III. CONCLUSION DU CHAPITRE Ier : LE DIALOGUE POLITIQUE EST INDISPENSABLE
L'enjeu que les relations avec la Russie représentent pour l'Union européenne est parfaitement exprimé en quelques données démographiques : sur sept milliards d'êtres humains, 500 millions habitent l'union européenne, 140 millions résident en Russie. L'Union douanière entre la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan regroupe 170 millions de personnes. À l'horizon 2050, la population de l'Union européenne représentera quelque 5 % du genre humain. Une bonne entente avec la Russie et les pays qui lui sont voisins est donc indispensable à l'Union européenne, d'autant que la Russie peut jouer un rôle de pont vers l'Asie. Ainsi que l'a fort bien résumé M. Mechkov, vice-ministre des affaires étrangères, « pour exister au plan mondial, la Russie et l'Union européenne doivent s'entendre », étant donné que la Russie est candidate non à l'adhésion, mais au statut de « partenaire traité sur un pied d'égalité ».
La proximité géographique, historique et culturelle commande une stratégie pragmatique : intensifier les relations économiques permettra d'établir de meilleurs liens politiques.
Or, la Russie a cessé de considérer l'Europe comme une priorité absolue, alors que la partie occidentale de celle-ci - principalement l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne - a constitué pendant trois siècles une référence intellectuelle pour observer le monde. La Russie d'aujourd'hui reste un pays de civilisation européenne, mais elle pourrait ne plus avoir une politique eurocentrée, un peu comme le Brésil, lui aussi résultat de la civilisation européenne, mais dont la diplomatie n'a rien européen. M. Loukianov, rédacteur en chef de Russia in global affairs a relevé que l'idée d'une Russie partie intégrante de la seule Europe était en perte de vitesse. Le directeur de l'Observatoire franco-russe à Moscou, M. Dubien, a formulé une idée semblable en disant que les Russes étaient « en train de troquer le statut de puissance européenne dotée de dépendances asiatiques pour celui de puissance largement asiatique ». L'ampleur des obstacles à cette mutation ne doit pas conduire à sous-estimer un phénomène dont les signes avant-coureurs commencent à devenir palpables. C'est ainsi qu'après le sommet de Saint-Pétersbourg, où la Russie était représentée par M. Poutine, l'Allemagne par Mme Merkel et la Chine par un vice-premier ministre, celui-ci a obtenu que soit supprimé l'un des trois verrous qui existaient auparavant à la pénétration économique chinoise en Russie, puisqu'une usine de liquéfaction accueillera désormais des capitaux chinois. Seuls demeurent donc actuellement fermés aux investissements chinois les secteurs de la banque et de la haute technologie. « L'Europe n'est plus le modèle d'autrefois : elle a perdu sa splendeur passée » nous a dit le chargé d'affaires à l'ambassade d'Allemagne, M. Birgelen, pour qui la réorientation de la diplomatie russe est réelle.
Pourtant, l'Union européenne n'est pas, ou pas encore, hors-jeu, car l'Extrême-Orient n'attire que par son potentiel de croissance économique. Sur le plan intellectuel, l'Europe est supplantée par les États-Unis comme nouvelle source d'inspiration, mais les Américains n'ont pas pour autant une forte cote d'amour et leurs échanges économiques avec la Russie n'atteignent pas le dixième de ceux qui relient la Russie à l'Union. Parmi les États membres, l'Allemagne est en tête aux yeux de la diplomatie russe, avant une France elle-même talonnée par le Royaume-Uni depuis l'arrivée au pouvoir de M. Cameron. Face à un monde vu comme imprévisible, l'ouverture sur l'Europe reste d'actualité, même à l'extérieur de Saint-Pétersbourg, la ville fondée précisément à cette intention en 1703.
La Russie d'aujourd'hui veut intégrer le concert des nations - d'où son adhésion à la FAO, puis à l'OMC. Au niveau politique, cette ambition est partagée par les partis de gouvernement. Ainsi, Russie juste est membre de l'internationale socialiste, cependant que Russie unie entretien des relations avec l'UMP. La Russie dispose d'une classe moyenne - constituant 40 % de sa population d'après l'OMC - qui veut être libre, qui entend voyager et qui demande toujours plus à participer aux décisions politiques. Après des années de baisse, l'espérance de vie a augmenté au cours des cinq dernières années, notamment grâce à la réduction du nombre d'accidents de la circulation, à une plus forte répression du tabagisme et au renforcement des services de santé. Augmentant de quelques 400 000 personnes par an, la population devrait se stabiliser à 145 ou 150 millions d'habitants.
Les Russes, au moins dans les grandes villes, vivent dans le monde numérique. C'est pourquoi l'Institut de France utilise des moyens pédagogiques à forte dimension multimédia. Lorsqu'il organise des débats sur le thème de la tolérance ou du dialogue entre les religions, il contribue à conforter des valeurs chères à l'union européenne.
À un échelon plus grand, la coopération régionale ouvre des perspectives encore trop peu exploitées pour organiser l'avenir sans être perpétuellement encombré par l'Histoire, ni par l'énergie ou d'autres sujets d'actualité compliquant les relations interétatiques.
Un exemple trop rare de ce qui peut être fait en commun est fourni par l'utilisation très appréciée des hélicoptères russes lors d'une intervention au Tchad.