TROISIÈME PARTIE QUELLE POLITIQUE POUR L'UNION EUROPÉENNE ET POUR LA FRANCE ?
I. L'UNION EUROPÉENNE : UNE HUMILITÉ À CULTIVER
A. UNE ACTION EUROPÉENNE RÉCENTE ET DISPERSÉE DANS LE GRAND NORD
1. La Dimension septentrionale de l'Union européenne
Il s'agit d'un programme de l'Union européenne visant une coopération transfrontalière entre les États du nord de l'Europe au sens large : les États membres de l'Union comme la Suède, la Finlande, le Danemark (ainsi que le Groenland) et les États baltes, d'une part, et la Norvège, l'Islande et la Russie, d'autre part.
Sont également associés :
- les États membres de l'Union eux-mêmes ;
- les conseils régionaux suivants : Conseil de l'Arctique, Conseil euro-arctique de Barents, Conseil des États de la mer Baltique et Conseil nordique des ministres ;
- des institutions financières internationales suivantes : Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), Banque européenne d'investissement (BEI), Banque nordique d'investissement (BNI) et Nordic Environment Finance Corporation (NEFCO), ainsi que d'autres établissements financiers ;
- des universités, des centres de recherche et des représentants du monde des affaires ;
- le Canada et les États-Unis en qualité d'observateurs ;
- la Biélorussie, qui participe à la coopération concrète.
• La coopération concrète se déroule dans le cadre des quatre partenariats de la Dimension septentrionale
Pour faciliter la mise en oeuvre du programme, quatre partenariats axés sur les thèmes suivants ont été établis :
- environnement
Ce programme s'articule autour de quatre axes : la protection de l'eau et le traitement des eaux usées ; la gestion des déchets solides ; l'efficience énergétique ; la sureté nucléaire.
- santé publique et bien-être social
Ce partenariat réunit neuf États, huit organisations non gouvernementales et la Commission européenne. Son objectif est d'assurer le développement durable de la région en améliorant la santé et le bien-être de ses habitants. Cela passe par deux priorités : endiguer la diffusion des maladies transmissibles et réduire les maladies liées au mode de vie ; améliorer le bien-être social en promouvant des modes de vie socialement utiles.
- transports et logistique
Son objectif est de faciliter l'amélioration des connexions des moyens de transport et de logistique, d'une part, et, et de soutenir le commerce transfrontière et les contacts entre les peuples, d'autre part, dans le respect de l'environnement fragile de la région.
- culture
Ce programme vise à soutenir le maintien et le développement des cultures locales.
En outre, un institut et un conseil des entreprises de la Dimension septentrionale ont été mis en place pour associer le monde universitaire et celui des entreprises à la coopération.
• Financement
La coopération dans le cadre de la Dimension septentrionale repose sur le principe du cofinancement. Au fil des ans, l'Union européenne a alloué près de 100 millions d'euros au soutien des objectifs de la Dimension septentrionale, la majeure partie (84 millions d'euros) ayant été octroyée au Fonds de soutien du partenariat pour l'environnement instauré dans le cadre de la Dimension septentrionale. Ce fonds dispose au total de plus de 330 millions d'euros, l'Union européenne et la Russie en étant les principaux bailleurs de fonds.
D'une manière plus générale, l'aide européenne en Arctique provient des différents programmes européens : le programme cadre pour la recherche à hauteur de 20 millions d'euros pour la période 2007-2013 ; l'Instrument de voisinage et de partenariat (27 millions d'euros depuis 2006) ; la coopération avec le Groenland qui prévoit 200 millions d'euros pour la période qui s'ouvre (2014-2020).
En outre, l'Union européenne fait appel à d'autres instruments financiers et programmes pour soutenir les projets de coopération dans la région qui contribuent aux objectifs de la politique septentrionale, notamment le programme de la mer Baltique et les programmes de coopération transfrontalière au titre de l'IEVP (Instrument européen de voisinage et de partenariat).
2. La communication de la Commission européenne de 2012 : le bilan des premières années d'engagement européen dans le Grand nord
Le 26 juin 2012, la Commission et la Haute Représentante ont publié une Communication conjointe : « Développer une politique de l'Union européenne envers la région arctique : progrès depuis 2008 et prochaines étapes » , visant à renforcer l'engagement de l'Union envers l'Arctique en rationalisant son approche et à consolider le dossier de sa candidature au statut d'observateur du Conseil arctique.
Le document présente précisément comment s'incarne déjà la présence de l'Union européenne en Arctique. Puis, il définit trois axes prioritaires d'amélioration : développer la connaissance de l'Arctique pour remédier aux défis environnementaux et liés au changement climatique ; agir de façon responsable pour contribuer à un développement économique de la région basé sur un usage durable des ressources et une expertise environnementale ; intensifier engagement et dialogue avec les pays de la région, les populations autochtones et les autres partenaires.
a) Développer la connaissance de l'Arctique pour remédier aux défis environnementaux et liés au changement climatique
Les impacts du changement climatique en Arctique rendent nécessaire à la fois de développer la connaissance de cette région (cartographie satellite et des fonds marins, courants marins, évolution de la banquise, interactions ciel-mer, absorption du carbone) et de porter une attention particulière aux tendances constatées dans la région. Par ailleurs, l'amélioration de la connaissance passe aussi par la création de synergies entre toutes les activités de recherche au niveau européen et au niveau international afin de maximiser l'utilisation des données (plateforme d'échange d'informations) et de créer ainsi des réseaux internationaux. La Commission souhaiterait pouvoir créer des synergies avec les États membres actifs dans la région, notamment en vue de partager les infrastructures.
Ainsi, depuis 10 ans, l'Union européenne a engagé plus de 200 millions d'euros dans des programmes de recherche et développement sur la région. Dans le cadre du septième programme cadre de recherche et développement technologique, plus de 100 projets ont été financés (surtout depuis 2011) dont 40 projets collaboratifs sur le changement climatique, les contaminants et la santé, les infrastructures, les technologies de l'environnement, le renforcement des capacités, la cartographie, l'espace et les sols.
Trois projets vont d'ailleurs se poursuivre sous le nouveau programme cadre Horizon 2020 : SIOS-PP, financé à hauteur de 4 millions d'euros sur l'observation du Svalbard ; Interact, projet de 7,3 millions d'euros visant à créer un réseau de recherche international avec la Russie, le Canada et les États-Unis ; et ACCESS, doté de 10,9 millions d'euros, sur les opportunités économiques résultant du changement climatique. Par ailleurs, les projets de cartographie par satellite continueront à être développés : programme de gestion globale pour l'environnement et la sécurité, plate-forme d'échanges de données sur les fonds marins, réseau numérique sur l'environnement dans le cadre de l'initiative « Système partagé d'information environnementale », soutien au Réseau d'observation de l'Arctique durable.
Trois initiatives ont été lancées pour renforcer les synergies : l'étude d'impact stratégique sur le développement de l'Arctique, l'évaluation de l'impact de la politique de l'Union européenne en Arctique (rapport final publié en 2011) et l'étude de faisabilité de la mise en place d'un Centre d'information européen sur l'Arctique. Enfin, avec le Canada et les États-Unis, une déclaration sur la coopération dans l'océan Atlantique (Galway, mai 2013) a été signée dans le cadre de l'initiative transatlantique sur la recherche marine. Par contre, la coopération avec la Russie, malgré l'Accord de coopération en matière de recherche scientifique, reste cantonnée à un niveau technique.
Pour la période 2014-2020, les programmes européens Europe créative et Horizon 2020 permettront de matérialiser l'engagement de l'Union dans la région. Un premier appel à projets d' Horizon 2020 (croissance bleue) porte sur la coordination de la recherche européenne en Arctique. Dans le cadre de son objectif de rationalisation, la Commission envisage de préparer à l'horizon 2015-2016 une feuille de route spécifique sur l'Arctique pour Horizon 2020 . Une telle initiative serait bienvenue !
b) Agir de façon responsable pour contribuer au développement économique de la région, basé sur un usage durable des ressources et une expertise environnementale
Comme d'autres, l'Union européenne recherche un équilibre entre la protection d'un environnement arctique fragilisé et les opportunités économiques de la région en vue de participer à son développement économique durable.
L'Union va continuer à contribuer au niveau international à la lutte contre le changement climatique (COP21 de Paris en 2015, cadre contraignant sur la réduction des gaz à effets de serre, établissement d'un accord contraignant sur le mercure dans le cadre de l'ONU, Convention Epsoo). En complément des programmes de recherche, elle souhaite pérenniser sa politique d'atténuation des changements climatiques dans la région et d'adaptation à ses conséquences.
De fait, durant la période 2007-2013, 1,14 milliard d'euros ont été dépensés dans des programmes sur le développement durable du grand Nord, sur les thèmes prioritaires suivants : amélioration des techniques de recyclage et de traitement des polluants (carbone noir, mercure, projet de 7 millions d'euros sur l'élimination des pesticides) ; développement d'un dialogue avec l'ensemble des acteurs concernés (forum de dialogue avec les ONG sur l'environnement) ; protection des espèces protégées (baleines, phoques) ; amélioration de la gestion de l'eau (projets de 8,2 millions d'euros et 6 millions d'euros en faveur des villes d'Arkhangelsk et Mourmansk dans la cadre de la Dimension septentrionale) ; sécurité nucléaire et protection civile (projet sur la prévention et la réponse aux crises dans le cadre du Conseil euro arctique de Barents).
Concernant la navigation dans les eaux arctiques, l'Union européenne s'est positionnée en faveur d'un code polaire contraignant. Un autre enjeu est celui de la sécurité de la navigation en Arctique, les moyens des États riverains restant insuffisants. L'Union mettra à disposition le système Galileo pour des opérations de recherches et sauvetages en mer. Par ailleurs, l'Agence européenne de sécurité marine soutient les travaux du Conseil arctique sur la préparation, la prévention et les réponses aux crises. Enfin, le partenariat transport et logistique de la Dimension septentrionale (dont le fond de soutien a été mis en place récemment) permet à l'Union de soutenir des projets de création de réseaux de transport.
Pour ce qui est de l'exploitation des hydrocarbures, le Conseil et le Parlement européen ont adopté le 12 juin 2013 la directive 2013/30/UE relative à la sécurité des opérations pétrolières et gazières en mer. Même si cette directive n'a pas d'extraterritorialité, les co-législateurs ont décidé, au considérant 52, de signaler l'importance particulière du milieu marin arctique et d'encourager les États membres qui sont parties au Conseil de l'Arctique (Danemark, Suède, Finlande) à promouvoir activement les normes les plus élevées de sécurité dans l'Arctique, en mettant par exemple au point des instruments internationaux en matière de prévention, de préparation et de réaction à la pollution pétrolière marine. De plus, à l'article 33 (approche coordonnée en vue de la sécurité des opérations pétrolières et gazières en mer à l'échelle internationale), le Conseil et le Parlement européen ont demandé que « la Commission oeuvre en faveur de normes de sécurité élevées pour les opérations pétrolières et gazières en mer à l'échelle internationale au sein des instances mondiales et régionales compétentes, notamment celles dont les travaux portent sur les eaux de l'Arctique ». Ainsi, les États membres parties au Conseil de l'Arctique et la Commission encouragent le développement des normes de sécurité les plus élevées pour l'extraction des ressources.
L'Union européenne a des ambitions quant à l'exploitation commerciale durable des ressources de la région. Grâce à sa S tratégie pour les ressources premières , elle devrait déployer une diplomatie active avec les principaux partenaires. Un premier cas pratique pourrait concerner le Groenland en matière d'uranium et de fer, dans le contexte de la fin du moratoire sur l'exploitation de l'uranium. La Commissaire à la pêche Mme Maria Damanaki s'est rendue à Nuuk en juin 2012. À l'occasion de cette visite, une lettre d'intention sur la coopération dans le domaine des ressources minérales a été signée. La DG entreprise envisage de financer cette diplomatie des ressources via l'Instrument de Partenariat 2014-2020, nouveau programme de l'Union dont les activités se concentreront sur la réponse aux défis globaux.
Enfin, la Commission soutient une extension du champ des organisations régionales de pêche existantes.
c) Intensifier l'engagement de l'Union européenne avec les pays de la région, les populations autochtones et dans les enceintes régionales
L'Union européenne est engagée en Arctique : une partie de son territoire se situe au-delà du cercle polaire (Finlande et Suède). Le Groenland, qui a le statut vis-à-vis de l'Union européenne de Pays et territoire d'outre-mer (rattaché au Danemark), est un partenaire de fait essentiel dans la gouvernance de l'Arctique. En outre, l'Union cherche à renforcer sa position envers les États arctiques en dialoguant régulièrement avec ses principaux partenaires (États-Unis, Canada, Russie, Islande, Norvège), en participant plus activement à l'ensemble des enceintes régionales et en améliorant ses relations avec les populations autochtones.
L'Union européenne est membre du Conseil Euro arctique de la mer de Barents et elle contribue techniquement et financièrement aux activités de cette enceinte sur l'environnement et l'aide aux entreprises. Depuis la réunion ministérielle de février 2013, une réflexion est menée par l'Islande et la Norvège sur le volet euro-arctique de cette politique. Les synergies entre ces deux enceintes vont être renforcées.
Par ailleurs, l'importance du Conseil arctique dans la gouvernance de la région est de plus en plus importante. Or, lors de la réunion ministérielle de Kiruna (mai 2013), la candidature de l'Union européenne au statut d'observateur permanent a été acceptée , mais ne prendra pleinement effet que lorsque que le différend opposant l'UE au Canada sur le commerce des produits dérivés du phoque aura été résolu.
D'un point de vue plus large, les relations entretenues par l'Union avec les populations autochtones sont jugées insuffisantes par les pays du Conseil arctique. Depuis 2012, la Commission cherche donc à intensifier son dialogue avec ces populations afin de mettre en valeur l'ensemble des activités qu'elle développe et finance à leur intention.
En complément d'un dialogue régulier avec les organisations représentant ces populations, un certain nombre de programmes de la politique de cohésion leur bénéficie. Les régions septentrionales de Suède et de Finlande bénéficient d'une allocation supplémentaire pour tenir compte de leurs spécificités (territoires étendus très faiblement peuplés, régime favorable à l'instar de celui réservé aux régions ultra-périphériques).
En outre, au titre de l'objectif de coopération territoriale européenne, plusieurs programmes couvrent cette région :
- coopération transfrontalière (Suède, Finlande, Norvège) : programme Nord, doté de 57 millions d'euros (dont 34 millions du FEDER), avec une priorité au soutien à la culture et l'industrie Same (ouvert à la participation de la Russie) ; programme Botnia-Atlantica, doté de 60,9 millions d'euros (dont 34,4 millions du FEDER) ; programme Suède-Norvège, doté de 68 millions d'euros (dont 37 millions du FEDER) ;
- coopération transnationale (Finlande, Irlande, Royaume-Uni, Écosse et Irlande du Nord, Suède, Îles Féroé, Groenland, Islande et Norvège) : programme régions périphériques septentrionales, doté de 59 millions d'euros (dont 3 millions du FEDER) ; une partie du programme pour la mer Baltique, doté de 27 millions d'euros (21 millions des fonds de l'Union européenne).
L'Union entretient enfin un dialogue politique régulier avec l'ensemble des États arctiques. La coopération politique avec la Russie reste difficile, notamment en raison de la nature stratégique de cette région pour Moscou et surtout de certains de ses intérêts économiques liés au réchauffement climatique (recul du permafrost, transit maritime, ressources énergétiques). Dans le cadre de la Dimension septentrionale, de la mer Baltique ou encore du partenariat pour la modernisation, des coopérations concrètes sont mises en place.
Les relations UE-Groenland sont particulières puisque, depuis sa sortie de l'Union européenne, ce territoire du Royaume du Danemark est affilié aux pays et territoires d'outre-mer (décision d'association outre-mer 2013/755/UE du Conseil du 25 novembre 2013). L'instrument financier spécifique à destination du Groenland a été renouvelé pour la période 2014-2020, il est doté de 217,8 millions d'euros. Il couvre notamment la diversification durable de l'économie, le renforcement des compétences des forces de travail et l'amélioration des technologies de l'information et de la communication. Les relations UE-Groenland sont aussi régies par un important accord de coopération en matière de pêche.
Aussi, comme on le remarque, la présence de l'Union européenne s'incarne dans une multitude de programmes éparpillés, sans qu'une vision d'ensemble présente une réelle politique européenne pour l'Arctique . Si la Commission a tracé des pistes, le débat parlementaire a permis, sur la base d'un compromis, l'adoption d'une résolution au Parlement européen ambitieuse.