leur participation à l'élaboration de la politique européenne dans l'Arctique est essentielle pour sa légitimité et son soutien local. La mise en oeuvre d'une coopération régionale est à cet égard primordiale. Certaines des priorités de la stratégie européenne arctique concernent en effet le respect et l'aide au développement durable des populations locales, par la mise en place d'infrastructures performantes, le soutien à l'entreprenariat régional et surtout aux PME locales. L'inclusion des autochtones dans les processus décisionnels semble donc essentielle pour garantir la protection de leur culture et de leur mode de vie.
•
L'émergence d'opportunités
économiques diversifiées et l'intérêt
géostratégique croissant dans la région
arctique
Le Parlement estime qu'environ un cinquième des ressources d'hydrocarbures non découvertes de la planète se situent dans la région arctique et prend pour acquise leur exploitation croissante, tout en rappelant que celle-ci doit s'effectuer dans le respect des populations locales ainsi que de l'environnement. Il est fait état de la variété des industries des régions arctique et subarctique, comme le tourisme, les transports maritimes, la production d'énergie à partir de sources renouvelables, les technologies « propres », l'extraction de gaz et de pétrole, les services de communication, la pêche, etc. Le Parlement salue la mise en place d'un Conseil économique de l'Arctique jouant un rôle consultatif auprès du Conseil de l'Arctique et encourageant la participation d'acteurs économiques mondiaux.
La résolution insiste de plus sur l'importance des nouvelles routes commerciales du transport maritime mondial par l'Arctique, promouvant la liberté des mers et le droit de libre passage. Il n'est en revanche pas fait mention de l'application par l'Union de limites strictes sur l'utilisation et le transport de fioul lourd.
•
La protection de
l'environnement
Le Parlement se prononce en faveur des normes et instruments les plus contraignants en matière de sécurité environnementale. Des préoccupations environnementales accompagnent ainsi la majorité des articles concernant l'exploitation industrielle de l'Arctique, et la résolution encourage l'investissement dans les technologies propres. Le Parlement soutient également l'établissement de « zones arctiques préservées », comme les zones marines d'importance écologique et biologique, et attire l'attention sur le risque d'accidents majeurs liés aux opérations pétrolières et gazières en mer. Il réaffirme son soutien à une transition énergétique au sein de l'Union même, en oeuvrant pour une politique plus ambitieuse en faveur des énergies renouvelables ainsi que de l'efficacité énergétique. La résolution remarque que le gaz naturel constitue une passerelle importante pour le passage à une économie sobre en carbone. Enfin, la protection de l'environnement est souvent associée à la protection des revenus et des modes de vie des populations locales, autochtones ou non.
•
L'importance de la recherche et de
l'information
Le Parlement s'applique à démontrer que l'Union et ses États membres représentent déjà des acteurs clés dans la recherche arctique, en particulier dans le cadre d'Horizon 2020. La résolution soutient l'ensemble des projets liés à la recherche dans la région, à condition qu'elle profite aux peuples et aux économies des pays de l'Arctique. Le Parlement se prononce ainsi en faveur de la liberté de recherche dans l'Arctique, particulièrement dans le cadre d'une coopération internationale, et considère comme fondamentales les politiques européennes visant à renforcer l'enseignement supérieur dans la région. Il insiste de plus sur l'importance des réseaux informatiques et des services numériques, outils précieux pour stimuler l'activité économique régionale. La résolution apporte notamment son soutien à l'établissement d'un Centre européen d'information sur l'Arctique, permettant de mettre les savoirs et les connaissances au service d'un avenir durable pour l'Arctique.
Mieux assurer la continuité de la recherche sur l'Arctique en Europe L'Union européenne a soutenu le développement de deux programmes de recherche sur l'Arctique ces dernières années. De 2005 à 2009, le programme DAMOCLES a réuni 45 laboratoires issus de 10 pays européens, des États-Unis et de Russie. Un système d'observation a été développé et déployé, visant à fournir pour la première fois une surveillance continue et à long terme de l'atmosphère, de la glace de mer et de l'océan arctique. L'objectif était d'évaluer et d'améliorer les modèles globaux et régionaux de prévision du climat et ainsi de mieux prévoir les changements à venir en Arctique et leurs impacts sur le processus de réchauffement climatique. Pour succéder à DAMOCLES, l'Union européenne a lancé le programme ACCESS (Arctic Climate Change, Economy and Society) le 1er mars 2011 pour quatre années. Il rassemble 27 laboratoires de 9 pays européens et de Russie. Son objectif est d'étudier les impacts socio-économiques des changements dans l'Océan Arctique. Le projet s'organise en cinq groupes de travail. Le premier se penchera sur le monitoring et la modélisation du changement climatique en Arctique prenant en compte l'océan, la glace de mer et l'atmosphère. Le second étudie l'ouverture des voies maritimes sur la route au Nord de l'Europe et de la Sibérie et à travers l'archipel canadien ainsi que les impacts de ces activités du transport maritime sur les écosystèmes marins et la société. Le troisième évalue les impacts du changement climatique sur les activités de pêche en Arctique, l'aquaculture et les ressources vivantes principalement dans les secteurs sub-arctiques comme la mer de Barents par exemple. Le quatrième groupe évalue comment l'extraction du gaz et du pétrole en Arctique peut être influencée et affectée par le changement climatique, prenant en compte les risques associés à ces activités. Enfin le cinquième groupe examine les options en matière de gouvernance arctique à la lumière des évaluations issues des 4 autres groupes d'ACCESS. C'est un Français, Jean-Claude Gascard, Directeur de recherche au CNRS, qui a été désigné pour coordonner ces projets. Or, il regrette le manque de suivi entre les différents programmes. Il dénonce notamment la faiblesse de la publication des résultats de DAMOCLES. Et faute de cet effort de mémoire, de la continuité, ce sont actuellement les États-Unis qui tirent profit des résultats de ce programme de recherche. S'il convient qu'au niveau européen, il existe des moyens humains et matériels à la hauteur des enjeux de l'Arctique (bien plus qu'en France et en Allemagne), ceux-ci, faute de suivi, sont mal employés. L'Europe lance des programmes de recherche, mais si elle n'assure pas la diffusion de leurs résultats, comment les décideurs politiques peuvent-ils en tenir compte ? Cela n'est pas satisfaisant. Si on peut se réjouir que l'Union européenne mette à disposition suffisamment de moyens pour permettre des recherches de haut niveau, on ne peut que regretter le manque de suivi et d'évaluation de ces travaux. |
En conclusion, la résolution du Parlement européen sur la stratégie de l'Union européenne pour l'Arctique repose donc sur un terme clé: la conciliation. Le Parlement entend ainsi concilier opportunités et intérêts économiques potentiels et défis socioculturels, écologiques et environnementaux, au moyen du développement durable. La résolution se propose également de concilier les intérêts de l'Union dans son ensemble avec ceux des populations locales, auxquelles elle désire donner un rôle important dans les processus décisionnels.
3. Les conclusions du Conseil : une invitation à agir pour une politique européenne intégrée en Arctique
Après la Commission et le Parlement, le Conseil de l'Union européenne s'est à son tour prononcé pour une implication plus forte de l'Union européenne en Arctique le 12 mai 2014.
Pour ce faire, le Conseil reprend les trois axes de développement évoqués par la Commission : appui à la recherche ; oeuvrer à un développement économique fondé sur l'utilisation durable des ressources et dans le respect de l'environnement ; intensification des relations avec les pays arctiques et les populations autochtones. Il reconnait en outre que la protection de l'environnement arctique nécessite l'adoption d'autres politiques comme la lutte contre le réchauffement climatique, les polluants atmosphériques comme le carbone noir, ou encore la préservation des pêches et de la biodiversité.
Par ailleurs, il reconnait que le Conseil arctique est la « principale organisation dans le domaine de la coopération circumpolaire » et espère que l'amélioration affichée des relations avec le Canada vont permettre à l'Union européenne de devenir Observateur permanent au Conseil. De même, afin de confirmer la présence de l'Union européenne dans la région, il soutient le renforcement du partenariat avec le Groenland, qu'il inscrit dans le double objectif du développement durable et de la diversification de l'économie.
Concernant la Dimension septentrionale, le Conseil met l'accent sur « les activités en faveur de l'environnement ainsi que le développement des connexions de transport dans la région, y compris de nouvelles voies maritimes » . Le Conseil s'inscrit donc clairement dans une logique de développement. Il est vrai qu'étant donné la dépendance de l'Union au gaz venu de l'Arctique, si la production y augmente, il faudra pouvoir l'acheminer dans de bonnes conditions.
Concernant la navigation, le Conseil maintient d'ailleurs sa position de soutien à l'adoption d'un Code polaire pour une navigation plus sure, ainsi qu'au principe de la liberté de navigation et le droit de passage inoffensif.
En matière de recherche, le Conseil attend les résultats de l'évaluation stratégique des évolutions en cours dans l'Arctique, coordonnée par le centre arctique de Laponie. En outre, il invite la Commission à évaluer les conditions pour établir un centre d'information de l'Union européenne sur l'Arctique. Bien que celui-ci mérite d'être mieux et plus défini, il pourrait jouer un rôle clé à la fois pour mieux faire connaitre l'Arctique dans sa diversité et sa complexité, et à la fois pour mieux faire admettre l'Union dans la région en mettant en exergue le soutien qu'elle y apporte.
Enfin, et surtout, l'avancée principale de ces conclusions est l'invitation du Conseil à la Commission et à la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de présenter avant la fin de 2015, « des propositions sur la poursuite du développement d'une politique intégrée et cohérente pour la région arctique » .
Le Conseil ouvre donc la voie à une politique plus ambitieuse de l'Union européenne dans la région arctique. C'est nécessaire, car comme il a été montré, l'évolution de l'Arctique représente un enjeu mondial et les grandes puissances cherchent toutes à renforcer leur présence dans la région, quand bien même elles n'en font pas partie. La voix de l'Europe doit elle aussi se faire entendre dans ce concert. Elle est légitime, car une partie de l'Union européenne est en Arctique et c'est elle qui mène la politique commune de la pêche ou encore la politique climatique ou de soutien à la recherche. Elle est nécessaire, car le message sur la lutte contre le réchauffement climatique, la protection de l'environnement, la gestion durable des pêcheries porté par l'Union européenne doit être entendu en Arctique aussi.
Par ailleurs, l'Union peut apporter à l'Arctique ce qui lui fait défaut. La politique spatiale européenne avec ses deux programmes phares Copernicus et Galileo vont permettre respectivement de mieux connaitre la géographie de l'Arctique par l'observation depuis l'espace, et de faciliter la radionavigation. Les programmes de recherche européens mettent en réseau les chercheurs des 29 États membres dont on a vu que certains sont à la pointe de la recherche arctique. Enfin, comme il a été dit, les pollutions en Arctique sont des pollutions importées des milieux tempérés. C'est donc en réduisant les gaz à effet de serre en Europe et dans le monde qu'on parviendra à ralentir le réchauffement climatique en Europe.
En outre, en demandant à la Commission de faire des propositions, le Conseil ouvre la voie à un débat en Europe sur le sujet. La Commission tiendra certainement compte des stratégies suivies par les pays européens. C'est la raison pour laquelle, le France, si elle veut être une source de proposition doit, à son tour, adopter une stratégie.