Audition de M. Jérome FOURNEL, directeur général des douanes (mardi 22 janvier 2013)
Mme Muguette Dini , présidente . - Nous allons auditionner M. Jérôme Fournel, directeur des douanes et droits indirects au ministère de l'économie et des finances, accompagné par M. Jean-Paul Balzamo, sous-directeur des affaires juridiques, du contentieux, des contrôles et de la lutte contre la fraude et de Mme Laurence Jaclard, chargée des relations institutionnelles.
La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.
J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.
Je précise à l'attention de M. Fournel et de ses collaborateurs que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, qui est donc notre rapporteur. Je vous prie d'excuser l'absence de M. Milon, président de cette commission, qui m'a demandé de le remplacer.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais demander à MM. Fournel et Balzamo de prêter serment.
Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Messieurs Jérôme Fournel et Jean-Paul Balzamo, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».
Les deux personnes se lèvent et prêtent serment.
Mme Muguette Dini , présidente . - Je donne la parole à M. le directeur général pour un exposé introductif ; puis M. Jacques Mézard, rapporteur, ainsi que les membres de la commission d'enquête interviendront pour poser des questions.
M. Jérôme Fournel . - En 2011, les services douaniers ont saisi plus de 65 000 contrefaçons de médicaments et de produits de santé, 230 000 comprimés, 30 tonnes de produits pharmaceutiques dépourvus d'autorisation de mise sur le marché ainsi que 327 000 unités et 25 kilos d'anabolisants. Ces saisies, qui ne permettent pas de connaître l'ampleur réelle des trafics, ne sont pas exceptionnelles par rapport à nos voisins, sans doute parce que notre système de mise sur le marché et de distribution des médicaments est très encadré.
Depuis 2008, nous avons renforcé nos contrôles car nous avons constaté le développement de la vente de contrefaçon de médicaments sur Internet. Nous avons affaire à des organisations criminelles de deux types : la vente directe vers le client final ; des circuits logistiques un peu plus complexes avec des structures intermédiaires en France ou en Europe qui s'approvisionnent à l'étranger et qui revendent, avec des bénéfices confortables, leurs produits sur le sol national. Généralement, il s'agit de produits érectiles, anti-obésité, anti-cancers et d'anabolisants. En août 2012, les services ont ainsi saisi 18 000 produits destinés à traiter des troubles érectiles.
La tâche des douanes est ardue, car les flux sont très importants : chaque nuit, environ 120 000 colis sont délivrés à Roissy pour FedEx.
Y a-t-il des liens entre ces approvisionnements et des groupes sectaires ? Très peu d'éléments nous ont été transmis qui permettent d'attester qu'une partie de ces ventes irait vers des groupes sectaires.
Trois cas illustrent néanmoins l'existence de tels liens.
Premier exemple : nous avons constaté que des produits avec des principes actifs sont vendus à certaines communautés. Quelques herboristeries chinoises vendent des produits qui ont des principes actifs bien plus importants qu'annoncés. Le tribunal correctionnel de Paris a ainsi condamné en septembre 2012 pour exercice illégal de la médecine une herboristerie située dans le X e arrondissement qui vendait notamment des produits médicinaux interdits en France. Ces affaires concernent des communautés qui ont leurs propres pratiques médicinales et qui importent des produits prohibés.
Deuxième exemple : la Miviludes a contacté les services de l'observatoire des médicaments de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières concernant la possible introduction sur le territoire national de niacine. Les adeptes de l'Eglise de Scientologie y ont fréquemment recours pour se purifier. Cependant, comme la niacine n'est pas soumise à réglementation douanière, son importation est extrêmement difficile à contrôler.
Le troisième cas nous vient d'Italie : dans les années 2000, notre attaché douanier à Rome nous avait avertis de saisies très importantes de DMT, stupéfiant hallucinogène, utilisé par le mouvement sectaire « La maison reine de la paix » situé à Assise. Le sujet avait rebondi en 2010, lorsque les autorités italiennes avaient prévenu les pays voisins d'un possible trafic de DMT. Les autorités italiennes nous ont également avertis d'un trafic d'ayahuasca. Bien entendu, nous saisissons régulièrement ce type de produit, mais nous n'avons jamais établi de liens avec des mouvements sectaires.
La douane s'occupe de la régulation, de la saisie, de la gestion des flux légaux et illégaux de marchandises, dès lors qu'elle dispose des bases juridiques pour intervenir. A partir de 2009, consciente de l'accroissement de la contrefaçon de médicaments, la douane a créé, au sein de la direction du renseignement douanier (DRD), un observatoire du médicament qui produit des études, dont une sur les sectes et les médicaments. Cet observatoire s'appuie sur divers acteurs extérieurs, dont certaines administrations et des responsables de la santé. La douane judiciaire, elle, mène des enquêtes à la demande du Parquet.
Comme la fraude se développe sur Internet, nous avons spécialisé, au sein du service cyberdouane, des agents pour travailler sur les sites qui vendent des médicaments contrefaits. Nous avons également conclu des partenariats avec divers acteurs de la santé publique : nous avons ainsi signé des conventions avec des laboratoires pharmaceutiques. Plus récemment, la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières a signé un protocole avec le Pharmaceutical Security Institute pour obtenir un maximum d'informations sur les fraudes médicamenteuses.
La douane participe régulièrement à des opérations internationales du type Pangea V en 2012, opération au cours de laquelle 427 000 médicaments de contrebande et de contrefaçon ont été saisis, dont plus de 360 000 à Roissy.
Divers problèmes restent à traiter : ainsi en est-il de la classification et de l'identification des produits actifs. Pour les produits stupéfiants de synthèse, les organisations criminelles partent souvent d'une molécule interdite, la modifient légèrement pour qu'elle ne tombe pas sous le coup d'une interdiction légale et la mettent sur le marché. Les réglementations française et européenne sont particulièrement lentes à réagir dans ce domaine. Un texte communautaire sur les précurseurs de stupéfiants est en cours de rédaction : la France voudrait que la liste soit aisément adaptable alors que la Commission européenne souhaite parvenir à une liste révisable tous les trois ou quatre ans... ce qui garantit son obsolescence instantanée.
Autre sujet difficile à traiter : Internet. La quantité des colis qui passe par Roissy est phénoménale. Sans doute, faut-il accroître nos moyens sur les plateformes aéroportuaires, mais nous devons également mieux contrôler Internet. Nous avons passé des accords avec des grands sites de vente en ligne. Nous souhaitons aussi multiplier les messages d'alerte précédant une connexion à un site proposant des produits prohibés. C'est un travail de longue haleine.
Nous travaillons avec l'Association française pour le nommage Internet en coopération (Afnic) pour faire en sorte que, pour les sites illégaux, la procédure d'interdiction du nom de domaine soit rapide, comme aux Etats-Unis. D'ailleurs, à la demande de la douane, l'Afnic a supprimé des domaines qui contrevenaient aux lois françaises.
Le troisième problème tient à l'évolution de la jurisprudence communautaire sur les questions de contrefaçon. Depuis un arrêt de la fin de 2011 de la Cour de justice de l'Union européenne, les services douaniers ne peuvent plus intervenir lors des transits transbordements, alors que les circuits logistiques pour les médicaments contrefaits font parfois le tour de l'Europe, partent en Afrique pour revenir en France par le biais de fret express.
M. Jacques Mézard , rapporteur . - L'utilisation de certains appareils dans le domaine de la santé nous laisse perplexes... Que pouvez-vous faire en la matière ?
M. Jean-Paul Balzamo. - La difficulté est la même pour les médicaments que pour les produits à finalités pseudo-médicales. Certains font l'objet d'une prohibition absolue ou relative, c'est-à-dire que, dans ce dernier cas, ils sont soumis à la délivrance d'un certificat ou d'une autorisation d'importation. D'autres, en revanche, sont des produits libres et les douanes ne sont dès lors pas habilitées à intervenir, même si l'utilisation qui en est faite pose problème ou est détournée de ses fins, par exemple par un mouvement sectaire.
M. Jérôme Fournel. - Qu'il s'agisse de médicaments proprement dits, de médicaments par fonction ou par présentation, la difficulté est bien de retrouver le médicament derrière le produit tel qu'il se présente au moment de la saisie.
M. Jacques Mézard , rapporteur . - Comment collaborez-vous avec la Miviludes ?
M. Jérôme Fournel. - Nous répondons surtout à des demandes ponctuelles 2 ( * ) . La Direction générale des douanes a surtout mis en place une coopération étroite avec les entreprises du médicament ou avec leur organisation professionnelle (le Leem) avec lesquelles nous travaillons sur le contrôle des flux de produits entrants. En 2009, nous avons recruté un pharmacien inspecteur de santé publique, placé au sein du Service national de la douane judiciaire, travaillant à la fois dans le cadre de l'observatoire des médicaments et de la douane judiciaire. Il nous aide à déterminer si tel ou tel produit est bien un médicament ainsi que la réglementation qui lui est applicable.
Mme Muguette Dini , présidente. - Auriez-vous un exemple de nom de domaine contraire à la loi française ?
M. Jérôme Fournel. - On trouve sur internet des sites destinés aux consommateurs français dénommés tabacmoinscher.com ou encore replica.com pour un site de contrefaçons. Toutefois, ce n'est pas le nom qui contrevient à la loi, c'est son contenu. Alors que la Loppsi 2 (loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) nous autorisait déjà à faire des coups d'achats, c'est à dire à acheter les produits pour matérialiser l'infraction de vente à des consommateurs français de produits prohibés, la loi de finances rectificative votée à la fin de l'année dernière nous permet désormais de le faire de façon anonyme.
Mme Muguette Dini , présidente. - Sauf exception, vous n'êtes pas en mesure de définir avec précision si les infractions constatées en matière de médicaments concernent des organisations connues pour leurs dérives sectaires, des boutiques de bien-être, des praticiens déviants ou encore de pseudo-praticiens ?
M. Jérôme Fournel. - La distinction est très difficile à établir car nous ne nous intéressons en principe qu'aux flux des produits qui entrent et non à leurs destinations. Certes, dans le cadre d'enquêtes, nous avons la possibilité de connaître de l'usage de ces produits, comme par exemple des produits dopant ou de ceux destinés au culturisme. Mais nous ne le faisons alors qu'au cas par cas, d'autant que ces produits ne sont pas, pour la plupart, soumis à une réglementation spécifique et qu'il n'existe pas de dispositifs en assurant la traçabilité de bout en bout.
Beaucoup de sectes préconisent, du moins officiellement, le rejet des produits chimiques au profit de produits naturels, ce qui ne les prédestine pas à être de gros consommateurs de médicaments. Sans en être certain, je pense que les dérives portent au moins autant sur les stupéfiants ou les molécules actives que sur les médicaments proprement dits.
Mme Muguette Dini , présidente. - Merci pour ces échanges très intéressants.
* 2 Selon les informations transmises par la suite à la commission d'enquête par la DGDDI, une rencontre s'est tenue depuis cette audition entre la Miviludes, la Direction du renseignement douanier (DRD) et le Service nationale de douane judiciaire.