Rapport n° 480 (2012-2013) de M. Jacques MÉZARD , fait au nom de la Commission d'enquête Mouvements à caractère sectaire, déposé le 3 avril 2013

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N° 480

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 3 avril 2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 avril 2013

Dépôt publié au Journal Officiel - Édition des Lois et Décrets du 4 avril 2013

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission d'enquête sur l' influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé (1),

Tome II : procès-verbaux des auditions

Président

M. Alain MILON

Rapporteur

M. Jacques MÉZARD,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Alain Milon , président ; M. Jacques Mézard , rapporteur ; Mmes Laurence Cohen, Muguette Dini, Hélène Lipietz, M. Jean-Pierre Michel, Mme Gisèle Printz, M. Bernard Saugey , vice-présidents ; M. Philippe Bas, Mmes Nicole Bonnefoy, Catherine Deroche, M. Alain Fauconnier, Mme Catherine Génisson, M. Alain Houpert, Mmes Sophie Joissains, Christiane Kammermann, MM. Stéphane Mazars, Alain Néri, Mme Sophie Primas, MM. Gérard Roche, Yannick Vaugrenard.

PROCÈS-VERBAUX DES AUDITIONS DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE

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Audition de M. Serge BLISKO, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) (mercredi 24 octobre 2012)

M. Alain Milon , président . - Pour la première audition de notre commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, nous avons souhaité, tout naturellement, entendre M. Serge Blisko, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Il a pris ses fonctions en août dernier, après avoir été député de Paris et vice-président du groupe d'études sur les sectes à l'Assemblée nationale. M. Blisko est accompagné par M. Hervé Machi, magistrat, secrétaire général de la Miviludes, et par M. Samir Khalfaoui, inspecteur principal des affaires sanitaires et sociales, conseiller au pôle santé de la Miviludes.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse. Un compte rendu en sera publié avec le rapport ; son enregistrement vidéo sera diffusé sur le site du Sénat.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Le bureau du Sénat a décidé la création de cette commission d'enquête à la demande du groupe RDSE qui faisait usage de son droit de tirage annuel. C'est sur cette base qu'elle a été constituée, le 3 octobre dernier. M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de résolution qui se trouve à l'origine de la constitution de cette commission, en est le rapporteur.

La Miviludes, instituée auprès du Premier ministre en 2002 pour coordonner l'action préventive et répressive des pouvoirs publics à l'encontre des dérives sectaires, est chargée de mener une action d'observation du phénomène à travers ses agissements attentatoires aux droits de l'homme, aux libertés fondamentales ou contraires aux lois et règlements ; de contribuer à la formation et l'information des agents publics dans ce domaine et d'informer le public sur les risques encourus et faciliter la mise en oeuvre des actions d'aide aux victimes.

Elle a succédé en 2002 à la Mission interministérielle de lutte contre les sectes, qui prenait elle-même la suite en 1998 de l'Observatoire interministériel sur les sectes, fondé en 1996. Elle constitue une structure sans équivalent dans le monde, à l'exception peut-être du Centre d'information et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles créé en Belgique en 1998.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Blisko, Hervé Machi et Samir Khalfaoui vont faire le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

MM. Serge Blisko, Hervé Machi, et Samir Khalfaoui, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les trois personnes se lèvent et prêtent serment.

M. Serge Blisko, président de la Miviludes. - C'est un honneur pour moi de m'exprimer aujourd'hui devant la Haute Assemblée en tant que président de la Miviludes.

La Mission est composée d'une quinzaine d'agents répartis en pôles de compétence selon les champs d'intervention de la mission : santé, enfance et éducation, sécurité et justice, vie professionnelle, ainsi qu'un pôle de liaison avec le Parlement et la presse.

La Miviludes n'a pas vocation à définir ce qu'est une secte. Respectueux de toutes les croyances et fidèle au principe de laïcité, le législateur s'est toujours refusé à définir les notions de secte et de religion, afin de ne pas heurter les libertés de conscience, d'opinion ou de religion garanties par les textes fondamentaux de notre République.

Pour autant, tout n'est pas permis au nom de la liberté de conscience ou de la liberté de religion. L'absence de définition juridique de la secte n'efface pas la réalité de dérives de certains mouvements sectaires. La loi fixe des bornes qui sanctionnent ces abus, sous le contrôle du juge. Ainsi, le dispositif juridique français est à la fois pragmatique et encadré par des textes précis. Il vise à la prévention et à la répression, non des sectes en elles-mêmes, mais des dérives sectaires.

La loi du 12 juin 2001 réprimant l'abus de faiblesse de personnes placées en état de sujétion psychologique, dite loi About-Picard, le décret du 28 novembre 2002 instituant la Miviludes, la circulaire du Premier ministre du 27 mai 2005 relative à la lutte contre les dérives sectaires ont progressivement affiné la notion de dérives sectaires. Celles-ci se définissent comme des atteintes pouvant être portées, par tout groupe ou tout individu, à l'ordre public, aux lois et aux règlements, aux libertés fondamentales et à la sécurité ou à l'intégrité des personnes, par la mise en oeuvre de techniques de sujétion, de pressions ou de menaces, ou par des pratiques favorisant l'emprise mentale et privant les personnes d'une partie de leur libre arbitre pour les amener à commettre des actes dommageables pour elles-mêmes ou pour la société.

Conformément au principe de laïcité, la Miviludes s'interdit de porter tout jugement de valeur sur les doctrines, les théories ou les croyances en tant que telles, son objet étant de dénoncer les dérives sectaires et de lutter contre elles. Pour exercer sa mission de vigilance, elle s'appuie sur un certain nombre de critères de dangerosité édictés sur la base des travaux de plusieurs commissions d'enquête parlementaires et sur son expérience : la déstabilisation mentale, les exigences financières exorbitantes, la rupture avec l'environnement d'origine, les atteintes à l'intégrité physique, l'embrigadement des enfants, le discours antisocial, les troubles à l'ordre public, l'importance des démêlés judiciaires, d'éventuels détournements par rapport aux circuits économiques traditionnels et les tentatives d'infiltration des pouvoirs publics. Un seul critère ne suffit pas pour caractériser un risque de dérive sectaire et tous ces critères n'ont pas la même valeur. Toutefois le premier critère (la déstabilisation mentale) est toujours présent dans les cas de dérives sectaires.

Qu'observons-nous aujourd'hui ? Les dérives sectaires dans les grands groupes religieux ou prétendus tels, comme la Scientologie ou les témoins de Jéhovah, ou dans certaines communautés religieuses, issues des grandes religions traditionnelles, sont aujourd'hui devenues minoritaires par rapport aux dérives sectaires constatées dans le domaine de la santé, de la formation professionnelle ou de l'éducation des mineurs. On assiste à un morcellement, voire une atomisation, du phénomène sectaire où les grands groupes organisés, souvent de taille internationale, laissent progressivement la place à une multitude de petites structures dispersées sur l'ensemble du territoire national. Ces « nouveaux gourous », même s'ils agissent seuls ou dans une zone géographique limitée, fonctionnent de plus en plus souvent en réseaux organisés, appliquant des méthodes similaires. On parle d'atomisation du phénomène sectaire.

En somme, la dérive sectaire semble aujourd'hui principalement caractérisée par la notion d'emprise mentale exercée sur une personne par une autre - peu importe le cadre ou la nature des activités. Aussi peut-on parler de dérive sectaire également à propos d'une relation entre deux personnes, ce qui est particulièrement vrai dans le domaine de la santé.

Les dérives « guérisseuses » de certains groupes religieux sont connues et médiatisées, telles l'agapèthérapie des Béatitudes, dénoncée dans le Livre noir de l'emprise psycho-spirituelle du Centre contre les manipulations mentales (CCMM ) , les dérives de pasteurs déviants de quelques églises évangéliques, qui peuvent appeler à la guérison par la prière à l'exclusion de tout traitement médical conventionnel, le refus par tel grand groupe de la transfusion sanguine, ou encore les mouvements d'inspiration New Age hostiles aux vaccinations et « surfant » il est vrai sur les échecs récents en la matière.

On imagine que la santé est un secteur protégé, encadré, soumis à des règles strictes. En réalité, de prétendus praticiens s'arrogent des titres farfelus, font fi des dernières réformes encadrant par exemple le titre de psychothérapeute, en devenant « psychopraticiens », ou exploitent tout simplement l'absence de réglementation ou de contrôle - je songe par exemple aux centres de bien-être.

La santé constitue donc un vaste supermarché de pratiques de soins, de méthodes de guérison, de techniques de bien-être, de mieux-être ou de développement personnel susceptibles de présenter un risque de dérives sectaires, offerts à une clientèle en demande croissante. Il existe plus de 400 pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique (PNCAVT) et il en apparaît sans cesse de nouvelles, faute de cadre légal clair. Nous avons dénombré 1 800 structures d'enseignement ou de formation à risques dans le domaine de la santé. Outre plusieurs dizaines de milliers de « pseudo-thérapeutes » autoproclamés, 3 000 médecins seraient liés, selon l'Ordre des médecins, avec la mouvance sectaire. Les dérives sectaires dans le domaine de la santé représentent près de 25 % de l'ensemble des signalements reçus à la Miviludes - sur 2 300 en 2011.

Il ne faut pas confondre les dérives sectaires, caractérisées par l'emprise mentale, et les dérives thérapeutiques, autrement dit les PNCAVT, qui présentent un danger pour les personnes, ou le dévoiement de pratiques médicales éprouvées par de prétendus praticiens. Mais il y a des liens entre les deux : la maladie est une porte d'entrée facile pour les mouvements à caractère sectaire qui profitent de la souffrance ou de l'inquiétude des malades et de leur famille pour mieux installer leur emprise. La multitude des pratiques proposées nous impose une vigilance sans faille.

A la différence des pratiques complémentaires prescrites en lien avec un traitement médical classique, notamment en milieu hospitalier, les pratiques alternatives constituent un danger : le charlatan de la santé détourne le malade des traitements conventionnels, réduisant ses chances de guérison, voire lui faisant courir un risque vital. Rupture avec la famille ou l'entourage qui souhaite le maintien du traitement conventionnel, coût de plus en plus élevé du traitement alternatif, parfois des milliers d'euros, embrigadement dans un processus sans fin avec participation à des stages, retraites, séminaires, renvoi vers d'autres praticiens déviants appartenant au même réseau, soumission à une sujétion psychologique permanente de la personne, jusqu'à des atteintes à son intégrité physique ou sexuelle. Le poison sectaire aboutit à de véritables drames humains dont la Miviludes reçoit régulièrement des témoignages poignants.

Cependant, l'offre rencontre la demande... L'engouement des Français pour des pratiques potentiellement dangereuses s'explique par plusieurs facteurs : la crainte de traitements lourds et la recherche d'une forme de médecine plus humanisée ou moins « technicisée » ; la peur d'accidents médicaux, de maladies nosocomiales, des effets indésirables de certains traitements ; la défiance vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique ; la recherche d'un retour au naturel, à la vraie nature, au « bio », aux médecines dites douces.

Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), 75 % des Français ont eu recours au moins une fois à un traitement complémentaire. Et quatre sur dix ont recours habituellement à des médecines alternatives ou complémentaires, dont 60 % parmi les malades du cancer. Nous vivons une nouvelle ère médicale, dans laquelle les malades au long cours sont nombreux. Entre deux hospitalisations, ils sont en état de fragilité.

Les mouvements sectaires l'ont bien compris. Ils exploitent le désarroi des malades ou de leur famille, proposent LA solution miracle, qui guérira toutes les maladies et sans faire souffrir. C'est l'une des marques de l'imprégnation sectaire : des médicaments ou traitements pluripotents, polyvalents.

Ces mouvements s'inspirent également de la mode du retour à la nature, aux vraies valeurs, à la « vraie médecine » basée sur l'épanouissement de soi. Souvenons-nous du précédent de l'Ordre du temple solaire : certains adeptes avaient ainsi noué leur premier contact avec le groupe à l'occasion de conférences sur la nutrition, et le fondateur de l'Ordre était un médecin, Luc Jouret.

Quelle est l'action de la Miviludes face à ce déferlement de méthodes, de pratiques et de techniques ? Elle participe d'abord aux travaux du Groupe d'appui technique (GAT) présidé par le directeur général de la santé, dont le rôle est d'évaluer les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique et d'informer les citoyens. Il s'agit de dire quelles pratiques sont dangereuses et lesquelles sont prometteuses : car nous ne sommes pas fermés à toute nouveauté ! Le GAT publiera bientôt un avis présentant les dangers de la méthode de la « biologie totale des êtres vivants » mise au point par Claude Sabbah, disciple du docteur Hamer - le chantre de la « médecine nouvelle germanique ».

La mission interministérielle mène également des actions d'information du public face aux risques encourus : récente campagne de prévention en direction des patients atteints de cancer, conduite en lien avec l'Institut national du cancer, et publication en avril dernier d'un guide pratique sur les dérives sectaires dans la santé, destiné notamment aux professionnels de la santé mais aussi au public.

La mission a renforcé ses liens avec les Ordres des médecins et celui des pharmaciens. Ils sont très actifs dans la lutte contre l'exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie et contre les médecins diplômés qui dévient.

A l'Ecole des hautes études en santé publique de Rennes, dans les écoles de la police et de la gendarmerie, auprès des inspecteurs du travail ou du personnel de la protection de l'enfance, etc., nous participons à la formation des agents publics pour améliorer le décryptage des situations à risques et la prise en charge des victimes. Un diplôme de troisième cycle, « Emprise sectaire et processus de vulnérabilité » a été créé à l'université de Paris V René Descartes : les gourous ne doivent pas être les seuls à essaimer sur l'ensemble du territoire !

La Miviludes joue enfin pleinement son rôle de coordination de l'action préventive et répressive des pouvoirs publics, souvent avec l'aide des associations de victimes. Dans le seul domaine de la santé, la mission a procédé, depuis le début de l'année 2012, à douze dénonciations au procureur de la République, quarante-deux transmissions aux agences régionales de santé (ARS) de dossiers appelant de la vigilance, à près de soixante signalements à des conseils de l'ordre pour demander l'ouverture d'une enquête sur le comportement d'un praticien ou dénoncer un exercice illégal d'une profession de santé, quatorze saisines de directions régionales de la répression des fraudes au sujet de produits ou d'appareils dont la vertu curative est douteuse. Elle a répondu à près de 400 particuliers qui l'interrogeaient sur des pratiques ou des praticiens - le plus souvent il s'agit de proches qui s'inquiètent pour l'un des leurs.

Telles que nous avons pu les observer, les dérives sectaires dans le domaine de la santé se manifestent de trois manières : par la diffusion d'une myriade de pratiques à risques, par la formation de pseudo-thérapeutes à des pratiques, et enfin par l'infiltration du système de santé par des mouvements à caractère sectaire.

Il est impossible d'établir une liste des pratiques relevant des dérives sectaires : à peine établie, elle serait déjà caduque. En 2004, nous en recensions déjà environ 400. Aucune évaluation précise n'est bien sûr possible... Les méthodes psychologisantes remportent un succès étonnant : elles nient la maladie, les germes, les virus. L'origine du mal s'expliquerait par un traumatisme psychique lié à l'enfance voire, comme dans la psycho-généalogie, au parcours de nos aïeux.

Ces méthodes sont dangereuses car elles excluent le recours à la médecine conventionnelle, y compris pour des malades du cancer. Le docteur Hamer, théoricien de la « nouvelle médecine germanique » il y a trente ans, a inspiré de nombreux thérapeutes, qui écartent tout facteur génétique ou environnemental : par exemple, c'est la culpabilité des fumeurs qui est cause du cancer du poumon. Il prône une méthode naturelle de soins largement fondée sur les capacités libérées d'autoguérison du malade. Bien sûr tout traitement médical en parallèle est à proscrire : il réduirait à néant l'efficacité de la méthode Hamer. Ce médecin, installé aujourd'hui en Norvège, hors de l'Union européenne, est entouré d'un réseau, dont la tête de pont en France est Mme Andrée Sixt, infirmière, ancienne présidente de l'association « Stop au cancer » de Chambéry, qui en dépit d'une condamnation pénale continue à faire la promotion de cette méthode sur son site internet.

Cette mouvance compterait entre 700 et 1 000 praticiens dont les coordonnées figurent sur des dizaines d'annuaires, dont « annuairetherapeute.com » qui compte au moins 137 praticiens de la « biologie totale ». De nombreuses sous-écoles sont apparues, qui se décrient mutuellement. Celle du docteur Sabbah préconise de « reprogrammer le patient » pour traiter les pathologies lourdes.

Ryke Geerd Hamer a été condamné en 2004 à trois années de prison par la Cour d'appel de Chambéry, pour escroquerie et complicité d'exercice illégal de la médecine. Dans le procès de l'infirmière Mme Sixt, il a écrit une lettre au tribunal pour dénoncer « le complot israélien pour répandre la morphine dans le monde »...

Pour s'assurer la clientèle la plus large possible, ces « dérapeuthes » se présentent, sur leur site internet ou sur les annuaires qui diffusent leurs coordonnées, comme des praticiens « multidisciplines », spécialistes en décodage biologique, en reiki, en kinésiologie... C'est pour eux l'assurance de trouver des clients. L'exfiltration des patients vers d'autres praticiens déviants à l'étranger, qu'il s'agisse de médiums au Brésil ou de « chirurgiens aux mains nues » aux Philippines, dans un réseau dirigé par un certain Patrick Hamouy, est un phénomène inquiétant.

Les signalements reçus par la Miviludes témoignent de la construction de réseaux quasi mafieux, dont la structure pyramidale s'appuie sur un « gourou thérapeutique ».

La méthode des faux souvenirs induits (FSI), qui fut particulièrement en vogue outre-Atlantique et en Angleterre, est plus pernicieuse : des thérapeutes usent de leur pouvoir de suggestion pour induire, via plusieurs techniques de manipulation tels le rebirth ou les thérapies du « rêve éveillé », de faux souvenirs d'inceste chez leurs patients, entraînant des ruptures dramatiques avec le milieu familial. Sigmund Freud a pourtant très tôt découvert que le rêve, le phantasme, est une construction : il avait été intrigué par le nombre de jeunes patientes se plaignant d'avoir été abusées.

Le tribunal correctionnel de Paris a condamné à une peine de prison et une amende un prétendu psychothérapeute dont la patiente croyait avoir été violée par son père. Pour la sortir de son mal-être, il lui prescrivait des stages intensifs facturés 40 000 euros la semaine, des séances de thérapie à 320 euros l'heure. La patiente, une jeune avocate, qui avait rompu les liens avec son entourage, avait même accepté d'avoir des relations sexuelles avec lui. Elle a déboursé 238 000 euros... Une autre victime a déboursé pour sa part 750 000 euros en séances de thérapie pour se guérir du traumatisme dû au refoulement d'une tentative d'avortement par sa mère...

Les enfants inadaptés et leurs familles sont une cible facile. La récente querelle de l'autisme a été l'occasion de redire l'insuffisance du nombre d'établissements spécialisés et le désarroi des parents. Les mouvements sectaires s'engouffrent dans la brèche... Nous avons ainsi dû procéder à un signalement concernant un institut médico-éducatif et nous avertissons régulièrement les pouvoirs publics de la particulière vulnérabilité de ces enfants.

Le « bien-être » est une porte d'entrée pour ceux qui, grâce à un discours apaisant et des méthodes commerciales agressives, parviennent à attirer de nombreux patients, à exercer sur eux une véritable emprise mentale, leur vendre des cures à des prix prohibitifs, dans des centres de bien-être ou de réadaptation. Ainsi le centre de bien-être La Chrysalide, fondé par un ancien médecin radié à vie par l'ordre pour charlatanisme, proposait-t-il à des personnes, par ailleurs sous traitement lourd pour une maladie chronique invalidante, des soins à la carte très onéreux : jeûne, chromothérapie, détoxification du colon, nettoyage du foie... On est chez Molière ! La Miviludes a alerté le ministère de la santé et saisi le procureur de la République.

Les méthodes par massage ou apposition des mains sont très diverses : reiki, associé à la méditation, massages Tui Na , branche de la médecine chinoise dont les défenseurs prétendent qu'elle soignerait tous les problèmes de santé... Ces pratiques, qui peuvent mettre en danger des malades, relèvent aussi de l'exercice illégal de la kinésithérapie. Quant à la kinésiologie, fondée en 1960 par un chiropracteur américain, elle est de plus en plus répandue - certains kinésithérapeutes l'emploient. Dans une affaire jugée en juin 2005 par la Cour d'assises de Quimper, des parents, adeptes de la kinésiologie et des lois biologiques du docteur Hamer, ont causé la mort de leur bébé par un régime alimentaire excluant protéines animales et vitamines. L'enfant est mort en état de dénutrition, ses parents, pourtant aimants, s'étant obstinés... Nous avons demandé au préfet de Charentes-maritimes et à l'ARS de regarder de près un centre de bien-être où exerçaient des kinésiologues : le succès de ces pratiques est tel que certains n'hésitent plus à se regrouper en « centres de santé holistique » qui dispensent des soins non conventionnés.

Les ARS sont inégalement sensibilisées à la question des dérives sectaires dans le champ de la santé. La circulaire du 23 juillet 2010 prévoit expressément la désignation dans chaque agence d'un référent sur les dérives sectaires. Toutefois, la Miviludes n'a jamais obtenu de liste nominative. Or, l'absence de réaction des pouvoirs publics est perçue par les charlatans comme une autorisation tacite de manipuler.

La dernière méthode de massage que je souhaite évoquer est la fasciathérapie, qui consiste à agir sur les zones de tension du corps. Je signale que le Conseil national de l'ordre des masseurs kinésithérapeutes a dénoncé la fasciathérapie dans un avis rendu en séance plénière.

Les méthodes par absorption de produits sont également nombreuses et onéreuses. Sont présentés comme des traitements contre le cancer : les huiles essentielles de lin, le jus de citron, voire des mixtures à base de bicarbonate de soude. Parmi les appareils et produits disponibles sur le marché du bien-être, on peut citer le powermag, qui permettrait selon ses concepteurs de « suppléer à l'influence magnétique insuffisante de la terre, dans le but d'aider à la restauration de l'état naturel ». Statistiquement, plus le langage est confus, plus le danger est grand. Ces appareils peuvent présenter un risque si leur utilisation se fait au détriment des thérapies conventionnelles.

L'hygiénisme alimentaire a toujours existé, il est respectable. Mais les urgences de l'hôpital d'Avallon ont reçu un enfant de deux ans et demi en état de dénutrition sévère : la naturopathe d'une communauté de l'Yonne, dont les parents étaient adeptes, se présentait comme « une seconde maman » et avait prescrit un régime alimentaire source de retards de croissance et de rachitisme.

Adepte du respirianisme, une femme australienne qui affirme n'avoir pas mangé depuis vingt ans donne régulièrement des conférences en France et organise des retraites spirituelles payantes. Elle vit grâce à l'énergie diffuse dans l'air, l'énergie sexuelle, etc. Cette pratique a fait des victimes à l'étranger. Les adeptes n'ont cependant pas été ébranlés par la vidéo enregistrée en caméra cachée, montrant leur guide spirituelle en train de se restaurer : les mauvaises ondes du caméscope l'empêchaient de jeûner.

Le jeûne est à la mode : la méthode Buchinger le recommande durant des périodes de vingt et un jours... à des tarifs de 4 300 à 6 300 euros. Les cures de jeûne, associées fréquemment à de la randonnée, peuvent être dangereuses si elles ne sont pas mises en oeuvre par des professionnels de la santé.

Dans le domaine des régimes, l'instinctothérapie, la crudothérapie, sont également en vogue.

Un tourisme néo-chamanique lucratif est apparu. Certains produits stupéfiants ou fortement hallucinogènes comme le datura, l'iboga ou l'ayahuaca sont utilisés au cours de ces voyages, lors de rites et dans le cadre de veillées chamaniques. Les « huttes de sudation » prolifèrent en l'absence de suivi médical approprié. Des cas mortels ont été recensés, si bien que l'Ambassade de France au Pérou a publié une alerte aux voyageurs en 2011 sur les dangers de l'ayahuaca.

Au total, ces pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique constituent un marché de plusieurs dizaines de millions d'euros, en constante progression. Aucune étude sur les flux financiers n'a été menée à ce jour, le règlement des séances en espèces étant la règle, des appareils destinés à « remagnétiser » pouvant se vendre entre 5 000 et 20 000 euros...

Un mot sur les formations à ces pratiques à risques : elles sont nombreuses. Chacun forme des adeptes, moyennant rémunération, et ceux-ci deviennent à leur tour formateurs. La victime, soignée, se retrouve elle-même formatrice. On lui fait miroiter la possibilité de gains importants.

La formation professionnelle est devenue une cible privilégiée des mouvements sectaires, qui profitent de la vogue du développement personnel, l'adaptation de la personne à l'entreprise, etc. M. Delevoye y réfléchit au sein du Conseil économique, social et environnemental, dans le cadre d'un travail sur la prévention des risques psycho-sociaux. Parmi les organismes de formation, on compte même de faux ordres professionnels, comme celui des biomagnétiseurs. Il existe ainsi l'institut de formation en application corporelle énergétique, l'Iface, qui propose des formations au « biomagnétisme humain » dont certaines pourraient être proposées à Pôle emploi...

Ainsi de nombreuses personnes, à l'occasion d'un bilan de compétences ou d'un projet de reconversion professionnelle, se sont-elles vu proposer, parfois par le biais d'organismes publics, des stages de formation à des pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique, reiki ou kinésiologie par exemple.

En outre dans certaines « universités », des « maîtres de la santé » enseignent la pédagogie parentale ; au terme de ce cycle, moyennant des milliers d'euros, on pouvait devenir « conseiller en pédagogie parentale » ou régisseur d'un village de naissance « où les futurs parents seront accueillis en paix et non dans une atmosphère concentrationnaire médicale ». Sur les 60 000 organismes de formation existants, près de 4 000 semblent suspects et certains bénéficient de financements publics. Il s'agit d'une véritable « foire aux formations » aux pratiques non conventionnelles qui déverse chaque année sur le marché du soin des milliers de nouveaux praticiens, parfois « formés » en quelques dizaines d'heures, alors qu'il faut douze ans pour former un médecin...

Certains instituts de formation aux pratiques non conventionnelles font état du certificat de qualification aux organismes de formation délivré par l'Office professionnel de qualification des organismes de formation, qui permet à l'institut de reiki par exemple de bénéficier d'une reconnaissance des pouvoirs publics alors que cette technique n'est pas fondée sur des bases scientifiques.

Enfin, on recense trois modes d'infiltration du système de santé. Le premier est le fait des médecins déviants qui choisissent parfois de s'exclure eux-mêmes du tableau de l'ordre plutôt que de s'exposer à des procédures disciplinaires et à une éventuelle radiation. D'ailleurs, même interdit d'exercer, le praticien radié continue de bénéficier du titre de docteur en médecine conféré par l'Université.

Le deuxième consiste en l'introduction de méthodes à risques au sein de l'hôpital. Cet entrisme s'explique notamment par le fait que les directeurs d'hôpitaux sont désireux d'offrir des possibilités de stages à des professionnels dont le travail est souvent stressant. Nous attirons leur attention sur la nécessité d'être particulièrement vigilants, notamment sur le choix des formateurs, dont les diplômes peuvent être des faux ou l'enseignement sujet à caution. Des praticiens hospitaliers peuvent ainsi faire appel à des charlatans, souvent de bonne foi, pour améliorer le confort des malades. L'hôpital sera pour ces charlatans un cadre privilégié pour le recrutement des patients. Enfin, on peut s'interroger sur l'existence de nouveaux diplômes universitaires d'enseignement aux pratiques non conventionnelles et se demander si un contrôle ne serait pas nécessaire.

Le troisième mode d'infiltration est apparu après la loi sur les droits des malades de 2002. Les comités de liaison hospitalière des témoins de Jéhovah tentent de participer au fonctionnement des établissements, tandis que la Scientologie, au travers de la commission des citoyens pour les droits de l'homme (CCDH), est très active dans le domaine de la lutte contre ce qu'elle appelle les « traitements dégradants de la psychiatrie », jouant de son homonymie avec la Commission nationale consultative des droits de l'homme ou avec la Ligue des droits de l'homme - lesquelles ont porté plainte.

Des améliorations législatives et réglementaires sont nécessaires car notre cadre juridique présente des failles. Or, chaque petite brèche est exploitée par des milliers de charlatans.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Merci pour la mesure de vos propos. Notre souci est en effet de nous attaquer aux dangers que vous avez rappelés tout en respectant les principes de laïcité, de liberté de conscience, d'expression et de religion.

Le rapport de la commission d'enquête de 2006 de l'Assemblée nationale consacrée à l'enfance notait que plusieurs dizaines de milliers d'enfants étaient concernés par les dérives sectaires dans le domaine de la santé. Qu'en est-il depuis ?

M. Serge Blisko. - Le rapport de cette commission d'enquête s'intitulait L'enfance volée et ne traitait pas seulement de la santé. Il avait établi qu'environ 40 000 enfants vivaient dans des mouvements fermés ou des sectes, la plupart d'entre eux étant soumis, par exemple chez les témoins de Jéhovah, aux risques d'être privés de transfusion sanguine. Ce problème existe toujours, mais peut être aujourd'hui résolu puisqu'un médecin a le devoir de soigner un mineur sans tenir compte de l'avis des parents. Le problème s'est aujourd'hui déplacé sur les majeurs. Certains groupes s'adonnent à des dérives hygiénistes ou alimentaires. Sur internet, les sites les mieux référencés en matière de vaccination sont ceux de groupes anti-vaccinaux donnant les adresses de médecins délivrant des certificats de complaisance. Les accidents de la vaccination y sont mis en exergue, ses bienfaits, pourtant considérables, occultés. La Miviludes est d'avis que les écoles des communautés fermées aient le statut d'écoles hors contrat, plus encadré que l'enseignement à domicile. Les derniers foyers de poliomyélite infantile en Europe se situent dans quelques communautés très fermées des Pays-Bas où la vaccination est rejetée. Même si la Miviludes est particulièrement mobilisée sur ces sujets depuis 2006, l'égalité des chances, au sens de la Convention des droits de l'enfant, n'est pas en voie d'amélioration. En outre, comme cela a été constaté très récemment par le ministère de la santé, une désaffection vaccinale est à craindre, qui ne concerne pas seulement les enfants.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous avez partiellement répondu à une question que je souhaitais voir poser sur la frontière entre charlatanisme et secte. Plus précisément, où commence la menace sectaire en matière de santé ?

M. Serge Blisko. - C'est toute la difficulté ! Il en va de même pour l'abus de faiblesse. Lorsqu'un vrai plombier facture à votre grand-mère 2 600 euros une réparation qui en vaut 5 ou 10, c'est un abus de faiblesse. C'est la même chose pour la santé. Nous nous interdisons de juger les techniques utilisées et nous définissons le danger par rapport à nos dix critères habituels, en particulier l'emprise mentale. Les victimes ont beaucoup de difficultés à porter plainte. Cela implique une remise en cause personnelle très profonde et comme l'a récemment illustré le procès de Monflanquin, il est extrêmement difficile de se libérer de ces prisons mentales.

Des dérives thérapeutiques peuvent ne pas être sectaires : parfois le seul but est de vous vendre de la poudre de perlimpinpin. Celles qui nous inquiètent sont celles qui s'inscrivent dans une certaine conception du monde, et qui s'incarnent dans le cadre pseudo-philosophique d'explications fumeuses qui remettent en cause la personne. Le langage utilisé est souvent très compliqué : l'adjectif « quantique » est ainsi mis à toutes les sauces ! La rencontre avec les victimes nous renvoie toujours à la même question : comment une personne intelligente, éduquée et disposant de quelques moyens financiers a-t-elle pu se laisser graduellement enfermer dans une telle histoire ?

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Comment expliquez-vous le chiffre de 3 000 médecins déviants ? Comment concevez-vous l'action des pouvoirs publics pour éviter ces déviances ?

M. Serge Blisko. - Ce chiffre est ancien, il date de 1995 et équivaut à 1 % ou 2 % des médecins. J'aimerais ne pouvoir l'expliquer que par l'attrait du lucre, mais il y a d'autres mécanismes qui nous échappent car nous avons peu de contacts avec ces « dérapeuthes ». Il a pu se produire chez eux une lente dérive ayant pour origine une certaine insatisfaction face à la limite des traitements et la recherche parfois sincère d'autres théories médicales qu'ils essaient de valider. Pour notre part, nous sommes ouverts aux techniques que nous jugeons prometteuses. Les manipulations vertébrales introduites à l'Hôtel-Dieu par le Pr Maigne sont extrêmement délicates. Mais il existe aussi des « bricoleurs » qui peuvent faire d'importants dégâts.

Un mot sur les médecins déviants : ils s'estiment toujours incompris et crient au complot. La section disciplinaire du conseil de l'ordre est très prudente.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Internet est utilisé comme un instrument de propagande au service des dérives sectaires en matière de santé. Quelle veille êtes-vous en mesure d'effectuer ? Quelles sont vos propositions ?

M. Hervé Machi. - Si internet est un fantastique vecteur de propagation pour toutes les techniques de santé, c'est aussi un outil très difficile à contrôler et nous n'avons pas les moyens d'assurer une veille permanente. En revanche, la gendarmerie assure une veille internet au titre de la lutte contre la cybercriminalité. Ces agents, formés par la Miviludes, exercent actuellement à notre demande une surveillance particulière des messages apocalyptiques à l'approche du 21 décembre 2012 qui devrait marquer, comme vous le savez... la fin du monde. Nous souhaitons que ces services soient chargés d'une veille de l'ensemble des propositions d'ordre thérapeutique postées sur internet. Le public pourrait prendre connaissance du résultat de ces observations sur la plateforme relative aux pratiques dangereuses qui existe déjà sur le site du ministère de la santé.

M. Samir Kalfahoui, inspecteur principal des affaires sanitaires et sociales, conseiller au pôle santé de la Miviludes. - Un site internet ou un blog sont faciles et rapides à créer. Les stratagèmes les plus grossiers sont les plus efficaces : tel site vantant la méthode Hamer avait choisi une dénomination très voisine de celle de l'Institut national du cancer (INCa) : « le-cancer.fr » au lieu de « e-cancer.fr ». L'INCa a saisi le fournisseur d'accès. La Haute Autorité de santé avait mis en place un système de certification mais, signe de ses limites, cette certification, faite par un prestataire privé, a pu bénéficier à des sites qui faisaient la promotion de la méthode Hamer.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous qualifiez l'écoute des pouvoirs publics de « différenciée ». Que peut-on faire dans ce domaine?

M. Serge Blisko. - Le contrôle effectué par les différentes ARS sur les méthodes non conventionnelles est inégal. Il est plus facile de surveiller un médecin soumis à son ordre professionnel que de s'immiscer dans la relation feutrée entre un patient et son pseudo-thérapeute. Comme les autres escrocs, les charlatans ont toujours un temps d'avance sur nous. Par exemple, ils recrutent sur internet de nouveaux patients pendant que la Miviludes réfléchit à leur méthode pour savoir si on peut ou non la valider. Le bouche à oreille est un vrai problème pour nous.

La coordination entre les ARS, chargées des contrôles, et les délégations départementales, n'est pas toujours simple. Nous aimerions que les ARS soient plus à l'écoute. Les réunions de correspondants « dérives sectaires » que les préfets sont censés organiser ne sont pas très régulières.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Le risque d'infiltration des rouages de l'Etat au travers de marchés publics, d'agrément ou de subventions existe-t-il aussi dans le domaine de la santé ?

M. Samir Kalfahoui. - Les tentatives d'infiltration dans le secteur de la santé sont de plus en plus fréquentes, en particulier par l'accompagnement à la gestion du stress auprès des soignants. Depuis quelques années, on note même la création de modules de formation au sein des instituts en soins infirmiers (Ifsi) comme en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, où étaient proposés des stages sur la méthode Hamer ou la psychogénéalogie. Nous avons engagé des actions de sensibilisation mais les groupes sectaires avancent masqués sous prétexte de faire le bien...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Existe-t-il un profil-type des adhérents de secte, spécifique au domaine de la santé ?

M. Serge Blisko. - Ces personnes ont été entraînées car une de leurs failles a été exploitée. Comme le disait le Pr Olievenstein à propos de la drogue, il y a eu rencontre de la mauvaise personne au mauvais moment, lorsqu'un événement a rendu la personne particulièrement vulnérable. Je suis frappé par l'extraordinaire habilité des gourous à sentir ce moment.

M. Samir Kalfahoui. - Les enfants sont une autre porte d'entrée. Lorsque l'on vous propose de soulager la douleur de votre enfant, fût-ce par des séances de communication avec les esprits, vous ne vous posez guère de questions. Les parents d'enfants autistes sont donc par exemple une cible de ces mouvements.

M. Serge Blisko. - L'annonce d'une maladie grave et la proposition, en conséquence, d'un traitement lourd qui doit être engagé très rapidement, notamment en cancérologie, constituent un choc. Peut-être faudrait-il accepter des délais un peu plus longs ?

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Ces équipes médicales sont-elles suffisamment formées concernant la communication avec les patients ?

M. Serge Blisko. - Le but, pour l'équipe soignante, est d'obtenir l'adhésion du patient au traitement. Les choses sont encore plus difficiles dans le cas d'enfants gravement malades car la plupart des parents sont effrayés à l'idée d'engager leur enfant dans les traitements lourds.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Comment peut-on évaluer les flux financiers liés à l'action des sectes dans le domaine de la santé ?

M. Hervé Machi, magistrat, secrétaire général de la Miviludes. - Leur but principal est de s'enrichir. S'il est un ministère qui devrait s'intéresser de plus près à ces flux de plusieurs millions d'euros, très proches des pratiques mafieuses, c'est bien le ministère de l'économie.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous êtes le nouveau président de la Miviludes. Le fait que vos prédécesseurs aient été mis en cause vous conduit-il à être particulièrement prudent ?

M. Serge Blisko. - Nous n'avons pas d'immunité et tous mes prédécesseurs ont effectivement été mis en examen. Ce devrait bientôt être mon tour... Diffamation, demandes de rectification, droits de réponse, les motifs ne manquent pas, surtout qu'il existe des failles : remis au Premier ministre en version papier, notre rapport est protégé par une forme d'immunité. Mais s'il est publié sur internet, il ouvre un droit de réponse. Nos adversaires le savent et multiplient les demandes de rectificatifs. Nous sommes donc très prudents dans notre expression, alors même que l'équipe de la Miviludes, à laquelle je tiens à rendre hommage, vit parfois des situations très éprouvantes. Que dire à des parents d'un enfant à qui l'irréparable est arrivé ?

Nous n'avons pas de pouvoirs d'investigation, nous invitons les victimes à saisir la justice. Les preuves matérielles de l'exercice illégal de la médecine ne sont pas aisées à apporter : les praticiens en cause ne rédigent jamais d'ordonnance eux-mêmes, ils se contentent de dicter oralement leurs prescriptions.

M. Hervé Machi. - Nous faisons actuellement l'objet de quatre procédures judiciaires qui constituent autant d'épées de Damoclès pour les agents, ce qui rend possible une forme d'autocensure. D'autant que les sectes vont au bout des procédures. Une décision vient ainsi d'être rendue par la Cour de cassation après douze ans de procès ! Dans la loi de simplification dite Warsman 4, M. Alain Anziani avait fait adopter au Sénat un amendement prévoyant l'immunité des membres de la mission. Cette disposition, retenue par l'Assemblée nationale, a été censurée par le Conseil constitutionnel, car elle était un cavalier législatif. Nous proposons l'adoption d'un texte législatif spécifique aux dérives sectaires.

- Présidence de Mme Gisèle Printz , vice-présidente -

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Quel renforcement de l'arsenal juridique serait souhaitable ?

M. Serge Blisko. - Au niveau européen, il conviendrait d'harmoniser les interdictions d'exercice pour empêcher par exemple qu'un médecin interdit d'exercer en France puisse continuer à travailler dans un pays voisin, parfois à quelques kilomètres de la frontière. En outre, le code de la santé publique devrait mieux préciser certains critères d'exercice illégal aujourd'hui difficiles à mettre en évidence.

M. Hervé Machi. - Pour lutter contre la prolifération de pratiques non conventionnelles à risques, nous proposons de rendre leur interdiction possible. Le GAT depuis sa création n'a pu encore en évaluer plus d'une dizaine et a rendu un avis officiel sur cinq d'entre elles. Il est nécessaire de renforcer ses moyens. Il convient aussi d'étendre les pouvoirs d'investigation et de contrôle des ARS - au moins par un droit de visite des cabinets - à tous les pseudo-thérapeutes qui ne sont aujourd'hui contrôlés par personne. Il est temps de réglementer les centres de bien-être où prolifère le charlatanisme. Le contrôle des ARS ne doit pas être limité au secteur sanitaire et médico-social.

Attaquons-nous aux formations. Le titre d'« institut » pourrait être protégé comme aujourd'hui celui d'université. Renforçons le contrôle des rectorats sur les formations faussement diplômantes ; informons les personnes à la recherche d'un emploi ou d'une formation professionnelle, que ces cursus ne débouchent sur rien. La création de centres de formation professionnelle dans le domaine de la santé pourrait être soumise à un agrément ou à une autorisation, alors qu'aujourd'hui elle est entièrement libre.

Notre troisième ordre de proposition vise à lutter contre les phénomènes d'infiltration. Les médecins interdits d'exercice devraient être de ce fait privés du droit de se prévaloir publiquement de leur grade de docteur en médecine. Enfin, l'introduction des pratiques non conventionnelles à l'hôpital devrait être soumise à un avis rendu éventuellement en urgence par le GAT.

M. Yannick Vaugrenard . - J'étais impatient que nous en venions aux pistes pour l'avenir ! A votre avis, l'arsenal juridique existant est-il suffisamment appliqué ? Ne serait-il pas utile que nous connaissions les correspondants locaux de la Miviludes - ou puissions constater leur absence ? Comment se fait-il que 3 000 médecins soient hors des clous sans que le Conseil de l'ordre soit intervenu ? Pourquoi ne pas davantage utiliser la fiscalité pour lutter contre ces phénomènes comme on l'a fait dans certains pays, à certaines époques contre le grand banditisme ? Des mesures d'harmonisation européennes sont-elles en cours d'élaboration ?

Enfin, y a-t-il des sectes sans dérives sectaires ?

M. Serge Blisko. - Nous avons un passé. La Miviludes a été précédée par la mission interministérielle de lutte contre les sectes (Mils) qui avait publié une liste de sectes. Cette méthode s'est révélée très peu opérante car les groupes qui y figuraient ont formé des recours devant les tribunaux. Surtout, il leur suffisait de changer de nom pour sortir de la liste au moins provisoirement ! En revanche, la définition de la dérive sectaire est efficace, au point qu'il est aujourd'hui possible de l'appliquer au domaine de la santé. Nous visons les mécanismes davantage que l'organisation.

En tant que représentants de l'administration publique d'un pays laïque, nous ne pouvons porter aucun jugement sur les opinions d'un mouvement. En outre, une organisation que l'on pourrait qualifier de secte parce qu'elle semble étrange peut ne se livrer à aucune dérive.

Nous devons aussi respecter la liberté de conscience comme la liberté d'aller et venir. Pour quel motif interdire une conférence dès lors que l'ordre public n'est pas troublé ? La loi About-Picard de 2001 n'a donné lieu qu'à trente incriminations en dix ans. Rien n'est plus difficile que de définir l'emprise mentale. Les victimes ne collaborent pas toujours, elles ont honte. Les cas signalés ne sont que la face émergée de l'iceberg. Il en va ici comme des violences faites aux femmes, sous-estimées pendant longtemps avant que l'on comprenne avoir affaire à un problème majeur de notre société.

Les cas de manipulations et d'emprise figurent dans bien des dossiers de crimes et délits. C'est pourquoi nous souhaitons modifier la loi de 2001 pour ajouter une circonstance aggravante dans le code pénal visant le contexte de sujétion psychologique dans lequel les victimes sont placées. Ce serait fort utile, notamment quand l'emprise sectaire est difficile à prouver.

M. Hervé Machi. - L'arsenal juridique n'est pas suffisamment appliqué. Le délit d'abus de faiblesse par sujétion psychologique est l'un des délits les plus difficiles à caractériser, d'où un nombre de condamnation faible, et le recours à des infractions mieux connues comme le vol, le viol, l'abus de confiance ou l'escroquerie. Cela pose un problème de recensement statistique. Les mouvements sectaires nous demandent : où sont vos victimes ? D'où notre proposition de créer une circonstance aggravante du contexte sectaire, applicable aux infractions de droits commun, et assortie d'un code destiné à l'établissement des statistiques par la chancellerie.

Les mouvements sectaires témoignent d'une grande ingéniosité pour contourner les dispositifs : l'usage du titre de psychothérapeute étant depuis 2010 plus contrôlé, les charlatans sont simplement devenus naturopathes, thérapeutes en matière de santé ou autre.

Un mot de l'autocensure des services de contrôle. Notre partenariat avec le Conseil national de l'ordre et avec les ordres départementaux des médecins a été renforcé. Nous formons en leur sein des référents aux dérives sectaires. Mais, là aussi, le délit d'exercice illégal de la médecine est difficile à établir. Certains ordres départementaux se sont vus condamner à leur tour pour dénonciation calomnieuse, après avoir engagé des poursuites contre un praticien déviant car le délit n'avait pu être suffisamment constitué.

Il y a des correspondants sur les dérives sectaires auprès de chaque préfecture, de chaque rectorat, chaque procureur, auprès des services de la protection judiciaire de la jeunesse, des directions interrégionales de l'emploi, de la consommation et du travail, des gendarmeries. Le maillage est étendu, même si nous ne disposons pas de la liste des référents de l'ARS.

Sur la fiscalité, une anecdote : la Miviludes n'était pas informée de la surveillance conjointe par les services fiscaux et les services de renseignements des anciens membres de l'Ordre du temple solaire. Une telle information constitue l'une de nos revendications de longue date. Elle est nécessaire afin de repérer la résurgence de mouvements sectaires dangereux, dresser une carte des flux financiers, identifier les détournements par rapport aux circuits économiques traditionnels.

Aucun système d'harmonisation européenne n'existe. La France est la seule à disposer d'un système aussi intégré, articulé autour d'une mission interministérielle, d'une loi spécifique, d'un régime de financement des associations. En revanche, nous pouvons susciter cette harmonisation par le biais de la protection des mineurs : l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté une résolution qui devrait déboucher sur la création d'un Observatoire européen de protection des mineurs contre les sectes. Le député M. Rudy Salles y travaille.

Mme Catherine Deroche . - Le critère de rupture avec l'environnement familial est-il facile à déterminer ? Est-il toujours opérant ?

M. Serge Blisko. - En effet la rupture avec le milieu n'apparaît pas toujours. Certaines familles dérivent ensemble, notamment dans les cas d'enfants malades. C'est souvent à l'occasion d'un divorce que l'on repère l'influence d'un gourou. Lorsque nous sommes saisis par des personnes fragilisées, nous avons également du mal à démêler les faits des allégations. Enfin quand une instance judiciaire est en cours, nous n'intervenons pas, même si nous répondons aux demandes de consultations des magistrats... Nous ne sommes pas un service d'enquête.

Mme Gisèle Printz , vice-présidente . - Je vous remercie.

Audition de M. Georges FENECH, député, ancien président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) (mardi 30 octobre 2012)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous procédons aujourd'hui à la deuxième série d'auditions de notre commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse. Un compte rendu en sera publié avec le rapport ; son enregistrement vidéo sera diffusé sur le site du Sénat.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

J'en viens à notre réunion.

L'audition de notre collègue député Georges Fenech s'imposait de manière très évidente à notre commission. Président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) jusqu'en juin dernier, Georges Fenech dispose en effet d'une expérience unique dans le domaine qui nous intéresse, expérience qu'il a acquise en tant que magistrat puis en tant que député. Il a en effet présidé la commission d'enquête de 2006 sur l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur les mineurs. Il a également été vice-président du groupe d'études sur les sectes à l'Assemblée nationale.

Je rappelle à l'attention de M. Fenech que chacun des groupes politiques du Sénat dispose d'un droit de tirage annuel qui lui permet notamment de solliciter la création d'une commission d'enquête. Le Bureau du Sénat a accepté la demande du groupe RDSE d'utiliser ce droit pour soulever la question de l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé. C'est sur cette base que notre commission d'enquête s'est constituée, le 3 octobre dernier. M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de résolution qui se trouve à l'origine de la constitution de cette commission, en est le rapporteur.

Mes chers collègues, je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Fenech de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Georges Fenech, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Georges Fenech . - Je le jure.

M. Alain Milon , président . - Cher collègue, à la suite de votre exposé introductif, mon collègue Jacques Mézard, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront chacun leur tour.

C'est bien volontiers que je vous laisse la parole...

M. Georges Fenech, ancien président de la Miviludes . - Merci de m'avoir convié à tenter de répondre à quelques-unes des questions de cette commission d'enquête, dont je me réjouis de la tenue, à un moment où la question de la santé préoccupe au premier chef tous les acteurs de la lutte contre les dérives sectaires, à commencer par la mission interministérielle que j'ai présidée jusqu'au mois de juin et qui m'a amené à constater un certain nombre de faits.

Trois commissions d'enquête ont déjà travaillé sur cette question, donnant à chaque fois lieu à des réformes et à de nouveaux dispositifs législatifs et institutionnels, notamment la mission interministérielle.

La France n'a pas à rougir de son action. Elle fait en quelque sorte figure de proue en Europe et dans le monde grâce aux moyens qu'elle met à la disposition de la lutte contre les dérives du phénomène sectaire.

La mission interministérielle est unique en son genre, tout comme la loi About-Picard, qui nous vaut d'ailleurs quelques récriminations au plan international. Je me suis rendu à Varsovie dans le cadre de la grande conférence d'examen sur la dimension humaine qu'organise chaque année l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). J'ai pu constater à quel point il existe une incompréhension de la politique publique menée par la France en matière de lutte contre les dérives sectaires. Il nous est reproché de porter atteinte à la liberté de croyances et de religion.

La France continue depuis une bonne vingtaine d'années, dans un esprit très consensuel dont il faut se féliciter, à mettre en oeuvre des moyens de protection, notamment des populations les plus vulnérables.

Malgré tout ce que nous faisons, le combat pour les libertés est toutefois loin d'être gagné - si tant est qu'il puisse l'être un jour !

Je ne voudrais pas faire preuve de pessimisme. J'ai vu avec beaucoup de satisfaction mon successeur, Serge Blisko, qui a été vice-président de la commission d'enquête sur les sectes et les mineurs, s'impliquer fortement dans la présidence de la Miviludes. Il a fait un point exhaustif - sur lequel il n'est pas nécessaire que je revienne - à propos de l'état du phénomène sectaire dans ce qu'il a de plus pernicieux et de plus attentatoire aux libertés individuelles, qui révèle bien que ce phénomène est en pleine expansion.

La première commission d'enquête présidée par Alain Gest, avec lequel je m'entretenais tout à l'heure à l'Assemblée nationale au sujet de l'audition que j'allais avoir devant vous, faisait état d'environ 172 mouvements sectaires, selon une liste qui a d'ailleurs soulevé une certaine polémique. Je ne suis pas partisan de telles listes, qui ne servent à rien et qui ne peuvent qu'être préjudiciables au bon équilibre d'une mission interministérielle. Néanmoins, la mission interministérielle dispose de données et de dossiers sur ce que représente le phénomène sectaire. Aujourd'hui, on peut considérer qu'il existe environ 800 mouvements et pratiques qui nécessitent une vigilance de la part des pouvoirs publics. On est donc loin d'avoir fait régresser le phénomène, qui est plutôt en expansion.

Le premier sondage que j'avais commandé à la Miviludes auprès des services du Premier ministre a révélé que 20 % des Français connaissent dans leur entourage au moins une victime de dérives sectaires - charlatans, escrocs, gourous thérapeutiques - ce qui, rapporté à la population, laisserait supposer qu'environ 12 à 13 millions de nos concitoyens ont, à un moment ou un autre, été victimes d'une dérive sectaire. C'est donc loin d'être un phénomène marginal... Il a pénétré toutes les couches sociales et professionnelles. Dans le cadre de cette mission interministérielle, on a mobilisé au maximum tout ce qui pouvait l'être. Nous avons notamment engagé des partenariats avec Pôle emploi, des formations professionnelles, publié un guide pratique en partenariat avec le ministre de l'apprentissage et de la formation professionnelle. Cela rejoint le thème de votre commission d'enquête, puisqu'à travers la formation professionnelle s'infiltrent des organismes à caractère sectaire qui proposent des formations touchant au développement de soi et donc à l'individu, à son identité et quelquefois à sa santé. On voit même des organismes proposer des formations diplômantes qui n'ont aucune valeur, tout cela sur fonds publics !

Nous avons attiré l'attention de Pôle emploi et du ministère de la formation professionnelle. Des textes ont été votés, des réformes ont eu lieu. Sous le ministère de Laurent Wauquiez, on a renforcé les dispositifs de prévention en matière de déclarations d'organismes de formation professionnelle. On a signé des partenariats avec la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Nous avons d'ailleurs, au sein de la Miviludes, un agent qui vient de la PJJ.

Il ne s'agit pas de dresser ici un bilan positif de l'action menée ces dernières années et de faire de l'autosatisfaction ! Mais malgré tout ce que nous avons engagé, le problème reste entier de mon point de vue. Nous avons notamment légiféré pour encadrer et protéger juridiquement le titre de psychothérapeute. J'aimerais qu'un bilan soit dressé aujourd'hui. Je crains fort qu'il ne montre que de pseudo-psychothérapeutes continuent d'exercer sous d'autres titres ronflants... Cela n'a donc pas véritablement amélioré les choses.

Nous avons aussi mis en place, sous l'impulsion de la mission interministérielle, le groupe d'appui technique (GAT) auprès du directeur général de la santé, sous l'impulsion forte de M. Didier Houssin. Cela remonte à 2009. Nous sommes en 2012. Trois ans ont passé. Je crois qu'il y a eu trois évaluations de ces pratiques. C'est peu comparé aux quelque 400 pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique (PNCVT) recensées...

Pourquoi ? C'est la question que j'ai posée au nouveau directeur général : il existe des difficultés, des tabous et, malgré des efforts incontestables, encore une certaine inertie de la part de l'autorité médicale, des médecins, des conseils de l'ordre qui estiment que ces pratiques non conventionnelles ne sont pas le fait de médecins, et que de ce fait ces personnes ne relèvent pas de leur juridiction.

Non ! A partir du moment où un individu s'immisce dans l'acte médical, prétend poser des diagnostics, fait des propositions alternatives de soins, amène le patient, sous emprise mentale, à rompre avec les soins conventionnels, on est dans la matière médicale ! Il y a un effort considérable à faire pour que les institutions réagissent sur le terrain.

Je pense aussi aux rectorats et aux universités, dont certaines dispensent des formations très onéreuses, destinées à délivrer des diplômes d'éducateurs de santé qui n'ont aucune valeur et qui peuvent tromper nos concitoyens !

Malgré tous ces efforts et toutes les formations mises en place, nos dispositifs ne sont pas aussi performants qu'ils pourraient l'être. La Miviludes se déploie sur l'ensemble du territoire national et en outre-mer - environ 20 % du phénomène sectaire, pour une population ultramarine qui ne représente que 4 % de la population nationale. Toutefois, les choses s'expliquent par des considérations locales...

J'en discutais tout à l'heure avec mon collègue député Alain Gest : rien ne vaut d'aller voir sur place ! Alain Gest me rappelait que, dans le cadre de notre commission d'enquête de 2006 sur l'enfance, nous avions effectué un déplacement dans la communauté de Tabitha's Place, à Sus, dans les Pyrénées. Nous étions arrivés de manière inopinée et avions découvert quelque cinquante enfants vivant de manière quasi autarcique, privés de toute information extérieure. J'avais fait le choix de cette communauté, me souvenant que, quelques années auparavant, le petit Raphaël, âgé de dix-neuf mois, y était mort de rachitisme par manque de soins. Il s'agit d'une communauté qui vit selon les premiers préceptes bibliques et qui refuse la médecine, estimant que la maladie est envoyée par Dieu. Il y a là une mise en danger des enfants. Les parents ont d'ailleurs été condamnés à douze ans de réclusion criminelle par la Cour d'assises de Pau.

J'ai voulu voir, quelques années plus tard, ce qu'il en était : les enfants étaient toujours privés de soins, vivant dans des conditions hallucinantes, dans un autre temps, ne connaissant ni Internet, ni la télévision et ignorant tout du monde !

Imaginez la désocialisation de ces enfants s'ils quittent un jour la communauté ! Ils n'auront pas accédé à la citoyenneté alors qu'il existe des textes qui les protègent, comme la convention de New York relative aux droits de l'enfant de 1989. On a probablement fait bouger les lignes mais à la marge. Les inspections d'académie y exercent peut-être plus facilement aujourd'hui des contrôles. A l'époque de notre visite, les contrôles s'arrêtaient à l'acquisition des connaissances. Lorsque nous avons pris le relais afin d'évaluer leur connaissance du monde et non uniquement leur niveau d'écriture, d'orthographe et de calcul, nous nous sommes rendus compte avec émotion que ces enfants ne savaient rien !

Lorsque nous sommes repartis, les parents ont réuni ces enfants, qui ont entonné un chant américain à pleins poumons. Nous avons quitté les lieux bouleversés. Ces enfants sont toujours là-bas, privés de leurs droits !

J'entends bien que nous devons respecter la liberté d'éducation des parents. Encore faut-il rappeler que les parents ne sont pas propriétaires de leurs enfants, qui ont des droits propres ! Les pouvoirs publics doivent s'immiscer dans cette relation intrafamiliale. Quand on n'a rien à cacher, on doit accepter les contrôles !

Il faut aussi protéger les adultes. En matière de santé, on ne peut obliger quelqu'un à se soigner contre sa volonté ou un témoin de Jéhovah à recevoir une transfusion mais il faut faire oeuvre pédagogique, informative et c'est de notre responsabilité ! Pour ce qui concerne les mineurs, il faut vraiment intervenir. C'est le rôle des pouvoirs publics de protéger les mineurs hors d'état de se protéger eux-mêmes. Lisez, si vous le pouvez, le témoignage d'Amoreena Winkler, qui a passé toute son enfance dans l'organisation sectaire des Enfants de Dieu. Son livre s'appelle Purulence. La douleur de cette jeune femme est indicible. Elle a subi des assauts sexuels, des tortures, des violences, a été privée de tous ses droits et s'en est sortie grâce à une volonté exceptionnelle !

Pourtant, cette enfant était scolarisée, allait à l'école. Personne ne s'était rendu compte de ce qu'elle traversait. La santé, ce n'est pas uniquement des stigmates physiques : c'est aussi la maltraitance psychologique qu'il faut savoir identifier. C'est pourquoi la Miviludes a publié un guide pratique destiné à tous les acteurs de l'éducation, de façon à identifier et à savoir comment réagir lorsqu'un enfant subit un traumatisme psychologique.

Voilà ce que je souhaitais dire, dans la prolongation des travaux que nous avons menés sur l'influence des sectes sur la santé mentale et physique des mineurs. C'est là-dessus qu'il faut porter notre attention en priorité.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Monsieur le Député, merci de votre présence devant notre commission d'enquête, qui se situe dans la droite ligne de ce que vous avez réalisé depuis des années. Notre souci s'inscrit dans le cadre du respect de la liberté d'expression, de la liberté de croyance, de la liberté de conscience mais aussi de la protection de la liberté individuelle et de la santé de nos concitoyens et de nos enfants.

Si notre commission d'enquête vise le problème des dérives sectaires dans le domaine de la santé, au-delà de la protection des libertés, il faut aussi protéger nos concitoyens de pratiques qui peuvent entraîner des conséquences dramatiques, parfois irréparables, dans le domaine de la santé. Cela va aussi souvent de pair avec des comportements relevant de l'abus de faiblesse.

Comment différenciez-vous ce qui peut relever du pur charlatanisme de comportements sectaires ? On a en effet le sentiment qu'un certain nombre de pratiques relèvent purement et simplement d'un abus de faiblesses destiné à récupérer de l'argent et que d'autres sont directement en lien avec ce qu'on peut appeler des dérives sectaires...

M. Georges Fenech . - Vous avez raison. Je crois que, dans le monde de la santé non conventionnelle, différents objectifs sont poursuivis. Il existe des charlatans uniquement motivés par l'aspect lucratif des choses mais aussi toute une série de psychothérapeutes ou prétendus tels qui sont absolument convaincus de leurs techniques et qui vont faire des émules avec beaucoup de conviction.

Notre interrogation doit se situer en amont : comment se fait-il qu'une part aussi importante de nos concitoyens s'adressent à ces gens-là et cherchent d'autres solutions ? C'est le résultat d'une crise de confiance majeure par rapport à notre système de soins. Tout cela est à mettre en perspective avec les grands scandales sanitaires de ces dernières années - sang contaminé, hormone de croissance, prothèses mammaires, Mediator - qui ont entamé la confiance que l'on doit avoir dans notre système sanitaire.

Nous devons aussi mener une réflexion sur ce que doit être l'hôpital. Comment prendre en compte la dimension humaine de la maladie, certainement sous-estimée par les hôpitaux ? Pourquoi cette recherche d'autres solutions que celle de l'hôpital et de la médecine conventionnelle ? Notre système actuel fait qu'un malade hospitalisé se voit attribuer un numéro administratif tandis qu'une organisation à caractère sectaire reçoit son futur adepte avec beaucoup de chaleur humaine...

Certains psychothérapeutes ont mis au point des techniques très sophistiquées, pratiquées dans de multiples centres de soins qui fleurissent sans véritable autorisation ni contrôle. On a, avec Internet, des offres extraordinaires dans tous les domaines - médecine douce, naturelle, naturopathie. Comment faut-il l'appréhender ? C'est le travail qui devrait être celui du GAT qui s'était engagé, il y a trois ans, à évaluer toutes ces méthodes - parmi lesquelles certaines sont probablement intéressantes et peuvent apporter un certain réconfort. D'autres méthodes sont en elles-mêmes intrinsèquement porteuses de danger. C'est là-dessus que doit porter notre effort : il faut démonter l'innocuité, la supercherie, voire l'escroquerie médicale. Cela relève du ministère de la santé et de ce groupe d'appui technique qui a été créé à cette fin !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Pouvez-vous nous en dire davantage sur les constatations que la Miviludes a pu réaliser ces dernières années au sujet de cas ayant entraîné des conséquences graves pour les malades, jusqu'à leur décès, soit par absence de traitement, soit du fait de traitements non conventionnels mais aboutissant à des effets négatifs ?

M. Georges Fenech . - Il suffit d'aller rechercher les exemples dans les décisions des tribunaux et des cours d'assises. Nous avons connu ces dernières années certaines affaires particulièrement emblématiques. Je pourrais citer le cas d'Evelyne Marsaleix, jeune mère de famille de trente-sept ans atteinte d'un cancer du sein qui s'est retrouvée entre les mains de médecins dont elle ignorait qu'ils appartenaient au cercle du Graal ; ces médecins l'ont conduite à interrompre sa chimiothérapie et à subir un traitement différent, consistant essentiellement en un jeûne et en l'absorption de jus de citron ou de choses de ce genre.

Evelyne Marsaleix est décédée à la suite de l'absence de soins, en raison d'une perte de chances en quelque sorte. Elle s'en est rendue compte trop tard et s'était confiée à un journaliste, aujourd'hui directeur de l'information de TF1, Antoine Guélaud, qui a écrit à la première personne l'histoire de cette jeune femme qu'il a côtoyée dans les derniers moments de sa vie et qui raconte comment elle est peu à peu tombée sous l'emprise de ces médecins et a renoncé à tous ses traitements.

C'est un exemple qui me vient à l'esprit mais il y en a bien d'autres, notamment ceux d'enfants morts de carences de soins ou de carences nutritionnelles, dans des familles qui appartiennent à des mouvements prônant par exemple le végétalisme ou la seule consommation de nourritures insuffisantes pour la croissance d'un enfant. Certains parents ont été condamnés après le décès de leur enfant. Il existe beaucoup d'affaires comme celles-ci. On en parle assez peu dans les journaux mais la mission interministérielle reçoit beaucoup de signalements de familles et de parents - voire de grands-parents lorsque les parents appartiennent eux-mêmes à la communauté sectaire.

Il faut se reporter aux différents rapports annuels de la mission interministérielle et aux éléments statistiques qui peuvent être fournis par la direction des affaires criminelles et des grâces pour se rendre compte qu'un grand nombre de décisions correctionnelles et d'assises sanctionnent ce type de mise en danger de la vie d'autrui, de non-assistance à personne en danger, d'homicide involontaire, de privation de soins ou de privation d'aliments.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - On assiste aujourd'hui à l'introduction, dans le monde hospitalier, de formations relevant de pratiques non conventionnelles. On pourrait estimer qu'il s'agit là d'une infiltration du domaine de la santé par des mouvements sectaires...

M. Georges Fenech . - Nous pouvons en effet aujourd'hui constater la pénétration du milieu hospitalier par certaines organisations qui s'immiscent dans le rapport entre le médecin et le patient. On pense bien entendu tout de suite aux témoins de Jéhovah, qui pénètrent dans les hôpitaux pour inciter leurs membres à refuser un certain nombre de soins, notamment les transfusions sanguines.

C'est là un problème qui touche à l'ordre public. Autant il est difficile d'empêcher un individu d'aller voir un pseudopsychothérapeute, un gourou thérapeutique déviant, autant l'hôpital doit être un lieu protégé, comme la prison ou tout lieu sous la responsabilité des pouvoirs publics. Il faut être vigilant...

Cela ne veut pas dire qu'il faille interdire les pratiques de soins complémentaires. On sait qu'elles sont très répandues aux Etats-Unis, où certains accompagnateurs vont jusqu'au bloc opératoire. Il paraît que cela développe davantage de confiance et que le patient qui va être opéré reçoit les soins dans de meilleures conditions. Pourquoi pas ? Sans interdire certaines complémentarités, il faut cependant savoir identifier ce qui peut constituer un danger et ce qui peut être accepté. Je ne pense pas que l'on doive avoir une position radicale et interdire l'hôpital à toute forme de médecine douce, parallèle ou complémentaire, à la condition que le protocole médical soit respecté, que le praticien puisse exercer ses soins et qu'il n'existe pas de rapport faussé ou d'interventions inopinées et inopportunes entre un malade et son médecin.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Le chiffre d'affaires de la formation professionnelle, en France, représente environ 30 milliards d'euros et l'on sait que les sectes y sont très présentes. Quelle est votre opinion sur ce point, certaines prestations concernant manifestement le champ de la santé, en particulier dans le domaine psychologique ? Qu'en est-il et que peut-on faire ?

M. Georges Fenech . - Cela a constitué une priorité de mon action qui, je n'en doute pas, sera poursuivie par la mission interministérielle. On s'est rendu compte qu'un certain nombre d'organismes professionnels étaient en réalité soit de « faux nez » de grandes organisations sectaires bien connues, soit de microstructures ou de microgroupes créés par des individus ayant mis au point des protocoles de coaching ou de développement de soi déclarées régulièrement et qui peuvent offrir des formations en apparence professionnelles. En fait, ces formations ne sont absolument pas valorisantes mais sont le moyen de recruter et de rechercher des bénéfices.

D'après nos estimations, qu'il faudrait peaufiner, il existerait sur les quelque 60 000 organismes existants environ 1 500 organismes suspects. C'est pourquoi nous avons légiféré en 2009 en faveur d'un meilleur contrôle de ces organismes de formation professionnelle mais également publié un guide pratique à l'intention des inspecteurs du travail, des conseils régionaux et de tous les acteurs de la formation professionnelle. C'est un marché tellement si vaste, si diffus, si diversifié qu'il est difficile de toujours agir en termes de prévention. Il faut certainement continuer ces efforts pour protéger l'entreprise et le salarié.

Un exemple me vient à l'esprit, celui du biomagnétisme. Il s'agit d'une technique de soins, voire d'interventions chirurgicales utilisant des instruments fictifs pour évacuer les énergies usées et faire pénétrer les énergies renouvelées, afin de soigner le corps malade. On s'est rendu compte que le biomagnétisme s'était constitué en ordre, que les biomagnétiseurs étaient présents dans toutes les régions françaises et recouraient à la formation professionnelle. Nous avions alerté la ville de Paris sur ce cas spécifique et les autorisations de sessions en cours ont immédiatement été retirées.

Voyez jusqu'où cela peut aller ! Il faut donc être très vigilant - d'autant qu'on est là sur 30 milliards d'argent public. Le travail mené par Pôle emploi sur ce point doit donc se poursuivre et se renforcer.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - On a fait état de formations de guérisseur à mains nues qui permettent de créer des cabinets privés dégageant des revenus financiers non négligeables. Les stages coûteux se multiplient. Avez-vous des exemples ?

M. Georges Fenech . - Non, je n'ai pas d'exemple précis en tête. Je viens de citer le biomagnétisme : nous savons que cette technique est aujourd'hui fort répandue. Il existe aujourd'hui des annuaires qui regorgent d'adresses de praticiens en tous genres. J'ai l'impression que le combat mené aujourd'hui est un peu vain, tant ce phénomène se retrouve partout. Je pense qu'il ne faut plus espérer le faire régresser mais essayer de le contenir et informer inlassablement le public. Il existe, à l'intérieur de ces centres de soins, toutes sortes de techniques de soins, le reiki, la kinésiologie ou autres qui, en soi, ne sont pas forcément à interdire mais qui, utilisées d'une certaine manière et dans certains buts, peuvent provoquer les ruptures dont on parlait tout à l'heure.

J'ai visité plusieurs de ces centres. Il s'agit toujours du même principe : de beaux diplômes sont accrochés aux murs, les salles ressemblent à celles de cliniques et on y croise des blouses blanches. Il y a là tout ce qu'il faut pour soigner alors qu'on ne soigne pas mais qu'on y délivre des diplômes de maître reiki, de kinésiologues...

Dans ma propre circonscription, j'attire quelquefois l'attention des maires sur le fait qu'ils mettent des salles municipales à la disposition de foires aux médecines naturelles au milieu desquelles viennent s'immiscer des charlatans aux techniques particulièrement redoutables. J'ai vu la biologie totale ou le décodage biologique issu de la méthode Hamer exposés sur un stand, au vu et au su de tout le monde ! On constate un manque d'information. Les maires, aujourd'hui, ont le réflexe de questionner la Miviludes : peut-on louer une salle, interdire une conférence ? On rencontre ce type de questions quotidiennement....

Une conférence s'est même tenue à la Sorbonne sur le thème de la biologie totale, dispensée pas un des disciples du docteur Hamer. Il a fallu que la Miviludes intervienne auprès de cette faculté pour expliquer de quoi il s'agissait. Il y a là une recherche de notoriété, de respectabilité. C'est à nous d'informer et de demeurer extrêmement vigilants.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous nous avez indiqué que certains systèmes de formation étaient en réalité les « faux nez » d'organisations à caractère sectaire. Pouvez-vous être plus précis ?

M. Georges Fenech . - Je citerai le cas qui me vient à l'esprit : par recoupement, grâce à un travail minutieux de la mission interministérielle, nous avions identifié au moins une bonne vingtaine d'organismes professionnels relevant de l'Eglise de scientologie et qui ne portent pas ce nom ! C'est un exemple mais il peut y en avoir d'autres...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Nous avons tous ici connaissance des problèmes découlant de la « méthode Hamer ». Il semble qu'elle soit assez développée, avec les conséquences que l'on connaît dans le domaine de la santé de nos concitoyens. Considérez-vous que ce type de comportement fasse l'objet des suites judiciaires qu'il devrait appeler ?

M. Georges Fenech . - Je suis dans l'incapacité de vous répondre, bien que j'aie été à la tête de la Miviludes pendant quatre ans ! Je suis de même incapable de vous dire combien d'enfants sont concernés par ce phénomène. On parle de 60 000, voire plus mais je ne puis vous donner d'éléments statistiques. Je n'en ai pas...

Le travail de la mission interministérielle est très particulier. On est dans un domaine où il faut constamment se poser la question de savoir jusqu'où on peut aller pour ne pas enfreindre d'autres libertés individuelles. Je suis incapable de répondre à votre question, d'autant qu'il y a incontestablement un chiffre noir qui ne parvient pas jusqu'à nous, en raison du défaut de dépôt de plaintes. Beaucoup de victimes ne déposent pas plainte, soit parce qu'elles sont totalement démunies, soit parce qu'elles sont dans la crainte et parfois dans la honte. D'où le rôle important - j'insiste beaucoup auprès de votre commission d'enquête - des associations qui sont là pour accompagner et qui disposent d'un rôle de complémentarité par rapport aux pouvoirs publics.

Je me permets d'ouvrir une parenthèse pour signaler à votre commission que j'ai quelque inquiétude quant à la survie de ces associations, qui ont vu leurs subventions réduites. C'est pour elles chaque année un parcours du combattant pour obtenir un minimum de subvention afin de pouvoir continuer leur action, indispensable - je le répète - à celle des pouvoirs publics !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - A ce niveau du débat, considérez-vous notre arsenal juridique actuel suffisant ou estimez-vous qu'il y aurait des progrès à réaliser ?

M. Georges Fenech . - Sur le plan législatif, nous disposons, je crois, de tous les moyens de lutte efficaces contre les dérives sectaires : droit commun, droit pénal, code de la santé publique, code du travail et loi About-Picard, dont on a fêté les dix ans l'année dernière, en présence de l'ancien président de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer.

On a dressé le bilan de cette loi au bout de dix ans. C'est une loi qui a eu beaucoup de mal à être prise en compte par les juridictions pour établir l'abus frauduleux, l'état de faiblesse, le préjudice subi. On le comprend : il s'agit d'infractions complexes... On a totalisé une trentaine de condamnations depuis 2001. Toutes ne relèvent pas du domaine proprement sectaire, ce texte s'appliquant à d'autres situations. Il y aurait environ une centaine d'enquêtes en cours.

Cette loi ne mérite pas, selon moi, de modification - ou peut-être à la marge, en matière de problèmes de prescription, domaine très difficile à appréhender. L'intérêt est d'avoir mis en place cette nouvelle structure d'enquêteurs que constitue la Cellule d'assistance et d'intervention en matière de dérives sectaires (Caimades), placée auprès de l'Office central pour la répression des violences faites aux personnes (OCRVP). Elle dispose d'un certain nombre de fonctionnaires de la police nationale et de la gendarmerie spécialisés dans la loi sur l'abus de faiblesse, qui se saisissent d'enquêtes complexes, prêtent main-forte aux enquêteurs de terrain et dispensent des formations.

Je crois qu'on doit se féliciter de l'existence de la Caimades mais aussi émettre quelques inquiétudes quant à sa pérennisation. Ses effectifs ne sont pas au niveau où ils devraient l'être. J'ai eu l'occasion, récemment, d'en faire part au ministre de l'intérieur, en lui faisant remarquer que cette section spécialisée ne compte plus de gendarme, alors qu'elle devrait en compter au moins un et qu'il convient de lui accorder les moyens nécessaires à son bon fonctionnement.

Il s'agit d'enquêtes complexes : imaginez une enquête sur les « reclus de Montflanquin », dont on a beaucoup parlé récemment et qui a été traitée par la Caimades. Il faut démontrer l'emprise mentale et mener des enquêtes en profondeur, procéder à un certain type d'auditions. Cette cellule comporte des experts et des experts psychiatres sont également consultés...

Peut-on améliorer les dispositifs législatifs en la matière ? Permettez-moi de préciser que la Miviludes a besoin, pour exercer ses missions, prévues par décret, d'une protection juridique comme d'autres missions ou hautes autorités, qui bénéficient d'une immunité concernant le rapport rendu annuellement au Premier ministre. Le fait que ce ne soit pas le cas de la Miviludes est assez problématique : la menace de poursuites - voire de condamnations - peut constituer un frein à son action et peut mettre en cause son existence même et l'intérêt qu'elle peut représenter. Cette problématique a été prise en compte par l'Assemblée nationale et le Sénat, qui ont voté un texte en ce sens, malheureusement considéré comme un cavalier et retoqué par le Conseil constitutionnel. Il faudrait peut-être à nouveau y réfléchir...

Je ne vois pas d'autres dispositifs législatifs aujourd'hui capables d'améliorer la situation. Certaines actions plus concrètes ne relèvent pas forcément de la loi. A l'époque - et vous pourriez peut-être le reprendre à votre compte - notre commission d'enquête avait suggéré de rendre obligatoire un contrôle médical annuel effectué par la médecine scolaire pour les enfants de plus de six ans soit instruits dans leur famille, soit scolarisés dans des établissements hors contrat. Nous avions également préconisé d'unifier les régimes de sanctions des parents refusant de vacciner leurs enfants. Nous avions par ailleurs demandé - et c'est un des points qui n'a pas encore reçu de réponse de la mission interministérielle - d'améliorer la prise en charge des personnes sortant de sectes et de les accompagner sur le plan de la santé mentale. Cela relève uniquement des initiatives privées. Certaines personnes qui sortent des sectes sont totalement dépourvues de couverture médicale. J'en ai rencontré qui ont passé vingt ans dans une structure en donnant tous leurs revenus. Elles n'ont même plus de couverture médicale et ne bénéficient plus d'accompagnement. C'est une réflexion que nous pouvons porter : comment aider les associations à mieux se structurer pour prendre en charge ces personnes sortantes ?

Voilà quelques réflexions que je souhaitais soumettre à votre commission...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Avez-vous connu des difficultés dans votre fonction de président de la Miviludes et subi des pressions ?

M. Georges Fenech . - Je n'ai pas pour habitude de me plaindre. Par ailleurs, quand on est magistrat, on est déjà dans cette problématique et on est souvent confronté à beaucoup de critiques. Lorsqu'on exerce des fonctions comme celles-ci, on est forcément exposé de différentes manières. Je ne compte ainsi plus le nombre de procédures dont j'ai fait l'objet ! On a beau se dire que c'est pour la bonne cause, il n'est pas toujours facile de comparaître devant un juge d'instruction, d'aller devant le tribunal correctionnel, de décliner son identité, son casier judiciaire, d'être attrait devant la Cour d'appel, d'aller devant la Cour de cassation ou jusque devant le Conseil d'Etat. Je totalise environ une trentaine de plaintes et de procédures en tous genres. Il se trouve que j'ai toujours gagné mais je devais sans doute avoir de bons avocats ! De ce point de vue, ce qui a été fait pour la protection des témoins des commissions d'enquête était nécessaire...

Avec Internet et les réseaux sociaux, on en prend également plein la figure. C'est le risque : on est sur la sellette ! Ce que je dis est également valable pour les associations et les parlementaires qui s'expriment, même s'ils sont peu nombreux. Certains ont été condamnés à de fortes peines d'amende. Il existe un certain nombre de formes de pressions. Pour répondre directement à votre question, je n'ai jamais ressenti la moindre menace physique mais les dénigrements, les tentatives de discrédit, les attaques permanentes sur Internet, les plaintes, les procès tout cela fait malheureusement partie des aléas de notre fonction. C'est pourquoi j'insiste beaucoup sur la protection du rapport au Premier ministre. Il n'est pas question de réclamer une immunité générale mais de faire en sorte que le rapport remis annuellement au Premier ministre bénéficie de cette protection. Cela me paraît essentiel !

M. Alain Milon , président . - La parole est aux commissaires...

M. Gérard Roche . - Je suis sénateur de Haute-Loire. J'aimerais obtenir un conseil de votre part étant donné votre grande expérience mais aussi en tant que citoyen...

Quelle attitude adopter lorsqu'une structure manifestement déviante en matière de psychothérapie, agissant sous couvert d'une haute autorité religieuse, peut constituer la porte ouverte à des comportements sectaires - sans qu'on en soit sûr pour autant ?

Mme Catherine Deroche . - Je suis sénatrice de Maine et Loire. La semaine dernière, un article paru dans la presse locale a fait référence aux accusations portées par le magazine « Sciences et Avenir » sur la faculté de médecine d'Angers, qui dispenserait aux étudiants de première année, dans le cadre des cours de sciences humaines, un enseignement utilisant un manuel dans lequel il est fait la part belle au chamanisme.

La doyenne de la faculté de médecine, le président de l'université et le philosophe professeur de sciences humaines s'en défendent en expliquant que cet ouvrage confronte la médecine rationnelle et les médecines magiques. Je n'en sais pas plus du dossier que ce que j'en ai lu. Au regard de votre expérience, que pensez-vous de ce type d'enseignement en faculté de médecine ?

Mme Muguette Dini . - Vous avez évoqué des diplômes délivrés par les universités sur des médecines dites « parallèles ». Qu'en est-il exactement ? Des universités délivrent-elles réellement des diplômes de médecines parallèles ?

En second lieu, pouvez-vous revenir sur l'encadrement du titre de psychothérapeute ?

Troisièmement, vous avez évoqué le groupe d'appui technique du ministère qui devrait être chargé de l'évaluation des pratiques non conventionnelles. Pourquoi n'a-t-il pas procédé à davantage de contrôles ?

Quatrièmement, vous avez parlé de la protection du rapport de la Miviludes. Avez-vous l'intention de déposer une proposition de loi ?

Enfin, quelle est l'action du lobbying des organismes à dérives sectaires, en particulier sur le Parlement ?

M. Stéphane Mazars . - Concernant le traitement judiciaire de ces dossiers de dérives sectaires, vous avez rappelé notre arsenal juridique et indiqué qu'il était très difficile, sur le terrain, de bien discerner la pratique répréhensible du charlatanisme. Vous avez évoqué ce service d'enquêtes spécialisé, la Caimades, qui intervient sur les gros dossiers mais pas au quotidien sur l'ensemble du territoire national.

Ne pensez-vous pas que dans nombre d'affaires, par manque d'acuité, de formations, de connaissances et de moyens, on se contente de poursuivre un délit assez léger, celui de la pratique illégale de la médecine ou de la profession de kinésithérapeute ou d'infirmier alors que, si l'on poussait plus loin les investigations, on aurait souvent des portes d'entrée sur des délits plus lourds ?

M. Georges Fenech . - Je ne connais pas le dossier de la faculté de médecine d'Angers mais je puis toutefois répondre de manière générale.

Il existe bien entendu des facultés libres, des universités libres - à Paris notamment - qui forment des centaines d'étudiants qui s'inscrivent sans prérequis. Tout le monde peut devenir éducateur de santé au bout d'un an ou deux de formation. Un diplôme vous est délivré au terme d'une formation qui coûte au minimum 4 000 euros. Des centaines d'élèves s'inscrivent sans aucune condition et se retrouvent, un ou deux ans plus tard, éducateur de santé et ouvrent aussitôt un cabinet d'éducateur de santé. Tout cela existe à Paris mais aussi en province.

Il serait important d'interroger les ministères de l'éducation et de l'enseignement supérieur et de la recherche sur une meilleure protection du titre d'université ou de faculté, qui peut abuser les élèves mal informés. C'est un fait constaté et qui figure dans nos rapports successifs depuis quelques années.

Pour ce qui est du titre de psychothérapeute, M. Accoyer avait, en 2004, déposé un amendement voté à la quasi unanimité lors de la discussion de la loi relative à la politique de santé publique. Cette disposition pour encadrer le titre de psychothérapeute n'avait pas reçu de décret d'application, du fait d'un lobbying extrêmement puissant. La question avait été posée au Gouvernement sans qu'une solution soit néanmoins trouvée. En définitive, cet amendement a été réécrit et voté dans le cadre de la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » (HPST), sous le ministère de Mme Bachelot.

Aujourd'hui, il existe une protection juridique du titre de psychothérapeute. Sont dispensés de formation les médecins et les psychiatres. Ceux qui n'ont pas de diplôme de médecine doivent suivre une formation d'environ 400 heures mise en oeuvre par l'Agence régionale de santé (ARS), qui délivre ensuite une autorisation du titre de psychothérapeute. Mais cela ne règle pas le problème : ce qu'il faudrait protéger, ce n'est pas le titre de psychothérapeute - on peut très bien s'appeler ensuite « naturopathe » ou « psychopraticien » ou trouver des titres voisins - mais la discipline de la psychothérapie. Il conviendrait que le législateur s'interroge sur l'exercice même de la psychothérapie.

Beaucoup de nos concitoyens - et c'est normal - vont voir aujourd'hui des psychothérapeutes. On estime à environ trois millions le nombre de Français qui suivent une psychothérapie. Au total, avec les familles, ce sont douze millions de personnes qui sont concernées. Sur tous ces psychothérapeutes, combien n'ont aucune compétence ou sont de véritables charlatans ? La Fédération professionnelle des psychothérapeutes elle-même réclame un meilleur contrôle et une meilleure discipline ! Je n'ai pas réfléchi à la question mais on pourrait se demander s'il ne serait pas opportun de créer une sorte de Conseil de l'ordre... On l'a fait il est vrai avec les infirmières et cela a posé problème. Je n'ai pas de réponse toute faite mais il me paraît évident de protéger davantage la discipline que le titre de psychothérapeute, qui peut être contourné.

Pourquoi le GAT n'avance-t-il pas plus vite ? C'est au directeur général de la santé de répondre. J'ai eu des entretiens avec lui : il existe des difficultés pour éprouver scientifiquement ces PNCVT. C'est l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) qui est plus ou moins chargé des expertises. Comment expertiser la validité du reiki, la technique des constellations familiales, la fasciathérapie ou de l'une de ces 400 techniques ? C'est compliqué mais je pense qu'il faut avancer plus vite.

Par exemple, j'ai demandé une véritable analyse scientifique des substituts au sang. Les témoins de Jéhovah prétendent qu'il existe des substituts au sang. L'Académie de médecine nous dit qu'il ne s'agit pas d'un substitut intégral. Il faut donc que le GAT se prononce et en informe ceux qui ont besoin de savoir.

Je pense pour tout dire qu'il existe des blocages. Un professeur de médecine a d'ailleurs démissionné du GAT. Je pense qu'il faut aller plus loin, faire éventuellement tomber quelques tabous et aller au coeur des problèmes ; dans le cas contraire, cela ne sert à rien !

Le GAT est composé d'une trentaine de personnalités et d'institutions, dont la Miviludes. Il y a là un questionnement à avoir et des réponses à obtenir de la direction générale de la santé, qui a fait récemment des efforts - mais je crois qu'il faut aller plus vite compte tenu de l'urgence.

Pour ce qui est de la protection de la Miviludes, je pense en effet qu'il faut que le Parlement - ou le Gouvernement - se saisisse de la question. Il faut permettre aux responsables de la Miviludes de dire ce qu'ils ont à dire dans le cadre du rapport au Premier ministre. Ce sont leurs fonctions et obligation leur en est faite par décret.

En matière de traitement judiciaire, je crois qu'il est important de poursuivre et d'amplifier ce qui a déjà été entrepris, notamment en matière de formation des magistrats, en expliquant que la poursuite pour un simple délit ne suffit pas pour d'autres infractions, comme l'abus sexuel par exemple. Je puis vous dire que la formation des magistrats est très suivie. Chaque année, une centaine de magistrats s'inscrivent à cette formation qui dure trois jours. Nous avons également mis en place une formation pour les avocats qui en étaient demandeurs et créé un diplôme universitaire sur l'emprise mentale. Les choses avancent donc.

Je pense que le traitement judiciaire de ces affaires doit passer par une meilleure connaissance du phénomène, des lois spécifiques et un travail renforcé des cellules spécialisées.

Monsieur le Sénateur de Haute-Loire, je n'ai pas vraiment compris votre question...

M. Gérard Roche . - Nous sommes quelque peu inquiets dans mon département car une structure placée sous la plus haute autorité religieuse du département a récemment été dénoncée dans la presse. Un ouvrage intitulé Le livre noir de l'emprise psychospirituelle aborde d'ailleurs cette question.

Quelle conduite doit-on adopter, en tant que citoyen, pour ne pas être complice, sans toutefois verser dans la vindicte ?

M. Georges Fenech . - Il ne faut pas avoir d'état d'âme et dire les choses très clairement. Il existe des dérives sectaires issues des grandes religions classiques.

M. Gérard Roche . - Il s'agit d'un mouvement charismatique...

M. Georges Fenech . - J'ai souvenir d'avoir mené une mission sur le terrain, en me présentant à la communauté des Béatitudes...

M. Gérard Roche . - C'est la même chose...

M. Georges Fenech . - J'ai bien compris. Je me suis rendu au siège mondial des Béatitudes, à Blagnac, à côté de Toulouse, où j'ai pu m'entretenir avec le berger et le modérateur général, qui supervisent les communautés installées dans quelque trente pays dans le monde.

J'avais été alerté par des familles de victimes à propos de pratiques de soins psychospirituels dans lesquelles l'on invoque l'Esprit saint pour soigner des maladies. Personne n'a de jugement à émettre à propos de la ferveur ou de la prière, qui existent dans toutes les religions. Libre à chacun d'invoquer l'aide de Dieu pour l'aider dans sa propre souffrance ou sa propre maladie. Ce qui est particulier et certainement condamnable c'est qu'une institution, qui fonctionne avec ses propres médecins, soigne par l'invocation de l'Esprit saint dans des cérémonies très charismatiques qui vont conduire à des ruptures avec les soins conventionnels.

La Miviludes l'a écrit et dénoncé. L'église catholique a réagi par un mea culpa et a remis de l'ordre dans tout cela. Le Vatican a rappelé cette communauté à l'ordre. Elle a d'ailleurs revu ses statuts depuis. Je m'en suis également entretenu avec les différents évêques concernés, notamment celui de Toulouse.

On ne peut nier l'existence de ces dérives. Vous faites allusion au livre publié par le Centre contre les manipulations mentales (CCMM) concernant l'agapèthérapie : ce sont des pratiques porteuses de dangers et de dérives sectaires qu'il faut dénoncer. Nous l'avons fait ; il y a eu depuis une remise en ordre.

M. Alain Milon , président. - Merci.

Audition de Mme Catherine PICARD, présidente de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu victimes de sectes (Unadfi) (mardi 30 octobre 2012)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous accueillons maintenant Mme Catherine Picard, présidente de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu victimes de sectes (Unadfi).

Je rappelle à l'attention de ceux qui nous rejoindraient maintenant que, conformément aux souhaits de la commission d'enquête, notre réunion d'aujourd'hui est ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport ; son enregistrement vidéo sera diffusé sur le site du Sénat.

J'attire l'attention du public ici présent qui n'aurait pas assisté à la précédente audition qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

J'en viens à l'audition de Mme Catherine Picard.

C'est à un double titre que l'expérience de Mme Picard est très importante pour notre commission.

Tout d'abord, en tant que députée, Mme Picard a participé à la commission d'enquête de l'Assemblée nationale de 1999 sur « les sectes et l'argent ». Elle a présidé le Groupe d'études sur les sectes à l'Assemblée nationale jusqu'en 2002. Elle est enfin à l'origine, avec notre ancien collègue Nicolas About, de la loi du 12 juin 2001 dite loi « About-Picard » qui réprime l'« abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse ».

Depuis 2004, Mme Picard met cette expérience au profit de l'Unadfi, qui a pour objets l'information sur le phénomène sectaire ainsi que l'aide aux victimes et à leurs familles.

Mes chers collègues, je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à Mme Picard de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Madame Catherine Picard, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Mme Catherine Picard . - Je le jure.

M. Alain Milon , président . - Madame la présidente, à la suite de votre présentation introductive, mon collègue Jacques Mézard, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Madame la présidente, vous avez la parole...

Mme Catherine Picard, présidente de l'Unadfi . - Merci.

Je scinderai mon propos en trois grandes parties pour vous faire part de notre expertise sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé. J'ai choisi d'axer mon intervention sur la façon de travailler de l'Unadfi pour mettre en relation ce qui relève des caractères sectaires convenus par les différentes assemblées en leur temps et ces pratiques que l'on a toujours du mal à caractériser, voire à définir.

L'Unadfi est une association loi de 1901, créée en 1982, reconnue d'utilité publique en 1996. Elle est membre associé de l'Union nationale des associations familiales (Unaf) depuis 1989, agréée par le ministère de l'éducation nationale et par celui de la jeunesse et des sports, membre du Comité d'orientation de la Miviludes et de manière plus mineure, du groupe d'appui technique (GAT) au ministère de la santé.

La première Adfi a été créée en 1974 à Rennes. Aujourd'hui, I'Unadfi regroupe et coordonne vingt-neuf associations et dix-huit antennes sur l'ensemble du territoire métropolitain et outre-mer.

Le conseil d'administration m'a fait l'honneur de me nommer présidente en 2004, dans la perspective de me permettre d'avancer sur le travail entrepris à l'Assemblée nationale.

L'objet de I'Unadfi est le soutien aux personnes victimes de pratiques abusives, exercées par des organisations à caractère sectaire qui entraînent l'altération de l'intégrité physique, psychologique et sociale de la personne et portent atteinte aux droits de l'homme, à la dignité humaine et aux libertés individuelles.

L'Unadfi accueille, accompagne et aide à la réinsertion des victimes et reçoit aussi les familles pour les informer. Elle peut se porter partie civile comme le lui permet son statut d'association reconnue d'utilité publique.

Son objet comporte aussi l'étude des principes et méthodes des organisations à caractère sectaire, l'information, la sensibilisation auprès d'un large public et la prévention.

A ces fins, le service de documentation, composé de quatre salariés, collecte, traite et diffuse une information très spécialisée en France et dans le reste du monde. Cette information est assez prisée puisque l'Unadfi est à ce jour une des seules structures sur le territoire européen à disposer d'une telle documentation et d'un tel centre.

Une revue trimestrielle, le bulletin de liaison et d'étude des sectes (Bulles), offre des textes de fond et des témoignages et diffuse l'essentiel de l'actualité nationale et internationale sur le phénomène sectaire.

L'intervention de I'Unadfi dans le domaine de la santé n'est pas une nouveauté. Les approches de la maladie, du soin et de la guérison font partie des thèmes dominant les discours et la pratique de groupes à caractère sectaire et des mouvements guérisseurs depuis que l'on s'intéresse à ce phénomène.

L'attrait pour ces techniques, non éprouvées pour la plupart d'entre elles, est devenu un véritable phénomène de mode, conforté par celui des pratiques « New Age » reposant sur une conception « holistique », où tout est dans tout, hors de tout cadre, de tout système de références, ce qui permet d'entretenir toutes les confusions.

L'exploitation des peurs entretenues sur la médecine, le médicament, l'alimentation et les aléas climatiques contribue à ce climat de crainte qui pousse à trouver « autre chose », tant pour se soigner que pour se réconforter, au mépris des conséquences encourues et du respect des différentes législations et réglementations, comme le combat anti-vaccination pour les mineurs.

Ces pratiques sont présentées comme alternatives à celles de la médecine « scientifique », comme une rupture avec les soins traditionnels, une autre voie possible à la guérison, une nouvelle forme pour traiter le « mal ».

Ce « mal », ces maladies qui affectent l'homme tant physiquement que psychiquement, sont présentées comme les conséquences de tous les dérèglements que connaît la société - écologiques, économiques et sociaux. C'est pourquoi les remèdes pour pallier cet état de fait sont aussi foisonnants que divers et les adhésions aux mouvements qui les vendent de plus en plus nombreuses. On ne saurait ignorer la part de marché que représente ce secteur d'activité : vente de produits, de stages et cours de formation, de cures de purification...

Les maîtres à penser de ces « nouvelles » techniques, charlatans en puissance, s'enrichissent tout en jouant les apprentis sorciers avec la santé et parfois la vie d'autrui.

On pourrait juger paradoxal l'attrait de nos contemporains pour les soins qualifiés par les uns d'« alternatifs » et par d'autres de « parallèles » ou de « complémentaires » alors que la médecine ne cesse de réaliser des progrès.

Il est vrai que la notion de santé a beaucoup évolué au cours de ces dernières années. Cette évolution donne une place de plus en plus importante aux prestations visant au développement de la personne, de son bien-être, de son épanouissement.

La « bonne santé » n'est plus seulement déterminée par l'absence de maladie mais plutôt par « un état total de bien-être physique, social et mental de la personne ». Il ne s'agit plus uniquement de guérir les maladies mais aussi de les empêcher de survenir.

Des groupes ou individus dont la motivation est souvent purement mercantile s'appliquent à exercer leur emprise sur un public particulièrement vulnérable. Leur discours, souvent habillé d'un vocabulaire pseudo-scientifique, s'adresse certes en priorité aux personnes souffrant de maladies graves mais aussi à tous ceux qui voudraient tout simplement être mieux dans leur peau et obtenir plus de performances dans leur vie.

Afin de s'octroyer l'espace nécessaire à leur activité et à leur pouvoir, ces charlatans contestent à la médecine le monopole de la santé pour proposer des pratiques alimentées par des critères tout autres que la valeur scientifique et l'efficacité.

Les victimes sont celles de mouvements sectaires connus mais aussi celles de guérisseurs, d'escrocs, de charlatans et parfois de médecins et de personnels du monde paramédical pratiquant ces soins dits « alternatifs » ou « parallèles », voire « d'accompagnement », qu'il s'agisse de maux de nature somatique ou psychologique. La médecine d'accompagnement, éprouvée ou non, est confrontée à une recrudescence de ce type de pratiques dans l'hôpital public, pratiques qui ne sont pas toujours assez encadrées.

Confronté à des sujets tels que la souffrance, la peur de la mort ou l'inquiétude pour un proche, l'individu porte des interrogations pour lesquelles la science médicale admet de façon provisoire ses limites et n'a pas forcement de réponse immédiate. Influencé par sa culture, ses origines sociales et son rapport à la spiritualité, il développe sa propre interprétation des événements douloureux qui surviennent dans son existence.

C'est dans le nombre infini de ces interprétations et dans la vulnérabilité de la personne objet de soin que les escrocs de la santé puisent leurs ressources. Ne s'embarrassant ni de loyauté, ni d'éthique, ni de respect de la personne humaine, ils rentrent dans une logique économique de la loi de l'offre et de la demande et multiplient les prestations, constituant des réseaux de pseudo-praticiens qui entraînent le patient dans un parcours sans fin, cobaye des pratiques les plus aléatoires pour sa santé physique ou psychique.

Le propos n'est pas ici de remettre en question la liberté de croire en telle ou telle théorie ou de pratiquer telle ou telle méthode thérapeutique. Il est plutôt de faire appel à l'esprit critique de celles et ceux qui hésiteraient à utiliser l'une d'elles, ne serait-ce que par le questionnement. Peut-on guérir d'une leucémie uniquement par un travail psychologique ? Peut-on échapper réellement à la maladie en se nourrissant uniquement d'air et de lumière ? Peut-on vaincre une sclérose en plaques par une « déprogrammation biologique » ou par la simple imposition des mains ? Peut-on sérieusement « reprogrammer l'ADN » ? Le cancer se soigne-t-il exclusivement au jus de gui ou de citron ?

A considérer la publicité qui lui est faite, ce marché du soin et du bien-être semble pourtant afficher une remarquable santé. Si l'on ne peut contester que certaines soient anodines, les médecines « parallèles » deviennent dangereuses si elles prétendent être une alternative exclusive à la médecine éprouvée scientifiquement et se substituer à elle dans les cas d'affections graves comme le cancer, le Sida, l'anorexie, la leucémie, la dépression.

Ces revendications sont d'autant plus préoccupantes si l'on estime que 30 % à 50 % de la population fait régulièrement appel à ces méthodes. Dans une perspective de prévention, il paraît plus approprié, plutôt que d'essayer de définir si une technique s'avère efficace ou pas, de considérer si la méthode utilisée représente un danger, une perte de chance pour l'individu.

II est important de préciser la méthode de travail de l'Unadfi afin de ne pas caractériser à tort telle ou telle pratique ou méthode et d'expliquer pourquoi la santé est présente dans le dossier sectaire.

La méthode repose sur trois points : l'observation, le tri et le classement et l'application des critères qui fondent un mouvement à caractère sectaire.

La recherche quotidienne de documents constitue, avec les témoignages des victimes que nous recevons, des ressources extrêmement riches, des éléments d'observation qui nous permettent l'étude approfondie de ces organisations et de l'évolution du phénomène sectaire dans le domaine de la santé.

Devant la multitude d'informations disponibles, l'Unadfi établit une veille sur les groupes et sur les méthodes qui présenteraient un danger à caractère sectaire, dès lors :

- qu'elle a reçu plusieurs signalements et a régulièrement été interrogée sur une technique ou une méthode ;

- qu'elle observe qu'il est clairement question de soins ou de guérison dans la publicité faite par certains mouvements ;

- qu'elle a eu connaissance de décès, en France ou à l'étranger liés à la pratique ;

- qu'elle a noté qu'un ou plusieurs praticiens se sont rendus coupables d'exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie ;

- qu'elle a noté que le principe de la méthode ou son praticien encourage l'interruption du traitement allopathique en cours, entraînant une perte de chance ;

- qu'elle a constaté que la méthode est déviée de son application première ;

- qu'elle a pris en compte le scepticisme de la communauté scientifique et doute sur la méthode ;

- qu'elle a pris en compte des articles de presse la mettant en cause.

A la suite de ces informations, nous avons différencié les cas de figure et opéré un classement.

Les pratiques et méthodes « déviantes » qui sont directement liées à un groupe sectaire ou à une mouvance sectaire réparties en cinq grandes familles :

- les pratiques utilisées par les groupes à caractère sectaire imposées par leur dogme, comme l'interdiction de transfusion, de vaccination ;

- les méthodes de rééquilibrage des énergies inspirées par les croyances orientales et occidentalisées, comme le respirianisme, la méditation, etc. ;

- les pseudo-thérapies et les méthodes psychologisantes où toutes les maladies sans exception trouvent une explication dans l'analyse psychologique, voire généalogique ;

- les méthodes psychocorporelles par manipulation et imposition des mains ;

- les méthodes issues des courants hygiéniste, bio, retour au naturel, dont la radicalisation peut générer des dérives ;

- les méthodes psychospirituelles, dans lesquelles une intervention divine ou une force irrationnelle entrerait dans le processus de guérison avec imposition des mains, méditation, prières.

Certaines méthodes n'entrent dans aucune catégorie, soit parce que leur fantaisie, loin de révéler leur efficacité, ne renseigne que sur le côté créatif de son inventeur, soit parce qu'elles sont d'une telle complexité qu'elles peuvent entrer dans la plupart des familles que je viens de citer.

Il existe également des cas de dérives sectaires pour lesquelles les méthodes utilisées ne sont pas à proprement parler déviantes mais qui le deviennent lorsqu'elles sont pratiquées par des personnes malveillantes et peu scrupuleuses ou lorsqu'elles sont détournées de leur application première.

Nous dénombrerons trois familles pour ce cas de figure :

- les pseudo-thérapeutes et thérapeutes autoproclamés ;

- les pratiques de développement personnel ou de bien-être auxquelles on prête des vertus thérapeutiques, soins et guérison ;

- la préconisation de produits naturels, organiques ou chimiques auxquels on prête des vertus thérapeutiques mais qui n'ont jamais fait l'objet d'un protocole de recherche et dont l'efficacité n'a jamais été démontrée. On y trouve aussi les produits stupéfiants tels l'iboga et l'ayahuasca, censés résoudre la dépendance alcoolique et toxicomaniaque ;

- le coaching de santé sous toutes ses formes mais de manière moindre.

Dans ces deux premiers points, les pratiques ont en commun :

- le rejet de la science ou de la médecine et une rhétorique quasi paranoïaque vis-à-vis de la sphère scientifique, officielle, allopathe, immanquablement « complotiste » ;

- une tradition basée sur l'héritage d'un seul maître, qui implique parfois un culte passéiste ;

- un naturalisme exposé sous forme de retour vers la nature, forcément plus sain, plus proche des « origines » ;

- un jargon consacré, fait de termes scientifiques parfois dévoyés, parfois mal compris et de termes exotiques empruntés aux philosophies orientales ;

-  un système de formation très rapide, onéreux et auto-prescriptif ;

- un recours à des notions simples et intuitives, relevant souvent de la pensée magique.

Mais elles ont surtout de commun qu'elles sont le fruit de créations spontanées d'un praticien inspiré, inconnues de la communauté scientifique. Celui-ci va se former à une et le plus souvent à plusieurs méthodes afin de créer la sienne. C'est ainsi que son curriculum évolue très vite.

Il existe enfin des professionnels de santé diplômés imbus de pouvoir qui mettent leurs patients sous emprise, les coupent de leur environnement, leur demandent des sommes exorbitantes, se rendant coupables d'un comportement sectaire.

Pour ce dernier cas de figure, l'Unadfi n'est que l'intermédiaire entre les plaignants et les conseils de l'ordre concernés.

Pour les professions qui ne sont pas représentées par un Conseil de l'ordre, nous pouvons assister la personne à des fins juridiques.

Les méthodes ainsi pointées sont aussi qualifiées de pratiques à risque sectaire dès lors qu'elles répondent à plusieurs des critères d'identification établis dans le cadre de commissions d'enquête parlementaire dédiées au phénomène sectaire (1995, 1999, 2006) et des études consacrées à ce thème.

Le diagnostic de dérive sectaire ne peut émerger que d'une conjonction significative de ces différents facteurs. Nous retenons pour critère ceux publiés dans La dérive sectaire , édité aux Presses universitaires de France (PUF) par Anne Fournier et Michel Monroy, psychiatre.

Nous pouvons les adapter aux groupes ou individus qui dirigent un mouvement ou prônent de telles doctrines par le développement d'une idéologie alternative radicale, exclusive et intolérante.

Nous avons appliqué ces critères à la Scientologie et à son « Comité de défense de la psychiatrie » qui propose une alternative à la psychiatrie excluant tous ses fondements. Pour asseoir ses théories, elle utilise toutes les failles du système existant.

Autre exemple : la structure autoritaire et autocratique, sous la responsabilité d'un gourou vivant ou d'une organisation héritière d'un message, comme la Nouvelle médecine germanique du docteur Hamer et son réseau, qui constitue une organisation héritière d'un message avec le décodage biologique, le décodage biopsychogénéalogique, la cyclologie, la bioanalogie, la métakinébiologie, à la base de ses travaux et issue du même fondateur.

Au-delà de ces dix critères, on peut aussi retenir le critère de la nocivité ou de l'extrême dangerosité par la conjonction de trois caractéristiques : la manipulation mentale, une triple destruction : celle de la personne, celle de la famille et celle de la société, avec à la base une triple escroquerie.

La première consiste en une escroquerie intellectuelle : l'adepte est littéralement trompé sur la qualité de la marchandise qu'il venait chercher. Dans le domaine de la santé, c'est très fréquent. Il y a vulnérabilité, recherche d'une solution et proposition malfaisante répondant à une demande légitime. Le message séducteur de la secte se révèle réducteur et destructeur. La seconde escroquerie est morale : si elle n'est pas générale dans toutes les sectes, de nombreux adeptes ont été ou sont victimes d'abus en tous genres. Enfin, la dernière escroquerie est financière : par leurs manoeuvres frauduleuses, les sectes parviennent à constituer de véritables empires financiers.

J'en arrive à ma conclusion. Comme vous l'aurez remarqué au fil des auditions, le sujet est vaste et complexe ; il génère des questions, des remises en question quant à l'offre de soins mais aussi quant à la fragilité de certaines personnes abusées par des propositions charlatanesques.

Le contexte politique et social est porteur pour ces promesses illusoires et magiques. Là où la puissance publique recule ou s'absente, il y a une béance naturelle pour l'installation de tous mouvements portés par l'exercice fou du pouvoir et de la manipulation.

L'acte de prévention ne suffit pas à les repousser. L'action conjointe des pouvoirs publics et des acteurs de santé peut seule résoudre ce phénomène de société qui nuit gravement à l'intégrité physique et morale de nos concitoyens.

Pour compléter ce propos, I'Unadfi remettra sous quinzaine à la commission d'enquête un document complet présentant un descriptif de deux cents cas.

Je vous remercie.

M. Alain Milon , président . - La parole est au rapporteur...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Merci pour la clarté de votre exposé.

Votre association a un rôle de prévention. Comment favoriser son action ? L'Unadfi a par ailleurs un rôle d'aide aux victimes. Comment est-elle saisie ? Que fait-elle lorsqu'une famille la saisit de ses difficultés ? Quels sont ses moyens d'action ?

Pouvez-vous nous décrire les cas les plus révélateurs des dangers de ces dérives pour la santé physique, voire mentale, de nos concitoyens ? Que faites-vous pour venir en aide aux victimes et les « réinsérer » dans la société - lorsqu'elles sont encore de ce monde ?

Mme Catherine Picard . - Depuis 1995, il existe dans les différents ministères une continuité du travail sur la question sectaire. On s'est occupé des enfants, ce qui est une préoccupation majeure pour leur devenir et leur insertion dans la vie. On s'est également occupé du patrimoine des mouvements sectaires. Aujourd'hui, la difficulté que nous rencontrons provient de la parcellisation de ces pratiques.

Les grands mouvements ont fort bien compris que l'air du temps n'était plus à l'adhésion spontanée et massive. Chacun d'entre eux s'est donc créé des parts de marché dans le domaine de la santé mais aussi de la formation ou du bien-être. Ces propositions reposent sur une multitude d'associations qui ont, comme l'a démontré la Miviludes dans son rapport de 2011, un lien entre elles et permettent de travailler sur l'individu, de faire ressortir des besoins réels ou imaginaires, de fidéliser les personnes et de les présenter à d'autres individus qui leur feront eux-mêmes miroiter les bienfaits d'une autre technique.

Ainsi, une jeune femme de trente-cinq ans, mère de trois enfants, avec un bon niveau d'étude, totalement insérée, dont le mari est chef d'entreprise, se sentant fatiguée, consulte un psychothérapeute choisi dans les pages jaunes de l'annuaire. Très vite la thérapie familiale se transforme en une thérapie individuelle et le mari est chassé de cette thérapie. On comprend très vite pourquoi : le pseudo-thérapeute prend une totale emprise sur la jeune femme et lui fait miroiter des dons particuliers de magnétiseuse lui permettant de s'occuper d'enfants spéciaux appelés les enfants « indigo », etc.

Très vite, la rupture s'opère au sein de la famille. Ne se serait-elle pas réalisée sans cette histoire ? Ce n'est pas notre propos d'en juger mais l'emprise exercée, la proposition massive de formations, de stages, le transfert de cette personne du thérapeute à un autre kinésiologue, qui l'envoie à une troisième personne s'occupant d'enfants indigo fait que l'espace mental et temporel de cette jeune femme devient exclusivement consacré à une recherche sans fin de ces techniques, avec l'idée qu'elle va devenir elle-même, après toutes ces formations onéreuses, une praticienne de la kinésiologie ou du suivi des enfants indigo. C'est en cela qu'il existe pour nous une difficulté : le champ s'est totalement ouvert à de multiples petits organismes qui font des propositions de formation, à tel point que les organismes paritaires collecteurs agréés (Opca) ont créé des comités d'éthique - fonds de gestion du congé individuel de formation (Fongecif), fonds d'assurance formation de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif (Unifaf) - afin de pouvoir sélectionner ce qui relève réellement d'une offre de formation professionnelle ou d'une offre sur laquelle on peut émettre des doutes. Toute la difficulté est de pouvoir évacuer telle ou telle technique en l'expliquant et en la motivant.

En matière de prévention, il s'agit donc d'une sorte de course-poursuite. C'est pourquoi je me suis arrêtée au cadre général, qui permet de restituer l'air du temps. Les techniques « New Age » sont totalement à la mode et, en soi, ne sont pas répréhensibles mais sont très souvent porteuses de messages qui amènent à des ruptures, à un enfermement et parfois à l'arrêt de soins.

La prévention est relativement suivie par les pouvoirs publics depuis 1995. De changement de majorité en changement de majorité, je crois que nous n'avons pas trop perdu. Cependant, une forme de politique de déréglementation, l'accès à l'automédication, l'achat de médicaments sur Internet, la non-réglementation de certaines professions font qu'il existe toujours des secteurs qui permettent l'installation de ces pseudo-gourous.

La difficulté est grande en matière de prévention ; nous ne pouvons pas avoir un listing complet de toutes les structures nouvelles ni de celles qui sont ensuite totalement marginalisées.

S'agissant de l'aide aux victimes, les associations de défense des familles et des individus (Adfi) sont souvent confrontées à trois types de personnes. Il y a celles qui ont pris des contacts avec un groupe de soutien sur l'alcoolisme ou avec une psychothérapeute qui travaille sur l'anorexie et qui, très vite, s'aperçoivent qu'il existe une relation peu saine ou qui n'est pas telle qu'ils l'imaginaient. Ces personnes-là arrêtent assez rapidement, considèrent qu'elles ont été l'objet d'une escroquerie, passent leur chemin et se reconstruisent, étant certainement moins vulnérables ou fragilisées que d'autres.

Le second type de victimes sont celles qui ont pratiqué certaines techniques - comme le reiki - et qui pensent que l'imposition des mains a ses limites. Elles veulent témoigner et dire leur expérience. Elles ne demandent pas plus et apportent un témoignage que nous souhaitons écrit et non anonyme. Parmi les deux cents cas qui vous seront communiqués, il existe une traçabilité des témoins.

L'intégrité physique et psychique de certaines personnes a été touchée ; elles sont encore assez proches des croyances auxquelles elles ont adhéré et arrivent mal à faire le distinguo entre ce qui les a gênées et ce à quoi elles ont cru. Il s'agit plutôt de dérives qui interviennent face à une forte demande de nature spirituelle et philosophique. Lorsqu'on en arrive à des viols - dont certains sur mineurs - il y a tout un travail de reconstruction très important à réaliser pour permettre à la victime de sortir de ses contradictions.

Ces victimes, très souvent, ne peuvent obtenir réparation, les délais de prescription étant dépassés. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu'il faut revoir les délais de prescription. Toute l'économie des codes divers en serait en effet altérée. Ce n'est pas la meilleure solution pour régler le problème. Ces victimes ont cependant besoin d'un accompagnement et d'une reconstruction qui les aide à trier ce qui a été positif dans cet engagement et ce qui leur a nui gravement.

Le quatrième cas est malheureusement celui des victimes pour lesquelles l'Unadfi est partie civile. Il s'agit souvent de la famille, les personnes elles-mêmes étant décédées. C'est le cas de cet enfant de seize mois, mort de faim à la suite d'un régime végétalien, qui pesait quatre kilos et dont les parents étaient professeurs de kinésiologie.

Je ne fais pas ici le lien entre végétalisme et kinésiologie mais je relève simplement que ces gens étaient professeurs de kinésiologie et pratiquaient - comme beaucoup de ces nouveaux pseudo-praticiens - des régimes très stricts, souvent très carencés. Cette conception du cadre de vie et de l'éducation, pour nous, constitue une perte de chances pour ceux qui la subissent, particulièrement les mineurs. On ne peut penser que le refus de la transfusion sanguine soit un gain pour un individu, sachant que les structures qui la pratiquent se gardent bien de préciser les risques potentiels et retirent souvent les personnes des établissements publics pour les emmener soit dans d'autres pays, soit dans des établissements plus complaisants qui vont les aider à mourir d'une leucémie sans jamais être transfusées !

Cette aide aux victimes est donc extrêmement diverse...

Quant aux moyens d'action, si l'Unadfi a pris le parti d'expliquer en quoi la santé est très importante dans les organisations à caractère sectaire, c'est que les moyens d'action sont assez limités dans les faits. L'accueil de la victime est important et impose un suivi professionnel afin de redonner à une victime son sens critique et surtout son autonomie de choix - ester en justice, contacter un psychologue... Nous sommes très prudents dans ce dernier cas, les expériences passées n'encourageant pas toujours les personnes à aller en ce sens. Nous nous gardons bien de conseiller qui que ce soit, sauf quelques spécialistes que vous rencontrerez certainement, qui sont des aides précieuses.

En cas de lien direct avec un charlatan ou un médecin dont on pense qu'il exerce illégalement la médecine, l'Unadfi, faisant partie d'un grand nombre de groupes de travail regroupant les pouvoirs publics, peut comme tout citoyen saisir le procureur de la République. Concernant plus particulièrement les mineurs, les Adfi font des signalements directs auprès du procureur de la République ou se rapprochent du conseiller de l'Ordre des médecins quand il y en a un et qu'il est instruit du phénomène sectaire. Beaucoup de progrès sont enregistrés, particulièrement avec les kinésithérapeutes, qui ont très vite compris le danger de la fasciathérapie ou de la kinésiologie, pratiquées parfois par les leurs mais dans un cadre où l'on peut penser que le niveau d'études n'est pas réduit à une centaine d'heures bradées dans un institut fantaisiste autoproclamé !

Nos moyens d'actions sont limités à la capacité d'action d'une association. Les relais sont les relais publics classiques.

Dans le domaine de la santé, la réinsertion est peut-être le sujet le moins prégnant. Un groupe de travail a été mis en place en juin, à l'initiative de la mission interministérielle. Nous sommes convenus que ce qui existait suffisait à notre activité.

Par exemple, un jeune homme sortant à dix-huit ans d'une communauté sectaire du Sud de la France, totalement analphabète mais ayant quelques compétences dans le montage de panneaux solaires, fuyant ce mouvement et essayant de prendre son autonomie, s'est présenté à la mission locale d'Aubagne. L'association a été contactée et a accompagné la mission locale pour tenter une explication et faire en sorte que la lumière se fasse dans ce cas spécifique, la victime sectaire étant une personne relativement spécifique qui va mettre un temps très long avant d'avoir une réaction lui permettant de rompre avec son ancienne existence - si tant est qu'elle rompe définitivement.

Une jeune fille ayant vécu au château de Montramet - siège de l'instinctothérapie, dont le dirigeant a été condamné et a purgé une peine de prison - nous a indiqué, le mouvement étant alors presque éteint, qu'elle avait durant quinze ans su que des actes de pédophilie s'exerçaient dans ce château - ce pour quoi le dirigeant a été condamné. Sans en avoir été témoin, elle était totalement démunie parce qu'elle ne savait comment se procurer, si elle sortait de la communauté, les fruits et les légumes exploités de l'autre côté de la terre, dans le « climat énergétique, tellurique et ascensionné », qui donnait à ces aliments l'énergie nécessaire à sa subsistance.

C'est en cela que la victime est très paradoxale : elle peut rompre avec certaines pratiques mais a parfois des difficultés à rompre avec un parcours ayant duré un certain temps.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Ces dernières années, Internet a favorisé le développement de ces dérives. Je pense à un site dénommé « Le cancer », destiné à créer la confusion avec le site « e.cancer » de l'Institut national du cancer (Inca).

Que pensez-vous qu'il serait bon de faire pour améliorer la situation ? Vous connaissez et partagez notre attachement à la liberté d'expression : cela pose aujourd'hui un réel problème car il s'agit d'un moyen privilégié pour faire en sorte que des victimes potentielles deviennent de vraies victimes.

Mme Catherine Picard . - L'outil Internet est formidable mais son utilisation peut en effet être détournée. Dans le cadre de la dérive sectaire - et particulièrement en matière de santé - c'est une force de propositions. La parcellisation des groupes et des petites associations donne déjà à tout-va ; les propositions directes sur Internet confèrent à celui qui l'utilise le sentiment de trouver la bonne information sans avoir besoin de la vérifier, toutes informations étant classées en arborescence ce qui permet d'y accéder très vite.

Les mouvements sectaires s'en servent de manière directe grâce à des pages de publicité proposant la dianétique ou les produits relatifs à la médecine quantique, qui est une nouveauté, ainsi que toutes sortes de stages et de formations. L'accès est ouvert à tout le monde.

Les mouvements sectaires utilisent également Internet à travers les forums. Aujourd'hui, des consignes sont données, nous le savons grâce à d'anciens dirigeants et au suivi très attentif que nous pratiquons par une veille quotidienne. Certains dirigeants demandent à leur cercle le plus proche d'encombrer tous les forums dès qu'apparaît la moindre objection à telle technique ou tel produit. Il n'y a plus de ce fait d'autorisation à pouvoir douter ; très vite, on voit s'abattre sur les forums le témoignage d'Untel qui a pratiqué telle technique et qui en est très content, d'Untel qui est allé en Belgique, d'un dernier autre qui est allé en Suisse. D'autres indications sont données sur d'autres techniques et la notion de réseau reprend sous cette forme.

Les mouvements sectaires se servent d'Internet comme d'un moyen coercitif : le rappel à l'ordre de ceux qui, dans un groupe, voudraient s'éloigner de la pratique, se fait par la mise en place de peurs, d'un sentiment de culpabilité et surtout de déloyauté par rapport au mouvement. La pression est généralement telle que la personne peut très vite rentrer dans le rang et mettre en doute son propre raisonnement et sa propre aptitude à déceler ce qui va et ce qui ne va pas. Internet joue aussi un rôle dans l'envoi des messages et des propositions, grâce à sa capacité à rassembler des groupes pour une séance de remise en forme de la pensée.

Les propositions de produits rejoignent l'aspect mercantile : un grand nombre de mouvements ont mis en place de mini-industries qui fabriquent des produits ou possèdent des maisons d'édition. On retrouve cette marchandise sur Internet et dans tous les salons du bien-être, qui ne sont pas composés uniquement de gens malveillants à caractère sectaire mais où l'on peut faire des courses très intéressantes...

Bugarach est un village isolé et difficile d'accès qui compte deux cents habitants. On trouve dans les villes voisines les plus proches tout un réseau parallèle, avec des librairies qui, par l'intermédiaire d'Internet, font la promotion d'un certain nombre d'articles. Les lieux sont souvent dissociés des activités. C'est là qu'Internet joue tout son rôle d'appel...

On a compté, rien qu'aux Etats-Unis, trois millions de connexions Internet autour de l'Apocalypse. Ce n'est pas forcément un critère mais l'on voit bien que le sujet agite également un peu la France en cette fin d'automne...

Je ne sais ce qu'il faut faire, monsieur le rapporteur, dans la mesure où Internet demeure Internet, qu'il s'agisse de sectes, de pédophilie, etc. L'appel à la raison n'est pas une réponse - cela se saurait ! Il faut faire de la prévention auprès des jeunes qui se connectent à certains sites sur les anges ou les extraterrestres - ce qui me semble sain à un certain âge : des bandeaux publicitaires achetés par certains mouvements sectaires attirent en effet les internautes à visiter leur site. On est là dans le domaine de l'éducation. Pour ce qui est des adultes, je n'ai malheureusement pas de réponse performante...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Quand la date de l'Apocalypse sera passée, le problème ne sera pas réglé pour autant...

Mme Catherine Picard . - Il faut toujours faire un pari pascalien !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez parlé de médecine quantique. Pouvez-vous nous donner quelques indications sur les pratiques qui vous semblent les plus dangereuses pour la santé ?

Mme Catherine Picard . - Toutes les pratiques qui font référence à une pensée magique me paraissent être dans ce cas. Elles entraînent rapidement les personnes dans un imaginaire coupé de la réalité. Il en va de même de toutes les pratiques centrées sur les énergies. On peut y croire ou non - ce n'est pas mon propos - mais les différents cas nous enseignent que ces outils, placés dans les mains de personnes mal intentionnées, peuvent déraper très rapidement. On a vu nombre de séances de circulation d'énergie tourner à l'abus sexuel.

Toutes ces pratiques ne reposent sur aucun cadre déontologique, sur aucun protocole, sur aucune méthodologie. On ne fixe pas de terme dans le temps, ni de prix d'ailleurs. On ne fixe rien, tout étant dans tout et devant s'arranger au fur et à mesure.

Les pratiques qui font absorber des produits dont on ne connaît pas la composition sont également suspectes. Les « fioles d'eau croupie », comme nous le disons de façon caustique - eau sucrée, eau contenant de l'huile - ne devraient pas porter atteinte à la santé des personnes, si ce n'est du fait des conditions d'hygiène dans lesquelles elles ont été fabriquées, mais certains produits contiennent de la silice ou des ingrédients dont on ne maîtrise absolument pas les répercussions sur la santé.

Bien entendu, lorsqu'on commence à mettre ces produits en cause, les officines ferment et vont s'installer en Suisse, en Italie, assez peu en Allemagne ou en Belgique. Très souvent les Belges ont les produits et nous avons les médecins, comme dans le sport -ou l'inverse. Après dissolution, l'entreprise part s'installer dans un pays plus accueillant où les réglementations existent mais où la conception de la notion d'emprise et du caractère de vulnérabilité des victimes potentielles n'est pas prise en compte comme dans notre pays. C'est d'ailleurs bien ce qu'on nous reproche. Tout n'est pas forcément dangereux mais nous nous devons néanmoins de réaliser un acte préventif. A part la Belgique, qui a également connu nombre de décès par cancer suite à des pratiques fantaisistes, très peu de pays européens sont aussi avancés que la France dans la réflexion générale sur le phénomène sectaire dans le domaine de la santé.

D'autres techniques, comme la purification, recourent à des cures de sudation en sauna qui, chez les adeptes de la Scientologie, peuvent durer cinq heures, avec absorption de vitamines. La condamnation en appel pour exercice illégal de la pharmacie ayant été prononcée, il n'y a pas de doute à ce sujet. Certaines pratiques poussent les personnes dans leurs dernières extrémités, sans aucun contrôle médical préalable. Si tel était le cas, on ne rencontrerait pas de tels agissements !

La purification peut également se dérouler dans des yourtes. Certaines techniques concernent la grossesse et les différents modes d'accouchement. Nous sommes extrêmement prudents, chaque femme ayant le choix d'accoucher où elle veut. Il existe cependant des praticiennes appelées « doulas » qui s'installent dans une famille au motif qu'elles ont une expérience personnelle. Or, celle-ci n'est pas forcément applicable à toutes les autres mères. Nous rapprochons ce phénomène de celui d'une forme d'emprise. Grâce à leur aide, à leurs conseils, à leur accompagnement, ces « doulas » prennent peu à peu une place si importante dans la famille que la femme enceinte, vulnérable au sens pénal du terme, n'a plus la capacité de choisir elle-même les soins qu'elle veut ou son mode d'accouchement, la « doula » étant la personne sachante qui dirige tout ! Des décès de bébés ont ainsi été déplorés à Montpellier, suite à des accouchements pratiqués par ces personnes.

Il existe également une réglementation pour les massages. Le Conseil d'Etat a établi un arrêt très clair à la suite de la demande de l'Ordre des kinésithérapeutes. Beaucoup de « praticiens » se lancent dans le massage des crânes de bébés et les massages de bébés en tous genres, sans aucune légitimité ni formation. Tout cela se fait par le biais d'associations qui attirent les futures mamans en revendiquant une vie plus naturelle. Je ne sais plus comment qualifier ce genre de propositions, tant elles sont en elles-mêmes peu significatives : « Venez chez nous, nous nous réunissons entre mamans ; nous allons vous proposer quelque chose de naturel », sous-entendant que la médecine conventionnelle et les thérapies classiques sont négatives. « Vous êtes victime du médicament, des médecins. Il existe d'autres propositions qui entrent dans le cadre de notre philosophie de la vie. Nous pouvons vous les proposer ». Dès lors, l'enchaînement est le même que celui précédemment cité.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous faites l'objet d'un certain nombre d'attaques. Quelles réactions vous inspirent-elles ?

Mme Catherine Picard . - Le nerf de la guerre étant l'argent, les grandes organisations, dont le chiffre d'affaires se monte à plusieurs milliards d'euros, ont depuis longtemps compris que les procédures judiciaires sont ce qui nous coûte le plus cher et peut, à terme, altérer le fonctionnent de l'association. Par ailleurs, je tiens à dire qu'en cinq ans, l'Unadfi a perdu 300 000 euros de subventions et a été obligée de licencier, ce qui altère sa capacité à réagir et à être inventive - mais c'est un autre débat.

Ces attaques revêtent aujourd'hui différentes formes, comme des procédures en diffamation contre des écrits figurant sur le site ou contre des témoignages paraissant dans la revue ou des demandes de droits de réponse, que nous ne pouvons refuser. J'ai déjà tenté l'opération : cela ne fonctionne pas. C'est une très bonne chose qu'on ne puisse détourner la loi mais si notre revue commence à publier plus de droits de réponse que d'articles, cela pose le problème de sa pertinence. Elle est très ciblée, parle des mouvements à caractère sectaire, publie des témoignages de gens qui acceptent courageusement de rendre compte d'une expérience souvent douloureuse. Pour le reste, il n'y a pas d'attaques autres que cette forme d'intimidation, qui passe par un affaiblissement budgétaire.

M. Alain Milon , président . - La parole est aux commissaires...

Mme Catherine Génisson . - Vous avez indiqué une importante pénétration de l'hôpital public. J'aimerais avoir plus d'information à ce sujet...

Par ailleurs, comment la prévention peut-elle s'exercer à un niveau plus large ?

Enfin, vous avez indiqué que la réinsertion n'était pas un sujet prégnant alors même que vous décrivez des victimes très fragiles, qui ont des difficultés à se détacher de leur situation...

Mme Catherine Picard . - Merci de me permettre de préciser mon point de vue sur la réinsertion. Je parle ici de réinsertion sociale : retour au travail, dans un logement, récupération de ses droits à sécurité sociale, etc.

Aujourd'hui, beaucoup moins d'adeptes sortent de mouvements fermés, comme dans la secte Moon où, vivant à l'étranger, ils étaient coupés des réalités françaises.

Aujourd'hui, les adeptes de la secte Moon sont pour beaucoup des adeptes de la troisième génération. Chez certains membres fondateurs d'Adfi, à Lyon, le fils, les petits-enfants et les arrières petits-enfants vivent toujours au sein du mouvement sectaire. Ces gens étaient coupés de la réalité et de leurs droits parce qu'ils étaient envoyés en Corée ou en Australie, à des fins de prosélytisme. A leur retour, le vide était total.

Le second type de réinsertion est d'ordre psychologique : la réinsertion des personnes qui, pendant cinq à six ans, ont été sous l'influence totale et le contrôle d'une personne qui a guidé leur choix de vie, leur sexualité, leur alimentation, leurs soins, ne peut être confiée qu'à des professionnels. Encore faut-il que la personne le désire et en exprime le souhait. Pousser vers cette solution ne relève pas de la responsabilité d'une association si la personne ne le conçoit pas. C'est un travail très délicat qui n'est pas toujours pertinent. Très souvent, l'encadrement de bénévoles, la remise à plat du vocabulaire et d'un certain nombre de réalités suffisent et permettent d'aider ces personnes, qui s'intègrent peu à peu. Autant de victimes, autant de situations particulières.

Il est toujours possible pour les associations de bénéficier d'un relais local. Les conseils généraux et les conseils municipaux sont très présents, tout comme dans la vie quotidienne. L'accompagnement est toutefois nécessaire parce qu'il faut expliquer la spécificité des demandes. Toutes les victimes - femmes battues ou autres - ont des demandes spécifiques. Notre rôle est d'expliquer la spécificité sectaire.

Par ailleurs, les universités, afin de rentabiliser leur fonctionnement, ont créé un certain nombre de diplômes universitaires. Certain sont pertinents ; d'autres relèvent d'un contexte fantaisiste. L'ancien président de la Miviludes et le nouveau souhaitent que l'on revoie les contenus de ces diplômes afin d'éviter que certains mouvements n'installent des méthodes pouvant faire l'objet d'un diplôme universitaire, permettant ainsi à des individus de renforcer leur crédibilité et leur légitimité.

Quant à l'hôpital proprement dit, nous souhaitons une plus grande attention en matière d'entrisme potentiel de personnes travaillant dans l'accompagnement au regard de leurs compétences, de la déontologie et des principes laïques qui régissent l'hôpital. Certains témoignages nous indiquent que ces accompagnants n'ont pas toujours les compétences requises. Cela relève de la prévention que nous souhaitons...

Mme Muguette Dini . - Le type d'accouchement que vous évoquez est-il plus fréquent dans les milieux d'origine africaine ou concerne-t-il tout le monde ?

Mme Catherine Picard . - Je n'y ai pas réfléchi sous cet angle. Les propositions de type « New Age » - retour à la nature, au bien-être, etc. - touchent me semble-t-il davantage des catégories relativement aisées qui prennent soin d'elles-mêmes et qui sont dans un désir de réussir à donner la vie dans les meilleures conditions possibles, quitte à rechercher autre chose que la proposition classique de la clinique ou de l'hôpital public.

A ma connaissance, ce n'est pas dans le milieu africain que l'on trouve le plus d'entrisme, la notion de communauté des africaines étant d'essence familiale et culturelle.

Ce sont surtout les pratiques évangéliques déviantes qui, avec des propositions de guérison totalement fantaisistes - soins par imposition des mains, injonction de rupture avec le système médical classique - représentent un danger potentiel.

M. Alain Milon , président . - L'Unadfi est-elle affiliée à une association internationale qui pratiquerait le « deprogramming » ?

Par ailleurs, il existe en Belgique un organisme comparable à la Miviludes appelé Centre d'information et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles (CIAOSN). Existe-t-il des organisations sectaires qui ne le soient pas ?

Mme Catherine Picard . - S'agissant de votre première question, non, je ne vois pas à quoi vous faites référence.

Il y a eu dans l'histoire, des expériences liées aux adeptes sortants de sectes du type de celles que j'ai décrites en réponse à Mme Génisson. Ces expériences ont eu lieu en Allemagne et aux Etats-Unis mais ont été assez brèves dans le temps ; je ne pense pas qu'elles existent encore. Ce n'est en tout cas pas la méthode française, qui est assez basique, comme toutes les méthodes de prévention : formation de fonctionnaires pour relayer l'information, démultiplication préventive en direction de l'éducation nationale, dans le domaine de la santé, auprès des collectivités territoriales, etc.

Nous conservons une certaine distance vis-à-vis des nouvelles méthodes qui peuvent être utilisées. Chaque victime sectaire a une réaction personnelle. C'est aux associations de trouver le meilleur moyen pour permettre à ces personnes de reprendre pied.

Les groupes de parole qui existe durent très peu de temps afin de ne pas faire revivre aux anciens adeptes l'aventure qu'ils ont déjà connue. Ces groupes sont des outils au même titre que ceux auxquels on peut recourir dans d'autres domaines relevant de la psychologie.

La Belgique utilise en effet le terme d'« organisation sectaire nuisible ». Nous ne l'employons pas, considérant que les lois de la République sont faites pour être respectées. Cette République est laïque ; en aucun cas une forme de communautarisme, même sectaire, ne doit prendre le pas dans le but d'obtenir des droits spécifiques !

Audition de M. Philippe VUILQUE, ancien député, ancien président du groupe d'études de l'Assemblée nationale sur les sectes (mardi 6 novembre 2012)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui les auditions de notre commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé en rencontrant M. Philippe Vuilque, ancien député.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport ; son enregistrement vidéo sera diffusé sur le site du Sénat.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

J'en viens à notre réunion.

L'audition de notre ancien collègue Philippe Vuilque, député des Ardennes de 1997 à 2012, nous a paru naturelle tant l'expérience de M. Vuilque est précieuse pour nous, non seulement parce qu'il a présidé le groupe d'études sur les sectes à l'Assemblée nationale pendant les deux précédentes législatures mais aussi parce qu'il a participé à deux commissions d'enquête, celle de 1999 sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes et celle de 2006 sur l'influence des mouvements à caractère sectaire sur la santé physique et mentale des mineurs.

C'est donc à un acteur éminent de la vigilance sectaire au Parlement que nous nous adressons aujourd'hui.

Je rappelle à l'attention de M. Vuilque que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base du droit de tirage annuel que peut exercer chacun des groupes politiques du Sénat. Le bureau du Sénat a accepté la demande du groupe RDSE d'utiliser ce droit pour soulever la question de l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé. M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de résolution qui se trouve à l'origine de la constitution de cette commission, en est le rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Vuilque de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Philippe Vuilque, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Philippe Vuilque, ancien député, ancien président du groupe d'études de l'Assemblée nationale sur les sectes . - Je le jure.

M. Alain Milon , président . - Cher collègue, à la suite de votre exposé introductif, mon collègue Jacques Mézard, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera quelques questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Monsieur Philippe Vuilque, vous avez la parole.

M. Philippe Vuilque . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, merci de l'honneur que vous me faîtes de me recevoir au Sénat.

Je suis particulièrement heureux que le Sénat ait pris l'initiative, comme l'a fait l'Assemblée nationale il y a plusieurs années, de créer une commission d'enquête sur les dérives sectaires. Je pense que le travail parlementaire est très complémentaire de ce que fait la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

Vous avez déjà reçu M. Blisko, président de la Miviludes, Georges Fenech, qui l'a précédé, avec qui j'ai travaillé en étroite collaboration à l'Assemblée nationale et Mme Picard, au nom de l'Union nationale des associations de défense des familles et des individus (Unadfi). Ils vous ont dit beaucoup de choses et je ne les répéterai pas.

Lorsqu'on parle de ce problème sectaire, que ce soit en matière de santé ou à propos d'autres grands thèmes, notamment la formation professionnelle, il faut rappeler le cadre dans lequel s'exerce la lutte contre les dérives sectaires.

Nous sommes une république laïque ; nous avons de grands textes - loi de 1901, loi de 1905 - et l'Etat n'a pas à se mêler de la croyance individuelle. On peut croire en ce que l'on veut, ce n'est pas le problème des autorités publiques, ni de l'Etat à une seule condition : respecter la législation.

Si ce n'est pas le cas, il est du devoir des autorités publiques et du Parlement de mettre en place les outils pour lutter contre ces dérives - notamment sectaires ; il est également du devoir du législateur d'intervenir, ce que nous avons fait depuis un certain nombre d'années grâce à des avancées législatives significatives.

J'en rappellerai quelques-unes sans entrer dans le détail. Nous sommes le pays qui a fait avancer le sujet d'une manière assez remarquable, avec la Belgique, qui nous a beaucoup suivis et qui a été très intéressée par nos débats à propos de la loi About-Picard :

- loi n° 98-1165 du 18 décembre 1998 tendant à renforcer le contrôle de l'obligation scolaire ;

- loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes ;

- loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 dite « loi About-Picard » tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales - à laquelle j'ai participé activement et qui a suscité quelques interrogations du Gouvernement et des grandes organisations confessionnelles ;

- loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dont l'une des dispositions protège les enfants du refus de soins ;

- loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance et qui encadre les conditions de l'instruction à domicile, renforce les modalités de l'enseignement à distance et du soutien scolaire, objet de la commission d'enquête sur l'enfance dont j'ai fait partie ;

- loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, notamment concernant l'exercice de la psychothérapie ;

- loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie (domaine, avec celui de la santé, le plus lucratif pour les organisations à caractère sectaire) ;

- loi n° 2008-1187 du 14 novembre 2008 relative au statut de témoins devant les commissions d'enquête.

J'ajoute que la loi du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie précitée a rétabli la possibilité de dissolution d'une personne morale condamnée pour escroquerie, initialement abrogée par erreur par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification du droit : cette mesure comble un manque de notre législation.

Il existe un amendement dont je suis l'auteur que j'aurais bien voulu voir adopter, malheureusement considéré par le Conseil constitutionnel comme un cavalier législatif. Georges Fenech vous en a parlé : aujourd'hui, le rapport de la Miviludes n'est pas protégé et peut donner lieu à poursuites. Ceci est fort dommage et un peu paradoxal. La mission interministérielle, qui a pour but de coordonner la lutte contre le développement des organisations sectaires risque en effet, lorsqu'elle cite dans son rapport une organisation, d'être déférée devant les tribunaux pour diffamation - ce qui est assez ahurissant !

L'amendement a été voté à l'unanimité à l'Assemblée nationale comme au Sénat - ce qui est rare - mais le Conseil constitutionnel a jugé qu'il s'agissait d'un cavalier législatif. C'en était effectivement un, car vous savez comme moi qu'il est très difficile de faire passer de petites dispositions en dehors d'une proposition de loi d'initiative parlementaire, sauf si celles-ci sont reprises par le Gouvernement ; or, celui-ci a toujours des préoccupations plus importantes. Il est donc très difficile d'avoir un texte spécifique sur le sujet.

Peut-être vous faudra-t-il étudier comment reprendre cette proposition. Je tiens à votre disposition l'exposé des motifs que j'avais développé à l'Assemblée nationale à l'époque. Ce n'est pas anecdotique. Georges Fenech vous l'a dit : il a été victime d'une trentaine de procédures. C'est long, coûteux, difficile à vivre même s'il a été blanchi à chaque fois. Il faut savoir aussi que les organisations sectaires ont des moyens que n'ont pas le commun des mortels, y compris les parlementaires.

En plus de ces avancées législatives, le Gouvernement a par ailleurs créé la Miviludes, dont la force repose sur l'interministériel et qui coordonne la politique gouvernementale en la matière. Sa faiblesse vient précisément de son statut interministériel relevant directement du Premier ministre. La Miviludes a été créée par décret ; elle peut être supprimée au gré des gouvernements, quels qu'ils soient. C'est une fragilité.

C'est pourquoi je proposerais que la Miviludes puisse avoir une reconnaissance législative, ce qui permettrait de pérenniser son existence. Pourquoi ne pas transformer la Miviludes en Haute Autorité, sous la responsabilité du Parlement et du Premier ministre ? Tout le monde n'est pas d'accord - je sais que Georges Fenech ne l'est pas... En termes financiers, cela ne changerait pas grand-chose par rapport à son fonctionnement actuel mais sécuriserait son existence. Quel que soit le gouvernement, il est très important de disposer d'un organisme comme la Miviludes. Certaines tentatives de déstabilisation de la Miviludes ont déjà eu lieu : tous les parlementaires, quelles que soient leurs opinions politiques, sont montés au créneau pour manifester leur attachement à cet organisme qui, sans être parfait, est d'une très grande utilité.

Les associations ont un rôle important à jouer dans la lutte contre les organisations sectaires. L'Unadfi et ses associations de défense des familles et des individus (Adfi) font un travail remarquable auprès des victimes. Comme Georges Fenech, je suis inquiet pour leur pérennité du fait du manque de moyens financiers. Qu'il s'agisse de l'Unadfi ou du Centre de documentation, d'éducation et d'action contre les manipulations mentales (CCMM), les subventions se font rares, précarisant l'action des associations.

On oublie souvent que nous avons été fortement aidés par les médias. Cela remonte à l'époque du Temple solaire. Des reportages en caméra cachée très bien faits montrent régulièrement à la population ce que sont vraiment ces organisations sectaires. Les médias ont un rôle préventif très important et utile, certains sujets ne passionnant pas toujours les foules. Sur des sujets techniques et complexes, le relais médiatique est très intéressant.

Le rôle du Parlement est également essentiel dans l'organisation et la lutte contre les organisations sectaires. On peut se demander à quoi peut servir un groupe d'études sur les sectes. Le travail de l'Assemblée nationale est très complémentaire de l'action de la Miviludes. Nous avons en effet la possibilité d'auditionner un certain nombre d'acteurs, y compris dans des périodes « calmes » ; cela permet une réflexion de fond, car il n'est jamais bon de réfléchir à chaud. A chaque législature, une demande de création de commission d'enquête parlementaire a été déposée. Nous avons quasiment toujours été exaucés, même si cela n'a pas toujours été évident car cela nécessite des moyens. Je crois que nous avons fait oeuvre législative utile, qu'il s'agisse des sectes et de l'argent ou des sectes et des enfants, sujet sur lequel nous avons découvert un certain nombre de choses assez ahurissantes.

Au début d'une commission d'enquête, on ne voit pas trop où l'on va ni ce que l'on va en tirer. Au fur et à mesure qu'on entre dans les débats, on prend conscience du problème. Je crois qu'il est très utile d'aller sur le terrain. C'est plus facile lorsqu'on fait une commission d'enquête sur les enfants et les sectes que sur la santé, mais rien n'empêche des sénateurs de s'inscrire à un séminaire de formation de manière anonyme et d'aller voir comment les choses se passent, le coût étant certes un problème matériel, mais qui peut être résolu.

Nous sommes allés dans les Pyrénées-Orientales visiter la communauté de Tabitha's Place, où nous avons découvert des choses ahurissantes qu'on nous avait pourtant rapportées. Rien ne vaut le contact avec la réalité ! On nous disait que les enfants étaient déstructurés, complètement coupés de leur milieu social. Nous en sommes ressortis totalement bouleversés !

Cette expérience n'a pas de prix. Il faut vraiment toucher du doigt la détresse humaine. En parler, c'est bien ; la matérialiser sur le terrain, c'est beaucoup mieux, les commissions d'enquête parlementaires disposant de moyens qui permettent des investigations intéressantes.

La santé est une préoccupation essentielle. C'est un secteur particulièrement intéressant pour les organisations à caractère sectaire, car très lucratif. Quand on parle de sectes, il y a toujours de l'argent derrière. Mon collègue Jean-Pierre Brard disait que si la scientologie est une religion, son dieu est le dollar ! On peut appliquer cette maxime à toutes les organisations sectaires.

La santé est un secteur très lucratif qui joue sur la crédulité du citoyen mais aussi sur sa détresse. Lorsqu'un malade est atteint d'un cancer et qu'une personne affirme être capable d'améliorer son état ou de le guérir, pourquoi pas ? On ne peut reprocher à quiconque de tout essayer. Mais si l'organisation sectaire conseille d'arrêter tout traitement, que le malade obtempère et recourt à des méthodes de charlatan - comme la méthode Hamer - il s'agit alors d'une dérive thérapeutique et d'une manipulation mentale. Certains malades se laissent endoctriner et ne voient plus que par cette méthode.

Les centres de bien-être ou les méthodes comme celle du docteur Hamer ne sont en général pas gratuits et coûtent très cher. C'est donc de l'escroquerie pure et simple. On prend la santé en otage pour proposer des alternatives à la médecine traditionnelle, qui sont catastrophiques pour le malade. Les autres interlocuteurs de votre commission ont longuement insisté sur ce point.

Cette situation vient du fait que la population doute aujourd'hui de la médecine traditionnelle après les grands scandales qui ont eu lieu - sang contaminé, vaccinations, etc. Il y a, de la part de l'opinion, une certaine prise de distance vis-à-vis de la médecine traditionnelle.

Il est vrai qu'un certain nombre de mouvements « New Age », en période de crise, peuvent recueillir une oreille plus attentive de la part de nos concitoyens.

En matière de santé, il ne faut pas sous-évaluer le phénomène. Je suis quelque peu pessimiste : je pense que, quoi qu'on fasse, on sera toujours en retard par rapport à ce phénomène et que le pire est devant nous ! Aujourd'hui, Internet permet en effet une offre quasiment illimitée de la part des mouvements sectaires et je ne vois pas comment on pourrait revenir sur la liberté d'expression.

J'espère que votre commission d'enquête pourra faire un certain nombre de propositions mais je crois qu'on aura beaucoup de mal à endiguer le phénomène, en matière de santé notamment.

Je ferai un certain nombre de propositions à la commission. Vous le savez, il existe un groupe d'appui technique (GAT) auprès de la direction générale de la santé qui doit normalement évaluer un certain nombre de pratiques thérapeutiques. Force est de constater que, depuis sa création en 2009, le GAT manque de moyens et n'évalue pas grand-chose. Je pense qu'il serait très utile qu'on donne des moyens supplémentaires au GAT pour effectuer ces évaluations thérapeutiques.

Certaines nouveautés thérapeutiques ne constituent pas forcément une dérive sectaire ; leur potentiel éventuel doit être étudié par le GAT, dont c'est le rôle. Je pense que celui-ci doit donner son avis sur l'introduction de toute pratique non conventionnelle à l'hôpital. Certaines pratiques thérapeutiques peuvent être utiles mais ne sont pas encore évaluées. Le GAT y a toute sa part...

Il convient également de mieux encadrer les formations et de renforcer la protection des titres universitaires et surtout ceux émanant des instituts en tous genres. Un certain nombre de formations revendiquant un titre universitaire ou émanant d'un institut créent la confusion dans le public, qui peut penser que ce titre est reconnu par l'Etat. Or, il existe aujourd'hui des universités libres et certains diplômes qui se qualifient d'universitaires n'ont jamais fait l'objet de quelque évaluation que ce soit !

C'est un domaine où il faut notamment soumettre à agrément la création des centres de formation. Si on s'en donne les moyens et si un certain nombre d'organisations ne reçoivent pas l'agrément, on peut aller jusqu'à les interdire par décret ! C'est une question de volonté politique. Si un dispositif n'est pas respecté, il faut en tirer les conséquences !

Il faut aussi réfléchir à la définition de la dérive sectaire. Je trouve mon collègue Blisko quelque peu frileux en la matière ; Georges Fenech n'y est pas non plus très favorable mais le groupe d'études sur les sectes avait commencé à y réfléchir sérieusement.

Il n'existe aucune définition de la religion ; on pense donc qu'il n'y en a pas non plus pour les sectes. Peut-être faudrait-il s'y pencher néanmoins : ce serait très utile ! La Mission interministérielle de lutte contre les sectes (Mils) avait à l'époque tenté une définition : « La secte est une association de structure totalitaire, déclarant ou non des objectifs religieux, dont le comportement porte atteinte aux droits de l'homme et à l'équilibre social ». Les Belges sont allés beaucoup plus loin en définissant ainsi la secte dans la loi du 2 juin 1998 : « Tout groupement à vocation philosophique ou religieuse ou se prétendant tel qui, dans son organisation ou sa pratique, se livre à des activités illégales, dommageables, nuit aux individus ou à la société ou porte atteinte à la dignité humaine ». Les magistrats belges ont donc un texte sur lequel ils peuvent se baser. En France, les magistrats ne peuvent s'appuyer sur une définition claire !

Si, demain, on réussissait à définir la secte dans un texte législatif, il n'est pas certain que le Conseil constitutionnel l'accepte. En effet, nous possédons une tradition laïque et ne définissons pas les religions. Pourquoi, dès lors, définir quelque chose qui peut poser problème par rapport à la loi de 1901 ?

Je pense qu'il faut cependant creuser le sujet car il existe aujourd'hui, à l'Ecole nationale de la magistrature (ENM), une formation très intéressante et très performante. Or, les magistrats sont très démunis et n'aiment pas aborder les problèmes sectaires, qu'ils ne connaissent pas.

La liste de 175 organisations produite par la première commission d'enquête, même si elle n'avait aucune valeur légale, a été très utile aux magistrats confrontés à certains phénomènes dont ils appréhendaient mal la réalité. Ils ne le disent pas, mais beaucoup de magistrats l'ont utilisée.

Peut-être votre commission pourrait-elle envisager une réflexion sur le sujet qui, je l'avoue, n'est pas simple...

Il convient d'améliorer également le dispositif de la Miviludes. Pourquoi pas une double tutelle du Premier ministre et du Parlement ? Pourquoi ne pas envisager que le président de la Miviludes soit nommé d'un commun accord entre le Premier ministre, le Sénat et l'Assemblée nationale, en plus de la pérennisation législative de la mission interministérielle ?

Il faut réfléchir aussi à la possibilité de faire évoluer la prescription. C'est un domaine délicat qui concerne tout le monde. En matière d'organisation sectaire, qu'il s'agisse de la santé ou d'autres sujets, une plainte est nécessaire pour poursuivre. Or, dans la plupart des cas, on est confronté à d'anciens adeptes qui ont beaucoup de mal à se reconstruire en sortant de la secte et qui mettent des années à s'en remettre. Au moment où ils prennent conscience qu'ils ne peuvent en rester là et veulent déposer plainte, on leur oppose une prescription !

Les organisations sectaires le savent bien et négocient avec les adeptes. Toutes les poursuites qui pourraient avoir lieu ne sont pas entreprises à cause des délais de prescription. C'est d'une manipulation difficile mais ne pourrait-on pas rapprocher cette infraction de l'escroquerie et de l'abus de confiance ? En matière d'abus de confiance, une jurisprudence constante prévoit que le délai de prescription ne court qu'à compter du jour ou le délit est apparu et a pu être constaté par la victime.

C'est une piste à creuser, sans pour autant bouleverser le droit de la prescription. Cela permettrait d'éviter un certain nombre de désagréments pour les victimes qui ne peuvent porter plainte.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez évoqué le groupe d'études sur les sectes à l'Assemblée nationale ; il n'y en a pas encore au Sénat. J'en ai fait la demande au nom de mon groupe mais je n'ai pas encore reçu de réponse.

Vous avez l'expérience de deux commissions d'enquête à l'Assemblée nationale, l'une en 1999 sur la situation financière et patrimoniale des sectes et l'autre plus récente, en 2006, sur les sectes et la santé des mineurs.

Quels sont les éléments qui vous ont paru les plus significatifs et les plus dangereux lors de cette seconde commission d'enquête ?

Par ailleurs, dans votre rapport de 2006, vous affirmiez que la France comptait alors 60 000 mineurs sous la dépendance directe ou indirecte de sectes. Qu'est-il advenu de vos préconisations de l'époque ?

M. Philippe Vuilque . - Lorsque nous sommes allés rendre visite à Tabitha's Place, nous avons été ébahis par ce que nous y avons découvert. On nous avait prévenus que nous allions trouver des enfants désocialisés, etc. Cela a été au-delà de ce que nous pouvions imaginer. Nous nous sommes trouvés face à de jeunes enfants qui recevaient un enseignement de parents autoproclamés professeurs d'histoire, de géographie, faisant leur propre programme mais prenant la précaution de mettre en place le programme minimum requis par l'éducation nationale. Nous nous sommes très vite aperçus qu'existait ensuite une « déprogrammation » durant laquelle on leur expliquait que ce qu'on leur avait dit était obligatoire mais que, dans la communauté, les choses se passaient autrement...

Nous avons pu approcher directement ces enfants. Cela n'a pas été simple, les parents et le responsable de la communauté voulant au début être absolument présents. Nous avons expliqué au responsable que nous avions un certain nombre de possibilités juridiques pour le contraindre. Il a donc réfléchi...

Lorsque nous nous sommes trouvés seuls à seuls, nous nous sommes aperçus que ces enfants étaient totalement coupés du monde : ils n'avaient pas accès aux médias et vivaient dans une bulle, n'ayant même jamais entendu parler de Zidane. Pour un enfant de quatorze ans à l'époque, c'était incroyable !

Nous nous sommes demandé ce que ces enfants allaient devenir. En outre, les soins de santé sont assurés pas la communauté. Certains enfants avaient des problèmes de vision et ne portaient pas de lunettes ; d'autres souffraient de problèmes physiques importants mais n'étaient jamais examinés par un médecin extérieur. Tout se passait à l'intérieur de la communauté.

Ce qui apparaît le plus dangereux, c'est que si ces enfants s'en sortent à leur majorité, ils mettront des années à retrouver une vie normale. Les parents restant dans la communauté, on culpabilise les enfants qui désirent la quitter. Ce genre de communauté constitue une famille ; en partir représente une rupture familiale, avec tout ce que cela comporte comme problèmes affectifs et relationnels.

La plupart d'entre eux continuent malheureusement à vivre dans la secte ; on les envoie à l'étranger, en Australie, au Canada, sans possibilité de suivi.

Nous avons été très surpris que l'académie, représentée au cours de notre visite par un inspecteur, assure un suivi minimum en la matière et ne porte aucun jugement réel sur le contenu de l'enseignement reçu par les enfants. Nous avons considéré qu'il y avait là une certaine légèreté. C'est tout le problème de l'enseignement à domicile ou de l'enseignement « libre » dispensé dans ce genre de communauté.

C'est pourquoi nous avons fait un certain nombre de propositions en matière de suivi scolaire. Certaines ont amélioré les choses mais le problème reste aujourd'hui entier. Mis à part un signalement direct au procureur de la République, qui peut intervenir, on ne peut rien faire !

En matière de soins, pour ce qui concerne toutefois les enfants, il peut y avoir non-assistance à personne en danger et un certain nombre de textes permettent d'intervenir. Les adultes, eux, sont réputés comme consentants : libre à eux de se faire escroquer ! C'est toute la difficulté...

La population la plus vulnérable demeure donc celle des enfants, dans tous les domaines, mais notamment en matière de santé. On a également un souci - qui est en passe d'être résolu - avec les témoins de Jéhovah et la transfusion sanguine. Ces derniers considèrent qu'il existe un substitut au sang qui peut éviter la transfusion. Médicalement, cela n'a jamais été prouvé.

Nous avons vraiment été très ébranlés par ce que nous avons vu et par l'état physique et psychologique de ces enfants. Je ne sais si je réponds à votre question mais nous étions quelque peu désarmés. Nous nous sommes demandés comment faire pour essayer qu'ils s'en sortent, en dehors des quelques préconisations que nous avons faites sur le suivi scolaire, notamment par l'intermédiaire de l'académie. Cela fait partie des difficultés de la lutte contre les dérives sectaires. On se heurte très vite à la liberté individuelle.

Cela dit, l'information, relayée par les médias, a eu un certain impact. L'académie, après notre venue, a exercé une observation plus précise de ce qui se faisait dans cette communauté.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez réalisé d'autres visites. Vous citez le chiffre de 60 0000 enfants concernés par ces dérives. Ce n'est pas neutre. Comment êtes-vous arrivé à cette constatation ?

M. Philippe Vuilque . - En la matière, il n'y a pas de chiffres précis. Il s'agit d'une estimation. Le chiffre noir est évalué entre 60 000 et 80 000 enfants par rapport aux témoignages, compte tenu des informations collectées par l'Unadfi et de l'estimation de la Miviludes.

Ces 60 000 enfants sont concernés à des titres divers. Certains évoluent au sein d'organisations certes dangereuses mais qui leur permettent, une fois sortis, de se restructurer et de mener une existence normale. D'autres communautés, comme celle de Tabitha's Place, déstructurent totalement la personnalité de l'enfant et produisent des effets catastrophiques.

On est un peu démuni : comment récolter des statistiques sur le nombre d'enfants concernés face à des gens qui n'ont pas très envie de faire connaître leur nombre, leurs adeptes et leurs pratiques ?

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Dans vos rapports précédents, vous parlez d'une industrie parallèle des soins pseudo-médicaux. Il apparaît aujourd'hui que cette industrie parallèle fructifie. Qu'avez-vous pu constater ?

M. Philippe Vuilque . - Le paysage sectaire a beaucoup évolué, d'autres l'ont dit avant moi. Il s'est éclaté et de plus en plus de petits groupes de dix, quinze, vingt personnes fructifient, qu'il s'agisse de formation professionnelle ou de santé. Ils rendent la lutte contre les dérives sectaires particulièrement compliquée et difficile. On a aujourd'hui une explosion de ce genre de mouvements, comme on peut le constater sur Internet en matière d'offres de formation sur le bien-être, de coaching, etc.

Tous ne sont pas à tendance sectaire mais il existe une potentialité de dérive. Quand quelqu'un a pour idée de retirer un maximum d'argent d'une telle entreprise, il repère dans le groupe les deux ou trois personnes les plus faibles qui vivent un problème personnel et qui sont venues chercher autre chose. Pendant que les autres vont continuer leur formation, les deux ou trois personnes en question vont être ciblées et « travaillées ». On en arrive très vite à la suggestion mentale et à tout ce qui va avec - escroqueries, ventes de formations onéreuses et d'appareils de pacotille à prix d'or. Le risque est là.

Ces exemples pullulent. Aujourd'hui, la réglementation n'est pas suffisamment sévère. On a laissé filer les choses. Ce n'était pas simple, il est vrai. Les évaluations en matière de santé auraient dû être menées dès que le GAT a été créé. Or, seules trois évaluations ont dû être réalisées - même si Serge Blisko affirme que d'autres devraient suivre.

Vous n'empêcherez jamais des groupuscules de prospérer à partir de la misère humaine ni de répondre à la demande des personnes les plus malades ou psychologiquement fragilisées. C'est en cela que je suis pessimiste : on peut améliorer les choses à la marge mais je pense que le pire est devant nous !

M. Alain Milon , président . - Les élus locaux sont parfois amenés à organiser dans leur commune des salons du bien-être. Les élus locaux ne sont pas toujours informés des dangers que vous venez d'évoquer. Pensez-vous qu'il faudrait également informer la population et les élus ?

J'ai moi-même organisé dans ma ville deux salons du bien-être avant de m'apercevoir qu'ils accueillaient certains charlatans. Je n'en fais plus mais je vais inaugurer samedi un salon dans une municipalité voisine : je suis sûr que je vais y retrouver les mêmes ! Comment informer les élus et les responsables à propos de tels dangers ?

M. Philippe Vuilque . - Tous les participants à un salon du bien-être ne sont pas des charlatans mais il est vrai que c'est l'occasion pour beaucoup de présenter une formation ou d'offrir une proposition qui va en apparence dans le sens de l'exposition, mais qui recèle des dérives à caractère sectaire.

J'ai été maire. La Miviludes a édité il n'y a pas si longtemps un guide très bien fait sur les élus locaux et le phénomène sectaire où figurent des conseils pratiques. Rien n'empêche un maire de téléphoner à la Miviludes pour lui demander quoi faire. Les élus locaux peuvent être mis devant le fait accompli mais être également en difficulté. La législation est très claire : on ne peut pas tout interdire. Le maire de Lens, il y a quelques années, a voulu interdire une réunion des témoins de Jéhovah : il a été condamné ! Il existe des moyens que l'on taira ici, qui relèvent de la notion d'ordre public. Si celui-ci n'est pas respecté, un maire peut interdire la tenue de telle ou telle manifestation...

Aujourd'hui les élus locaux ne peuvent pas dire qu'ils sont sous-informés. Il existe un guide et ils peuvent se renseigner auprès de la Miviludes. L'information n'est jamais parfaite mais les outils d'aide aux élus locaux existent.

Je me souviens de m'être déplacé dans une commune des Vosges avec des parlementaires locaux. Une société d'investissement foncier masquant les témoins de Jéhovah voulait y bâtir une « salle du royaume ». Le maire n'en avait pas conscience mais la législation sur les permis de construire est stricte : un élu local ne peut refuser un permis dès lors que la loi est respectée. Le non-respect de la prescription légale relative aux places de parking et le recours à un prête-nom ont toutefois permis de refuser la délivrance du permis de construire.

Il ne faut pas hésiter à recommander aux élus locaux de s'adresser à des organismes comme la Miviludes.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez été en relation avec des mouvements sectaires. Quel est leur comportement face aux commissions d'enquête ? Nous recevons un certain nombre de courriers et de mails de leur part ; la plupart se défendent d'avoir un comportement sectaire, considérant que leurs pratiques sont conformes à la loi et ne présentent aucun danger - bien au contraire ! Que ressort-il de vos contacts ?

M. Philippe Vuilque . - La première commission d'enquête parlementaire sur les sectes et l'argent n'était pas publique. Nous avons auditionné deux sortes de personnes. Les premiers avouaient être là pour faire de l'argent et l'assumaient. C'était pour eux un marché comme un autre.

D'autres croyaient vraiment en leur discours. Ce sont les plus dangereux. Ces gens-là pratiquent un lobbying parlementaire très efficace. En tant que président du groupe d'études sur les sectes, j'ai à plusieurs reprises alerté l'ensemble de mes collègues sur le fait qu'un certain nombre d'organismes comme la Commission des citoyens pour les droits de l'homme (CCDH) nous inondent de propositions, de questions écrites ou de mails. Quand on n'est pas au fait des affaires sectaires, cela apparaît tout à fait correct. On connaît la pratique parlementaire : plus on fait de questions écrites, mieux on est noté par la presse locale. On y va donc et, la plupart du temps, on se fait avoir !

Le lobbying cache une recherche de notoriété : les parlementaires s'inquiètent et relaient les préoccupations des mouvements à caractère sectaire ; ces derniers ne voient donc pas pourquoi on les harcèle !

En matière fiscale, il existe une législation relative aux exonérations en faveur des cultes. Les associations locales des témoins de Jéhovah ont longtemps demandé à bénéficier de la reconnaissance d'association cultuelle. Le préfet, consultant la jurisprudence du Conseil d'Etat, n'y relevant aucun problème - même si celle-ci peut être considérée comme limite - et le ministère de l'intérieur, en la matière, s'étant également souvent montré peu regardant, cette reconnaissance par l'Etat des témoins de Jéhovah en tant que religion a servi la communication de ce mouvement vis-à-vis de l'opinion publique. Certains trous de notre législation et de notre réglementation peuvent donc parfois causer quelques soucis.

Pour en revenir au lobbying parlementaire, les mouvements sectaires sont très organisés et agissent de manière souvent sournoise. Dans un salon du bien-être, vous pouvez ainsi entamer une conversation avec des gens fort sympathiques qui vont se faire prendre en photo avec vous. Vous allez ainsi, en tant qu'homme public, vous retrouver dans une publication dans laquelle vous n'avez pas à figurer !

Le Sénat s'est aussi fait abusé lors de réunions publiques, de même que la Sorbonne. Il faut donc être très vigilant.

Une autre manière de procéder consiste à cibler les parlementaires qui s'occupent particulièrement de ces sujets et de les harceler. Il m'est arrivé d'être suivi dans la rue et de me retrouver en train de boire une bière au zinc, entouré de deux membres de la Scientologie ! Il s'agit d'une tentative de déstabilisation qui ne va jamais très loin mais qui peut être répétitive et gênante.

Il existe par ailleurs un certain nombre d'interrogations. Nos commissions d'enquête parlementaires ont en effet connu des fuites. Nous n'avons jamais su qui en étaient les auteurs.

Un incident a également fait débat lors de l'examen à l'Assemblée nationale de la loi Warsmann sur la modernisation du droit, texte fourre-tout où l'on passe d'un sujet à l'autre, sans parfois savoir ce que l'on vote. On s'est aperçu que l'on avait remis en cause la législation concernant la dissolution des sectes. Un procès contre la Scientologie était alors en cours. On n'a jamais su, là non plus, qui avait commis cette bévue.

J'ai tendance à croire, comme nous l'a dit le président de la commission des lois à l'époque, qu'il s'était agi d'une erreur - mais il n'y a pas de fumée sans feu ! Les organisations sectaires bénéficient de moyens exceptionnels par rapport aux nôtres. Ils disposent des batteries d'avocats grassement payés. Cette affaire a été mise à jour grâce à une officine américaine qui en a informé les parlementaires. C'est problématique ! Il faut toujours faire attention car on est souvent victime d'entrisme. Il convient donc d'être toujours très prudent.

Georges Fenech affirme qu'il a été plus de trente fois mis en cause en tant que président de la Miviludes ou en tant que parlementaire. Il faut toujours se référer par exemple à un rapport parlementaire et ne pas affirmer des choses qui pourraient provoquer un procès en diffamation. J'ai toujours été très prudent mais cela peut partir très vite.

C'est essentiellement vrai pour les grandes organisations à caractère sectaire définies par les rapports parlementaires et moins dans le domaine de la santé et des petits mouvements - mais il faut être vigilant.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - La justice et les services de l'Etat sont-ils suffisamment opérationnels ? Vous avez parlé des trous de la réglementation et de la législation existantes. Avez-vous constaté dans leur application, soit des errements, soit des insuffisances ?

M. Philippe Vuilque . - Beaucoup de responsables publics considèrent que les sectes amusent les parlementaires et font parler les médias mais ne constituent pas véritablement un problème de société. Même les magistrats se défaussent dès qu'un problème sectaire apparaît - notamment les juges aux affaires familiales (Jaf). Il existe bien des outils pour lutter contre ces dérives mais ils ne sont pas toujours en place. Il s'agit surtout de lois préventives, comme la loi About-Picard. Le ministère du budget n'a pas vraiment fait preuve d'un grand zèle pour récupérer la dette fiscale des témoins de Jéhovah, qui ont en partie gagné devant la Cour européenne de justice...

La lutte est quelquefois rendue difficile par le fait que ce sujet n'est pas toujours pris au sérieux. Or, nous qui avons travaillé sur le sujet considérons qu'il s'agit un vrai problème de société, notamment par rapport aux enfants. Même si seuls dix d'entre eux étaient concernés, il est du devoir des autorités publiques, de la justice ou des parlementaires de tout faire pour que ce genre de choses ne se produise pas.

Je me souviens avoir auditionné un responsable du service des cultes au ministère de l'intérieur qui nous a dit que le problème sectaire n'était pas le sien et qu'il avait autre chose à faire ! L'attitude des autorités publiques est quelquefois limite...

On a cependant toujours eu une oreille très attentive de la part des ministres de la santé, quelles que soient leurs opinions politiques. Ils ont toujours été très réactifs aux demandes de la Miviludes et des parlementaires, tout en étant conscients des difficultés de la lutte contre les organisations sectaires dans le domaine de la santé.

Les diplomates, souvent vilipendés pour leur attitude vis-à-vis de la lutte contre les organisations sectaires, considéraient quant à eux qu'il fallait les laisser tranquilles. Cette attitude a évolué et même l'Europe commence à réfléchir au sujet.

Ce n'est pas simple car il existe une conception anglo-saxonne de la liberté de religion qui n'est pas la même que la nôtre. Sans aller jusqu'à la législation allemande, notamment en matière de répression des témoins de Jéhovah - à mon avis, pour des raisons historiques, beaucoup trop sévères - je pense qu'en Europe, une coordination des politiques à mener serait judicieuse.

Notre collègue Rudy Salles, que vous allez auditionner, s'en occupe d'ailleurs et je pense qu'il faudrait là aussi une coordination internationale. On travaille bien avec la Belgique mais en Espagne, la Scientologie a pignon sur rue et les conceptions et les approches sont très différentes.

Cela dit, la France et la Belgique ne constituent plus des pays d'accueil pour les grandes organisations sectaires, qui l'ont bien compris. Aujourd'hui, on assiste à une stagnation très importante du nombre de leurs membres. Cependant, les petits groupuscules vont poser à terme plus de problèmes que les grandes, qui sont connues et dans le collimateur des médias.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez fait mention des juges aux affaires familiales...

M. Philippe Vuilque . - On a eu beaucoup de témoignages de l'attitude prudente - voire trop prudente - des juges en matière de conflits familiaux et de problèmes de garde d'enfants. Les magistrats, lorsqu'il s'agit de dérives sectaires ou d'organisations sectaires, prennent ces affaires avec beaucoup de précautions. C'est quelquefois à juste titre, les raisons invoquées dans un conflit familial pouvant ne pas toujours être bonnes mais, lorsqu'il y a, preuve à l'appui, un certain nombre de difficultés, les magistrats n'ont pas toujours suffisamment pris en compte l'intérêt de l'enfant. Que faire lorsqu'un parent membre d'une organisation sectaire qui a la garde des enfants risque de partir à l'étranger - ou ailleurs sur le sol national ? Dans ce cas, les enfants suivent et il y a là une responsabilité importante...

Aujourd'hui, la législation a évolué. Les grands-parents peuvent porter plainte et agir, tout comme les associations en cas de signalement ou comme le procureur de la République, à partir du moment où il y a suspicion de mise en danger de la vie d'autrui. Il existe beaucoup d'affaires où cela pose cependant problème et où les juges demeurent très frileux. C'est une matière difficilement appréhendable qu'ils connaissent mal, même si l'Ecole nationale de la magistrature (ENM) dispense aujourd'hui des formations fort bien faites, les jeunes magistrats ayant plus conscience des difficultés et connaissant mieux la problématique.

Quelques affaires ont été médiatisées mais toutes ne le sont pas et certaines familles sont totalement déchirées, le père ou la mère sachant bien que l'organisation sectaire risque d'embrigader les enfants. Doit-on accepter que ceux-ci subissent un « lavage de cerveau » ?

Il y a peut-être une réflexion à mener sur ce sujet qui n'est pas simple, la garde d'enfants et le divorce étant des sujets quelque peu compliqués.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Avez-vous constaté en 2006 une certaine porosité des hôpitaux publics ou des cliniques par rapport à des systèmes de médecine non conventionnelle qui pourraient s'avérer dangereux ?

M. Philippe Vuilque . - Vous faites probablement allusion à ce qui se passe à la faculté de médecine d'Angers. En la matière, il faudrait être attentif et vigilant. Je ne connais pas tellement ce dossier mais il peut y avoir, ici ou là, par petites touches, un certain nombre de choses qui sont abordées sans paraître porter à conséquence.

Tout dépend de la façon dont les choses sont présentées. Il faut donc que, dans le cadre des études de médecine, les enseignants prennent leurs précautions. Je pense que c'est indispensable. Cela relève de la responsabilité des recteurs et des présidents de faculté. L'infiltration peut exister, comme cela a déjà été le cas dans la fonction publique. Certains magistrats ont été également concernés et l'on s'est posé sur eux un certain nombre de questions... L'entrisme est souvent insidieux.

M. Alain Milon , président . - Les enfants sans nouvelles de leur famille au bout d'un an, sauf par le biais d'une simple carte postale, ne sont pas considérés comme abandonnés. Cela peut durer ainsi des années...

Mme Muguette Dini . - Les enfants que vous avez rencontrés lors de vos déplacements sont en danger psychologique, s'ils ne sont pas en danger physique. Les services sociaux peuvent se saisir de ces cas et ces enfants peuvent être retirés à leur famille.

M. Philippe Vuilque . - Le problème vient du fait que ces enfants disparaissent. Dès qu'il y a un souci, les parents prennent leurs enfants et s'en vont ailleurs, la secte ayant des ramifications un peu partout.

Mme Muguette Dini . - Ces familles perçoivent-elles les allocations familiales ?

M. Philippe Vuilque . - Non. La plupart des enfants que nous avons vus sont emmenés à l'étranger. Le suivi n'existe alors plus. Ces mouvements sectaires sont très bien organisés et disparaissent dès qu'ils ont vent d'un risque d'enquête ou d'intervention des services sociaux. C'est assez dramatique !

M. Stéphane Mazars . - Lorsqu'un enfant est en danger, le juge des enfants se doit de le retirer de la cellule familiale pour le confier à l'aide sociale à l'enfance. C'est une compétence du département.

Dans l'exemple que vous donnez, on peut s'étonner que, dans un village avec une situation pérenne, les services sociaux ne se soient pas saisis de ce type de dossier...

M. Philippe Vuilque . - Cela nous a également étonnés mais il faut savoir que ce genre de communauté ne fait pas de vague. Tout se passe bien avec les habitants.

Lorsque les enfants témoins de Jéhovah vont à l'école, les professeurs les apprécient énormément. Ils sont très assidus mais sont ensuite repris en main par la communauté. Les rapports parlementaires l'ont bien démontré lors de l'audition d'un certain nombre de responsables.

Nous avons été très surpris que les services sociaux ne se soient pas saisis de cette situation et que l'académie n'ait pas fait son travail correctement concernant l'évaluation scolaire de ces enfants. C'est un problème de moyens : on va là où les choses posent problème. C'est la difficulté.

M. Stéphane Mazars . - Il existe une médecine conventionnelle reconnue par l'Etat. S'il est clairement établi que des parents la refusent à leurs enfants, ne peut-on considérer de fait qu'il y a mise en danger de l'enfant ? Je ne sais s'il faut aller jusqu'au placement mais un suivi social, dans le cadre d'une assistance éducative en milieu ouvert, n'est-il pas souhaitable ?

M. Philippe Vuilque . - Encore faut-il que les choses soient connues. Georges Fenech vous a raconté le cas de ces deux kinésiologues qui on laissé leur enfant mourir de faim. Les services étaient-ils au courant de l'état physique de l'enfant ? Pas forcément...

Mme Muguette Dini . - Savaient-ils qu'il y avait des enfants ?

M. Philippe Vuilque . - Il existe des cas extrêmement difficiles.

Vous évoquez les départements. Beaucoup ont été confrontés à des familles d'accueil qui font partie de grandes organisations sectaires. Certains départements ont été abusés. Or, aujourd'hui, un département ne peut refuser de confier un enfant à une famille d'accueil du fait d'opinions philosophiques ou religieuses qui ne lui conviennent pas ! A partir du moment où aucun fait de prosélytisme n'est établi, les départements sont très démunis.

Un certain nombre de familles d'accueil font partie d'une grande organisation sectaire bien connue et distillent aux enfants dont elles ont la garde des préceptes bien ennuyeux...

Mme Gisèle Printz . - Quel est le but recherché ?

M. Philippe Vuilque . - Il s'agit de faire de nouveaux adeptes. Les enfants qui ont baigné là-dedans, arrivant à leur majorité - sauf s'ils ont un éclair de lucidité - continuent dans cette voie. Il serait intéressant de creuser ce sujet car certains départements sont démunis et la preuve du prosélytisme dans ce cas n'est pas simple à apporter.

Audition de M. Jean-Pierre JOUGLA, coresponsable du diplôme universitaire « Emprise sectaire et processus de vulnérabilité » à la faculté de médecine de l'université Paris V (mardi 6 novembre 2012)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les auditions de notre commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé en rencontrant M. Jean-Pierre Jougla, ancien avocat et ancien avoué, coresponsable du diplôme universitaire « Emprise sectaire et processus de vulnérabilité » à la faculté de médecine de Paris V.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport. Son enregistrement vidéo sera diffusé sur le site du Sénat.

Pour ceux qui n'auraient pas assisté à la précédente audition, j'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Avec M. Jougla, nous recevons un autre acteur éminent de la vigilance sectaire. M. Jougla se consacre en effet aujourd'hui, à travers le diplôme universitaire qu'il contribue à diriger et animer, à la formation des professionnels de la santé et de la justice et des travailleurs sociaux appelés à intervenir auprès de victimes de sectes.

Je rappelle à l'attention de M. Jougla que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative du groupe RDSE du Sénat. M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de résolution qui se trouve à l'origine de la constitution de cette commission, en est le rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Jougla de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Jean-Pierre Jougla, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Jean-Pierre Jougla. - Je le jure.

M. Alain Milon , président. - A la suite de votre exposé introductif, mon collègue Jacques Mézard, rapporteur, vous posera quelques questions puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Monsieur Jougla, vous avez la parole.

M. Jean-Pierre Jougla , coresponsable du diplôme universitaire « Emprise sectaire et processus de vulnérabilité » à la faculté de médecine de l'université Paris V. - Depuis les années 1960, essentiellement sous l'influence du mouvement « New Age », le monde occidental a vu éclore une multitude de théories et pratiques thérapeutiques qui se concrétisent de deux façons.

La première concerne l'élaboration de diagnostics fondés sur l'intuition, la perception d'énergies, le karma, l'utilisation d'une anatomie ésotérique révélatrice de « corps subtils » - corps éthérique, corps astral, corps causal - empruntés à un groupe de nature sectaire, la théosophie de Blavatsky et Besant au XIX e siècle.

Le principe consiste en un diagnostic de ces corps subtils, invisibles par hypothèse, partant du principe que le corps physique n'est rien et que la véritable thérapie qui doit se mettre en place doit porter sur ces corps éthériques, sur cette sorte d'anatomie invisible.

J'ai conscience de vous faire entrer ici dans un monde totalement irrationnel mais il s'agit de la réalité de ce que les gens vivent à l'intérieur des sectes ; si l'on ne saisit pas cette dimension irrationnelle, on ne peut comprendre comment l'emprise sur les gens qui vont entrer dans cette logique va se mettre en place...

J'ai beaucoup travaillé sur l'Ordre du Temple solaire (OTS) ; la plupart de ses 700 adeptes - dont soixante-quatorze sont morts à l'occasion de plusieurs suicides dirigés - sont entrés dans le groupe par le biais de conférences données par l'un des deux ou trois gourous, Luc Jouret, médecin homéopathe, étant en quelque sorte chargé du rôle de « commercial ».

A travers ses conférences sur les problèmes de santé, de bien-être, d'écologie avant l'heure, Luc Jouret attirait des adeptes auxquels il ne parlait pas de la mission du Temple solaire - sauver l'humanité - afin ne pas les faire fuir mais à qui il racontait comment prendre en charge leurs propres problèmes de santé grâce à des méthodes naturelles et comment assurer leur survie face à l'Apocalypse qui allait arriver, de façon à permettre au petit nombre d'élus qu'ils constituaient de reconstruire la planète.

Ces gens étaient pourtant tout à fait sains d'esprit et occupaient des fonctions enviables, comme le responsable des cigares Davidoff ou celui des montres Piaget qui ont non seulement laissé leur fortune mais également leur vie dans l'aventure du Temple solaire !

Le diagnostic débouche sur une pratique de soins, la plupart du temps fondés sur un transfert d'énergie manuel ou spirituel, selon que l'on a affaire à des groupes sectaires thérapeutiques de nature religieuse ou non - manipulations physiques, guérisons spirituelles par la prière, la concentration ou le transfert de formes pensées censées apporter une guérison des « corps subtils ».

Ces pratiques de soins sont très variables. Certaines sont héritées d'une vieille tradition alchimique basée sur la notion de la théorie des signatures de Paracelse selon laquelle on trouve dans la nature des médicaments à partir de la forme de la plante qui ressemble à la pathologie dont la personne est porteuse. Cela ne repose sur rien d'autre que sur une vision d'ordre magique qui était celle des XV e , XVI e et XVII e siècles. Cela a donné lieu, entre autres, à la théorie de la médecine spagyrique.

Chacun, dans les années 1960, a pu trouver dans ces médecines prétendument nouvelles une forme d'originalité, une façon de vivre non conventionnelle, relayée à droite par la revue Planète et les théories de Pauwels et, à gauche, par les pratiques des « médecins aux pieds nus », à la mode à l'époque de Mao. Les médecins aux pieds nus étaient à la médecine ce que les hauts fourneaux individuels prônés par Mao étaient à l'aciérie, c'est-à-dire de la poudre de Perlimpinpin !

Ces dérives ont atteint un point culminant aux Philippines dans les années 1980 avec les « médecins aux mains nues », présentés comme réalisant des guérisons miraculeuses et qui opéraient les maladies les plus graves. J'ai personnellement connu un spécialiste du cancer de région parisienne, atteint lui-même de cette maladie, qui est allé se faire opérer par ces médecins qui n'étaient rien d'autres que des fumistes, des charlatans et des escrocs ! Ils faisaient croire qu'ils opéraient un patient en mettant les mains dans son corps et en en retirant des éléments qui n'étaient rien d'autre qu'un foie d'un poulet qu'ils avaient dissimulé pour réaliser leur tour de passe-passe !

A l'époque, cela a produit un scandale et l'on pouvait raisonnablement penser que ceci mettrait fin à toutes les pratiques médicales déviantes. Il n'en a rien été et l'on voit aujourd'hui des personnes qui prétendent guérir de maladies graves comme le faisait autrefois le roi pour les écrouelles !

Le week-end dernier, une « gourelle », qui a rang de déesse au niveau mondial, est venue à Toulon prendre dans ses bras des milliers de personnes, ainsi qu'elle le fait partout dans le monde, prétendant guérir les plaies des lépreux uniquement par l'étreinte, comme le roi guérissait les écrouelles ! Si, à l'époque, cette dernière vision superstitieuse a toujours prêté à sourire, de telles pratiques sont aujourd'hui prises au sérieux et prônées par des personnes cultivées, intellectuellement épanouies qui considèrent qu'il s'agit d'une panacée et que l'humanité doit s'imprégner de bonté. Je ne suis pas contre mais j'ai le sentiment que ces méthodes farfelues sont en train de se généraliser !

M. Vuilque disait tout à l'heure que la presse avait beaucoup oeuvré en faveur de la prise de conscience de la dangerosité du phénomène sectaire ; il faut aussi reconnaître que la presse oeuvre dans le sens de la démocratisation de ces méthodes thérapeutiques - que je qualifie personnellement d'illusoires !

Une des premières causes qui expliquent le succès de ces dérives en matière de santé réside dans le vide laissé par la médecine préventive, hygiénique ou pédagogique. Cela fait plusieurs années que je m'occupe de victimes de sectes ; j'ai vu mourir des dizaines de personnes prises en charge par ce type de soins - marcher pieds nus dans la rosée le matin, recevoir l'énergie transmise par un groupe de prières ou par l'imposition des mains. Des gens appartenant parfois au corps médical, pris dans leur propre pathologie, perdaient tout repère scientifique. Je me suis posé la question de savoir comment il pouvait se faire que ces personnes équilibrées et cultivées puissent céder à des chimères...

Une autre des causes du succès de ces thérapies déviantes vient du manque d'humanité que l'on rencontre fréquemment dans la relation entre médecin et patient. Pourquoi ? Le médecin de famille, il y a cinquante ou quatre-vingt ans, se distinguait précisément par son écoute, sa présence, son empathie ! Le médecin d'aujourd'hui, qu'il travaille de façon individuelle ou dans une structure - et peut-être surtout dans une structure - est pris sous la pression d'exigences productivistes, gestionnaires, normatives. Ceci ne lui laisse plus de place pour satisfaire le besoin narcissique du patient, aujourd'hui plus grand qu'il y a vingt ou trente ans. Le besoin narcissique n'est rien d'autre que ce besoin d'être pris en charge globalement, d'être au centre d'un processus ou même parfois simplement conforme à une mode. Il y aura des efforts à faire sur ce point dans le monde médical...

Je ne veux pas généraliser mais s'il existait une meilleure écoute et des réponses plus adéquates, les personnes auraient moins besoin de se tourner vers des charlatans dont la seule qualité est d'être des bonimenteurs et d'avoir cette empathie si nécessaire à chacun aujourd'hui.

Le patient qui utilise ces méthodes trouve un bénéfice immédiat dans le simple fait qu'en s'appropriant le pseudo-savoir - généralement simpliste, donc facile à assimiler - il prend en compte sa personne, s'intéresse à lui-même et trouve un outil qui donne un sens à sa vie. C'est en tout cas la réponse que m'ont donnée toutes les anciennes victimes de thérapies de ce genre. C'est ce que les sociologues appelleraient le « guérir par soi-même », qui vient remplacer le soin scientifique et qui constitue l'un des nouveaux paradigmes de la santé. On ne doit pas le négliger.

La troisième cause de succès vient du relativisme ambiant : tout se vaut, ce qui revient à dire que la médecine scientifique ne vaut pas plus que le chamanisme, par exemple, la médecine scientifique étant elle-même décrite par ceux qui la contestent comme pourvoyeuse de profit financier pour l'industrie pharmaceutique - quand elle n'est pas présentée comme toxique. Il existe malheureusement quelques exemples dont la presse s'empare, montrant parfois la toxicité de certains médicaments imprudemment mis sur le marché et faisant les choux gras de ceux qui contestent la médecine officielle.

Le relativisme rend donc les superstitions aussi valides que les sciences. La science va même être reléguée au rang de mythe et les critères de rationalité seront désormais présentés comme des contingences d'une culture relative. On tombera alors bien bas !

Présenter ces méthodes thérapeutiques illusoires comme supérieures à la médecine scientifique permet en pratique aux gens qui adhèrent à ces théories d'accéder à une dimension élitiste, créant la cohésion autour d'un maître à penser, à travers une doctrine.

A chaque fois que vous aurez affaire à des gens impliqués dans cette croyance, vous n'aurez plus accès à l'explication rationnelle et scientifique : ils sont totalement fermés à cet aspect des choses...

Chaque méthode thérapeutique illusoire devient une vérité absolue, fondée sur l'expérience individuelle et non plus sur l'expérience scientifique. Vous trouverez toujours des gens qui prétendront connaître un malade qui a guéri grâce à telle ou telle méthode. Nous avons tous connu des gens bien intentionnés qui nous ont conseillé de ne plus nous soigner et qui nous ont donné une adresse...

Une autre explication réside dans la complexification de la médecine scientifique. On est aujourd'hui en face d'une parcellisation du savoir médical qui interdit à chacun d'avoir une maîtrise globale de la connaissance. Les méthodes thérapeutiques illusoires détiennent une réponse, le holisme, qui consiste à prendre la maladie dans son ensemble et à apporter une réponse globale au malade. Cette globalité affirme que la dimension spirituelle, au sens religieux du terme, constitue à la fois la cause de la maladie et le processus de soins...

On trouve là des influences venues des Etats-Unis. Même dans le domaine de l'aide aux victimes d'attentats ou de prises d'otages, sujet sur lequel j'ai beaucoup travaillé, une des revendications du Nord de l'Europe est d'intégrer la dimension religieuse dans le soin, partant du principe que le patient ne retrouvera une santé globale qu'en se situant à nouveau dans cette globalité. Il ne s'agit de rien d'autre que de l'accès à la pensée magique...

J'ai beau avoir une longue expérience, je ne suis pas un « chasseur de sectes ». Je suis avant tout juriste, donc respectueux des opinions de chacun et des libertés fondamentales. Il n'est donc pas besoin que je précise que la démarche des patients - et parfois aussi de certains médecins - est sincère. M. Blisko vous a rappelé qu'un vieux rapport du Conseil national de l'Ordre des médecins estimait à 3 000 le nombre de médecins ayant des pratiques de nature sectaire. Ces médecins sont non seulement sincères mais aussi respectables et l'on peut parfois les comprendre, compte tenu de ce que je viens de dire.

Il ne faut toutefois pas perdre de vue que divers courants ont un intérêt financier à véhiculer de telles croyances et cherchent également à établir un pouvoir sur les autres. Je pourrais vous donner ainsi des exemples de lobbying que j'ai vécus de très près...

Les produits et les pratiques vendus par ces supports de méthodes thérapeutiques illusoires coûtent très cher et sont achetés à la place de médicaments éprouvés qui pourraient être remboursés. Il s'agit d'un danger qu'il convient de contenir : celui de voir peu à peu ces méthodes thérapeutiques illusoires remplacer des soins éprouvés. Certes, il s'agit d'une façon de désengorger le système mais on ne peut fermer les yeux sur le fait que des compagnies d'assurance proposent de rembourser certaines méthodes thérapeutiques illusoires, leur offrant ainsi une forme de reconnaissance.

Cette sincérité qu'on ne peut remettre en cause se solde bien souvent par le décès du patient suite à un manque de soins efficaces.

Le second danger qui me paraît directement lié à la dimension sectaire réside dans le fait que le patient est amené à s'enfermer dans la théorie qu'il a faite sienne et qui lui interdit toute perception objective du réel.

Je reprends l'exemple évoqué par Mme Picard lors de son audition devant votre commission d'enquête d'un jeune enfant mort de dénutrition, alors qu'on ne peut raisonnablement pas dire que les parents ont voulu sa mort.

Ces parents étaient adeptes d'une méthode qui n'était pas sectaire en soi mais autour de laquelle ils avaient constitué un groupe de nature sectaire, dans lequel ils enseignaient ladite méthode. Le médecin légiste qui a réalisé l'autopsie m'a dit que cet enfant paraissait sortir d'Auschwitz ! C'était un enfant du Biafra, avec des yeux et un ventre énormes qui pesait quatre ou cinq kilos à l'âge de seize mois. Sa mère avait établi qu'il était allergique à tout aliment sauf au lait maternel et ne le nourrissait qu'au sein. Etant elle-même végétalienne, son lait était certainement très appauvri.

Cet enfermement peut se comprendre : on a hypostasié la pensée et on nie le réel pour ne pas remettre en cause le bien-fondé de la pensée. Cependant, toutes les semaines circulaient dans la maison de ces parents un certain nombre d'élèves et de praticiens. Ceux-ci voyaient l'enfant et n'avaient pas la même prégnance par rapport à la théorie. Ils ont été incapables d'avoir une distance suffisante pour faire un signalement !

Pire : deux ou trois médecins ont suivi l'enfant. Ils se sont contentés de demander à la mère de le faire hospitaliser, sans veiller à ce qui pouvait se passer ! Je rencontre fréquemment des membres du corps médical totalement aveuglés pas la force de conviction de la personne sous l'emprise d'une théorie thérapeutique illusoire. Je n'arrive pas à le comprendre...

Je me souviens de cette jeune kinésithérapeute atteinte d'un cancer, uniquement soignée par la méthode d'Invitation à la Vie (IVI), qui consiste en une simple imposition des mains et en une prière collective. Son frère était médecin. Elle a réussi à convaincre tout le monde qu'elle était dans un processus de guérison grâce à la méthode qu'elle suivait ! Elle est morte assez rapidement, dans des souffrances démentielles, ayant jusqu'au bout refusé de se faire soigner à Montpellier, où des médecins et des spécialistes du cancer pouvaient la prendre en charge.

J'ai toujours rencontré cette sincérité et je n'ai jamais pu arriver à convaincre les gens qui s'étaient laissé entraîner dans de telles pratiques de prendre de la distance et de voir les choses en face.

Je ne sais ce que votre commission peut faire mais je crois surtout, étant profondément républicain et démocrate, que la seule réponse réside dans l'information et la formation. Il n'en existe pas d'autres. Il y a toutefois un gros travail à faire, tant la formation, sur le plan médical, est passée au deuxième degré !

Ces méthodes thérapeutiques illusoires concernent aussi bien les thérapies physiques que les thérapies de la psyché ou de l'âme, avec la notion de guérison spirituelle qui passe par la guérison des « corps subtils » ou par la dimension religieuse et la prière.

Je n'ai pas à me prononcer sur la validité de ces méthodes thérapeutiques illusoires - bien que l'appellation que j'emploie indique ma position. Il existe des structures qui devraient avoir vocation à donner leur expertise. Pourquoi la faculté ou les organismes de recherche gouvernementaux ne donnent-ils pas leur avis ? Il existe depuis trente ans un droit de la consommation pour les aliments que nous achetons et que nous consommons, et personne ne donne de label aux méthodes utilisées en la matière ou aux produits vendus ! Cela me dépasse !

Si je n'ai pas à me prononcer sur la validité de ces méthodes, je pense que beaucoup de choses pourraient être faites par les structures scientifiques, à condition qu'on leur en donne les moyens, non seulement en France mais également en Europe.

M. Vuilque évoquait le lobbying important des groupes sectaires. Je sais, pour l'avoir vécu, que la Scientologie a par exemple trois lobbyistes permanents au Conseil de l'Europe, qui entrent comme ils veulent dans des bureaux qui ne sont jamais fermés à clef et qui ont un contact direct et amical avec énormément de personnels de cette structure internationale. Le lobbying existe. C'est un des dangers, - me semble-t-il en tant que juriste - du phénomène sectaire.

Là où le lien social, le contrat social repose constitutionnellement sur des organismes comme le vôtre, censés faire la loi, en amont, à un niveau qui s'impose à la loi française, certaines choses ne relèvent plus du tout de la délégation démocratique mais de la pression lobbyiste. Il y a là quelque chose de profondément choquant : le phénomène sectaire fait partie de ce travail de lobbying.

Je suis juriste pour le compte de la fédération européenne des centres de recherche et d'information sur le sectarisme (Fecris). Lorsque la Fecris a été acceptée au Conseil de l'Europe en tant qu'organisation non gouvernementale (ONG), un recours a été formé par cinq députés, condition nécessaire pour ne pas accepter cette reconnaissance. J'ai déposé un mémoire pour défendre la position de la Fecris. Ce mémoire n'est jamais arrivé chez le destinataire ! Fort heureusement, je l'avais envoyé en recommandé et j'en détenais la preuve. On m'a donc donné un nouveau délai pour le déposer à nouveau. Je ne puis bien entendu accuser personne...

Une autre cause explique la montée de ces méthodes thérapeutiques illusoires. Il s'agit du lien de confiance avec le thérapeute. Le besoin de donner sa confiance aveuglément à celui qui se présente comme détenteur d'un savoir exclusif et élitiste - particularités des groupes de nature sectaire en matière de santé - entre déjà dans les composantes de la relation d'emprise de nature sectaire si l'on accepte le début de définition de ce qu'est une secte au sens de l'article 223-15-2 du code pénal, qui décrit l'adepte comme une personne en état de sujétion psychologique ou physique.

A partir de cet article, la définition peut devenir la suivante : « La secte est un mouvement portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, qui abuse de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse d'une personne en état de sujétion psychologique ou physique, créé, maintenu ou exploité, résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement pour conduire à un acte ou une abstention gravement préjudiciable ».

C'est ici que les groupes qui pratiquent les méthodes thérapeutiques que je qualifie d'illusoires peuvent présenter un danger de nature sectaire. Ne pas se soigner constitue bien, selon moi, une conséquence préjudiciable pour la personne qui ne guérira pas ou qui peut mourir !

Ce lien de confiance qui va se mettre en place entre patient et soignant est important et peut dériver vers une nature sectaire. Ce lien de confiance va de pair avec deux autres notions, d'une part l'autorité du soignant, d'autre part sa légitimité.

L'autorité relève de l'éthique médicale ; c'est un vieux débat : Hippocrate avait déjà posé le problème. Les médecins prêtent d'ailleurs toujours serment, donnant ainsi tout son sens à la notion de respect de la personne.

Le problème de l'autorité de celui qui a entre ses mains la vie et la mort du malade peut rapidement glisser vers un rapport de domination. Il est bien évident que le patient est dans une relation de confiance qui peut devenir une relation de soumission. Du fait de la confiance du patient, l'autorité de celui qui détient le savoir médical peut très vite, si la personne veut en abuser, dériver vers la domination et la soumission, qui constituent le rapport de sujétion décrit par l'article 223-15-2 du code pénal.

C'est ici que l'on trouve ce que la Miviludes appelle les « dérives sectaires ». Personnellement, je trouve cette terminologie dangereuse : elle sous-entend en effet qu'il existe des sectes qui ne dérivent pas. Or, toute secte est une dérive, ne serait-ce que par rapport à un fonctionnement démocratique !

L'autorité du soignant va de pair avec sa légitimité. A partir du XVII e siècle, sous l'influence des Lumières, le paradigme scientifique est venu fonder la médecine moderne. Peu à peu, cette dimension scientifique a arraché la médecine à la sphère de l'intuition, de la magie, des recettes domestiques et des croyances religieuses, dans lesquelles la maladie pouvait incarner tantôt l'oeuvre du démon, tantôt la souffrance rédemptrice.

Ne vous trompez pas : les méthodes thérapeutiques illusoires que vous voyez aujourd'hui à l'oeuvre sous des aspects folkloriques, orientalistes ou autres nous ramènent à cet ancien paradigme !

Dans le même temps, la science moderne s'est efforcée de retirer la charge du soin au personnel religieux ainsi qu'aux lieux de soins privés appartenant aux organismes caritatifs pour donner la primeur à l'hôpital public et laïciser le soin. Cette dimension est essentielle dans le débat qui nous intéresse.

Depuis le début du dernier tiers du XX e siècle et l'expérience des totalitarismes, on assiste à une remise en cause de la légitimité du fondement scientifique comme si devait être oubliée l'exigence de l'« essai thérapeutique » reposant sur l'emploi du placebo et l'étude dite « prospective, randomisée et en double aveugle ». Les postulats vont ici remplacer les preuves.

Nous sommes aujourd'hui les témoins d'une remise en cause du fondement scientifique, fondement obligatoirement laïque de la médecine moderne, au profit de théories dépassées.

Ici réside le danger insidieux que représente le changement de paradigme prôné par les « conspirateurs du Verseau », comme les appelle Marilyn Ferguson, dont je vais dire ici quelques mots.

Abandon du fondement scientifique au profit de quoi ?

Sans verser dans la théorie du complot, on peut considérer qu'une entreprise de démolition des paradigmes de la modernité - aussi bien le paradigme scientifique de la médecine moderne que le paradigme du fondement démocratique du politique, que celui de l'enseignement et bien d'autres paradigmes participant du lien social - est poursuivie par les groupes sectaires contemporains, justement parce que chacune des très nombreuses sectes que l'on voit aujourd'hui éclore aspire à l'exercice de la domination et à l'exercice d'un pouvoir de nature politique non seulement en son sein - sur les adeptes - mais aussi autour d'elle, sur la société.

Combien voit-on éclore de nouvelles sectes ? Vous avez interrogé M. Vuilque sur le nombre d'enfants que comptent les sectes. Si on estime que les Témoins de Jéhovah appartiennent à un groupe sectaire, si l'on prend pour argent comptant le nombre de membres qu'ils revendiquent - environ 125 000 hommes et autant de femmes - et que chacun a un enfant, on explose le nombre d'enfants dont parlait le rapport de la commission présidée par M. Vuilque.

Les associations sur le terrain estiment qu'il existe environ 600 à 800 000 adeptes. Je pense qu'elles sont largement en-dessous de la réalité.

Pour éviter d'être taxé de « conspirationniste » ou de céder sans preuve à la théorie du complot, je m'appuierai sur les écrits de Marilyn Ferguson, oubliés à juste titre si l'on considère la médiocrité de leur forme qui, dans les années 1980, dans son livre intitulé The Aquarian Conspiracy ou La Conspiration du Verseau - traduite en français par le titre édulcoré Les Enfants du Verseau comme s'il pouvait être choquant qu'il existe des conspirateurs de cette théorie - décrivait ce qu'elle percevait comme l'émergence « New Age » d'un paradigme culturel global, annonciateur d'une ère nouvelle dans laquelle l'humanité parviendrait à réaliser une part importante de son potentiel physique, psychique ou spirituel. Dans le même temps, la Scientologie affirmait que l'homme n'utilisait que 20 % de son cerveau, reprenant une pseudo-citation d'Einstein et sous-entendant qu'elle était capable de donner accès aux 80 % laissés en jachère ! Dans le même temps, on faisait dire à André Malraux que le XXI e siècle serait religieux ou ne serait pas !

Marilyn Ferguson nous dit que la transformation récente de la médecine est une vitrine de la transformation de toutes nos institutions. Elle poursuit en décrivant la réalité d'aujourd'hui : « C'est là que nous pouvons voir ce qui se produit lorsque les consommateurs se mettent à retirer sa légitimité à une institution autoritaire ». Il s'agit ici de l'institution médicale. La Scientologie ne fait rien d'autre lorsqu'elle attaque la psychiatrie : elle reprend exactement les mêmes propos.

Et Marilyn Ferguson de continuer : « Nous pouvons apprécier le pouvoir d'une minorité quand il s'agit d'accélérer un changement de paradigme, le pouvoir des médias et des communications informelles pour modifier nos attentes et nos conceptions de la santé, l'avantage de la « politique aïkido » sur la confrontation ou la rhétorique, l'utilisation des sources nouvellement accessibles, les potentialités qu'offrent les psychotechniques et l'intérêt porté récemment à l'intuition, aux rapports humains et à l'écoute intérieure ».

C'est là le programme que posait Marilyn Ferguson dans les années 1980, réalisé sur toute la côte Ouest des Etats-Unis et dont on a vu des traces dès les années 1960 avec des mouvements hippies mais qui, aujourd'hui, sont peu à peu en train, sans en avoir l'air, de gagner toutes les consciences contemporaines !

Ce livre écrit en 1980 par une sociologue orientée et militante, qui se voulait une photographie des théories « New Age » expliquant les changements que devait entraîner obligatoirement le passage dans l'ère astrologique du Verseau, continue à inspirer aujourd'hui la plupart des groupes sectaires mais aussi les théoriciens négationnistes de la réalité sectaire qui n'ont certainement pas manqué d'écrire à votre commission d'enquête pour dire qu'il existait des personnes qui portaient atteinte aux libertés fondamentales. C'est fréquent...

C'est en me basant sur la notion centrale de changement de paradigme développée par Marilyn Ferguson que j'analyse les progrès de la délaïcisation des soins et le retour en force de la médecine archaïque.

Pour comprendre le retour de l'archaïque, il faut d'abord souligner que les mots utilisés pour parler de la santé et des sectes sont significatifs en eux-mêmes ; à notre insu, le paradigme « New Age » pénètrent nos propres conceptions.

Les termes que nous utilisons ne sont pas neutres et il faut y voir d'abord et avant tout l'expression d'un néolangage sectaire de combat. Je vous renvoie à 1984 de George Orwell, qui décrit un fonctionnement de mécanismes totalitaires immédiatement applicable au fonctionnement de groupes sectaires, en particulier la création d'une langue.

On utilise ainsi les termes de :

- « médecine alternative » ce qui laisse entendre que les méthodes non éprouvées auraient au moins la même valeur que la médecine scientifique ;

- « médecine complémentaire », sous-entendant que la médecine scientifique a besoin d'un complément et qu'elle est donc incomplète ;

- « médecine traditionnelle » : âyurvédique, chinoise, spagirique, druidique, chamanique ou autres, dont l'ancienneté serait une preuve de validité ;

- « médecine naturelle » qui renvoie la croyance rousseauiste de la bonté de la nature, la médecine éprouvée étant artificielle et toxique ;

- « médecine douce » à base de techniques non envahissantes qui laisse croire que l'allopathie serait agressive donc essentiellement dangereuse ;

- « médecine holistique » hypertrophiant le rôle de la psyché quand ce n'est du spirituel, ce qui laisse à penser que la médecine allopathique ne serait que parcellaire ;

- « médecine quantique » - par résonance ou non -, « vitaliste » et autres « médecines énergétiques ».

Parions sur l'arrivée prochaine d'une médecine nano-spirituelle !

Le simple fait d'utiliser ce vocabulaire dans le langage quotidien, sans se poser plus de question, démontre jusqu'où les paradigmes « New Age » ont pu pénétrer nos consciences de façon totalement insidieuse.

Après avoir éreinté sans appel possible et dans une perspective « manichéenne » la médecine allopathique et la chirurgie, qu'elle qualifie de « rationnelles » pour leur carence en humanité - la critique n'est donc pas nouvelle - Marilyn Ferguson s'embarque dans une explication exclusive de la maladie à partir du « conflit » dont le patient serait porteur, lequel conflit générerait la maladie, et de la force de la volonté individuelle qui peut guérir le patient. Vous avez entendu parler des théories de Ryke Hamer : il s'agit exactement de la même chose !

Pour Marilyn Ferguson, nous sommes des champs oscillants à l'intérieur de champs plus vastes... Cette logique de champs peut vous aider à comprendre comment un gourou est perçu par ses adeptes : il se présente comme un champ « plus vaste » pour que le champ « inférieur » - le champ des disciples - soit holistiquement absorbé.

C'est, sous l'angle d'approche de la vulnérabilité, le danger majeur dont les méthodes thérapeutiques illusoires sont porteuses pour l'individu : préparer des individus à tout accepter, au nom d'un changement de paradigme, celui de partager avec d'autres « conspirateurs » cette vérité supérieure qui les amène à la perte de toute distanciation et de tout esprit critique ainsi qu'à la soumission à un gourou détenteur d'un savoir exclusif qui fonde le pouvoir légitimant l'assujettissement.

J'en reviens au Temple solaire : soixante-quatorze personnes sont parties ; une dizaine a sûrement été assassinée pour avoir dévié de la doctrine et décrit ce qui était en train de se passer, ou pour avoir réclamé le remboursement de sommes avancées au gourou et dépensées par lui.

La plupart des personnes sont parties dans le cadre d'un suicide de groupe, à trois reprises. Vous voyez jusqu'où peut aller la mission de l'adepte. Il ressort des écrits internes du groupe que ces gens étaient persuadés que la vie sur terre était devenue impossible, celle-ci s'étant densifiée et trop matérialisée. Les « fermes de survie » créées dans plusieurs régions du globe étant insuffisantes pour sauver l'humanité, il fallait rallier une « ferme de survie » de repli, Sirius.

Partir sur Sirius, comment faire ? Seule l'âme de ces adeptes pouvait faire le voyage. Pour cela, il fallait un « combustible ». On enseignait aux adeptes que ce dernier serait tiré de la carbonisation des cellules du corps, transmutées par l'expérience vécue intérieurement en « carbone métachimique » : cela ne veut rien dire mais ils y ont cru !

La plupart des suicides se sont accompagnés d'un coup de feu tiré dans la tête par un 22 long rifle à un coup afin que l'âme sorte du corps, ce qui obligeait à chaque fois l'exécutant à recharger l'arme. La tête des adeptes était recouverte d'un sac plastique pour qu'ils ne voient pas ce qu'il advenait de leurs « frères et soeurs ». Il ne fallait pas dévier du but : Sirius ! C'est pourquoi un incendie a été provoqué à chaque fois, afin de carboniser les cellules et libérer l'énergie et entrer dans un processus d'aimantation, les âmes devant être aimantées pour partir dans un voyage de groupe jusqu'à Sirius.

Cette aimantation devait être si forte qu'elle pouvait aimanter toutes les âmes des non-adeptes suffisamment évolués pour aider le Temple solaire à continuer à oeuvrer sur Sirius.

Le délire interprétatif peut aller jusque-là, sans droguer les personnes ni les diminuer intellectuellement, en remplaçant seulement une vision du réel par un réel totalement fantasmé !

C'est sous cet angle de l'approche de la vulnérabilité que l'on peut comprendre que la secte est d'abord et avant tout une structure d'exercice du pouvoir au sein d'un milieu clos.

Les changements de paradigme prônés non seulement par les groupes issus du « New Age » mais également par tous les groupes qui ne relèvent pas de cette obédience vont passer par l'exercice de pouvoirs de nature littéralement étatique, et ce quelle que soit la taille de la secte : pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

En matière de pouvoir législatif, c'est le gourou qui génère la norme. La doctrine est le ciment du groupe. Les théories sur la santé constituent la plupart du temps une des composantes essentielles de la loi interne de la secte, qui légitime le pouvoir du gourou. Le gourou est celui qui sait ; on ne peut remettre en question ce qu'il dit. Il n'existe pas de fonctionnement démocratique dans l'élaboration de la loi à l'intérieur d'une secte et il ne viendrait à l'idée d'aucun adepte de remettre en question ce que dit le gourou.

Je ne retiendrai que trois ou quatre des attributs régaliens relatifs au pouvoir exécutif en matière de santé. Le premier est celui d'une langue propre. Poser le vocabulaire, c'est nommer les choses. Cela fait partie de l'enseignement. La secte thérapeutique va donc mettre en place un charabia pseudo-scientifique en matière de santé, que l'adepte s'épuise à essayer de comprendre. Tout le temps qu'il y passera le coupera de la pensée critique et le persuadera qu'il est supérieur au reste de la société.

Le système éducatif constitue une autre dimension régalienne. Il existe un enseignement en rapport avec la santé à l'intérieur de presque tous les groupes sectaires, ainsi qu'un système économique permettant de lever l'impôt et de faire travailler les gens. Un système économique propre est mis en place par tous les groupes travaillant sur la santé par le biais du paramédical et des livres qui vont avec. C'est une économie importante. Et il existe un système de santé privé qui délaïcise la santé, échappant à la science pour mieux obéir à une croyance.

Enfin, quelle place occupe le pouvoir judiciaire dans le domaine de la santé au sein des sectes ? La santé et la maladie vont être interprétées comme une punition pour avoir désobéi à la norme posée par le gourou ou pour avoir désobéi à un ordre supérieur.

Pour ce qui est des sectes guérisseuses, je vous renvoie au rapport de 1995, qui dressait une topologie des sectes.

Lorsque l'on est confronté à des sectes guérisseuses, la doctrine thérapeutique devient alors l'essentiel du fonctionnement du groupe et constitue la mission à laquelle les adeptes adhèrent.

La vérité révélée par le gourou devient alors la seule grille de compréhension du monde. C'est ici qu'une forme de fanatisme peut être rencontrée. L'adepte est persuadé que le savoir du gourou est la panacée et le réel objectif cède le pas à l'idéologie.

Par une sorte de renversement faustien le pouvoir chimérique de « redonner la vie » retire à la mort toute signification. Cette scotomisation du réel explique l'absence d'émotion du groupe à l'occasion du décès d'un patient, qui va non seulement être nié mais également recevoir de multiples interprétations de nature à créer la culpabilité chez ses proches : il n'a pas survécu parce qu'il n'a pas adhéré. S'il avait cru, il aurait guéri.

Il y a là une charge de culpabilité colossale pour les familles des disparus qui ont, à un moment ou un autre, partagé le cheminement du patient.

Dans le même temps, alors que la médecine scientifique est présentée comme le lieu de tous les échecs, les issues fatales causées par le soin du thérapeute illusionniste sont réduites à l'expression d'un prétendu refus de guérir du patient.

Ce sont les sectes guérisseuses qui constituent depuis une quinzaine d'années l'essentiel des sectes contemporaines. Pour la plupart, elles se constituent autour d'un « soignant » qui utilise une des nombreuses méthodes thérapeutiques illusoires du nouveau marché du soin mais, parfois, le « soignant » construit sa propre méthode à partir de divers emprunts aboutissant à un syncrétisme de bazar.

La forme sectaire apparaît dès lors qu'autour du soignant, un groupe se crée, fédéré par une doctrine et caractérisé par le rapport d'autorité soumission que j'évoquais au début de cet exposé.

La plupart du temps, on ne peut connaître l'existence d'un groupe sectaire guérisseur qu'à la suite de plaintes de victimes, plus exactement de saisines par ces victimes des associations de terrain ou de la Miviludes, ou plus souvent encore à l'occasion d'une prise en charge thérapeutique, sociale ou juridique. C'est très souvent lors de la gestion professionnelle du problème de la victime qu'apparaît la réalité du lien d'emprise sectaire.

C'est en partant de ce constat qu'il nous est apparu nécessaire de former les professionnels au diagnostic de l'emprise et à la prise en charge de la victime. C'est ainsi qu'est né le diplôme de troisième cycle sur l'emprise sectaire, d'abord à la faculté de médecine de Lyon, il y a une dizaine d'années puis aujourd'hui, à la faculté de médecine Paris V - René Descartes.

Face à la spécificité de l'emprise sectaire, on pourrait envisager de mettre en place une spécialité en matière d'expertise.

Dans les dossiers que j'ai à suivre, je me suis rendu compte que l'irrationnel auquel on pouvait avoir affaire dépassait de très loin ce que les juristes sont capables d'accepter. Une particularité du juriste est d'avoir été formé à la théorie du consentement éclairé. Pour lui, tout ce qui se passe dans les rapports entre individus relève de cette dimension rationnelle. Le juriste ne peut accepter que le lien qui se met en place relève d'autre chose.

Influence des sectes dans le domaine de la santé, lobbying, instrumentalisation des institutions, banalisation des propos, confusion, intoxication : l'archaïsme est en train de revenir en force au coeur des théories et des pratiques.

Au-delà, les enjeux de santé s'inscrivent dans une forme de régression sociale. Ces méthodes thérapeutiques illusoires font échapper la santé à la sécularisation, à la laïcisation du soin qu'avait permis la science. Plus le monde de la santé aura de difficultés à vivre du fait du manque de moyens, plus on aura tendance à accepter de se défausser sur ce que les Anglo-Saxons appellent les « organismes de charité ».

Les XVIII e et XIX e siècles avaient vu le passage de « l'Hôtel-Dieu » à « l'Hôpital public ». L'héritage des Lumières a permis l'essor de la médecine scientifique occidentale. Le XXI e siècle risque de générer le glissement de « l'Hôpital public » à « l'autel des gourous ». Les Lumières seraient alors éteintes par l'obscurantisme sectaire que les méthodes thérapeutiques illusoires contribuent à diffuser auprès d'un public avide et de plus en plus influençable !

Mme Gisèle Printz , présidente. - La parole est au rapporteur...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Qu'est-ce qui vous a amené à vous pencher de manière aussi complète sur ces problèmes ?

M. Jean-Pierre Jougla. - En premier lieu, ma formation de juriste de droit public. Au début de mon activité d'avocat, le hasard a fait que je me suis occupé de divorces de personnes se trouvant dans des sectes ou qui en étaient sorties. En tant qu'avocat, j'ai donc défendu des adeptes qui possédaient une conviction. Or, je me suis alors rendu compte que ce que l'adepte considérait comme l'expression d'une liberté était en fait décrit par celui qui en était sorti comme un enfermement.

En tant que juriste de droit public, ces notions de liberté fondamentale étaient pour moi centrales. C'est pourquoi je continue à mener une réflexion sur ce sujet, estimant que le phénomène sectaire contemporain - qui n'a rien à voir avec le phénomène sectaire religieux du XIX e siècle sur lequel Max Weber avait travaillé - constitue avant tout une atteinte à une liberté fondamentale et tente de renverser l'essentiel du socle de la démocratie, basé sur le respect des droits individuels.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Dans quelles conditions avez-vous été amené à assister au décès de victimes ?

M. Jean-Pierre Jougla. - Travaillant sur les sectes, je suis fréquemment contacté, dans le cadre associatif mais également à titre individuel, pour essayer de trouver des solutions.

Je me souviendrai toute ma vie d'un adepte d'un groupe sectaire pour lequel il fallait à tout prix se purifier. La purification du corps, qui est le temple de l'âme comme chacun le sait, passait par des mauvais traitements que la personne s'imposait, se privant totalement de nourriture. J'avais contacté un médecin qui connaissait ce patient, lui-même membre du groupe sectaire. Il m'a assuré que tout était sous contrôle : trois jours après, le patient mourait !

J'ai également vu plusieurs personnes atteintes de cancer mourir d'absence de soins, avec des interprétations complètement farfelues : une main qui pèse cinq ou sept kilos, gonflée par la prolifération de cellules cancéreuses, va tomber : c'est un processus de guérison ! Elle repoussera ! Des gens ont cru ce genre de choses ! A chaque fois, l'irrationnel prend le pas sur le raisonnement et sur le bon sens même...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Il existe des pratiques dites non conventionnelles dont certaines ne paraissent pas dangereuses et d'autres qui aboutissent à ce que vous venez de décrire. Quels sont selon vous les pratiques les plus dangereuses ?

M. Jean-Pierre Jougla. - Je me suis toujours refusé à entrer dans une classification. Ce n'est pas la pratique qui est importante mais le lien de sujétion qui est gravissime. Au-delà de l'issue plus ou moins regrettable d'une thérapie, il y a surtout la désocialisation de la personne, en ce sens que celle qui est enfermée dans une croyance aussi prégnante que celle dont nous parlons perd sa dimension de citoyen. C'est une autre façon de répondre à la première question que vous posiez : ce qui est important dans une société, c'est le contrat qui nous lie, ce sont les paradigmes sur lesquels nos sociétés reposent.

J'ai essayé de vous convaincre que l'aventure des groupes thérapeutiques illusoires se basait essentiellement sur une remise en cause des paradigmes qui nous fondent. Le système de soins va la plupart du temps avec une vision politique théocratique et créationniste, toutes choses que la science avait reléguées dans le placard de l'histoire et qui remontent aujourd'hui. On peut le croiser avec le phénomène des minorités, avec celui des fanatismes : il y a autour de la santé un enjeu plus dangereux que les conséquences que le défaut de soins peut avoir...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Le diplôme universitaire dont vous vous occupez relève d'une faculté de médecine. Vous nous avez rappelé qu'une estimation ancienne considérait plus de 3 000 médecins comme déviants.

Comment expliquez-vous ce processus par lequel des praticiens formés dans nos facultés de médecine - certains aussi à l'étranger - arrivent à sortir du système dans lequel ils ont étudié pour recourir à des méthodes dont on connaît l'absence d'effets ou le danger ? On trouve aujourd'hui sur Internet des personnes se prétendant médecins et donnant des références qui tiennent des propos particulièrement inquiétants...

M. Jean-Pierre Jougla. - Je ne prétends pas avoir l'explication globale mais j'ai souvent discuté avec des médecins qui prônent ces méthodes. Ce qui me frappe, c'est leur besoin d'explication globale que la science ne leur donne plus. Quand un généraliste fait un diagnostic, il demande des examens dont la technicité lui échappe totalement. Une forme de frustration tout à fait normale va découler de cet abandon du savoir. Un certain nombre d'entre eux vont trouver la réponse dont ils ont besoin dans une dimension qui a toujours été présente, celle de la pensée magique. Curieusement, même une personne possédant une formation scientifique peut être submergée par cette dimension.

Ceci est très certainement lié à l'affectif. On reproche la plupart du temps à la médecine une certaine déshumanisation mais on peut constater que la dimension affective demeure chez le médecin. Celle-ci trouve une satisfaction dans la réponse holistique. Je suis capable de donner une réponse au mal dont souffre le patient, même si cette réponse est totalement illusoire. Cela satisfait le besoin affectif du praticien.

Cela peut apparaître simpliste mais c'est ce que j'ai ressenti après avoir discuté à plusieurs reprises avec des médecins pratiquant ces méthodes, abandonnant complètement le savoir qu'ils pouvaient avoir acquis antérieurement !

La plupart du temps, les médecins qui ont recours à ces méthodes thérapeutiques illusoires n'ont aucune idée de l'origine de celles-ci ni aucune connaissance des théories sur le vitalisme ou sur les pratiques alchimiques du XVI e ou XVII e siècle qui ont participé à l'apparition de la science moderne mais qui ont été totalement dépassées. Ils continuent à prendre ces théories au pied de la lettre, sans avoir une connaissance historique de ce qui a pu se dérouler.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Ce qui est frappant dans un certain nombre de petites structures, c'est le but financier de ce charlatanisme !

M. Jean-Pierre Jougla. - Je n'insiste jamais sur ce point. Bien sûr, certaines victimes ont parfois été escroquées et délestées de sommes très importantes mais, lors de nos échanges, elles me disent que c'est accessoire, qu'elles peuvent se refaire une santé financière. Mais elles ne revivront jamais la période de leur vie qui a été mise entre parenthèses, les laissant parfois pendant des années coupées de la vie réelle et de leur environnement familial. Leurs parents ont même pu mourir sans qu'elles aient repris contact. C'est là le manque majeur.

La démarche judiciaire recherche toujours les abus sous l'angle financier ou sexuel mais ne s'intéresse pas suffisamment à l'abus de pouvoir, qui constitue une maltraitance psychologique. Il est difficile de prendre la mesure de ces maltraitances. On a besoin de concret...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Il est intéressant de connaître votre réponse par rapport aux questions que nous pouvons nous poser à partir d'exemples que nous connaissons...

M. Jean-Pierre Jougla. - Je suis habitué à ce genre de « fausse route » : dans le monde de la justice, c'est quasiment systématique.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Le reliez-vous aux attaques de certains groupes contre la psychiatrie ? Comment s'expliquent-elles ?

M. Jean-Pierre Jougla. - Vous faites essentiellement allusion à la Scientologie, maître d'oeuvre des attaques contre la psychiatrie. Il faut en chercher les raisons dans les pathologies de Ron Hubbard lui-même. Il suffit de le lire pour comprendre de quoi il s'agit....

Ce qui m'étonne, c'est de voir que, cinquante ans après, on continue à prendre ses critiques au pied de la lettre - camisole de force, électrochocs... techniques aujourd'hui totalement abandonnées mais toujours considérées par les adeptes comme d'actualité !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Avez-vous beaucoup d'étudiants ? Comment voyez-vous le développement du diplôme ? Il paraîtrait intéressant qu'on s'en inspire dans nombre de facultés de médecine...

M. Jean-Pierre Jougla. - Le nombre d'étudiants est relativement modeste. Je ne pense pas qu'ils soient trop nombreux. A l'heure actuelle, les étudiants doivent être une quinzaine, ce qui est un succès relatif pour un diplôme universitaire de troisième cycle.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Ma question a pour but de voir s'il serait selon vous utile de développer une information de base dans le cadre de la formation médicale, notre commission d'enquête concernant les dérives dans le domaine de la santé.

M. Jean-Pierre Jougla. - Il serait important de délivrer une formation dans les universités en direction des médecins sur les dérapages auxquels ils peuvent être confrontés, ne serait-ce que pour qu'ils s'en rendent compte lors de la prise en charge d'un patient et puissent agir en conséquence.

Cette formation est dupliquée dans divers secteurs. M. Vuilque a évoqué la formation de l'Ecole nationale de la magistrature (ENM) ; elle est relativement modeste et regroupe bon an mal an quatre-vingts à cent personnes - soixante magistrats, vingt policiers. C'est une goutte d'eau dans l'océan judiciaire !

Mme Muguette Dini . - Vous avez affirmé que les magistrats et la justice prenaient peu en compte la dépendance psychologique des adeptes.

Ceci peut être rapproché des violences conjugales - qui ne sont pas obligatoirement physiques mais aussi psychologiques. Au Canada, on estime que dans les couples, 30 % des conjoints sont des pervers manipulateurs. Comment sensibiliser la magistrature à cette violence psychologique qui s'exerce à la fois au sein des couples mais aussi des sectes - phénomène qui me paraît très proche ?

M. Jean-Pierre Jougla. - Nous demandons, dans le cadre du diplôme universitaire, à des victimes de venir témoigner pour que les étudiants, qui sont des professionnels, entendent la parole d'une victime, ce qu'ils n'avaient pas eu l'occasion d'entendre jusque-là.

Pour ce qui est de l'ENM, je leur apporte des écrits internes de sectes ou gourous pour bien leur faire comprendre l'enjeu dont il s'agit, le pari étant de les faire entrer dans une logique de nature sectaire. Lorsqu'un parent divorce et qu'il a connu le fonctionnement du groupe sectaire, il sait profondément qu'il va être question d'un projet de société. Le groupe sectaire peut fort bien avoir décidé que l'enfant du groupe est un enfant de la cinquième race - celle du Verseau - promis à un avenir extraordinaire, avec la désocialisation qui va de pair. Celui qui demeure dans le groupe sectaire a la sincère conviction que le mieux pour l'enfant est de lui faire vivre ce projet. Il s'agit là d'un conflit dans le projet éducatif, lourd de conséquences pour l'enfant.

Arriver à faire comprendre à un avocat - mais aussi à un magistrat - ce dont il est question dans un bref laps de temps n'est pas évident. Personnellement, lorsque je suis amené à dispenser ce genre de formation à l'ENM, j'essaie de partir de cas concrets, afin de bien établir les enjeux. Je mène de quasi-jeux de rôle qui mettent en scène le père et la mère de l'enfant, en interprétant le rôle du gourou. J'explique que, dans une incarnation passée, à l'époque égyptienne, l'enfant était en réalité celui de deux autres adeptes qui lui avaient fait faire un bon extraordinaire dans sa progression intérieure. Pour que celle-ci puisse continuer après plusieurs siècles d'interruption, la chance nous ayant réunis dans le même groupe, il faut confier l'enfant à ses deux parents extraordinaires de l'époque égyptienne. Les parents biologiques vont donc accepter d'abandonner l'enfant à l'éducation de deux autres personnes...

Tout va bien tant que cela fonctionne. Mais le jour où l'un des deux parents biologiques divorce ou se retire du groupe et qu'il explique la théorie de l'enfant égyptien à un juge, c'est lui qui va passer pour fou ! Il faut arriver à passer au-dessus du diagnostic pathologique que le magistrat va opérer automatiquement pour entrer dans la réalité du groupe sectaire. Il convient donc d'en connaître la spécificité et le contenu de la doctrine. Cela signifie que l'on se heurte à des écrits abscons. On ne peut demander cela à un magistrat. Il faut donc désigner un expert et avoir la connaissance suffisante pour expliquer les choses clairement à quelqu'un qui aura à trancher. Ce n'est pas facile...

Mme Hélène Lipietz . - Je suis également avocate en droit public et j'ai souvent rencontré des patients qui remettaient en cause non des dérives sectaires de l'hôpital - quoi qu'on puisse se demander s'il n'en existe pas en cas d'acharnement thérapeutique - mais surtout le fait que les médecins ne savent pas répondre à leur angoisse, cette absence était considérée comme une faute médicale. On m'a souvent demandé ce que l'on pouvait faire pour mettre en cause la responsabilité des médecins.

Pensez-vous que la formation initiale des médecins puisse éviter que certaines personnes ne se tournent vers les méthodes thérapeutiques illusoires ? Une formation plus littéraire des médecins, tournée vers davantage de psychologie, ne constituerait-elle pas un moyen de lutter contre les dérives sectaires ?

M. Jean-Pierre Jougla. - Je le pense. Je ne sais quelles formes cela peut revêtir mais il est vrai que les humanités donnaient des réponses que la science peine à trouver.

Il faut un équilibre entre les deux. On ne peut être médecin sans formation scientifique. C'est le cas dans tous les domaines. Dans le milieu judiciaire, s'il n'y a pas d'empathie avec le client, il manque quelque chose à la dimension pédagogique que tout juriste doit posséder pour expliquer que le conflit entre deux parties est une façon de détruire le lien social fondé sur la raison. La passion vient alors aveugler la raison. Le travail du juriste consiste à apporter un éclairage ; le travail du médecin devrait être également celui-là.

On se heurte toutefois aux exigences de la productivité et le temps nécessaire à ce genre de pédagogie devient rare. Il faudrait changer beaucoup de choses dans la société !

Mme Muguette Dini . - Il s'agit aussi d'un manque dans la formation. Certains médecins possèdent une empathie naturelle, d'autres non mais à aucun moment on ne cherche à l'expliquer. Peut-être conviendrait-il de créer une méthode...

C'est un problème pour tous les métiers directement liés à l'humain - enseignants, magistrats, avocats, médecins - de ne pas savoir écouter ou faire preuve d'empathie.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - On ne le peut pas toujours. J'ai également de nombreuses années de pratique en tant qu'avocat. Il est parfois difficile de faire preuve d'empathie ou de sympathie !

On constate cependant que, dans nos sociétés occidentales d'Europe du Nord, la durée de vie s'est allongée et continue à progresser grâce aux progrès scientifiques ! Or, d'aucuns prônent un certain retour à la nature, l'action de l'homme étant selon eux néfaste. C'est une relative contradiction qui doit être relevée...

M. Jean-Pierre Jougla. - Je partage votre sentiment. J'ai fréquemment constaté que les gens qui prêchent une méthode naturelle, confrontés à la maladie, ont fréquemment recours à la médecine scientifique...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Heureusement ! Il en va d'ailleurs de même dans bien d'autres domaines...

Mme Gisèle Printz , présidente. - Tous ceux qui recourent à des gourous ont besoin qu'on les écoute et qu'on les aime. Ils ne trouvent souvent personne à qui parler, personne auprès de qui s'épancher. Or, les gourous les écoutent et leur portent une certaine attention...

M. Jean-Pierre Jougla. - Vous venez de donner la réponse à une question qu'on me pose souvent : existe-t-il un profil type de l'adepte ? Tout le monde est concerné : nous avons tous besoin d'être écoutés et aimés !

C'est pour cela que la démarche de toute emprise sectaire commence toujours par un « bombardement d'amour ». On donne le sentiment à l'adepte d'être entré dans une vraie famille, d'être enfin compris et estimé à sa juste valeur, alors que personne, dans sa propre famille biologique, n'avait jusqu'alors été capable de reconnaître !

Audition de M. Christian SAOUT, président du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss) (mercredi 7 novembre 2012)

M. Bernard Saugey , président - Nous poursuivons aujourd'hui les auditions de notre commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé en accueillant M. Christian Saout, président du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss).

Je précise à l'attention de mes collègues que le Ciss a été créé en 1996 et regroupe aujourd'hui trente-huit associations intervenant dans le champ de la santé, notamment des associations de patients mais aussi des associations comme Médecins du monde ou Visite des malades en établissements hospitaliers (VMEH).

Le Ciss s'est imposé comme un interlocuteur incontournable des pouvoirs publics et des établissements de santé dans le cadre du développement de ce que l'on peut aujourd'hui appeler la démocratie sanitaire. Son projet est de représenter et de défendre les usagers du système de santé, notamment sur les questions de l'accès aux soins et aux thérapies innovantes.

J'ajoute que M. Saout a été appelé à plusieurs reprises à faire partie de groupes de réflexion chargés de proposer des évolutions de notre système de santé ; il a ainsi été chargé d'un rapport sur la question de l'éducation thérapeutique par Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Je précise que cette audition n'est ouverte ni au public ni à la presse ; son compte rendu sera publié avec le rapport.

Je rappelle à l'attention de M. Saout que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base du droit de tirage annuel que peut exercer chacun des groupes politiques du Sénat. Le bureau du Sénat a accepté la demande du groupe RDSE d'utiliser ce droit pour soulever la question de l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé. M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de résolution à l'origine de la constitution de cette commission, en est le rapporteur.

Je vais, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Saout de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 et suivants du code pénal.

Monsieur Christian Saout, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Christian Saout . - Je le jure.

M. Bernard Saugey, président . - Vous avez la parole.

M. Christian Saout, président du Ciss . - Je vous ai remis une note écrite que je reprendrai pour l'essentiel. Le Ciss regroupe cinq grandes catégories d'associations : associations familiales, de consommateurs, de patients, dédiées aux personnes âgées ou aux personnes handicapées, qui sont toutes agréées au titre de l'article L. 1114-1 du code de la santé publique ; aucune ne nous a alertés quant à l'existence de dérives sectaires dans les établissements hospitaliers, telles que l'on a pu en observer dans le passé, comme cela fut le cas, par exemple, dans le domaine du sida, et je m'en étais ému comme président d'Aides, avant l'arrivée des trithérapies, alors que les malades étaient dans des situations de grande détresse.

Le rapport annuel de la ligne téléphonique du Ciss, santé info droits, récemment paru, ne porte pas trace de telles difficultés. Mais il est vrai que la visibilité de cette ligne n'est pas comparable à celle des autres numéros verts et qu'elle se présente davantage comme un service destiné à piloter les usagers qui ont du mal à s'orienter dans le système de santé.

Cependant, le sujet reste sensible, en particulier dans les associations qui opèrent sur internet.

Il existe des outils de police administrative pour prévenir les dérives. Les associations agréées devraient, de ce point de vue, être regardées comme un exemple puisqu'elles sont soumises au contrôle de la Commission nationale d'agrément prévue par l'article L. 1114-1 du code de la santé publique, dont les avis ont force de décisions. Parmi les critères retenus figure celui de l'indépendance, dont on peut regretter cependant qu'elle ne soit pas caractérisée plus avant : indépendance financière à l'égard des industries de santé, indépendance à l'égard des professionnels de santé, indépendance à l'égard des sectes. Les critères généraux d'agrément ont été précisés par le décret n° 2005-300 du 31 mars 2005. La commission doit ainsi vérifier que l'activité de l'association répond bien à trois critères : le premier fondé la promotion des droits des malades auprès des pouvoirs publics et du système de santé ; le deuxième sur la participation des malades à l'élaboration des politiques de santé et le troisième sur les actions de prévention, d'aide et de soutien aux malades, conduites par l'association. Autant de garanties des libertés individuelles qui doivent amener à penser que les associations agréées qui interviennent dans le système de santé ne sont pas entachées de dérives sectaires. Il n'y a d'ailleurs eu aucun retrait d'agrément depuis la création de la commission, en 2006. Bien qu'axé sur la représentation des usagers, il semble donc bien que l'agrément ait des effets vertueux sur la prévention des dérives sectaires.

L'article récent de Sciences et avenir , qui fait état d'un risque au sein de la délégation de Loire-Atlantique de la Ligue contre le cancer, montre cependant que malgré ce contexte rassurant, des difficultés restent possibles.

Toutes les associations, agréées ou non, peuvent mener une activité au sein de l'hôpital dans le cadre d'un conventionnement. Tel est le cas des associations Sparadrap ou Nez rouges pour l'accompagnement de la petite enfance. Pour les associations visant les personnes en fin de vie, l'article L. 1110-11 est plus sévère puisqu'il exige de l'association une charte, distincte de la charte du patient hospitalisé, sans cependant qu'aucun texte ne prévoie de mesures de contrôle. Même le contrôle de la section administrative du Conseil d'État dans le cadre des reconnaissances d'utilité publique ne porte pas sur de tels cas.

Cela étant, je crains qu'il ne vous soit pas facile de dénicher un bilan de cette activité conventionnelle. On n'en trouve pas trace ni dans le rapport d'activité de la Direction générale de l'offre de soins, ni dans celui des agences régionales de santé. Pourquoi aussi peu de conventions signées ? La Direction générale de l'offre de soins (DGOS) allègue que la procédure est très lourde... Pourtant, du point de vue des malades et de leurs proches, le fait qu'une association soit conventionnée par l'établissement est un élément d'information du patient prévu par l'article L. 1112-2 du code de la santé publique.

Les associations agrées, pour une moitié nationales, pour l'autre régionales, ne dépassent pas le millier, quand l'annuaire des associations compte plus de 10 000 entrées : 1/10 e seulement des associations répond donc aux exigences de l'agrément de représentation. Pour autant, l'action conduite par les associations n'est pas dépourvue de règles susceptibles de permettre d'éviter les dérives sectaires.

En premier lieu, les statuts de certaines associations comportent des règles éthiques et philosophiques que ces associations se fixent à elles-mêmes. C'est le cas d'Aides, qui prévoit aussi des mécanismes de sanction. Cela dit, les situations sont très disparates. Ainsi, et la différence n'est pas anodine, certaines associations exigent une formation de leurs bénévoles, d'autres non. L'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) a cependant finalisé un référentiel méthodologique pour l'accompagnement et la prévention.

Ensuite, tout fichier constitué doit évidemment être déclaré à la Cnil - tant pour la collecte, le traitement que, plus sensible encore, l'échange.

Enfin, un certain nombre de dispositions pénales, comme l'abus d'état d'ignorance ou de situation de faiblesse réprimé par l'article 223-1 du code pénal, ou la révélation d'une information à caractère secret telle que définie à l'article 226-13 du même code, peuvent trouver à s'appliquer.

Bref, que l'association soit agréée, conventionnées ou pas, il existe des règles.

Si cependant votre commission les jugeait insuffisantes, il est des évolutions possibles. Il faut avoir conscience que le rapport au soin est en train de se transformer : le soin de l'accompagnement prend le pas sur le soin d'urgence ; nous évoluons vers le traitement du chronique, la maladie et les soins s'inscrivent dans la durée. L'accompagnement des patients devient de ce fait indispensable et ne peut être assuré par les seuls soignants, d'autant que se développent, du même coup, les prestations de santé à domicile, pour les appareils respiratoires, par exemple. Il faut désormais compter avec deux nouveaux acteurs, les associations de patients et la télésanté, en peine explosion, et qui suscite des prises de positions pas toujours bien intentionnées. On sait que le dialogue avec des sociétés de services, sur internet, peut dériver vers l'abus de faiblesse. C'est pourquoi dans le rapport que j'ai, avec les professeurs Charbonnel et Bertrand, remis à Mme Bachelot-Narquin, nous préconisions de prévoir, en matière d'accompagnement, des mécanismes de régulation, pour prévenir les dérives. Hélas, le mécanisme de régulation voté dans la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) sous le titre « Education thérapeutique du patient » n'est toujours pas pleinement mis en oeuvre. L'éducation thérapeutique est désormais reconnue en France, mais une partie seulement des programmes a fait l'objet d'un décret et d'une recommandation de la Haute Autorité de santé (HAS). Au-delà, pour les actions d'accompagnement des patients, il manque et réglementation et recommandation de la HAS, laquelle pourrait aussi s'appuyer sur l'Inpes. Les services de l'Etat font valoir que la procédure est trop lourde, le mécanisme d'autorisation pour les programmes d'éducation thérapeutique, notamment. C'est pourquoi nous avions proposé un mécanisme déclaratif, plus simple, l'association déclarant une action d'accompagnement s'engageant à rechercher le consentement du patient, et y compris au recueil des données, tandis qu'un volet de participation à l'action lui serait remis indiquant les coordonnées de l'Agence régionale de santé (ARS) auprès de laquelle faire enregistrer une plainte éventuelle. C'est là un mécanisme simple et protecteur. Mais ce travail n'a toujours pas été mené à bien.

Nous proposions également une autre option pour les acteurs de l'accompagnement : celle d'un agrément spécifique aux associations de patients. Elle n'a pas été retenue parce que le gouvernement avait engagé, sous l'impulsion de M. Hirsch, alors commissaire à la jeunesse et à la vie associative, une réflexion sur la refonte de l'ensemble des agréments en un agrément unique. Mais ce travail a été interrompu, et notre proposition redevient alternative. L'association devrait avoir la masse critique garantissant un réel accompagnement, des financements pour la formation, une ingénierie ad hoc . Ce n'est pas là ouvrir une « boîte de Pandore » pour l'administration, puisque peu d'associations pourraient prétendre à un tel agrément.

J'en viens à la situation ouverte par le développement des nouvelles technologies, qui justifie, à mon sens, une action complémentaire. Nombre d'opérateurs recourent au dialogue avec les patients par leur truchement. Cela va du simple blog ouvert par un patient qui a l'expérience d'une maladie jusqu'aux sites participatifs, de la simple information à l'offre de services, tout cela décliné en adresses internet chatoyantes, destinées à attirer une zone de chalandise : carenity.com , bepatient.com - site qui offre même une possibilité de stockage des données. Les consultations sont tarifées à la minute, et quelques minutes suffisent à atteindre le coût d'une consultation médicale... sans qu'il y ait un médecin en ligne. Les pouvoirs publics réagissent peu, considérant que le droit commun s'applique et qu'il existe des sanctions pénales. Moyennant quoi, on laisse faire. Un décret a néanmoins un peu calé les choses, qui ne reconnaît comme actes de télémédecine que cinq actes de santé à distance, parmi lesquels la télésurveillance et la téléconsultation, qui doivent, officiellement, être pratiqués par des médecins. Mais tout le reste demeure hors champ. Je n'ai rien contre la télésanté qui, outre qu'elle peut être un vivier de création d'emplois, est attractive pour les patients, auxquels elle peut faire gagner du temps. D'autant que le dossier médical personnel (DMP), qui devait être un outil de coordination des soins, est un échec. Depuis la convention signée par Mme Bachelot en 2009, rien n'a suivi. Quant au dispositif d'information grand public, il n'a jamais vu le jour. L'article 47 de la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, qui prévoyait sa mise en oeuvre grâce à une collaboration entre la HAS et l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) n'a jamais été mis en oeuvre. Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, a toutefois récemment déclaré qu'elle souhaitait la création d'un grand service public de l'information en santé. Or seule une information de référence, appuyée sur les connaissances scientifiques, apportera une vraie réponse publique, et si site public il y a, il devra être lisible : inutile d'y publier des algorithmes de prise en charge, que seuls les médecins peuvent comprendre.

Quels outils de réduction des risques sur internet ? Les sites, tout d'abord, devraient être soumis à une obligation de transparence. Aujourd'hui, le service s'enclenche sans mise en garde. Qui parle, sur ces sites ? Il faut imposer la présence de mentions obligatoires : catégories juridiques, identité des propriétaires de ces sites, ce qui est difficile pour l'instant, provenance des informations mises en ligne (scientifique, journalistique, produite par les acteurs associatifs). La présence d'un lien vers la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) permettrait d'alerter les pouvoirs publics le cas échéant. Il serait important de former à la prévention contre les dérives sectaires le community manager du site, dont l'identification dès la page d'accueil du site devrait être exigée. C'est par l'existence d'une information de référence, validée scientifiquement, que notre pays peut aboutir à une réduction des risques d'exposition de nos concitoyens aux informations susceptibles de déboucher sur une dérive sectaire par les sites internet.

Si un service public de l'information de référence en santé devait voir le jour, il devrait, ainsi que le recommandent Patrick Gohet et Pierre-Louis Bras dans leur rapport relatif à l'information des usagers sur la qualité des prises en charge des établissements de santé, être confié à une autorité administrative indépendante. Les mésaventures de ces dernières années, touchant aux médicaments et à la vaccination, ont suscité la défiance à l'égard des informations émanant de la puissance publique. Un service placé sous la responsabilité d'une autorité indépendante ferait contrepoids aux sites d'information privés, marchands ou non, qui savent être très attractifs.

Je dirai pour conclure que s'il existe des garanties, elles pourraient être utilement complétées.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Notre objectif est de faire le point sur l'évolution des dérives sectaires dans le domaine de la santé. Peut-on craindre un entrisme dans les hôpitaux et les services de soin ? Avez-vous des remontées des associations sur ce point ? Sauriez-vous évaluer les raisons de la méfiance dont vous avez fait état à l'égard de l'information officielle ?

M. Christian Saout . - Nous n'avons pas de remontées significatives de nos associations membres. La question se pose de la prise en charge du bien être d'un individu à un moment de son parcours. Si notre pays est bon sur le cure , il l'est moins sur le care . Or, en ces temps où prévalent l'individu, le désir de réussir sa vie, chacun est anxieux de trouver un accompagnement que n'offre pas toujours notre système de santé, et d'autant plus que, comme je l'ai dit, nous sommes passés d'une prévalence du soin aigu, dont on sort guéri ou les pieds devant, à une prédominance du soin de la maladie chronique, qui peut connaître des aggravations, des rechutes. J'ai vu des rationalistes convaincus aller consulter des bateleurs et en revenir ravis. Tout cela en vertu d'un tropisme qui nous pousse à vouloir vivre sans souffrance. Le problème est qu'il n'existe pas d'alerte quand on active ce type de service. Le risque, ainsi que l'a mis en exergue la revue Science et avenir , est plus grand dans la relation interindividuelle entre un thérapeute et un patient que dans la prise en charge par une équipe. Or nous n'avons pas écho d'inquiétudes en ce domaine. Il est vrai que l'agrément fait office de filtre. Serait-il bon de réserver aux associations agréées la capacité de mener une action d'accompagnement ? La question mérite d'être posée. Le succès des associations de patients sur le cancer ou le sida tient à cela. Les nouveaux traitements marchent mieux que les précédents, comme la trithérapie pour le VIH, mais ils sont lourds d'effets secondaires sur l'humeur, avec les risques de dépression que cela entraîne. Il faut une prise en charge, que notre système de santé n'offre pas, comme les réunions entre patients ou les soins de soutien psychologique. Si bien que les citoyens vont chercher le réconfort ailleurs.

Mais une fois encore, il ne nous est pas remonté de plainte. Nos associations de patients, au nombre d'une quinzaine, font des efforts considérables. L'Association française des diabétiques (AFD) de Gérard Raymond a ainsi mis en place un modèle de « patient expert ». A Aides, nous avions créé des groupes d'autosupport, dotés d'une méthodologie. Et il m'est arrivé de radier des bénévoles qui s'étaient écartés de nos règles éthiques. Encore faut-il qu'ils aient compris, car tout cela procède d'une culture qui reste à diffuser.

M. Jacques Mézard , rapporteur - Sur 10 000 associations, 1 000 seulement, avez-vous rappelé, sont agréées, et le Ciss n'en regroupe que trente-huit : il ne peut guère surgir beaucoup de difficultés. Mais il est des associations qui entrent à l'hôpital avec un but louable et entraînent des patients en difficulté vers des dérives problématiques. Comprenez qu'il ne s'agit pas pour nous de faire la chasse aux associations, dont une majorité poursuit un but généreux, mais de prévenir les dérives.

M. Christian Saout. - Il faudrait disposer d'un ratio entre le nombre de conventions signées et le nombre d'infractions relevées à mettre en regard des infractions hors conventionnement. Le problème est que seul le directeur de l'offre de soins peut imposer le conventionnement. Comme président d'Aides, j'ai souvent réclamé des conventions qui m'ont été refusées. L'administration argue que la procédure est trop complexe. Autant dire que les outils de prévention sont peu utilisés. Pourquoi si peu de conventions ? Quand on pose des pare-feu, encore faut-il les activer. Si votre commission devait émettre des recommandations pour compléter notre appareil de protection, puisse-t-elle préconiser de confier aux associations agréées un pouvoir d'alerte, comme cela existe pour l'environnement. Avec la transition épidémiologique, qui n'en est qu'à ses débuts, nous sommes en train de basculer vers la massification du chronique, qui accroit mécaniquement le risque.

M. Bernard Saugey , président - Il nous reste à vous remercier.

Audition de M. Didier PACHOUD, président du groupe d'études des mouvements de pensée en vue de la protection de l'individu (Gemppi) (mercredi 7 novembre 2012)

M. Bernard Saugey , président - Nous accueillons à présent M. Didier Pachoud, président du groupe d'études des mouvements de pensée en vue de la protection de l'individu (Gemppi).

Le Gemppi est une association créée en 1988 dont l'objet est de contribuer à « endiguer les multiples problèmes d'ordre public, de misères et souffrances humaines et les drames familiaux qui résultent de dérives sectaires ou de thérapeutes holistiques ».

M. Didier Pachoud est un membre actif de diverses associations très impliquées dans la vigilance sectaire, qu'il s'agisse du Gemppi qu'il a fondé et qu'il préside, de la Fédération européenne des centres de recherche et d'information sur le sectarisme (Fecris) ou du Centre contre les manipulations mentales (CCMM). C'est donc un acteur éminent de la vigilance sectaire que nous accueillons.

La commission d'enquête a souhaité que cette réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Je rappelle à l'attention de M. Pachoud que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative du groupe RDSE et que M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de résolution qui se trouve à l'origine de la constitution de cette commission, en est le rapporteur.

Je vais, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Pachoud de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 et suivants du code pénal.

Monsieur Didier Pachoud, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Didier Pachoud . - Je le jure.

M. Bernard Saugey, président . - Vous avez la parole.

M. Didier Pachoud, président du Gemppi. - Je vous remercie de votre invitation. Avec moi, c'est le Sud-Est que vous avez invité à s'exprimer, alors même que la province est souvent oubliée. Je puis en témoigner eu égard au nombre de messages que j'ai reçus dans notre association.

Créée d'abord dans un but philanthropique, notre association a été conduite, eu égard aux évolutions du « marché de la secte », si je puis ainsi m'exprimer, à modifier ses statuts pour prendre en compte la prévention contre les dérives sectaires dont peuvent être victimes des personnes engagées dans une démarche religieuse ou une thérapeutique spiritualiste. Nous sommes passés, en somme, de l'observation critique à la protection de l'individu. L'inflation des thérapies non conventionnelles a déterminé, il y a une dizaine d'années, une seconde évolution. C'est là un phénomène de civilisation en Occident, dont attestent pour moi les témoignages de mes collègues européens. L'homme moderne n'est plus préoccupé de la vie après la mort, mais de son bien-être, ici et maintenant. Si les sectes classiques, comme les témoins de Jéhovah, font toujours du chiffre, c'est qu'elles sont très structurées et s'adressent de préférence aux milieux défavorisés, qui gardent peu d'espoir pour le présent. Mais parallèlement à ces sectes monothéistes ou dualistes, on voit se développer des mouvements orientalistes dans lesquels le discours religieux laisse le devant de la scène à la prestation thérapeutique. Mais ceux qui s'engagent dans une telle démarche thérapeutique subissent bientôt un catéchisme, d'où une réorientation de notre association autour des thérapeutiques holistiques, animées par des adeptes des mouvements orientalistes.

Les mouvements orientalistes se sont constitués en cabinets de thérapeutes ou de coachs , terme moderne synonyme de maîtres. Peu de groupes de ce genre aiment être caractérisés comme des groupes spirituels ou religieux, préférant le registre philosophique ou technique. A y regarder de près, il ne s'agit pourtant que de croyances, de spéculations, habillées dans un vocabulaire pseudo-scientifique ou médical.

Nous recevons 1 200 demandes d'aide et d'information chaque année, éventuellement relayées dans les médias. Près de 40 %, voire davantage, ont trait à des pratiques de soins et mieux-être non conventionnelles, liées le plus souvent aux croyances d'Extrême-Orient, dégagées de leur vocabulaire religieux, dont les adeptes, répertoriés comme appartenant à des sectes religieuses en 1995, se sont tournés vers la thérapie ou la formation. Ce qui nous pose des difficultés pour les identifier et répondre aux questions inquiètes s'interrogeant sur l'identité de ces thérapeutes : s'agit-il de gourous ? De plus les adeptes sont de plus en plus nombreux : une personne qui se sent guérie après avoir consulté un praticien et suivi une méthode sans prérequis - l'effet placebo joue un rôle essentiel, le simple fait de témoigner de l'attention à quelqu'un lui étant bénéfique - souhaite à son tour devenir thérapeute, ou « praticien du corps et de l'esprit », selon les termes de notre charte.

Les concepts employés - énergie, vibration, etc. - relèvent de la spiritualité et réemploient les croyances de l'hindouisme en une âme universelle dans un registre pseudo-scientifique. Ces organismes ne se présentent pas comme mouvements religieux mais comme prestataires de services : reconversion professionnelle ou personnelle, soins, bien-être, etc. L'Eglise de Scientologie offrait déjà ces prestations en se qualifiant elle-même de mouvement bouddhiste technologique. Désormais, ces groupes évitent ce vocabulaire religieux. Au fond, c'est toujours le même produit articulé autour de patients, de formateurs, de thérapeutes, autour des mêmes concepts invérifiables, comme la kinésiologie, et de méthodes subjectives. Mais gardons-nous d'être nous-mêmes sectaires, l'homéopathie n'est-elle pas en effet un placebo remboursé par la sécurité sociale ? Même si nous sommes opposés à toute reconnaissance de ce qui ne peut faire l'objet d'une validation scientifique, force est de constater que si cela ne fait pas de bien, cela ne fait pas de mal et que la demande est massive, le public y trouvant une réponse aux interrogations fondamentales et irrésolues sur la mort et la souffrance. Toutefois, s'il ne s'agit pas de s'opposer, il convient de réfréner les excès.

Nous avons reçu l'appui de l'espace éthique méditerranéen, à l'hôpital de la Timone à Marseille, et du Pr Pierre le Coz, directeur du département de sciences humaines à la faculté de médecine. Nous avons créé, il y a quinze ans, une commission « santé, éthique et idéologie » pour faire pièce aux prétentions de ces pseudo-thérapeutes en blouse blanche, parfois médecins. Son rôle est symbolique : elle constitue un lieu légitime pour organiser des colloques et leur donner une assise institutionnelle.

Un séminaire en oncologie, par exemple, organisé par l'hôpital public d'une grande ville de France, accueillait deux stands bouddhiques mettant à égalité l'oncologie et la médecine parallèle. N'y avait-il pas une entorse au principe de laïcité, a fortiori en direction d'un public affaibli ? Or tel psychomotricien de cette ville, laissant traîner des tracts de son gourou hindouiste dans la salle d'attente, se justifiait en expliquant que sa pratique était reconnue à l'hôpital. C'est pourquoi la question des symboles est essentielle. L'espace éthique méditerranéen joue un rôle important à cet égard.

De telles incursions dans les établissements publics sont fréquentes, souvent de la part des soignants qui ne font d'ailleurs pas acte de prosélytisme mais sont absorbés par la guérison du malade, sans se soucier des effets secondaires. Au cours d'une immersion dans une équipe de soins, j'ai pu constater le recours au reiki, rituel magique de guérison venu du Japon.

Nous tenons des conférences communes avec l'observatoire zététique afin de compléter notre travail par une expertise scientifique. Chaque année, nous présentons nos travaux à l'espace éthique méditerranéen lors du séminaire des commissions, participant de la formation continue dans les hôpitaux, et organisons un colloque sur les sectes et la santé, intégré dans le cursus des étudiants en éthique médicale. Enfin, en 2008, nous avons lancé notre charte des praticiens du corps et de l'esprit. Or, à cette période, les demandes de gens inquiets se sont adressées en nombre croissant à des groupes ou des guérisseurs. Dans notre charte, le mot « thérapeutique » n'est jamais employé. Peu de praticiens l'ont signée car elle entraîne une obligation de transparence, la mise en ligne sur leur site internet de nos coordonnées avec la précision que nous sommes un organisme de lutte contre les sectes et que la charte ne valide ni leurs pratiques ni leurs praticiens. Leur clientèle est ainsi incitée à nous consulter, comme, en 2011, à l'occasion d'un colloque organisé par l'Association de prévention pour la santé par les médecines douces (Apsamed), qui regroupe divers praticiens de thérapies non conventionnelles. Le compte rendu a été publié dans la revue Science et Avenir . Tel intervenant expliquait comment éviter de se faire condamner pour exercice illégal de la médecine, en demandant au patient d'écrire la prescription ; tel autre vantait la médecine anthroposophique ; M. Prunier faisait référence aux thèses du docteur Hamer tandis que Mme Gardénal, radiée de l'Ordre des médecins, prônait le remplacement de la médecine allopathe par les médecines douces. Ils mènent désormais une action de lobbying au niveau européen. La Fecris peut nous aider. A peine avais-je indiqué mon intention de les exclure de notre charte que je recevais une lettre de démission, assortie de menaces juridiques, le colloque ayant été filmé par nos soins. A cet égard, sans le soutien financier du conseil général, nous n'existerions sans doute plus : en dépit de trois procès gagnés contre un gourou guérisseur, celui-ci ayant pris la fuite, nous avons perdu de l'argent ; dans un autre procès, nous sommes opposés à un charlatan holistique qui, travaillant au noir, bénéficie de l'aide juridictionnelle. Il peut s'avérer coûteux de donner un avis : à chaque fois, nous devons nous assurer que nous pourrons le soutenir devant un tribunal, une condamnation pour diffamation étant vite arrivée. D'où la nécessité de nous entourer de professionnels : deux avocats et un psychiatre nous apportent leur aide. Notre association n'est pas une association de victimes ; en cas de condamnation, je devrais acquitter les frais de ma poche.

L'Apsamed a renouvelé son colloque en 2012 avec 800 participants, et non plus 400, à Aubagne : parmi eux, on retrouvait les mêmes intervenants que je leur avais signalés et dont ils prétendaient ignorer les activités. Telle est leur duplicité ! Celle-ci est caractéristique de ce milieu. Les thèses holistiques, dans leur immense majorité, se conçoivent en effet en confrontation avec la science classique : derrière des façades très lisses affirmant venir en appui de la médecine classique, dans le secret des cabinets le discours se relâche. Les kinésithérapeutes - on trouve d'ailleurs parmi nos signataires un kinésiologue, kinésithérapeute de formation - comme les infirmières sont des professions très sollicitées par ces mouvements pour suivre des formations de reconversion. Telle infirmière a ainsi épuisé ses droits au congé individuel de formation pour mener une formation en Auvergne : elle s'est sentie volée après avoir cru pouvoir se reconvertir. Le discours de ces thérapeutes est lisse mais certains éléments parfois les trahissent : ainsi Françoise Ténon, qui fait l'apologie du langage du corps, révélateur de tous les problèmes, parfois même de ceux hérités des vies antérieures - divination moderne en définitive, où le corps remplace le marc de café comme médium - renvoie ses lecteurs vers le docteur Attias ou le docteur Hamer.

Il faut avoir en tête que le Sud-Est de la France est la Californie de l'Europe : les professions libérales disposent d'une clientèle aisée, constituée de cadres supérieurs retraités, qui s'adressent volontiers à ces praticiens.

Il appartient aux victimes de se plaindre mais une fois qu'on est mort, il n'est plus possible d'agir. Une jeune femme de vingt-six ans en a fait l'amère expérience : sa mère atteinte d'un cancer s'était tournée vers les médecines douces. Cette démarche est compréhensible, car le discours médical peut être abrupt et difficile à supporter pour des malades fragilisés par un diagnostic lourd. Si certains praticiens n'ont proposé qu'un accompagnement de son traitement « classique », d'autres, dogmatiques et péremptoires, lui ont offert une promesse de guérison. La victime a été convaincue de s'acheter un lit de cristal, supposé la guérir, pour un coût de 5 000 euros : la lithothérapie est une pratique onéreuse... Elle est morte sans soins. Aujourd'hui, le coach réclame la restitution du lit de cristal, prévue dans le testament... Vous imaginez les sentiments de sa fille !

M. Bernard Saugey , président . - Pourriez-vous nous présenter d'autres exemples de gens ayant perdu la vie après avoir eu recours à de telles méthodes ?

M. Didier Pachoud. - Notre déléguée en Ardèche, infirmière, qui animait une association de lutte contre les sectes, a suivi une patiente atteinte d'un cancer qui, sur les conseils d'un naturopathe, prétendant que la douleur était signe de guérison, n'avait pris aucun analgésique. Cette femme est décédée dans les pires souffrances. Entre-temps, sans l'intervention de notre infirmière, le naturopathe aurait réussit à se voir léguer ses biens.

Autre exemple, celui de cette cadre supérieure stressée par son travail : elle consulte un psychiatre qui lui demande de pratiquer des régressions de vies antérieures, ce qui relève non de la science mais de la croyance. Un cancer s'étant déclaré, il l'oriente vers un thérapeute quantique qui, grâce à un appareil bizarre, aussi onéreux qu'inepte d'un point de vue médical, tel que ceux dont on peut trouver la publicité dans des publications comme Soleil-levant.org, diffusé dans le Vaucluse, a détecté un problème à la rate, infestée par des âmes de morts...

Pour faire face à ces prétentions, nous devons nous entourer de professionnels scientifiques, comme le cercle Zététic ou l'Association française pour la formation scientifique.

Mme Muguette Dini . - Elle a bien été orientée vers ce thérapeute par son psychiatre ? Il s'agit pourtant d'un médecin.

M. Didier Pachoud . - En effet ! Heureusement cette femme a survécu. Cela ne lui a coûté finalement que le prix d'une villa à Marseille...

Ces cas caricaturaux ne doivent pas occulter les faits quotidiens innombrables. Le médecin de nos jours est souvent devenu un technicien qui ne dispose pas toujours du temps nécessaire pour approfondir le contact humain avec ses patients. Des praticiens polyvalents, tantôt arnaqueurs, tantôt de bonne foi, remplissent ce vide. Ils deviennent dangereux en devenant dogmatiques et péremptoires. Aussi, avons-nous durci les conditions requises pour signer notre charte : il faut être médecin, et ne professer aucun dogmatisme. Leur croyance s'auto-alimente car ils ne retiennent que les témoignages de personnes ayant guéri.

Le danger qu'ils présentent provient également de leur incitation à l'égocentrisme, constante dans toutes les méthodes de développement personnel inspirées des croyances monistes venues d'Extrême-Orient. Les praticiens deviennent les croyants d'une nouvelle religion. Or leur foi est convaincante pour des malades, d'autant plus lorsqu'elle se donne des atours scientifiques. Ils expliquent qu'il faut développer l'ego, que l'absolu est en nous, qu'il suffit de s'y connecter pour avancer.

M. Alain Milon . - Tous ceux que nous avons auditionnés nous ont décrit le profil du gourou, animé par une croyance ou un intérêt matériel, attrapant ses victimes. Mais quel est le profil de ces victimes ? Nous croyons tous être immunisés contre ces âneries. Il est difficile de comprendre comment on peut se laisser convaincre par ces discours.

M. Didier Pachoud . - D'un point de vue sociologique, on peut distinguer des sectes monothéistes pour personnes modestes - Témoins de Jéhovah ou Evangélistes, par exemple - et des sectes pour ceux qui ont les moyens de payer, qui offrent des thérapies, des séminaires, etc.

On ne peut dresser un profil type de la victime, mais une fragilité temporaire, liée à la perte de son travail ou à un divorce, peut nous faire basculer. Chaque situation de détresse rencontre toujours une offre d'un groupe sectaire répondant, même partiellement, à ses besoins : un chômeur, doutant de lui, souhaitera se former et optimiser ses capacités, un malade pourra souhaiter essayer d'autres remèdes que ceux, pas toujours satisfaisants, prescrits par son médecin. Ces comportements ne sont pas aberrants, mais simplement humains.

M. Alain Milon . - Instants de fragilité dites-vous, mais l'appartenance sectaire se développe dans la durée.

M. Didier Pachoud. - C'est un engrenage.

M. Bernard Saugey , président . - De même, il doit être facile de démasquer la supercherie derrière un appareil bidon.

M. Didier Pachoud. - Cela n'est pas toujours aussi évident. Vous retournerez voir une voyante qui aura su vous parler en profondeur, s'adresser à votre coeur. C'est comme une relation amoureuse. Les sectes agissent aussi sur la base d'une sorte de séduction.

M. Alain Milon . - C'est le langage du coeur en somme !

M. Didier Pachoud. - Le langage du corps et du coeur ! La raison est bannie. L'homme marche à l'affectif. Les sectes, maîtrisant l'art de dénigrer sans y paraître, séduisent et coupent l'individu de son environnement. Nous avons tous besoin d'être aimés. Un homme peut bien perdre la tête pour une fille ! C'est le même phénomène.

Mme Catherine Deroche . - Les demandes que vous recevez proviennent-elles uniquement du Sud-Est ou bien de toute la France ? Avez-vous pu, sur cette base, établir des statistiques ou mener des enquêtes pour dresser des profils de victimes par exemple ?

Votre charte est-elle réservée aux médecins ?

Avez-vous réfléchi à l'enseignement médical dispensé à l'Université ou seulement aux formations non conventionnelles ?

M. Didier Pachoud. - Un professeur d'université m'a indiqué qu'il était inquiet de la facilité avec laquelle un diplôme universitaire pouvait être mis en place : les doyens ne sont pas regardants car les DU rapportent de l'argent. L'article d'Olivier Hertel dans Sciences et Avenir ce mois-ci est clair sur ce sujet.

Les demandes d'informations que nous recevons proviennent de toute la France. Comme la Fecris, dont je suis le trésorier, a son siège à Marseille, nous renvoyons vers les associations locales les demandes extérieures à notre région.

Comme nous sommes ouverts de 9 heures à 19 heures, ce qui n'est pas le cas de la plupart des associations, de nombreuses personnes, recherchant un interlocuteur, s'adressent à nous. On compte d'ailleurs peu d'associations en ce domaine.

Les médecins disposent de règles de déontologie. Notre charte encadre l'activité des « praticiens du corps et de l'esprit ». Elle est restrictive, à tel point qu'une maison d'associations d'une grande ville impose aux associations d'y adhérer pour se prémunir contre l'adhésion de certains groupes sectaires. Notre charte peut être un instrument pour les réseaux sociaux ou les pouvoirs publics. Elle peut aussi se révéler utile lorsqu'on nous interroge sur un praticien : nous demandons s'il peut la signer. Sa valeur réside dans son indépendance à leur égard, évitant l'autopromotion si fréquente. L'Apsamed a regretté de l'avoir signée ! Il est vrai que la charte sert à certains de caution. Elle compte vingt signataires ; nous l'avions proposée à 500 praticiens.

Grâce à un concours de la région, et surtout grâce à un partenariat avec une école de cinéma de Marseille, les Ateliers de l'image et du son, nous avons réalisé quatre films de prévention et de formation, de quinze minutes chacun. Nous avons choisi de démystifier le vocabulaire des sectes sans recourir aux cas extrêmes, afin de ne pas donner l'impression de verser dans un manichéisme simpliste, mais en décrivant le phénomène dans sa banalité, qui peut conduire à la mort. Ces films servent de support à nos conférences et sont diffusés dans les lycées. Ils incitent à la vigilance, l'auditoire est associé et prend conscience de sa vulnérabilité : un massage aurique par exemple, sans toucher, est vite accepté s'il est prescrit par une personne en blouse blanche...

M. Alain Fauconnier . - Vous auriez créé une association des victimes de l'Islam : est-ce exact ?

M. Didier Pachoud. - Notre action a pour objet de rendre les gens autonomes. A des victimes de faux souvenirs induits qui nous ont sollicités, j'ai proposé de constituer une association. Cela a marché.

Les grandes religions ne sont pas épargnées par les dérives sectaires. Il faut s'adapter aux difficultés posées par chaque groupe. Les dérives sectaires dans l'Islam ne sont pas la Scientologie et sont à distinguer de l'Islam dans son ensemble. Nous avons tenu un colloque sur les extrémismes religieux. En ce qui concerne l'Islam, des familles confrontées à une dérive sectaire nous ont contactés. Le problème est délicat. Pour prévenir les critiques et pour éviter toute manipulation, nous soutenons le projet d'une association spécialisée, composée de musulmans, pour éviter l'accusation d'islamophobie. Un homme, dont la fille, après avoir pris la burqa, a brutalement rompu avec sa famille, est prêt à la présider. Mais d'autres personnes ont préféré renoncer lorsqu'elles ont su que leurs noms et coordonnées seraient consultables en préfecture. A cause de ce problème de « casting », l'association n'est pas encore créée.

Nous adoptons en ce domaine la même attitude que pour les autres sectes : nous soutenons les victimes mais ne souhaitons pas devenir des spécialistes.

M. Yannick Vaugrenard . - Ainsi, toute personne en situation de détresse peut devenir captive d'un mouvement sectaire, quel que soit son niveau d'études. Comment la société protège-t-elle les individus dans ces cas-là ? Comment sont contrôlés les enseignements universitaires ou professionnels ?

Dans le même ordre d'idée, qui fabrique et qui contrôle les appareils tels que ceux utilisés pour détecter les âmes désincarnées à l'origine d'un cancer de la rate ?

Le Conseil de l'Ordre des médecins signale-t-il les psychiatres déviants ?

Des contrôles existent-ils, enfin, dans le domaine de la formation ? Je suis inquiet face à ces dérives.

M. Didier Pachoud. - Nous sommes débordés... C'est bien parce que nous ne savons pas endiguer le flux que nous nous sommes engagés dans une démarche d'accompagnement. Choix qui a d'ailleurs donné lieu à débat avec les autres associations en 2008. Pour nous, c'est un raz-de-marée. A preuve, un Français sur deux s'est tourné, dans sa vie, vers les médecines non conventionnelles. Et au-delà des pratiques populaires, le phénomène s'est banalisé dans les institutions, au point qu'il est légitime de se demander qui a autorité pour assurer un contrôle.

Je n'ai pu signaler le psychiatre que j'ai évoqué parce que la personne en cause m'a demandé le plus grand secret. Mais je l'attends au tournant. Je suis en contact avec l'Ordre des médecins. Sans compter que l'on ne peut pas tout dire : nous sommes dans un Etat de droit.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Et pour ce qui est de l'hôpital ?

M. Didier Pachoud. - Je me référais à une entité créée dans un grand hôpital public pour proposer des soins holistiques aux patients. J'ai protesté contre cette structure d'un genre bien particulier, dont les physiognomologues avaient fait leur lieu de rencontre. A la suite de quoi j'ai reçu des menaces. Quand un service médical est entre les mains d'un caïd... Finalement, on m'a intégré dans le staff . Le local, qui avait des airs d'aumônerie exotique, a un peu changé de visage. Le côté magique a été écarté, même si on a gardé les placebos. Mais les psychologues ou les médecins invités étaient souvent bouddhistes. Il se pratique aussi des expériences de mort imminente, liées à la spiritualité orientale. Des conférences ont lieu à l'hôpital sur les thérapies non conventionnelles, souvent par le biais de la médecine chinoise. Nous avons organisé, avec l'association Marseille zététique, une conférence sur la médecine chinoise et les dérives sectaires. Le fait est que des notions comme le ying et le yang se prêtent à instrumentalisation. J'ai demandé que soit épluchée toute la littérature scientifique sur les résultats de la médecine chinoise et de l'acupuncture : tout praticien de santé énergétique vous dira que sa pratique s'inspire de la médecine chinoise. C'est qu'un parfum de tradition suffit à conférer des lettres de noblesse à ces pratiques. Mais en réalité, tout cela n'est rien d'autre qu'un ensemble de croyances élevé en doctrine.

- Présidence de M. Alain Milon, vice-président -

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Il existe des agences régionales de santé (ARS), auxquelles la loi a donné un pouvoir considérable. Etes-vous en relation avec elles ?

M. Alain Milon , président. - Quand de telles pratiques existent dans un service hospitalier, les autres services sont immanquablement au courant. Or, les directeurs sont responsables du fonctionnement de l'hôpital. Pouvez-vous préciser si de tels exercices étaient proposés à titre principal, ou seulement en complément des traitements classiques ?

M. Didier Pachoud. - En complément, mais il n'en est pas moins choquant de les voir proposés dans un hôpital public. Que des pratiques qui relèvent de la pure croyance puissent y être agréées, aux côtés de l'aumônerie, pose problème. Les patients ne se rendent pas compte. Nous avons été alertés par des centres de soins, qui s'inquiétaient de la dérive new age de certains de leurs praticiens, liés à cet hôpital. Si nous n'avions rien fait, si nous n'avions pas tenu bon face aux menaces de procès, où en serait-on ?

M. Alain Milon , président. - Je vous remercie d'être venu jusqu'à nous.

Audition de Mmes Annie GUIBERT, présidente du Centre contre les manipulations mentales (CCMM), et Laure TELO, présidente du CCMM Ile-de-France et M. Jean-Claude DUBOIS, président du CCMM Centre Val de Loire (mardi 13 novembre 2012)

M. Bernard Saugey , président. - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui les auditions de notre commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé en rencontrant les représentants du Centre contre les manipulations mentales (CCMM).

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

J'en viens à notre réunion.

Le CCMM, fondé en 1981 par l'écrivain Roger Ikor, s'adresse spécifiquement aux victimes d'emprise mentale et à leurs familles. Dans ses statuts figure l'objectif de « s'opposer à toute action, collective ou individuelle qui tend, par quelques moyens que ce soit, à pénétrer, domestiquer ou asservir les esprits, notamment ceux des jeunes. A cette fin, il mène une action d'information, d'éducation et de mise en garde du public ».

Mme Annie Guibert, présidente du CCMM, est venue accompagnée de deux présidents de centres régionaux du CCMM :

- Mme Laure Telo, présidente du CCMM Ile-de-France ;

- M. Jean-Claude Dubois, président du CCMM Centre-Val de Loire.

Je mentionne à l'attention de la commission que M. Dubois a organisé en septembre dernier à Vierzon, dans le cadre du CCMM Centre-Val de Loire, un colloque sur les « pratiques thérapeutiques alternatives : chance ou danger pour les patients ? » qui est tout à fait au coeur de notre sujet.

Je rappelle à l'attention de Mme Annie Guibert et de ses collègues que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base du droit de tirage annuel du groupe RDSE. Le rapport de cette commission a donc tout naturellement été confié à note collègue Jacques Mézard, président du groupe RDSE et auteur de la proposition de résolution qui se trouve à l'origine de la constitution de cette commission.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux représentants du CCMM de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Mesdames Annie Guibert et Laure Telo, monsieur Jean-Claude Dubois, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les trois personnes se lèvent et prêtent serment.

M. Bernard Saugey , président. - Je vous donne donc la parole, à la suite de quoi notre rapporteur, Jacques Mézard, vous posera quelques questions, puis ce sera le tour des membres de la commission d'enquête.

Mme Annie Guibert, présidente du CCMM. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, c'est un honneur et un plaisir pour moi de m'exprimer aujourd'hui devant la Haute Assemblée en qualité de présidente du Centre contre les manipulations mentales - Centre Roger Ikor, sur le thème de l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé.

Monsieur le président, vous avez présenté le CCMM et je vous en remercie.

Je préciserai que sa création est déterminée dès l'origine par l'influence d'une dérive sectaire dans le domaine de la santé. En effet, en 1981, son fondateur Roger Ikor, marqué par la mort de son fils qui s'était suicidé après avoir adhéré au « Zen macrobiotique », fonde le Centre contre les manipulations mentales. Roger Ikor mènera jusqu'à sa mort, en 1986, une lutte contre le phénomène sectaire.

La mission première et fondamentale du CCMM est d'aider les victimes de mouvements sectaires. Depuis sa création, l'association s'est efforcée d'apporter des outils de réflexion et d'analyse pour mieux connaître les dangers de la manipulation mentale. Je souligne que l'implication des bénévoles du CCMM est un engagement militant et citoyen.

L'association est implantée sur vingt-deux points du territoire en métropole et outre-mer. Nous avons un centre de documentation que journalistes et étudiants peuvent consulter.

Depuis plus de trente années, le CCMM conduit une action d'information, d'éducation et de mise en garde du public fondée sur la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et sur la Convention internationale des droits de l'enfant, en se référant aux valeurs républicaines et au principe de laïcité. Ces principes qui inspirent l'engagement du CCMM sont inchangés depuis sa fondation : défendre la personne humaine contre toutes les formes de manipulation et d'emprise mentales d'où qu'elles viennent.

L'action du CCMM est déterminée par le concept de laïcité. La laïcité n'est pas le masque d'une « chasse aux sorcières » mais, au contraire, la garantie du libre épanouissement individuel, dans le strict respect des lois.

La France est un pays laïc dont l'Etat doit respecter tous les cultes et n'en reconnaître aucun, les mouvements spirituels sont donc a priori considérés comme licites et seuls les délits sont répréhensibles. Ce serait un profond contresens de confondre secte et religion.

Au Centre contre les manipulations mentales, ce sont essentiellement les familles que nous recevons, que nous cherchons à comprendre et à aider. Les victimes s'adressent plus rarement à nous, sauf si elles sont sur le point de rompre avec leur manipulateur. Ce qui fait dire à certains qu'il n'y pas, ou peu de victimes. Victimes directes ou victimes collatérales, elles sont cependant des milliers ! Je reviendrai sur ce point...

Nous cherchons à établir la preuve de la dérive sectaire en liaison souvent avec la Miviludes, avec les pouvoirs publics en cas de besoin et surtout, en nous appuyant sur notre propre expérience de plus de trente ans et sur les critères de dangerosité déterminés sur la base de travaux et de plusieurs commissions d'enquêtes parlementaires.

Pour dénoncer les activités éventuellement nuisibles de certains groupes ou individus, l'expression « dérive sectaire » est devenue la locution répandue.

Depuis le début des années 1980, la prise de conscience sur la problématique sectaire s'est considérablement développée dans l'opinion publique ; en parallèle, les notions de manipulation et d'emprise mentale ont émergé.

L'emprise mentale constitue une cruelle réalité, sans doute difficile à objectiver, au moins pour les juristes mais beaucoup plus clairement pour les psychologues, les psychanalystes, les médecins psychiatres et les conseillers écoutant des associations d'aide aux victimes.

L'emprise mentale est basée cliniquement sur une triple technique : cognitive, affective et comportementale, ceci à des fins perverses de conditionnement, de contrainte morale, psychologique, physique et, quelquefois, sexuelle et d'escroquerie.

Ce mécanisme se développe en trois temps : séduction, dépersonnalisation, reconstruction d'une nouvelle identité automatisée. Ce processus particulier et complexe tend à priver la ou les futures victimes de leurs facultés de discernement et de libre décision.

Tous les secteurs d'activité humaine : santé, bien-être, développement personnel, formation, sport, favorisent malheureusement « la dérive sectaire », c'est-à-dire l'utilisation d'une activité quelconque de l'individu par un manipulateur qui a pour seul objectif d'établir son emprise sur des personnes placées « en état de sujétion », ceci à des fins perverses de conditionnement.

Cette méthode permet de conserver au sujet une apparence de normalité dans la vie professionnelle, par exemple quand cette activité doit être maintenue afin d'offrir des subsides au gourou ou au groupe.

C'est ainsi que des adeptes restés sous l'influence d'un leader peuvent poursuivre une vie professionnelle afin d'alimenter financièrement le groupe en ne manifestant aucun symptôme délirant.

Ceci est une difficulté importante pour les familles touchées par cette mécanique car les adeptes conservent une apparence de normalité qui peut faire croire à leur consentement.

Les critères de l'emprise mentale vous ont été rappelés par différents intervenants. Je vous les rappelle pour mémoire : déstabilisation mentale ; exigences financières exorbitantes ; rupture de la personne avec l'environnement d'origine ; atteinte à l'intégrité physique ; embrigadement des enfants ; troubles à l'ordre public ; importance des démêlés judiciaires ; détournement des circuits économiques traditionnels ; tentatives d'infiltration des pouvoirs publics ; discours clairement antisocial. Tous les critères ne sont pas forcément réunis mais un seul est dans tous les cas, toujours présent : la déstabilisation mentale !

La maladie est un point d'entrée facile pour les gourous de tous bords. Le phénomène nous inquiète, compte tenu du nombre de victimes, la plupart du temps en situation de grande vulnérabilité. Toutes ces pratiques non conventionnelles deviennent préoccupantes lorsqu'elles s'adressent à des malades atteints de pathologies graves, notamment du cancer, de la sclérose en plaques ou de déficit immunitaire. Que dire lorsqu'elles excluent le recours aux traitements conventionnels pour soigner la maladie ?

Les grands mouvements sectaires pointés par le rapport parlementaire de 1995 sont toujours actifs et nocifs. Ces groupes structurés à dimension internationale s'adaptent aux exigences du temps et savent, sous des masques parfois difficiles à repérer, s'infiltrer dans le champ de la santé, du bien-être, du développement personnel, de la petite enfance, de la fin de vie, de l'éducation et de la formation professionnelle.

Ce qui nous semble très préoccupant aujourd'hui, c'est l'éclosion d'une multitude de petites structures qui échappent aux garde-fous juridiques et professionnels, détournent les règles, exploitent l'absence de réglementation et de contrôle.

Des pseudo-praticiens se parent de titres plus ou moins ronflants, offrent de nouvelles méthodes, de nouvelles pratiques. Ces nouveaux gourous pratiquent seuls mais fonctionnent en réseaux ramifiés. Ils exercent une véritable emprise mentale sur leurs « patients » pour souvent mieux les dépouiller de leurs ressources.

La dérive thérapeutique s'accompagne d'un mécanisme d'emprise mentale destiné à ôter toute capacité de discernement à la personne et à l'amener à prendre des décisions qu'elle n'aurait pas prises autrement, comme par exemple rompre avec sa famille et avec son milieu de soin habituel, ce qui peut la conduire à l'arrêt de tout traitement conventionnel.

Je précise cependant que toute dérive thérapeutique n'est pas forcément sectaire. Le praticien peut sincèrement croire en une thérapie complémentaire ou alternative, ce qui laisse quand même place à la nocivité.

M. Jean-Claude Dubois peut vous expliquer rapidement le parcours d'une jeune femme atteinte du cancer et qui vient de décéder faute de soins conventionnels...

M. Jean-Claude Dubois, président du CCMM Centre-Val de Loire. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, une femme atteinte d'un cancer du sein a été prise en mains par des « dérapeutes » et a été victime de pratiques médicales illusoires, pour reprendre la terminologie utilisée devant vous par Jean-Pierre Jougla.

Quelques techniques et produits proposés : de l'argile destinée à faire cicatriser un sein dont la boule cancéreuse a éclaté, laissant apparaître une plaie purulente ; de l'eau dite « alchimique » ; une lampe « TDP » - ne m'en demandez pas plus ; un pendule servant entre autres à déterminer quels médicaments homéopathiques ingérer ; différents cristaux ; un triangle - sans doute magique ; des boules mécaniques générant un « bruit qui soigne » !

Cette histoire ressemble à celles d'Evelyne Marsaleix et de la mère de Nathalie de Reuk mais je voudrais insister sur la prise en charge par un réseau qui la caractérise...

En amont, une conférence présentée par l'un des dérapeutes concernant une fontaine à eau Kangen pour obtenir une eau dont le Ph sera favorable à la santé - 3 850 €, 3 500 € pour les amis ; une autre conférence par le second « dérapeute » en sa qualité de - je cite - « bio-énergéticien holistique, maître reiki, géobiologue, « rebirth » , cristalocosmie et conférencier international » qui traite du sujet suivant : « Géobiologie : la santé de l'habitat pour vivre en harmonie avec soi et avec les autres ».

Il faut noter que l'objet de l'association organisatrice se précise comme suit : « Promotion et partage des connaissances, des cultures et du savoir par l'organisation de manifestations - conférences, débats, concerts, dîners dansants etc. ».

Dans la même année, les conférences suivantes ont été présentées : « La programmation neurolinguistique humaniste » ; « Communiquer avec son âme » ; « Psychothérapie, spiritualité, bien-être » ; « Etre dans sa juste autorité » ; « Relaxation et sophrologie » ; « Rencontres avec Marie » par un écrivain-éditrice, les autres conférences étant présentées par des psychothérapeutes...

Autre aspect de la prise en main par un réseau : des voyages au Brésil avec prescription de gélules de passiflore, la victime étant accompagnée par l'un des « dérapeutes ». Au retour du second voyage, un mois avant son décès, cette femme partie quinze jours avant avec des cannes se déplaçait en fauteuil roulant !

Enfin, dernière illustration de l'existence d'un réseau, l'achat d'un lit Bemer pour une somme de 3 500 €, sachant que l'on retrouve la promotion de produits Bemer au village de Bugarach avec la publicité suivante : « La médecine du XXI e siècle sera électromagnétique. Nouveauté mondiale « B-box classique », le module d'application de luxe pour le traitement du corps entier », par Bemer Group. Le prix n'est pas précisé...

Cette publicité a été découverte à Bugarach à l'occasion du déplacement effectué par la Fédération européenne des centres de recherche et d'information sur le sectarisme (Fecris).

Mme Annie Guibert. - Les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique (PNCVT) sont présentées comme des pratiques de soins. Elles sont exercées par des non-médecins qui n'ont reçu aucune formation débouchant sur des qualifications validées. Elles ne sont pas reconnues, au plan scientifique par la médecine conventionnelle. Malheureusement certains médecins utilisent ces pratiques, préférant se faire radier de l'Ordre pour exercer en toute tranquillité.

J'ajoute que de nouvelles méthodes font chaque jour leur apparition, notamment sur Internet. Des journaux gratuits font la promotion de techniques et de pratiques toutes plus fantaisistes voire dangereuses les unes que les autres.

Mme Laure Telo, présidente du CCMM Ile-de-France. - Voici une revue qui est distribuée gratuitement...

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, je voudrais attirer votre attention sur la tenue à Reims, les 17, 18 et 19 novembre 2012, du troisième Congrès international des thérapies quantiques. Peut-être serait-il intéressant que cette honorable commission y fasse un tour...

Je citerai pour mémoire un atelier proposé par M. Christian Cotten : « L'énergie du silicium organique G5 : du sable, de l'amour et de la lumière » et un autre atelier : « la phytembryothérapie : l'embryon de la gemmothérapie ».

D'autres conférences sont proposées, comme par exemple « l'empreinte sacrée, une nouvelle vision du cerveau » par M. Jean-Philippe Marcoux, posturologue. Tous les intervenants s'estiment les experts et les précurseurs mondiaux de la santé. M. Gilles Sinquin propose la « connexion-lumière », une autre conférence est intitulée « une approche chamanique pour mieux connaître la mort en soi » ; M. Nicolas Halpert évoquera une réflexion sur la « médecine quantique et la circulation sanguine ».

Mme Annie Guibert. - Ce ne sont là que des exemples...

Au CCMM, nous recevons de nombreux témoignages sur l'infiltration de plus en plus forte de techniques et médecines parallèles dans les hôpitaux et plus particulièrement pour y introduire le reiki, la fasciathérapie et diverses méthodes par massage ou apposition des mains. Je tracerai à grands traits les pratiques non conventionnelles auxquelles nous sommes au CCMM le plus souvent confrontés.

Sous un nom bricolé dont le but est de créer un amalgame avec la kinésithérapie et la physiologie, la kinésiologie est un exemple de déviance des techniques fondées sur la « maîtrise du corps ». C'est une méthode de thérapie holistique, inspirée par la médecine chinoise.

On soulignera certaines incohérences théoriques, en particulier sur le rôle du cerveau et le côté racoleur de cette technique qui, selon un document diffusé par ses adeptes, est censé s'adresser à tous ceux qui veulent éliminer les problèmes et guérir de tout : douleurs de dos, problèmes articulaires, migraines, eczéma, colite, impuissance, stérilité, problèmes ORL, anxiété, angoisse, manque de confiance, troubles du comportement, drogue, alcool, problèmes scolaires et j'en passe.

L'histoire du développement de la kinésiologie est un exemple des créations de bric et de broc qui se développent depuis trente ans dans le domaine de la santé. La radicalisation de certains adeptes de cette mouvance a conduit à des dérives à caractère sectaire dans laquelle la dimension hygiéniste portée au rang de dogme a constitué un facteur déterminant.

L'affaire jugée en 2005 par la Cour d'assises de Quimper illustre ce constat : des parents, au nom de conceptions idéologiques inhérentes à la pratique de la kinésiologie et des lois biologiques du Docteur Hamer, avaient adopté pour eux-mêmes et leurs enfants le régime végétalien dans leur quête d'une alimentation purifiée. Cette alimentation carencée en protéines animales et en vitamines et leur extrême méfiance à l'égard d'un monde médical jugé a priori dangereux a causé la mort de leur bébé de dix-huit mois.

L'enquête récente d'Olivier Hertel, Les sectes entrent à l'hôpital , numéro 789 de la revue Sciences et avenir , démontre avec force les risques de dérives sectaires liées à ces pratiques qui tentent également d'infiltrer l'Université.

Ce qui nous inquiète, ce sont les méthodes qui excluent résolument la médecine conventionnelle. D'autres thérapies plus ou moins charlatanesques servent souvent de paravent à des groupes sectaires : la psychogénéalogie, le décodage biologique, les thérapies dites « chrétiennes » mises en oeuvre dans les « centres chrétiens » proposant un « travail de guérison transgénérationnelle » relevant plus d'une religiosité - le « psychospirituel » - que de la foi chrétienne en tant que telle. J'y reviendrai peut-être...

Un fléau : la « médecine germanique » préconisée par un médecin allemand, le docteur Hamer, qui, depuis la Norvège, continue à exercer ses activités via Internet. Aujourd'hui, il s'adresse aux enfants atteints d'un cancer, ce qui le rend encore plus dangereux. Sa méthode repose sur le postulat selon lequel toute maladie est le produit d'un choc psychologique intense et d'un conflit intérieur non résolu.

Hamer a formé de nombreux élèves à sa méthode. L'un d'eux, Claude Sabbah, avec sa technique dite de « biologie totale des êtres vivants », affirme soigner le cancer ! Un site internet a été créé par les tenants de la méthode Hamer qui créée la confusion avec le site de l'Institut national du cancer (INCa), « e-cancer ».

Toutes les pratiques assimilées à la « nouvelle médecine germanique » sont extrêmement dangereuses. L'appellation « centre de santé en décodage biologique » induit en erreur de nombreuses personnes en quête de soins. Toutes les consultations sont très chères.

Le CCMM enregistre de nombreux témoignages de parents accusés par leur enfant adulte, de violences qu'ils lui auraient infligées dans leur petite enfance. La pratique des « faux souvenirs induits » est utilisée par des thérapeutes qui considèrent que tous les problèmes existentiels rencontrés chez leurs patients sont liés à un traumatisme résultant de violences survenues dans leur petite enfance. Ils induisent, volontairement ou non, par le biais de techniques d'entretiens psychothérapeutiques , de faux souvenirs d'abus ou de maltraitances chez leur patient. Le résultat est appelé syndrome des « faux souvenirs », c'est-à-dire l'apparition du souvenir d'un événement qui ne s'est jamais produit ou bien le souvenir altéré d'un événement réel.

Ces « dérapeutes », selon le terme de Guy Rouquet, de l'association Psychologie-Vigilance, exercent leurs méfaits soit au sein d'un groupe soit à titre individuel. Dans les deux cas, il s'agit de dérives sectaires utilisant le même mécanisme de manipulation mentale et aboutissant le plus souvent à des drames humains.

Cette technique est répandue dans toutes les sectes ; il n'y a donc pas de différence entre les adeptes d'une secte et des charismatiques prétendument catholiques faisant du psychospirituel, à partir du moment où les uns comme les autres violent la personne humaine dans sa conscience par la manipulation mentale. Je reviendrai peut-être plus en détail sur le psychospirituel et l'agapèthérapie...

Le guide Santé et dérives sectaires produit récemment par la Miviludes recense avec précision les méthodes les plus répandues et les plus toxiques.

Je ne ferai pas ici la liste de tous les cas auxquels nous avons été confrontés ces dernières années.

Nous préparons, au CCMM, un référentiel qui sera opérationnel début 2013 - ou peut-être avant - essentiellement réservé aux acteurs de la lutte contre les dérives sectaires sur l'étude des méthodes et pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique : le concept, les dérives rencontrées, les témoignages et procès éventuels...

Je voudrais souligner ici la dangerosité de certaines pratiques de « détoxination », notamment sur les enfants, les femmes enceintes et les personnes malades ou âgées.

Je dénonce l'utilisation de troubles psychologiques chez l'enfant par de pseudo-psychothérapeutes, des charlatans. Ils proposent aux parents désorientés par des troubles hyperactifs et par des problèmes de dyslexie ou d'autisme des méthodes à visée thérapeutique dites « alternatives » qui non seulement font courir des risques à l'enfant mais conduisent souvent une famille entière à être mise sous emprise. On parle de « channeling », d'enfant « indigo », de communication facilitée...

En 2006, les conclusions qui se dégagent des travaux de la commission d'enquête parlementaire relative à l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs ont permis de dresser un double constat. D'une part, les enfants constituent une proie de plus en plus facile pour les sectes ; d'autre part, l'engagement des pouvoirs publics contre l'influence des dérives sectaires sur les enfants s'avère très inégal.

C'était en 2006. Qu'en est-il aujourd'hui ? Le CCMM aimerait qu'une nouvelle enquête parlementaire soit diligentée dès 2013 non seulement afin d'établir un nouveau constat, mais surtout pour vérifier les réponses apportées par les pouvoirs publics aux questions soulevées en 2006. Par exemple, où en est-on avec Tabitha's Place ?

Dans le cadre des dérives thérapeutiques, il faut aussi parler des dérives du psychospirituel. Le CCMM a publié en septembre 2012 un livre dit Livre noir de l'emprise psychospirituelle . Ce livre écrit par le collectif CCMM des victimes du psychospirituel est un signal d'alarme. C'est un appel aux responsables de l'Eglise catholique et aux Pouvoirs publics. Il présente des témoignages circonstanciés de familles catholiques, témoignages simples et émouvants par leur sincérité et par la détresse qu'ils dépeignent. Je rappelle que le CCMM s'intéresse aux victimes d'où qu'elles viennent...

Si l'on applique les critères communément admis pour définir une dérive sectaire, il en ressort clairement que la réponse est déplorablement positive dans le cas du psychospirituel : déstabilisation mentale ; exigences financières ; rupture familiale ; atteinte à l'intégrité physique ; méthode de soins charlatanesques ; dérives sexuelles ; conditions de vie destructrices ; embrigadement des enfants.

La plupart des témoignages viennent de victimes brisées et de familles détruites par les sessions de L'Agapè du Puy-en-Velay. Ces sessions ont été initiées par Bernard Dubois, pédiatre, alors qu'il était « Berger », c'est-à-dire responsable de la communauté des Béatitudes du Château Saint-Luc, près de Castres. Au fur et à mesure des témoignages, nous retrouvons toujours les mêmes personnes autour desquelles s'organisent les pratiques du psychospirituel et des sessions dites de guérison, tous membres de la Communauté des Béatitudes - au moins au début - et à l'origine de pratiques pour le moins douteuses et déviantes.

Est-il du rôle de l'Eglise de réaliser des psychothérapies sauvages avec des psychothérapeutes autoproclamés ? A ce stade, le silence assourdissant de l'Eglise et des pouvoirs publics n'est plus acceptable. On comprend que les familles ne puissent se contenter du déni ou au mieux des prières de certains évêques !

Le CCMM demande que les évêques de France condamnent fermement et sans ambiguïté certaines pratiques en usage dans le renouveau charismatique et, tout particulièrement, celles qui renvoient au psychospirituel et à la pratique de l'agapèthérapie.

Ainsi, fidèle à ses principes qui le conduisent à dénoncer ce qui est susceptible de déstabiliser les individus et de les placer dans un état de déséquilibre et de dépendance physique et psychologique, le CCMM réclame la condamnation du psychospirituel et de tous ceux qui continuent à le promouvoir. Le CCMM réclame également instamment la condamnation et la fin des sessions dites « de guérison ». Nous comptons sur les pouvoirs publics pour renforcer nos exigences !

Je laisse à Mme Telo, membre du collectif, le soin de conclure sur ce point...

Mme Laure Telo. - L'Eglise catholique doit admettre publiquement le déni dont elle a fait preuve depuis de trop longues années à l'égard de ces pratiques condamnables.

Ce qui importe avant tout, c'est la prise en charge des victimes, et de leur légitime besoin de justice et de réparation. Les autorités ecclésiales doivent donc non seulement rapidement reconnaître l'ampleur des dégâts occasionnés par des pratiques psychospirituelles tolérées en son sein, mais aussi accepter de prendre en charge la reconstruction physique, psychologique et sociale des victimes directes et de leurs proches pour qu'elles parviennent à reconstruire leur vie et à renouer les liens familiaux qui ont été brisés.

Mme Annie Guibert. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je voudrais attirer votre attention sur une de nos préoccupations les plus frustrantes : comment sortir une personne de l'emprise mentale d'une secte ou d'un individu manipulateur ? Tous les acteurs de la lutte contre les dérives sectaires semblent avoir des idées pour prendre en charge les « sortants ». Encore faut-il être sorti !

Tout n'est pas au point, tout n'est pas fait mais tous, nous y pensons et nous faisons de notre mieux. Comment répondre aux familles accablées qui s'adressent à nous ? Quel statut légal donner à ces familles ? Elles ne sont pas victimes aux yeux de la loi, elles ne sont pas témoins puisqu'il n'y a pas de procès en cours ! Le président de la Miviludes, lors de son audition, a estimé que l'on compte une centaine de procès en cours. Or on sait qu'il existe des milliers de victimes ! Les familles ne peuvent que faire une demande auprès du service de Recherches dans l'intérêt des familles (RIF). Si les personnes sont retrouvées mais refusent la mise en relation, l'affaire s'éteint ! Nous leur donnons des conseils, les aidons à rédiger leurs démarches auprès des pouvoirs publics, les soutenons moralement et psychologiquement et les accompagnons parfois pendant de longues années. Nous attendons tous « le déclic » qui permettra à leur parent ou ami de se libérer, mais le fameux déclic ne vient pas si souvent !

Le constat est cruel : l'arsenal législatif actuel ne protège pas suffisamment les victimes d'emprise mentale ! Sur le terrain, force est de constater, encore aujourd'hui, que les victimes sont souvent laissées pour compte ! La loi ne les protège pas suffisamment ; les familles se heurtent, au plan juridique, à l'absence d'intérêt à agir.

Si le dispositif juridique français est tout à la fois exceptionnel et pragmatique, il me faut en souligner les limites. Certes, la loi About-Picard a fait entrer l'emprise mentale dans le champ législatif et ce texte constitue un véritable progrès. Dans une publication récente adressée à tous les parlementaires français, Le Manifeste pour une législation efficace de protection des victimes d'emprise mentale , le CCMM souligne les difficultés d'application de la loi About-Picard et ses limites.

En effet, actuellement, la quasi-totalité de la jurisprudence estime que la plainte n'est recevable que par l'adepte victime, une fois qu'il a pris conscience du fait qu'il était abusé... Or, pour cela, encore faut-il être sorti de l'emprise mentale. La jurisprudence est à étendre !

Ce manifeste milite en faveur de l'extension de la faculté de déposer plainte pour abus de faiblesse aux familles.

Les propositions formulées dans ce manifeste répondent à un constat simple et récurrent : lorsqu'un proche est placé sous emprise mentale, changeant du jour au lendemain son mode de vie et coupant les ponts avec tous, au risque de se mettre en danger, les familles sont impuissantes à agir. Il a déjà été rappelé qu'une des difficultés pour les familles, face à un proche placé sous emprise mentale, réside dans le fait que leur plainte n'était pas prise en compte au prétexte qu'une personne majeure est libre de faire ce qu'elle veut...

Les propositions du CCMM pour de nouvelles avancées législatives sont les suivantes : extension de la capacité à déposer plainte pour abus de faiblesse aux familles ; création d'un nouveau mode de protection civile afin de recourir au juge pour les majeurs protégés ; introduction de la manipulation mentale dans le code civil comme vice du consentement ; introduction d'un délit autonome concernant la mise sous emprise mentale préjudiciable.

J'ajoute que le CCMM est fortement opposé au « deprogramming » , pratique controversée utilisant l' enlèvement et la séquestration des victimes de sectes.

Aujourd'hui, le CCMM s'intéresse aux travaux du collectif de la Société de recherche et d'analyse de l'emprise mentale (Sfraem), autour de Me Picotin, que je vous suggère d'auditionner, qui semble avoir adapté à la française l'expérience d' Exit Counseling initiée aux Etats-Unis par Steve Hassan.

Je vais exprimer un regret : le CCMM déplore que les conseils départementaux de prévention de la délinquance, d'aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes n'aient pas la même implication dans tous les départements. Si les préfets impulsent, les affaires sont prises en compte, stimulent les différents acteurs de terrain et un certain nombre de victimes peuvent être soutenues. Trop peu de préfectures respectent sur ce point les circulaires du ministère de l'intérieur. L'arsenal juridique a ses limites et la loi n'est pas toujours appliquée...

Je laisserai à Jean-Claude Dubois le soin de développer cette position...

M. Jean-Claude Dubois. - Les conseils départementaux de prévention de la délinquance, d'aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes constituent un vrai problème au regard de la prévention et de la lutte contre les dérives sectaires. Pourquoi ?

Tout d'abord, la problématique sectaire, noyée au milieu d'autres thèmes tels que la délinquance, les violences et incivilités de toute nature, la drogue, les violences faites aux femmes, l'insécurité routière, etc., perd ainsi sa spécificité de traitement.

En second lieu, depuis la création de ces conseils par circulaire du ministère de l'intérieur, les associations spécialisées sont exclues des groupes de travail issus de ces conseils. Il s'agit d'une circulaire du ministère de l'intérieur d'avril 2009 : « Ces réunions doivent réunir les seuls services de l'Etat concernés par cette matière afin d'en conserver le caractère opérationnel. Les échanges nécessaires avec les associations de défense des victimes doivent s'opérer, le cas échéant, dans le cadre des conseils départementaux, en appelant des points d'ordre du jour particuliers ». Il suffit d'avoir assisté à de tels conseils départementaux pour savoir que cette position ne tient pas !

Vrai problème que la Miviludes elle-même reconnaît et évoque dans son rapport 2009 au Premier ministre ? Selon le rapporteur pour avis de la commission des lois du Sénat sur les crédits de la Mission « Vie politique, culturelle et associative », « il conviendrait d'accorder une place aux associations spécialisées dans une première partie de la réunion des groupes de travail restreints à dimension opérationnelle (GTRDO), plutôt que de les cantonner à la réunion générale des conseils départementaux » . Cette préconisation est donc à prendre en considération...

Suite aux remarques conjointes du Sénat, de la Miviludes et des associations, une nouvelle circulaire du ministère de l'intérieur, en date du 2 avril 2011, rappelait aux préfets la nécessité de renforcer les liens avec tous les acteurs de la société civile, dont les associations d'aide aux victimes.

Je cite : « Vous veillerez donc à maintenir une relation soutenue avec les acteurs de la société civile en constituant, si le besoin s'en fait sentir localement, une cellule de suivi émanant du conseil départemental de prévention de la délinquance où siègent ces différents acteurs. Une telle relation permettra d'éviter le sentiment de certaines associations de voir la question des dérives sectaires diluée lors de réunions plénières du conseil départemental de prévention de la délinquance » .

Espoirs déçus car trop peu de préfets appliquent cette circulaire sur le fond, comme sur la forme !

Les propos de terrain suivants émanent de responsables de différentes associations : « La lutte contre les dérives sectaires n'est pas une priorité de nos dirigeants alors qu'elles font partie de l'incivilité organisée » ; « Je pense que la lutte contre les dérives sectaires n'est plus perçue par les autorités comme une priorité, ce qui donne de plus en plus d'aplomb à nos adversaires » ; « Il faut que ça change, les circulaires ne sont pas appliquées » ; « Alors qu'il y a quelques années j'étais sollicité, aujourd'hui c'est un silence impressionnant, comme si les dérives sectaires et leurs victimes n'existaient plus ! » .

Je ne suis pas sûr que de tels propos de terrain vous parviennent toujours ; c'est pourquoi je me suis permis de vous en faire part...

Mme Annie Guibert. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous ai présenté le CCMM et ses missions, j'ai donné notre conception de l'emprise mentale, évoqué les principales dérives des thérapies non conventionnelles à visée thérapeutique, stigmatisé quelques situations tragiques. J'ai insisté sur l'agapèthérapie et ses désastres humains. Le CCMM vous a fait des propositions en faveur d'une législation efficace de protection des victimes d'emprise mentale. M. Jean-Claude Dubois a insisté sur la nécessaire mise en oeuvre d'une politique départementale de prévention des dérives sectaires associant tous les acteurs concernés, au sein de cellules de vigilance. Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos interrogations.

Je terminerai par des souhaits :

- renforcer et développer la Miviludes ;

- que les Agences régionales de santé (ARS) qui sont dans une phase d'installation soient plus performantes et mieux préparées à la problématique sectaire ;

- que le Groupe d'appui technique (GAT) du ministère de la santé sur les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique, créé en 2009 et chargé de l'évaluation des pratiques afin de connaître les preuves de l'action thérapeutiques ou la présence de leurs effets indésirables, puisse accélérer l'information au public de ses conclusions ;

- que l'encadrement du titre de psychothérapeute soit effectif.

Une dernière difficulté doit être mise en exergue : la réduction sensible des subventions allouées par l'Etat aux associations. C'est un véritable problème car cela conduit à la mort des associations ; or faire mourir une association comme la nôtre, c'est faire disparaître la liberté !

En conclusion, je voudrais rendre hommage au travail considérable des permanences du CCMM, à l'innovation dont certaines font preuve et surtout au courage des familles qui viennent témoigner !

Je vous remercie.

M. Bernard Saugey , président. - La parole est au rapporteur.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous avez affirmé que les conclusions de la commission d'enquête de 2006 n'avaient guère été suivies d'effets. Six ans après, avez-vous pu constater une augmentation du nombre de personnes en difficulté et du poids de certains réseaux ?

Mme Annie Guibert. - Le rapport parlementaire était riche de nombreuses auditions. Pour les enfants, la situation était particulièrement dramatique - et pas seulement dans des structures fermées comme Tabitha's Place .

Il y a certainement eu, ici ou là, quelques améliorations mais je pense qu'on est face à un statu quo . Par exemple, Tabitha's Place constituait un vrai problème. Nous en discutions l'autre jour au sein du Comité d'orientation de la Miviludes ; les corps constitués et toutes les autorités présentes ont fait le constat que les choses n'avaient guère avancé. C'est quand même là le pire de ce qui peut arriver à un enfant !

Certains enfants, dans les petits réseaux qui se créent, subissent et paient tous ces régimes alimentaires et ces soins dits alternatifs. Il serait intéressant de recenser à nouveau tous les maux qui pleuvent sur les enfants. Je pense que c'est encore plus accablant qu'en 2006 !

C'est pourquoi le référentiel que nous allons créer, auquel je faisais allusion, va s'attacher aux pratiques et aux techniques...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Il existe, chez certains de nos concitoyens qui se considèrent malades, une recherche de soins et qui font appel à des charlatans qui prétendent guérir le cancer avec par exemple du jus de citron. Dans d'autres cas, les dérives sectaires provoquent des risques en matière de santé : refus de la vaccination, pratiques hygiénistes de retour à la nature, conséquences sur la santé mentale.

Je pense que ces deux cas sont différents. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Mme Annie Guibert. - Certes, ce sont des cas différents mais tous participent d'une emprise mentale. Aucune des personnes qui se laissent convaincre ne sont faibles d'esprit. Il existe des méthodes d'emprise mentale qui sont exercées peu ou prou et qui arrivent à la déstabilisation mentale de l'individu. Les personnes sont totalement déstructurées.

L'affaire de Montflanquin en constitue un bon exemple : toute la famille, de la grand-mère au plus jeune des enfants, était sous emprise. L'un de ses membres était adjoint d'Alain Juppé, l'autre était un des plus grands gynécologues de Bordeaux ! L'emprise mentale est un phénomène difficile à comprendre...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Pouvez-vous nous en dire plus sur les techniques de manipulation mises en oeuvre ?

Mme Annie Guibert. - Il faudrait consulter des psychiatres et des psychanalystes mais je pense qu'il s'agit à chaque fois d'une relation particulière entre un manipulateur et un sujet sous emprise.

Une faille de l'individu va être exploitée par le manipulateur, qui est un séducteur. Après une période de séduction, plus au moins longue, commence la manoeuvre de dépersonnalisation ; le manipulateur va procéder à une reconstruction de l'individu, qui ne sera plus le même. Quelqu'un a dit qu'il s'agissait d'un « kidnapping du cerveau ».

M. Jean-Claude Dubois. - Le gourou cherche à rassurer un individu qui ne va pas très bien en lui proposant de rejoindre son groupe. C'est ce groupe et le gourou qui vont alors manipuler l'individu : privation de sommeil, de nourriture, obligation d'effectuer un travail abrutissant. Lorsque la personne est suffisamment affaiblie, on la reconstruit en adepte.

A la fin du processus, la personne est heureuse. Ce sont des gens rarement stupides. Une fois déconstruits et transformés en adeptes, il leur est très difficile de quitter le mouvement.

Mme Laure Telo. - C'est la mauvaise rencontre, au mauvais moment !

M. Jean-Claude Dubois. - C'est un peu comme la drogue : un mauvais produit au mauvais moment.

M. Bernard Saugey , président. - Pensez-vous que les techniques soient les mêmes selon qu'il s'agisse d'un groupe ou d'un tête-à-tête ?

Mme Annie Guibert. - Ce sont les mêmes.

Mme Laure Telo. - On repère d'abord une personne puis on la fait entrer dans le groupe...

M. Jean-Claude Dubois. - Au départ, le gourou ou un adepte invitent le futur membre à intégrer le groupe ; c'est d'abord très chaleureux puis les choses se gâtent. Dans le même temps, on l'affaiblit. Au départ, il s'est laissé séduire face aux aléas de la vie - divorce, maladie... Le gourou et son groupe se renforcent pour mener à bien leur manipulation. C'est un effet conjugué.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Comment fait-on pour mettre en évidence un réseau de praticiens douteux ? Enormément de charlatans s'improvisent gourous dans le but de détourner de l'argent ou pour attirer des personnes vers telle ou telle croyance...

Mme Annie Guibert. - Vous parlez là de gourous autoproclamés : on trouve dans Paris énormément de plaques de psychothérapeutes, énergéticiens, etc. Certaines revues féminines ou spécialisées en psychologie contiennent des adresses à toutes les pages. Que faut-il faire ? Il faudrait des brigades organisées pour agir !

La personne qui s'improvise géobiologiste du jour au lendemain a besoin de clients, qu'il recrute par le bouche-à-oreille. Les kinésiologues travaillent en réseau, avec des chiropracteurs, des géobiologistes. C'est une nouvelle forme de manipulation mentale et de dérive sectaire. Les choses ont évolué. Il faut que tous les acteurs intéressés par la dérive sectaire s'interrogent sur la problématique. Il en va de même pour nous. On ne peut plus appréhender les cas qui nous arrivent de la même manière. Certes, les grandes organisations existent toujours. On connaît par exemple celle qui se trouve derrière le colloque qu'évoquait Laure Telo...

M. Bernard Saugey , président. - Laquelle est-ce ?

Mme Annie Guibert. - Puis-je la nommer ?

M. Bernard Saugey , président. - Oui.

Mme Annie Guibert. - Il s'agit de la Scientologie et de M. Cotten, - « Politique de vie » - qui est appuyé de manière directe et indirecte par cette secte. C'est le troisième congrès de ce type.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Selon les informations contenues dans le programme de ce colloque, certaines personnes qui paraissent « exercer » à titre individuel se rapprochent en fait de certaines sectes...

Mme Annie Guibert. - Bien sûr ! Il existe de faux titres et des mots complètement inventés. On assiste là à une émergence de nouveaux métiers dans lequel on ne rencontre pas de chômage !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Ces colloques permettent de regrouper des particuliers ou des « praticiens » isolés pour arriver à un travail en réseau.

Mme Annie Guibert. - C'est cela ! Ils travaillent seuls mais en réseau.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Certaines grandes organisations jouent aussi un rôle dans le développement de ces dérives...

Vous venez de publier un « livre noir » sur la communauté des Béatitudes. Quel danger représente cette organisation pour nos concitoyens ?

Mme Annie Guibert. - Ce livre recense un certain nombre de communautés catholiques mais on compte également quelques mouvements évangéliques tout aussi dangereux. Nous avons été saisis par de nombreuses familles catholiques - qui le demeurent d'ailleurs - dont un membre a été victime de ces communautés.

On a regroupé tous ces cas au sein d'un collectif. La Communauté des Béatitudes n'est pas la seule concernée. Nous ne nous intéressons pas aux dogmes. Il ne s'agit pas d'une attaque contre l'Eglise. Nous nous sommes penchés sur de grands malheurs. Bernard Dubois, pédiatre, « Berger », c'est-à-dire responsable de la Communauté des Béatitudes, a créé cette méthode de guérison par la prière. Je ne prends pas position sur cette question mais ce qui est dangereux, c'est la vision holistique de l'individu dont on veut guérir l'âme, le corps et l'esprit - qu'il soit malade ou non. C'est ce qui est proposé dans des agapèthérapies.

C'est totalement ahurissant ! On a ainsi complètement déstructuré des personnes. On déplore aussi certaines atteintes sexuelles. Quelques médecins sont actuellement sous procédure judiciaire - je n'en parlerai donc pas. Le fondateur des Béatitudes n'est plus membre de la Communauté. M. Fenech, avec qui nous avons travaillé et qui s'était beaucoup impliqué dans le combat contre la Communauté des Béatitudes, a affirmé, lors de son audition devant votre commission d'enquête, que l'Eglise a résolu le problème. Non ! L'Eglise prie pour les victimes mais n'a pas résolu le problème. Gérard Croissant n'appartient plus aux Béatitudes, pas plus que le médecin auteur de deux ou trois viols. Ce n'est pas ce que l'on demande !

Il existe des centaines de victimes directes, soit un nombre incalculable de familles détruites. On aimerait, que les autorités ecclésiales, soutenues par les pouvoirs publics, au nom de la laïcité, disent aux victimes qu'elles ont été abusées et que l'Eglise va s'occuper d'elles.

Imaginez une personne restée vingt ou vingt-cinq ans dans une communauté, qui a été exploitée et qui ne dispose ni de sécurité sociale, ni de carte vitale. Elle a souvent cinquante ou soixante ans, voire plus, n'a pas droit au RSA, ni à quoi que ce soit d'autre. Il faut mettre en place une prise en charge psychologique, comme Mme Telo le soulignait. Ils ont peut-être besoin d'un directeur de conscience - s'ils ont gardé la foi - mais surtout de psychiatres, d'assistantes sociales, d'un logement. Nous voudrions que ces éléments soient pris en compte. Les choses sont en train de bouger tout doucement. Certaines familles sont dans cette situation depuis la création des Béatitudes, il y a un quart de siècle !

Bernard Dubois, qui a créé l'agapèthérapie, a formé des personnes qui font la même chose dans des églises évangéliques. Le réseau s'agrandit donc. Même là, il s'agit de réseaux !

Je vais vous laisser quelques livres afin que vous puissiez les lire. Dans l'un d'eux, en préface, un frère des écoles chrétiennes, catholique bon teint, fait une analyse entre foi et raison. Ce livre s'adresse à tout le monde. Au début, on me demandait pourquoi le CCMM s'aventurait dans le monde catholique. Je trouve cet ouvrage intéressant. On en est à la seconde édition...

M. Stéphane Mazars . - Que pouvez-vous nous dire des « souvenirs induits » ?

Mme Annie Guibert. - Le principe des « faux souvenirs induits » vient des États-Unis. Des dérapeutes - ou psychothérapeutes autoproclamés - reçoivent en général de jeunes femmes entre trente-cinq et quarante-cinq ans, en difficulté à la suite d'un deuil, d'une rupture, qui sont confrontées à un problème de solitude ou de chômage. Elles sont généralement envoyées par une amie qui a entendu parler de ce dérapeute qui « fait du bien » en une ou deux séance, grâce à l'autohypnose, l'hypnose ou le « rebirth » - technique de respiration qui permet d'oxygéner le cerveau.

Ces pseudo-psychothérapeutes diagnostiquent un traumatisme remontant à la petite enfance. La personne, alors dans un état second, est prête à croire n'importe quoi. On induit des souvenirs sur la base d'un événement totalement inventé mais parfois aussi sur la base d'événements véritables mais détournés.

J'ai ainsi reçu, il y a trois jours, un monsieur, chef d'entreprise, totalement désemparé : ses quatre enfants et sa femme sont partis rejoindre une « gourelle ». Ce père de famille est accusé d'avoir eu des gestes plus que déplacés vis-à-vis de l'un de ses fils aujourd'hui âgé de trente-cinq ans. Sur la base de souvenirs de son enfance, il prétend que son père lui a touché la partie anale. Or le père se rappelle lui avoir administré un suppositoire contre son gré vers l'âge de deux ans et demi ou trois ans. Cela paraît aberrant ! On essaye toujours de vérifier. Ce n'est guère facile. Il existe toujours un doute. Cela détruit des familles entières !

Peut-être recevrez-vous la présidente de l'Association des faux souvenirs induits, Mme Claude Delpech, qui a regroupé de nombreuses familles victimes de ces dérives. J'ai assisté à l'une de ses assemblées générales : on n'en sort pas indemne !

Audition de M. Rudy SALLES, député, rapporteur sur la protection des mineurs contre l'influence des sectes à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (mardi 13 novembre 2012)

M. Bernard Saugey , président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les auditions de notre commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé en rencontrant M. Rudy Salles, député.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

J'en viens à notre réunion.

L'audition de notre ancien collègue Rudy Salles fait suite à celle d'autres acteurs de la vigilance sectaire à l'Assemblée nationale comme notre ancien collègue Philippe Vuilque ou l'ancien président de la Miviludes, Georges Fenech, aujourd'hui député.

Il nous a paru souhaitable de demander à M. Salles de nous faire part de son expérience :

- d'abord parce qu'il a participé à toutes les commissions d'enquête de l'Assemblée nationale sur les sectes (celle de 1995, celle de 1999 sur l'argent et celle de 2006 sur les mineurs) ;

- ensuite parce qu'il a été chargé par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe d'un rapport sur les sectes et les mineurs, ce qui donne à son expérience une dimension internationale qui est importante pour la suite de nos travaux.

Aucune frontière en effet ne saurait limiter l'influence des sectes : c'est donc aussi dans une perspective intégrant la dimension internationale qu'il nous faut envisager nos conclusions.

Avec Rudy Salles, nous accueillons aujourd'hui un acteur éminent de la vigilance sectaire au Parlement.

Je rappelle à l'attention de M. Salles que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base du droit de tirage annuel du groupe RDSE. Le rapport de cette commission a donc tout naturellement été confié à notre collègue Jacques Mézard, président de ce groupe et auteur de la proposition de résolution qui se trouve à l'origine de la constitution de cette commission.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Salles de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Rudy Salles, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Rudy Salles. - Je le jure.

M. Bernard Saugey , président. - Monsieur Rudy Salles, c'est avec plaisir que je vous donne la parole, à la suite de quoi notre rapporteur, Jacques Mézard, vous posera quelques questions ainsi que les membres de la commission d'enquête.

M. Rudy Salles. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il est très intimidant de prêter serment devant une commission d'enquête ; d'habitude, je siège parmi vous - mais c'est la loi ! Vous travaillez en revanche de façon très différente de celle que nous avions adoptée à l'Assemblée nationale, nos réunions étant à huis clos. Nous recevions nos convocations sous double pli cacheté.

J'ai travaillé au sein des trois commissions d'enquête qui se sont déroulées à l'Assemblée nationale. C'est beaucoup, voire exceptionnel pour un même sujet. Parallèlement, un groupe d'études sur les sectes également très actif se pérennise de législature en législature à l'Assemblée nationale...

La première commission d'enquête remonte à 1995 ; elle portait sur les sectes en France. Nous voulions planter le décor. Ce n'était pas facile car nous avions tout à découvrir. Il fallait savoir comment nous allions travailler et ce que nous voulions faire...

Qu'est-ce qu'une secte ? Il y a pas eu moyen de la définir juridiquement ! Généralement, il s'agit d'une association loi de 1901 qui se décline selon une architecture à peu près toujours la même : une maison-mère sous forme d'association, avec une charte sur laquelle on ne trouve rien à redire. Les idées sont généreuses, altruistes. On ne peut les attaquer.

Cependant, on sait qu'il existe un certain nombre de faits commis par les sectes. Généralement, il s'agit d'organismes satellites de la maison-mère, plus difficiles à appréhender, qui peuvent apparaître et disparaître au fur et à mesure des problèmes qu'ils peuvent rencontrer. Ce sont toujours à peu près les mêmes structures...

En tout état de cause, nous n'avons pas pu juridiquement définir une secte. Nous étions bien ennuyés et avons fini, à défaut, par définir les dérives sectaires. En matière de qualification juridique, nous n'avons rien eu à inventer, tout étant déjà dans le code pénal - captation d'héritage, non-assistance à personne en danger...

Nous avons essayé de savoir combien il existait de sectes dans notre pays - nous en avons identifié environ deux cents. Quant à savoir combien cela pouvait représenter d'adeptes, nous avons évalué leur nombre à environ 300 000.

Fallait-il publier la liste de ces sectes ? Nous avons répondu par l'affirmative. Nous avons essuyé des réactions très houleuses de la part d'un certain nombre de mouvements qui ne voulaient pas se reconnaître en tant que sectes ni se retrouver dans un rapport. Ils nous ont demandé de ne pas y faire figurer leur nom ; une fois ce rapport publié, il était intouchable. Il n'était pas plus question de leur dévoiler nos sources, ainsi qu'ils nous le demandaient, ces informations étant couvertes par le secret durant trente ans. Le débat a donc été difficile...

Je voudrais également attirer votre attention sur les conditions dans lesquelles nous avons travaillé. Ainsi que je l'ai déjà dit, les auditions se déroulaient dans le huis clos le plus total. Nous ne disposions pas du compte rendu de nos réunions et allions le consulter au coffre de l'Assemblée nationale, sans pouvoir le photocopier.

La veille de la publication du rapport, un journal nous a téléphoné pour nous dire qu'il possédait l'intégralité de notre rapport et nous proposait de le consulter ! L'Assemblée nationale avait en effet sous-traité la dactylographie de ce rapport à une société privée, filiale de la Scientologie !

M. Bernard Saugey , président. - Ce n'est pas le cas aujourd'hui...

M. Rudy Salles. - Cela n'a plus ensuite été le cas à l'Assemblée nationale ! C'est dire si tout cela a été contrôlé...

Nous nous sommes également rendu compte que si tout le monde parlait des sectes, personne ne savait vraiment de quoi il s'agissait ou très vaguement, qu'il s'agisse de la police, de la gendarmerie, des travailleurs sociaux ou de la justice. Il n'existait aucune formation sur les sectes à l'Ecole nationale de la magistrature (ENM), pas plus que dans les écoles de police ou de gendarmerie. Nous avons donc proposé qu'une formation puisse être dispensée, de façon à pouvoir instruire les affaires qui arrivaient. Généralement, les policiers, les gendarmes ou la justice ne savaient pas trop comment traiter ces dossiers et les classaient sans suite.

Qui les sectes touchent-elles ? Un peu tout le monde. Il n'y a pas d'âge, pas de milieu social, pas de sexe... Pour autant, il ne faut pas prétendre que les sectes sont dans un premier temps agressives. Généralement, elles approchent les personnes avec beaucoup de gentillesse, de diplomatie et d'ouverture d'esprit. Elles touchent souvent des gens qui ont des problèmes de divorce, d'emploi, de santé ou qui sont désoeuvrés et ont le moral en berne. C'est le bon moment pour les membres d'un groupe sectaire de se présenter en amis, d'apporter leur aide, d'offrir une méthode permettant de réussir dans la vie.

Une personne fort équilibrée a un jour voulu voir de quoi il retournait. Il s'agissait d'une démarche volontaire de quelqu'un qui avait un travail, avait plutôt réussi dans la vie, qui avait une famille. Il était intrigué par la Scientologie. Il s'est renseigné, on lui a fait passer un test et on lui a dit qu'il était en grande difficulté mais qu'il s'était adressé à la Scientologie au bon moment ! On lui a remis la méthode de Ron Hubbard en lui garantissant que tout pouvait aller mieux s'il suivait ces conseils. Bien qu'il se défende de tout mal-être, on lui a expliqué qu'il ne se rendait pas compte de son état ! Il a été très secoué mais a tenu bon et n'y est finalement pas retourné.

Cependant, un jeune médecin est venu témoigner devant notre commission d'enquête. Brillant étudiant en médecine, issu d'une famille équilibrée, il travaillait beaucoup sur sa thèse de médecine. Il a un jour découvert la Scientologie qui lui a affirmé que, grâce à la méthode qu'on se proposait de lui enseigner, il allait brûler les étapes vers la réussite professionnelle. Peu à peu, il s'est coupé de son environnement familial, a commencé à prendre de l'argent à sa famille et s'est élevé dans la hiérarchie de la Scientologie. Ses parents ignoraient tout de cet aspect de sa vie, jusqu'à ce qu'ils découvrent un courrier de la Scientologie dans les affaires de leur fils. Connaissant des relations qui s'étaient libérées de la Scientologie, ils ont organisé une rencontre entre ces ex-adeptes et leur fils. Ce dernier s'est rendu compte du danger qu'il courait. Il est non seulement sorti de l'emprise de la Scientologie mais a intenté un procès contre eux. Les pressions de la part de cette secte ont été violentes : il a même été menacé de mort !

C'est un cas assez rare. Généralement, les victimes des sectes sont tellement affectées qu'elles n'ont pas la force de réagir et désirent oublier un passé douloureux.

Le sujet de la seconde commission d'enquête concernait les sectes et l'argent. Toutes les sectes ne gagnent pas d'argent : certaines sont de micro-organisations, des sectes de quartier, qui comptent très peu de membres. Celles-là ont un rôle à part. Elles peuvent être dangereuses et conduire au suicide de certains de leurs adeptes mais ce ne sont pas les mêmes structures. Il existe aussi de très grandes sectes.

Les témoins de Jéhovah sont de loin les plus nombreux - 170 000 ou 180 000 adeptes. La secte la plus puissante financièrement reste la Scientologie.

A l'époque, la commission d'enquête avait auditionné Mme Gounord, porte-parole de la Scientologie. Elle nous a affirmé très clairement que son mouvement n'était pas philanthropique. On s'en était rendu compte ! L'Eglise de scientologie possède les meilleurs juristes et les meilleurs fiscalistes ; ses dossiers sont particulièrement solides lorsqu'elle est dans le collimateur du fisc ou des services publics. Les méthodes d'infiltration de la Scientologie sont d'ailleurs assez poussées : on a vu en plein procès un certain nombre de dossiers disparaître de la cour d'appel de Paris !

Ainsi, en 2001, le jour où on a discuté de la loi dans l'intitulé de laquelle le mot de secte apparaît pour la première fois - la loi About-Picard - la représentante de la Scientologie, grâce à des contacts au sein de l'Assemblée, a réussi à se faire ouvrir les portes de la loge du Président de l'Assemblée nationale et à assister à nos débats. Nos séances sont publiques, comme au Sénat : il y a d'autres moyens d'y assister que d'occuper la loge du Président. C'était de la pure provocation !

Ces sectes, extrêmement puissantes, font donc de l'agent. La captation d'héritage est un outil assez largement utilisé. Cela nous a permis de nous apercevoir que la maison-mère est souvent irréprochable, mais que les organismes périphériques ramassent l'argent là où il se trouve. La formation professionnelle est un domaine où l'infiltration des sectes est assez répandue. Un certain nombre de ces organismes de formation professionnelle étaient tenus par des sectes ; ils sont même arrivés à obtenir des contrats avec de grandes sociétés nationales comme Air France ou la SNCF ! C'est assez surprenant mais cela a existé.

La troisième commission d'enquête concernait la protection des mineurs, sujet extrêmement délicat.

On ne peut certes rien faire pour aider les majeurs qui décident de partir ou de demeurer dans une secte. Je suis souvent sollicité par les familles dont un membre majeur vit dans une secte : tout adulte a le droit de faire ce choix ! Les enfants en revanche, placés sous l'autorité de leurs parents, les suivent quand ils vont vivre dans des communautés et sont soumis à la fois à l'autorité de leurs parents et à celle des gourous. 50 % des écoles privées hors contrat relèvent de sectes. C'était un enseignement assez fort de cette troisième commission d'enquête.

Je siège à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe ; si l'Assemblée nationale est très active en matière de vigilance sectaire depuis 1995, d'autres pays, comme l'Allemagne, le sont aussi. Les pays du Nord comme la Suède ou le Danemark sont quant à eux extrêmement ouverts à l'égard des sectes. Je ne parle pas des Etats-Unis, où l'on est dans un autre système, la Scientologie y a pignon sur rue et y est reconnue comme une religion !

Nous avons suggéré de choisir le thème de la protection des mineurs, qui nous a paru être le sujet le plus adapté, parce que le plus sensible, pour aborder la question des sectes au Conseil de l'Europe. Beaucoup de personnes, au sein de cette instance, considèrent que le problème des sectes n'existe pas.

J'ai fait venir Georges Fenech devant la commission des affaires juridiques et des droits de l'homme de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, il y a un mois et demi pour témoigner. Nous avons à cette occasion découvert deux catégories de parlementaires européens ; ceux qui sont prêts à se battre contre les sectes et qui se posent les mêmes questions que nous, et ceux des pays du Nord qui, à aucun moment, n'ont prononcé le mot de « sectes », ne parlant que de « nouvelles religions » et ne comprenant pas pourquoi nous avions engagé une réflexion sur les sectes et la protection des mineurs.

Le fait que l'on soit arrivé à proposer qu'un rapport soit établi par la commission des affaires juridiques constitue déjà une grande avancée. Que va-t-il advenir de ce rapport ? Nous sommes au début de nos travaux ; Georges Fenech a été auditionné ainsi que deux autres personnalités d'Europe du Nord, en particulier des Pays-Bas, qui tenaient des discours totalement différents...

Nous allons nous déplacer prochainement en Suède. Nous savons d'ores et déjà que nous y découvrirons des choses qui nous étonneront, notre éthique sur ce phénomène n'étant pas la même.

Quoi qu'il en soit, je suis très heureux que le Sénat se saisisse du sujet de l'influence des sectes dans le domaine de la santé car nous avons intérêt à mettre le plus possible en garde la population contre le phénomène sectaire. On sait très bien qu'on ne l'éradiquera pas de notre pays. Ceci étant, on se rend compte que les sectes sont un peu moins florissantes chez nous qu'il y a une dizaine d'années. Elles sont plus discrètes. A cette époque, j'ai assisté, à Nice, à des concerts organisés sur la voie publique par la Scientologie. C'est une chose que l'on voit moins aujourd'hui. Même les journalistes se laissaient avoir à l'époque par ce type de propagande, ne connaissant pas le sujet.

Depuis quelque temps, les sectes savent qu'il existe une grande mobilisation des pouvoirs publics et une plus grande prise de conscience dans la population ; peu à peu, les magistrats, les policiers, les gendarmes, les travailleurs sociaux sont mieux informés et le milieu ambiant est un peu moins favorable qu'il y a quelques années.

Nous avons néanmoins intérêt à multiplier l'information du public et à faire en permanence passer le message auprès des pouvoirs publics pour que jamais cette vigilance ne s'érode. Il faut bien reconnaître que le problème sectaire n'est pas la préoccupation primordiale de la société. Il existe bien d'autres sujets d'inquiétude aujourd'hui et nous savons que si nous ne martelons pas de manière incessante les pouvoirs publics qu'il ne faut pas baisser la garde, nous pouvons perdre ce combat.

Or, la question des dérives sectaires touche des domaines extrêmement variés : santé, écologie, sport. Aucun n'est épargné. Il faut donc rester extrêmement vigilant et continuer à mener ce travail de vigilance, comme le fait votre commission d'enquête.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Je veux remercier Rudy Salles de son exposé et de la constance de l'action qu'il mène depuis un certain nombre d'années.

Nous avons axé le travail de notre commission d'enquête sur les dérives sectaires dans le domaine de la santé, ce qui englobe la question des mineurs mais va au-delà de cette problématique.

Certains témoignages démontrent que ces dérives sectaires dans le domaine de la santé peuvent avoir des conséquences catastrophiques. On cite des cas de décès après une interruption de traitement, certains charlatans proposant, à la place de traitements conventionnels, des solutions dénuées de toute approche scientifique. Il s'agit là d'une mise en danger de la vie d'autrui et de cas souvent particulièrement douloureux et difficiles.

Vous avez affirmé que notre code pénal nous permet de mener les actions nécessaires au traitement de ce problème ; or, on a le sentiment qu'il existe un fossé entre la réalité et les possibilités de notre appareil judiciaire ou de nos services publics. Qu'en pensez-vous ?

M. Rudy Salles. - Lorsque nous avons débattu de la loi sur l'emprise mentale, en 2001, j'ai déposé un amendement, contre l'avis du Gouvernement et de la commission, tendant à permettre aux associations reconnues d'utilité publique de se porter partie civile en lieu et place des victimes. En effet, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, il est impossible de porter plainte à la place d'un adulte.

Le Garde des Sceaux était opposé à un tel amendement, redoutant une inflation de plaintes que la justice ne pourrait gérer. J'avais à l'époque interpellé mes collègues députés en attirant leur attention sur le fait qu'en cas de rejet de cet amendement, on ne pouvait prétendre lutter efficacement contre les sectes. L'amendement a été adopté. Est-il suffisamment utilisé ? Deux grandes associations, l'Association pour la défense des familles de l'individu (ADFI) et le Centre contre les manipulations mentales (CCMM) peuvent oeuvrer dans ce domaine et nous aider.

Ceci a fait néanmoins avancer un certain nombre d'affaires et a permis que des plaintes soient portées contre des sectes - surtout dans le domaine de la santé - alors que les victimes hésitent à effectuer ce type de démarche. Peut-être votre commission d'enquête peut-elle essayer d'approfondir les choses pour étudier l'application de cette mesure et déterminer si elle a ou non prospéré. Dans le cas contraire, pourquoi n'en a-t-on pas fait bon usage ? Les statistiques de recours ont-elles augmenté de façon significative ? C'est une question intéressante à examiner...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Que pensez-vous de la proposition du CCMM de mise sous curatelle, à la demande des familles, des majeurs se retrouvant dans des situations de dépendance à la suite de manipulations mentales ?

M. Rudy Salles. - On ne peut qu'y être favorable. Je trouve qu'il s'agit d'une bonne chose. La loi de 2001 renforçait l'abus de faiblesse. Cela allait dans la bonne direction. Il s'agit là d'une conséquence qui me semble tout à fait utile.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - La perception des pratiques médicales non conventionnelles semble différente dans un certain nombre de pays européens. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Rudy Salles. - Je ne peux pas le dire précisément car nous n'avons pas étudié le sujet sur le plan européen mais, compte tenu de la perception que l'on peut ressentir notamment dans un certain nombre de pays du Nord, on peut imaginer que dans cette région d'Europe la tendance est plus laxiste que dans notre pays ou en Allemagne, pays qui ont des points de vue relativement proches et qui mènent des actions de vigilance assez similaires.

Pour les pays du Nord, on a le sentiment que le phénomène sectaire n'existe pas. On y trouve des associations farfelues et ce qu'on y appelle de « nouvelles religions ». Or, nous établissons quant à nous une distinction entre les associations farfelues - légales dès lors qu'elles ne portent pas atteinte à l'ordre public -, les soi-disant « nouvelles religions », et ceux qui cherchent à utiliser la loi de 1901 pour mener des activités criminelles. La loi de 1901 est très ouverte, très libérale mais il semble difficile d'en exclure les sectes, contrairement à ce que nous avions envisagé lors de la première commission d'enquête...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Nous respectons tous la liberté de conscience et la liberté d'expression : ces fondements de la République ne sont remis en cause par personne ici.

Vous parliez de l'Europe du Nord : M. Hamer continue à sévir sur Internet alors qu'il a été condamné, si mes souvenirs sont bons, à trois ans de prison fermes par la justice française. Il paraît incompréhensible qu'un pays comme la Norvège - au demeurant très respectable - lui permette de continuer à agir, lorsqu'on connaît les conséquences que ses pratiques peuvent avoir pour certains malades du cancer ! On se demande pourquoi il n'y a pas une plus grande cohérence internationale !

M. Rudy Salles. - Nous sommes parfaitement d'accord et partageons ce constat navrant. On touche là à un domaine essentiel, celui de la santé. Il est impensable qu'un tel système puisse exister sur le continent européen et qu'on ait autant de mal à sensibiliser les gens sur ce type de sujet.

Je l'ai ressenti dès la première réunion du Conseil de l'Europe et même avant, étant donné la difficulté que nous avons eue à prendre la décision d'entreprendre la mise à l'étude d'un rapport sur les sectes. Toutes les associations se sont mobilisées mais nous sommes finalement parvenus à nos fins. La première réunion a bien montré des positions très tranchées sur la question des sectes.

En Europe du Nord, le phénomène sectaire n'est pas du tout appréhendé. A aucun moment, nos collègues européens ne prononcent le mot de secte, comme si le sujet n'existait pas. Leur éducation est très différente de la nôtre et c'est ce qui explique l'incompréhension à laquelle nous nous heurtons. C'est également vrai avec les Américains. Certains diplomates américains nous ont dit ne pas comprendre la position de la France sur ce point. Nous leur avons objecté qu'il en allait de même pour nous. Contrairement à ce qui se passe dans une secte, on peut sortir d'une religion et on n'est pas forcé de participer au denier du culte. C'est là une différence fondamentale entre secte et religion.

Lorsque nous avons enquêté sur les sectes à l'Assemblée nationale, les religions se sont émues auprès de nous - toutes tendances confondues. Elles ont attiré notre attention sur la nécessité de respecter la liberté de conscience. Nous les avons rassurées sur ce point. Notre propos concernait en effet l'asservissement des personnes par des organisations criminelles qui n'ont rien à voir avec les religions. Celles-ci l'ont bien compris...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Depuis votre premier rapport, dix-sept années se sont écoulées. Aujourd'hui, Internet offre aux sectes des moyens de propagande très préoccupants. En aviez-vous aussi ressenti les conséquences à l'Assemblée nationale ?

M. Rudy Salles. - Nous n'avons pas analysé à l'époque les conséquences d'Internet ; celles-ci sont du même ordre que pour tous les autres sujets qui sont aujourd'hui touchés par Internet - pédophilie ou autres. Internet offre un accès rapide à un maximum d'informations au plus grand nombre.

La propagande sectaire se faisait autrefois par tracts ; aujourd'hui, elle se fait aussi sur Internet. Je pense qu'il faut se pencher de près sur le fait que les moteurs de recherche dirigent les internautes qui tapent les mots « santé » ou « maladie » vers des charlatans ou des sectes, ce qui peut induire de graves conséquences sur la santé. Il faut savoir si ces faux médecins sont actifs ou non sur la toile - mais je pense qu'il n'y a aucune raison qu'ils ne le soient pas !

M. Bernard Saugey , président. - La parole est aux commissaires...

Mme Muguette Dini . - Vous nous avez indiqué que les pays du Nord de l'Europe et les Etats-Unis ne se préoccupent pas du caractère sectaire de certains groupes ou de certaines pseudo-religions. Comment réagissent-ils par rapport aux conséquences des activités de ces sectes sur la santé et les enfants ? Ils sont bien confrontés aux mêmes problèmes que ceux que nous rencontrons ici. Acceptent-ils que des enfants meurent faute de nourriture sans réagir ?

M. Rudy Salles. - Ils traitent les conséquences mais non les causes. Si une personne décède, la procédure va tenter de trouver un coupable sans traiter la racine du mal, qui est l'organisation criminelle. Cela peut parfois déboucher sur une procédure et des condamnations - pas toujours - mais ils ne traitent pas le mal à la racine. Le travail qu'essaient de mener nos commissions d'enquête consiste à essayer de tarir la source.

Ces pays traitent les conséquences des dérives sectaires au cas par cas, comme des délits de droit commun, alors que nous essayons d'établir une catégorie particulière de délits et de crimes et de traquer l'ensemble de l'organisation criminelle qui est à l'origine.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Au Danemark, si quelqu'un perd la vie pour avoir appliqué les principes développés par la médecine dite germanique du docteur Hamer, il ne se passe donc rien ?

M. Rudy Salles. - Jusqu'à preuve du contraire, il ne s'est rien passé !

M. Bernard Saugey , président. - La commission d'enquête de l'Assemblée nationale s'est-elle penchée sur l'infiltration de l'Etat par les grandes organisations sectaires ?

M. Rudy Salles. - On a vu que la formation professionnelle comptait beaucoup dans l'enrichissement des sectes qui, par le biais d'organismes de formation, arrivent à toucher un certain nom de grandes entreprises nationale - Air France, la SNCF et bien d'autres.

Ce biais leur permet d'approcher de très près des centres de décisions extrêmement importants. On sait que les sectes ont des relais partout, y compris dans la justice. A Paris, notamment à la cour d'appel, un certain nombre de dossiers ont disparu il y a quelques années en plein procès !

Le problème des sectes vient du fait qu'elles s'infiltrent partout par l'intermédiaire de gens qui remplissent par ailleurs honorablement leur tâche mais qui, parallèlement, mènent une activité clandestine. On l'a vu à l'Assemblée nationale dont les personnels ont permis la Scientologie d'entrer dans la loge du Président ! A l'époque, une enquête a été menée et des sanctions ont été prises...

M. Bernard Saugey , président. - Plus récemment, nous avons connu l'affaire de la simplification du droit. Nous n'avons jamais su s'il s'était agi d'une infiltration du Gouvernement ou de l'Assemblée nationale. J'étais alors rapporteur pour le Sénat et je travaillais avec Etienne Blanc, rapporteur pour l'Assemblée nationale. Nous n'avons jamais su comment les choses s'étaient passées. Cela a permis à la Scientologie d'éviter la dissolution.

M. Rudy Salles. - Le principe du secret dans les sectes est absolu. Cela leur permet d'infiltrer un certain nombre d'organismes. On le constate tous les jours. C'est là que réside la grande difficulté : on lutte contre quelque chose d'impalpable.

M M. Jacques Mézard , rapporteur. - On se demande quand même s'il n'est pas possible de retrouver assez facilement l'origine de l'omission malencontreuse dont Bernard Saugey faisait état. Cela a-t-il été fait ?

M. Rudy Salles. - Je ne sais pas...

M. Bernard Saugey , président. - On ne l'a jamais su.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - A-t-on seulement cherché à le savoir ?

Mme Hélène Lipietz . - Existe-t-il des sectes d'inspiration musulmane ou bouddhiste ou ce phénomène est-il spécifique aux pays européens et chrétiens ?

M. Rudy Salles. - Je n'ai pas entendu parler de sectes d'inspiration musulmane. Je ne dis pas qu'elles n'existent pas mais je n'en ai pas entendu parler dans le cadre de nos travaux. Peut-être en existe-t-il d'inspiration bouddhiste... On trouve un certain nombre de mouvements asiatiques... Quoi qu'il en soit, les principes défendus sont toujours très altruistes et généreux. On les retrouve donc toujours dans les principes défendus par les religions.

C'est l'utilisation qui en est faite qui est totalement différente. Il faut toujours se méfier : lorsqu'on étudie les textes fondateurs des sectes, on ne peut rien critiquer. Les textes fondateurs de la Scientologie ou des témoins de Jéhovah ne peuvent être attaqués devant la justice. C'est pourquoi on s'est orienté vers les dérives sectaires qui permettent de découvrir le vrai visage du mouvement auquel on a affaire.

Mme Hélène Lipietz . - Ce n'est pas le mot de « secte » mais celui de « dérive sectaire » qui est donc le plus important...

M. Rudy Salles. - En effet. Le mot de « secte » est un mot générique que l'on essaie d'adosser au mouvement dont on a mis en évidence qu'il s'adonne à des dérives sectaires. Cela ne leur plaît généralement pas car ce n'est guère valorisant. Ce mot ne figurait pas jusqu'à présent dans la législation. Il existe depuis 2001. Encore ne fait-il que figurer dans la loi mais, juridiquement, à ce jour, il ne veut rien dire.

Audition de Mme Marie-Cécile MOULINIER,
secrétaire générale du Conseil national de l'Ordre des sages-femmes,
et M. Alain BISSONNIER, juriste
(mardi 20 novembre 2012)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, l'audition des ordres professionnels nous a paru constituer une étape obligée de nos travaux.

Nous commençons aujourd'hui cette série d'auditions, qui va se poursuivre pendant plusieurs séances, avec l'Ordre de sages-femmes puis l'Ordre des pharmaciens.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

J'en viens à notre réunion.

Je rappelle à l'attention de Mme Marie-Cécile Moulinier, secrétaire générale de l'Ordre des sages-femmes et de M. Alain Bissonnier, qui exerce les fonctions de juriste de l'Ordre, que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base d'une initiative de notre collègue Jacques Mézard, président du groupe RDSE. M. Mézard a donc tout naturellement été chargé du rapport de cette commission qui sera remis début avril 2013.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à Mme Marie-Cécile Moulinier et à M. Alain Bissonnier de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Madame Marie-Cécile Moulinier et monsieur Alain Bissonnier, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les deux personnes se lèvent et prêtent serment.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Le sujet de cette commission d'enquête est l'influence des dérives sectaires dans le domaine de la santé. Sans porter atteinte à la liberté de conscience ou d'expression, nous voulons examiner certaines dérives ou pratiques dangereuses pour nos concitoyens, qu'il s'agisse de leur santé physique, mentale, ou de pratiques ayant des objectifs purement financiers mais pouvant avoir des conséquences inacceptables. De quelle nature sont les pratiques thérapeutiques alternatives que vous êtes amenés à observer dans le domaine des sages-femmes ? Avez-vous dans votre Ordre des signalements et une action particulière ? Sont-ils géographiquement concentrés dans certains secteurs ? Comment caractériseriez-vous la situation actuelle ?

Mme Marie-Cécile Moulinier, secrétaire générale de l'Ordre des sages-femmes . - Concernant des pratiques alternatives aux pratiques médicamenteuses, nous avons deux sources : d'une part, ce que l'on nous rapporte, d'autre part, les sites internet des sages-femmes.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Sont-ils autorisés ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - Oui, dans la mesure où ils respectent les règles de bonnes pratiques émises par le Conseil national de l'Ordre. Ce sont des sites d'information à destination des patients et du grand public. Une sage-femme prônait sur son site la placentothérapie, qu'elle accompagnait de conseils culinaires. C'est évidemment éloigné de ce que recommande la médecine, et elle a été condamnée par la chambre disciplinaire en première instance au mois de juin.

M. Alain Milon , président . - Quel est le rapport entre la cuisine et le placenta ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - La patiente récupère son placenta pour le cuisiner, à l'exemple des animaux qui mangent leur placenta... Il existe encore d'autres pratiques : des parents demandent à récupérer une partie du placenta ou du cordon, qu'ils diluent dans une solution alcoolique afin d'obtenir un médicament renforçant le système immunitaire de l'enfant. Les maternités n'ont pas le droit de le leur donner et leur refus peut être source de conflits.

La sage-femme en question avait une pratique de suivi « global » de naissance avec accouchement à domicile en Haute-Savoie. L'accouchement à domicile n'est pas en soi interdit par la loi, et est souvent demandé par des parents déçus après une « mauvaise expérience » à l'hôpital pour un premier enfant. Face à l'hypermédicalisation, ils se tournent vers un autre type d'accompagnement moins médicalisé. Certaines sages-femmes pratiquent l'accouchement « global », mais l'accès aux plateaux techniques, qui au moment critique offre un environnement sécurisé et acceptable, n'est pas assez développé alors que cette solution peut être une bonne alternative, qui permet de rentrer à la maison quelques heures après la naissance, qui a été faite dans un environnement médical acceptable.

On trouve même parfois, dans un autre contexte, des sages-femmes en cheville avec des sortes de gourous. Celle que j'ai citée redirigeait ses patientes vers son compagnon qui pratiquait l'iridologie...

Les sages-femmes sont aussi confrontées à des parents qui peuvent être très exigeants sur leur projet de naissance, je pense aux végétariens ou aux végétaliens par exemple. Nous leur demandons d'être attentives, pour ne pas être accusées de complicité, quand les parents refusent le suivi médical du nourrisson, ce qui peut compromettre ensuite la mise en oeuvre du programme de vaccination. Nous avons eu un cas de cet ordre avec une sage-femme qui s'est peut-être laissé influencer par les parents ; elle n'a pas mis son veto au refus des parents de suivi médical de l'enfant, et s'est occupée du suivi de la mère parce qu'elle était allaitante. Or, en dehors de l'examen du nouveau-né et de l'allaitement, les compétences des sages-femmes sont limitées à un suivi staturo-pondéral : elles ne peuvent ni procéder à l'examen mensuel ni gérer le calendrier vaccinal qui relève des médecins. L'enfant a été amené par sa grand-mère à dix-huit mois, il n'avait reçu aucun vaccin et était en état de dénutrition avancée. Dans ce cas, la sage-femme n'a pas su poser de limites, ce qui n'en fait pas nécessairement une adepte de cette méthode d'accompagnement. Elle a donc reçu un avertissement.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez donc déjà été amenés à prendre des sanctions ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - La première sage-femme évoquée a été suspendue en juillet dernier pour un an. Mais comme elle pratiquait dans une zone frontalière, elle est allée travailler dans une maison de naissance du canton de Genève. Nous avons alerté les autorités helvétiques, le dossier est en cours.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Avez-vous le sentiment que ces pratiques déviantes augmentent ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - Nous sommes passés de zéro à deux cas... Nous avons également porté plainte en Ariège contre une accompagnante à la naissance, une « doula », suite à la mort d'un nouveau-né. Elle pratiquait l'accouchement à domicile en Ariège depuis 2008 et disait avoir obtenu son diplôme aux Etats-Unis.

M. Alain Milon , président . - Pour exercer, la sage-femme doit être reconnue par l'Ordre !

Mme Marie-Cécile Moulinier . - Pour nous ce n'était pas une sage-femme, c'était une « doula », c'est-à-dire une accompagnante à la naissance sans diplôme. Le Conseil national a porté plainte, elle a été condamnée pour exercice illégal de la profession, mise en danger de la vie d'autrui et homicide involontaire. Elle est repartie aux Etats-Unis.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Que pensez-vous du développement des « doulas » ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - On en a beaucoup parlé en 2007, 2008 et 2009. Le sujet est moins d'actualité aujourd'hui. Nous avons dénoncé leurs pratiques chaque fois que cela a été possible. Nous avons une ou deux consoeurs qui participent à des formations sommaires pour ces personnes, nous les avons rappelées à l'Ordre. Dans l'ensemble, c'est une pratique assez marginale. Son coût n'est d'ailleurs pas négligeable, de l'Ordre de 500 à 800 euros, contre 316 euros pour un accouchement réalisé par une sage-femme libérale, remboursés par la sécurité sociale. Les « doulas » ont tenté de faire reconnaître leur profession et de bénéficier du chèque emploi service, mais sans succès.

- Présidence de M. Bernard Saugey, vice-président. -

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Pourriez-vous nous indiquer ce que les pratiques des « doulas » ont de choquant ? Que faudrait-il faire ? Je lis dans leur charte : « Etre doula est une manière d'être et non de faire »...

Mme Marie-Cécile Moulinier . - Elles affirment qu'elles ne se substituent pas aux professionnels de santé, mais elles sont très présentes, à un moment de particulière vulnérabilité psychique des parents. Leurs conseils ne sont pas étayés par des connaissances sérieuses dans le domaine obstétrical. A une femme qui perd les eaux, elles déconseilleront par exemple de se rendre tout de suite à la maternité, sous prétexte qu'on va la mettre sous perfusion avec des antibiotiques. Or, le risque d'infection et de perte du bébé est réel.

Les « doulas » tiennent un discours rassurant au moment où les maternités françaises manquent de personnel. En Suède, dans un établissement qui réalise 6 000 naissances, on compte une sage-femme pour une patiente, au maximum deux. En France, les sages-femmes s'occupent en moyenne de quatre à cinq parturientes, qui sont à des stades différents de leur accouchement. Cette moindre disponibilité est compensée par l'hypermédicalisation : salles d'opération, monitoring et péridurale, pratiquée dans 95 % à 98 % dans les grands centres. Les patientes ont une perfusion à chaque bras, une pour l'anesthésiste, une pour la sage-femme, sans oublier l'oxygénation. On ne fait pas mieux pour une greffe du poumon ! Mais en termes de relations humaines, les sages-femmes passent moins de temps avec les patientes. Elles rentrent en salle, font pousser la patiente, souvent elles surveillent en même temps le monitoring du box d'à côté... On peut comprendre que certains parents hésitent la fois suivante à revenir à la maternité.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - C'est ainsi que cela se passe pendant l'accouchement ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - Oui. Avec la T2A, les consultations qui duraient une demi-heure sont passées à vingt minutes. Le même objectif de rentabilisation prévaut pour l'accouchement.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Les « doulas » pallient-elles à la carence des sages-femmes ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - C'est en effet une place que nous avons laissée vacante. Je suis sage-femme depuis trente-deux ans. Au début des années 1980, lorsque j'ai eu mon diplôme, nous ne pratiquions quasiment pas la péridurale. J'exerçais à Lyon dans une maternité à échelle humaine qui réalisait 1 300 accouchements par an. Lorsque nous avions trois accouchements, c'était une grosse journée.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Comment expliquez-vous la création de cette association de « doulas » ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - C'est un mouvement qui vient des Etats-Unis. Est-ce en lien avec les sectes ? Le phénomène est récent en France, il date des années 2005 à 2007. Si nous avions été plus présentes, il n'y aurait pas eu besoin d'accompagnantes à la naissance.

M. Bernard Saugey , vice-président. - Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - Les Témoins de Jéhovah refusent la transfusion sanguine, ce qui pose problème en cas d'hémorragie de la mère ou en cas d'incompatibilité Rhésus pour l'enfant. Nous avons toujours à disposition le numéro de fax ou de téléphone du procureur dans les maternités. Pendant l'intervention, les parents sont déchus de l'autorité parentale. Mais bien sûr, cela occasionne des frictions avec les parents.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Cela est-il fréquent ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - Non. J'ai connu deux cas dans ma carrière.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Si vous ne saisissez pas le procureur, la vie de l'enfant est en danger !

Mme Marie-Cécile Moulinier . - En effet. En cas d'hémorragie de la mère, on peut dans un premier temps faire appel au plasma. Mais pour les bébés, la transfusion est le seul moyen d'éviter l'ictère nucléaire.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - La position des Témoins de Jéhovah a-t-elle varié ?

Mme Marie-Cécile Moulinier . - Pas à ma connaissance.

M. Alain Bissonnier, juriste du Conseil national de l'Ordre des sages-femmes . - Il n'existe pas de faits avérés de sages-femmes participant à des mouvements sectaires. Les chambres disciplinaires de l'Ordre des sages-femmes ont été amenées récemment à sanctionner deux sages-femmes que l'on peut soupçonner de dérive sectaire dans leur pratique, mais elles n'ont jamais avoué qu'elles participaient à des mouvements sectaires. Nous connaissons un groupe de professionnelles soupçonnées, en Suisse, à proximité de la frontière. La sage-femme qui a été sanctionnée exerce maintenant dans ce pays. Nous avons alerté nos correspondants helvétiques. Et nous sommes particulièrement attentifs au cas évoqué dans l'Ariège.

De manière générale, le code de déontologie encadre la pratique et nous sommes juridiquement bien armés. Mais il y a plus de 800 000 naissances par an en France et, lorsque la vie apparaît, la sensibilité de chacun joue un rôle important dans les demandes des uns et des autres. Les difficultés des sages-femmes viennent surtout de la demande des parents et des couples dont les « projets de naissance » sont parfois incompatibles avec les règles de bon exercice et de fonctionnement des maternités.

Globalement cependant, les sages-femmes sont peu concernées par les mouvements sectaires. Ce sont plus les pratiques des populations auxquelles elles ont affaire qui sont susceptibles de mettre en danger la vie de la mère et de l'enfant.

Audition de M. Bernard ACCOYER, député (mardi 20 novembre 2012)

Mme Muguette Dini , vice-présidente . - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui les auditions de notre commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé en rencontrant M. Bernard Accoyer, député, ancien président de l'Assemblée nationale.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

J'en viens à notre réunion.

L'audition de notre collègue Bernard Accoyer s'inscrit dans un ensemble d'auditions auxquelles nous allons procéder au cours de séances successives sur le thème des risques liées à certaines méthodes de psychothérapie et à l'emprise mentale.

Il nous a paru souhaitable de demander à M. Accoyer de nous faire part de son expérience, car il a pris part entre 2004 et 2009 à un véritable combat pour encadrer strictement le titre de psychothérapeute, afin limiter les risques que font courir à leurs patients des thérapeutes non qualifiés. Ce que l'on appelle aujourd'hui l'« amendement Accoyer », du nom de son inspirateur, a incontestablement comblé un vide juridique. Il a néanmoins fallu environ huit ans pour que le décret d'application soit publié : nous allons certainement y revenir pendant cette audition.

Je rappelle à l'attention de M. Accoyer que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base du droit de tirage annuel du groupe RDSE. Le rapport de cette commission a donc tout naturellement été confié à notre collègue Jacques Mézard, président du groupe RDSE et auteur de la proposition de résolution qui se trouve à l'origine de la constitution de cette commission.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Accoyer de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Bernard Accoyer, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Bernard Accoyer, député . - Je le jure.

Mme Muguette Dini , vice-présidente . - Vous avez la parole.

M. Bernard Accoyer, député . - L'influence des mouvements sectaires dans le domaine de la santé constitue un problème important et mal connu, et je félicite le Sénat d'avoir adopté la proposition de résolution de M. Mézard. Comme vous le savez, j'ai conduit un combat de longue haleine contre les pratiques déviantes des psychothérapeutes « autoproclamés » ; avant d'exercer des fonctions publiques, j'ai eu une longue pratique de la médecine, qui m'a permis de me forger une opinion sur l'influence des pratiques sectaires dans le domaine de la santé.

Les mouvements sectaires se caractérisent par un phénomène d'emprise ayant toujours pour but la domination, la pression, la possession, le bénéfice - financier, physique ou sexuel. Nous croyons souvent que les personnes les plus fragilisées sont les plus concernées, mais ce n'est pas toujours le cas.

L'emprise du gourou se traduit chez sa victime par une perte du discernement. Le gourou qui manipule la personne selon son bon vouloir. Il arrive à persuader sa victime d'agir en dehors de toute rationalité. Les sectes et les individus manipulateurs ont la capacité de disqualifier ceux qui cherchent à remettre les adeptes sur le droit chemin.

Grâce à la manipulation, à la suggestion, aux techniques des psychothérapies, utilisées souvent par des personnalités charismatiques, les mouvements sectaires ont la faculté de couper les victimes de toute réalité et de les séparer de leurs proches, avec des conséquences parfois dramatiques. Ils ont l'art de déformer la réalité par des mécanismes pervers, dignes des escrocs. Ils mettent en confiance leur auditoire, qui en vient à croire n'importe quoi, au-delà du discernement et de la raison. Les vérités reconnues depuis toujours par les adeptes sont balayées ; les adeptes se laissent convaincre que ces vérités procèdent d'une conspiration au service d'intérêts obscurs. Les tiers, qui souhaiteraient dénoncer ces mouvements d'emprise, sont décrédibilisés auprès des victimes avant même qu'ils puissent s'exprimer ; le gourou les qualifie de menteurs, de racistes, d'homophobes, de scientistes impénitents, de vendus, etc. Et la victime le croit !

J'en ai fait les frais lorsque j'ai défendu un amendement lors du débat de la loi de 2004 (les décrets, comme vous le savez, sont intervenus bien plus tard).

En 1999 déjà, un psychologue clinicien avait attiré mon attention sur la concurrence déloyale exercée par les psychothérapeutes « autoproclamés ». Etant oto-rhino-laryngologiste et chirurgien plasticien, j'avais eu à solliciter l'avis de psychologues avant de réaliser des interventions. J'ai donc abordé ce sujet sans a priori . J'ignorais que l'on pouvait s'autoproclamer psychothérapeute, accrocher sa plaque et exercer. Or des milliers de praticiens sont dans ce cas. Leur niveau de formation est inconnu et très variable. Leurs patients, qui sont dans une situation de grande fragilité, consultent un psychothérapeute quand ils estiment en avoir besoin car son titre inspire confiance, à la différence du généraliste, qu'ils jugent non compétent, ou du psychiatre, qui pour eux ne traite que les fous. Ces patients sont les victimes toutes désignées de ces psychothérapeutes !

La technique la plus employée par les charlatans est la méthode des faux souvenirs, qui consiste à induire chez la victime, pour la guérir de son malaise, le souvenir prétendu d'une agression sexuelle par un ascendant. Le patient subit alors un choc psychologique majeur et en vient à se couper de sa famille. Un médecin désemparé m'avait ainsi consulté à ce sujet dans ma permanence en Haute-Savoie. Une de ses filles, après avoir consulté un psychothérapeute, était persuadée d'avoir été victime d'une agression de sa part ; ses autres enfants, dans le doute, voulaient bien croire leur père sur parole. Je lui ai conseillé de porter plainte avant que le praticien ne le fasse contre lui, et de s'impliquer dans l'aide aux victimes.

Le monde des psychothérapeutes « autoproclamés » est un monde qui se tient les coudes. J'ai tout d'abord souhaité déposer une proposition de loi pour encadrer l'usage du titre de psychothérapeute et organisé un colloque à l'Assemblée nationale. M. Bernard Kouchner, alors ministre, y était favorable, mais son cabinet fut très vite alerté par l'action de cette meute dont les membres se connaissent et se protègent mutuellement, utilisant même le concours de personnalités connues.

Puis vint la loi de 2004, dite Mattei, sur la santé publique. Le Pr Dubernard présidait alors la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. Mon amendement y fut adopté. Les psychothérapeutes « autoproclamés » se réunirent alors à la Mutualité, brandissant des banderoles réclamant la suppression de la disposition introduite dans le texte de la loi par mon amendement. Pendant des semaines, dans une ambiance surchauffée, avec l'appui de vedettes ou d'hommes politiques, ils s'opposèrent à un amendement qu'ils qualifiaient de liberticide, embrigadant la psyché. A une heure de grande écoute audiovisuelle, Gérard Miller, psychanalyste, s'est employé à me décrédibiliser, en me traitant de raciste et d'homophobe. Il s'agit là d'un procédé caractéristique, utilisé aussi bien contre des adversaires individuels que contre des mouvements de pensée constitués pour discréditer les personnes qui s'opposent à leurs théories. Le frère de Gérard Miller, psychanalyste et diplômé de l'université, l'a soutenu. Je suis heureux d'avoir résisté à ces pressions car les pratiques de ces psychothérapeutes provoquent beaucoup de souffrances, brisent des familles, aboutissant parfois à des suicides, quand le gourou n'a d'autres soucis que celui de son portefeuille.

Heureusement, le Pr Dubernard m'a aidé. Il connaissait le cas d'un boucher de sa circonscription qui, après avoir consulté un psychothérapeute « autoproclamé », en raison d'une dépression provoquée par la concurrence d'une supérette qui vendait de la viande, était à son tour devenu psychothérapeute...

La discussion fut difficile au Sénat, puis en CMP. Certains sénateurs défendaient les psychothérapeutes. J'ai alors distribué un document vantant la gestalt-therapie où il était expliqué que les relations sexuelles avec des patients n'étaient pas illégitimes. J'ai convaincu Jean-Marie Le Guen et l'amendement est passé.

La publication des décrets d'application fut très difficile. Ces praticiens disposaient de soutiens dans l'administration ou les cabinets ministériels.

L'utilisation du titre de psychothérapeute est aujourd'hui subordonnée à une formation théorique et clinique ou à l'octroi d'un agrément par une commission départementale qui vérifie les aptitudes des praticiens. Ce combat a duré douze ans. Si je n'avais pas été président du groupe majoritaire puis de l'Assemblée nationale, je n'y serais sans doute pas arrivé.

Cependant les pratiques sectaires en matière de santé prolifèrent, avec certains domaines de prédilection. L'hygiène de vie est le premier : pour vivre centenaire, il suffit de suivre un régime, en réalité carencé et dangereux. Autre domaine : la vaccination. En raison d'une croyance, pourtant démentie par les études scientifiques, qui établit un lien entre la vaccination contre l'hépatite et l'apparition de la sclérose en plaques, la France est le pays où le taux de vaccination est le plus faible et où cette maladie cause le plus de morts. Ces manipulations de l'opinion menacent la vérité scientifique. Autre exemple : l'influence des antennes de radiotéléphonie mobile. Les effets des champs électriques ont fait l'objet de nombreuses études. Comment qualifier l'action de l'association Priarterm à cet égard, est-ce une secte ? En tout cas, ses pratiques y ressemblent. Enfin les OGM : certes tous ne se valent pas, mais les procédures de validation ont été mises en cause sans fondement. Quelles relations entre science et la démocratie ? Quelles doivent être la place du relativisme et de la vérité ? Celle-ci est-elle d'ordre social ou factuel ?

La naturopathie nous invite à revenir aux sources. Sans doute cela est-il sain, mais nos pratiques alimentaires ne nous ont pas empêchés d'allonger notre espérance de vie. Récemment, vingt-neuf personnes sont mortes en Allemagne et une en France à cause de graines germées. Pourtant le scandale a été passé sous silence : dès qu'il s'agit d'agriculture biologique ou de retour au naturel, notre jugement est faussé et nous perdons tout discernement.

Les psychothérapeutes « autoproclamés » interviennent également dans le champ de la maladie, et pas seulement d'ordre psychologique. Les personnes atteintes de cancer, même lorsqu'elles sont très instruites, peuvent nier la réalité de leur maladie. Elles constituent des victimes désignées pour des gourous adeptes de médecines parallèles qui les convainquent, mettant en péril leur vie, qu'elles peuvent échapper à un traitement lourd et mutilant. Une femme d'un bon niveau d'éducation, atteinte d'un cancer du sein - pourtant veuve, mère et soeur de médecin ! -, n'a jamais soigné son cancer, préférant recourir aux préparations de plantes, particulièrement onéreuses, que lui prescrivait son gourou. A ses proches qui la mettaient en garde contre ces traitements elle opposait, comme souvent dans ces cas-là, le mur du refus. Telle est la force de ces pratiques non conventionnelles, mais les malades risquent d'y laisser leur santé et leur vie.

Je remercie la sénatrice Catherine Génisson qui m'a beaucoup aidé dans mon combat. Il est important d'expliquer au public les conséquences de cet obscurantisme, qui peut être criminel.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Je salue votre action. Il fallait du courage et de l'opiniâtreté pour mener ce combat. L'amendement a été voté et le décret est paru. Quelle appréciation portez-vous sur les dispositions prises pour lutter contre ce milieu de « professionnels », dont un certain nombre a un comportement à risques pour nos concitoyens ? Il était important de protéger le titre de psychothérapeute mais un foisonnement d'autres appellations est apparu.

M. Bernard Accoyer. - Il faudra évaluer cette loi, notamment pour déterminer dans quelles conditions les commissions départementales autorisent l'usage de ce titre à des professionnels qui n'ont pas le cursus universitaire requis. La nature humaine est ainsi faite qu'il y aura toujours des charlatans, mais le titre « psychothérapeute » était rassurant, laissant penser qu'il était encadré par les pouvoirs publics. Il est vrai que des conseillers ou coachs sont apparus depuis le vote de la loi. Chassés par la porte, ils cherchent à rentrer par la fenêtre, n'hésitant pas à demander à être inscrits dans les Pages Jaunes sous la rubrique « pratique de la psychothérapie hors cadre réglementaire ». Imagine-t-on d'ouvrir une rubrique « pratique de la chirurgie hors cadre réglementaire » ? Mais ils reviendront à la charge parce que leurs syndicats sont puissants et manipulateurs.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Le titre de thérapeute autorise bien des usages : une praticienne sur Internet se définit ainsi comme une médiatrice à l'écoute du savoir du patient et dont le rôle consiste à restituer ce savoir...Comment l'Etat peut-il remettre de l'ordre dans tout cela ? Les réactions des Ordres professionnels ou de la justice vous paraissent-elles adaptées à ces comportements extraordinaires qui peuvent nuire à la santé ?

M. Alain Milon , président . - On n'a pas le droit d'user du titre de psychothérapeute sans en posséder le diplôme mais sur Internet, on trouve une foule de psychothérapeutes spécialisés dans le couple, la dépression, la gestalt-thérapie, etc.

M. Bernard Accoyer. - Il faut évaluer le dispositif actuel. Les Ordres professionnels jouent un rôle régulateur pour les médecins ou, désormais, pour les kinésithérapeutes, avec le pouvoir de transmettre les dossiers le cas échéant aux procureurs. Le ministère de la santé devrait concentrer ses moyens de surveillance sur les professions qui en sont dépourvues, comme les psychologues. Il n'y a aucune surveillance pour les psychothérapeutes « autoproclamés ». Mais des progrès ont été accomplis grâce à la formation ou à l'éducation, et le temps n'est plus où des croyances en la persuasion ou la suggestion tenaient lieu de pratiques médicales répandues. Au risque d'apparaître comme un scientiste forcené, je considère que le relativisme est dangereux et contribue à l'essor des médecines parallèles. La justice peut être indulgente, mais elle peut aussi être manipulée. Dans une affaire de viol prétendu, j'ai pu constater que le diagnostic avait été réalisé par un psychothérapeute, à l'évidence, incompétent. Il avait pourtant été inscrit sur le registre des experts agréés de la Cour d'appel. J'ai demandé au garde des Sceaux d'exiger que seules des personnes titulaires du diplôme y soient inscrites. De même, il suffit parfois que la femme d'un magistrat soit elle-même une psychothérapeute « autoproclamée » pour influencer l'issue d'un procès.

Mme Catherine Génisson . - La question est complexe. Je ne regrette pas d'avoir soutenu et voté avec conviction l'amendement de M. Accoyer. Les pressions ont été fortes. Les professionnels très compétents, comme les psychiatres ou les psychanalystes, couvrent parfois les psychothérapeutes. La frontière est parfois floue entre ces disciplines, ce qui empêche d'avancer de façon rationnelle sur ce sujet. Il n'est peut-être pas besoin d'Ordre mais de juridictions professionnelles.

M. Bernard Accoyer. - En toile de fond se joue un combat entre psychiatres de tendance analytique et psychiatres de tendance cognitivo-comportementaliste. Cette lutte procède par amalgames, autre pratique privilégiée des mouvements sectaires, car elle permet d'occulter les réalités. Il est difficile d'arbitrer cette querelle entre personnes très brillantes. Certains psychanalystes, les lacaniens, et l'Ecole de la cause freudienne avec Jacques-Alain Miller, défendent bec et ongles les psychothérapeutes « autoproclamés » au nom de la liberté absolue de la pensée. Les comportementalistes considèrent, quant à eux, que des attitudes psychopathologiques névrotiques peuvent être corrigées, avec un certain succès d'ailleurs, grâce à des outils comme l'explication ou la suggestion, à l'image des troubles obsessionnels compulsifs. Les analystes leur reprochent de vouloir régir la société par des normes et de brider la liberté de penser de l'individu. Ce débat ne sera jamais tranché. Si l'école psychanalytique a perdu du terrain aux Etats-Unis, elle reste influente en France. L'Ecole psychanalytique de Paris, néanmoins, nous a aidés. Mais elle regrette qu'aucune disposition n'exige des psychothérapeutes l'accomplissement d'un travail d'analyse sur eux-mêmes.

M. Yannick Vaugrenard . - Merci pour votre combat qui traverse tous les clivages politiques. Votre récit est édifiant. Si la complexité du sujet peut inciter à la démission, les exemples que vous citez incitent au contraire à une action volontaire. Quels moyens l'Etat se donne-t-il ? La démocratie est une force, mais cette force même la rend vulnérable. Il nous appartient de fixer des cadres. Il a été impossible de mettre en place un conseil de l'Ordre des psychothérapeutes : pourquoi ? L'Etat ne peut tout faire mais si la proximité avec une personne peut inciter à prononcer un jugement qui ne va pas dans le sens de la raison, l'Etat doit jouer son rôle. Pourquoi autorise-t-on les organes de presse gratuits à diffuser autant de publicités en faveur des mouvements sectaires sans fondement scientifique ? En outre, les programmes scolaires ne portent aucune attention au phénomène sectaire, ni aux moyens de se prémunir contre la manipulation ou l'emprise psychologique. Il est préoccupant de constater que ce phénomène concerne tout le monde.

M. Alain Milon , président . - Existe-il selon vous un profil type des victimes ? Comment pourrait-on mener une action éducative préventive ?

M. Bernard Accoyer. - Mme Catherine Génisson a raison de souligner que les Ordres professionnels ne sont pas la panacée. Il n'y a pas d'Ordre professionnel des psychologues. Tous les psychanalystes ne sont pas médecins. Mon amendement ne visait ni les psychiatres ni les psychanalystes, mais seulement les psychanalystes « autoproclamés ».

C'est surtout la liberté individuelle qui est en cause. Nos seuls instruments sont l'information et l'éducation, non la contrainte. En outre, il est difficile de détecter un gourou au premier abord. Au contraire ! Il se présente comme un expert en formation personnelle, il utilise les instruments de la psychanalyse pour manipuler sa future victime. Seul l'effort d'information peut aider les victimes. Cette commission d'enquête participe de cet objectif.

Les gratuits comme les grands journaux sont remplis de pages entières de publicité. Il faut une évaluation de la loi. Tout un champ échappe à la surveillance des autorités sanitaires.

Mme Catherine Génisson . - Lorsque les professions sont encadrées par des juridictions professionnelles, elles sont soumises à des normes : cursus, autorisations d'exercer, etc. Dans le cas de la psychothérapie, il est difficile de trouver de tels référentiels pour déceler les pratiques déviantes. De plus, le terme même de psychothérapeute inspire confiance, comme vous le disiez. Enfin, concernant l'éducation, on apprend à l'enfant à la fois à se méfier mais aussi à être libre. Or, dans les médias, des psychothérapeutes, aux compétences douteuses mais présentées comme faisant autorité, s'expriment devant des millions d'auditeurs.

M. Bernard Accoyer. - Dès 2004, Gérard Miller a essayé de me « tuer » politiquement, par tous les moyens, avant que je puisse défendre mon amendement.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez rappelé les manifestations régulièrement organisées contre votre amendement : peut-on qualifier de sectaires certains des mouvements qui ont joué un rôle dans ces mobilisations ? Vous avez en outre évoqué les obstacles à l'adoption des règlements d'application de la mesure législative que vous avez fait voter : A quel niveau se sont opérées les interventions en question ?

M. Bernard Accoyer. - Des sectes, je ne sais pas. Mais des communautés d'intérêts, certainement. Plus largement, les syndicats de psychothérapeutes « autoproclamés » ont manié l'arme médiatique avec beaucoup de talent.

A quel niveau se sont faites les interventions ? Je n'ai pas de noms à vous communiquer, mais dans l'entourage du ministre, il se trouve toujours - comme par hasard - un psychothérapeute ou l'un de leurs ardents défenseurs.

Un mot sur les victimes : elles portent rarement plainte, car elles sont sous influence. Le fait de susciter le besoin de gourou et la certitude d'être par lui protégé, voilà précisément la définition de l'activité sectaire, voilà l'objet de leur commerce honteux et criminel.

Mme Muguette Dini . - La fiction a considérablement banalisé la figure du psy. Dans les films américains par exemple, les personnages s'y rendent fréquemment. Cela pousse-t-il nos concitoyens à se rendre plus volontiers chez n'importe quel psychothérapeute autoproclamé ?

M. Bernard Accoyer. - On a tous besoin de parler, on a tous besoin d'aide, selon les circonstances de la vie qui vous poussent parfois à chercher quelqu'un d'extérieur au cercle familial à qui vous confier. Mais gardons-nous de faire l'amalgame entre psychiatre, psychanalyste, psychologue clinicien et psychothérapeute. Tous interviennent dans le champ de la psyché, mais ne sont pas de même nature et n'ont pas vocation à traiter les mêmes pathologies. Il est des cas dans lesquels des troubles psychotiques graves ont été déclenchés par l'action d'un psychothérapeute « autoproclamé » ! La confusion est entretenue par une certaine presse spécialisée, qui exploite les thématiques du bien-être personnel et des méthodes de séduction à la portée de tous.

Mme Catherine Deroche . - On voit de plus en plus de parents amener leurs enfants chez le psy, dans le cadre de problèmes de couples ou de difficultés scolaires par exemple. Cette exposition précoce risque-t-elle de favoriser les dérives sectaires ?

M. Bernard Accoyer. - Les gens ont besoin d'être informés pour qu'ils puissent s'adresser à des praticiens confirmés. L'évolution de notre société nous a rendus plus demandeurs d'accompagnement psychologique. Il peut certes exister des brebis galeuses, dans ces professions comme dans les autres, mais faire appel à un professionnel ne présente aucun risque, dès lors qu'il est diplômé et qu'il a une compétence professionnelle.

Les cas d'enfants que la fréquentation d'un psychothérapeute « autoproclamé » mettrait en danger sont très marginaux. Ceux qui font appel à ce type d'individus sont généralement des adultes confrontés à de graves difficultés personnelles. Ils peuvent considérer qu'un médecin généraliste ne serait pas compétent, et ne souhaitent pas consulter un psychiatre car ils pensent que le psychiatre ne traite que les fous. Il y a là un risque de passer à côté du dépistage d'une vraie psychose, par exemple. Protéger les patients et leur entourage, c'était le sens de la disposition législative que j'ai réussi, avec quelques collègues, à faire adopter.

Mme Catherine Génisson. - Vous avez raison de souligner l'amalgame qui est fréquemment fait entre les différents métiers de la psyché. Le psychiatre peut pratiquer la psychothérapie, qui est une spécialité, il n'est pas pour autant réductible à un psychothérapeute. Ce glissement sémantique est terrible. J'ignore toutefois comment combattre ce confusionnisme.

M. Bernard Accoyer. - Par l'information. C'est une tâche difficile.

Audition de Mme Isabelle ADENOT, présidente du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens (mardi 20 novembre 2012)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous poursuivons cette série d'auditions des ordres professionnels, commencée avec l'Ordre des sages-femmes, en recevant l'Ordre des pharmaciens.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

J'en viens à notre réunion.

Je précise à l'attention de Mme Isabelle Adenot, présidente du Conseil national que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base d'une initiative de notre collègue Jacques Mézard, président du groupe RDSE. M. Mézard a donc tout naturellement été chargé du rapport de cette commission, qui sera remis début avril 2013.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à Mme Isabelle Adenot de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Madame Isabelle Adenot, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Mme Isabelle Adenot . - Je le jure.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Des pratiques thérapeutiques alternatives sont-elles exercées par des professionnels affiliés à l'Ordre national des pharmaciens ? Dans l'affirmative, est-ce une source de préoccupation pour l'Ordre, et quelles mesures avez-vous prises pour y faire face ?

Mme Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens. - Les pharmaciens délivrent d'autres substances que des médicaments - des plantes, des oligo-éléments, par exemple. C'est d'autant plus vrai depuis que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a intégré dans la définition de la santé la notion de bien-être, ne définissant plus la santé par opposition à l'état de maladie. Les scandales comme celui du Mediator ont en outre accentué la défiance du public à l'égard des médicaments, le précipitant massivement vers des solutions de remplacement parfois plus que douteuses. J'interviendrai à ce sujet la semaine prochaine, devant la ministre de la santé, à l'occasion de la Journée de l'Ordre des pharmaciens. La cacophonie est aujourd'hui immense : personne ne sait plus que croire et à qui faire confiance, et le nombre de ceux qui se détournent de la médecine conventionnelle augmente régulièrement. Mais je ne suis pas capable de distinguer les pratiques normales de celles qui relèvent d'une dérive sectaire.

L'Ordre des pharmaciens procède à des rappels au code de déontologie, en particulier à quatre de ses articles : l'article 4235-26, qui interdit aux pharmaciens d'aider quiconque se livre à l'exercice illégal de la médecine ; l'article 4235-10, qui promeut la lutte contre le charlatanisme ; l'article 4235-62 enjoint, lui, aux pharmaciens d'orienter les patients vers un praticien qualifié ; enfin, l'article 4235-47, qui interdit aux pharmaciens de délivrer des médicaments non autorisés.

Or, le public oppose de plus en plus les médicaments (chimiques donc suspects à leurs yeux) aux plantes (naturelles donc supposément bénéfiques). Cette distinction est absurde, car nombreux sont les médicaments à base de plantes : les curares viennent des lianes d'Amérique, la morphine vient du pavot, certains anticancéreux très puissants trouvent leur origine dans le bois d'if... A l'inverse, vous pouvez avaler toute l'écorce de quinquina que vous voulez sans parvenir à vous soigner. J'ignore toutefois si cette confusion est source de dérives sectaires.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Avez-vous été amenée à prendre des sanctions à l'encontre de ceux qui promeuvent des pratiques pharmaceutiques douteuses ?

Mme Isabelle Adenot. - L'Ordre des pharmaciens peut d'abord prendre des sanctions disciplinaires. Il est par exemple arrivé qu'un confrère cultive chez lui, dans le plus strict respect des phases lunaires, des produits dont il préconisait ensuite l'administration, contenus dans un petit sachet suspendu par une cordelette de laine...

L'Ordre des pharmaciens peut ensuite se porter partie civile dans des affaires pénales dont il a connaissance. Quatre-vingt-treize sont aujourd'hui pendantes, qui ont souvent trait à l'exercice illégal de la profession de pharmacien et la délivrance de plantes. L'Ordre ne se prononce toutefois pas sur l'existence de dérives sectaires, mais limite son intervention à l'aspect thérapeutique. Dans un cas récemment médiatisé, c'est l'administration de doses excessives d'une plante au cours de séances de purification qui était en cause. Depuis vingt-cinq ans que je siège dans les chambres disciplinaires, les affaires de cet ordre sont toutefois rarissimes. La chambre de discipline se réunit entre 200 et 400 fois par an, pour entendre essentiellement des pharmaciens d'officines et des pharmaciens biologistes. L'Ordre peut en outre intervenir lorsqu'un laboratoire trompe un pharmacien sur les produits qu'il fabrique.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Constatez-vous un développement significatif des cas d'exercice illégal de la pharmacie ?

Mme Isabelle Adenot. - Oui, et c'est une vraie catastrophe. Le problème est mondial : il arrive en France des extraits de plantes venues du monde entier. Si nos pharmacies ne peuvent délivrer que les plantes qui font partie de la pharmacopée (française et européenne), on peut, dans la rue et sur Internet, trouver n'importe quoi à acheter. C'est pourquoi je remercierai lundi prochain la ministre de la santé d'avoir décidé de mettre en place un portail officiel d'information sur les médicaments. Je vous donne un exemple issu de mon expérience personnelle : un client m'a demandé la semaine dernière une plante utilisée au Brésil ; n'ayant pas connaissance d'études sérieuses démontrant son intérêt pharmaceutique, je la lui ai refusée ; le lendemain, le même individu revenait m'informer qu'il se l'était procurée, pourvue d'un certificat, sur un marché, et le surlendemain il m'annonçait qu'il se sentait beaucoup mieux ! Les cas de ce type se multiplient. Là encore, il ne s'agit pas nécessairement de dérives sectaires, plus souvent d'escroquerie et de charlatanerie. Les moyens de communications inondent le grand public de références à de nouvelles plantes pourvues de toutes les vertus imaginables, qui pénètrent facilement le territoire et sont écoulées en moins de temps qu'il ne faut pour s'en apercevoir.

La question du diplôme d'herboriste est une autre source d'inquiétude. Depuis le décret n° 2008-841 du 22 aout 2008 relatif à la vente au public des plantes médicinales inscrites à la Pharmacopée et modifiant l'article D. 4211-11 du code de la santé publique, la vente de 148 plantes est autorisée. Si les herboristes ont, comme le disent leur défenseur, une meilleure connaissance des plantes, je m'en réjouis ; mais ils ne sont toutefois pas des professionnels de santé. J'étais outrée de voir sur TF1, l'année dernière, un reportage dans lequel on donnait la parole à l'un d'entre eux, bien qu'il ait été condamné en première instance et en appel... Il exerçait toujours, et prétendait avoir diagnostiqué et soigné des malades du Sida ! De tels individus, au lieu de se contenter de délivrer des plantes, vont jusqu'à poser des diagnostics, alors que même les pharmaciens n'y sont pas habilités. Nous, les pharmaciens, sommes attachés à ce que la vente des produits soit entourée de garanties. Nous sommes soucieux de répondre aux nouvelles demandes du public dans ce domaine, mais à condition qu'il y ait toutes les garanties nécessaires.

Mme Catherine Génisson . - Pouvez-vous opposer un refus à une ordonnance médicale qui semble farfelue ?

Mme Isabelle Adenot. - D'après mon expérience personnelle, deux types de réactions sont envisageables. Les ordonnances surprenantes peuvent être le fait d'adeptes de médecines non conventionnelles, mais tout à fait qualifiés pour établir de telles prescriptions. Lorsque cela n'est pas le cas, nous pouvons opposer un refus et devons, conformément au code de la santé publique, en informer le prescripteur.

M. Alain Milon , président. - Vous n'informez alors que le prescripteur ? Vous ne faites pas de signalement ?

Mme Isabelle Adenot. - L'Ordre des pharmaciens peut être saisi. Des actions peuvent alors être engagées au niveau national ou régional, le cas échéant en lien avec l'Agence du médicament. Le Rivotril par exemple, drogue utilisée par les violeurs avec soumission chimique, fait l'objet d'un vaste trafic qui passe par l'Afrique du nord. Vingt à trente chambres de discipline ont été réunies à son propos.

Second cas de figure : en présence d'une personne fragilisée, victime d'une grave maladie, que le désespoir a poussée vers un charlatan, le rôle du pharmacien est de la convaincre de ne pas interrompre le traitement suivi. Cela requiert que les clients aient une grande confiance dans leur pharmacien, qui ne doit pas être alors soupçonné de défendre ses intérêts commerciaux. Heureusement, ce lien de confiance existe, comme nous le confirment les enquêtes d'opinion.

Mme Nicole Bonnefoy. - Observe-t-on une augmentation du nombre des personnes qui arrêtent leur traitement dans ce cas de figure ?

Mme Isabelle Adenot. - Oui. Je veux tirer ici le signal d'alarme, comme je le ferai la semaine prochaine dans mon discours. Aujourd'hui, il y a une méfiance générale envers les médicaments et leurs notices font peur ! Tous les médicaments présentent un risque mais on tient compte du rapport - en principe positif - entre bénéfices attendus et risques associés. Les conséquences d'un livre comme Les 4 000 médicaments inutiles ou dangereux sont à cet égard catastrophiques. Ajoutez à cela les scandales pharmaceutiques, la perte d'autorité de l'Agence du médicament et l'absence de réaction des autorités, et les charlatans prospèrent. D'aucuns propagent ainsi l'idée que les médicaments génériques seraient néfastes, car ils viennent de l'étranger. Or, 85 % des composants des médicaments - génériques ou princeps - proviennent de pays situés hors d'Europe, car jusqu'à une période récente, les pays d'Europe ne voulaient pas d'industrie chimique lourde sur leurs territoires. Cela n'empêche pas nos autorités de contrôle de faire leur travail. Mais c'est une catastrophe.

M. Alain Milon , président. - C'est dû à l'affaire du Mediator...

Mme Isabelle Adenot. - Pas seulement ! La vaccination antigrippale, cette saison, est inférieure à ce qu'elle était l'année dernière à la même époque, car certains sont persuadés que les vaccins contiennent des composants anti-H1N1. J'espère que nos échanges contribueront à restaurer l'autorité des institutions de santé.

M. Alain Milon , président. - L'Ordre des pharmaciens peut interdire à quelqu'un d'exercer son métier, mais peut-il lui interdire aussi d'utiliser son titre ?

Mme Isabelle Adenot. - Nos chambres de discipline sont réputées pour leur sévérité : chaque année, nous éjectons définitivement de la profession certains confrères. La sanction a valeur pédagogique ; elle est indispensable pour protéger notre réseau de pharmaciens et la confiance que le public place en lui. L'impossibilité d'exercer a des conséquences rapides, puisque passé un an, l'intéressé est obligé de vendre son officine. Toutefois, le titre de docteur en pharmacie ne lui est pas retiré.

M. Alain Milon , président. - Donc rien n'empêche un pharmacien interdit d'exercer par son Ordre professionnel de créer un site Internet pour vendre des produits pharmaceutiques...

Mme Isabelle Adenot. - Les sites posent de vrais problèmes. La Commission européenne reconnaît aujourd'hui l'existence de pharmacies en ligne - licites dans certains pays - et travaille à la création d'un label dédié pour que l'internaute puisse faire la différence entre les pharmacies licites et les illicites. Mais elle convient déjà qu'il pourra être contrefait ! La signature du président du groupe pharmaceutique de l'Union européenne (GPUE) que je préside a déjà été contrefaite, ce qui permet à certains sites de vendre du viagra « aux plantes »... La lutte contre les réseaux de vente illicite de médicaments sur Internet a enregistré un premier succès avec l'opération Pangea V, qui a permis de fermer près de 18 000 sites illicites. Ce combat se heurte toutefois au fait que la plupart des sites sont domiciliés à l'étranger, même si, pour ceux qui s'adressent aux francophones, leurs textes sont désormais orthographiquement irréprochables et leur adresse d'hébergement parfois en « .fr ». En outre, des allégations de santé sont de plus en plus fréquemment mentionnées sur des produits qui ne sont en rien assimilables à des médicaments - des compléments alimentaires, par exemple. Des textes européens sont en cours d'élaboration pour y remédier, afin d'éviter la tromperie du public.

Audition de M. Philippe-Jean PARQUET, professeur de psychiatrie infanto-juvénile à l'université de Lille, spécialiste de l'emprise mentale (mercredi 21 novembre 2012)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, je dois tout d'abord vous informer que notre collègue Jacques Mézard, rapporteur, se trouve empêché d'assister à notre réunion d'aujourd'hui et vous prie par mon intermédiaire de l'en excuser.

Nous poursuivons les auditions de notre commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé en rencontrant le Pr Philippe-Jean Parquet, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent et d'addictologie à l'université de Lille.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; son enregistrement vidéo sera diffusé sur le site du Sénat ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

J'en viens à notre réunion.

L'audition du Pr Philippe-Jean Parquet s'inscrit dans un ensemble d'auditions consacrées au thème de l'emprise mentale. Elle s'est tout naturellement imposée parce que le Pr Parquet a élaboré de manière très éclairante une définition des critères de l'emprise mentale destinés à asseoir un diagnostic dans une démarche comparable à celle du traitement de pathologies mentales. Cette définition répond par ailleurs à des besoins opérationnels, puisqu'elle est utilisée par les enquêteurs et par le professeur lui-même dans le cadre d'expertises qui lui sont confiées par les magistrats.

Je rappelle à l'attention du Pr Philippe-Jean Parquet que notre commission d'enquête a pour origine une initiative du groupe RDSE, présidé par notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Philippe-Jean Parquet de prêter serment.

Je mentionne pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Philippe-Jean Parquet, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Philippe-Jean Parquet . - Je le jure.

M. Alain Milon , président . - Monsieur le professeur, c'est avec plaisir que je vous donne la parole pour un exposé introductif, à la suite de quoi nous vous poserons quelques questions...

M. Philippe-Jean Parquet, professeur de psychiatrie infanto-juvénile à l'université de Lille, spécialiste de l'emprise mentale . - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis ce que l'on appelle un membre de la « tribu » des experts ; nous sommes toujours à la fois très requis et très suspectés. Je ne suis pas toutefois simplement expert mais également praticien.

Depuis plus d'une trentaine d'années, on m'a demandé d'accueillir, de soutenir, d'accompagner les personnes qui sont sorties des organisations à caractère sectaire et les familles confrontées à ce problème. Il y aura donc dans mon exposé un aspect théorique et un aspect pratique.

D'une part, la prévention compte aussi parmi mes domaines de compétences, que j'exerce par rapport à d'autres thématiques. J'essaierai de donner quelques pistes dans ce domaine.

Le premier point à souligner réside dans le changement considérable des mentalités dans notre pays : la santé, le bien-être, la réduction de l'occurrence des pathologies, l'exigence de leur efficacité, l'exigence des soins, la guérison facile sont devenus une préoccupation essentielle ; ceci explique que les organisations à caractère sectaire et les personnes utilisant les mêmes procédés se trouvent au coeur des préoccupations de la société. De ce fait, elles tentent de réaliser une analyse exacte des besoins et des attentes de la population en matière de santé. Les organisations à caractère sectaire et les personnes utilisant les mêmes procédés se livrent donc à une étude de marché très pertinente pour savoir où et sur quels thèmes leurs propositions doivent être faites...

Paradoxalement, les bénéfices que nous recevons de l'organisation des soins dans notre pays peuvent être aussi générateurs de dommages. C'est pourquoi il convient d'emblée de distinguer très clairement ce qu'on appelle les « dérives thérapeutiques » et les « dérives sectaires ».

D'autre part, on distingue aussi - et il convient de ne pas faire d'amalgame - les notions d'accident, d'utilisation thérapeutiques non validées, de faute par erreur, de maladresse ou d'incompétence ainsi que d'aléa thérapeutique. Souvent, lorsque nous sommes saisis d'informations, il peut ne pas s'agir d'une dérive sectaire mais de bien autre chose. Je siège à la Commission nationale des accidents médicaux. La rigueur de la définition est indispensable pour éviter toute confusion.

Notre grand problème est de savoir si une dérive thérapeutique conduit obligatoirement à une dérive sectaire. Or, certaines dérives thérapeutiques se situent en dehors de toute intentionnalité sectaire. Vous verrez que j'utiliserai souvent ce terme. Habituellement, la bizarrerie des pratiques cliniques, la non-validation scientifique de celles-ci ne suffisent pas et ne sont que des éléments d'alerte.

Cependant, il convient de repérer deux familles de critères, les critères relatifs à la mise en place d'un état psychologique nouveau, induit, que l'on appelle l'emprise mentale et l'utilisation de certains procédés, de certaines modalités relationnelles, affectives et intellectuelles. C'est pourquoi j'ai essayé de donner une définition qui n'est pas « compréhensive ». Toutes les interprétations sont possibles mais comment être capable de reconnaître une dérive sectaire ?

Cette dérive se caractérise par un état psychologique particulier, avec des traits de comportement et de personnalité et par l'utilisation d'un certain nombre de processus.

Je vais donner ici une définition qui comporte neuf critères, dont cinq seulement sont nécessaires pour identifier une dérive sectaire et un état d'emprise mentale.

Le premier est le plus classique. On en a beaucoup parlé lors des auditions précédentes. Il s'agit de la rupture imposée avec les modalités antérieures des comportements, des conduites, des jugements, des valeurs. Celle-ci va très clairement se révéler dans le cas des dérives sectaires relatives à la santé. Il s'agit d'une rupture avec les modalités antérieures du soin, de la conception des soins et de la proposition d'un projet thérapeutique.

Le second point qui posera problème est l'occultation des repères antérieurs et la rupture dans la cohérence de la vie antérieure du sujet qui accepte que sa personnalité, sa vie affective, cognitive, relationnelle soit modelée par les sujétions, les injonctions, les ordres, les idées, les concepts et les valeurs imposés par une tierce personne, entraînant une délégation générale et permanente de l'individu à un modèle imposé. On aura dès lors beaucoup de difficultés à soustraire les malades à l'influence de personnes qui veulent exercer sur elles une action particulière.

Le troisième critère, qui posera également un problème considérable dans le domaine de la santé, est celui de l'adhésion et de l'allégeance inconditionnelles à une personne, un groupe, une institution. Ce terme d'allégeance est essentiel. On retrouve ce même trait psychopathologique dans les dépendances aux substances psycho-actives, aux drogues et à certaines addictions comportementales.

Le quatrième critère est celui de la mise à disposition complète, progressive et extensive de la totalité de sa vie à une personne ou une institution. Ceci est un peu différent de la notion d'allégeance...

Le cinquième critère est une sensibilité accrue dans le temps aux idées, aux concepts et aux prescriptions. Il faudra donc être actif très tôt lorsqu'on constatera une dérive sectaire dans le domaine de la santé. Si on laisse les choses évoluer, on aura infiniment plus de difficultés à aider les personnes concernées.

Le sixième critère est celui de la dépossession des compétences d'une personne, avec une anesthésie affective et une altération du jugement. Si l'on souhaite réaliser une approche rationnelle, celle-ci a les plus grandes chances d'échouer.

L'altération de la liberté de choix est une caractéristique essentielle.

Un huitième point est très important : il s'agit de l'imperméabilité aux avis, aux attitudes et aux valeurs de l'environnement, avec une impossibilité de se remettre en cause et de promouvoir un changement, voire de croire qu'il soit possible.

Le dernier point est classique. Le président de la Miviludes vous en a en particulier parlé longuement : c'est l'induction et la réalisation d'actes gravement préjudiciables à la personne et, dans le cas particulier qui intéresse la commission d'enquête, à la santé.

Cette définition nous permet d'identifier ce qu'il en est de la différence entre une dérive thérapeutique et une dérive sectaire.

La dérive sectaire a pour mission de mettre les personnes dans l'état psychologique que je viens de décrire et d'utiliser celui-ci au bénéfice de l'organisation sectaire. Il y a là une intentionnalité d'emprise et d'asservissement, une intentionnalité de se servir d'autrui et l'on voit là la base de la légitimité de l'action de chaque citoyen et de l'Etat face à une atteinte à la personne.

Il me semble fondamental de se dire que ces dérives sectaires sont offertes. Je vous dirai tout à l'heure ce que l'on peut faire pour prévenir l'offre en matière de soins non conventionnels.

La surestimation des processus thérapeutiques mis à notre disposition par l'amélioration des compétences médicales s'accompagne d'un doute sur leur efficacité. Il y a là un effet paradoxal qui constitue une porte d'entrée et qui déclenche une certaine vulnérabilité. Lorsqu'ils annoncent à un malade qu'il est atteint d'un cancer, les thérapeutes lui présentent un certain nombre de traitements et se posent en conseillers techniques, demandant au patient son choix de thérapie. Ces choix sont souvent très divers ; on met par voie de conséquence le malade dans une grande difficulté puisqu'on lui confère un rôle de technicien, d'où l'obligation d'information qui doit permettre au patient de prendre une décision - c'est là l'un des apports majeurs de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé dite « loi Kouchner ». Ceci est à l'opposé de ce à quoi on assiste avec l'emprise mentale, où l'on indique au malade ce qu'il convient de faire. Cette différence est essentielle et permet un repère très précis.

Il existe une formidable hétérogénéité entre la représentation de la maladie que peuvent en avoir les acteurs de santé et la théorie personnelle, les besoins, les attentes et les attitudes du malade. Il y a donc un formidable décalage entre un projet scientifique et un projet personnel de guérison. Cette non-négociation fait que les malades ont le sentiment de se retrouver seuls, sans comprendre ce qui se passe et pensent que ce qu'on leur propose est imposé.

On est là dans un dysfonctionnement fort important de la relation entre le soignant et le soigné ou entre le soigné et le soignant. La consultation médicale, projet thérapeutique, est une négociation entre les représentations, besoins et attentes des acteurs de santé et de malade. Il y a donc là construction d'un projet commun.

Dans le cadre de la dérive sectaire, cette construction n'existe pas ; elle émane du gourou, qui dit ce que l'on doit faire ou ne pas faire. L'adepte n'a pas droit à la parole ni aux commentaires : il doit suivre les prescriptions. Si on n'obtient pas les résultats escomptés, le gourou explique que ses recommandations n'ont pas suffisamment été suivies, que l'adepte est le seul fautif. Le gourou est le seul à pouvoir dire ce qu'il convient de faire. Voilà un piège, un enfermement considérable et qui, du point de vue éthique, est formidablement choquant. Cela signifie que l'on nie l'altérité, la singularité et le libre arbitre de l'autre, à qui on va imposer ce qu'il doit faire parce que le gourou l'a dit. Le gourou se dresse en Deus ex machina et l'adepte n'est qu'un pantin entre ses mains.

C'est le problème des faux souvenirs induits. L'adepte exprime un certain nombre de difficultés et de souffrances ; on lui propose une interprétation de l'origine de ce qu'il vit actuellement alors que dans les projets thérapeutiques respectueux de la personne, on cherche plutôt à connaître les idées, les réflexions du patient : comment a-t-il imaginé les choses ? Comment pense-t-il avoir été bloqué ? Comment pense-t-il pouvoir utiliser la résilience ? Comment pense-t-il pouvoir s'en sortir ? On fait donc là appel aux compétences des personnes. Cette dimension est respectueuse d'autrui, caractéristique des prises en charge thérapeutiques et des accompagnements psychologiques.

Les personnes sous emprise sectaire, elles, finissent par accepter de n'être plus personne et de devenir objet. Il s'agit là d'une manière de repérer et d'identifier clairement les choses.

Comment les gens peuvent-ils accepter de devenir objets, de ne plus être ce qu'ils ont été, ni à l'origine de leur destin et de leur choix ? Il y a là une notion très importante, celle de vulnérabilité. Un certain nombre de gens sont vulnérables, à un moment particulier de leur vie, à l'offre de ces stratégies non conventionnelles. On pourrait parler de vulnérabilité « situationnelle » ou « accidentelle ». Rien dans la personnalité antérieure ni dans la vie antérieure ne pouvait laisser penser que cette personne pouvait être vulnérable. Or, à un moment donné - licenciement, maladie, deuil - la personne devient vulnérable.

Par ailleurs, il existe des vulnérabilités liées à l'organisation de la personnalité. Un certain nombre d'entre nous estiment que la pensée magique est importante ou que les voies habituelles peuvent être contestées. Il s'agit d'un trait de caractère, non d'une pathologie. Certains traits de la personnalité peuvent donc rendre plus vulnérable. La paranoïa est un trait particulier : la personne se demande toujours si une autre personne ne veut pas l'influencer ou lui créer des dommages. Quand les acteurs de santé proposent quelque chose, le doute se fait immédiatement sentir. Ce trait de personnalité, lorsqu'il fonctionne dans la vie quotidienne et dans la relation thérapeutique, peut être transformé en élément constructif du choix et de la participation du patient à un projet thérapeutique négocié et construit ensemble par le soignant et le soigné.

Cependant, un certain nombre de gens n'ont aucune espèce de vulnérabilité autre que la maladie. C'est la base des procédés utilisés par les personnes qui souhaitent mettre les autres sous emprise mentale. Il s'agit d'une manipulation qui peut porter sur chacun et chacune d'entre nous. Personne n'est à l'abri d'une manipulation de cet ordre. On le voit très bien dans le domaine de l'entreprise, où un certain nombre d'acteurs exercent ce genre d'activités, utilisant les mêmes processus pour pouvoir mettre les autres sous emprise. Ces méthodes peuvent toucher n'importe qui. C'est donc là une « compétence » particulière des personnes qui souhaitent mettre les autres sous emprise mentale grâce à leur expérience personnelle, à ce qu'elles ont appris ou lu, alors que les autres n'étaient pas à l'origine vulnérables.

Un autre point important sur lequel je souhaiterais insister est celui de la perte de chance. C'est une notion considérable. Lorsqu'un projet thérapeutique est mis en place à l'occasion d'une maladie, il existe une probabilité de bénéfices qui peut survenir mais aussi de dommages que l'on peut voir éventuellement apparaître. Le patient doit en être informé. Cette probabilité de bénéfices s'établit lorsqu'une proposition de stratégie thérapeutique a été validée de manière scientifique.

Le refus de cette proposition susceptible d'amener des bénéfices et le recours à des propositions thérapeutiques non validées conduisent à une perte de chance dramatique.

Dans le cas d'une maladie cancéreuse, un protocole est proposé au patient ; on lui explique les avantages, les inconvénients et les difficultés du traitement ainsi que sa continuité. Lui conseiller de renoncer à cette proposition scientifiquement validée et de poursuivre des thérapeutiques non validées - imposition des mains, jeûnes, régimes à base d'huile de palme, compositions tirées de métaux lourds, etc. - constitue une perte de chances.

Même si les chances ne sont pas totales dans les projets d'utilisation des thérapeutiques scientifiquement validées, le fait de perdre ces chances et d'en minorer les bénéfices avec des thérapies non validées entraînent des dommages considérables pour le malade.

On a bien souvent voulu centrer les problèmes des dérives sectaires uniquement sur les dommages induits par l'utilisation de thérapies non conventionnelles. Je voudrais qu'on prenne plus en compte la notion de perte de chances, extrêmement importante...

Je voudrais brièvement faire état de quelques éléments en matière de prévention. Ces éléments passent par des préventions implicites et explicites. J'entends par prévention implicite le fait d'augmenter la compétence des acteurs de santé et des institutions, c'est-à-dire de mieux informer les patients, d'essayer de comprendre leurs besoins, leurs attentes, leurs craintes et leurs représentations, de délivrer des informations compréhensibles et de faire en sorte qu'il existe un accompagnement de la souffrance. La psychologie de l'homme malade n'est pas celle de l'homme sain. Nous savons fort bien que c'est important...

Sur cent femmes chez qui on détecte une lésion suspecte par mammographie, seules soixante s'inscrivent dans la chaîne thérapeutique ultérieure susceptible de leur apporter des bénéfices. La crainte de la maladie va donc faire refuser la probabilité de bénéfices ultérieurs. C'est cette psychologie très particulière qui fonde l'action des mouvements sectaires, qui formulent dans ce domaine des propositions inverses. C'est pourquoi on a inventé il y a très longtemps la notion de « thérapeutique douce », laissant entendre que toutes les autres sont cruelles.

Il convient également de modifier la relation thérapeutique. L'acteur de santé est un conseiller technique, même s'il est accueillant et humain. Par voie de conséquence, le projet thérapeutique apparaît comme une construction. Bien souvent, les gens sensibles aux propositions de type sectaire trouvent dans la relation avec un gourou quelque chose qu'ils n'ont pas trouvé chez les thérapeutes habituels. Nous devons donc augmenter la qualité et la compétence relationnelle des acteurs de santé.

Une autre prévention me paraît essentielle. Certaines municipalités accordent à des personnes que nous connaissons la possibilité d'intervenir dans une salle municipale alors que leurs repères scientifiques ne sont pas validés et posent problème, leur assurant ainsi une certaine notoriété.

La forte médiatisation des procès constitue en outre une caisse de résonance formidable pour ces organisations sectaires.

L'intervention sur l'offre est aussi un point très important : si l'on veut modifier une conduite ou un comportement, il faut modifier la proposition et les compétences de ceux qui en sont à l'origine.

Repérer les propositions exclusives de soins me semble également très important. Le soin ne peut se réduire à une approche mais doit passer par une prise en charge globale. Tout projet thérapeutique exclusif, réductionniste et restrictif constitue donc un danger extrêmement important.

Un autre critère sur lequel nous devons travailler est celui de l'adhésion non critique. Une personne ayant suivi des thérapeutiques non conventionnelles dans le cadre de dérives sectaires se trouve en grandes difficultés et décède. On voit alors se mobiliser un certain nombre de personnes - amis, proches, etc. - qui adhèrent à la thérapie non conventionnelle en affirmant qu'il s'agit d'un échec mais que celui-ci ne remet pas le procédé en cause ni les méthodes proposées.

On se trouve là face à l'incapacité critique non seulement du malade mais également de l'entourage. Une action de prévention doit donc être menée en direction de cet entourage.

Ces préventions doivent être collectives, explicites ou implicites mais il existe également des préventions individuelles. C'est ainsi qu'un certain nombre de personnes, inquiètes de la difficulté du projet thérapeutique, de son bénéfice possible, de la souffrance et de la mort se tournent vers un gourou qui nie tous ces aspects, leur proposant de les soulager grâce à un processus thérapeutique indolore...

Un autre point me semble extrêmement important : il faut essayer d'attirer l'attention de la personne sur la singularité des méthodes proposées. Toutefois, les critères de l'emprise mentale contrarient cette démarche individuelle, l'adhésion inconditionnelle, la sensibilité accrue dans le temps, la dépossession des compétences et l'altération de la liberté de choix va rendre très difficile l'accès à ces personnes.

Cependant, les personnes souhaitant proposer des thérapeutiques non conventionnelles travaillent sur l'émotion, sur une adhésion personnelle. C'est pourquoi il convient de garder une adhésion personnelle avec les personnes engagées dans un processus dommageable. Elle peut être celle d'un soignant, de quelqu'un de la famille ou d'un intervenant extérieur. Il y a là une formidable possibilité d'entrer en relation avec le patient, d'autant plus que le moment de la maladie est un moment de vulnérabilité où la quête affective par celui-ci est considérable. Nous avons là un moyen extrêmement ténu mais généralement très efficace.

Quelle légitimité avons-nous à faire en sorte que ces propositions ne soient plus présentées ? C'est un problème de respect de la personne. Il ne s'agit pas ici que de dommages à la personne - important et réel - mais du fait que cette atteinte est insupportable !

M. Alain Milon , président . - La parole est à Mme Dini.

Mme Muguette Dini . - Nous avons rencontré hier M. Accoyer ; que pensez-vous de la réglementation de l'usage du titre de psychothérapeute prescrit dans la logique de l'amendement Accoyer par la loi de 2004 ?

Estimez-vous que les diplômes et les formations exigés par la loi soient de nature à garantir les usagers contre le danger des thérapeutiques déviantes ?

M. Philippe-Jean Parquet . - Je pense que cela constitue un inestimable progrès qui pourrait contribuer à la diminution du nombre des psychothérapeutes autoproclamés et faire en sorte que les patients n'aillent plus consulter quelqu'un sans connaître ses compétences. Aux Etats-Unis, les diplômes sont affichés dans le cabinet médical comme dans celui du psychiatre ou du psychologue. Plus les honoraires sont élevés, plus il y a de diplômes accrochés au mur. C'est donc un élément très éclairant pour les patients...

Ceci exige par ailleurs un certain nombre de formations. Or, dans ce cadre, il existe des acteurs de santé de nature extrêmement différente - psychiatres, psychologues, psychologues cliniciens, etc. Reconnaître une pathologie mentale aussi grave qu'une schizophrénie relève probablement de la compétence du psychiatre. Peut-on confier ce diagnostic à une personne qui veut faire de l'accompagnement dans l'entreprise ou de l'accompagnement psychologique ? Probablement non. On a là une dimension qui n'est pas assez diversifiée. On peut penser que les agences régionales de santé (ARS) pourraient intervenir mais il ne faut peut-être pas trop leur en demander, car elles ont une dimension essentiellement administrative...

Enfin, cela ne permet pas de penser que l'on pourrait éliminer les dérives thérapeutiques. La probabilité qu'il existe des dérives du fait d'une augmentation des compétences des acteurs de santé est moindre mais il peut en exister un certain nombre, qui relève dans ce cas de la faute professionnelle.

Cependant, il se peut que l'intention d'un certain nombre d'acteurs de santé utilisant des stratégies thérapeutiques non classiques soit de prendre le pouvoir ou d'en tirer des bénéfices personnels, aux dépens du patient. On serait là dans des dérives du même ordre que la dérive de type sectaire.

Mme Muguette Dini . - Pouvez-vous nous dire quelles sont les méthodes de psychothérapie éprouvées, quelles méthodes peuvent ou doivent alerter les futurs patients, comment on peut mieux diffuser ce type d'information pour empêcher les personnes en demande de traitement psychothérapeutique de mal tomber ?

M. Philippe-Jean Parquet . - C'est extrêmement difficile mais il existe des éléments de réponse...

Le premier élément de réponse est de savoir si la formation de la personne a été validée de quelque manière que ce soit. Or, en ce qui concerne la psychiatrie, la psychanalyse et la psychothérapie, la formation n'est pas simplement une formation sur le savoir mais aussi une formation sur la manière d'utiliser ce savoir. Cette formation s'accompagne obligatoirement d'une formation à la responsabilité éthique.

Une autre famille d'arguments se trouve dans le système de la relation avec autrui, la maîtrise de la relation entre le médecin et le malade. La maîtrise de la réaction personnelle face aux demandes et aux projections d'un patient est quelque chose qui s'apprend. C'est pourquoi il existe, dans les processus de formation, non seulement une vérification des savoirs mais, à partir du suivi de cas cliniques par un superviseur, la possibilité de connaître l'implication de la personne. Ce sont les garanties que l'on peut éventuellement prendre en matière de psychothérapie.

D'autre part, un comportement du praticien qui choquerait la manière habituelle de penser du patient ou sa conception des relations avec autrui constitue un signal d'alerte important à l'encontre du praticien. Pour que cette impression puisse efficacement être prise en compte, il faut que tous les citoyens reçoivent une éducation en matière de soins et soient informés de ce que les soins représentent. L'éducation à la santé ne consiste pas seulement à connaître les comportements dommageables bénéfiques pour la santé et à faire des choix éclairés en la matière : il s'agit aussi de savoir si quelque chose est susceptible ou non de s'inscrire dans un fonctionnement habituel, un style de vie, etc.

Enfin, il existe un élément que l'on ne maîtrise pas, c'est l'équation personnelle.

A contrario , un certain nombre de patients peuvent provoquer chez les thérapeutes des dérives thérapeutiques et, si la personne a l'intention de dominer l'autre, favoriser la construction d'une emprise mentale dans le sens patient-thérapeute. Les thérapeutes sont vulnérables aussi ; cette vulnérabilité justifierait une aide. Ceux qui travaillent dans les Samu et les soins d'urgence, confrontés couramment à des choses terrifiantes, ont quelquefois des troubles, des conduites et des comportements qu'on ne comprend pas et qui sont en rupture avec ce qu'ils ont vécu antérieurement. Si l'on installe une cellule de soutien psychologique auprès de ces acteurs de santé, on évite ce phénomène. Il convient de prendre soin des acteurs de santé. C'est une marque de respect fondamentale et cela accroît leurs compétences.

M. Yannick Vaugrenard . - Lors de l'audition de l'Ordre des sages-femmes qui a eu lieu hier, nous avons appris qu'il existait une emprise sectaire dans le domaine de l'accouchement notamment en raison d'une insuffisante disponibilité des professionnels qui n'ont pas assez de temps à consacrer à l'accompagnement des femmes et plus généralement des jeunes parents.

C'est ce que vous avez dit à propos du cancer ou d'autres maladies : le praticien n'est pas seulement un technicien ; il doit aussi être psychologue. Le temps lui manque parfois, ainsi que la formation. Vous l'avez dit, le travail d'équipe peut aider à faire face à l'annonce d'une maladie et à trouver des solutions.

Le médecin ne propose-t-il pas plutôt des choix techniques alors que les tenants des dérives sectaires abordent uniquement l'aspect psychologique, proposant aux patients les solutions qu'ils attendent ? Pensez-vous que cet aspect dispose d'une place suffisante dans la formation ?

Vous nous avez, d'autre part, proposé une évaluation de la dérive sectaire selon neuf critères. Cette approche est particulièrement intéressante et permet d'entrer dans le concret. Avez-vous soumis cette proposition à la Miviludes ? Nous pourrions avoir là un mode d'emploi qui nous permette d'aller plus loin de manière rationnelle, dans un domaine souvent proche de l'irrationnel...

M. Philippe-Jean Parquet . - L'acteur de santé est certes un technicien, mais aussi un homme ou une femme de relation. Je crois qu'il en va de même pour un maire ou un sénateur. C'est essentiel. Je pense même que lorsque nous recrutons des collaborateurs dans une équipe, nous les recrutons sur leurs compétences techniques mais aussi sur leurs habiletés relationnelles et leur sens éthique.

Quelle formation pouvons-nous donner à l'ensemble de ces acteurs de santé pour mieux maîtriser le système des relations avec les patients ? L'un de mes anciens élèves m'a dit s'être rappelé un cours où j'avais expliqué que lorsqu'on devait toucher un corps, on ne devait pas se précipiter dessus sous peine de commettre une effraction et qu'il existait toute une dynamique pour le faire. Il faut donc aller contre l'idée que la relation ne s'apprend pas. Certes, certaines personnes sont naturellement douées pour avoir de bonnes relations avec un patient, mais ces choses-là peuvent aussi s'apprendre.

Faut-il du temps et un apprentissage spécifique pour gérer ce type de relations avec les patients ? Il existait autrefois dans les études médicales une unité de valeur appelée « psychologie médicale ». Elle s'accompagnait non seulement d'un enseignement magistral mais aussi d'un enseignement par petits groupes et d'une analyse de la prise en charge des patients afin de répondre à certaines questions : comment avez-vous fait ? Pourquoi l'avez-vous fait ? Qu'est-ce que cela vous a amené ? Quelles étaient vos inquiétudes, vos réticences ? On a depuis davantage centré les choses sur la technique mais je pense qu'il faut également être un bon technicien de la relation !

Par ailleurs, les critères que j'ai mis en place sont déjà utilisés puisque je suis souvent nommé expert pour savoir s'il existe ou non une emprise mentale. J'avais beaucoup de difficultés avec les enquêteurs, les éléments de l'enquête ne me permettant pas de poser ce diagnostic. Nous avons donc travaillé pour essayer de reprendre les éléments de cette définition afin de les aider à mener leur enquête.

C'est pourquoi j'ai élaboré ce système d'évaluation par critères. Certains sont quelque peu redondants. Ils sont différents des anciens critères qui devaient tous être présents et qui pouvaient avoir des acceptions différentes. On est là dans une stratégie opératoire.

Cette stratégie est maintenant utilisée par un certain nombre d'experts afin de permettre aux magistrats de savoir sur quels critères se baser pour affirmer qu'il existe une emprise mentale.

Il ne s'agit pas des mêmes définitions que celles qui avaient cours dans le cadre de la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (Mils). Reste la notion d'intentionnalité qui mérite d'être conservée, même si elle ne fait pas partie du matériel que l'on va utiliser pour affirmer les choses.

M. Alain Néri . - Lorsqu'on est inquiet, on cherche à être rassuré et, lorsqu'on est malade, on est forcément en situation d'inquiétude. On a donc tendance à vouloir trouver un réconfort à travers le médicament et le traitement mais on attend un peu plus d'un médecin sur le plan relationnel.

Les notions de « coaching », de soutien psychologique se développent de plus en plus dans notre société. On peut espérer que les sportifs qui participent à des compétitions sont en excellente santé. Vu leur épanouissement physique, ils devraient plutôt être en état de se passer de ce soutien et d'avoir cette force mentale en eux : un esprit sain dans un corps sain !

Or, la nécessité du « coaching » se développe de plus en plus dans l'opinion publique - et beaucoup à travers les médias. Ne doit-on pas faire un effort d'information vis-à-vis de la population et prendre quelques précautions ? Dans tout homme existe un désir de puissance ; il faut donc veiller à ce que tout ceci ne dérive pas vers un abus de faiblesse.

Je crois beaucoup aux relations humaines et à la solidarité qui continue malgré tout à s'exprimer, en particulier lors de catastrophes. On peut toutefois regretter que celle-ci manque dans les grandes cités urbaines. L'individualisme forcené peut favoriser l'appel à un soutien susceptible de se révéler abusif.

M. Philippe-Jean Parquet . - Dans la Grèce antique, le maître de philosophie, accompagnant le disciple, était indispensable à la construction d'un citoyen. Cela donnait même naissance à une méthode particulière, la maïeutique socratique. Dans la vieille Europe existaient des directeurs de conscience. Un livre a également connu un succès extraordinaire, L'imitation de Jésus Christ , qui pourrait d'ailleurs faire actuellement douter de son contenu, de la méthode suivie et de son éthique.

La référence au développement de la personnalité est très importante. Un enfant se développe à partir de ses propres compétences mais aussi de sa rencontre avec ses parents et un environnement. Il y a là une activité structurante. Nous sommes habitués à être ce que nous sommes et à devenir nous-mêmes avec l'appui de l'autre, la référence à l'autre et à autrui. Ceci est inhérent à notre manière de fonctionner.

Les sportifs ont des compétences, comme les médecins ont des compétences relationnelles mais on peut les optimiser. La préparation mentale dont bénéficient actuellement tous les sportifs de haut niveau est à peu près du même ordre : comment optimiser les compétences et faire en sorte que la dimension psychique soit un appui et non une chaîne ?

On pense que l'on peut influencer les choses. Au ministère des sports, je travaille sur le dopage sportif et les conduites dopantes dans l'entreprise. On voit bien la différence entre la conduite dopante et la préparation mentale, qui consiste à utiliser les ressources d'un individu. C'est ce que l'on pourrait appeler une optimisation.

Cependant, chez un grand nombre de sportifs - et ceci est fort préoccupant - on arrive à une dérive de nature sectaire visant à développer une emprise mentale importante. On l'a vu tout récemment et cela a été le mérite de la précédente ministre des sports d'aider un certain nombre de sportives à évoquer cette emprise mentale, allant jusqu'aux violences sexuelles.

Le problème du coaching s'inscrit aussi dans la volonté actuelle de chacun d'augmenter ses performances. « Comment vais-je augmenter mes performances ? Naturellement à partir de mes propres ressources ! Certaines personnes pourraient-elles m'aider à optimiser mes compétences ? Ces coachs vont-ils me greffer un certain nombre de compétences ? » Certaines thérapies comportementales le proposent.

Les principes New Age - bien-être, développement des compétences, etc. - peuvent être très positifs. De nombreuses revues décrivent comment, en deux ou trois mouvements, développer des compétences extraordinaires ! Si l'intentionnalité est d'utiliser cette manière de faire pour produire un homme lige, c'est très différent. On peut utiliser les mêmes méthodes, les mêmes procédés et les mêmes processus pour aboutir à un objectif respectueux de l'autre comme à un asservissement. C'est le coeur du problème. C'est une question de l'image que l'on se fait de certaines valeurs et que l'on se fait de l'homme.

C'est la raison d'être de la Miviludes, dont la mission est de traiter des dérives. Dès lors que l'utilisation de ces méthodes d'emprise provoque des dommages psychologiques, affectifs, financiers, sexuels, citoyens, familiaux ou professionnels, il devient légitime d'agir non par rapport aux croyances mais au fait que des processus, des théories et des corpus doctrinaux infligent des dommages aux personnes.

M. Gérard Roche . - On a tous l'exemple de psychothérapeutes de bonne foi qui ont longtemps fait correctement leur travail avant que les choses ne dévient. C'est souvent la rumeur qui amène la clientèle chez les psychothérapeutes. Les patients satisfaits se passent l'information qui produit une sorte d'aura artificielle autour du psychothérapeute, qui se dit qu'il y a peut-être là quelque chose. Il va peu à peu remplir les critères dont vous avez parlé, dominé par sa réputation, n'ayant d'autre solution que la fuite en avant qui va le mener à adopter des conduites déviantes et condamnables.

Le travail réalisé par Bernard Accoyer est une très bonne chose mais on peut se demander s'il ne conviendrait pas d'exercer un contrôle du travail des psychothérapeutes, ce sujet étant bien difficile à évaluer. Cela pourrait rendre service aux praticiens eux-mêmes...

M. Philippe-Jean Parquet . - Il est vrai que l'exercice solitaire d'une telle profession est parfois dangereux : on est extrêmement sollicité, la relation entre les personnes est très dense et a un impact sur la vie personnelle...

C'est pourquoi tous les groupes de travail sont confrontés à l'appréciation, aux recommandations et à l'accueil bienveillant des personnes. On l'avait fait pour les médecins généralistes il y a longtemps avec les « groupes Balint », dans lesquels les médecins se réunissaient pour s'entraider. C'est à partir de cette idée de supervision que nous avons créé, en particulier dans la région lilloise, les groupes d'entraide pour les personnes, les familles et les victimes. Les thérapeutes ont de la même manière besoin de cette aide interactive.

Lorsqu'on est pris dans ce style d'exercice sans recevoir une aide tierce, on répète et on densifie les choses. On se rigidifie alors et des dérives thérapeutiques peuvent survenir. Si le thérapeute n'a pas une certaine éthique ou s'il se trouve en grande difficulté, on peut se trouver face à une dérive sectaire.

La rumeur est la base du fonctionnement habituel des choses. Quand vous allez dans un restaurant, c'est généralement parce que quelqu'un vous l'a recommandé. Vous suivez l'avis de cette personne en vous demandant si elle a du goût ou s'il s'agit de quelqu'un qui aime bluffer. Vous émettez alors des critères d'appréciation sur votre « recruteur ». C'est pourquoi l'information est extrêmement importante.

Les recruteurs potentiels sont de deux types. Les premiers sont ceux qui sont sous emprise mentale, militants et prosélytes. Il convient de se méfier aussi des seconds, militants anti sectes, tout aussi dangereux. Les modalités de prise en charge des personnes sortant d'organisations à caractère sectaire ne doivent donc ressembler en aucune manière aux stratégies des organisations à caractère sectaire, ni utiliser les mêmes procédés.

J'ai fait partie, il y a fort longtemps, d'un groupe dans lequel nous faisions exactement l'inverse, comme si la personne était prise dans les mêmes réseaux, utilisant les mêmes procédés et les mêmes processus. C'est extraordinairement dangereux !

Ceci me permet d'affirmer ici qu'il ne faut pas aider les personnes à oublier la période dans laquelle ils ont été embrigadés dans une organisation sectaire. C'est irrespectueux ! Cela fait en effet partie de leur vie et doit demeurer présent dans leur esprit. Notre travail est toutefois de faire en sorte que ce moment ne demeure pas actif.

Mme Christiane Kammermann . - Monsieur le professeur, j'ai été très heureuse de vous entendre car vous êtes à la fois technique et fort humain.

Je crois qu'il reste beaucoup d'efforts à accomplir dans le domaine de la psychologie du médecin vis-à-vis du malade. Mon mari a été un grand médecin. Ma famille a connu sa part de malheurs et mon mari a pu suivre ces situations de très près. Ayant vécu dans le milieu médical, je me suis aperçue qu'il y avait beaucoup à faire, y compris auprès des infirmières - qui jouent un rôle très important.

En matière de soins, il y a bien souvent un manque de bonté, de gentillesse, d'humanité. Je pense surtout aux médecins spécialisés dans certains domaines - cancer, coeur, grands accidentés. Il reste, en France, beaucoup de progrès à réaliser dans ce domaine.

J'aimerais par ailleurs savoir si vous êtes pour ou contre le fait de dire toute la vérité à un malade, en particulier aux adolescents ?

M. Philippe-Jean Parquet . - Je suis heureux de voir que nous partageons certains points de vue à partir d'une expérience vécue.

Il est vrai que la formation psychologique des acteurs de santé, dans leur totalité, est très importante. Il faut se trouver en empathie, avoir la capacité de percevoir, de ressentir, d'accueillir mais ne pas se trouver en sympathie, « condolere », « souffrir avec » - sans quoi la vie des acteurs de santé devient totalement insupportable.

Dire la vérité - toute la vérité - est quelque chose de très particulier. J'ai été amené de nombreuses fois dans ma vie à annoncer des diagnostics dramatiques à certaines familles, en particulier dans des cas d'autisme. Le problème était de savoir si on était certain du diagnostic. Peut-on faire partager une vérité partielle lorsqu'on ne la possède pas complètement ?

Lorsque j'étais jeune interne dans les services d'obstétrique, une sage-femme m'aidait lors des accouchements. Voir apparaître la tête de l'enfant est un moment extraordinaire, exceptionnel pour la famille mais aussi pour les soignants. Or, la tête de l'enfant que nous étions en train de mettre au monde était typique d'un enfant mongolien. L'enfant était encore pour partie dans le corps de la mère quand la sage-femme a dit à celle-ci : « Il est mongolien ! ».

Lorsqu'on a pu confirmer les choses, on l'a écrit dans le dossier mais on n'a rien dit à la famille. La belle-mère est arrivée en disant à la jeune mère : « Ton bébé a une drôle de tête ! Dans notre famille, on n'a pas cette tête-là ! Il y a quelque chose de bizarre. Il faudrait peut-être demander... ». Progressivement, l'annonce du diagnostic s'est faite de manière supportable. Il faut aussi penser qu'il existe après cette annonce du diagnostic une prise en charge considérable. Il faut donc être certain de pouvoir établir ce post-diagnostic.

Il existe des vérités acceptables. On nous oblige actuellement à dire toute la vérité rapidement. Mon frère est mort d'un cancer du pancréas. Il a consulté à 14 heures ; le bilan était terminé à 16 heures. A 16 heures 05, on lui a appris l'origine du mal dont il souffrait, sans ensuite aucun suivi. Ce n'est pas une vérité acceptable mais une vérité traumatique !

Il faut donc progressivement amener les gens à se demander s'ils n'ont pas quelque chose et à interroger les médecins. Toute la vérité peut ensuite être dite mais il existe une série de processus avant et après.

M. Alain Milon , président . - Que pensez de la « Gestalt thérapie » ?

M. Philippe-Jean Parquet . - Prudence !

M. Alain Milon , président . - Lorsqu'un ordre professionnel interdit à un professionnel d'exercer pour faute, ne devrait-il pas être possible de priver ce médecin du droit d'utiliser ce titre ?

M. Philippe-Jean Parquet . - C'est impossible à mon avis, car le grade de docteur en médecine est un grade universitaire dont on reste titulaire même en cas de radiation.

M. Alain Milon , président . - Lorsqu'une victime d'un gourou ou d'une secte arrive à s'en sortir, elle reste cependant dominée par son état de victime. Qu'en pensez-vous ?

M. Philippe-Jean Parquet . - Si elle n'est plus que victime et si cela lui confère un statut, c'est formidablement dommageable pour elle. Elle a vécu une période de sa vie qui lui appartient. Elle n'est pas que cela mais tout autre chose. Si elle se pose en victime et va régulièrement témoigner à la télévision ou devant des commissions d'enquête, elle n'est plus qu'une victime. Elle n'a plus d'autre identité.

On dit de quelqu'un qui consomme de l'alcool que c'est un alcoolique : la personne ne peut se résumer à cela. Je suis psychiatre mais je ne me résume pas à cela ! C'est pareil pour les victimes...

Audition de M. Guy ROUQUET,
président de l'association Psychothérapie Vigilance
(mercredi 21 novembre 2012)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous poursuivons les auditions de notre commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé en rencontrant M. Guy Rouquet, président de l'association Psychothérapie Vigilance.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; son enregistrement vidéo sera diffusé sur le site du Sénat ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

J'en viens à notre réunion.

L'audition de M. Rouquet s'inscrit dans un ensemble d'auditions consacrées au thème de l'emprise mentale et des risques liés à certaines méthodes de psychothérapie. Elle fait suite à l'audition des associations qui font partie des acteurs très engagés de la vigilance sectaire.

L'association Psychothérapie Vigilance a été créée en 2001 pour informer le public sur les différentes pratiques psychothérapeutiques, dénoncer les abus et les dérives, notamment sectaires, liés à ces pratiques et pour participer à la constitution d'un réseau d'entraide et de soutien entre les victimes directes et indirectes de ces abus.

Je rappelle à l'attention de M. Rouquet que notre commission d'enquête a pour origine une initiative du groupe RDSE présidé par notre collègue Jacques Mézard, rapporteur de cette commission. M. Mézard se trouve empêché d'assister à la réunion d'aujourd'hui et vous prie de l'en excuser.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Rouquet de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Guy Rouquet, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Guy Rouquet, président de l'association Psychothérapie Vigilance . - Je le jure.

M. Alain Milon , président . - Monsieur Rouquet, je vous donne la parole pour un exposé introductif, puis les membres de la commission d'enquête et moi-même vous poserons quelques questions.

M. Guy Rouquet . - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis sensible à l'honneur que vous faites à Psychothérapie Vigilance en m'auditionnant dans le cadre de vos travaux.

Psychothérapie Vigilance, qui existe depuis juillet 2001, est une association au service des victimes de thérapies déviantes, abusives ou psychosectaires. Elle n'a pas vocation à soigner qui que ce soit. Son rôle est d'éclairer et de prévenir ceux qui, ne sachant vers quel « psy » se tourner, sont en plein désarroi ou perdent pied en voyant un de leurs proches devenir l'ombre de lui-même voire un inconnu, quand ce n'est pas un ennemi déclaré à la suite de sa rencontre avec un analyste ou un thérapeute. L'association accompagne aussi ceux qui, sortis de leur aliénation, cherchent à comprendre ce qui leur est arrivé.

En raison des circonstances qui ont prévalu à sa création, Psychothérapie Vigilance s'est plus particulièrement spécialisée dans six domaines :

- la réglementation de l'usage du titre de psychothérapeute ;

- les psychotechniques à risques ;

- le syndrome de la fausse mémoire et des souvenirs induits ;

- les drogues exotiques et ésotériques censées donner accès au divin ;

- le psychospirituel ;

- le néochamanisme.

Ces domaines étaient méconnus de l'Etat et des grandes associations de victimes il y a une dizaine d'années. On parlait alors essentiellement de sectes, de « mécanique des sectes », de lutte contre les sectes en minimisant ou négligeant la dimension thérapeutique instrumentalisée par nombre d'entre elles pour parvenir à leurs fins mais aussi par des groupes idéologisés présentant la psychothérapie non comme un moyen de soigner, mais de changer l'homme et la société. C'est ainsi que l'on pouvait lire dans certains documents diffusés en interne :

- « Tout le monde a besoin d'une psychothérapie » ;

- « Il faut promouvoir la psychothérapie sur les cinq continents » ;

- « Il faut un psychothérapeute par tranche de 1 500 habitants ».

L'ambition affichée était claire : mailler l'ensemble du territoire et, sous couvert de thérapie, en prendre le contrôle, « gouverner le monde » comme l'a écrit noir sur blanc un auteur faisant office de maître à penser d'une puissante mouvance psychospirituelle.

Cette ambition demeure. Elle est exposée dans des écrits privés, dans des publications associatives, des ouvrages vendus en librairie, des conférences, des documents audiovisuels, sur des sites Internet... Elle se manifeste aussi, plus subtilement dans tous les corps institués, infiltrant l'ensemble des centres de décision, pesant de plus en plus sur les leviers du pouvoir, dans une stratégie qui s'appelle la « révolution silencieuse », même si cette révolution n'est pas uniforme et ne revêt pas la même signification idéologique ou symbolique chez les « agents du changement » qui s'appliquent à la voir triompher.

De ce point de vue, la grande querelle qui a agité pendant plus d'une décennie plusieurs volets de la société française, à l'occasion de la réglementation de l'usage du titre de psychothérapeute, est édifiante. Cette agitation, qui a suscité des débats houleux et des invectives ad hominem , n'a pas épargné le Parlement, lequel, au terme d'un processus laborieux, a voté une loi qui n'a réglé le problème de fond qu'à la marge : faute de réglementer la psychothérapie, les thérapeutes de tous poils continuent de proliférer.

Ne pouvant user du titre, des milliers d'individus, imbus d'eux-mêmes ou abusés par les officines leur ayant délivré de pseudo-diplômes, se sont arrogé le droit de continuer à exercer leurs pratiques sans avoir la moindre formation en médecine, en psychologie, en psychopathologie. Les personnes ne pouvant satisfaire aux obligations de la loi et de ses décrets d'application se sont bornées à effacer de leur plaque le mot de « psychothérapeute » pour le remplacer par celui de « psypraticien », de « psychopraticien », de « praticien en psychothérapie », de « thérapeute en psychothérapie », de « diplômé en psychothérapie » ou, tout bonnement, par celui de « psychothérapie ».

Cet indécent pied de nez au législateur n'a pas surpris Psychothérapie Vigilance qui, alors qu'était entrepris l'effort de réglementation, a vu fleurir toutes sortes d'appels à « la désobéissance civile » contre « les autorités sanitaires » de « l'Etat tutélaire », d'appels à la résistance aux accents gaulliens ou hugoliens contre l'« ordre hygiéniste », de conseils et indications pour contourner « la loi scélérate ». « Laissez-nous nos charlatans ! » réclamait une tribune pétitionnaire publiée dans le Monde en décembre 2003.

Jacques Lacan « s'autorisait de lui-même et de quelques autres ». Dans le cas qui nous occupe, les thérapeutes s'autorisent de leur ignorance, fût-ce en faisant preuve de bonne volonté d'ailleurs, comme cette femme encore jeune qui se réjouissait d'avoir ouvert son cabinet de consultations et reçu ses premiers clients alors que, dotée du seul brevet d'études du premier cycle du second degré (BEPC), elle était inscrite dans une école dite de formation psycho-organique.

Comment pourrait-on l'accepter ? Cette personne n'est pas responsable bien sûr, mais ce n'est pas le cas de ceux qui, exploitant le vide juridique béant de l'exercice de la psychothérapie, font des affaires au détriment des membres de leur supposée « école » mais aussi de leurs patients dont il est fréquent qu'ils fassent par la suite des thérapeutes à leur image en leur révélant qu'ils ont des dons et qu'ils pourraient les exercer pour soigner à leur tour et bien gagner leur vie. Il s'agit d'un processus également très courant dans le domaine du néochamanisme psychédélique et des communautés psychospirituelles en quête de « bergers » ou de thérapeutes...

La psychothérapie est bel et bien devenue « un fromage ». Un fromage étrange puisque le volume et la surface en augmentent à vue d'oeil, à proportion de la consommation dont il est l'objet. Mystère qui n'en est pas un cependant pour peu que l'on garde en mémoire les ambitions des organisations se disant représentatives et le mode de recrutement persistant des nouveaux thérapeutes.

Une phrase empruntée à Knock ou le Triomphe de la Médecine donnera le ton général : « Tout bien portant est un malade qui s'ignore ». En digne héritier de Molière, Jules Romains dénonçait les charlatans à l'oeuvre. Le rire qu'il déclenchait était destiné à faire réfléchir contre la trahison du serment d'Hippocrate par une certaine médecine dévoyée par l'appât du gain et la volonté de puissance.

Rappelons que le personnage a jeté son dévolu sur un village dont la population se porte comme un charme et n'appelle le médecin que pour constater le décès naturel ou accidentel de l'un de ses membres. Trois mois suffiront pour que, subjugués, les habitants changent du tout au tout leur façon de vivre, se jettent au fond de leurs lits, se soumettent au rythme effréné des prises de tisanes et de température et que, faisant figure d'homme providentiel, Knock apparaisse à tout le canton comme le maître absolu qui veille sur ses intérêts et sa santé, alors même qu'il l'a mis à genoux et en coupe réglée, comme dans une secte.

Jules Romains sous-titrerait différemment sa comédie aujourd'hui. C'est du triomphe de la psychothérapie et de la psychanalyse qu'il se moquerait, de la « folie psy » qui, par toutes sortes de canaux, contamine les esprits quand elle ne les a pas déjà gagnés à sa cause, en ville comme à la campagne. « Dans mon village, le boulanger a fermé boutique et deux thérapeutes se sont installés », m'a confié un ami ; « Ma femme était psychologue et a dû arrêter son activité en raison de la concurrence de thérapeutes autoproclamés » m'a dit un médecin.

Selon certains rapports, notre pays serait le plus grand consommateur au monde de psychothérapies et d'antidépresseurs. Diverses raisons sont avancées pour expliquer cet engouement. S'agissant des psychothérapies, il en est une dont on ne parle guère mais qui coule de source pour peu que l'on revienne à la source précisément, que l'on se penche sur certaines des méthodes et techniques qui, depuis une bonne vingtaine d'années, se répandent comme une tache d'huile.

Faute de temps, je me bornerai à dire que notre société est confrontée à un défi majeur, imposé par un système, une idéologie, un enseignement, une culture. Culture qui est, dans une large mesure, le produit de la contre-culture expérimentée en Californie, durant les années 1960, avant de se propager outre-Atlantique, en particulier en Europe de l'Ouest.

Le caractère subversif de cette culture aspirant à forger « un nouvel homme, dans un nouveau monde, pour une nouvelle ère » a fait l'objet de nombreuses études. Rejetant Descartes et Newton, la pensée rationnelle et la science académique, elle porte au pinacle les « maîtres spirituels », la pensée magique, les savoirs ancestraux et traditionnels. Dans cette optique, ne comptent que la libération de l'individu de ses chaînes supposées, le franchissement des « portes de la perception », le positionnement « au-delà du cerveau », l'expérience transpersonnelle, la sacralisation du moi, celle des émotions...

Parce que le modèle de la société occidentale est à repenser, à abattre même, il faut en saper les fondements, faire exploser les familles pour en récupérer et refaçonner les membres épars.

Afin de mettre en oeuvre ce changement radical, ses zélateurs ont entrepris de « déconditionner l'individu de ses programmes inscrits depuis la petite enfance » afin de le reprogrammer à leur convenance. Ce déconditionnement s'effectue à l'aide de psychotechniques et de « méthodes décapantes », la reprogrammation par un enseignement philosophico-magico-spirituel du responsable du cycle, du stage, du séminaire.

C'est alors que le thérapeute devient gourou, dispensant un enseignement « initiatique » destiné à inféoder ses clients ou patients. La famille est rejetée au profit de la communauté thérapeutique, appelée parfois « secte thérapeutique ».

La secte est pour certains de ses zélateurs « le seul et ultime refuge » dans une société violente et chaotique, « un cadre de travail sur soi-même », l'inventrice d'un « nouveau monde ». Mais une secte ne saurait être thérapeutique.

Ron Hubbard, le fondateur de la Scientologie, aspirait à faire de ses adeptes « des esclaves heureux ». Nous savons par quels moyens et à quelles fins réelles. Une secte ne peut que donner l'illusion du bonheur ou de l'efficacité des soins qu'elle dispense.

« L'embrigadement sectaire », sous couvert de thérapie, est facile à obtenir. Dans un premier temps, il s'agit d'inciter le sujet à se poser la question : « Qui suis-je ? ». Rien d'inquiétant a priori car l'invitation à la connaissance de soi est une donnée de notre civilisation depuis l'antiquité grecque mais, activée par toutes sortes de procédés, cette quête est en mesure de réduire l'individu en miettes, d'en faire un « naufragé de l'esprit », une sorte de zombie soumis au dessein du « dérapeute ».

Le sujet est poussé à s'interroger sur sa vie, son rapport aux choses et aux êtres, ses phobies, ses hobbies, ses croyances, ses fantasmes, ses ambitions, ses angoisses, son histoire personnelle, ce qu'elle a été, ce qu'il souhaiterait qu'elle devienne et ainsi de suite. Tout cela pourrait être bénéfique si la quête en question n'était pas orientée, destinée à l'inquiéter, à l'angoisser, à le fragiliser, en souillant et détruisant méthodiquement les repères et points d'appui qui étaient les siens jusqu'alors.

En guise d'illustration, permettez-moi de citer le passage d'une conférence donnée lors d'un colloque sur « Les charlatans de la santé » : « Posez-vous ces questions : Etes-vous bien sûr que vous avez été désiré par vos parents ? Etes-vous bien sûr que vos parents vous aiment ? Etes-vous bien sûr que votre mère est votre mère ? Celle-ci surtout. Oubliez les autres, qui toutes la commandent : Etes -vous bien sûr que, enfant, vous n'avez pas été violé par votre grand-père, votre oncle, votre père ou votre mère ? Vous en êtes sûr ; j'en suis heureux pour vous mais il ne faut pas vous voiler la face : une fois rentré chez vous, reposez-vous la tranquillement. Entre ce que vous croyez et ce qui s'est effectivement passé, il y a un gouffre. Pardon d'insister mais, au nom de cette vérité qui rend libre, je manquerais à mes devoirs si je ne vous la révélais pas. Ne me dites pas que vous n'avez jamais eu mal au ventre, que vous n'avez jamais eu de diarrhée, de colique ? Grâce à de nouveaux spécialistes, nous connaissons aujourd'hui l'une des vraies causes de ce mal : vous avez été abusé sexuellement durant votre prime enfance ! Vous frémissez ; c'est non seulement horrible mais absurde ? Vous vous dites que vous vous en souviendriez si tel était le cas ? Détrompez-vous ! Vous avez refoulé ce souvenir traumatisant mais votre corps s'en souvient. Désormais la question n'est plus de savoir si vous avez été violé ou non mais par qui ! ».

Ce que je vous dis est sidérant. Pourtant, avec des variantes encore plus sordides parfois, c'est ce qui se passe dans des centaines d'officines. En instillant le doute, en suscitant et en multipliant ce genre d'interrogations abominables, le psycho-sectaire inquiète sa proie, affaiblit sa résistance, l'entraîne dans un labyrinthe plein de chausse-trappes pervers où songes, souvenirs et fantasmes s'entremêlent et, au bout du parcours, la conduit à rompre brutalement avec sa famille, le père, « ce salaud » et la mère, non moins immonde, qui « laissait faire, en jouissant sans doute de la scène ».

Ma conférence s'intitulait : « Voici venu le temps des dérapeutes : du serment d'Hippocrate au Serpent cosmique ». En 2009, j'en ai approfondi quelques données dans « La médecine psychédélique ou le syndrome de Merlin », article dans lequel je m'attaque au discours d'un médecin plaidant pour l'introduction dans le Vidal d'une « nouvelle classe de médicaments », en l'occurrence de puissants hallucinogènes : l'ayahuasca, l'iboga et le peyotl.

Sous la plume devenue baguette magique de l'auteur, ces « médicaments nouveaux », en mesure de remettre l'homme « en communication avec sa partie spirituelle » et de le relier « à l'ensemble des formes de vie », se transforment en « médicaments de l'âme ». Ces drogues, rebaptisées pour les besoins de la cause « enthéogène », sont censées générer le sentiment du divin, quand ce n'est pas de fournir le moyen de « voir Dieu ». Elles sont ingérées dans des « communautés thérapeutiques et spirituelles » néochamaniques qui présentent toutes les caractéristiques de la structure sectaire, avec assujettissement de l'individu à un « maître ».

Mais, me direz-vous, la réglementation de l'usage du titre de psychothérapeute va produire ses effets de salubrité publique.

Soyons nets : non, car aujourd'hui, la pratique de la psychothérapie reste libre, s'exerçant dans un cadre réglementé comme non réglementé ! Il suffit de consulter les Pages Jaunes pour mesurer l'étendue du chemin qu'il reste à parcourir.

Ce constat m'a conduit à publier en 2011 un article intitulé : « De la nécessité de protéger l'exercice de la psychothérapie », dans lequel Psychothérapie Vigilance soutient l'idée, élémentaire mais non encore prise en compte par le législateur, que tout titre protégé doit protéger l'exercice attenant.

J'y écris notamment que le premier réflexe d'un particulier désirant recourir à un professionnel de la psychothérapie est de consulter les Pages Jaunes . C'est vers cet annuaire qu'il se tourne s'il a besoin d'un électricien, d'un plombier ou d'un médecin. En appelant au numéro indiqué, il est sûr d'avoir affaire à un spécialiste. Aussi, quand il est en demande d'aide psychique, l'air du temps le pousse-t-il à privilégier dans ses recherches les mots psychothérapeute et psychothérapie. Là, il peut découvrir une rubrique intitulée « Psychothérapeutes », suivie d'une autre, toute nouvelle, « Psychothérapie (pratiques hors du cadre réglementé) » dont les intervenants, mis dans l'incapacité d'user du titre de psychothérapeute, ont obtenu la création par leurs négociations avec le groupe Pages Jaunes , entreprise commerciale ayant comme souci principal de se développer en augmentant son chiffre d'affaires !

Bien qu'en conformité avec la lettre de la loi, cette décision pose un problème de fond dans la mesure où l'esprit qui a présidé à son écriture est manifestement discrédité. D'une part, les usagers sont conduits à rester dans l'équivoque en pensant qu'ils peuvent s'adresser sans risque à un « thérapeute » non qualifié en médecine, en psychologie ou en psychopathologie ; d'autre part, la responsabilité de l'Etat ne manquera pas d'être engagée quand un problème se posera.

En effet, que se passera-t-il lorsqu'un tribunal condamnera un prévenu à suivre une psychothérapie ? Lui reviendra-t-il d'expliquer dans ses attendus qu'il y a psychothérapie et psychothérapie, l'une réglementée, l'autre non, que l'une délivre des soins, que l'autre se limite à une pratique, qu'il ne faut surtout pas confondre la pratique des uns avec celle des autres ?

Le ministère de la justice va-t-il alerter les magistrats à ce sujet ? En vertu de quoi d'ailleurs ? Outre cette difficulté, que se passera-t-il quand on s'interrogera sur le suivi psychothérapique d'un criminel récidiviste, que l'on découvrira par exemple que son « praticien » était un maître reiki, diplômé en trois semaines ou un praticien psycho-organique tout juste titulaire du BEPC ?

La question de la place de la loi dans la société se trouve posée. Les manoeuvres signalées montrent la nécessité d'associer la protection d'un exercice à celle du titre le concernant. L'adoption d'un texte généraliste stipulant que tout titre professionnel protège l'exercice attenant réglerait non seulement la question de la psychothérapie mais aussi celles d'autres spécialités thérapeutiques ou médicales comme l'ostéopathie par exemple. Toute pratique exercée sans posséder les titres inhérents à la discipline devrait être considérée comme une infraction à la loi.

Certes, la question de l'exercice de la psychothérapie présente un aspect complexe puisqu'il s'agit d'une pratique partagée entre psychiatres, psychologues-cliniciens, certains psychanalystes et désormais les psychothérapeutes en titre. Tous ces professionnels sont en conformité avec le texte définissant les niveaux minimaux et les dispenses partielles ou totales de formation.

Il y a dérogation à ce principe en permettant implicitement à des individus se disant thérapeutes ou praticiens d'exercer une pratique sans avoir été soumis au même principe constitutionnel « d'égalité » en termes d'études et d'exigence face à la loi.

En fin de compte, ce qui est en cause, c'est le risque de voir se dévaluer rapidement et complètement le système universitaire garantissant la qualité intellectuelle et scientifique de l'accession à certaines professions. Dans le domaine de la santé comme dans ceux où est en jeu la sécurité de l'usager ou du consommateur, il convient d'ôter toute possibilité de créer par des artifices et subterfuges divers des pratiques « hors d'un cadre réglementé ».

Puisse ce voeu retenir l'attention de votre Haute Assemblée ! Sa réalisation demandera de sa part et de celle de tout le Parlement, beaucoup de courage et de détermination mais il en va de la bonne santé de notre démocratie, de ses principes et de ses valeurs que, dissimulant leurs intentions véritables, des intérêts particuliers ou « communautaires » ont entrepris de mettre sous tutelle.

Outre ma remarque relative aux Pages Jaunes , je voudrais ajouter un élément à même de faire réfléchir sur l'expansion des charlatans de la santé et de l'inconscient dans notre société et, pour nombre d'entre eux, leurs liens avec des organisations de type sectaire.

En décembre 2003, Mme Elisabeth Roudinesco a déclaré à M. Jean-François Mattei, alors ministre de la santé : « J'ai lu toutes sortes de rapports mais franchement, personne à ce jour n'a étudié sérieusement l'histoire des psychothérapies en France. Il est évident que sur les 30 000 psychothérapeutes, un tiers peut-être sont infiltrés pas des sectes ». De cette évidence, Mme Roudinesco ne tirait pas la conclusion qui s'imposait puisque, obnubilée par le devenir de la psychanalyse, elle se déclarait hostile au projet de loi réglementant l'usage du titre de psychothérapeute !

Un tiers, cela représente 10 000 personnes. Si l'on estime, dans l'hypothèse la plus basse, qu'un psychothérapeute a une trentaine de clients, cela fait, bon an, mal an, 300 000 personnes, toutes en contact direct avec un psychosectaire.

Nous le savons, avant que la loi votée en 2004 n'entre en application, des milliers de nouveaux thérapeutes sont apparus, encouragés par des associations se disant représentatives, au point, pour l'une d'entre elles, de s'arroger le droit de délivrer un certificat européen de psychothérapie ! Ce pseudocertificat a abusé et continue d'abuser plusieurs fonctionnaires des agences régionales de santé (ARS) au moment de valider les acquis de l'expérience ou de la prise en compte de la clause dite du « grand-père ».

Il est d'ores et déjà établi que plusieurs dérapeutes ayant fait l'objet de signalements de la part de victimes ont été agréés par des ARS dans plusieurs régions. Comment pourrions-nous le tolérer ? C'est davantage qu'une erreur, c'est une faute, une offense faite aux victimes et aux vrais professionnels de la santé mentale, de la psychologie, de la psychothérapie.

De même, nous rejoignons M. Serge Blisko quand il signale la manne que représente pour les universités la délivrance de diplômes divers dont les titulaires s'autorisent pour exercer, sans contrôle, des activités thérapeutiques non validées scientifiquement et académiquement. Ces activités sont exercées avec l'agrément de nombreuses ARS, manquant de toute évidence à leurs obligations, pourtant imposées par la loi, de veiller à prémunir le champ de la santé des dérives sectaires.

Ceci encore, de la même veine : dans son rapport « Pratiques médicales et sectes » de 1996, le Conseil national de l'Ordre des médecins estimait à 3 000 le nombre de confrères déviants ou dérivants. Même si ce nombre, à revoir à la hausse, demeure faible au regard de l'ensemble des professionnels en exercice, il est préoccupant car ces médecins sont très actifs et organisés en réseaux plus ou moins clandestins ou en associations dont la raison sociale est maquillée.

Ces réseaux comprennent parfois des centaines de membres. Il en va ainsi de l'Association internationale de psychiatrie spirituelle, créée en 1994 dans le but de montrer les liens existants entre sagesse, santé et spiritualité.

Cette association considérait que la maladie physique résulte de conflits intérieurs et que la guérison est tributaire de leur libération complète grâce à « la lumière de la tradition spirituelle ». Plaidant pour une nouvelle médecine, « une médecine véritablement psychospirituelle », au point d'envisager de s'appeler « Association de psychiatrie et médecine psychospirituelle », le docteur Jean-Marc Mantel, qui la présidait, affirmait que « ce qui soigne n'est pas la technique mais ce qui émane du thérapeute, sa qualité d'être, son authenticité ».

Remarque bien singulière mais dont la lecture du répertoire fondateur des adhérents livre l'explication : en majorité des thérapeutes n'ayant aucune compétence en médecine ou en psychologie ; entre autres exemples : un ingénieur, un cadre informatique, un « chirurgien aux mains nues », une diététicienne, un nutritionniste, une astrothérapeute, un professeur de yoga, un naturopathe, un professeur d'arts plastiques, un négociant en vins...

Des personnes bien intentionnées sans doute mais cliniquement et médicalement incompétentes, inaptes à diagnostiquer une maladie, un trouble mental, une dépression, considérant que, pour soigner une maladie, il faut apprendre à écouter ce que « le mal a dit » lors de son déclenchement.

Significatives, ces paroles entendues dans un reportage de Canal Plus : « Si tu as mal aux genoux, c'est que ton « Je » est coincé dans le « Nous » » . Formule hilarante, qui ne tire pas à conséquence apparemment, bien dans le style désinvolte de Jacques Lacan, son inventeur. Mais on réprimera vite son rire en prenant connaissance de la réaction d'un journaliste auquel je rapportais ce mot. Après avoir blêmi, il m'a dit que c'était la phrase qu'un psychanalyste avait dite à son meilleur ami. Ce dernier, sportif de haut niveau dont la vélocité le promettait à une belle carrière, l'a entendue alors qu'il avait quinze ans. Pour soigner son mal aux genoux, il a donc fouillé dans son inconscient et s'est donc peu à peu abîmé dans un puits sans fond, loin des stades, des lieux où il se serait épanoui. Bientôt il ne vivra plus que d'expédients et, complètement défait, finira par se suicider, en pleine jeunesse, faute d'avoir « décoincé son « Je » ».

Quant audit « Psychiatre Spirituel », c'est un auteur de livres à succès, qui dispose de plusieurs tribunes où il tient des propos tantôt lénifiants, tantôt irresponsables et dangereux. Si une jeune fille a une vaginite, c'est à cause de sa mère qui a caché qu'elle avait été abusée sexuellement quand elle avait le même âge.

Dans un autre contexte, une mère m'a confié que le « psy » avait dressé sa fille contre elle en donnant sa lecture du prénom Violaine. Violaine, c'est « viol-haine ». Glaçant de monstruosité !

J'ai évoqué la Psychiatrie Spirituelle pour illustrer notre sujet. Cette association a cessé officiellement ses activités peu après l'adoption de la loi About-Picard mais il importe de ne pas confondre l'annonce d'une cessation d'activités et leur fin effective.

Les membres de la défunte association sont bien vivants pour la plupart, poursuivant leurs activités au sein d'autres mouvances ou mouvements dont ils sont les têtes pensantes, les porte-voix ou les chevilles ouvrières. Leur site n'a pas été fermé ; il y est précisé que l'internaute peut le consulter librement, qu'il reste accessible ainsi que les archives du Net-Journal .

Pour ses promoteurs, la maladie résulte de conflits intérieurs dont la résolution passe par le rétablissement des « flux harmonieux perturbés » en s'aidant de l'apport des grandes approches spirituelles, notamment orientales.

Dans cette conception, en incitant le patient à poser son attention sur son « état interne de dispersion », un processus autothérapeutique se déclenchera, pour peu que l'assiste un thérapeute « authentique », « un instructeur spirituel », « un médecin de l'âme ».

Point besoin d'être grand clerc pour voir se profiler le danger. Tel médecin n'hésite pas à écrire qu'il provoque artificiellement des Expériences de mort imminente (EMI) en recourant à des pratiques respiratoires telles que le « rebirth » et des somatothérapies centrées sur les états de conscience afin d'arriver « à la pure lumière », « à une vérité d'évidence totale », d'entrer dans un « mouvement d'aspiration libérateur », comparable à celui de « l'éveil définitif des Tibétains, le nirvana qui intègre l'amour sans objet, sans image. Eveil, clarté, volupté, agapè, épistémè, félicité », l'intéressé remarquant toutefois que, faute de s'y être abandonnés avec confiance semble-t-il, 20 % des sujets traversent des expériences « angoissantes et infernales ». Et ce psychiatre spirituel de ne pas s'interroger davantage !

Considérer que les dysfonctionnements du corps sont générés par les conflits intérieurs, la résultante d'une maladie de l'âme, est une notion scientifiquement et spirituellement sujette aux instrumentalisations les plus diverses. Pourtant, cette idée continue de contaminer l'ensemble du corps social, notamment depuis les années 1990, quand des gourous annonçaient l'imminence du basculement de l'Ere du Poisson dans celle du Verseau.

Des échos comparables proviennent d'autres groupes en plein essor. Ainsi les adeptes de la Nouvelle Médecine Germanique et de la Biologie Totale soutiennent-ils que les maladies ont pour origine un « conflit psychologique » traumatisant. Ce conflit psychique ou émotionnel affecterait une partie du cerveau et par là-même, automatiquement, l'organe qui en dépend.

Dans l'incapacité de gérer psychiquement l'émotion, l'organisme en ferait porter le stress par le corps. La résolution du problème psychique en cause permettrait à ce dernier de revenir à la normalité et donc de guérir.

Selon cette théorie, il n'y aurait pas de maladies « incurables ». D'ailleurs, pour ses champions, « la maladie n'existe pas » ; pas de microbes, pas de virus, pas de bactéries et donc pas de vaccins, de médicaments, de chimiothérapie. La douleur ou la souffrance a « un sens », qu'il faut décrypter. Celui que l'on appelle ordinairement un malade n'est qu'un individu incapable d'accéder temporairement à ses facultés personnelles de guérison.

C'est un sujet que j'aimerais développer pour avoir préfacé en 2010 l'ouvrage On a tué ma mère ! - Face aux charlatans de la santé . Ses auteurs en sont Philippe Dutilleul, journaliste, et Nathalie De Reuck, la fille de Jacqueline Stark, décédée d'un cancer au terme d'un calvaire interminable parce que des thérapeutes adeptes des théories de la médecine dite nouvelle et oeuvrant en réseau l'avaient convaincue qu'elle n'avait pas cette maladie mais seulement ses symptômes, que pour s'en délivrer il fallait le vouloir sincèrement, explorer tous les niveaux de conscience, y compris le symbolique, procéder au « décodage biologique » des événements traumatisants ayant généré l'angoisse pathogène et, ceux-ci repérés, procéder à leur « déprogrammation ».

Permettez-moi de vous suggérer d'auditionner Mme De Reuck et M. Dutilleul...

M. Alain Milon , président . - Nous les verrons à Bruxelles.

M. Guy Rouquet . - Je m'en réjouis !

Les « conflits intérieurs » de la Psychiatrie Spirituelle ont une parenté criante avec le conflit psychologique ou le conflit biologique. Tous deux en ont aussi avec la théorie des « blessures » en vogue dans les nouveaux courants spirituels issus du Renouveau Charismatique. Théorie dont les applications par des thérapeutes psychospirituels est à l'origine de centaines de drames en raison du manque de discernement, voire de l'aveuglement de certains évêques, de leur difficulté à prendre en compte les analyses et les témoignages de fidèles confrontés à une souffrance sans nom.

Dans ce cas, « les conflits intérieurs ou biologiques » prennent un autre nom, celui de « blessures ». En bref, nous naissons blessés et nous étions blessés avant même de naître : au stade de foetus mais aussi, bien avant notre conception, en raison du passé de nos parents, de nos aïeux, de notre arbre généalogique dont nous héritons inconsciemment mais sûrement des maux, des fautes, des erreurs, des défaillances, des faiblesses, des turpitudes, - jamais des vertus ou des qualités, - est-il besoin de le préciser.

Pour guérir, il faut remonter dans sa « mémoire sensitive », dérouler son histoire personnelle, s'abandonner à ses émotions et, de fil en aiguille, en répondant aux questions troubles de l'accompagnateur psychospirituel, détecter la blessure primordiale et, ce faisant, la porte d'entrée principale de « l'infestation maligne ». Car le mal, quel qu'il soit, est nécessairement démoniaque, lié au Malin. Guérir, c'est s'en délivrer. Le but de l'existence est de se soigner et, in fine , de « mourir guéri ».

Mourir guéri ! Molière s'en amusait dans ses comédies. Mais ici la réalité est triste, mortifère, diabolisant le monde, la société, la famille. Pour s'en préserver, il faut se retirer du jeu social, rompre toutes ses attaches, couper tous ses liens familiaux, « à la tronçonneuse » au besoin, afin d'apprendre à devenir un « guerrier spirituel » et, le moment venu, être prêt à « gouverner la terre », avec l'aide de Dieu...

Et l'on voit surgir ici de façon éclatante le dénominateur commun à toutes ces pratiques : la psychothérapie et la spiritualité sont des outils et des armes de conquête du pouvoir.

Comme dans le Tartuffe de Molière, vient parfois le moment où tombent les masques. Ainsi celui de Gérard Croissant, alias Frère Ephraïm, le fondateur de la communauté des Béatitudes, que sous l'avalanche des plaintes, le Vatican a dû se résoudre à réduire à l'état laïc. Cas édifiant que celui de cet homme, qui a échappé aux sanctions pénales de la justice civile par toutes sortes de manoeuvres destinées à dissuader les victimes en capacité de porter plainte de le faire dans les délais prescrits par les textes. Délais trop courts, généralement ignorés des victimes, lesquelles, isolées et effondrées, cherchent d'abord à comprendre ce qui leur est arrivé et ne peuvent ou ne pouvaient trouver un semblant d'écoute et d'explication qu'auprès de leur abuseur, de ses complices, ses « bergers ».

« Gouverner le monde », avec ou sans l'aide de Dieu, pour sa gloire ou la sienne propre, telle est l'ambition ultime de toute secte laïque ou religieuse. Pour y parvenir, la fin justifie les moyens. Dans cette optique, chaque individu est perçu comme un adepte potentiel, une source de profits immédiats ou à long terme.

Pour la secte, il n'y a pas de petits profits. L'adepte est d'abord une « vache à lait » dont il s'agit d'épuiser les économies comme les forces vives, en vertu de l'équation bien connue que le temps est de l'argent.

Aussi, par toutes sortes d'artifices, la « vache à lait » est-elle généralement transformée en bête de somme soumise au régime du bâton et de la carotte. Ensuite, l'adepte devient un cobaye, un sujet d'expérimentation pour les docteurs Mabuse, leurs apprentis sorciers, les prédateurs du transfert, qui modifient à volonté les états de conscience, recourent à de puissants hallucinogènes comme à des psychotechniques périlleuses pour la santé physique, mentale et spirituelle, s'ingénient à fabriquer de faux souvenirs traumatisants, pénètrent par effraction dans les coeurs, les consciences et l'inconscient pour dépersonnaliser, transformer en zombies, instrumentaliser.

Car, en dernier ressort, le cobaye doit devenir un poisson pilote, un agent hyperactif au service de la cause du gourou, du thérapeute psychospirituel, du médecin psychédélique. Un agent sous surveillance, sous supervision mais flatté et encouragé aussi dont, avec le temps, le zèle est récompensé en privé ou en public, par exemple, en assistant « au lever du roi », en étant invité à s'asseoir à sa table ou à partager sa couche, à devenir sa « favorite » ou son « mignon », à rejoindre sa garde prétorienne, à en prendre le commandement. Et c'est ainsi que les adeptes les plus dociles, habiles et motivés, deviennent requins à leur tour, chefs de bande parfois.

Monsieur le président, madame, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre écoute.

M. Alain Milon , président . - La loi du 29 juillet 1881, modifiée en 2008 dispose que « ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage ni les propos tenus ou les écrits produits devant une commission d'enquête créée, en leur sein, par l'Assemblée nationale ou le Sénat, par la personne tenue d'y déposer, sauf s'ils sont étrangers à l'objet de l'enquête, ni le compte rendu fidèle des réunions publiques de cette commission fait de bonne foi ».

Vous avez parlé d'un psychothérapeute, auteur à succès, qui a expliqué le prénom de Violaine par les mots « viol-haine » mais vous n'avez pas cité son nom. Vous êtes autorisé à le faire, si vous le désirez...

M. Guy Rouquet . - Il s'agit d'un échange téléphonique que j'ai eu avec une mère de famille. Ce n'est pas le même « psy » que celui de Canal Plus ...

M. Alain Milon , président . - Celui-là a déjà été cité par d'autres, hier en particulier...

M. Guy Rouquet . - Je pourrais vous faire éventuellement parvenir son nom.

M. Alain Milon , président . - Il serait intéressant que notre rapport puisse tout évoquer...

Mme Muguette Dini . - Pouvez-vous nous donner le nom du médecin qui souhaitait que les produits hallucinogènes entrent dans le Vidal ?

M. Guy Rouquet . - C'est le docteur Olivier Chambon, qui exerce près de Lyon et qui a écrit un livre intitulé La médecine psychédélique . Sa lecture m'a tétanisé et j'ai écrit un article très critique où j'ai repris les points essentiels de cet ouvrage. Il en a, paraît-il, été très affecté. Cet article figure sur le site Internet de Psychothérapie Vigilance.

Mme Muguette Dini . - Vous avez fait allusion aux Pages Jaunes en nous disant qu'il était très difficile de distinguer le psychothérapeute formé du psychothérapeute autoproclamé. Vous avez également évoqué l'amendement Accoyer.

Quel conseil pourriez-vous donner pour que le législateur fasse en sorte que les psychothérapeutes soient moins nuisibles ?

M. Guy Rouquet . - La Fédération française de psychothérapie et de psychanalyse a négocié avec le groupe des Pages Jaunes dès 2004. Les décrets d'application ont pris un certain temps...

Quand je m'en suis aperçu, j'ai alerté la direction générale de la santé, la Miviludes et j'ai écrit aux Pages Jaunes , qui ont pu atténuer ce qui était prévu initialement en créant deux rubriques, l'une pour le cadre réglementé, l'autre pour le cadre non réglementé.

Une personne qui a besoin d'un psychothérapeute ne va toutefois pas prendre garde au fait que le praticien exerce en secteur réglementé ou non réglementé. Le problème vient de la réglementation. La psychanalyse n'est pas réglementée et le titre est libre d'exercice. N'importe qui peut s'autoproclamer psychanalyste et créer un annuaire. Il y a là un sérieux problème mais on sait la puissance d'un certain lobbying psychanalytique dans notre pays. C'est pourquoi j'invite le législateur à se pencher sur cette question pour arriver à définir la psychothérapie.

Je sais que les psychologues mènent une réflexion à ce sujet. Je suis en relation avec beaucoup de psychologues, de psychiatres et de personnes diverses. L'évolution des mentalités est préoccupante. Les professionnels eux-mêmes n'avaient jamais pensé que des personnes venant de nulle part puissent un jour se proclamer psychothérapeutes ou thérapeutes, exercent en blouses blanches ou avec de faux diplômes ou de faux certificats. Il y a par rapport à l'éthique un problème de fond.

Je pense cependant qu'il faut former différemment les personnes. A une certaine époque, les médecins faisaient leurs humanités. La médecine n'est pas seulement une science mais aussi un art qui s'exerce au quotidien...

Selon moi, il faut prendre le taureau par les cornes. Ce sera très violent et cela demandera peut-être dix ans. J'ai un jour rencontré M. Accoyer sur un plateau de télévision. J'ai pas mal échangé avec lui, ainsi qu'avec beaucoup d'autres personnes. Je connais bien la question de la réglementation. La pression médiatique a été terrible et le législateur n'est pas allé au bout de ce qu'il souhaitait faire. La réglementation reste donc bancale. Certes, elle a permis un progrès mais je ne serai pas aussi optimiste que le Pr Parquet dans ce domaine. L'étendue du chemin à parcourir est considérable !

Le ministère de la santé a commis une erreur lorsqu'il a essayé de réglementer l'usage du titre de psychothérapeute en recueillant à la fois l'avis des psychiatres, des psychologues mais aussi des psychothérapeutes autoproclamés. C'était leur conférer une légitimité et les reconnaître. Curieusement, on n'a pas entendu les associations au service de victimes - Centre contre les manipulations mentales (CCMM), Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu (Unadfi) ou Psychothérapie Vigilance...

M. Gérard Roche . - Vous avez fait allusion à l'existence d'une dérive psychiatrique en matière spirituelle. Ce mouvement n'a pas disparu totalement. Pouvez-vous nous donner quelques renseignements complémentaires ?

M. Guy Rouquet . - Je voulais, dans mon intervention, attirer votre attention sur une certaine ambition mégalomaniaque européenne, voire mondiale dans ce domaine. Le certificat européen de psychothérapie abuse ainsi les ARS. Le ministère de la santé a été averti mais les services sont cloisonnés...

J'ai évoqué l'Association internationale de psychiatrie spirituelle et la communauté des Béatitudes ou les mouvements charismatiques. Le fondateur des Béatitudes, Gérard Croissant (Frère Ephraïm), que je suis depuis des années, est en fait très associé à des personnes qui faisaient ou qui font encore partie de la Psychiatrie Spirituelle et du mouvement transpersonnel.

Je vous ai préparé ici un document dont peu de personnes disposent ; il s'agit de la liste de toutes les personnes qui composaient l'Association internationale de psychiatrie spirituelle à sa fondation. Vous verrez apparaître le nom d'Olivier Chambon, auteur du livre La médecine psychédélique . Olivier Chambon est en même temps défenseur des enthéogènes, ces hallucinogènes censés donner la vision de Dieu en soi, etc. Il est édité par une très bonne maison d'édition et ses idées se diffusent ainsi.

J'ai appris que Gérard Croissant, fondateur des Béatitudes, était très introduit dans ces milieux. Gérard Croissant a toujours été fort habile. Il y a une différence entre ce qu'il disait en public et dans des textes dont j'ai eu connaissance. Même après avoir perdu son statut de diacre, il a continué à faire passer des mots d'ordre et à dicter des lignes de conduite à la communauté des Béatitudes.

Une trentaine de centres procèdent à des guérisons et les Béatitudes n'ont pas modifié leur façon de faire. Vous connaissez certainement le Livre noir du psychospirituel . C'est moi qui ai transmis le premier dossier à la Miviludes, qui s'en est emparée.

Je suis en relation avec un certain nombre de personnes qui s'interrogent : plusieurs centres de « guérison intérieure » ou de « guérison des blessures » existent en France et des centaines de thérapeutes spirituels, accompagnateurs ou « bergers » y sont impliqués. Ce n'est pas parce que Gérard Croissant ou Philippe Madre ne dirigent plus les Béatitudes que le problème a disparu ! Ils ont en effet formé un certain nombre d'autres personnes qui, elles, peuvent être de bonne foi. Des détournements de noms ou de mots comme « viol-haine » sont des techniques qu'ils utilisent. Il ne s'agit pas d'aider les personnes à s'épanouir mais de les asservir.

Les règlements existent : escroquerie à la personne, etc. La loi est bafouée en permanence ! C'est un problème de contrôle : qui va contrôler la façon dont fonctionnent ces centres ? Ces groupes sont prêts à faire face à une enquête. Les personnes sous emprise sectaire sont préparées à répondre aux questions.

Des centres peuvent-ils être considérés comme des centres thérapeutiques s'ils n'ont pas été agréés et n'ont pas reçu la visite d'inspecteurs ? C'est un problème que les ARS doivent rencontrer lorsqu'elles valident un certificat européen de psychothérapie, pensant que celui-ci a une véritable valeur. Certains sont même présentés comme ayant une valeur internationale !

M. Yannick Vaugrenard . - L'aspect législatif prendra du temps. Il faut que l'ambition soit tempérée par le réalisme !

Il existe peut-être des moyens d'action à court terme. Je pense en particulier au rôle des ARS. Il y a manifestement là une insuffisance par rapport aux dérives sectaires.

Vous allez vous rendre à Bruxelles : il serait peut-être intéressant de vérifier auprès des représentants de la Commission la validité nationale du diplôme européen. Ce sera l'occasion d'interpeller les institutions européennes à propos de ce diplôme, qui aurait, semble-t-il, une valeur auprès de l'ARS...

Par ailleurs, beaucoup de formations sont assurées sous la responsabilité des conseils régionaux. Là encore, il me semble que la liaison entre les ARS et les conseils régionaux s'impose afin de trouver un système d'évaluation et de vérification dès lors qu'il y a financement public. Je ne sais si c'est fait mais une vérification s'impose...

Enfin, est-il, selon vous, important de reconsidérer les délais de prescription ?

Mme Muguette Dini . - C'est la question que j'allais poser...

M. Guy Rouquet. - Un groupe parlementaire a, il y a trois ou quatre ans de cela, demandé que l'on revoie ce délai de prescription, un peu comme pour les délits de pédophilie. Je pense qu'il conviendrait de le porter à dix ans.

On dit souvent que la personne qui réussit à se détacher d'un mouvement à caractère sectaire doit se reconstruire. Je n'aime pas ce terme. On ne se reconstruit pas : on essaie de continuer à vivre, tant bien que mal - mais le passé est toujours là.

Je suis souvent sollicité par des journalistes de la presse écrite, télévisée ou audiovisuelle qui me demandent de les mettre en relation avec des victimes. Les victimes, comme l'a dit le Pr Parquet, vont revivre ce qu'elles ont connu. Cela va relancer la machine infernale et ces personnes risquent de tenter d'exister par ce biais.

Pascal Michelena a publié un ouvrage très précis et complet intitulé Les marchands d'âmes qui dénonce le mode opératoire des Béatitudes, près de Toulouse. Il a été demandé à cette famille de témoigner ; elle est aujourd'hui complètement détruite ! Les parents ont divorcé ou sont séparés et chacun vit dans son propre enfer. C'est ce qui rend les choses difficiles.

Il ne faut pas tenter de mettre la pression sur quelqu'un qui sort tout juste de cet enfer. Il faut lui laisser du temps. Les médias poussent bien entendu les victimes à témoigner, arguant du fait que cela servira à prévenir le public mais c'est un risque très important pour les intéressés. C'est pourquoi je fais très attention lorsque je conseille quelqu'un. Il m'est arrivé de le faire et cela s'est bien passé. J'avais mis le journaliste en garde auparavant et discuté avec la personne pour savoir si elle était d'accord pour témoigner et sous quelles conditions. C'est très délicat...

M. Alain Milon , président . - Je ne suis pas d'accord avec ce que vous avez dit à propos des ARS. Celles-ci n'ont pas à donner d'autorisation à qui que ce soit pour s'installer sur le territoire national ! Quand on est médecin, kinésithérapeute, infirmier, sage-femme, on fait partie d'un métier reconnu et on bénéficie de la liberté de s'installer où l'on veut. On doit simplement faire une déclaration à l'Ordre et aux différentes caisses pour que les patients puissent être remboursés.

Les autres métiers ne sont pas reconnus et s'installent sans le dire à personne. Pourquoi affirmez-vous que les ARS reconnaissent ces personnes ? Ils ne participent ni au contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (Cpom) ni au schéma régional de santé ! Je participe au schéma régional de santé de ma région en tant que président de fédération. Je n'ai jamais vu ces oiseaux-là à côté de moi ! Si tel avait été le cas, je serais parti.

M. Guy Rouquet . - Certaines ARS sont très rigoureuses. Peut-être ont-elles été informées par des personnes très attentives à la réglementation du titre de psychothérapeute mais je pourrais vous fournir des documents à propos de certaines ARS qui ont validé des personnes faisant intervenir la clause du « grand-père » pour être agréées par les ARS.

Des psychothérapeutes le font d'ailleurs figurer noir sur blanc ! Je pourrais vous envoyer des documents...

M. Alain Milon , président . - Je ne vois pas comment ils peuvent être agréés par une ARS !

M. Guy Rouquet . - Les documents existent et certaines personnes s'en prévalent !

M. Alain Milon , président . - Il est possible que certains s'en prévalent mais ils n'ont pas à être agréés par l'ARS !

Certaines médecines peuvent s'introduire dans les hôpitaux avec l'aval de quelques personnes. Nous vérifierons...

M. Guy Rouquet . - Je pourrais vous faire parvenir un document très clair à ce sujet. On peut y lire : « Psychothérapeute titulaire du certificat européen de psychothérapie, agréé par l'ARS ».

Mme Muguette Dini . - Peut-être cette personne le mentionne-t-elle sans avoir jamais reçu d'agrément ! On peut toujours affirmer ce que l'on veut si on n'est pas démenti. C'est ce qu'il nous faut vérifier.

Audition de MM. Jean-Paul DAVID, président, Jean-François DUMAS, vice-président, et Mme Pascale MATHIEU, secrétaire générale du Conseil national de l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes (mercredi 21 novembre 2012)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous poursuivons les auditions des ordres professionnels avec l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

J'en viens à notre réunion.

Je précise à l'attention de MM. Jean-Paul David et Jean-François Dumas, président et vice-président de l'Ordre des masseurs kinésithérapeutes, ainsi qu'à l'attention de Mme Pascale Mathieu, secrétaire générale, que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base d'une initiative de notre collègue Jacques Mézard, président du groupe RDSE. M. Mézard a donc tout naturellement été chargé du rapport de cette commission qui sera remis début avril 2013. Il ne peut malheureusement pas assister à notre réunion d'aujourd'hui et vous prie de l'en excuser.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à MM. Jean-Paul David et Jean-François Dumas ainsi qu'à Mme Pascale Mathieu de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Messieurs Jean-Paul David, Jean-François Dumas et madame Pascale Mathieu, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les trois personnes se lèvent et prêtent serment.

M. Alain Milon , président . - Mme Dini a quelques questions à vous poser.

Mme Muguette Dini . - Quelles pratiques non conventionnelles exercées par des professionnels affiliés à votre Ordre sont susceptibles de conduire à des dérives sectaires ? Ces dérives, s'il y en a eu, ont-elles donné lieu à des sanctions ?

Etes-vous favorable à une interdiction de pratiques non conventionnelles à la fois non éprouvées et constitutives de dérives sectaires ?

M. Jean-Paul David . - Voici la liste d'un certain nombre de pratiques non conventionnelles qui ne sont pas enseignées dans les écoles de kinésithérapeutes mais qui sont proposées aux kinésithérapeutes diplômés et même parfois à des personnes qui ne le sont pas : fasciathérapie, microkinésithérapie, biokinergie, kinésiologie, certaines pratiques d'ostéopathie, certaines formes de massage et un certain nombre de dérives thérapeutiques pédiatriques. Le reiki figure quant à lui dans le massage, même s'il ne comporte aucun contact manuel direct.

M. Jean-François Dumas . - Pour l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes, ces dérives thérapeutiques ne sont en effet pas conformes à un code de déontologie qui impose depuis déjà longtemps aux professionnels de santé d'agir selon les données acquises de la science médicale et selon les règles de l'art.

L'Ordre des kinésithérapeutes est un ordre jeune, créé en 2006. Ceci a nécessité quelques années de mise en place, le rôle principal de l'ordre étant la gestion du tableau. Une fois cette première étape franchie, nous avons pu nous intéresser à l'application de la déontologie, notamment à travers le respect des règles de bonnes pratiques.

Pour la première année, le Conseil national a pris un avis en matière de fasciathérapie. Il figure très clairement dans le rapport : la fasciathérapie n'est pas une technique reconnue ni une méthode de soins conventionnels. Elle constitue pour nous - sans que ce soit d'ailleurs écrit dans cet avis - une dérive thérapeutique ; or ces dérives font le lit des dérives sectaires !

Le premier moyen dont nous disposons pour lutter contre ces dérives est d'émettre des avis, qui constituent une forme de doctrine déontologique, sous l'autorité du Conseil national. Il convient maintenant que les conseils départementaux, qui nous font remonter un grand nombre de dérives, engagent les poursuites, notamment devant les chambres disciplinaires.

A ce jour, aucune décision n'a été prise en matière de dérives sectaires. Une seule concernant une dérive thérapeutique l'a été, dans le cadre bien précis de la prise en charge des suites d'une prostatectomie qui consiste à rééduquer une vessie ou un sphincter. Il s'agit de techniques validées, scientifiques. La professionnelle ayant pris en charge cette rééducation a recouru à des méthodes psychosomatiques qui n'ont pour nous aucun intérêt - et qui ne sont pas conformes aux données actuelles de la science.

Mme Muguette Dini . - Avez-vous des suggestions pour empêcher que des pratiques aussi peu éprouvées que celle des biomagnétiseurs recrutent des patients et de futurs praticiens qui sont prêts à payer très cher des stages de formation ? Comment mieux informer les personnes, notamment sur Internet ?

M. Jean-François Dumas. - Il est vrai qu'il existe de nombreuses offres en matière de formation continue. Il faut souligner par ailleurs que les kinésithérapeutes interviennent beaucoup dans des domaines où la médecine est quasiment impuissante. Beaucoup de patients sont atteints de pathologies dégénératives, neurologiques ou neuroblastiques, de cancers. Le professionnel peut très souvent se sentir démuni. Il a un contact très proche, très particulier, avec son patient, reste longtemps avec lui - une demi-heure - et un contact cutané très prolongé s'établit. La barrière de l'intime est franchie. Cela permet une mise en confiance très importante du patient, qui voit le professionnel comme celui qui détient le savoir et éventuellement la solution à ses maux.

Le professionnel, parfois démuni, comme peuvent l'être tous les professionnels de santé face à certaines pathologies, peut être tenté, par naïveté ou curiosité, de s'orienter vers des techniques non éprouvées. C'est le problème que l'on a avec la formation continue où un certain nombre de techniques extrêmement contestables sont néanmoins proposées. Dans ce domaine, il n'y a aucun contrôle. L'Ordre n'en a pas le pouvoir et il n'y a aucune forme d'examen qualitatif vis-à-vis des données actuelles de la science.

Très souvent, les formations, pour être validées, doivent apporter la preuve qu'elles correspondent au décret d'acte mais on ne demande en aucun cas que la technique ait été validée scientifiquement. Il suffirait que ceci entre dans le décret d'acte pour que la formation soit reconnue comme formation professionnelle alors que l'Ordre estime qu'il faudrait au minimum que les techniques soient validées par un organisme indépendant. Or, ce n'est le rôle ni de l'Ordre ni d'aucun organisme.

La première solution serait d'encadrer, de contrôler et d'imposer une sorte de label de qualité aux formations destinées aux professionnels de santé que sont les masseurs-kinésithérapeutes. En matière de formation initiale, il conviendrait de renforcer l'information des élèves sur le raisonnement scientifique et l'esprit critique, de manière qu'ils ne se fassent pas duper par des propositions souvent fort bien faites, qui recourent à de très belles plaquettes et à des sites Internet fort bien faits, qui confondent souvent témoignages de patients et preuves scientifiques...

Mme Pascale Mathieu . - J'assistais cet après-midi à la mise en place de l'Organisme gestionnaire du développement professionnel continu (OGDPC). La formation continue conventionnelle était jusqu'à présent cofinancée par l'assurance maladie jusqu'à ce que ce nouvel organisme apparaisse. Désormais, les organismes de formation seront accrédités mais non le contenu des formations.

Certains organismes ont « pignon sur rue » et proposent 80 % de formations classiques, avec des techniques validées et reconnues mais également avec d'autres formations plus que contestables ! Or, je ne pense pas que ces organismes pourront résoudre ce problème, faute d'un véritable contrôle qualité, notamment en matière de données actuelles et avérées de la science.

M. Alain Milon , président . - Estimez-vous nécessaire que la commission d'enquête fasse des propositions en matière de contrôle du contenu de la formation continue ?

Mme Pascale Mathieu . - Cela nous paraît fondamental ! La formation qui figure dans notre décret d'acte ne pose pas de problème mais même certaines techniques dérivant du massage peuvent conduire à des dérives thérapeutiques, voire à des dérives sectaires. Il faut donc impérativement contrôler la formation continue des kinésithérapeutes, qui sont particulièrement exposés.

M. Alain Milon , président . - Nous le ferons donc figurer dans notre rapport.

Mme Pascale Mathieu . - Certains patients atteints de sclérose en plaque ou de maladies évolutives neurologiques sont tentés par des techniques qui peuvent les amener à arrêter les soins conventionnels.

Mme Muguette Dini . - Des professionnels font-ils remonter à l'Ordre la connaissance de pratiques thérapeutiques alternatives ? Ces signalements ont-ils des caractéristiques géographiques ou sociologiques ? Comment évoluent-ils ?

L'interdiction d'exercer vous semble-t-elle une sanction normale à l'encontre d'un membre de l'Ordre dont le comportement s'apparente à une déviance sectaire ?

M. Jean-Paul David . - Il existe cent conseils départementaux. Le maillage du territoire est donc complet. Les remontées parviennent au service juridique mais peuvent également faire l'objet de signalements auprès de l'Ordre.

Il existe un système départemental de médiation. La délivrance de l'information est un point très important que les kinésithérapeutes ne respectent pas toujours. Si la simple médiation ne suffit pas, une conciliation départementale entend les parties. Si cette conciliation ne peut aboutir, il est possible de déposer plainte devant la chambre disciplinaire régionale.

Tout ceci est prévu dans le code de la santé publique mais les signalements directs au Conseil national nous obligent à consulter notre service juridique ou à faire appel à des experts afin d'essayer de détecter s'il s'agit ou non d'une dérive thérapeutique, susceptible d'être sujette à une dérive sectaire.

Mme Pascale Mathieu . - Le conseil départemental, même en cas de conciliation entre les deux parties, peut saisir la chambre disciplinaire s'il suspecte une dérive thérapeutique contraire au code de déontologie. Ce dernier précise en effet qu'on ne peut utiliser de techniques non conformes aux données acquises de la science.

Malheureusement, cette possibilité n'est pas encore suffisamment exploitée à notre sens. Nous n'avons pas encore eu le temps d'y travailler mais c'est une de nos préoccupations, et nous avons décidé d'orienter et de former nos conseillers départementaux afin de les sensibiliser à ce problème.

M. Jean-François Dumas . - L'interdiction d'exercer est difficile à obtenir. La gamme des sanctions va de l'avertissement, en passant par le blâme, l'interdiction d'exercer temporaire avec ou sans sursis, jusqu'à la radiation du tableau.

Je suis président du conseil départemental de l'Eure. Dans ce département, une patiente, qui avait noué une relation intime avec sa kinésithérapeute, également fasciathérapeute, a porté l'affaire devant la chambre disciplinaire. La praticienne a été sanctionnée par un avertissement. Il est très difficile d'obtenir une radiation. Cette personne n'a jamais utilisé de plaque mentionnant sa profession de masseur-kinésithérapeute. Elle n'est en effet pas conventionnée et ses patients ne sont donc pas remboursés. Elle ne se situe pas dans le même système que les praticiens conventionnels, kinésithérapeutes ou médecins. Si cette professionnelle avait été radiée du tableau, elle aurait continué son activité avec une plaque de fasciathérapeute.

Nous avons un réel pouvoir disciplinaire sur les professionnels mais rien ne les empêche d'exercer une fois radiés. Il existe ainsi, dans l'Ain, un cas similaire dans une affaire à caractère sexuel : le professionnel a été radié mais continue de pratiquer en réflexologie plantaire...

Mme Muguette Dini . - Un masseur-kinésithérapeute diplômé d'Etat peut donc exercer sous une autre spécialité, comme les kinésithérapeutes-ostéopathes. N'y a-t-il pas là un risque de déviance des pratiques et de déviance sectaire ?

M. Jean-Paul David . - C'est un problème qui ne touche pas seulement les kinésithérapeutes. Récemment, dans l'Ain, département proche du mien, nous avons radié un kinésithérapeute objet d'un certain nombre de plaintes pénales. Il s'est alors installé comme naturopathe. Le procureur nous a demandé de nous porter partie civile mais nos juristes ont estimé que nous ne pouvions exercer de contrôle sur cette personne, celle-ci ne causant pas de tort aux kinésithérapeutes !

L'Ordre a une autorité disciplinaire sur les kinésithérapeutes mais le cas que vous soulevez est très rare. En principe, la personne qui a la chance d'obtenir son diplôme de kinésithérapeute le demeure en effet, notre pays manquant de professionnels. Il en vient environ 2 500 par an de toute l'Europe et ils ont tous du travail !

L'ancien kinésithérapeute qui a été radié et n'exerce plus est bien plus en danger face aux dérives sectaires, n'étant plus dans un système organisé, ni réglementé.

M. Alain Milon , président . - Il existe un certain nombre d'attaques contre les ordres. La mise en place du vôtre permet-elle ou non de lutter efficacement contre les dérives sectaires en matière de santé ?

M. Jean-Paul David . - J'en suis convaincu ! Nous avons organisé le 8 septembre, ici même, au Sénat, à l'occasion de la journée mondiale de la kinésithérapie, un colloque qui a réuni des professionnels et beaucoup de physiothérapeutes d'Europe et d'Amérique du Nord. Le thème en était la qualité des soins et la sécurité des patients. M. Serge Blisko, nouveau président de la Miviludes, est intervenu à cette occasion pour préciser que 25 % des signalements que reçoit la Miviludes concernent des actes de santé !

Je le répète, le contact que nous avons avec des malades souvent atteints de maladies graves - et c'est vrai quels que soient les praticiens et les spécialités - présente un risque de dérive sectaire. Je crois cependant que, sept ans après la mise en place de notre Ordre, on revient peu à peu à la raison...

M. Alain Milon , président. - Je l'espère pour vous. Pour les infirmiers, ce n'est pas encore le cas...

Mme Hélène Lipietz . - Comment parvient-on à une dérive sectaire ? Est-ce le fait de la pratique ou du lien entre le soignant et le malade ?

M. Jean-François Dumas. - J'insiste sur le fait que le kinésithérapeute a un contact manuel avec le patient. Cela figure dans le décret d'acte. Notre rôle est d'exercer le massage et la gymnastique médicale. Le massage passe par les mains. Cela a l'air simpliste mais il est important de le répéter. On franchit là une certaine intimité, ne serait-ce que par le contact cutané. Le professionnel intervient durant un temps prolongé ; les séances sont répétées plusieurs fois par semaine. Les soins concernant des pathologies dégénératives durent souvent des années. Cela établit une certaine proximité, un certain rapport, une confiance importante entre le patient et le praticien qui est perçu comme l'expert en santé mais qui ne sait pas guérir.

Le professionnel peut être incité par le malade ou par la famille de celui-ci : l'un de mes patients, traité pour une sclérose en plaque, m'a un jour interrogé sur l'efficacité du traitement à base de venin d'abeille. On peut évoquer également le lait de jument, l'urinothérapie... Sans une formation très solide qui lui permet de raisonner systématiquement de manière scientifique, d'être animé d'un esprit critique, le professionnel peut facilement dériver. Je pense que notre profession est plus exposée que les autres. Il est extrêmement difficile de résister à la pression des patients. Les soignants les plus fragiles peuvent se laisser aller à certaines dérives, par naïveté ou faiblesse...

Mme Pascale Mathieu . - Lors du colloque du 8 septembre, nous avons évoqué la fasciathérapie ; nous avons eu un esclandre dans la salle de la part d'un fasciathérapeute-kinésithérapeute qui avait réussi à prendre la place d'un invité.

Nous recevons également des lettres de pression et des menaces, et sommes sollicités par des organismes qui nous demandent de reconnaître leur formation. Certains mails sont menaçants. Il y a peu de temps, nous en avons reçu un nous disant que si nous ne reconnaissions pas cette technique alors que nous en reconnaissions d'autres, nous serions dénoncés au ministre de la santé, des liens d'intérêts des membres du Conseil national de l'Ordre existant nécessairement. Nous y avons répondu la semaine dernière...

Nous avons récemment décidé, ainsi que nous le permet notre code de déontologie, d'autoriser ce qui peut ou non figurer sur les plaques. Nous avons décidé que ne devrait s'y trouver que ce qui est prévu par le décret d'acte exclusivement. Cela va nous permettre de sanctionner disciplinairement tous ceux qui ne le respectent pas, comme les tenants de la microkinésithérapie, de la kinésiologie, de la fasciathérapie ou de la bioénergie, ainsi que nombre de dérives - tui na, reiki. Nous aurons aussi la possibilité de nous autosaisir et, pour ce faire, nous allons former nos conseilleurs ordinaux.

M. Jean-François Dumas . - L'Ordre est considéré par ces organismes de formation continue comme une autorité. Ils souhaitent obtenir de nous un avis qui viendrait labelliser leur formation. Cela démontre bien que l'Ordre a un rôle majeur à jouer vis-à-vis des professionnels.

M. Alain Milon , président . - Il y a sur Internet beaucoup d'offres de démonstrations gratuites de kinésiologie, de biomagnétisme, etc., ce qui pose un problème. Monsieur le président, avez-vous essayé ces soins pour confondre les auteurs de ces propositions ?

M. Jean-Paul David . - Non, bien entendu mais nous sommes au courant et attendons les plaintes et les signalements pour réagir. Le support Internet est un support de communication comme les autres. Nous sommes donc fondés à agir contre des informations qui déshonoreraient la profession. C'est aussi notre rôle...

Mme Pascale Mathieu . - J'ai moi-même été confrontée à plusieurs reprises à l'arrêt de soins dans le domaine de la rééducation d'enfants handicapés. Certains ostéopathes non professionnels de santé demandent l'arrêt des techniques conventionnelles dans des prises en charge de pieds-bots, dont le protocole est très codifié et connaît de très bons résultats. Un chirurgien orthopédique de Strasbourg a été amené à effectuer des signalements à l'encontre d'un de ces praticiens...

L'ostéopathie peut également être le lit de dérives dans des problèmes de mauvaise position de la tête. Ce sont des choses que je vois deux à trois fois par mois chez les bébés. La méthode Doman - ou patterning - s'adresse aux infirmes moteurs cérébraux. Ce cas a été rendu célèbre par Jean-Pierre Papin, qui avait utilisé cette technique pour sa fille handicapée. Un praticien de Toulouse prenait ces enfants en charge grâce à cette technique très coûteuse pour les parents. La pédiatre avec qui je travaille avait fait un signalement : on met la tête de l'enfant dans une poche en plastique ; lorsqu'on la lui retire et qu'il peut à nouveau respirer librement, l'oxygène est censé aller préférentiellement à son cerveau. En fait, on l'asphyxie ! Ce domaine de soins est pour moi très préoccupant...

Nous avons par ailleurs une proposition à vous faire. Nous avons le monopole du massage, réaffirmé par la Cour de cassation en 2007. Or, beaucoup de dérives sectaires de non-kinésithérapeutes se font par le biais de massages. Nous avons là la possibilité de poursuivre pour exercice illégal de pseudo-thérapeutes qui ne sont pas kinésithérapeutes. Malheureusement, nous sommes peu suivis par les juges, qui connaissent mal le monopole et qui établissent une distinction entre le massage thérapeutique et le massage non thérapeutique.

C'est pourtant une possibilité intéressante qu'utilise la police judiciaire lorsqu'elle veut poursuivre des salons de massage pour proxénétisme. Ils s'adressent souvent au Conseil de l'Ordre, qui porte plainte pour exercice illégal ; cela leur ouvre une porte assez intéressante pour sanctionner la prostitution.

Nous pensons qu'il y aurait possibilité de poursuivre certaines dérives liées au massage par le biais de l'exercice illégal de la kinésithérapie, à condition que les juges, informés de ce monopole, soient conscients de son utilité et nomment éventuellement des experts kinésithérapeutes...

M. Alain Milon , président . - Comment des juges peuvent-ils ignorer la jurisprudence de la Cour de cassation ?

M. Jean-François Dumas . - Ils rendent en fait un avis sur une question d'ordre purement technique et non un avis de droit, considérant que les techniques litigieuses, pourtant dénommées par les praticiens illégaux « techniques de massage », ne sont pas à proprement parler des massages au sens de l'article 3 du décret d'acte des masseurs-kinésithérapeutes. C'est donc bien un problème d'expertise !

Les praticiens illégaux sont défendus par des avocats de grande renommée, comme Me Robard, qui arrivent à convaincre le juge que la technique de massage n'est pas à proprement parler le massage du décret d'acte et ne tombe donc pas sous le coup du monopole ! Nous pensons donc que la solution réside dans l'expertise de kinésithérapeutes.

Audition de M. Jean-Luc HAROUSSEAU, président de la Haute Autorité de santé (mardi 27 novembre 2012)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous commençons aujourd'hui, avec l'audition de M. Jean-Luc Harousseau, président depuis 2011 du Collège de la Haute Autorité de santé (HAS), une série d'auditions des responsables des grandes institutions et administrations compétentes en matière de santé.

Je rappelle que la Haute Autorité de santé, définie par la loi comme une autorité publique indépendante à caractère scientifique, a entre autres missions :

- l'évaluation du service attendu des produits, actes ou prestations de santé ;

- la détermination des procédures d'évaluation des pratiques professionnelles ;

- et la définition des modalités d'accréditation des professionnels.

Nous sommes donc, Monsieur le président, mes chers collègues, au coeur de notre sujet !

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport ; son enregistrement vidéo sera diffusé sur le site du Sénat.

J'en viens à notre réunion.

Je rappelle à l'attention de M. Jean-Luc Harousseau que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base d'une initiative de notre collègue Jacques Mézard, président du groupe RDSE. M. Mézard a donc tout naturellement été chargé du rapport de cette commission qui sera remis début avril 2013.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Jean-Luc Harousseau de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Jean-Luc Harousseau, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Jean-Luc Harousseau. - Je le jure.

M. Alain Milon , président. - Monsieur Jean-Luc Harousseau, après votre exposé introductif, M. Mézard, rapporteur, ainsi que les autres membres de la commission, vous poseront quelques questions.

Monsieur le président, vous avez la parole.

M. Jean-Luc Harousseau, président de la Haute Autorité de santé. - Monsieur le Président, je vous remercie de votre introduction, qui a permis de rappeler à la fois le statut de la HAS et ses missions.

Je pense très important, en introduction, de vous dire comment le statut de la HAS limite la contribution que je vais être amené à faire...

Lorsque j'ai appris que vous souhaitiez m'entendre, je me suis en effet demandé si ce n'était pas le médecin cancérologue que vous vouliez auditionner et encore plus le médecin nantais, président fondateur de l'Institut de cancérologie de l'Ouest, puisqu'il ne vous a pas échappé que, dans le dernier numéro de « Sciences et Avenir » , cet Institut, que j'ai contribué à créer et qui est né de la fusion des deux centres anticancéreux de Nantes et d'Angers, a été mis en cause dans des pratiques favorisant l'introduction des dérives sectaires à l'hôpital.

M. Alain Milon , président. - Nous allons certainement auditionner l'oncologue et l'hôpital d'Angers à ce sujet...

M. Jean-Luc Harousseau. - Je n'interviens pas sur ce sujet mais j'ai pensé que vous vouliez sûrement recueillir l'avis d'un spécialiste. Il est vrai que, dans mon exercice passé, j'ai dû être confronté à des dérives sectaires sans trop le savoir, ayant assez souvent été face à des patients ou à leur famille demandant qu'on les soustraie aux traitements ou réclamant la possibilité de recourir à des traitements différents.

A l'époque, on appelait cela les « médecines parallèles ». On ne suspectait pas qu'il puisse y avoir des sectes derrière mais, en lisant le rapport de la Miviludes sur les dérives sectaires, je me suis en effet rendu compte qu'il s'agissait là de points d'entrée possible.

J'ai bien compris que c'est le président de la HAS que vous souhaitez entendre. Je voudrais m'appuyer sur son statut de haute autorité publique indépendante mais surtout à caractère scientifique.

Dans le terme « Haute Autorité », il y a le mot autorité ; il s'agit d'une autorité publique qui, par définition, a une mission d'aide à la décision. Nous n'avons pas de pouvoir de sanction ni même de mission normative mais simplement une mission d'aide à la décision. Nous essayons donc, d'une part, d'établir l'état de l'art, d'autre part, de promouvoir la qualité des soins et la sécurité des patients dans tous les champs d'action de la santé, en nous appuyant sur les données de la science.

J'insiste sur le fait qu'il s'agit d'une autorité à caractère scientifique. La HAS est née d'une démarche qu'on nomme en anglais « Evidence-based medicine » (EBM), fondée sur la médecine par les preuves. Toutes nos actions s'appuient sur l'état de la littérature nationale et internationale, sur les données scientifiques telles qu'elles ressortent des sociétés savantes ou des expériences des uns et des autres. Dans les domaines où nous ne disposons pas de cet appui scientifique, nous essayons d'avoir des avis se rapprochant le plus possible de la science, selon les techniques de consensus formalisé, en écoutant l'ensemble des parties prenantes.

Nous avons réfléchi à un certain nombre de domaines qui ne relèvent pas de la médecine traditionnelle mais mon devoir est de vous dire que nous nous intéressons essentiellement à des problématiques scientifiques où il existe une certaine transparence, voire un désir de se soumettre à l'évaluation. Or, le domaine des dérives sectaires, non scientifique et caché par définition, échappe en grande partie à notre action.

Ceci étant dit, je voudrais revenir sur les différentes missions que vous avez rappelées et voir en quoi nous avons pu ou en quoi nous pourrions intervenir dans la détection de dérives sectaires et dans la prévention de celles-ci.

Encore une fois, il ne peut s'agir que de recommandations, de conseils, d'évaluations et en aucun cas de sanctions, n'ayant pas de pouvoirs de discipline. Nous sommes en ce sens différents des conseils de l'Ordre médicaux ou paramédicaux, qui ont une compétence disciplinaire. Nous différons également des directions des ministères qui détiennent des pouvoirs de police ou d'autres institutions sanitaires qui interviennent sur des sujets proches, comme l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui détient un pouvoir de police et peut accepter ou interdire des médicaments.

Vous avez rappelé que la première de nos missions consiste à évaluer des produits de santé - médicaments, dispositifs médicaux et actes médicaux. Notre objectif est d'évaluer ces produits de santé au regard des thérapeutiques connaissances existant pour savoir quel est leur intérêt et pour savoir s'ils justifient leur remboursement par la collectivité. Enfin, il nous revient d'émettre un avis, lorsque c'est nécessaire, concernant le prix qui sera remboursé.

Cette action limite évidemment nos possibilités dans le domaine des dérives sectaires, beaucoup de pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique n'étant pas évaluées. Ceux qui les utilisent ne le souhaitent d'ailleurs pas. C'est là la difficulté. On peut considérer que c'est plutôt au sein de ces pratiques que les dérives sectaires pourraient s'exercer - encore que l'exemple que je prenais en introduction montre qu'on peut infiltrer le champ de la médecine conventionnelle en profitant de la détresse des patients.

J'ai compris que la Miviludes avait axé son propos sur des populations particulièrement fragiles, comme les patients atteints de cancer ou de maladie psychiatrique mais elle a également insisté sur ceux ayant recours à des thérapeutiques alternatives. On peut donc considérer que certaines peuvent faire le lit de dérives sectaires.

Certaines pratiques non conventionnelles se sont beaucoup développées et souhaitent être évaluées. Elles sont pratiquées par de nombreux médecins à exercice particulier (MEP). 11 000 d'entre eux au moins sont, soit pour la totalité de leur activité, soit pour une partie, centrés sur des pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique. Beaucoup ne peuvent, nous semble-t-il, être accusés de dérives sectaires. Elles sont fondées sur des principes qui ne sont pas ceux de la médecine occidentale mais qui sont néanmoins évalués scientifiquement. C'est le cas, par exemple, de l'acupuncture, de l'homéopathie ou de la mésothérapie.

Un certain nombre d'approches thérapeutiques très largement utilisées font l'objet d'une formation officielle. Ces pratiques peuvent être et sont d'ailleurs évaluées. Nous les avons nous-mêmes étudiées, même si nous sommes comme souvent confrontés à la difficulté de l'évaluation scientifique et de la médecine par les preuves : ces approches thérapeutiques ne peuvent pas être validées avec le même degré de rigueur scientifique que les approches plus traditionnelles. C'est donc pour une partie limitée des pratiques non conventionnelles que se pose principalement le problème.

On ne nous a pas demandé d'évaluer ces pratiques non conventionnelles peu répandues, presque cachées, et l'on peut penser que ceux qui les pratiquent ne le souhaitent pas.

Notre problème principal pour l'évaluation des pratiques non conventionnelles réside donc dans le fait de les appréhender. Quelles sont celles qu'il faut évaluer ? Il y en a beaucoup. Lesquelles sélectionner ? Comment faire pour les évaluer puisque, par définition, nous ne disposons pas de données scientifiques ?

Je souhaiterais développer un point concernant ces pratiques : parmi nos missions figure celle d'évaluer des actes à visée d'inscription à la nomenclature. C'est soit l'assurance maladie qui nous le demande, soit les sociétés savantes, voire des associations de patients. Il y a peut-être là une porte d'entrée si l'on considère que les demandeurs souhaitent une inscription à la nomenclature.

Je pense personnellement que des dérives de type sectaire ne feront pas l'objet de demandes d'inscription à la nomenclature et resteront le plus possible cachées. Néanmoins, je souhaite attirer votre attention sur le fait que certaines demandes proviennent d'horizons assez variés : associations agréées, sociétés savantes ayant « pignon sur rue ». Cependant, il me semble que la législation sur les sociétés savantes est très énigmatique. Certaines n'ont de savantes que le nom. Peut-être y a-t-il là un moyen d'introduction mais à partir du moment où une évaluation à visée d'inscription à la nomenclature nous est demandée, on ne peut a priori suspecter une dérive sectaire.

Restent les demandes provenant de la Direction générale de la santé (DGS) pour les techniques non conventionnelles dont on nous demande d'évaluer la dangerosité, comme les techniques à visée esthétique - dont je ne prétends pas bien entendu qu'on puisse les suspecter de dérives sectaires. La difficulté est évidemment la dispersion des moyens et des acteurs, l'absence de contrôle sur les diplômes et les formations et l'absence de données scientifiques.

Je suis au regret de dire que nous n'avons pas d'idée de ce que sont ces pratiques non conventionnelles cachées. A vrai dire, nous ne savons pas très bien comment les évaluer. Nous avons certes une possibilité d'autosaisine et il existe, dans le rapport de la Miviludes, toute une série de techniques que nous pourrions considérer comme potentiellement sectaires mais pourquoi celles-là plutôt que d'autres ? Tel est notre problème...

Le second point de notre action porte sur l'amélioration de la qualité des soins et la sécurité des patients. Il s'agit pour nous d'un point essentiel qui se décline en différentes actions. La première d'entre elles est la certification des établissements de santé. Bien évidemment, cette certification ne s'est pas attaquée spécifiquement au problème des dérives sectaires potentielles à l'hôpital. Néanmoins, en réfléchissant au sujet, nous avons considéré qu'il y a au moins un critère de l'actuelle certification qui pourrait rendre service dans la détection du risque de dérives sectaires.

Je répète qu'il existe des populations à plus hauts risques que d'autres. Les établissements qui prennent en charge une majorité de patients cancéreux ou de maladies psychiatriques doivent être particulièrement sensibilisés mais même des établissements généraux de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) peuvent faire l'objet de telles attaques.

Un critère de certification pourrait nous aider s'il était reformulé différemment. Il s'agit du critère 6 A du manuel de certification consacré à la sécurité des biens et des personnes destiné à prévoir, mettre en oeuvre et évaluer l'action afin de définir des situations mettant en jeu la sécurité des biens et des personnes. Ce critère pourrait être utile, notamment dans les hôpitaux à risques, les centres anticancéreux ou ceux ayant développé la prise en charge de patients cancéreux et les hôpitaux psychiatriques.

En second lieu, il me semble que ce sont les patients les plus fragiles qui sont les plus sensibles aux interventions extérieures pouvant entraîner à des dérives de type sectaire - personnes âgées ou personnes handicapées. Il se trouve que nous avons, depuis 2010 - en particulier dans la certification actuellement en cours - insisté sur la bientraitance. J'imagine que les mouvements sectaires peuvent profiter de personnes ayant eu une mauvaise expérience de l'hôpital où se considérant comme mal traitées à l'hôpital.

Nous venons ainsi, avec la Fédération des organismes régionaux et territoriaux pour l'amélioration des pratiques et l'organisation en santé (Forap), de réaliser un guide destiné à favoriser la bientraitance dans les établissements de santé. Celui-ci recense toute une série d'outils permettant aux professionnels de santé de s'auto-évaluer et d'analyser des cas permettant de déterminer des situations potentiellement à risques. C'est une piste indirecte qui pourrait peut-être permettre d'agir sur les populations à hauts risques.

Nous avons également, dans le cadre de l'amélioration de la qualité des soins et de la sécurité des patients, une action sur la certification des professionnels travaillant dans les spécialités à hauts risques. Elle ne me semble pas directement concernée par le sujet mais je souhaite vous en informer. Il s'agit en fait de chirurgiens, d'anesthésistes ou de médecins qui travaillent dans des spécialités présentant de hauts risques d'effets secondaires pour le patient et qui sont entrés dans une démarche d'accréditation en échange d'une aide financière de l'assurance maladie pour la prise en charge de leurs cotisations de responsabilité civile professionnelle. 10 000 médecins sont engagés actuellement dans cette démarche.

L'accréditation repose sur les deux piliers qui sont la formation continue et l'amélioration des pratiques professionnelles qui incitent les professionnels à déclarer des événements porteurs de risques.

Je pense que le développement professionnel continu (DPC) sera mis en place en 2013. Il s'agit d'une opération individuelle pour tous les professionnels de santé et d'une démarche assez proche de notre accréditation, qui associe la formation professionnelle d'un côté et l'amélioration des pratiques professionnelles de l'autre.

En matière de formation, la HAS n'a pas de mission spécifique. Elle a une compétence générale en matière de formation continue et nombre de ses actions visent à jouer un rôle en la matière mais, dans le cadre du DPC, elle ne définit pas les programmes, se contentant de donner le cadre et la méthodologie. Les programmes seront définis par les organismes de DPC.

De la même façon, l'amélioration des pratiques professionnelles - en particulier la déclaration d'événements porteurs de risques - sera définie par les professionnels suivant la méthodologie propre à la HAS.

On peut peut-être, spécialité par spécialité, métier par métier, orienter le programme de DPC pour qu'il puisse éventuellement contrôler les organismes de formation. L'un des problèmes des dérives sectaires réside dans la formation, sur laquelle nous n'avons aucun contrôle. Certes, il existe des limites, une formation non autorisée n'étant généralement pas déclarée mais il faut tenter de faire en sorte que les médecins susceptibles de s'engager dans des pratiques non conventionnelles et sujettes à dérives soient incités à une action positive en matière d'évaluation de leurs pratiques.

Le troisième et dernier point que je souhaitais aborder est un point très délicat, qui constitue probablement une porte d'entrée importante pour les sectes. Il s'agit du contrôle des sites Internet. Nous avons une mission officielle de certification des sites Internet que nous ne pouvons remplir nous-mêmes et que nous réalisons par l'intermédiaire de l'association suisse Health on the Net (HON). Nous avons ainsi certifié près de 1 000 sites de santé mais notre mission de certification ne nous plaît guère.

Nous ne pensons en effet pas le mener dans de bonnes conditions. Pourquoi ? Nous certifions essentiellement le contenant et vérifions que les sites ont un certain nombre de déclarations conformes à la déontologie et à la prévention des conflits d'intérêts. Ces critères sont plutôt organisationnels. Cependant, compte tenu de leur multitude, il nous est impossible de vérifier le contenu.

Partant de ce principe, il nous a semblé que notre mission de certification était imparfaite. Faute de personnel, nous ne sommes pas armés pour vérifier tous les sites qui constituent des appels aux dérives sectaires. En outre, nous ne possédons pas les compétences médicales multiples nécessaires à l'évaluation complète de ces sites, au point que nous n'allons sans doute pas prolonger notre contrat avec HON. Ils en sont bien évidemment très mécontents, car nous sommes l'un de leurs clients principaux.

Ce devoir nous ayant été confié par la loi, cela implique une modification de celle-ci ; nous suggérerons donc d'éduquer les internautes, qui se moquent bien du label HON. Nous voudrions essayer de communiquer des critères de qualité, donner des repères - qui existent d'ailleurs - en matière de qualité de sites de santé, mettre en place un référentiel d'évaluation et évaluer nous-mêmes un certain nombre de sites parmi lesquels ceux les plus consultés. Nous pourrions éventuellement étudier ceux qui vous paraîtraient particulièrement suspects. Nous ne souhaitons pas non plus être limités par le volontariat des sites, les plus suspects n'étant pas volontaires !

Nous ferons donc probablement une proposition de type législatif pour modifier cette mission et faire en sorte de mener une action non exhaustive mais opérationnelle dans ce que nous savons faire, c'est-à-dire évaluer.

Enfin, le chapitre des recommandations de bonnes pratiques est vaste et peine à être actualisé. Nous réfléchissons actuellement à d'autres modalités de rédaction. Ces recommandations sont parfois entièrement centrées sur des maladies ou des pratiques très conventionnelles. En règle générale, nos recommandations et nos guides ne mettent jamais en exergue des pratiques non conventionnelles mais davantage des pratiques non médicamenteuses.

Nous poussons ainsi fortement au respect des règles hygiéno-diététiques concernant les habitudes alimentaires - prise d'alcool, tabac - pour un certain nombre de pathologies mais ne recommandons jamais d'activités non conventionnelles - ou à titre exceptionnel, comme la sophrologie dans le cas du cancer - celles-ci ayant par ailleurs « pignon sur rue ».

Nous travaillons quelquefois sur des sujets plus sociétaux, transversaux et par définition moins scientifiques, pour lesquels les dérives sectaires peuvent être plus nombreuses.

Dans l'avenir, je pense que nous serons amenés à travailler de plus en plus sur ces sujets et pourquoi pas sur les risques de dérives. Nous ne nous sommes pas autosaisis de ce type de sujets. Nous avons à ce jour travaillé essentiellement sur commande, principalement pour des pathologies traditionnelles mais quelquefois aussi sur des sujets plus transversaux.

Je me demandais à ce sujet s'il ne serait pas possible de réfléchir, avec des acteurs qu'il conviendra de déterminer, à une recommandation destinée à alerter les médecins sur de possibles dérives sectaires provenant soit de leurs patients qui auraient été approchés, soit de tel ou tel professionnel de santé. C'est un sujet délicat qui ne doit pas faire l'objet de suspicions mal venues.

Voici donc les différents chapitres de nos actions sur lesquelles nous pourrions avoir une influence dans la lutte contre les dérives sectaires à l'hôpital et en ville. C'est un peu indirect mais cela provient de notre statut d'autorité publique dont la mission n'est pas de faire la police ni de sanctionner mais de donner des conseils scientifiques.

M. Alain Milon , président. - La parole est au rapporteur.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - C'est une approche un peu provocatrice mais, après vous avoir entendu, j'ai le sentiment que vous vous intéressez plutôt à ce qui ne pose pas problème...

M. Jean-Luc Harousseau. - Si vous considérez que s'intéresser au diabète, maladie des plus fréquentes, c'est s'intéresser à quelque chose qui ne pose pas de problèmes, je vous contredis tout de suite ! Malheureusement, cette pathologie pose énormément de problèmes, en particulier parce qu'elle est prise en charge par différents types de médecins, spécialistes d'un côté, généralistes de l'autre.

Autre exemple - qui fait malheureusement l'objet d'un grand nombre de reprises dans la presse : la maladie d'Alzheimer. Il s'agit d'une affection de plus en plus fréquente qui constitue un problème médical qui n'est pas simple !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous avez suffisamment l'habitude des assemblées pour m'avoir compris !

M. Jean-Luc Harousseau. - Je ne m'offusque pas de votre provocation.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Je ne m'offusque pas non plus de votre réponse, très politique !

Nous visons les dérives sectaires dans le domaine de la santé. En vous écoutant, j'ai le sentiment que vous ne considérez pas que ces dérives entraînent des conséquences graves pour la santé de nos concitoyens ! Or, vous êtes chargé de participer à la mise en oeuvre d'actions d'évaluation des pratiques professionnelles et nous savons tous que de nombreux praticiens sont considérés comme déviants.

Vous avez aussi le devoir de procéder à tout moment à l'évaluation du service attendu d'un produit, d'un acte, d'une prestation de santé ou du service qu'ils rendent. Ce sont des questions qui doivent vous préoccuper, ne serait-ce que par rapport à la définition initiale de votre mission !

Vous devez aussi participer au développement de l'évaluation de la qualité de la prise en charge sanitaire de la population par le système de santé, qui connaît quelques dérives entraînant des conséquences graves.

M. Jean-Luc Harousseau. - Nos missions correspondent bien à ce que vous dites mais je répète que notre évaluation est à visée de remboursement et de fixation du prix. Autrement dit, il faut que la personne qui pratique l'acte ait demandé l'inscription sur les listes.

Nous avons depuis peu, à l'initiative du Parlement, évalué la dangerosité de certains actes - même si cela ne relève pas forcément de notre domaine, la vigilance étant plutôt du domaine de l'ANSM.

Pour le reste, je reconnais que les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique, surtout lorsqu'elles entraînent une soustraction aux soins, peuvent générer une diminution de l'espérance de vie du patient. Encore faut-il en être informé, savoir ce qu'elles sont, où elles ont lieu et par qui elles sont réalisées ! C'est là un problème : nous avons un certain nombre de pratiques non conventionnelles qui ont « pignon sur rue », bénéficient d'un enseignement et d'une autorisation d'exercer. Tout le reste est caché et notre rôle est donc particulièrement difficile à l'égard de ces pratiques.

On évalue généralement l'intérêt thérapeutique d'une stratégie sur des données scientifiques. Beaucoup de celles qui sont répertoriées n'ont pas de substrat scientifique. Sciences et Avenir fait allusion à la fasciathérapie, qui repose paraît-il sur des bases scientifiques. Certaines études sérieuses ont toutefois montré qu'il n'en était rien ! Il faudrait pouvoir bénéficier d'études cliniques comparant la prise en charge de cette technique thérapeutique par rapport à des stratégies conventionnelles. Par définition, ces études n'existent pas. Comment évaluer une stratégie dont on ne sait pas qui la pratique ? Sur quel patient intervient-elle ? Quelles en sont les modalités ?

On se heurte à un problème d'individualisation de la cible et de modalités de l'évaluation. Nous ne nous intéressons en effet qu'aux choses que nous sommes capables d'évaluer selon les canons de la médecine liée aux preuves. Ces gens refusant cette démarche, nous sommes quelque peu gênés.

On ne peut suspecter la mésothérapie de dérives sectaires mais on nous a néanmoins demandé d'évaluer sa dangerosité. Pour ce faire, nous sommes obligés d'attendre les résultats d'une étude de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) pour avoir un substrat scientifique !

Je comprends parfaitement votre critique et je suis prêt à essayer d'avancer mais je ne vois pas comment « palper » la cible que vous nous demandez d'évaluer. C'est là notre difficulté.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous avez parlé de secret et du travail caché de ces pseudo-professionnels. Il suffit de lire une certaine presse ou d'aller sur Internet pour comprendre que beaucoup de choses ne sont ni secrètes, ni cachées et posent un véritable problème de santé.

Au fil de nos auditions, nous avons acquis la certitude qu'il serait intéressant d'avoir une véritable certification des sites dédiés à la santé et des logiciels d'aide à la prescription médicale, même si nos concitoyens en tirent les conclusions qu'ils souhaitent.

Vous affirmez que vous ne souhaitez plus intervenir dans ce domaine...

M. Jean-Luc Harousseau. - Différemment...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - On peut le comprendre car ce n'est pas une mince affaire. Comment pensez-vous pouvoir intervenir dans l'avenir ?

M. Jean-Luc Harousseau. - Avant de répondre à votre question sur les sites, je veux dire un mot sur l'évaluation des pratiques professionnelles.

Notre objectif est de pousser les professionnels à renforcer la qualité des soins et la sécurité des patients. Nous avons ainsi mis en oeuvre un certain nombre de mesures, notamment dans le domaine de la cancérologie, grâce à l'appui des plans cancer I et II.

Nous avons également mis en place des réunions de concertation pluridisciplinaires, dans lesquelles les décisions ne sont pas prises de façon isolée mais par un groupe de médecins. Les revues de morbi-mortalité visent par ailleurs à réunir l'ensemble d'une équipe autour d'une table pour que chaque membre évalue ses propres pratiques.

La difficulté vient du fait que nous ne sommes pas un organisme en charge de la police. Nous n'avons pas pour mission de dire si tel ou tel médecin travaille mal ni de lui interdire d'exercer.

Cependant, nous sommes ouverts à une réflexion sur un dispositif d'accréditation comparable à celui que nous avons mis en place pour les professionnels travaillant dans des spécialités à risques, si vous considérez que certains praticiens peuvent être à l'origine de dérives dangereuses pour la population. Mais il faut nous dire comment répertorier ces professionnels ? Il existe 11 000 médecins à exercice particulier. On ne peut pas tous les suspecter de pratiques déviantes car leurs résultats même s'ils pratiquent l'homéopathie ou l'acupuncture ne sont pas forcément plus mauvais que ceux des autres médecins.

Je comprends le principe mais nous avons une difficulté pour mettre en oeuvre cette évaluation et cibler chaque médecin. Si le développement professionnel continu est mis en place, on peut influer sur l'amélioration des pratiques professionnelles, médecin par médecin, infirmière par infirmière.

J'insiste sur le fait que notre démarche d'accréditation est volontaire. Même la base du DPC est déclarative et la certification est une auto-analyse : à la base, il faut accepter de se plier à l'évaluation.

Certes, les experts-visiteurs exercent des contrôles pour établir que l'auto-évaluation d'un établissement de santé est conforme à la réalité mais, actuellement, nous n'avons pas les moyens de vérifier l'ensemble des déclarations des médecins. Si je comprends le principe, en pratique, j'ai un peu de peine à voir comment la HAS pourrait le réaliser.

Pour ce qui concerne la certification des sites sur Internet, je n'ai pas dit que nous souhaitions nous en débarrasser mais que ce que nous faisons n'est pas satisfaisant. Les internautes s'en moquent et nous ne certifions pas le contenu. Nous voudrions donc améliorer les choses, sachant que la difficulté réside dans le très grand nombre de sites existants. Nous n'avons pas la possibilité matérielle de tous les vérifier. Peut-être pourrons-nous nous pencher sur certains sites plus suspects que d'autres et en vérifier le contenu mais nous voudrions surtout pouvoir alerter les internautes à propos de sites qui ne présentent pas tous les critères de sécurité, notamment scientifiques. Ces critères devraient nous permettre de le faire. Nous ne souhaitons donc pas être débarrassés de la certification des sites Internet mais réfléchir à une amélioration et à une version plus efficace !

Nous avons certifié treize logiciels d'aide à la prescription mais, là encore, les pratiques non conventionnelles ne figurent pas dans les logiciels.

Mme Catherine Génisson . - Vous avez rappelé que la fonction de la HAS est d'analyser les pratiques médicales en vue de leur remboursement par l'assurance maladie...

M. Jean-Luc Harousseau. - Il s'agit des produits de santé, des dispositifs médicaux et des actes.

Mme Catherine Génisson . - Il est très difficile d'adapter une méthodologie précise dans les domaines où les référentiels sont assez difficiles à trouver, comme la mésothérapie ou l'homéopathie. Ne faut-il pas avoir l'humilité de reconnaître qu'on ne peut aller jusqu'à l'évaluation mais se concentrer sur l'alerte ? Comment la formaliser ? Doit-on agir différemment suivant que l'on s'adresse à des professionnels ou à des patients ? Il me semble assez difficile de demander à la HAS ou à toute autre structure d'évaluer ce qui relève plus de l'inconnu.

On pourrait cependant être plus précis pour ce qui relève de l'évaluation des structures de formation continue, où l'on rencontre beaucoup de dérives sectaires. C'est un secteur qui n'est jamais réévalué...

M. Jean-Luc Harousseau. - Je n'ai pas dit que la mésothérapie ou l'homéopathie étaient l'objet de dérives sectaires ou comportaient une dangerosité particulière mais qu'on avait des difficultés à les évaluer par comparaison aux pratiques thérapeutiques conventionnelles, car on manque de littérature scientifique ou d'études cliniques pour conforter cette évaluation.

Vous avez par ailleurs insisté sur la notion d'alerte. Nous avons effectivement la possibilité de travailler sur des recommandations. Il nous est arrivé de le faire à propos de sujets comme les violences aux personnes et en particulier aux enfants, les agressions sexuelles, les bébés secoués ou autres drames de société à la limite des problèmes de santé. Nous avons établi des règles de conduite à tenir pour les médecins et pour l'entourage en cas de nécessité. On pourrait s'appuyer sur leur expérience et sur la liste des pratiques potentiellement dangereuses pour lancer des alertes en direction des professionnels, avec leur participation afin qu'ils s'approprient le sujet. Beaucoup de recommandations figurent déjà sur le site mais les médecins ne les regardent pas. Il faudra donc certainement réfléchir à une politique de communication.

L'autre problème est celui de l'information du grand public. C'est la mission de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes), qui aurait sûrement un rôle à jouer dans ce domaine concernant des risques particuliers et bien identifiés.

Le dernier point concerne la formation. Elle ne relève pas de notre responsabilité directe - même si nos recommandations font partie de la formation continue. Pourra-t-on débusquer les professionnels de santé qui ne déclarent pas une formation illicite ? Je n'en sais trop rien... En tout état de cause, lister les formations les plus suspectes est sûrement très important.

M. Yannick Vaugrenard . - Notre but est d'essayer d'éviter autant que faire se peut que certains utilisent sciemment la faiblesse d'un patient à un moment donné.

Vous nous avez dit que le rôle de la HAS était de promouvoir la qualité des soins et la sécurité des patients en s'appuyant sur des preuves. Or, nous nous rendons compte, audition après audition, qu'il existe parfois une difficulté à cerner les preuves.

Vous avez fait état de la difficulté d'évaluer les pratiques non conventionnelles ; toutefois, certains de ceux qui les utilisent acceptent de s'inscrire dans la nomenclature. Est-il possible d'avoir des évaluations systématiques de ceux qui ne s'inscrivent pas dans la nomenclature ? Est-ce techniquement compliqué ou financièrement impossible ?

Il vous est possible de vous auto-saisir dès lors que la sécurité des patients semble ne pas être assurée. Est-il possible de s'appuyer sur des preuves pour démontrer que tel ou tel praticien utilise la faiblesse des patients à des fins commerciales ?

En second lieu, vous avez affirmé que la législation sur les sociétés savantes était « énigmatique » et méritait d'être améliorée. Pouvez-vous être plus précis à ce sujet ?

M. Jean-Luc Harousseau. - Sur le dernier point, le statut juridique de ces sociétés est très variable. Il s'agit souvent d'associations relevant de la loi de 1901. N'importe qui peut créer une association et la baptiser « Société savante de médecine chamanique ».

M. Yannick Vaugrenard . - La HAS dispose-t-elle à cet égard de moyens d'action ? Dans le cas contraire, qui peut intervenir dans ce domaine ?

Mme Catherine Génisson . - Chacun est libre de créer une association !

M. Jean-Luc Harousseau. - Les associations sont agréées par l'Etat et non par la HAS !

Je me suis contenté de souligner une question. Je n'ai pas de réponse. Fort heureusement, beaucoup de sociétés savantes ne peuvent être suspectées. Peut-être faudrait-il revoir les critères destinés à permettre à une société de pouvoir porter ce nom.

En ce qui concerne la possibilité pour la HAS d'évaluer des pratiques non conventionnelles par auto-saisine, nous nous heurtons à deux types de difficultés. Je me suis longuement expliqué sur le fait de savoir comment évaluer une pratique dont on ne connaît pas les contours. A partir de quels paramètres l'évaluer puisqu'il n'existe, par définition, aucune étude ? La rumeur ne nous suffit pas : il nous faut des preuves scientifiques !

En 2012, nous avons lancé un appel d'offres pour l'inscription à la nomenclature d'actes ; sur cinquante-quatre demandes, nous en avons retenu trois, n'ayant pas les moyens d'en traiter davantage. Ce n'est pas dans les années à venir que nous disposerons de plus de moyens ; il va donc falloir établir des choix sur des critères scientifiques. Sur cinquante-quatre demandes, nous avons d'emblée éliminé trente dossiers qui ne nous paraissaient pas scientifiquement recevables. Or, vous nous demandez d'évaluer des pratiques non scientifiques alors que nous ne les retenons pas !

C'est ainsi que nous n'avons pas jusqu'à présent évalué l'ostéopathie, pourtant très largement répandue, car nous estimons ne pas avoir les moyens scientifiques de le faire. Comment faire, a fortiori , pour la « médecine » chamanique ?

Nous sommes prêts à répondre par saisine si la direction générale de la santé (DGS) s'inquiète du développement de telle ou telle prise en charge de la médecine de je ne sais quel pays, qui pourrait soustraire des malades à des soins efficaces ou entraîner des conséquences graves pour la santé. Mais sur quels critères fonder notre appréciation ?

Certains experts pourront estimer la pratique dangereuse ; sur notre avis, celle-ci serait interdite par la DGS, dont la décision sera attaquée en Conseil d'Etat, faute d'être fondée sur l'audition des bonnes personnes. C'est ce qui s'est passé à propos de la lipolyse, pour laquelle on a parlé de pratiques dangereuses lorsqu'elles sont invasives. Le recours devant le Conseil d'Etat a été immédiat et la décision de la DGS a été cassée car elle a été jugée fondée sur une information insuffisante.

On est ici dans l'attaque personnelle. Je suis toutefois prêt à y réfléchir mais les demandes de nature non scientifique ne passeront jamais devant des demandes de nature scientifique, sur lesquelles on a des chances de répondre convenablement.

Mme Catherine Génisson . - Même si cela ne relève pas de la HAS, ne pensez-vous pas que la chose est faisable ? N'est-on pas dans le subjectif absolu ?

M. Jean-Luc Harousseau. - Vous semblez déjà avoir une idée de certaines pratiques dont vous pensez a priori qu'elles sont dangereuses...

Mme Catherine Génisson . - Nous cherchons à être éclairés...

M. Jean-Luc Harousseau. - J'ai été cancérologue : on connaissait bien les charlatans les plus dangereux. Quand il s'agissait d'enfants, on a sollicité le juge pour enfants et, le plus souvent, on a perdu !

Certaines pratiques sont en effet dangereuses. J'appelais cela les médecines parallèles, les charlatans. Je ne savais pas à l'époque que cela pourrait relever de l'influence de sectes. Je pensais qu'il s'agissait de motivations plus bassement mercantiles.

Mme Catherine Génisson . - C'est toujours lié !

M. Jean-Luc Harousseau. - Il n'est pas de notre rôle de faire la police. Nous sommes là pour évaluer la dangerosité de telle ou telle technique mais ne nous demandez pas d'évaluer la dangerosité de toutes les dérives sectaires potentielles : nous ne saurons par quel bout le prendre !

Mme Catherine Génisson . - Quelqu'un peut-il savoir par quel bout le prendre ? La solution n'est-elle pas de rappeler le normatif avec force ?

M. Stéphane Mazars . - Il semblerait qu'il existe un certain décalage entre des pratiques totalement farfelues - pour certaines dangereuses pour la santé de nos concitoyens - et le fait que vous disposiez peu de moyens pour les évaluer.

Cependant, l'objet de la HAS est pourtant de « procéder à l'évaluation périodique du service attendu des produits, actes ou prestations de santé et du service qu'ils rendent, et contribuer par ses avis à l'élaboration des décisions relatives à l'inscription, au remboursement et à la prise en charge par l'assurance maladie des produits, actes ou prestations de santé ainsi qu'aux conditions particulières de prise en charge des soins dispensés aux personnes atteintes d'affections de longue durée ».

Certaines pratiques ne sont à l'évidence pas de bonnes pratiques médicales. Il est vrai que sur ce terrain, vous ne pouvez pas grand-chose...

M. Jean-Luc Harousseau. - Il y a là un malentendu : la loi nous demande d'évaluer le service médical rendu de produits, de dispositifs et d'actes médicaux pour en permettre le remboursement par la collectivité. C'est là l'objectif. Nous ne pouvons évaluer un acte qui ne souhaite pas être remboursé.

La loi Hôpital, santé, patient, territoires (HPST) de 2009 nous a confié la mission d'évaluer la dangerosité des actes à visée esthétique. On pourrait admettre que le Parlement nous saisisse, dans une nouvelle loi, de la dangerosité des pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique. Il sera difficile pour nous de rendre un avis pour les raisons que j'ai essayé de développer : que va-t-on évaluer et à partir de quoi ? La démarche a été difficile pour ce qui est des actes à visée esthétique. La décision concernant la lipolyse ayant été cassée par le Conseil d'Etat, nous avons repris notre étude pour démontrer que détruire de la graisse et la laisser en place n'était pas bon. Nous n'avions rien pour l'établir...

Si j'affirme que la fasciathérapie est dangereuse, il faut que je démontre pourquoi. Ce n'est probablement pas dangereux en soi mais parce que les patients ne font pas ce qui pourrait être utile pour eux !

M. Alain Milon , président. - Votre audition a constitué un tournant dans nos travaux. Nous nous sommes aperçus que, de manière purement scientifique, on ne pouvait étudier que les dérives thérapeutiques. En ce qui concerne les dérives sectaires, financières ou l'emprise morale, il nous faudra nous adresser à d'autres autorités que la HAS - justice, police, douanes - pour trouver une solution.

Audition de Mme Mireille FAUGÈRE, directrice générale et du Pr Loïc CAPRON, président de la commission médicale d'établissement d'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (mardi 27 novembre 2012)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous poursuivons, avec l'audition de Mme Mireille Faugère, directrice générale de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), accompagnée du Pr Loïc Capron, président de la Commission médicale d'établissement (CME), nos auditions des responsables des grandes institutions et administrations compétentes en matière de santé.

Nous avons pris connaissance d'un rapport tout récent de l'AP-HP faisant état d'une pratique courante des médecines dites complémentaires dans les groupes hospitaliers de l'AP-HP, tant par des professionnels que par des bénévoles intervenant dans un cadre associatif.

Il est donc important pour notre commission de faire le point avec vous de ces évolutions, tant ces pratiques alternatives, dont certaines peuvent éventuellement apporter un réel réconfort aux patients, semblent parfois porteuses de risques de dérives sectaires.

Je précise que cette audition n'est ouverte ni au public ni à la presse ; son compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'en viens à notre réunion.

Je rappelle à l'attention de Mme Mireille Faugère et du Pr Loïc Capron que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base d'une initiative de notre collègue Jacques Mézard, président du groupe RDSE. M. Mézard a donc tout naturellement été chargé du rapport de cette commission qui sera remis début avril 2013.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à Mme Mireille Faugère et au Pr Loïc Capron de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Madame Mireille Faugère et monsieur Loïc Capron, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les deux personnes se lèvent et prêtent serment.

M. Alain Milon , président. - Après votre exposé introductif, M. Mézard, rapporteur, ainsi que les autres membres de la commission, vous poseront quelques questions.

Madame la directrice générale, Monsieur le président, vous avez la parole.

Mme Mireille Faugère, directrice générale de l'AP-HP de Paris. - L'AP-HP est un très grand établissement d'Ile-de-France qui compte trente-sept hôpitaux, organisés en douze groupes hospitaliers, essentiellement dans Paris intra-muros et la première couronne. Quelques anciens sanatoriums situés à Berck, Hendaye et dans le Var à Hyères (hôpital San Salvadour), sont aujourd'hui spécialisés dans le polyhandicap.

Nous comptons 7 millions de patients par an, 5 millions en consultation, un peu plus d'un million en hospitalisation et un million en urgence. Nous disposons d'environ 22 000 lits pour 20 000 médecins et 70 000 personnels non médicaux qui peuvent être affectés aux soins ou dans les secteurs administratifs et techniques.

L'AP-HP travaille en lien avec sept universités d'Ile-de-France ; il s'agit de sept unités de formation et de recherche en médecine, pharmacie et odontologie.

En matière d'enseignement, l'AP-HP accueille et forme chaque année 3 000 internes par an, 5 000 étudiants en médecine et près de 8 000 étudiants répartis dans dix instituts et centres de formation spécialisée. Il peut s'agir aussi bien d'infirmières que d'aides-soignants ou de cadres administratifs.

En matière de recherche et d'innovation, l'AP-HP a un poids considérable puisque nous représentons 10 % de l'hospitalisation française et 40 % à 50 % de la recherche clinique.

Dans le cadre des investissements d'avenir, l'AP-HP a été distinguée par trois instituts hospitalo-universitaires et deux projets prometteurs. Nous sommes fort bien représentés pour ce qui est du grand emprunt et avons également, en matière de recherche, pris l'initiative de développer des départements hospitalo-universitaires.

Nous faisons évidemment partie de centres de recherche thématique importants sur la psychiatrie ou la santé mentale comme FondaMental, sur la prématurité comme Prem-Up ou sur la greffe, comme Centure.

Nous sommes donc au coeur de sujets modernes et de projets, d'innovation et très attentifs aux besoins des patients et à toutes les initiatives que nos professionnels peuvent prendre en matière de recherche.

Notre ambition est d'exercer pleinement les missions de CHU d'Ile-de-France, de jouer le rôle que l'agence régionale de santé (ARS) et les tutelles attendent de nous en matière d'organisation du soin sur le territoire mais nous voulons également jouer notre rôle en matière de formation, notamment de médecins, de soignants et de recherche dans nos sept universités.

Nous désirons bien évidemment conserver notre rayonnement international, nos médecins étant toujours intéressés et motivés par cette compétition. Nous sommes donc attentifs aux patients et à nos personnels. Nous sommes un employeur très important sur le territoire et très responsable dans nos politiques.

Nous occupons une position très importante également en matière de formation professionnelle à l'intérieur de notre maison et disposons de parcours qualifiants, particulièrement pour nos personnels non médicaux.

Je voudrais maintenant en venir aux médecines complémentaires. Considérant la triple mission qui est la nôtre, celle du soin, de l'enseignement et de la recherche, nous avons engagé, lors de notre plan stratégique 2010-2014, une réflexion stratégique sur les médecines complémentaires.

Le sujet n'est pas nouveau. Le Pr Capron avait déjà établi une revue bibliographique en 1987 dans la Revue du praticien . Aujourd'hui, la demande des malades qui recourent à des traitements non conventionnels va croissant.

30 % à 50 % des malades traités contre le cancer dans nos hôpitaux ont, selon nos études, recours ou voudraient avoir recours aux médecines complémentaires. Nous sommes donc face à un besoin, nos patients y ayant de toute manière recours. En tant qu'hôpital universitaire public, nous avions donc intérêt à nous pencher sur ce sujet. Pouvions-nous offrir de tels soins ? Nous avons choisi de répondre positivement à cette question...

Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les « médecines alternatives et complémentaires » sont définies comme un « groupe d'approches, de pratiques, de produits de santé et médicaux qui ne sont pas habituellement considérés comme faisant partie de la médecine conventionnelle », la médecine conventionnelle étant chez nous la médecine occidentale. Ces médecines « complémentaires » sont utilisées en complément de la médecine conventionnelle. L'OMS parle également de médecines « alternatives ».

Cela dit, la définition de la médecine alternative, sur laquelle M. Blisko était revenu dans son rapport au nom de la Miviludes, est de remplacer le soin conventionnel. C'est là une médecine que nous ne pratiquons pas. Il n'existe pas de médecine alternative à l'AP-HP mais des médecines complémentaires. Je ne retiendrai donc dans mon propos que la médecine complémentaire au sens strict du terme, celle-ci ne remplaçant pas le soin mais l'accompagnant.

Aujourd'hui, à l'AP-HP, une quinzaine de médecines complémentaires sont identifiées et concentrées sur quelques traitements. Il s'agit de l'acupuncture, l'hypnose, la relaxation, l'ostéopathie et le toucher-massage.

L'activité de soins en médecine complémentaire est réalisée pour des patients ambulatoires, en consultation externe ou pour des patients hospitalisés, toujours dans des structures de soins organisées à l'intérieur de l'hôpital et placées sous la responsabilité d'un chef de service. Il peut s'agir de structures de soins variées. On y traite plus particulièrement la douleur. Les soins palliatifs, la gynéco-obstétrique et la cancérologie sont les disciplines dans lesquelles on retrouve le plus les médecines complémentaires.

L'enquête que nous avons réalisée a également été menée dans d'autres CHU, via la Conférence des directeurs généraux de CHU. Seize CHU ont répondu à ce jour au questionnaire et pratiquent des médecines complémentaires à des degrés plus ou moins importants.

Les praticiens qui exercent ces médecines sont des professionnels de santé, personnels de l'Assistance publique dans la quasi-totalité des cas. Ce sont des médecins titulaires, des contractuels ou des sages-femmes. Ce peut être également des personnels paramédicaux, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, aides-soignants ou psychologues.

Quelques praticiens qui ne sont pas des professionnels de santé peuvent intervenir à l'hôpital en tant que bénévoles. Leur intervention se fait dans un cadre associatif ; une convention est systématiquement passée avec l'association en question. A chaque fois, le soin est dispensé sous la responsabilité du chef de service.

On peut dire que la prescription des médecines complémentaires est plutôt préconisée par les autorités de santé dans des contextes thérapeutiques que j'ai rappelés. Les indications validées sont assez peu nombreuses.

Pour ce qui est de l'enseignement, des formations universitaires de troisième cycle sont réalisées en médecine complémentaire ; elles sont le plus souvent réservées à des médecins - chirurgiens-dentistes ou sages-femmes. On recense aujourd'hui vingt-cinq diplômes universitaires ou interuniversitaires qui couvrent l'ensemble des médecines complémentaires que l'on rencontre à l'AP-HP.

Les autres médecines complémentaires ou les professionnels de santé autres que les médecins cités peuvent être formés par des organismes privés sans agrément ministériel ; quelques écoles d'ostéopathie sont cependant agréées par le ministère de la santé. Nous sommes toutefois assez stricts en matière de formations et de diplômes validés.

Concernant la recherche, nous bénéficions d'une recommandation du fait de notre statut de CHU, dans lequel règne une discipline et un état d'esprit très scientifiques.

La littérature scientifique médicale recommandant toujours une évaluation, nous avons souhaité pouvoir étudier la littérature produite. Elle est relativement abondante et rarement concluante, pour des raisons très souvent méthodologiques. On sait en effet le faire pour la médecine conventionnelle mais beaucoup moins en matière de médecine complémentaire.

Cette production de littérature est néanmoins en augmentation. Les équipes françaises sont assez peu présentes sur ces sujets mais, au cours des quatre dernières années, certains projets de recherche clinique ont été menés à bien sous la promotion institutionnelle de l'AP-HP.

Pour que ces médecines complémentaires soient reconnues comme « scientifiques », elles doivent faire l'objet des méthodes que nous employons à l'AP-HP et de programmes de recherche clinique, ce que nous nous appliquons à faire.

Les orientations que nous avons retenues dans le rapport sont d'encadrer les pratiques existantes. Cela signifie qu'il ne faut pas de flou sur la manière dont elles sont pratiquées. Celles pratiquées à l'AP-HP doivent l'être par des professionnels de santé titulaires d'un diplôme agréé par un comité hospitalo-universitaire, pour des indications validées.

Les médecines complémentaires doivent être destinées en priorité aux patients pris en charge ou suivis à l'AP-HP.

La deuxième recommandation consiste à encourager des recherches rigoureuses sur l'intérêt de ces traitements pour les malades. Nous serons amenés à les développer si elles sont efficaces. Cette efficacité doit être étudiée dans le cadre de recherches académiques sur les médecins complémentaires.

Un appel à projet annuel a été lancé ; le premier d'entre eux a été publié en septembre dernier ; il ciblait les traitements les plus répandus à l'AP-HP : l'acupuncture, l'hypnose, le toucher-massage et l'ostéopathie.

Nous attendons les résultats de cet appel à projets. Il faudra cependant un peu de temps pour en mener l'évaluation.

La troisième recommandation consiste à maîtriser le développement de cette offre de soins. Toutes nos recommandations doivent être suivies.

Nous avons décidé de mettre en place une comitologie particulière avec, au niveau central, un comité hospitalo-universitaire dédié aux médecines complémentaires. Ce comité sera installé le 17 décembre prochain. Sa composition est suggérée dans le rapport ; il sera chargé de définir les orientations stratégiques, les autorisations d'exercice pour l'activité de soins, l'agrément des diplômes et l'organisation de la recherche.

Ce comité sera démultiplié par un niveau décentralisé, avec un réseau de référents en médecines complémentaires dans les hôpitaux.

Enfin, toutes les associations de bénévoles et de malades qui interviennent à l'AP-HP passent une convention obligatoire avec la direction de l'hôpital, qu'il s'agisse des médecines complémentaires ou non. Leurs interventions se font dans les services, sous la responsabilité du chef de service.

Toutes les demandes de convention remontent à la direction générale et à la direction du service aux patients qui, en cas de doute, peut vérifier soit auprès de la Miviludes, soit auprès de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu (Unadfi). Si le moindre doute existe, la convention n'est pas signée.

Cela fait quelques années que nous n'avons pas déconventionné d'associations du fait de remontées de terrain. Dans chaque hôpital, nous disposons d'une personne chargée des relations avec les usagers et les associations. Un comité est consacré dans chaque hôpital aux relations entre usagers et associations. Il existe deux niveaux de médiation : les médiateurs-médecins et les médiateurs non-médecins. Ils peuvent être alertés par les usagers et faire remonter des inquiétudes à propos de pratiques douteuses.

Les acteurs sont tous informés qu'ils peuvent saisir la Miviludes pour vérifier si la structure visée y est signalée ou non. Ils sont aussi invités à répercuter l'information à la direction centrale et à la direction du service aux patients.

Si nos patients demandent à accéder à une médecine complémentaire qui n'est pas accessible dans l'hôpital auquel ils s'adressent, nous les orientons vers les consultations de médecines complémentaires existantes. On compte ainsi treize consultations d'acupuncture, dix consultations d'hypnose et dix consultations de médecine manuelle-osthéopathie.

Nous avons souhaité en la matière adopter une démarche « qualité » fixant un cadre le plus scientifique possible à ces pratiques, fondé sur une médecine par les preuves. C'est encore un challenge pour ce type de médecine très nouvelle et non conventionnelle. Nous devons démontrer son efficacité par des démarches scientifiques. Le sujet est sensible, même parmi nos professionnels.

M. Alain Milon , président. - La parole est au rapporteur.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - L'objectif de notre commission d'enquête est d'étudier la situation de certaines dérives sectaires dans le domaine de la santé. Nous respectons bien évidemment la liberté de conscience et d'expression mais nous constatons cependant, comme d'autres, qu'un certain nombre de nos concitoyens sont amenés à mettre leur santé et parfois leur vie en danger du fait de certains comportements qui peuvent s'apparenter à des dérives sectaires.

Nous avons relevé que vous employez, semble-t-il à dessein, le terme de « médecine complémentaire », en évitant d'utiliser celui de « médecine alternative ». Vous considérez donc, pour celles qui sont employées au sein de l'AP-HP, que ces pratiques complémentaires sont bien des médecines.

Avez-vous, dans la grande institution que vous dirigez, constaté des pratiques déviantes ? Si tel est le cas, quelles ont été vos réactions ? Qu'en est-il des questions de transfusion ou de vaccination ?

Mme Mireille Faugère. - Nous avons très peu de remontées ; celles que nous avons pu avoir concernaient des associations. Sur la période 2010-2012, cinq alertes ont été diffusées par l'ensemble de nos réseaux et de nos services de soins ; celles-ci n'ont pas été suivies d'un déconventionnement de ces associations. Le système de veille fonctionne donc bien.

Quant au refus de soins, je laisse le Pr Capron s'exprimer...

M. Loïc Capron, président de la commission médicale d'établissement d'AP-HP de Paris. - Les refus de transfusion sanguine sont des cas particuliers que chaque médecin traite à sa façon mais nous suivons tous à peu près les mêmes règles. Quand il s'agit d'un mineur, nous pratiquons la transfusion et, si nécessaire, pouvons faire un signalement à la police.

Quand il s'agit d'un majeur responsable de ses actes, nous faisons tout pour éviter la transfusion tout en respectant la volonté de l'individu. Nous avons eu, au cours des vingt dernières années, la chance de voir se développer l'autotransfusion sanguine, qu'acceptent la plupart des témoins de Jéhovah. On les prélève, on conserve leur sang et l'on peut de cette façon le leur réinjecter quand ils en ont besoin. Il s'agit là de cas pour lesquels on peut préparer la transfusion, comme par exemple une intervention cardiaque. Cela se passe bien en général.

Lorsque la transfusion s'impose en urgence et qu'on a affaire à un majeur qui exprime sa volonté de ne pas être transfusé, les choses se compliquent. J'ai personnellement vécu des drames - mais il s'agit d'une question de respect de l'individu. Lorsque la famille le demande, les choses sont différentes. D'autres, quand ils se sentent partir, changent d'avis. On sait être persuasif mais on ne sait pas violer les consciences !

Quant à la vaccination, il s'agit essentiellement d'un travail de médecine de ville, d'omnipraticien. Dans ma longue expérience d'interniste et de médecin polyvalent, je n'ai jamais rencontré d'opposition à la vaccination. Je ne crois pas que les médecins de l'AP-HP aient connu une telle expérience. Quand on vient se faire vacciner, c'est qu'on le veut ! Ceux qui ne le veulent pas ne viennent pas nous voir !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous n'avez donc constaté que peu de comportements pouvant relever de dérives sectaires au sein de vos établissements...

Mme Mireille Faugère. - En effet, nous en constatons très peu. Cela dit, dans la mesure où la demande de médecine complémentaire est en train d'augmenter, nous avons adopté un dispositif très encadré. Il s'agit de médecine pratiquée par des médecins et des soignants diplômés. Quand des associations interviennent, elles le font dans le cadre d'un service.

A l'hôpital, on est dans un espace collectif, sous la responsabilité d'un chef de service. C'est ce qui nous garantit la possibilité de regards croisés. Nous sommes très organisés sur ce point.

M. Alain Milon , président. - Le président de la Haute Autorité de santé (HAS), que nous avons auditionné avant vous, nous a expliqué que l'établissement de procédures d'évaluation de ces pratiques visait le remboursement de celles-ci par la sécurité sociale.

Il nous a également fait part de grandes difficultés à évaluer les médecines complémentaires. Or, l'AP-HP représente environ 10 % de l'Ondam, ce qui est considérable. Comment pouvez-vous intégrer ces médecines complémentaires dans la tarification ?

Mme Mireille Faugère. - C'est un sujet très délicat. La volumétrie est encore faible mais si elle devient significative, il faudra impérativement parvenir à une codification précise de ces pratiques.

Nous avons donc recommandé une description et une codification très précises de ce que nous faisons pour pouvoir les intégrer ensuite dans des dispositifs d'évaluation. C'est pourquoi nous avons lancé des démarches de recherche clinique sur les quatre disciplines les plus importantes en volume - acupuncture, toucher-massage, etc. C'est l'assurance maladie qui finance la structure de recherche et c'est la raison pour laquelle nous sommes encore en amorçage. Il faudra néanmoins arriver à quelque chose de beaucoup plus clair pour que la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) nous rembourse.

M. Alain Milon , président. - Comment vous financez-vous actuellement ?

Mme Mireille Faugère. - L'acupuncture et l'hypnose existent déjà dans la nomenclature. Nous les repérons, les codifions et sommes payés pour cela. En 2011, dans ces disciplines, nous avons recensé 5 000 actes. Les autres disciplines qui ne figurent pas dans la nomenclature ne sont pas rémunérées. Ce processus est en train de se mettre en place. Si nous n'obtenons pas de réponse, nous ne continuerons pas.

M. Alain Milon , président. - Quelle somme cela représente-t-il ?

Mme Mireille Faugère. - Ce n'est guère important : 5 000 actes à 25 euros en 2011. Il ne faut pas compter là-dessus pour nous enrichir !

M. Stéphane Mazars . - Comment expliquez-vous cette demande croissante de médecine complémentaire ?

Mme Mireille Faugère. - Le Pr Capron et moi n'avons pas la même sensibilité à ce sujet...

Les malades nous disent qu'ils ont besoin d'une prise en charge globale de leur maladie et de leur personne. Or, la médecine conventionnelle est très centrée sur l'acte et la prise en charge de la maladie mais peu sur celle de la personne.

Les patients nous expliquent que l'acupuncture permet de mieux supporter certains traitements. C'est pourquoi nous mettons en oeuvre cette pratique. Probablement n'a-t-on pas trouvé tous les moyens d'accompagnement et que ceux-là sont considérés comme des moyens plus doux, moins chimiques et susceptibles d'aider le malade.

Le fait que l'hôpital public ne propose pas de médecines complémentaires constitue un véritable problème d'accessibilité tarifaire à ce type de soins. Cela nous place aussi face à notre responsabilité en matière de délivrance de soins.

De toute manière, le patient ira chercher ces soins ailleurs s'il ne les trouve pas à l'hôpital. Toutes les enquêtes le démontrent : si l'on essaye de convaincre un malade du peu de sérieux de ces médecines complémentaires dans le cadre de l'hôpital, il n'en parle pas et le médecin n'a alors pas toutes les informations pour juger de la façon dont le patient prend en charge sa maladie. L'hôpital me semble donc devoir répondre à cette demande de la manière la plus sérieuse possible !

M. Loïc Capron. - Nous n'avons en effet pas exactement la même sensibilité sur le sujet. J'ai été élevé dans le culte du savoir. Mes études médicales et scientifiques - je suis aussi docteur ès-sciences - reposent sur le savoir. Le « croire » n'y a pas sa place. Je me souviens que mon directeur de thèse de sciences m'a fait retirer le mot « croire », que j'avais laissé filer dans un texte... C'était un positiviste convaincu - ce que je ne suis pas - mais cela m'a servi de leçon !

Ces médecines ont toujours attisé ma curiosité. Très tôt, en 1987, je me suis longuement penché sur le rapport intitulé : Alternative therapy , réalisé par la British medical association, pour qui alternative et complémentaire signifient la même chose. Je n'adhère pas à la nuance sémantique qui est contenue dans ce rapport. « Alternative », en anglais, signifie « autre ». Il s'agit donc des autres thérapies, des autres médecines que celles que compte la médecine orthodoxe, la médecine du savoir, où le « croire » n'a pas de place.

D'où vient ce précieux rapport ? Il a été inspiré par le Prince de Galles, président de la British medical association en 1982-1983, qui a demandé aux médecins britanniques - qui partagent la même culture que moi - de s'intéresser à ces médecines qui, selon lui, pouvaient représenter l'avenir. On a obéi au prince. Le rapport, paru quatre ans plus tard, est d'une sévérité extrême. Il est parfaitement rédigé et laisse place à quelques rares îlots au milieu d'un champ de ruines.

Tout y est étudié ; une part minuscule est accordée à l'homéopathie, l'acupuncture, l'ostéopathie, la chiropractie et l'hypnothérapie, dans des indications pour lesquelles les médecins orthodoxes disposent d'approches nettement plus puissantes et d'une efficacité avérée.

Depuis, j'ai étudié ce qui paraissait dans les journaux mais je n'ai jamais changé d'opinion. Ce que j'ai écrit en 1987, je l'écrirais à nouveau aujourd'hui.

Or, l'AP-HP s'intéresse aujourd'hui à ces médecines qui ne m'intéressent pas ! Cela s'est passé au moment de la discussion du projet médical du plan stratégique 2010-2014. J'étais alors simple élu de la CME. Il fallait avoir lu le projet médical pour se rendre compte qu'une page entière était consacrée à ces médecines, ce qui était une innovation extravagante pour nous. Je n'ai pas manqué de protester mais, malgré ma désapprobation, ce sujet est demeuré inscrit dans le plan, d'où l'existence du présent rapport et des mesures que vous a décrites Mme la directrice générale.

Ce n'est pas pour autant que je suis converti ! Ce que j'ai lu du témoignage de mon confrère Serge Blisko n'a fait que me conforter un peu plus dans mon doute ! Il cite des situations extrêmes mais parle aussi de l'hôpital, réservant un long développement aux dérives qui y sont possibles. Pour moi, le dérapage qui peut exister entre médecines complémentaires, charlatanisme, voire sorcellerie - Serge Blisko donne des exemples qui en relèvent - est le même que celui qu'il peut y avoir entre religion et pratiques sectaires. Nous abordons là des domaines de foi qui gênent beaucoup un esprit scientifique et rationnel...

J'aurais très bien compris que l'AP-HP ne s'intéresse pas à ces médecines qui ne sont pas les médecines orthodoxes sur lesquelles l'AP-HP est construite. Mais faisons contre mauvaise fortune bon coeur. La décision a été prise. Je suis maintenant président de la CME. On ne m'a pas demandé si je voulais bloquer cette décision ou non. J'ai simplement prié ma commission de veiller à respecter la liberté de penser des médecins, qu'on n'impose ces pratiques à personne et qu'on veille à ce que les malades ne soient pas trompés. J'espère que ces préconisations seront respectées.

Quand on lit ce rapport assez court, on se rend compte que trois intentions se détachent : recenser, encadrer et développer ces méthodes. Je suis d'accord pour les recenser. Il est intéressant de savoir ce qui se passe dans nos murs. Je suis également d'accord pour améliorer notre contrôle mais je suis tout à fait contre le fait de développer ces pratiques. Nous avons autre chose à faire de notre argent et des hémisphères cérébraux de nos médecins !

La « Collaboration Cochrane », dont les travaux font autorité dans le monde entier, est une organisation anglaise un peu maniaque et obsessionnelle qui étudie tout ce qui a été publié sur les sujets scientifiques. 598 de leurs études portent sur les médecines complémentaires. C'est dire s'il existe une recherche sur ce sujet qui, je le répète, constitue un champ de ruines dont il ne reste rien ! Je veux bien qu'on s'acharne mais je n'y crois pas et n'y croirai pas davantage lorsque tout sera fini. Je trouve que l'argent de la recherche serait mieux dépensé dans d'autres domaines !

Existe-t-il des pratiques douteuses dans nos hôpitaux ? Je suis sûr que oui ! Je pense qu'on ne s'en rend pas toujours compte mais un système de contrôle plus poussé serait une bonne chose.

Il existe deux manières de dévier en médecine... On peut tout d'abord inventer des systèmes abracadabrants, avec des thérapies parfaitement imaginaires et parfois toxiques. Ceci est assez facile à dépister. Une autre lubie de certains praticiens consiste à employer de manière non conventionnelle des médecines conventionnelles, à l'encontre de l'avis de la HAS et des préconisations internationales. Comment sérieusement contrôler ces pratiques ? Je ne suis pas sûr que nous en ayons les moyens mais elles existent bel et bien !

M. Stéphane Mazars . - Est-il déjà arrivé à la direction de l'hôpital de ne pas laisser entrer à l'AP-HP certaines médecines complémentaires n'ayant pas fait leurs preuves ? Existe-t-il de la part de ces médecines complémentaires des tentatives d'y pénétrer coûte que coûte ?

M. Loïc Capron. - Personnellement, je ne connais pas d'exemple de pratiques que je désapprouve qui aient voulu s'imposer dans les services que j'ai dirigés.

Lors d'une de mes consultations, un médecin a pratiqué l'acupuncture. Je ne l'ai pas arrêté. C'est bien le seul cas dans ma carrière où j'ai croisé directement ces « médecines »... On doit également jouer avec la liberté de prescriptions du médecin, dans la mesure où sa pratique n'est pas répréhensible. L'homéopathie, l'acupuncture, l'hypnose ne sont pas illégales. Il est très difficile d'interdire...

Mme Mireille Faugère. - Je n'ai pas de remontées m'informant que les médecines complémentaires que nous pratiquons sont de nature différente de celles que j'ai citées tout à l'heure...

M. Alain Milon , président. - Que sont le Qi gong et le snoezelen ?

Mme Mireille Faugère. - Il s'agit d'une gymnastique de détente...

M. Alain Milo n , président. - Ce sont des pratiques qui ne sont pour l'instant pas reconnues par la HAS.

On demande à l'AP-HP de respecter le budget de l'Objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam). On peut admettre un certain déficit lorsqu'on exerce la médecine traditionnelle et remboursée mais comment le coût de la médecine complémentaire se répercute-t-il et comment ? Qui prend en charge le déficit et les emprunts vis-à-vis des générations futures ?

Mme Mireille Faugère. - Le Qi gonq est réalisé à l'hôpital, par l'intermédiaire d'associations bénévoles, à l'intérieur de nos services.

M. Alain Milon , président. - Ces associations bénévoles travaillent donc à l'intérieur de l'hôpital, avec la caution de l'AP-HP ; à l'extérieur, elles peuvent utiliser cette caution pour détourner des malades du traitement habituel - kinésithérapie ou autres...

Mme Mireille Faugère. - Je ne sais pas ce qu'ils font à l'extérieur.

M. Alain Milon , président. - Ils se servent de l'image extrêmement respectable des services médicaux dans lesquels ils travaillent. Ils utilisent cette image à des fins financières, voire d'emprise mentale.

Mme Mireille Faugère. - Nous repérons ces associations et passons avec elles une convention...

M. Alain Milon , président. - Les contrôlez-vous ensuite ?

Mme Mireille Faugère. - Dès qu'il y a doute, l'information remonte dans le système.

M. Alain Milon , président. - Le doute doit être systématique !

Mme Mireille Faugère. - Dans le service, la façon dont pratique le bénévole est contrôlée au moins une fois par an par le chef de service. Si un doute existait dans le cadre de l'hôpital, l'information remonterait par les associations chargées de recueillir les remarques des patients, de leur famille ou du personnel. Nous portons un regard médical sur ce qui se passe, certains médecins n'étant absolument pas acquis à ces techniques.

Je ne ressens aucun laisser-aller s'agissant de ces médecines « marginales », qui représentent un faible volume de soins par rapport aux soins conventionnels. Je comprends que l'on puisse être tenté de vouloir se servir de notre notoriété, comme le font les médecins qui réalisent quelques consultations à l'hôpital et qui indiquent sur leur plaque qu'ils travaillent à l'AP-HP. C'est en effet une référence. Si l'association commettait des dérives sectaires ou offrait une médecine alternative coupée des soins classiques et à l'origine d'abus, il faudrait y être très attentif.

Si une association était considérée comme dangereuse, on la déconventionnerait. Cela ne nous est encore jamais arrivé pour l'instant.

M. Alain Milon , président. - Vous nous avez dit que les patients réclamaient ces méthodes. N'est-il pas plus logique que ce soient les médecins et l'hôpital qui guident le patient et non le patient qui guide le marketing de l'hôpital ?

Mme Mireille Faugère. - Ce sont des médecins de l'AP-HP qui pratiquent ces médecines complémentaires parce qu'ils y trouvent un bénéfice pour leurs patients. Il ne s'agit pas de marketing.

Les patients qui souffrent des effets indésirables de leur maladie et des médicaments à trop haute dose se sentent aidés par ces méthodes, dans lesquelles ils peuvent trouver un soulagement. C'est pourquoi il faut être attentif et encadrer l'évaluation. Comme le dit M. Capron, il faut que ce soit prouvé...

M. Alain Milon , président. - Les psychiatres et les associations de patients que nous avons auditionnés nous ont souvent dit que les patients ne sentaient pas toujours auprès du médecin ou du personnel un soutien suffisant, faute de temps ou de formation.

N'aurait-on pas intérêt, plutôt que de dépenser de l'argent dans ce genre de médecine, à former le personnel afin qu'il soit plus près des malades et puisse accompagner les patients ?

Mme Mireille Faugère. - C'est ce que disent en effet les patients qui désirent être pris en charge de manière globale et bénéficier d'une certaine attention de la part des personnels. Je ne puis que constater l'importance de ce facteur.

Le toucher-massage est, la plupart du temps, pratiqué par les soignants eux-mêmes et compris dans le soin qu'ils apportent. On le rencontre beaucoup dans les services de gériatrie. Cela fait partie des prises en charge des patients souffrant d'Alzheimer. Pour l'acupuncture, c'est un peu différent...

Je ne puis qu'être d'accord avec vous sur le fait qu'on doit répondre pleinement aux besoins d'attention du patient.

M. Loïc Capron. - Une patiente m'a dit un jour que je n'avais qu'un seul défaut, celui de ne pas exister en comprimés ! C'est le plus bel hommage qu'un malade m'ait rendu. J'ai trouvé cela très beau et très profond. Je n'ai pas réussi à avoir une relation pareille avec tous les malades mais quand on réussit cela, on est fier de soi et on n'a pas besoin de poudre de perlimpinpin pour améliorer le sort des malades !

Audition de Mmes Claude DELPECH, présidente de l'association Alerte faux souvenirs induits (Afsi) et Françoise CHALMEAU, secrétaire générale de l'Afsi (mercredi 28 novembre 2012)

M. Alain Milon , président . - Avec l'audition de Mmes Claude Delpech et Françoise Chalmeau, respectivement présidente et secrétaire générale de l'association Alerte faux souvenirs induits (Afsi), nous achevons notre cycle d'auditions des responsables des principales associations représentant les victimes des dérives sectaires dans le domaine de la santé.

L'Afsi, créée en 2005, se consacre à la technique des faux souvenirs induits, par laquelle de pseudo-thérapeutes manipulent la mémoire de leurs patients pour leur faire croire à des maltraitances ou des abus sexuels prétendument subis pendant l'enfance.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse. Un compte rendu en sera publié avec le rapport ; son enregistrement vidéo sera diffusé sur le site du Sénat.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Je vais, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes auditionnées de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Mesdames Claude Delpech et Françoise Chalmeau, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les deux personnes se lèvent et prêtent serment .

M. Alain Milon , président . - Vous avez la parole.

Mme Claude Delpech, présidente de l'Afsi . - Je vous remercie de nous avoir invitées pour vous exposer les dérives désastreuses qu'entraînent les thérapies psychosectaires sur la santé physique et mentale des patients. Chaque famille a une histoire différente mais la technique des thérapeutes déviants est toujours la même : induire des traumatismes inexistants dans l'esprit de leurs patients par des procédés de manipulation mentale.

L'Afsi reçoit les familles de victimes et les victimes qui se sont sorties de l'emprise de leur thérapeute. 600 familles nous ont consultés, mais il ne s'agit que de la partie visible de l'iceberg. Le travail d'écoute est très important pour la reconstruction ultérieure des personnes ; nous les informons de leurs droits et les orientons vers des professionnels de santé, des avocats ou des enquêteurs spécialisés. Nous travaillons avec les ministères de la santé, de l'intérieur et de la justice ainsi qu'avec la Miviludes. Nous avons participé à la conception du rapport qui a traité pour la première fois des faux souvenirs induits. De plus en plus d'enquêteurs nous consultent pour comprendre certaines situations d'accusations tardives d'enfants majeurs. Nous aidons les victimes directes qui se retournent contre leur thérapeute, les parents accusés par leurs enfants majeurs, ou les grands-parents qui demandent un droit de visite de leurs petits-enfants. A la demande de la Mairie de Paris, nous délivrons des formations aux agents de services de la ville.

Un faux souvenir peut être le souvenir d'un événement qui ne s'est jamais produit ou le souvenir altéré d'un événement réel. Le syndrome des faux souvenirs, comme il est appelé outre-Atlantique, peut être identifié lorsqu'il apparaît brusquement, sans signes avant-coureurs, à la suite de pseudo-thérapies fondées sur la recherche des souvenirs de la petite enfance, appelées thérapies de la mémoire recouvrée. En réalité il s'agit de fantasmes, qui résultent des techniques d'autosuggestion déployées par des thérapeutes charlatans, sans que l'on sache d'ailleurs s'il s'agit de fantasmes des enfants accusateurs ou des fantasmes du thérapeute.

Freud avait cru avoir découvert chez ses patientes hystériques des souvenirs de traumatismes de nature sexuelle survenus dans leur enfance. Très rapidement il a reconnu que les souvenirs allégués ne correspondaient à aucun événement de leur passé et a abandonné son hypothèse, qualifiant ces « souvenirs » de fantasmes. Mais l'explosion des mouvements féministes aux Etats-Unis, dans les années 1970, a redonné vie à sa première hypothèse. Les thérapies déviantes se sont alors développées. Depuis les condamnations se sont multipliées. Dès 1997, l'association des psychiatres américains a averti qu'il n'y avait aucun moyen d'établir la véracité des accusations provoquées par une thérapie de la mémoire retrouvée en l'absence d'évidences objectives. En Angleterre, le Royal college of psychiatry a émis des critiques similaires.

Les tribunaux américains sont devenus prudents sur les plaintes d'abus sexuels d'enfants devenus majeurs ayant « retrouvé » la mémoire après une thérapie. De plus, des patients se sont rétractés de leurs accusations contre leurs parents et se sont retournés contre leur thérapeute pour leur avoir « implanté » de faux souvenirs. A notre connaissance, ils ont tous gagné leur procès et obtenu des compensations financières très élevées. La Grande-Bretagne et les Pays-Bas ont déjà légiféré pour réglementer les thérapies déviantes mais pas la France, alors que de très nombreuses familles en sont victimes dans toutes les régions.

Il existe plusieurs formes de faux souvenirs : les faux souvenirs de maltraitance physique ou psychique, d'inceste, de rites sataniques ou de vies antérieures liés au chamanisme. La technique des faux souvenirs peut s'exercer de façon collective ou individuelle. Dans les deux cas il s'agit de dérives psychosectaires utilisant le même processus de manipulation mentale.

Quelles sont les victimes ? D'après l'échantillon des 600 familles qui nous ont consultés, l'âge moyen des victimes varie entre trente et quarante ans ; 82 % sont des femmes, qui ont fait majoritairement des études supérieures ; 52 % sont célibataires, 11 % sont divorcées ; 43 % sont domiciliées à Paris, 57 % en province ; 89 % des accusés sont les pères, les autres étant les mères, les grands-pères, les frères ou les oncles.

Mais les premières victimes sont les enfants accusateurs qui ignorent que le thérapeute pratique des techniques de recouvrance de la mémoire. Il leur explique que leur mal-être est la conséquence d'un traumatisme grave subi dans leur enfance dont ils ne se souviennent pas parce qu'ils l'ont refoulé et que la thérapie va permettre de faire émerger. Pour les victimes et leurs parents, c'est le début de la descente aux enfers. Conseillées par le thérapeute, les victimes se coupent de leur famille, dénoncent les méfaits de leurs parents. Dans notre association, environ 28 % des accusatrices sont allées en justice ; tous les parents ont été reconnus innocents.

Il est certes paradoxal de considérer des adultes consentants comme des victimes ; mais, comme dans tout mouvement sectaire, ils ignorent être manipulés. Ils sont dans un état d'emprise et de contrainte morale créé par leur thérapeute. Ces personnes, privées de leur libre arbitre, ne sont pas des victimes consentantes mais des victimes innocentes.

Les victimes sont aussi les parents qui sont accusés à tort par leurs enfants sans pouvoir leur expliquer et leur prouver qu'ils sont manipulés. Ils ne savent pas que leur thérapeute les a diabolisés. Si huit fois sur dix le père est accusé, la mère est souvent considérée comme complice - elle savait et n'a rien dit. On voit des parents âgés de plus de quatre-vingts ans odieusement accusés par leurs enfants pour des faits qui se seraient passés quarante ou cinquante ans auparavant... Ils risquent de ne plus revoir leurs enfants et ces derniers, de ne jamais savoir la vérité.

De jeunes pères se voient aussi accusés par leurs enfants devenus adolescents ou adultes. Cette situation intervient souvent après un divorce difficile alors que ces pères reconstruisent leur vie, dans un contexte parfois de chantage financier. Les grands-parents sont aussi victimes car après de telles accusations ils perdent leur droit de visite à leurs petits-enfants. Lorsqu'ils saisissent le juge, on les contraint à des enquêtes de proximité ou à des expertises. Des thérapeutes ont pu établir des attestations de complaisance contre des grands-parents qu'ils n'ont jamais rencontrés, arguant de leur perversité et de leur volonté de tromper la justice. Et les juges saisis, qui ignorent que les enfants accusateurs ont été manipulés, ne sont pas enclins à accorder le droit de visite. Certains petits-enfants, à leur majorité, essaieront de reprendre contact avec leurs grands-parents, mais combien d'années auront été perdues...

Nous constatons tous les jours les dégâts que font les thérapeutes charlatans dans l'esprit de leurs patients. Une jeune femme de trente-cinq ans s'est par exemple suicidée, laissant deux bébés, après avoir suivi une psychanalyse où il lui a été « révélé » que son père avait abusé d'elle lorsqu'elle était enfant... Certains enfants accusateurs ont été hospitalisés en HPS, d'autres reconnus schizophrènes ou bipolaires. Quant aux parents, certains connaissent une dépression, des pères font un infarctus ou développent un cancer.

Quel est le profil des thérapeutes ? Sur 15 000 psychothérapeutes recensés, une majorité ne disposerait pas des diplômes exigés. Un tiers se livrerait à des pratiques déviantes, sans compter les pseudo-thérapeutes qui officient en catimini. En supposant que chacun suit une dizaine de patients, le nombre de victimes de ces charlatans peut être raisonnablement estimé à plusieurs milliers. Le Conseil national de l'Ordre des médecins reconnaissait en 1996 avoir dans ses rangs environ 3 000 médecins sectaires. D'après notre analyse, les thérapeutes déviants sont pour 68 % autoproclamés, 8 % sont médecins psychiatres ou homéopathes, 12 % psychologues, 12 % psychanalystes. Parmi les thérapeutes autoproclamés, on recense des kinésithérapeutes, des ostéopathes, des étiopathes, des masseurs, des travailleurs sociaux, sans aucun diplôme ni formation en psychologie. Ils ont parfois suivi des formations très onéreuses dans des instituts privés non reconnus par l'Etat ; 80 % exercent en libéral et souvent en réseau ; 43 % sont domiciliés à Paris. Les victimes peuvent également devenir thérapeutes après une formation dispensée par celui qu'elles consultent.

Les pratiques des thérapeutes déviants reposent sur la manipulation et l'emprise mentales. Certains jouissent avec perversité de leur toute puissance pour anéantir leurs victimes. Le thérapeute agit alors en maître absolu et dirige la vie de son patient, y compris avec des techniques plus subtiles comme l'hypnose. Son intérêt est financier ; lorsqu'il exerce en libéral, il sélectionne sa clientèle.

Les faux souvenirs induits touchent surtout les catégories socioculturelles élevées, certains enfants accusateurs ont fait de grandes écoles ou de brillantes études. C'est un argument qui nous est souvent opposé lorsque nous évoquons l'abus de faiblesse. Il est possible que plus les individus ont un poste élevé dans la hiérarchie professionnelle, plus ils sont sujets à être manipulés : placés continuellement sous pression, ils présentent une certaine fragilité psychologique. Le coût des consultations varie de 50 euros en province à 120 euros à Paris. Les séances sont payées en espèces. Des stages, des séminaires de pseudo-formation peuvent encore alourdir la note.

Les thérapeutes déviants n'hésitent pas à déménager dès qu'ils connaissent des problèmes sérieux avec les autorités. Ils forment un groupe d'une dizaine de patients qu'ils dominent, écrasant les personnalités de chacun et imposant une rupture avec l'entourage. Leur parole ne peut être mise en doute. Ils réorganisent la vie de leurs patients en imposant un embrigadement dans des groupes cloisonnés. Des punitions financières peuvent être appliquées. Il devient impossible ou presque de s'échapper. Plus dangereux encore, des enfants sont parfois embrigadés dans ces structures. Certains thérapeutes ne respectent pas la distance thérapeutique, s'autorisant des relations sexuelles avec leurs patientes - c'est paraît-il recommandé pour la thérapie -, quand d'autres expliquent que la thérapie doit se faire nu, afin que les vêtements n'empêchent pas la vérité d'émerger... Ainsi un hypnothérapeute caressait ses patientes lors des séances pour « leur redonner confiance en elles ». Certains thérapeutes charlatans considèrent leur victime comme du bétail, au point de les marquer avec des puces électroniques.

Les charlatans utilisent les Pages jaunes et Internet pour se faire de la publicité, mais le plus souvent ils se servent de leurs victimes comme rabatteurs. Ils exercent également dans les salons de bien-être, des stages de développement personnel ou de formation professionnelle ; dans certains clubs de gym on mélange fitness, yoga, régime alimentaire et toutes sortes d'autres pratiques. Ils appartiennent parfois à des mouvements sectaires ayant pignon sur rue, sont nombreux dans le mouvement new age qui prône le bio, le rejet des médicaments et de la médecine conventionnelle, le refus de la vaccination.

Toutes les méthodes thérapeutiques ne sont pas dangereuses, ce sont leurs dévoiements par des personnes non expérimentées qui le sont. A cet égard, il faudrait mieux encadrer la pratique de l'ostéopathie ou de l'hypnose. De même une concertation entre les ARS et les associations serait profitable aux demandeurs de soins thérapeutiques, des thérapeutes déviants ayant été agréés par les ARS.

La manipulation mentale est un redoutable outil de contrôle, son but est d'aliéner la liberté d'autrui. Le gourou est très intelligent et prend soin d'écouter, à la différence de certains médecins qui n'en ont pas le temps. Il est charismatique et s'adresse à des personnes en recherche d'affection. Il devient au fil du temps un véritable tyran, se croit invincible et le dit à ses adeptes. Une magistrate m'avait affirmé que « l'invincibilité » de tel gourou s'arrêterait à la porte de la prison... Nous attendons toujours le procès de ce thérapeute.

Certains gourous profitent de cet état pour soutirer davantage d'argent à leurs victimes ; certaines ont été totalement spoliées. Les adeptes du thérapeute sectaire sont liés les uns aux autres. Le groupe vit une régression collective et perd tout esprit critique. Les patients deviennent dépendants comme des drogués de leur dealer et vont jusqu'à prendre le parti de leur gourou lors de son procès.

De plus en plus ces nouveaux « psys » recherchent la caution de la science et de professionnels de santé.

Les victimes qui arrivent à se sortir des griffes de leur thérapeute se retrouvent comme les victimes des sectes seules et isolées, en grande détresse psychique et souvent financière. Certaines reprennent contact avec leur famille quand d'autres se tournent vers un psychiatre pour essayer de comprendre ce qui leur est arrivé. Elles doivent réapprendre à penser par elles-mêmes. Il est difficile pour une personne qui a consulté dans une démarche volontaire un thérapeute charlatan de reconnaître son erreur.

Depuis 2007, plusieurs victimes ont déposé plainte contre leur thérapeute avec l'aide de leurs parents qui se sont constitués partie civile. En avril dernier, le premier procès a eu lieu contre un psychologue-clinicien qui avait constitué un groupe d'adeptes. Tous les éléments d'une dérive sectaire étaient réunis. Les deux victimes avaient été spoliées de plusieurs centaines de milliers d'euros. Ce thérapeute a été condamné à douze mois d'emprisonnement avec sursis et 200 000 euros d'amende et de dommages et intérêts. Le charlatan comme le parquet ont fait appel. D'autres procès se préparent.

Nous avons plus de quinze ans de retard par rapport aux USA. Tous les procès y ont été gagnés par les victimes. La pratique des faux souvenirs y a pratiquement disparu. L'association américaine False Memory Syndrome Foundation a sensibilisé les pouvoirs publics américains et le grand public par des émissions de télévision auxquelles ont participé des spécialistes de la psychothérapie. Pourquoi ne pas mener une campagne médiatique nationale sur ce problème, à l'instar de celles contre l'alcool au volant ou le tabagisme ? Plus les demandeurs de psychothérapies seront avertis des dangers des thérapeutes charlatans, moins nous aurons de dérives.

L'Afsi est une jeune association, elle demande à être soutenue financièrement par les pouvoirs publics pour continuer à aider les victimes et leurs familles. Nous avons besoin de votre aide.

Mme Françoise Chalmeau, secrétaire générale de l'Afsi . - Les pratiques incriminées par les victimes se répartissent en quatre groupes. Le premier concerne des pratiques issues de courants millénaires originaires d'Asie ou d'Amérique, comme le yoga, le chamanisme, la réflexologie et les massages énergétiques ; le deuxième se rapporte à des pratiques issues de courants de pensée philosophique ou spirituelle, telle l'anthroposophie ; le troisième regroupe des approches nées essentiellement au cours du XX e siècle comme la kinésiologie ou la nouvelle médecine du docteur Hamer ; le dernier groupe, le plus important, concerne des méthodes psychothérapeutiques : analyse transactionnelle, psychogénéalogie, art-thérapie, programmation neurolinguistique ou sophrologie.

L'offre englobe les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique (PNCVT) qualifiées aussi de médecines alternatives, douces ou complémentaires, et une multitude de méthodes psychothérapeutiques, dont certaines ont donné lieu à des évaluations scientifiques comme les psychothérapies psychanalytiques, les thérapies cognito-comportementales, les thérapies systémiques et les thérapies humanistes. Les appellations sont innombrables, on recense plus de quatre cents pratiques non conventionnelles. Les thérapeutes, de manière générale, recourent à plusieurs d'entre elles. Les déviants sont, dans la majorité des cas, multicartes.

Il ne faut cependant pas discréditer l'ensemble de ces pratiques auxquelles recourent, de manière plus ou moins régulière, un Français sur quatre dans le cas des PNCVT et cinq à six millions de personnes pour des suivis psychothérapeutiques. Toutefois ces outils constituent potentiellement un puissant levier d'emprise mentale. L'individu est perçu dans une vision globale qui intègre sa dimension physique, émotionnelle, mentale voire vibratoire. Les chocs émotionnels sont enfouis dans l'inconscient par le déclenchement de mécanismes de défense ; l'inconscient ne ment pas et il convient de le révéler. S'ajoute la mémoire du corps qui, réagissant aux traumatismes refoulés, développe maladies et tensions ; mais il possède un langage décryptable... Parmi les prises en charge proposées, on relève le travail sur les centres énergétiques, la purification émotionnelle ou la résurgence des souvenirs enfouis.

Le dévoiement à des fins aliénantes de ces pratiques conduit à une coupure avec l'environnement, à l'atteinte à l'intégrité psychique du patient, à l'embrigadement par une théorie qui rend compte de tout, à l'instauration d'une relation dominante où le patient est réduit au statut d'objet.

La hausse des prises en charge de victimes par l'Afsi témoigne de la montée du péril sectaire et de la banalisation de pratiques réprouvées. Il s'agit d'un problème de santé publique et plus globalement de protection des libertés individuelles. Le terreau est favorable : le caractère anxiogène de nos sociétés, les difficultés économiques, la défiance vis-à-vis de la médecine, l'aspiration en une vie meilleure et plus longue. Dans ces conditions, des alternatives fondées sur des postulats ou sur la récupération de traditions millénaires prospèrent. La demande d'accompagnement psychologique est en progression régulière.

Au début des années 2000, les personnes ayant suivi une psychothérapie représentaient environ 5 % de la population. A l'horizon 2040, elles seront 15 %, soit dix à quinze millions de personnes en France. Or l'offre est mal maîtrisée. L'amendement Accoyer et le décret d'application du 20 mai 2010 ont encadré l'usage du titre de psychothérapeute, mais le dispositif est contourné par des praticiens qui évitent d'employer le titre désormais protégé sans renoncer à exercer.

Les formations aux psychothérapies continuent à soulever des interrogations sur le contenu des programmes, le professionnalisme des futurs praticiens et la diffusion d'une multitude de méthodes exotiques auto-évaluées par leur fondateur. L'utilisation de termes comme celui d'université, de faculté libre ou d'institut supérieur, est parfois abusive. Ces structures ne sont soumises qu'à un régime de déclaration ; les certifications qu'elles délivrent n'apportent aucune garantie.

La formation professionnelle soulève également de grandes réserves. Le principe déclaratif prévaut également dans ce domaine. Même si les contrôles se renforcent, sept cents organismes environ, non recensés, prospèrent grâce à la facturation de stages divers et sont d'efficaces vecteurs de transmission de méthodes plus ou moins douteuses et à risque.

Depuis plusieurs années, la Miviludes publie des guides pédagogiques à l'attention des professionnels et du grand public. Le dernier concerne la santé et les dérives sectaires. Le ministère de la santé présente sur son site des recommandations de caractère général. Les médias, régulièrement, relaient le déroulement des procès.

Avec l'encadrement récent du titre de psychothérapeute, les patients peuvent choisir leur praticien sur des listes de professionnels de santé. Mais les méthodes ne font l'objet que d'une simple description de leur contenu. Si les évaluations scientifiques sur leurs indications et leurs limites sont quasiment inexistantes, Internet regorge d'évaluations auto-réalisées dithyrambiques. Il conviendrait de remédier à cette lacune préjudiciable pour le grand public comme pour les professionnels. Pourquoi ne pas instaurer un délit d'exercice illégal ?

Que peut faire une victime ? La Miviludes a la charge des actions de sensibilisation et de formation des agents publics. Mais le degré de sensibilisation au sein de l'administration est inégal. Les pratiques divergent en fonction du degré de priorité accordé à ce dossier et les commissions départementales ad hoc sont irrégulièrement convoquées. Il faudrait organiser des programmes de formation sur l'ensemble du territoire. La coordination et la coopération des services de l'Etat sont essentielles dans la maîtrise des conduites à risque.

Des avancées peuvent être relevées : la multiplication des plaintes et des procédures retenant le délit d'abus de faiblesse, la couverture médiatique d'affaires judiciaires ou l'élaboration de guides pédagogiques par les pouvoirs publics. Mais le développement rapide du phénomène sectaire et sa dangerosité potentielle exigent une grande détermination dans la mise en oeuvre de l'arsenal des mesures de prévention, d'encadrement et de sanction. L'évaluation des méthodes, l'élaboration de bonnes pratiques et de règles éthiques partagées doivent être menées sans délai. Enfin, les associations de défense des victimes et d'aide à la réinsertion devraient pouvoir compter sur un renforcement de leurs moyens d'actions car elles sont de plus en plus sollicitées.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez évoqué le cas d'un « thérapeute » qui a fixé une puce électronique sur sa victime...

Mme Claude Delpech . - C'était en 2004. La victime a porté plainte mais a été déboutée car cette pratique était ignorée à l'époque. Aujourd'hui elle se répand...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Quels sont les mouvements à caractère sectaire influents chez ces pseudo-thérapeutes ? Certains agissent de manière isolée, d'autres en réseau...

Mme Françoise Chalmeau . - Les praticiens déviants ont souvent créé des petites structures, qui entretiennent des liens très forts entre elles. La kinésiologie, par exemple, a des ramifications dans différentes parties du monde. L'anthroposophie a une organisation plus traditionnelle. Il s'agit toujours de micro-structures mais qui sont liées à des organisations puissantes qui proposent une vision du monde. Les courants de naturopathie, par exemple, sont très organisés et forment des « techniciens de l'hygiène ».

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Avez-vous constaté des phénomènes déviants dans le cas de la naturopathie ?

Mme Françoise Chalmeau . - Oui, car la naturopathie propose une prise en charge globale de la personne et est fondée sur des principes d'hygiène et de purification du corps. Elle amène à rejeter les formes de prise en charge conventionnelles.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous faites état de thérapeutes déviants agréés par l'ARS de leur région, alors qu'ils sont dangereux pour leurs patients.

Mme Claude Delpech . - Nous avons eu des cas en Bretagne et en Vendée, l'ARS n'avait pas été informée de la dangerosité de ces thérapeutes. Désormais, nous alertons directement les ARS. A La Rochelle, l'agence nous a récemment donné gain de cause en refusant un agrément. Mais au moment où elles délivrent l'agrément, surtout lorsque le thérapeute n'est pas diplômé, il faudrait que les ARS vérifient s'il n'a pas fait l'objet d'un signalement par une famille ou une association.

Mme Nicole Bonnefoy . - Comment l'ARS peut-elle délivrer un agrément à quelqu'un qui n'a pas de diplôme ?

Mme Claude Delpech . - La reconnaissance de la qualité de psychothérapeute est possible pour les personnes exerçant depuis plus de cinq ans. Bien souvent, elles contournent la loi en se faisant reconnaître aussi comme psychanalystes...

Mme Nicole Bonnefoy . - Ne vaudrait-il pas mieux qu'ils ne soient pas agréés ?

Mme Claude Delpech . - Nous travaillons bien avec les ARS. La difficulté réside dans l'identification des thérapeutes charlatans. Ce n'est pas écrit sur leur front ! D'autant qu'ils travaillent en réseau et s'entraident.

M. Stéphane Mazars . - Dans les cas de vraies victimes d'agressions sexuelles comme de faux souvenirs induits, les révélations sont tardives. La distinction entre les deux situations doit être très compliquée à établir. Ne rencontrez-vous pas des difficultés avec d'autres associations dont la culture est plutôt à la sacralisation de la parole de la victime, en particulier celle des enfants ?

Outre les victimes, des tiers viennent sans soute aussi vers vous pour vous alerter de manipulations mentales supposées. Là aussi, n'est-il pas très difficile de faire la différence entre vraies victimes et personnes manipulées ?

Notre société et notre droit ont sacralisé la parole de la victime pour des faits qui remontent à l'enfance et dont on sait que la révélation est toujours tardive et compliquée.

Mme Claude Delpech . - Nous avons mis en place des garde-fous pour éviter d'être à notre tour manipulés par des parents pervers : que la victime ait plus de vingt-cinq ans, qu'elle suive ou ait suivi une thérapie et que les parents nous en donnent les raisons ainsi que l'identité du thérapeute, ce qui n'est pas toujours fait. Nous les envoyons systématiquement chez un psychiatre. La situation est toujours la même : les parents sont accusés par leur enfant majeur d'environ trente-cinq ans qui a suivi ou suit une thérapie et qui du jour au lendemain coupe les liens avec eux.

Nous travaillons avec Dominique Thomas, psychologue-clinicienne, experte auprès des tribunaux à Angers, qui a fait plus d'une centaine d'expertises d'enfants abusés ou maltraités. Tout comme les universitaires américains, notamment Elizabeth Loftus, qui ont travaillé sur la mémoire, elle nous a toujours dit que les enfants abusés se souviennent ; ils n'oublient pas, même s'ils rangent ces faits dans un coin de leur tête et n'en parlent pas. Ils n'ont pas besoin d'une thérapie pour se souvenir.

Mme Nicole Bonnefoy . - Comment se fait-il qu'il y ait si peu de condamnations et quelles soient si légères ?

Mme Claude Delpech . - Avant la création de notre association, on ne parlait pas des faux souvenirs. Cela gênait les médecins et les psychiatres tandis que les pouvoirs publics ne voulaient pas prendre ce problème en charge. L'un des buts d'Afsi est d'alerter les pouvoirs publics. Le premier procès, fortement médiatisé, s'est achevé seulement en avril dernier. La justice a mis cinq ans pour étudier le dossier, qui concernait de nombreuses victimes. Seules deux d'entre elles ont pu porter plainte car, pour les autres, les faits étaient prescrits. D'autres procès se préparent, à la suite de plaintes déposées en 2008, et auront lieu en 2013. Lorsque j'ai interrogé Mme Caillebotte au ministère de la justice en 2009 sur les raisons de ces délais, elle a mis en avant le très grand nombre de victimes et la nécessité d'être certain qu'il s'agit de manipulations mentales. Aux Etats-Unis, les thérapeutes ont, en pareils cas, été condamnés pour faute professionnelle grave et à plusieurs millions de dollars de dommages et intérêts. En France, nous n'en sommes qu'au début. J'ai rencontré il y a quelques mois une magistrate qui m'a assuré que l'affaire jugée en avril ferait jurisprudence, ce que j'espère.

S'il n'y a pas beaucoup de retours, c'est que les enfants ne veulent pas déposer plainte contre leurs thérapeutes ou qu'après cinq ans de procédure judiciaire, ils n'en ont plus les moyens...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez indiqué que parmi les personnes accusées que vous avez suivies, toutes avaient bénéficié d'une relaxe ou d'un non-lieu. Avez-vous la liste en votre possession ?

Mme Claude Delpech . - Je pourrais avoir la liste, mais je ne suis pas certaine que les parents acceptent qu'elle soit communiquée. Etre accusé de viol ou d'inceste par son enfant laisse des traces.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Tous les dossiers ont été classés ou ont fait l'objet d'un non-lieu.

Mme Claude Delpech . - Ils ont tous été classés sans suite, sauf pour un père de famille qui a bénéficié d'un non-lieu.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Cela confirme le sérieux et les précautions que vous prenez dans l'examen de ces dossiers. Vous dites ne pas recevoir de subvention ; comment fonctionnez-vous ?

Mme Claude Delpech . - Nous avons été mis à la porte du local qui nous avait été prêté. A la fin de l'année, nous n'aurons plus de bureau. Je lance donc un appel car nous risquons de disparaître ; les six cents victimes avec lesquelles nous travaillons et leurs familles n'auront alors plus d'interlocuteurs.

M. Stéphane Mazars . - S'agissant des certificats médicaux de complaisance, vous savez sans doute qu'un médecin n'a pas le droit de se prononcer sur les pratiques ou les déviances de tel ou tel. Relayez-vous cette information ? Etes-vous en relation avec l'Ordre des médecins ?

Mme Françoise Chalmeau . - On peut imaginer qu'un médecin prenne parti pour certains membres de la famille qui, par exemple, partagent ses convictions. Nous parlons ici de situations qui sont de véritables séismes dans les familles...

Mme Claude Delpech . - Dans le cadre du droit de garde des grands-parents, nous avons vu des thérapeutes diplômés produire de tels certificats. Dans une autre affaire, des parents mis en cause, notamment par le certificat de complaisance d'une psychologue, ont porté plainte contre elle mais ils ont été déboutés. C'était il y a quelques années, la justice ne connaissait pas la manipulation mentale. Toutefois, de plus en plus, après un classement sans suite, les parents portent plainte contre X, ce qui, au-delà de leur enfant, inclut souvent les thérapeutes. L'étude des dossiers fait apparaître que ces derniers fonctionnent souvent en réseau ; ils se renvoient les victimes de l'un à l'autre et à chaque fois les parents paient...

M. Alain Milon , président . - Je vous remercie.

Audition de M. Jean-Yves GRALL, directeur général de la santé (mercredi 28 novembre 2012)

M. Alain Milon , président. - Nous accueillons M. Jean-Yves Grall, directeur général de la santé, dont relève le Groupe d'appui technique sur les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique (GAT) créé par l'arrêté du 3 février 2009. Il est accompagné de Mme Michèle Brian, médecin inspecteur de santé publique et de Mme Anne-Marie Gallot, chef du bureau Qualité des pratiques et recherches biomédicales.

Cette audition s'est imposée de manière évidente car nous avons constaté que l'expansion des pratiques thérapeutiques dites non conventionnelles faisait partie intégrante de notre sujet. L'expertise de ces pratiques en vue de leur éventuelle validation et de l'information du public, qui relève de la compétence du GAT, est essentielle à la lutte contre les dérives sectaires dans le domaine de la santé.

Cette audition n'est ouverte ni au public ni à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Je vais, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes auditionnées de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Jean-Yves Grall, mesdames Michèle Brian et Anne-Marie Gallot, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les trois personnes se lèvent et prêtent serment .

M. Alain Milon , président . - Vous avez la parole.

M. Jean-Yves Grall, directeur général de la santé. - Si les pratiques non conventionnelles et les dérives sectaires doivent être distinguées, elles sont parfois associées. Dans tous les cas, le rôle de la direction générale de la santé (DGS) est de protéger la santé de nos concitoyens.

Les pratiques non conventionnelles désignent sous un même vocable une large gamme de pratiques allant de l'ostéopathie à la biologie totale ou à la naturopathie. Certaines correspondent à des pratiques anciennes ou couramment appelées médecines douces ; d'autres sont utilisées dans le cadre de pratiques sectaires. Leurs objectifs sont divers.

Le recours à ces pratiques est probablement fréquent mais difficile à quantifier du fait de leur champ très large et de l'absence de déclaration des actes. Il est toutefois admis qu'environ la moitié de la population française a eu recours au moins une fois à une pratique complémentaire ou parallèle. L'augmentation du nombre de patients atteints de pathologies chroniques, devant supporter les effets secondaires de traitements lourds ou des douleurs rebelles, explique au moins en partie cet engouement.

Le développement de ces pratiques invite aussi à réfléchir aux modalités d'exercice de la médecine conventionnelle, dont le cloisonnement entre spécialités est difficile à comprendre pour les malades et où le temps consacré à la consultation est réduit. Cela peut les inciter à se tourner vers des pratiques qui paraissent mieux prendre en compte la totalité de leur personne et délivrent des explications simples à comprendre et à admettre. Dans la très grande majorité des cas, ces pratiques n'ont pas fait l'objet d'études scientifiques ou cliniques quant à leurs modalités d'action, leurs effets, leur efficacité ou leur non-dangerosité. Leur enseignement ne conduit pas à la délivrance de diplômes nationaux. Alors que la presse présente souvent ces méthodes sous un jour positif, sans danger ni effets secondaires, la médiatisation récente d'affaires de sécurité sanitaire peut amener une partie du public à douter de la médecine conventionnelle.

Face à cette situation a été créé en 2009 le Groupe d'appui technique sur les pratiques non conventionnelles (GAT), présidé par le directeur général de la santé et composé des représentants des organismes publics impliqués dans la protection de la sécurité et de la qualité des soins en France. Sa première mission est l'évaluation scientifique des pratiques non conventionnelles. Il est aussi chargé de l'information du public. Cette information objective et factuelle ne fait bien entendu aucune concession sur la sécurité sanitaire. Enfin, le GAT mène une réflexion sur les outils juridiques permettant de lutter contre les pratiques dangereuses.

Le programme pluriannuel d'évaluation est financé par la Direction générale de la santé depuis 2010. Il est défini en concertation avec le GAT en fonction des remontées de cas d'accidents ou du recours important du public à certaines techniques. Les évaluations ne pouvant être conduites avec les outils habituels, elles nécessitent des méthodologies adaptées peu répandues dans les équipes scientifiques, l'analyse de la littérature « grise » et les auditions de professionnels. Elles sont effectuées par des organismes publics reconnus car la qualité de ces études conditionne celle de l'information. Les évaluations et revues de littérature scientifique internationale sont confiées à l'Inserm ou à des sociétés savantes et un avis complémentaire est ensuite demandé à la Haute Autorité de santé (HAS) ou au Haut Conseil de la santé publique (HCSP). L'objectif est de repérer les pratiques prometteuses et celles potentiellement dangereuses. La DGS soutient aussi la réalisation d'études cliniques visant à explorer l'efficacité de pratiques non conventionnelles sur certains symptômes en complément des traitements conventionnels. C'est notamment le cas à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) s'agissant de l'effet de l'acupuncture et de l'ostéopathie sur des symptômes douloureux.

Dans le cadre de sa mission d'information du public, un dossier élaboré avec l'aide du GAT et mis en ligne sur le site internet du ministère a été ouvert le 7 janvier 2011. Il donne des informations factuelles dénuées de caractère promotionnel qui permettent aux patients de faire un choix éclairé. On ne peut en effet laisser les promoteurs de ces pratiques dispenser seuls, sans aucune limite, une information incertaine. Ce dossier internet va être enrichi de fiches par pratiques. D'ici la fin de l'année seront ainsi mises en ligne trois fiches sur la biologie totale, la mésothérapie et la lipolyse. Un lien internet avec les rapports d'évaluation de l'Inserm est prévu afin que le public puisse les consulter. D'autres autres fiches sont en cours d'élaboration notamment sur l'ostéopathie, la chiropraxie et la fishthérapie.

L'article L. 1151-3 du code de la santé publique interdit les actes à visée esthétique présentant un danger grave ou une suspicion de danger grave pour la santé. D'autres outils sont à l'étude pour une intégration dans la future loi de santé publique.

Il nous faut objectiver les risques par des études à la méthodologie solide. La lenteur de l'établissement de notre doctrine s'explique par cette volonté de prendre des mesures qui ne soient pas contestées, comme la décision récente du Conseil d'Etat sur la lipolyse nous y incite. L'Inserm fait beaucoup en ce sens au point de se voir reprocher par l'agence d'évaluation de la recherche scientifique qu'il ne s'agit pas d'études classiques. Au sein du ministère, les directions générales de l'offre de soins et de la cohésion sociale sont elles aussi concernées.

M. Alain Milon , président. - Sur les 400 pratiques non conventionnelles recensées, vous en avez évalué trois en trois ans. Faudra-t-il attendre 400 ans pour les autres ?

M. Jean-Yves Grall. - Il ne s'agit pas de lenteur mais du respect d'une procédure. Ne pas prendre le temps d'être rigoureux, c'est s'exposer à de nombreux risques. Certes, six en trois ans ce n'est pas beaucoup, mais nous avançons.

M. Alain Milon , président. - Des pratiques complémentaires telles que l'hypnose, la méditation, la sophrologie, le shiatsu, le tens, le Qi gong ou le toucher thérapeutique sont semble-t-il utilisées à l'AP-HP. Qu'en pensez-vous ?

Mme Anne-Marie Gallot, chef du bureau des pratiques et recherches biomoédicales. - Nous avons soutenu l'AP-HP dans la mise en place de dispositifs visant, dans le cadre d'études de recherche biomédicale, à apprécier la place et les limites de ces pratiques.

M. Stéphane Mazars . - Vous connaissez l'existence de ces pratiques complémentaires et vous les accompagnez ?

Mme Anne-Marie Gallot. - Oui, nous manquons d'études scientifiques fiables à leur sujet. Nous procédons à une véritable évaluation dans un cadre de recherche biomédicale, sans risque pour les patients.

M. Jean-Yves Grall. - Les programmes hospitaliers de recherches cliniques (PHRC) sont faits pour cela.

M. Stéphane Mazars . - Etes-vous informés des résultats ?

Mme Anne-Marie Gallot. - Oui, la responsable de ces études à l'AP-HP en rend compte au GAT.

M. Alain Milon , président. - Notre préoccupation est qu'une fois sorties de l'hôpital, les médecines complémentaires deviennent des médecines parallèles qui peuvent, en ville et sur internet, se prévaloir de leur application par l'AP-HP et de leur autorisation par la DGS.

M. Jean-Yves Grall. - Elles peuvent seulement dire qu'elles font l'objet d'une investigation dans le cadre d'un PHRC.

M. Alain Milon , président. - Ce n'est toutefois pas ainsi qu'elles présentent les choses. Cela nous préoccupe vraiment.

M. Stéphane Mazars . - Une fois que les associations concernées sont hors des murs de l'AP-HP, vous ne contrôlez plus rien.

Mme Anne-Marie Gallot. - C'est aussi pour responsabiliser l'usager que nous avons mis en place le site internet. Cela se pratique dans d'autres pays. Nos fiches apportent une autre parole, factuelle et objective, qui peut bien sûr évoluer dans le temps.

M. Stéphane Mazars . - Le risque nous est apparu que des personnes très vulnérables trouvent dans ces soins secondaires une source de bien-être qui les aveugle et les conduise, sous l'influence de personnes mal intentionnées, à déserter les thérapies conventionnelles. Certaines associations se prévalent de la caution de l'AP-HP et de la DGS ; n'y a-t-il pas là le risque de voir leurs thérapies validées ?

M. Jean-Yves Grall. - Ce risque est inhérent aux programmes hospitaliers de recherche clinique organisés par la DGOS consistant à évaluer dans les conditions réelles l'efficacité et l'innocuité des différentes pratiques. Quand bien même les études ont été engagées de façon appropriée et que l'on informe les patients, le risque d'utilisation malhonnête existe. Notre démarche consiste à fonder solidement et scientifiquement notre position vis-à-vis de ces méthodes en nous plaçant sous l'angle de la sécurité sanitaire. Il est vrai que cela prend du temps.

M. Stéphane Mazars . - Comment expliquez-vous la multiplication des médecines dites secondaires ?

M. Jean-Yves Grall. - On peut l'expliquer par l'opportunité pour certains d'en faire la promotion, que ce soit dans un cadre commercial ou sectaire, par le développement des affections chroniques lié à l'allongement de la durée de la vie et par une médiatisation très forte de ces pratiques.

M. Stéphane Mazars . - Comment le travail du GAT s'articule-t-il avec celui des ordres professionnels ?

Mme Anne-Marie Gallot. - L'Ordre de médecins participe activement aux travaux du GAT.

Mme Catherine Génisson . - Je suis très surprise par les expérimentations menées à l'AP-HP. Les patients en sont-ils préalablement informés ? Compte tenu de la difficulté à évaluer ces médecines parallèles, comment exercez-vous votre devoir d'alerte sur les 400 pratiques recensées ?

Mme Anne-Marie Gallot. - Les expérimentations ayant lieu dans le cadre d'un PHRC, les patients bénéficient des règles applicables aux recherches biomédicales. Nous définissons avec le groupe d'appui les pratiques à évaluer. Les fiches sur notre site sont régulièrement actualisées. Pour le reste, il s'agit, comme dans d'autres pays, d'un travail d'évaluation à long terme.

M. Jean-Yves Grall. - Ces techniques foisonnent et sont très évolutives. Pour en détecter de nouvelles, nous disposons du système de veille et de sécurité sanitaire qui s'appuie sur les agences ainsi que de celui des vigilances sanitaires. Les informations qui nous remontent peuvent nous conduire à mener des investigations.

Mme Catherine Génisson . - Je comprends votre volonté de trouver de la rationalité dans des propositions qui semblent en manquer. Mais on s'adresse ici à des personnes très vulnérables et à la santé précaire. Ces expérimentations cliniques m'interpellent dés lors que certains patients seraient conduits à abandonner les traitements conventionnels.

M. Jean-Yves Grall. - Il faut bien distinguer les techniques conventionnelles éprouvées par des données factuelles et les techniques complémentaires qui font l'objet de demandes d'évaluation clinique par les établissements. Le risque d'abandon des traitements classiques existe pour des raisons qui relèvent de l'intimité du malade. Sur ce point, l'information des patients et celle des professionnels sont essentielles.

Mme Catherine Deroche . - Comment s'articulent les dérives sectaires avec ces pratiques non conventionnelles ?

M. Jean-Yves Grall. - Parallèlement au travail du groupe, la Miviludes adresse des signalements à la DGS ou à la DGOS dans l'optique propre à cette mission. Les cas ainsi relevés peuvent être analysés par les directions centrales et les ARS ou par le GAT. Les analyses permettent de disposer d'un levier indispensable pour mettre éventuellement ces pratiques en cause. Pratiques non conventionnelles et dérives sectaires ne sont cependant pas toujours superposables.

Mme Hélène Lipietz . - En Suisse, les soins des magnétiseurs sont remboursés et certains « coupeurs de feu » seraient admis dans les hôpitaux pour grands brulés. Avez-vous des échanges avec vos homologues européens ?

M. Jean-Yves Grall. - Je ne peux vous répondre sur ce qui se pratique en Suisse...

Mme Anne-Marie Gallot. - Nous recherchons les études réalisées au niveau international ; il n'y en a guère de satisfaisante.

Mme Michèle Brian, médecin inspecteur de santé publique . - Nous consultons l'information au public délivrée par certains pays. En Suisse, il semble qu'il ait été décidé de rembourser certaines pratiques non conventionnelles pendant quelques années, à l'issue desquelles une évaluation permettra de décider de la poursuite éventuelle du remboursement. Cette posture est assez semblable à celle de la DGS.

M. Alain Milon , président . - A la différence qu'en Suisse, le remboursement intervient au-delà de 2 500 francs suisses de dépenses annuelles...

Mme Catherine Génisson . - L'AP-HP a-t-elle validé des pratiques non conventionnelles ?

Mme Anne-Marie Gallot. - Les études son en cours. Quand nous avons su que cette réflexion était menée à l'AP-HP, nous l'avons soutenue.

Mme Catherine Génisson . - Vous n'avez pas mandaté l'AP-HP ?

Mme Anne-Marie Gallot. - Non.

Mme Catherine Génisson . - C'est une information importante.

M. Jean-Yves Grall . - Les hôpitaux viennent vers la direction de l'organisation des soins et déposent des projets, qui sont ensuite analysés ; la DGOS octroie éventuellement un label et des financements pour réaliser l'évaluation clinique demandée. Nous ne sommes pas les promoteurs de ces actions.

M. Alain Milon , président . - Qui est le promoteur à l'AP-HP ?

M. Jean-Yves Grall . - Je ne saurais vous répondre. C'est l'AP-HP en tant qu'institution qui dépose un projet.

M. Alain Milon , président . - Avez-vous déjà eu des alertes liées à des pratiques non conventionnelles dans le cadre du système de vigilance et, le cas échéant, lesquelles ?

En tant qu'internaute, j'ai eu du mal à vous trouver sur internet. En tapant kinésiologie ou biomagnétisme, je ne suis jamais arrivé sur votre site. Il faut passer par l'adresse sante.gouv.fr et fouiller...

Enfin, M. Fenech, que nous avons auditionné, nous a fait part de la démission du GAT d'un praticien hospitalier, suite à un désaccord concernant la méthode de suivi et les délais. Qui est cette personne et quelles ont été les suites de cette démission ?

M. Jean-Yves Grall . - Nous avons eu un certain nombre d'alertes, parmi lesquelles un récent cas qui n'a sans doute pas été pour rien dans la position du Conseil d'Etat : il s'agissait de la lipolyse, qui a été à l'origine de quelques cas de septicémies. Nous essayons de muscler notre système de vigilance, en facilitant les déclarations et en les faisant remonter au plus vite.

Quant au site internet, nous avons un problème de référencement au ministère ; sans doute n'y sommes-nous pas suffisamment attentifs.

Enfin, je n'étais pas là lorsque ce praticien s'est retiré, mais je crois que les conditions de son départ ne sont pas tout à fait celles dont a fait état devant vous M. Fenech...

Mme Anne-Marie Gallot. - Cette personne est connue pour son excellence. Les mouvements sont fréquents au sein du GAT. D'autres institutions demandent à nous rejoindre. Le sujet sera à l'ordre du jour de notre prochaine réunion.

M. Jean-Yves Grall . - Je ne crois pas que les délais soient en cause dans ce départ. Bien sûr, nous aimerions aller plus vite. Je connais la position de M. Fenech et je la comprends, mais si on veut de la rigueur, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.

M. Stéphane Mazars . - Des moyens supplémentaires accélèreraient-ils le processus ?

M. Jean-Yves Grall . - Nous sommes les seuls à financer ces études. La contribution de la DGS est modeste, de l'ordre de 400 000 euros sur trois ans. L'Inserm est très volontariste, heureusement. Si nous avions la possibilité d'y consacrer exclusivement trois ou quatre personnes et des moyens supplémentaires, ce serait mieux évidemment. L'Inserm, lui aussi, travaillerait plus vite s'il était mieux doté ; mais il fait un travail considérable.

M. Alain Milon , président . - Avec quels pays travaillez-vous pour lutter contre les médecines non conventionnelles ? Comment s'organise ce travail ?

Mme Anne-Marie Gallot. - Nous faisons des recherches sur internet, sur les sites anglophones ou francophones.

M. Alain Milon , président . - Vous ne travaillez pas en coordination avec des services étrangers ?

M. Jean-Yves Grall . - Il n'y a pas de structure internationale ad hoc .

M. Alain Milon , président . - Il faudrait y penser. Vous nous avez dit travailler avec des sociétés dites savantes. Quelles sont-elles ?

M. Jean-Yves Grall . - La société française de cardiologie par exemple ou la société française de neurologie...

Mme Hélène Lipietz . - Vous avez dit que certains diplômes étaient délivrés par les universités sans que soit attestée la validité de la pratique enseignée. De quelles pratiques s'agit-il ? La sophrologie ? Cela ne vous gêne-t-il pas ?

M. Jean-Yves Grall . - Ce sont des diplômes d'universités qu'il appartient aux universités d'établir, à la différence des diplômes d'études spécialisées complémentaires dont la valeur est nationale. L'enseignement peut alors manquer d'un substrat clinique...

M. Alain Milon , président . - Je vous remercie.

Audition du Pr Joël MENKES, membre de l'Académie nationale de médecine (mardi 4 décembre 2012)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous recevons cet après-midi M. le Professeur Joël Menkès, qui a bien voulu venir jusqu'à nous pour faire part de son expérience à la commission d'enquête.

Une publication récente a fait état des réticences qu'inspire au Pr Menkès la diffusion des thérapies non conventionnelles à l'hôpital. Un rapport est d'ailleurs en cours d'élaboration, à l'Académie de médecine, sur le thème des médecines non conventionnelles dans les hôpitaux publics.

Avant de donner la parole à M. Menkès, je précise que la commission d'enquête a souhaité que la réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Je rappelle à l'attention du Pr Menkès que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base du droit de tirage annuel du groupe RDSE, dont M. Jacques Mézard, notre rapporteur, est président.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Menkès de prêter serment.

Je rappelle (pour la forme bien sûr) qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Joël Menkès, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Joël Menkès . - Je le jure.

A la suite de votre exposé introductif, mon collègue Jacques Mézard, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera quelques questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

M. Menkès, vous avez la parole.

M. Joël Menkès, membre de l'Académie nationale de médecine . - Il s'agit d'un problème très important, qui doit être maîtrisé pour éviter qu'il ne prenne trop d'ampleur.

L'exercice de la médecine conventionnelle a beaucoup changé : des ordinateurs s'interposent désormais entre médecin et patient, mettant à mal la relation humaniste qui s'instaurait traditionnellement entre eux. La perte de contact et d'écoute qui en découle est considérable : il arrive désormais que des patients soient soignés pendant plusieurs mois sans jamais avoir fait l'objet d'un examen clinique par un médecin, mais sur la foi d'examens multiples et complémentaires réalisés par des appareils ! La médecine progresse de nos jours par des comparaisons entre les effets d'un traitement et ceux d'un placebo, en raisonnant sur des échantillonnages et des statistiques, ce qui, là encore, réduit ou fait disparaître le facteur humain.

Les médecines complémentaires, elles, accordent une grande importance à celui-ci. En acupuncture, par exemple, les effets obtenus dépendent beaucoup de la relation avec le thérapeute. Et la crainte des effets secondaires des médicaments, ou des vaccins, contribue à détourner les patients des traitements conventionnels. Les thérapies complémentaires se présentent comme des médecines douces, naturelles, et offrent une explication à tout. Elles joignent même souvent, pour ainsi dire, le geste au diagnostic, ce qui est un avantage aux yeux de beaucoup de patients.

Pour ma part, je n'ai jamais découragé un patient qui croyait à ce type de traitement d'y avoir recours, pourvu que cela n'interfère pas avec la médecine conventionnelle. Mais j'ai été surpris d'apprendre que ces thérapies, que je considérais comme accessoires, et dont l'efficacité demande encore à être évaluée, faisaient leur entrée à l'hôpital ! On n'a jamais réussi à établir autre chose que l'existence d'une « certaine différence » entre l'effet de ces techniques et celui d'un placebo, malgré de nombreuses publications, qui ont fait elles-mêmes l'objet de méta-analyses... Mais on sait bien que la manière de donner un médicament a déjà beaucoup d'impact : même si la sensibilité à cette composante varie entre les patients, des études de la résonance magnétique fonctionnelle du cerveau montrent que son fonctionnement est modifié par des paroles adressées sur un ton amical.

L'inconvénient des médecines complémentaires, en revanche, peut être sérieux dès lors que des individus s'en servent pour profiter de la faiblesse transitoire d'une personne qui souffre et l'attirer dans un système sectaire. Elles comportent aussi des risques : la pratique de l'acupuncture avec des aiguilles non stérilisées a ainsi conduit à des cas de transmission d'hépatites ou du sida ; et une simple manipulation des cervicales, telle que la pratique l'ostéopathie, peut provoquer des lésions vasculaires qui causent des complications neurologiques - même si c'est extrêmement rare. Surtout, l'application de ces thérapies sans diagnostic médical préalable peut aboutir à des pertes de chance dans le cas de maladies graves : processus tumoraux ou atteintes osseuses par exemple.

Ces thérapies complémentaires faisaient l'objet d'une formation universitaire réservée aux personnels de santé : homéopathie, ostéopathie, médecine manuelle, mésothérapie... Mais l'annonce de la prise en charge de ces pratiques par les hôpitaux universitaires a suscité une grande émotion. L'AP-HP déclare que cela permettra de mieux en évaluer l'efficacité. C'est vrai, mais il faut être vigilant, car dans certains services où les traitements sont difficiles à supporter, où la dépression, l'anxiété, l'angoisse fragilisent les patients, des dérives sont possibles. Un rapport est en cours à l'académie, mais n'a pas encore été validé en assemblée générale. Il portera sur l'ostéopathie, la chiropraxie, l'acupuncture, les traitements manuels, l'hypnose et le taï-chi.

L'hypnose peut avoir une utilité. Je me souviens d'un service de pédiatrie où les enfants arrivaient en hurlant de peur, et où on parvenait à les calmer simplement en leur parlant sur un ton calme, un peu comme ce qu'on voit faire sur scène lors de démonstrations publiques. Cela permettait d'éviter d'utiliser des produits aux effets secondaires indésirables. L'autohypnose fonctionne également, j'en ai moi-même fait l'expérience. Les images obtenues par résonnance magnétique fonctionnelle montrent bien que certaines aires du cerveau s'activent davantage lorsqu'on cherche à attirer l'attention du sujet par ces techniques de répétition. Pour autant, il ne faut pas en faire un traitement habituel dans nos hôpitaux universitaires.

En cancérologie, 40 % des services utilisent des médecines complémentaires. J'ai été surpris d'apprendre qu'il existait une dérive sectaire importante dans ces différentes institutions. Certaines personnes qui pratiquent ce type de « médecines » complémentaires finissent par demander au patient de renoncer à la médecine conventionnelle. Si c'est en fin de parcours, pourquoi pas ? Mais si c'est en début de traitement, c'est très grave. Il faut donc être extrêmement vigilant.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez mis en évidence un aspect qui nous paraît, au fil des auditions, de plus en plus important : l'importance de l'accueil et de l'écoute qu'on réserve aux malades. Il faut de la science, mais aussi de l'humanisme. La manière dont on écoute un malade et dont on lui parle a une influence importante sur sa réceptivité au traitement. Pour autant, l'entrée dans les hôpitaux publics de médecines complémentaires, vis-à-vis desquelles on ne dispose pas véritablement d'une évaluation cartésienne et qu'on présente toujours comme pouvant être utiles mais jamais comme potentiellement nocives, impose, comme vous l'avez dit, la plus grande vigilance. Comment appréciez-vous le risque que cela fait courir ?

M. Joël Menkès . - La plus mauvaise appellation pour ces pratiques aurait été « médecines douces ». « Médecine alternative » ne convenait pas non plus car quand il y a un traitement efficace il n'y a pas d'alternative, « Médecine non conventionnelle » ne voulait pas dire grand-chose. L'adjectif « complémentaire » était le meilleur. Certaines personnes ont, en effet, besoin d'un soutien en complément du traitement qu'elles suivent.

Ce type de « médecine » était mis à la disposition du public de façon ponctuelle dans certains services, mais sans représentation particulière : le directeur acceptait d'ouvrir une consultation destinée à prendre en charge les malades adressés par le service. Il semble que les choses doivent changer, mais en ce qui concerne l'Assistance publique, dans un premier temps, seuls les personnels médicaux devraient pouvoir exercer ces techniques complémentaires.

Y a-t-il des données factuelles sur l'efficacité de ces traitements ? Il est prouvé que l'ostéopathie peut agir modérément sur certaines douleurs vertébrales. L'ostéopathie crânienne, en revanche, n'a jamais fait la preuve de son efficacité, non plus que celle qui s'attaque à des pathologies intestinales ou gastriques. Nous avons auditionné ce matin le jeune représentant du Syndicat des ostéopathes non médecins - auquel les décrets de 2000 et de 2007 ont ouvert des possibilités. J'ai été surpris de constater que la manière dont ils présentent leur pratique a complètement changé : alors qu'ils la disaient holistique dans les années 2000 - et donc supérieure aux techniques qui ne soignaient que des pathologies d'organe - ils adoptent aujourd'hui une démarche scientifique visant à démontrer son utilité. Ils souhaiteraient bénéficier d'une formation théorique identique à celle des médecins, comme c'est le cas aux Etats-Unis, au lieu des trois mille heures annuelles et des limites imposées en France à leurs activités. Ils se sont rapprochés des chiropracteurs. Cette pratique, inventée aux Etats-Unis au XIX e siècle, consiste à rétablir la bonne santé en agissant sur la sub-luxation des vertèbres, vue comme la cause de tous les maux. En faisant craquer le dos, on remet en place les circuits, ce qui permet à l'énergie de se répandre dans tout l'organisme, qui guérit aussi. Eux aussi souhaitent bénéficier d'une formation qui les mettrait à même de démontrer scientifiquement l'utilité de leur pratique.

Il existe depuis longtemps, au sein des services hospitaliers, des consultations de ce type. On peut donc admettre qu'on en crée ouvertement, mais dans un cadre bien défini : d'abord, en employant des médecins formés à ce type de traitements.

M. Alain Milon , président . - Dans le rapport qui nous a été remis par la directrice de l'AP-HP, trois catégories d'intervenants sont habilités à exercer la médecine complémentaire : les chefs de services et les médecins, mais aussi les associations qui interviennent dans les structures cliniques ou les locaux de l'hôpital dans le cadre d'une convention et à titre gratuit pour les patients, ou bien dans le cadre d'une convention de mise à disposition des locaux du domaine public de l'AP-HP et qui peuvent demander une participation financière aux patients. Ces intervenants pourront exercer leur activité en dehors de l'hôpital mais avec le sceau de l'hôpital !

M. Joël Menkès . - C'est un énorme problème et je trouve ça très contestable. Sortir ces pratiques de l'obscurité en permettant qu'elles soient répertoriées et mieux connues, pourquoi pas ? Mais ouvrir la porte aux hôpitaux me semble dangereux.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Pour résumer : en dehors de l'ostéopathie pour les problèmes vertébraux, aucune de ces pratiques n'a d'efficacité démontrée. Vous paraît-il sain qu'elles puissent être enseignées dans le cadre d'études médicales, et que cet enseignement puisse donner lieu à la délivrance de diplômes universitaires ?

M. Joël Menkès . - De tels diplômes existent depuis longtemps ! Ils ont été surtout développés par une faculté dont le doyen était un grand admirateur de toutes ces pratiques ésotériques. Il est difficile de revenir en arrière à présent qu'il y a une reconnaissance légale. La question est de savoir jusqu'où il faut ouvrir la porte à ces formations complémentaires. Les études de médecine manuelle sont réservées aux médecins, et dans certains cas aux sages-femmes, par exemple pour l'acupuncture. Il n'est pas souhaitable qu'elles soient ouvertes à tous. Ces formations complémentaires ne donnent que la possibilité d'inscrire sur son ordonnance, si l'on en a, un diplôme d'acupuncture, d'ostéopathie ou de mésothérapie.

A la suite de l'extension de la possibilité d'exercer l'ostéopathie par des non-médecins, les écoles d'ostéopathie se sont multipliées dans des proportions déraisonnables : il y en avait moins de dix, il y en a désormais près de soixante-dix, qui ont formé en trois ans, sans qualification pratique, quelque cinq à six mille jeunes qu'on retrouve à présent sur le marché du travail et qui n'ont aucune chance de trouver un débouché dans ce métier ! Quand on voit dans certains quartiers des plaques d'ostéopathes à toutes les portes, on peut craindre que ces jeunes ostéopathes, pour subsister, se mettent au service de réseaux dangereux.

Installer ces pratiques à l'hôpital permettra-t-il de mieux les évaluer ? C'est un vieux débat. Pour ma part je n'en suis pas persuadé, mais je pense qu'il faut les cantonner au rôle relativement restreint de prise en charge de la douleur.

M. Alain Milon , président . - Le Centre d'analyse stratégique, que nous allons auditionner, propose de labelliser les offres de formation en pratiques non conventionnelles en écoles privées et d'augmenter l'offre de formation à ces pratiques dans le cadre des études médicales et paramédicales, afin d'organiser la compatibilité des médecines conventionnelle et non conventionnelle. Que pensez-vous du fait qu'une telle légitimation soit offerte à des pratiques non éprouvées par un organisme aussi officiel ?

M. Joël Menkès . - Je pense que c'est très dangereux pour les malades, et qu'il faut surtout s'abstenir de donner un contenu global à ce type de prise en charge thérapeutique. Créer, en quelque sorte, une chaire de médecines douces ou, dans un hôpital, un service dédié aux médecines non conventionnelles, serait une très mauvaise idée.

Mme Catherine Deroche . - La médecine est sans doute moins humaniste de nos jours, mais comment expliquez-vous que des médecins aillent vers les médecines non conventionnelles ?

M. Joël Menkès . - Il arrive qu'ils y croient ! Mais c'est souvent pour des raisons matérielles et personnelles...

Mme Muguette Dini . - Nous évoquons aujourd'hui les médecines complémentaires, dont l'efficacité n'est pas prouvée en effet, non plus d'ailleurs que l'innocuité. Mais comment ce sujet se rattache-t-il à l'étude des conséquences sur le secteur de la santé des dérives sectaires ? Toutes les médecines complémentaires ne donnent pas lieu à des dérives sectaires...

M. Joël Menkès . - Je crois que toute forme de médecine peut produire ce type de dérive, pour peu qu'elle soit appliquée à une personne fragile. Et certains individus, qui ont tous les titres requis, ont des comportements parfaitement néfastes, même si ces comportements ne sont pas, en règle générale, orientés vers la recherche d'un avantage matériel ou d'une domination, affective ou sexuelle, sur un groupe. Autrefois, un chef de service hospitalier était souvent, tant pour ses malades que vis-à-vis des pharmaciens, un véritable guide, voire un dictateur. C'est une grande tentation dans notre métier.

Mme Catherine Génisson . - Ma question est d'ordre pratique : comment ces thérapies complémentaires sont-elles prises en charge par la sécurité sociale ?

M. Joël Menkès . - Les médecines complémentaires ont connu des évolutions parallèles. L'ostéopathie, par exemple, fut inventée pendant la guerre de Sécession. Andrew Taylor Still, fils d'un pasteur, a une révélation en voyant un squelette : tout se tient, tout est lié ! Pendant des années il exhume des centaines de cadavres d'Indiens pour les disséquer et parfaire sa connaissance de l'anatomie - qui devint impressionnante. Il développe une théorie, selon laquelle le bon étagement des os est la condition du bon fonctionnement de l'organisme. Il faut dire que la médecine conventionnelle avait très mal soigné ses trois enfants qui avaient été atteints de méningite : on comprend qu'il ait voulu faire mieux. Il commence par soulager, avec sa nouvelle technique, des patients atteints d'asthme ou de constipation. Le succès considérable qu'il a le conduit à fonder une école, tout en obtenant un diplôme qui fait de lui, aux Etats-Unis, un médecin à part entière. Ses élèves devaient s'engager à ne prescrire aucun médicament et à ne recourir qu'à la pratique de l'ostéopathie. Cette technique se répandit ensuite en Angleterre et en Europe - et notamment en France, qui fut très accueillante pour l'ostéopathie.

Peu après un nommé Palmer s'aperçut qu'après avoir fait craquer les vertèbres cervicales d'un sourd son ouïe semblait être redevenue bonne. Il fonda la chiropraxie, qui se focalisa, davantage que l'ostéopathie qui comportait toute une philosophie générale, sur la guérison de pathologies localisées dans le corps : sub-luxations des vertèbres, dérèglements articulaires, etc. Les chiropracteurs devenaient docteurs en chiropraxie, au terme d'études de haut niveau. En Angleterre et dans les pays Scandinaves, cette pratique prospéra, alors qu'en France ce fut plutôt l'ostéopathie qui se développa. Les chiropraticiens se considèrent comme des scientifiques, par opposition aux ostéopathes qu'ils voyaient comme des philosophes : ils faisaient des thèses de science ! Quand le Pr Auquier a présenté en 2002 son rapport sur l'ostéopathie à l'Académie de médecine, les chiropracteurs ont publié un livre très détaillé pour réfuter, point par point, ses arguments montrant que l'ostéopathie n'était pas fondamentalement utile. Ces deux branches ont tendance, actuellement, à se réunifier.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Avez-vous été confronté à des pratiques sectaires dans le milieu médical ?

M. Joël Menkès . - J'ai soigné un jour une jeune fille atteinte d'une polyarthrite grave et destructrice et qui s'était refusée à tout traitement parce qu'elle appartenait à une secte naturopathe qui lui prescrivait de ne consommer que des aliments crus. Nous l'avons hospitalisée pour un bilan, mais comme elle est venue à l'hôpital avec une caisse d'aliments crus, dont il a été impossible de l'amener à se défaire, l'odeur pestilentielle qui régnait dans sa chambre au bout de quelques jours nous a contraints à la renvoyer.

J'ai également eu à Cochin une élève, fort compétente au demeurant, qui m'a convaincu d'organiser au sein de mon service une étude expérimentale des effets de la mésothérapie. Les difficultés pratiques furent nombreuses (comment constituer deux groupes de patients parfaitement comparables ?), mais il en est résulté qu'aucune différence notable n'était observable entre les effets de la mésothérapie et ceux d'un placebo. La publication de ces résultats a déclenché un tollé invraisemblable, à telle enseigne que cela reste, plus de vingt ans après, la seule étude sur la question !

Mais il faut reconnaître que certains individus obtiennent parfois des résultats prodigieux. Ainsi certains kinésithérapeutes parviennent-ils, en prenant en compte les aspects psychologiques des souffrances qu'ils traitent, à des guérisons spectaculaires.

M. Alain Milon , président . - Merci. Votre expérience nous sera utile.

Audition du Centre d'analyse stratégique (mardi 4 décembre 2012)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous recevons cet après-midi Mmes Delphine Chauffaut, chef du département « questions sociales » du Comité d'analyse stratégique (CAS) et Mathilde Reynaudi, chargée de mission.

Le CAS a en effet publié en octobre dernier une note intitulée « Quelle réponse des pouvoirs publics à l'engouement pour les médecines non conventionnelles ? ». Cette note formule un certain nombre de propositions en réponse au succès croissant de ces pratiques thérapeutiques, parmi lesquelles la création d'un label de thérapeute aux pratiques non conventionnelles et une labellisation des offres de formation à ces pratiques en écoles privées. La note suggère également d'envisager, à terme, le remboursement des pratiques « les plus efficientes ».

Avant de donner la parole à Mmes Chauffaut et Reynaudi, je précise que la commission d'enquête a souhaité que la réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Je rappelle à l'attention de Mmes Chauffaut et Reynaudi que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base du droit de tirage annuel du groupe RDSE, dont M. Jacques Mézard, notre rapporteur, est président.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes auditionnées de prêter serment.

Je précise qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Mesdames Delphine Chauffaut et Mathilde Reynaudi, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les deux personnes se lèvent et prêtent serment.

A la suite de votre exposé introductif, mon collègue Jacques Mézard, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera quelques questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Mesdames, vous avez la parole.

Mme Mathilde Reynaudi, chargée de mission . - Le CAS est une institution d'expertise et d'aide à la décision auprès du Premier ministre. Notre note parle des médecines non conventionnelles de façon générale et aborde plus précisément la question des dérives sectaires. Nous voyons que les usagers se tournent de plus en plus vers ces pratiques non conventionnelles bien qu'elles soient peu validées par la science et ne fassent pas consensus au sein de la communauté médicale. Face au risque et au potentiel que représente l'augmentation conjointe de l'offre et de la demande pour ces médecines non conventionnelles, il nous semble nécessaire d'envisager une action des pouvoirs publics, notamment pour vérifier l'innocuité de ces techniques, encadrer la pratique et la formation des praticiens, et, au-delà, organiser l'intégration des pratiques non conventionnelles quand elles peuvent compléter la prise en charge au sein d'un système de santé. C'est pour cela que le CAS a fait une série de propositions, comme cela a été rappelé, pour encadrer ce champ en s'inspirant des bonnes pratiques étrangères. Nous vous parlerons donc dans un premier temps de l'encadrement des pratiques puis de la formation des praticiens.

Le premier objectif est donc d'encadrer les pratiques. On parle de pratiques non conventionnelles mais il y a d'autres terminologies utilisées. Dans les pays anglo-saxons, on parle plutôt de pratiques complémentaires, alternatives, parallèles, douces. Elles sont à la limite du soin et du bien-être et font l'objet de critiques concernant leur innocuité, leur efficacité et leur efficience. Ces médecines sont très nombreuses, de qualités diverses, il est difficile d'en faire un tout. Elles peuvent parfois faire l'objet d'escroqueries, voire dans les cas extrêmes, déboucher sur des dérives sectaires. Elles peuvent notamment mettre en danger la vie des patients lorsqu'elles sont utilisées en substitution aux médecines conventionnelles. Je tiens à souligner que, dans 95 % des cas, elles sont envisagées par les usagers comme un complément, pas comme une alternative aux traitements en cours. Le recours à ces pratiques peut être teinté de croyances, d'idéologie et peu d'information claire est donnée à la fois aux usagers et aux professionnels de santé. 75 % des usagers ne le disent pas à leur médecin et s'informent soit sur Internet, soit auprès de leurs familles.

Voilà pour l'aspect négatif mais, d'un autre côté, des études ont montré que ces pratiques peuvent avoir un effet positif lorsqu'elles viennent compléter la médecine allopathique et soutenir certains traitements, notamment en cas de douleurs chroniques, et quand elles préconisent des comportements plus sains. Finalement, il nous a semblé qu'il était nécessaire, dès à présent, de clarifier la situation, à la fois pour les usagers et les autorités. Nous avons donc suggéré la création d'une plateforme d'information ouverte au grand public, qui recenserait les connaissances actuelles objectives sur les médecines non conventionnelles, sur les plantes médicinales et sur les praticiens de ce secteur. Il nous a semblé important en particulier d'encourager des études sur les rapports bénéfice/risque et coût/efficacité, afin d'évaluer la pertinence d'une pratique pour, le cas échéant, l'interdire ou dissuader d'y recourir, ou de recommander certaines méthodes via les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) si cela semble possible. Enfin, dans le cas où le rapport coût/efficacité serait prouvé, mais nous n'en sommes pas encore là, d'envisager le remboursement de certaines pratiques. Certains pays ont des centres d'études qui permettent d'évaluer ces pratiques, comme la Norvège ou les Etats-Unis.

Quant aux acteurs, il nous semble important également de mieux préciser leur champ de compétence, de mieux définir la liste des personnes autorisées à exercer et de clarifier leur formation, ce qui se fait notamment en Angleterre et en Suisse. Les frontières entre médecine conventionnelle et non conventionnelle sont assez floues. Les professionnels qui ont recours à ces techniques sont variés car on compte des professionnels de santé, mais aussi des personnels qui ne sont ni médicaux ni paramédicaux.

Ces derniers s'exposent à des poursuites mais, dans les faits, sont peu sanctionnés. Par ailleurs, les complémentaires de santé couvrent de plus en plus les actes réalisés par cette frange de professionnels. Finalement, face à ce décalage entre les textes et la réalité, la France a déjà fait évoluer sa réglementation. Les décrets de 2007 et de 2010 ont déjà donné lieu à l'ouverture des titres d'ostéopathe et de chiropracteur.

Il est vrai que l'on peut craindre qu'une telle évolution revienne à légitimer des pratiques « folkloriques ». Cela permettrait néanmoins d'opérer un tri entre les professionnels compétents et les pseudo-thérapeutes, et d'édicter des recommandations de bonnes pratiques. La plupart de nos pays voisins européens se sont d'ailleurs engagés dans ce processus de clarification du champ des médecines non conventionnelles. C'est la raison pour laquelle le CAS préconise la mise en place d'un label de thérapeute pour les pratiques non conventionnelles, dont l'obtention serait conditionnée par la réussite d'un examen à la fois clinique et juridique, afin que les professionnels connaissent le droit et sachent quand il leur appartient de renvoyer ceux qui les consultent vers la médecine conventionnelle - c'est ce qui se fait en Allemagne. Pourquoi pas, cet enseignement pourrait contenir une sensibilisation aux questions sur les dérives sectaires. Il faudrait viser dans ce label les écoles privées destinées à la formation de ces professionnels.

Les professionnels médicaux et paramédicaux s'intéressent aussi à ces pratiques - je rappelle que l'acupuncture, l'homéopathie et l'hypnose sont reconnues et se développent à la fois en ville et dans les hôpitaux. Or, les formations aux techniques non conventionnelles ne sont pas aujourd'hui toujours adéquates. Il faudrait envisager d'ouvrir des cursus dans nos universités. A minima , il faudrait proposer des modules pour former les étudiants des filières médicales et paramédicales : cette formation aurait pour but essentiellement de leur permettre d'informer leurs patients sur ces pratiques non conventionnelles, sur leurs avantages et leurs risques. Ces modules pourraient contribuer à mieux armer les professionnels pour reconnaître d'éventuelles dérives sectaires, en s'appuyant par exemple sur le rapport de la Miviludes.

Il nous semble finalement que les pratiques non conventionnelles ne remettent pas en cause l'importance des médecins ; l'essor de ces nouvelles pratiques peut même enrichir leur mode d'exercice. Cette réflexion a été lancée par l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (APHP) qui a publié un rapport au mois de mai, faisant notamment le bilan des pratiques qui existent au sein des centres hospitaliers universitaires (CHU).

Il semble donc qu'il soit important, dès à présent, de mieux encadrer, de mieux évaluer ces pratiques, car les laisser se développer de manière erratique ne paraît pas être une solution pour la sécurité des patients.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Je vous ai écouté, non pas avec étonnement puisque j'avais lu la note, mais avec une certaine inquiétude, pour ne pas dire davantage. Il s'agit d'une note d'un service qui relève du Premier ministre dans laquelle vous suggérez que ces pratiques non conventionnelles soient finalement développées. Certes, il y a des garde-fous mais, par exemple, vous proposez de rassembler une connaissance objective sur un site Internet de référence. Je souhaiterais savoir ce que c'est. Et puis il y a une phrase qui m'inquiète : « Tout en gardant à l'esprit que l'escroquerie et la mise en danger d'autrui sont marginales, il pourrait inclure une liste des pratiques inefficaces et dangereuses ». Vous considérez donc que, dans ce vaste domaine où il y a des dizaines de milliers d'opérateurs, qui pour certains mettent clairement la vie de nos concitoyens en danger, pour d'autres pèsent sur leurs finances d'une façon qui est loin d'être marginale, vous considérez donc que ces pratiques sont marginales. Si je résume votre note, vous considérez qu'il faut certes être vigilant mais ouvrir les vannes de manière large.

Mme Delphine Chauffaut, chef du département « questions sociales » du CAS . - Ce n'était pas du tout notre propos. Je crois que nous nous sommes peut-être mal exprimées. En fait, la note ne parle pas de développement. Elle fait le constat d'un recours croissant à ces pratiques de la part des patients et dans certains établissements hospitaliers, et part de ce constat pour proposer des modalités d'encadrement et de contrôle public de pratiques qui se développent de toute façon. L'idée de la note n'est pas du tout de suggérer le développement mais de suggérer au contraire une rationalisation.

M. Alain Milon , président . - Et donc une reconnaissance ?

Mme Delphine Chauffaut . - Ce n'est pas ce que dit la note. On parle de nombreuses pratiques, qui ne sont pas toutes fondées sur les mêmes techniques ni sur le même niveau de connaissances, qui n'ont pas toutes la même reconnaissance dans d'autres pays. Nous avons envisagé cette question de façon globale, j'imagine que vous faites ainsi, et nous ne pensons peut-être pas forcément aux mêmes pratiques lorsque nous parlons d'encadrement et lorsque vous évoquez des dérives.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Si vous permettez, vous partez du principe que les médecines non conventionnelles sont déjà dans les hôpitaux et vous présupposez que, du moment que c'est dans le plan stratégique de l'AP-HP, c'est acté et c'est bien.

Mme Mathilde Reynaudi . - Je crois qu'il faut faire des distinctions car, dans les médecines non conventionnelles, il y a de tout. Vous avez des pratiques qui sont documentées, pour lesquelles il existe des études scientifiques. Ce n'est pas la même chose de parler de l'acupuncture et de la méthode d'un médecin allemand qui demande à ses patients cancéreux de ne pas suivre leur traitement contre le cancer. Il existe des études scientifiques sur certaines pratiques dans les pays voisins.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Quelles sont les études scientifiques en France qui reconnaissent la qualité de telle ou telle pratique ?

Mme Mathilde Reynaudi . - L'acupuncture est reconnue par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), il existe des référentiels et des preuves selon lesquelles dans certains cas - douleurs chroniques, vomissements post-opératoires - l'acupuncture apporte un soin complémentaire dans la prise en charge des patients. On ne peut pas parler des médecines non conventionnelles comme d'un tout, il y a des choses dangereuses et des méthodes qui peuvent apporter un complément à la prise en charge des patients. C'est ce dernier point que montre le rapport de l'AP-HP de mai 2012, notamment en gériatrie et en cancérologie. Il faut absolument faire la distinction et donner les éléments aux patients afin qu'ils sachent quelles sont les techniques dangereuses et quelles techniques peuvent apporter un complément à la prise en charge parce que, scientifiquement, c'est prouvé.

M. Alain Milon , président . - Une précision : l'AP-HP parle de « médecines complémentaires » et pas de « médecines non conventionnelles ».

Mme Mathilde Reynaudi . - C'est vrai qu'il existe différentes terminologies. Dans les pays anglo-saxons, on parle de médecine complémentaire et alternative, nous parlons de médecine douce, alternative, parallèle, et c'est la raison pour laquelle nous n'avons pas établi une liste limitative car il n'y en a pas. Il est vrai qu'en France, on voit ce sujet sous l'angle de la dérive sectaire. Au Royaume-Uni, en Allemagne, en Suisse, on fait les choses de façon organisée. Peut-être peut-on parler de médecine complémentaire ?

M. Alain Milon , président . - Justement, ce terme est inadéquat : il n'y a qu'une médecine.

Mme Mathilde Reynaudi . - Il s'agit d'encadrer ces « pratiques » ou « techniques » si vous voulez.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Cette note, qui en a pris l'initiative ?

Mme Delphine Chauffaut . - C'est le CAS qui a pris cette initiative après des études antérieures mettant en évidence le recours croissant à ces « techniques », appelons-les ainsi. Et, justement, nous avons voulu nous emparer de ce sujet pour apporter une réflexion décentrée de la France, pour essayer de regarder aussi comment les autres pays se saisissent de problématiques similaires qu'ils rencontrent. Il s'agit d'éclairer le débat public, sachant que nos travaux sont validés par le Premier ministre.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Ça ne me rassure pas.

Mme Mathilde Reynaudi . - Il y a des études réalisées sur certaines techniques et cela peut apporter quelque chose aux patients.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - De quels travaux scientifiques parlez-vous ?

Mme Mathilde Reynaudi . - Les Etats-Unis et la Norvège ont mis en place des centres de recherche financés par l'Etat, qui réalisent des essais cliniques. Par exemple sur l'acupuncture, l'hypnose. Cela s'appelle le NCCAM, Centre d'analyse sur les médecines complémentaires et alternatives.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Comment expliquez-vous que nous n'en soyons pas là en France ?

Mme Delphine Chauffaut . - On souligne justement quelques essais à l'AP-HP, qui montrent que la médecine s'intéresse à d'autres techniques pour essayer de résoudre des problèmes auxquels elle est confrontée. Je ne sais pas si nous sommes en retard ou en avance, mais en tout cas, certains pays ont décidé d'aborder le problème autrement et c'est cela que nous mettons en avant pour faire avancer le sujet en France.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez entendu des professionnels ou vous travaillez simplement sur des articles ?

Mme Mathilde Reynaudi . - Notre méthode d'investigation repose à la fois sur des lectures, mais aussi sur des auditions, avec une série aussi équilibrée que possible entre toutes les parties prenantes, enfin des auditions dans les pays étrangers qu'il nous paraît intéressant d'étudier.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Cette note est plus un avis qu'autre chose. Comment avez-vous répertorié les différents types de médecines alternatives et mesuré leur usage par la population ?

Mme Mathilde Reynaudi . - Pour ce qui est de la situation dans les autres pays, nous nous sommes fondés sur des études publiées. En France, nous nous sommes appuyés sur des sondages.

Mme Delphine Chauffaut . - Le sondage nous a permis de mesurer le recours aux médecines alternatives sur un an.

Mme Mathilde Reynaudi . - Il me semble important de faire, comme c'est le cas en Angleterre, la différence entre médecines alternatives sérieuses et les pratiques plus « folkloriques ». Nous avons affaire à une grande diversité de pratiques.

Mme Delphine Chauffaut . - J'insiste sur le fait que la note ne choisit pas entre les thérapies mais préconise un meilleur encadrement des pratiques.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Comment ?

Mme Delphine Chauffaut . - Il me semble que nous avons en France une organisation sanitaire suffisamment développée pour le permettre.

Mme Mathilde Reynaudi . - Il importe de se fonder sur les études publiées.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Certes mais qui le fera ?

Mme Mathilde Reynaudi . - Ce travail pourrait relever de la Haute Autorité de santé.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous pensez donc qu'elle en a les compétences et les moyens ?

Mme Mathilde Reynaudi . - Si on prend le cas de l'ostéopathie et de la chiropractie, on voit que face à l'augmentation du recours à ces techniques, un meilleur encadrement a pu être mis en place.

Il faut nous inspirer des pratiques déjà mises en oeuvre dans d'autres pays. Au Royaume-Uni, un répertoire des praticiens a été ouvert où tous ceux qui ont une assurance peuvent s'inscrire. En cas de plainte, le praticien peut être radié du registre.

D'autres formes de labellisations existent en Allemagne et en Suisse. En Suisse, le système est très pragmatique, le seul contrôle porte sur le fait que le professionnel est assuré et on ne rentre pas dans le détail des pratiques.

Mme Delphine Chauffaut . - La note ne préconise pas de suivre un modèle mais expose simplement comment les autres pays font face à cette question. L'approche générale des notes du Centre d'analyse stratégique est de démêler les problèmes les plus importants et de formuler des suggestions pour les surmonter. En l'occurrence, le problème le plus important est celui de l'absence d'informations pour les patients sur l'innocuité de ces pratiques. Nous n'avons pas étudié de technique de validation mais simplement posé un cadre de réflexion.

M. Alain Milon , président . - Je comprends votre démarche mais permettez-moi une anecdote personnelle. Quand j'ai soutenu ma thèse en médecine, mon directeur, le Pr Gros, m'a dit : « Vous avez de la chance car vous allez exercer le plus beau métier du monde. Malheureusement pour vous, en France, il y a soixante millions de médecins ».

Nous avons auditionné la Haute Autorité de santé (HAS) qui nous a indiqué ne pas avoir les moyens d'évaluer l'ostéopathie. Par ailleurs, au sein de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP), on a introduit des médecines complémentaires contre l'avis de certains médecins.

Dans ce contexte, votre note vient conforter une tendance à la banalisation de techniques à visée thérapeutique mais non validées. Il est significatif que des mouvements d'inspiration sectaire se prévalent déjà de vos travaux. Par ailleurs, dans vos auditions, vous contribuez à assurer la publicité d'une pratique, la naturopathie, qui n'est pas reconnue. Comment pensez-vous vous prémunir de l'usage de votre note par des personnes ou des mouvements qui sont proches des revendications des sectes en matière de santé ?

Mme Delphine Chauffaut . - Je répondrai d'abord que ce n'est pas parce qu'un propos est mal utilisé qu'il est dévalorisé. Le but du Centre d'analyse stratégique est de promouvoir des politiques raisonnables. Évidemment, nous savons faire la part des propos des uns et des autres. Vous noterez que nous ne reprenons dans la note aucun propos individuel.

Mme Mathilde Reynaudi . - Les personnes dont les affiliations peuvent paraître dangereuses ne sont pas les seules à recourir aux médecines alternatives. De nombreux professionnels de santé les intègrent à leurs pratiques car ils estiment qu'elles améliorent leur prise en charge des patients, s'agissant notamment de la douleur. Nous avons eu de nombreuses remontées de praticiens qui se reconnaissent dans notre note et souhaitent que les médecines alternatives fassent l'objet d'un encadrement et de formation.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Page 7 de la note, un encadré mentionne un annuaire internet de thérapeutes, annuaire-therapeute.com, en indiquant qu'aucune information ne figure sur leurs pratiques. Une telle mise en valeur de ce site ne vous paraît pas dangereuse ?

Mme Mathilde Reynaudi . - L'encadré a précisément pour but de montrer que ce site pose problème.

Mme Mathilde Chauffaut . - Je ne comprends pas le reproche que vous nous adressez. La note préconise précisément un encadrement de ces pratiques.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Mais vous n'avez pas jugé utile d'indiquer que plusieurs des thérapies référencées sur ce site sont connues comme dangereuses.

Mme Mathilde Reynaudi . - Il me semble qu'il faut que l'Etat s'engage pour que les pratiques soient mieux encadrées.

Mme Delphine Chauffaut . - Aujourd'hui la parole est uniquement du côté de ceux qui ont un intérêt à présenter leurs pratiques alors qu'il faut une information objective, pour que les patients sachent ce qui est dangereux et ce qui ne l'est pas.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous proposez dans votre note d'« ouvrir une plateforme d'information recensant les connaissances actuelles sur les médecines non conventionnelles, les plantes médicinales et les praticiens du secteur ». Qui va gérer cette plateforme ?

Mme Delphine Chauffaut . - Le Centre d'analyse stratégique a entendu soulever un certain nombre de problématiques comme le caractère déséquilibré de l'information concernant ces pratiques. Il n'a pas la compétence pour y répondre, ni pour désigner les personnes ou organismes chargés de mettre en oeuvre les propositions formulées.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous écrivez ensuite « interdire » ou « dissuader » le recours à certaines pratiques... Comment comptez-vous vous y prendre ?

Mme Delphine Chauffaut . - La dissuasion passe nécessairement par l'information des patients quant à la dangerosité de certaines pratiques, comme par exemple la méthode de ce médecin allemand qui propose à ses patients atteints de cancers de ne pas suivre leurs traitements conventionnels.

Quant à l'interdiction, il s'agit de relever explicitement les cas d'exercice illégal de la médecine qui, à l'heure actuelle, ne sont pas toujours sanctionnés.

Mme Mathilde Reynaudi . - Aux Etats-Unis, un site public répertorie les pratiques dangereuses et met à la disposition des patients une information vulgarisée et scientifique. C'est ce qui manque en France : une information claire, donnée par l'Etat, qui permettrait de contrebalancer l'information diffusée par ces praticiens.

Aujourd'hui, les patients n'ont pas d'interlocuteurs de confiance. 75 % d'entre eux ne parlent pas à leur médecin des pratiques non conventionnelles auxquelles ils recourent. Ils vont se renseigner sur internet notamment. Il y a donc un véritable intérêt pour les patients à disposer d'une information objective.

Mme Gisèle Printz . - Pourquoi les patients ne s'adressent-ils pas directement aux équipes soignantes ?

Mme Muguette Dini . - Peut-être ont-ils peur d'une mise en cause, par les personnels médicaux, de la validité de ces soins...

Mme Delphine Chauffaut . - Ça dépend probablement de l'équipe soignante. Dans l'esprit de certains patients, ces pratiques relèvent peut-être davantage du domaine du soin, du bien-être, du massage etc. que de la médecine. D'autres craignent probablement de mettre leur médecin en porte à faux. Les raisons sont surement multiples.

M. Alain Milon , président . - Vous écrivez dans votre note que l'ostéopathie et la chiropraxie sont deux techniques efficaces pour lutter contre les lombalgies. Ce n'est pas tout à fait ce que vient de nous dire un spécialiste des rhumatismes, le Pr Menkes, mais à la rigueur pourquoi pas.

Mais vous écrivez aussi, et là je ne suis vraiment pas d'accord avec vous, que la médecine anthroposophique a fait ses preuves.

Mme Mathilde Reynaudi . - La note ne dit pas tout à fait ça. J'ai écrit que la médecine anthroposophique avait six ans pour faire ses preuves. Je rapporte ici une expérience menée en Suisse. Face à l'engouement des patients pour ces thérapies, le ministère de la santé avait décidé d'évaluer la médecine anthroposophique, l'homéopathie, la thérapie neurale, la phytothérapie et la médecine traditionnelle chinoise. Pendant cette période, l'assurance maladie remboursait ces actes.

M. Alain Milon , président . - Je tiens à préciser que, dans le système suisse, les actes ne sont remboursés qu'à partir de 2 500 francs suisses. Cela fait une vraie différence avec le système français.

Mme Mathilde Reynaudi . - Toutefois, ces cinq méthodes n'ayant pas, sur cette période, réussi à démontrer leur efficacité, le ministère de la santé a décidé de mettre fin à leur remboursement.

Suite à une initiative populaire (200 000 signatures rassemblées), ces méthodes ont de nouveau six années pour faire leurs preuves.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous écrivez que dans le cas où le rapport coût-efficacité serait favorable, il pourrait être envisagé de rembourser ces actes. Or, la Haute Autorité de santé n'est pas en mesure de mener ces études.

Ne croyez-vous pas que, compte tenu du déficit de la sécurité sociale, il est plus important de faire porter l'effort sur des techniques scientifiquement éprouvées, plutôt que sur des pratiques dont les effets sont, au mieux, aléatoires ?

Enfin, je suis dubitatif quant à votre proposition de labéliser les offres de formation à ces pratiques en écoles privées.

Mme Delphine Chauffaut . - Nous ne préconisons absolument pas de rembourser des techniques inefficaces. C'est pour cela que nous proposons leur évaluation. La proposition est d'ailleurs assez prudente, nous ne nous engageons évidemment pas à valider et rembourser l'ensemble de ces médecines non conventionnelles, et encore moins au remplacement de la médecine conventionnelle par ces pratiques !

Il s'agit d'une démarche de rationalisation des pratiques existantes. Nous souhaitons seulement que soient réalisées des études bénéfices-risques. Si l'efficacité de ces techniques est prouvée, pourquoi s'interdire d'y recourir ?

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Que nombre de nos concitoyens trouvent de l'intérêt à ces techniques, nous en sommes conscients. Il ne s'agit pas d'interdire les pratiques qui ne posent pas de problèmes de santé ou de libertés. La question est de savoir si l'Etat doit entrer dans un processus de reconnaissance, de formation et de remboursement de certaines techniques, en l'état des connaissances actuelles.

Mme Delphine Chauffaut . - C'est justement pour cette raison que nous vous proposons de ne pas rester dans l'état des connaissances actuelles et de produire des informations supplémentaires.

Mme Catherine Deroche . - Comment faire pour que les patients, qui utilisent ces techniques, ne se détournent pas de la médecine conventionnelle ?

Mme Mathilde Reynaudi . - Certaines de ces techniques font déjà, à l'heure actuelle, l'objet d'un choix éclairé. C'est le cas par exemple de l'hypnose ou de l'acupuncture, lorsque ces disciplines sont dispensées dans le cadre de prises en charge hospitalières.

Nous proposons de créer un label qui permettrait d'identifier les praticiens qui ont les compétences pour prendre en charge des patients. Enfin, concernant les professionnels de santé, du secteur médical et paramédical, nous proposons d'inclure dans les formations universitaires initiales un module d'information et de sensibilisation aux problématiques de dérives sectaires, pour leur donner les moyens de comprendre à qui ils ont affaire, lorsqu'ils sont approchés par des praticiens de thérapies non validées.

M. Stéphane Mazars . - Ça ne vous semble pas un peu illusoire de vouloir évaluer de façon objective, sérieuse et transparente, les quelque 400 pratiques complémentaires qui ont été dénombrées ? Cette orientation me paraît compliquée et fastidieuse. N'y a-t-il pas un risque d'autoriser un peu trop rapidement des pratiques qui ne le mériteraient pas ?

Mme Delphine Chauffaut . - Vous avez raison, c'est compliqué. Ce qui n'est pas compliqué, c'est de tout interdire... ou de tout autoriser. Ce n'est pas la démarche que nous avons choisie. Cela risque d'être long, mais cette action nous paraît nécessaire pour fournir une information fiable au patient.

Mme Muguette Dini . - Et bien moi, mesdames, je vous remercie pour votre note, et je vous en félicite. Certes, elle peut donner lieu à des interprétations potentiellement gênantes, mais, de toute façon, les gens trouvent toujours à interpréter ce qui est écrit dans le sens qui les sert. Le seul moyen de les en empêcher, c'est de ne rien écrire. Et encore...

Je vous remercie car je retrouve, dans vos travaux, exactement les questions que je me pose. Votre note est, sur le fond, très intéressante. On sait qu'un certain nombre de techniques paramédicales produisent des effets et sont exercées, y compris à l'hôpital. On sait que d'autres sont extrêmement néfastes. Il me semble qu'il faut tenter d'essayer d'éclairer les patients.

Notre médecine ne peut rester figée. On ne peut demeurer sur nos acquis, sans chercher à savoir si certaines pratiques sont susceptibles d'améliorer la situation des patients.

M. Stéphane Mazars . - Ce que vous proposez, c'est de labelliser des médecines dans leur ensemble ou les thérapeutes directement ? Ce qui est souvent dangereux, ce n'est pas la discipline elle-même, mais l'usage qui en est fait par certains praticiens, qui manipulent les patients. C'est là que commence la dérive sectaire.

Pour ma part, je ne suis pas du tout hostile à ce que vous labellisiez telle ou telle pratique. Mais le risque de lauguett, c'est qu'elle serve de caution officielle à des thérapeutes déviants, qui seront alors très difficiles à identifier. C'est à cette difficulté que vous êtes, que nous sommes, confrontés, et à laquelle les pouvoirs publics devront faire face.

Mme Delphine Chauffaut . - Ce label ne sera pas décerné à toute une discipline, mais thérapeute par thérapeute. Vous allez me dire que c'est très long et très compliqué... Mais il faudra effectivement veiller à ce qu'il ne permette pas d'accorder du crédit à des individus aux pratiques douteuses.

M. Alain Milon , président . - Je voudrais revenir sur ce qu'a dit ma collègue Muguette Dini. La médecine n'est surement pas figée. Il y a seulement cinquante ans, nous ne savions pas soigner un cancer et la procréation médicalement assistée n'existait pas, sans parler du débat sur les cellules souches embryonnaires, que nous aurons ce soir. C'est la médecine allopathique qui a permis ces progrès. La médecine bouge énormément. Si nous avons la chance, à nos âges, d'être là, c'est justement grâce aux découvertes de notre médecine conventionnelle, non figée ! Ce qui risque de figer la médecine, ce sont les dérives thérapeutiques sectaires.

Pour en revenir à la Suisse et aux cinq pratiques étudiées, dont la médecine anthroposophique, aucune n'a montré son efficacité dans le temps imparti. Que 200 000 personnes soutiennent ces pratiques n'y change pas grand-chose pour moi.

Pour l'instant, nous n'avons certes pas entendu de naturopathe ou autres, mais seulement des médecins, qui ont passé leur vie à sauver des malades. Ils nous ont tous dit la même chose : les médecines parallèles ne sont là que pour aider, et encore, pas toujours, mais certainement pas pour soigner ou guérir.

Une fois de plus, le danger de votre note résulte du fait qu'elle peut être lue par n'importe qui et que, de surcroit, elle émane des services du Premier ministre. On y parle de labelliser les écoles privées... Les écoles de psychothérapies fleurissent un peu partout en France, et les pratiques enseignées y sont parfois plus que douteuses. Et vous voudriez que nous labellisions ce genre de choses ?

Mme Delphine Chauffaut . - Le principe même de la labellisation c'est justement la sélection et le contrôle.

Mme Gisèle Printz . - Il ne faudrait pas que vos propos facilitent des praticiens sectaires.

Mme Delphine Chauffaut . - Dans ce cas, il ne faut plus parler de rien, puisque les sectes font feu de tout bois...

Mme Hélène Lipietz . - Au sein du Centre d'analyse stratégique, comment choisissez-vous les sujets que vous allez traiter ? Avant même de commencer à étudier un sujet, analysez-vous quelles pourront être les conséquences politiques, économiques ou autres de vos travaux ? Quel est ensuite le processus de validation des travaux avant leur publication ?

Je trouve, pour ma part, votre rapport très intéressant. Pour une fois, il ne s'agit pas de se voiler la face sur le fait que nos concitoyens vont chercher de l'information sur internet, sans aucune sécurisation. Vous dénoncez les dangers de ces comportements et vous proposez des solutions.

Mme Delphine Chauffaut . - Notre programme de travail est arrêté à la fin de l'année précédente. Une partie des sujets est proposée par les cabinets ministériels car le Centre est un organisme interministériel. Une autre partie de ces sujets concerne des thématiques qui ont émergé de travaux préparatoires ou de travaux de veille et nous semblent justifier une intervention publique. Le choix de ces derniers sujets est également soumis aux cabinets ministériels ou au cabinet du Premier ministre, qui le valide ou non.

Nos travaux prennent ensuite la forme de propositions, qui ont vocation à alimenter le débat public. Une fois terminés, nos travaux sont envoyés aux cabinets ministériels à l'origine de la commande ou au cabinet du Premier ministre, qui en autorisent ou non la publication. Ces travaux n'engagent absolument pas une intervention du Gouvernement.

Mme Catherine Deroche . - Plus précisément, à quelle moment cette note a-t-elle été validée et à quel moment avez-vous commencé votre étude ?

Mme Delphine Chauffaut . - Cette note relève du programme de travail validé fin 2011. Nous y avons travaillé dès janvier 2012, et elle a été validée à l'été par le nouveau Gouvernement.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Comme quoi... Il peut y avoir une certaine continuité dans les errements. C'est toujours intéressant d'avoir des réflexions, des lectures et des approches diverses. Au Sénat d'ailleurs, nous sommes très attachés à la liberté et à la diversité d'expression.

Comme Alain Milon l'a rappelé, nous n'avons jamais assisté dans l'histoire de l'humanité à autant de progrès de la médecine et de la science qu'au cours des dernières décennies. Si le vieillissement de la population est ce qu'il est, dans notre pays en particulier, nous le devons essentiellement aux progrès de notre médecine, que l'on nous envie d'ailleurs dans bien des pays. Il est donc injuste de la montrer comme une discipline ringarde, qui serait dans l'incapacité d'évoluer, alors que c'est l'inverse qui a été démontré ces dernières années.

Dans vos travaux, je regrette que vous affirmiez qu'il faudrait des études scientifiques pour valider ou non certaines pratiques et que, dans le même temps, vous preniez position, puisque vous écrivez « la quantité de données fiables augmente, esquissant les potentialités des médecines non conventionnelles. Si la médecine allopathique est efficace en termes de soins aigus et d'urgence, les médecines non conventionnelles [ce ne sont pas des médecines !] se révèlent utiles en matière de prévention et de prise en charge de la douleur et des maladies chroniques, c'est-à-dire précisément les domaines dans lesquels le système de santé français manque de performance. » Que les services du Premier ministre véhiculent de telles idées m'étonne.

Vous écrivez ensuite que « les praticiens non conventionnels (comme les naturopathes) abordent des notions d'éducation à la santé et invitent à des changements de mode de vie afin de préserver son capital santé. »

Permettez-moi de vous dire que parmi les naturopathes, certains peuvent inviter à des changements positifs de nos modes de vie, mais nous savons tous aussi que d'autres peuvent inciter à des comportements dangereux pour la santé.

Or, voilà ce que vous écrivez, et cela me semble dangereux : « Au vu des courbes démographiques, ces approches combinant exercices, nutrition et gestion du stress pourraient contribuer au vieillissement en bonne santé . » En apparence, ça ne mange pas de pain. Mais en réalité, cela revient à affirmer que toute cette palette de pratiques est positive et permet de vieillir en bonne santé.

Je continue à vous lire : « Les médecines non conventionnelles contribuent à une prise en charge plus globale, qui améliore l'efficacité des soins, notamment en matière de maladies chroniques. »

Et encore : « Les médecines non conventionnelles pourraient donc aider à mieux prévenir et mieux guérir, d'autant qu'elles provoquent peu d'effets iatrogènes ». Je vous fais grâce du reste...

Que les services du Premier ministre écrivent des choses pareilles ne me paraît pas normal. Ce type d'affirmations, globales, est une bénédiction pour toutes les médecines non conventionnelles, bonnes, car il en existe, mais aussi mauvaises, voire très mauvaises.

Mme Mathilde Reynaudi . - Je voudrais juste revenir sur le fait que notre système de santé est davantage axé sur le curatif que sur le préventif. Sur ce dernier point, la France a encore beaucoup de progrès à faire.

Les travaux de l'organisation mondiale de la santé (OMS) conseillent d'ailleurs de compléter, quand cela apparaît utile, le traitement des patients par des pratiques non conventionnelles. Le but, et nous le partageons tous, est que les patients, aussi bien en ambulatoire qu'en hospitalisation, disposent des traitements les plus efficaces possibles.

Mme Delphine Chauffaut . - Il y a sans doute un malentendu que nous aurions dû éclaircir dès le départ. La note que nous vous présentons ne préconise pas un remplacement de la médecine allopathique par ces médecines non conventionnelles. Elle dit seulement que ces pratiques présentent parfois un intérêt, en complément de la médecine traditionnelle.

Le propos de cette note n'est absolument pas d'attaquer la médecine conventionnelle, mais seulement de pointer certains de ses aspects qui pourraient être améliorés, comme par exemple la prévention.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - La vaccination me paraît pourtant efficace...

Mme Delphine Chauffaut . - Nous n'avons jamais dit que la vaccination n'était pas utile.

M. Alain Milon , président . - Vous dites qu'en matière de prévention nous pourrions faire mieux, ce qui est vrai, mais la vaccination fait pleinement partie de la prévention de nombreuses maladies, en particulier pour l'enfant, et il se trouve que beaucoup de ces médecines non conventionnelles préconisent la non-vaccination...

Mme Delphine Chauffaut . - Nous n'avons pas dit qu'il fallait suivre à la lettre tout ce que disent les praticiens de ces médecines. La note dit seulement que sur certains points, les pratiques conventionnelles montrent des limites. Il existe des réflexions sur d'autres manières d'envisager la douleur, par l'amélioration de la prévention par exemple.

Nous proposons donc de regarder ce que proposent ces autres pratiques et d'essayer de rationaliser leurs apports, tout en mettant l'accent sur les dangers potentiels qu'elles véhiculent. Nous proposons d'essayer d'organiser l'absence de danger.

M. Alain Milon , président . - Merci de nous avoir consacré presque deux heures.

Mme Delphine Chauffaut . - Merci de nous avoir écoutées.

Audition de MM. Karim MAMERI, secrétaire général, et Yann de KERGUENEC, directeur juridique, de l'Ordre national des infirmiers (mercredi 5 décembre 2012)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous poursuivons cet après-midi notre série d'auditions des ordres professionnels en recevant l'Ordre des infirmiers, représenté par MM. Karim Mameri, secrétaire général, et Yann de Kerguenec, directeur juridique.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Je précise à l'attention de MM. Karim Mameri et Yann de Kerguenec que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base d'une initiative de notre collègue Jacques Mézard, président du groupe RDSE. M. Mézard a donc tout naturellement été chargé du rapport de cette commission, qui sera remis début avril 2013.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes auditionnées de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Messieurs Karim Mameri et Yann de Kerguenec, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les deux personnes se lèvent et prêtent serment.

La parole est au rapporteur.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Le Sénat a décidé de mener une commission d'enquête sur les dérives sectaires dans le domaine de la santé. Nous souhaitons ainsi voir ce qu'il en est de certaines dérives dans le domaine de la santé et des thérapies dites alternatives, complémentaires ou non conventionnelles. Notre objectif n'est pas de tout interdire mais de faire le point sur ce qui peut mettre en danger la santé de nos concitoyens mais aussi leurs finances et éviter les abus de faiblesse.

Nous sommes par ailleurs tous ici très attachés à la liberté de conscience et à la liberté d'expression, et le cadre de cette commission d'enquête est très largement défini par son titre...

L'Ordre des infirmiers a-t-il eu connaissance de thérapies alternatives pratiquées par des infirmiers ? De quelle manière ? Dans l'affirmative, quelles pratiques non conventionnelles avez-vous pu constater ? Quel est le profil des infirmiers qui les réalisent ?

M. Karim Mameri. - Nous tenons tout d'abord à vous remercier de nous recevoir pour recueillir l'avis des représentants des professionnels de santé que constituent les 400 à 500 000 infirmiers libéraux ou salariés exerçant à travers toute la France.

Les infirmiers représentent une profession qui peut en effet être concernée par les dérives sectaires du fait de sa proximité avec les personnes malades ou en état de faiblesse.

Leurs compétences en matière de soins confèrent aux infirmiers un rôle primordial dans la relation avec le malade. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les mouvements à caractère sectaire peuvent rechercher des adeptes parmi les infirmiers. Nous devons donc rester vigilants et professionnels dans la relation d'empathie que nous pouvons développer avec les personnes soignées.

La formation initiale se révèle à cet égard un domaine propice aux tentatives de prosélytisme qu'exercent les mouvements sectaires. L'Ordre des infirmiers n'a pas de compétence directe en matière de formation initiale et n'exerce pas non plus la tutelle des instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi). Il n'a donc pas connaissance de telles tentatives, mais la Miviludes en cite dans son guide « Santé et dérives sectaires », notamment page 81, indiquant qu'elle a reçu des signalements concernant de pseudo-praticiens qui ont réussi à se faire recruter comme psychothérapeutes, enseignants ou intervenants extérieurs dans un institut de formation aux soins infirmiers...

La Miviludes a notamment constaté que des méthodes comme celle du docteur Hamer étaient enseignées dans certains Ifsi, plus précisément dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca).

L'Ordre des infirmiers compte bien évidemment parmi ses membres les directeurs et les formateurs des IFSI qui sont, de par la loi, tenus de s'inscrire à l'Ordre des infirmiers et de respecter nos règles professionnelles. L'Ordre peut ainsi communiquer - et nous souhaitons bien évidemment contribuer à cette action de santé publique - pour appeler à la vigilance sur ces risques d'infiltration.

La profession d'infirmier est particulièrement exposée aux dérives sectaires, du fait de la variété même de ses modes d'exercice. Les infirmiers libéraux interviennent en effet essentiellement au domicile des patients, majoritairement âgés et poly-pathologiques. Ils sont, dans de nombreux cas, les seuls professionnels de santé à se rendre à leur domicile et peuvent donc être témoins de situations dans lesquelles un patient est victime d'un mouvement à caractère sectaire ou de l'influence néfastes de personnes étrangères. Les infirmiers libéraux peuvent détecter assez tôt ce type de situation.

Les infirmières puéricultrices qui exercent dans le domaine de la protection maternelle et infantile (PMI) ou les infirmières scolaires sont également susceptibles de détecter, chez les familles ou parmi les enfants, des signes d'emprise sectaire.

Dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les infirmiers peuvent également jouer un rôle de « sentinelles », ce terrain restant propice au prosélytisme de mouvements sectaires.

Les infirmiers libéraux peuvent aussi constituer des cibles privilégiées de ces mouvements, compte tenu de leur proximité avec cette population fragile et vulnérable. C'est pourquoi un certain nombre de textes réglementaires du code de la santé confortent les règles professionnelles qui permettent d'encadrer l'exercice de ce métier.

En premier lieu, les infirmiers sont tenus de respecter l'intimité, les choix du patient, le secret professionnel. Comme tout professionnel de santé, ils ont un devoir de protection de la santé d'autrui. Ce rôle est majeur. L'article R 43-12 alinéa 6 du code de la santé publique précise que les infirmiers sont tenus de porter assistance aux malades ou aux blessés en péril et plus particulièrement aux mineurs. Les infirmiers doivent, en toutes circonstances, agir dans l'intérêt du patient.

Les infirmiers doivent se tenir éloignés de techniques de soins non éprouvées scientifiquement ou qui feraient courir aux patients un risque injustifié, ainsi que le rappelle le code de la santé publique. Les infirmiers ne peuvent pas non plus aliéner leur indépendance professionnelle, sous quelque forme que ce soit.

Les infirmiers ne doivent pas user de leur situation professionnelle pour tenter d'obtenir pour eux-mêmes ou autrui un avantage ou un profit injustifié ou pour commettre un acte contraire à la probité. Ils ne doivent pas proposer aux patients ou à leur entourage un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé.

Ces règles sont en vigueur depuis 1993 mais sont malheureusement très souvent méconnues des infirmiers. Elles sont donc destinées à être remplacées par le code de déontologie édicté par le Conseil national de l'Ordre des infirmiers, qui doit être publié par décret en Conseil d'état. Sa diffusion, prévue par les textes, implique que chaque infirmier membre de l'Ordre s'engage à en prendre connaissance. Ce sera un outil majeur de sensibilisation des infirmiers à leurs obligations déontologiques.

L'Ordre a donc vocation à élaborer ce code de déontologie, qui modernisera les règles professionnelles actuellement en vigueur. Il sera aussi bien évidemment amené à les réactualiser aussi souvent que nécessaire. Ce code pourra notamment mieux prendre en compte le risque de dérive sectaire, en prévoyant la possibilité, pour l'infirmier, de le signaler aux autorités compétentes en cas de suspicion sérieuse.

L'Ordre rappelle régulièrement la déontologie aux infirmiers qui interrogent les conseils départementaux et la direction juridique. A cette occasion, une information pourrait être utilement donnée sur les risques sectaires. L'ordre est une juridiction qui assure une justice qui se veut disciplinaire mais constitue avant tout un service public visant à poursuivre les infirmiers manquant à leur devoir professionnel. Aujourd'hui, force est de constater que des infirmiers non inscrits au tableau peuvent échapper à la justice ordinale, ce qui est particulièrement préjudiciable à l'exercice de cette mission de service public.

Le Conseil de l'Ordre a également un rôle de conseil et d'assistance des autorités judiciaires ; il peut intervenir utilement dans le conseil et l'assistance aux services de justice et de police dans des affaires impliquant des infirmiers pour lesquels une expertise est nécessaire en matière de soins infirmiers. Dans l'Aude, récemment, l'Ordre a été entendu dans le cadre d'une enquête préliminaire concernant un centre de « reiki » créé par une infirmière non inscrite au tableau. Or ce centre proposait des « irrigations coloniques », acte qui ne peut être effectué que sur prescription, ce qui n'était manifestement pas le cas et constituait donc un exercice illégal de la médecine.

Le Conseil de l'Ordre peut également se constituer partie civile. Il peut, devant toutes les juridictions, exercer les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession, y compris en cas de menaces ou de violations commises en raison de l'appartenance à cette profession.

L'Ordre peut se porter partie civile en soutien d'un infirmier victime d'un mouvement sectaire ; ce pourrait également être le cas pour des poursuites pénales contre un infirmier s'étant adonné à des pratiques dangereuses non éprouvées qui pourraient porter atteinte à l'honneur de la profession et mettre en danger notre population.

L'Ordre a pu établir certains constats en matière de dérives sectaires ou de suspicions de dérives sectaires à partir de remontées émanant des conseils départementaux ; ces cas ne sont toutefois pas encore significatifs et ne reflètent peut-être pas toute la réalité. Ce défaut de signalement peut être lié à un défaut d'information : le guide de la Miviludes est encore récent et malheureusement peu diffusé aux professionnels, et l'Ordre infirmier peu ancien...

Nous constatons surtout, sur le terrain, la tentation de certains professionnels infirmiers, libéraux notamment, de diversifier leur activité en s'adonnant à des pratiques non éprouvées, qui peuvent avoir un caractère sectaire. Des demandes de cumul d'activités en ce sens sont adressées à l'Ordre. Les pratiques le plus souvent relevées par notre direction juridique sont le reiki, l'irrigation colonique, la magnétologie. Il y a là, selon les documents que nous avons vus et que nous vous laisserons, un danger évident... Des activités comme la télépathie, certains massages ou la sophrologie, qui ne présentent pas par ailleurs de danger manifeste, doivent également éveiller la vigilance, tout comme la vente, lors des tournées, de compléments alimentaires offrant des vertus particulières...

La crainte de rompre le secret professionnel et de commettre une faute pourrait expliquer que les professionnels s'abstiennent de signaler de telles dérives. Le Conseil de l'Ordre peut d'ores et déjà proposer de sensibiliser régulièrement les instituts de formation aux soins infirmiers, les formateurs et les étudiants eux-mêmes. Il faut également, dans le cadre de la formation initiale et de la formation continue, en lien avec la déontologie, détecter les risques sectaires grâce à la connaissance des pratiques thérapeutiques non conventionnelles, afin de donner aux infirmiers les moyens de protéger leurs patients et de se protéger eux-mêmes.

Il convient aussi de communiquer auprès des employeurs sur les risques de dérives sectaires dans les programmes de formation et de développement professionnel continu, qui constituent une voie d'entrée pour certaines personnes mal intentionnées.

Peut-être faut-il aussi prévoir une exception au secret professionnel en cas de suspicion de dérive sectaire pour faciliter la révélation des faits...

Enfin, il est nécessaire de veiller à l'application de la loi exigeant l'inscription à l'Ordre des infirmiers afin que sa mission de service public soit clairement effective, tant en matière d'accès à la profession que tout au long de la carrière professionnelle, en prévoyant des possibilités de poursuite ordinale en cas de dérive sectaire entraînant un manquement aux règles professionnelles mais surtout une information et une sensibilisation des professionnels de santé qui, tous les jours, peuvent être approchés par des sectes.

L'ordre peut enfin mettre en place un observatoire des dérives sectaires, comme il l'a fait assez récemment en matière de violences faites aux infirmiers.

M. Alain Milon , président. - La parole est au rapporteur.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Le but de cette audition n'est pas la défense et l'illustration de l'Ordre des infirmiers, mais que vous nous disiez si l'Ordre est saisi de dérives sectaires en matière de santé ! Si tel est le cas, pouvez-vous nous donner des exemples ? Lorsque vous vous rendez compte de telles situations, que faites-vous ?

Vous avez évoqué des pratiques peu éprouvées : reiki, irrigation colonique, bulles d'énergie, télépathie, compléments alimentaires aux vertus particulières. Réagissez-vous avant d'être officiellement saisis par une plainte ? Que faîtes-vous pratiquement ? Nous connaissons les dispositions législatives et réglementaires concernant l'Ordre des infirmiers : ce n'est pas la peine de nous les répéter !

M. Yann de Kerguenec. - Les conseils départementaux de l'Ordre peuvent être saisis par des signalements de la part des infirmiers eux-mêmes ou des patients. Nous en recevons quotidiennement pour divers manquements déontologiques, sans qu'ils soient systématiquement liés à une dérive sectaire.

Nous pouvons également être saisis de véritables plaintes. Notre code de déontologie permet de traiter un certain nombre de manquements qui peuvent être liés aux dérives sectaires ou avoir une acception plus large.

Dans ce cas, l'Ordre a la possibilité d'effectuer des rappels à la loi - par exemple lorsqu'il reçoit des signalements de cumuls d'activités illicites concernant des infirmiers inscrits à son tableau - après enquête et prise de contact. C'est le rôle des élus ordinaux qui représentent les différents modes d'exercice...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - On l'a bien compris mais êtes-vous saisis de problèmes concernant les dérives sectaires dans la santé ? Quelle est la fréquence de ces saisines et que vous faîtes-vous ? La démarche, nous la connaissons !

M. Yann de Kerguenec. - Ce que nous faisons, c'est un rappel à la loi...

Sommes-nous saisis ? Oui, nous le sommes. Nous avons des exemples. Le sommes-nous dans une proportion importante ? Non. Il faut d'abord que nous ayons suffisamment d'éléments pour indiquer que le phénomène se rapporte à une dérive sectaire. Nous n'avons pas de pouvoir d'enquête sur le terrain, ni la possibilité d'entrer dans un cabinet infirmier ou de réquisitionner. Nous ne pouvons donc pas enquêter en dehors du contact confraternel que les membres de l'Ordre peuvent établir avec les infirmiers ou avec les patients à l'origine de signalements.

J'ai du mal à donner des éléments statistiques précis. Nous n'avons pas de système de remontée spécifique pour ce type de manquement déontologique directement lié à la dérive sectaire. Nous pensons que c'est assez résiduel... Probablement la sensibilisation des infirmiers est-elle insuffisante. Toujours est-il qu'ils font eux-mêmes remonter ce type de problème dans des proportions assez limitées.

S'agissant des actions, la première est le rappel à la loi, lorsqu'un infirmier est mis en cause. En second lieu, l'Ordre peut être directement saisi d'une plainte. Celle-ci est obligatoirement traitée par le conseil départemental de l'Ordre sous forme d'une réunion de conciliation. Si, au détour de cette réunion, la dérive sectaire apparaît de manière encore plus évidente, la plainte peut être transmise à la chambre disciplinaire. C'est ce tribunal qui juge les manquements professionnels. Nous allons dans ce cas agir et sanctionner.

Il n'existe aucun cas, à ce jour, dans notre jurisprudence. Nous avons, depuis que l'Ordre existe, prononcé plus de 135 décisions de justice disciplinaires. Aucun cas n'était lié à une dérive sectaire.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - C'est le fonctionnement normal d'un Ordre ! Vous nous avez parlé d'une situation où la justice vous a entendus à propos d'un cas d'irrigation colonique. Avez-vous fait quelque chose sur le plan ordinal ?

M. Yann de Kerguenec. - Impossible, l'infirmière n'était pas inscrite au tableau ! Elle est cependant poursuivie pour exercice illégal de la médecine. Nous avons également déposé plainte pour exercice illégal de la profession d'infirmier.

Cela arrive chez les médecins eux-mêmes, certains préférant demander leur radiation pour échapper à la justice disciplinaire lorsqu'ils ont recours à des pratiques jugées illicites.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Pouvez-vous nous donner davantage d'exemples ?

M. Yann de Kerguenec. - Dans ce cas précis, il s'agit d'un centre de « reiki » et d'irrigation colonique, qui se dénomme comme tel. Je vous remettrai une capture d'écran de son site Internet. Je pense qu'il en existe d'autres en France... Celle qui le dirige avec son mari - qui a manifestement eu une formation aux pratiques de reiki - fait valoir sa qualité d'infirmière sur son site Internet et dans d'autres documents. Elle utilise son statut de soignante - ce qui est une faute disciplinaire - et se prétend « infirmière spécialisée en irrigation colonique ». Il s'agit en fait de lavements soi-disant destinés à purifier le corps.

Le conseil départemental a convoqué cette personne, même si elle n'était pas inscrite au tableau. Elle a bien entendu refusé de rencontrer la Présidente du conseil de l'Ordre des infirmiers de l'Aube. Une lettre de rappel à la loi lui a été envoyée ; elle n'a bien évidemment été suivie d'aucun effet. Dès lors, l'Ordre des médecins et celui des infirmiers ont signalé ces pratiques au Procureur de la République. Une enquête préliminaire est en cours...

M. Alain Milon , président. - Le problème est de savoir comment l'infirmière présentait ce traitement. S'agissait-il d'un traitement complémentaire à des traitements médicaux ou d'un traitement nécessitant la suppression de ces derniers ? Dans ce cas, on se trouve soit en présence d'une médecine parallèle, soit dans un cas de dérive thérapeutique, compliquée si on demande l'interruption du traitement médicamenteux. Il y a là un danger majeur ! S'il existe en outre une emprise mentale ou financière, on se retrouve alors dans le cadre d'une dérive sectaire.

Au fur et à mesure de nos auditions, on s'aperçoit qu'il peut exister des dérives thérapeutiques - graves ou non - ou des dérives sectaires mais ces dernières ne constituent finalement pas la majeure partie des cas...

M. Yann de Kerguenec. - Nous ne sommes pas spécialistes de la qualification de la dérive sectaire mais ce centre de « reiki » utilise quand même la qualification professionnelle de l'infirmière pour lui donner une consistance sanitaire !

Les dirigeants de ce centre ont écrit aux équipes municipales et aux maires des communes alentours pour les inviter à l'occasion de l'ouverture. Le mari de l'infirmière se présente comme un « maître enseignant du reiki traditionnel, initié au centre reiki de Nice - La lumière bleue ». Cette infirmière n'est pas une infirmière traditionnelle qui veut arrondir ses fins de mois en faisant des massages, ce qui est courant... Cela crée d'ailleurs quelques problèmes avec les masseurs-kinésithérapeutes, avec qui nous nous entendons bien par ailleurs et avec lesquels nous arrivons à nous entendre.

La connotation cosmologique du langage évoque une forme de dérive sectaire mais je ne puis garantir que ce soit le cas. Je ne connais pas les critères destinés à établir ce qu'est une dérive sectaire par rapport à des pratiques de soins non conventionnels.

M. Alain Milon , président. - On m'a informé d'un traitement du cancer du pancréas par des lavements à base d'arabica bio. Il s'agit là d'une dérive thérapeutique sectaire et, en outre, assassine ! Pour les autres, il s'agit peut-être de dérives sectaires mais peut-être ne risquent-elles pas de tuer les malades...

Mme Gisèle Printz . - On ne parle jamais du coût que cela représente : je vois ici que ce genre de séance revient à 110 euros !

M. Alain Milon , président. - Il faut peut-être définir le profil de celui qui est à l'origine de la dérive et le profil de la victime... Comment des personnes qui paient le médecin qui les soigne 23 euros et qui rechignent à mettre un euro de plus parviennent-elles à donner sans rien à redire 110 euros à quelqu'un qui ne les soigne pas !

M. Yann de Kerguenec. - Il existe probablement une augmentation de la défiance à l'égard des soins conventionnels. Or les infirmières jouissent d'une certaine aura et peuvent, dans le contexte de la fin de vie et de la perte de confiance dans les traitements traditionnels, user de leur statut pour promouvoir des pratiques dangereuses.

Nous avons un signalement qui concerne la télépathie en Seine-Maritime émanant d'infirmières membres d'un cabinet de groupe qui compte trois professionnelles. L'une d'elles, après une procédure de divorce, est entrée dans une grave dépression ; après plusieurs tentatives de suicide, elle a été hospitalisée dans un centre spécialisé, soignée par un psychiatre et traitée par psychotropes. Elle a bénéficié d'un arrêt de travail lié à ces difficultés. En reprenant son activité dans le cabinet de groupe, elle souhaitait promouvoir de nouvelles techniques de soins, qu'elle qualifiait de « magnétologie ». Les patients étant en grande majorité des personnes âgées et fragiles, ses deux collègues se sont inquiétées de l'état psychique de la troisième, de son prosélytisme et de sa volonté d'utiliser ces nouvelles pratiques. Elle leur a expliqué qu'elle avait suivi une formation et leur en a donné le programme.

Ses collègues ont estimé qu'il y avait manifestement un doute sur le caractère sectaire de cette formation et nous l'ont signalé, nous demandant de juger du degré de gravité et d'intervenir éventuellement par une action disciplinaire visant à interdire à cette personne d'exercer.

Le séminaire qu'elle a suivi fait état de différents éléments que nous ne connaissions pas très bien. Le séminaire commençait par une photographie « Kirlian » de l'énergie des mains et des pieds, censée permettre, par comparaison avec celle faite à la fin du cours, de comparer la progression de l'élève sur le plan énergétique, une différence de rayonnement des mains et des pieds devant soi-disant être constatée.

Les cours portaient sur l'énergie et la prise de conscience de la réalité de celle-ci, sur le rétablissement de l'allure énergétique et sur les effets de pollution énergétique.

Dans la seconde partie du séminaire, on incitait les élèves à découvrir leurs capacités d'auto-guérison dans le cadre de séances de dépollution collective et de magnétisme collectif ; ils apprenaient à maîtriser l'« arbre de vie », c'est-à-dire à connaître la colonne vertébrale et les vertèbres, les relations entre les glandes endocrines et les problèmes de santé, les problèmes de métabolisme et de digestion des aliments.

Enfin, les cours s'achevaient par l'apprentissage de la fabrication de sa « bulle » d'énergie et la façon d'utiliser cette technique dans la vie de tous les jours, pour soi-même et en vue de « soigner » les autres.

Je ne sais si l'on peut qualifier ceci de dérive sectaire. Nous ne savons pas non plus si cette personne était sous l'emprise d'un gourou ou d'une quelconque organisation, mais on constate néanmoins un changement dans la pratique professionnelle de cette infirmière qui porte atteinte à un certain nombre de nos règles professionnelles et nécessite inévitablement que l'Ordre intervienne par la voie de sanctions disciplinaires...

M. Alain Milon , président. - La parole est aux commissaires...

M. Yannick Vaugrenard. - Dans le domaine des services pédiatriques, avez-vous constaté des offres de médecine parallèle, voire de dérives sectaires, les parents d'un enfant en difficulté majeure étant toujours en état de faiblisse psychologique...

Par ailleurs, ne pensez-vous pas que le guide de la Miviludes devrait être obligatoirement distribué par l'Ordre des infirmiers ou par celui des médecins à tous les professionnels de santé ?

Enfin, ne pensez-vous pas que votre Ordre, comme d'autres, devrait s'autosaisir du sujet dès lors qu'est constaté soit une dérive sectaire, soit le recours à des médecines parallèles dont l'efficacité n'a pas été démontrée ?

M. Karim Mameri. - En matière de pédiatrie, rien n'est remonté jusqu'au conseil de l'Ordre. Je suis moi-même infirmier-cadre de santé dans un service de pédiatrie. A ma connaissance, il n'y a pas à ce jour de danger. Des formations à de nouvelles thérapeutiques sont mises en place en pédiatrie, notamment l'hypno-analgésie, qui recourt à un certain nombre de techniques hypnotiques. Certaines fonctionnent très bien chez les enfants et permettent d'atténuer la douleur. D'autres formations certifiées sont aujourd'hui dispensées. Je ne les qualifierais pas de médecines parallèles mais de techniques non médicamenteuses...

Pour ce qui est du guide de la Miviludes, des outils d'une telle qualité doivent pouvoir être distribués aux infirmiers de terrain et ne pas rester cantonnés aux cadres des services hospitaliers. Je crois d'ailleurs que le conseil de l'Ordre des infirmiers a diffusé aux professionnels inscrits au tableau une version électronique de ce guide dans une info lettre...

M. Yann de Kerguenec. - Il est difficile aux infirmiers d'assimiler une telle somme d'informations ; ce guide compte 150 pages... Même s'il existe un chapitre plutôt bien fait concernant spécifiquement les infirmiers, il ne faut pas se faire trop d'illusions sur la connaissance qu'ont les infirmiers du contenu de ce guide...

Les infirmiers sont plus sensibles aux informations verbales ; une intervention, soit dans le cadre des organismes de formation continue, soit au moment de la formation initiale, peut avoir plus d'impact que la diffusion d'un ouvrage.

Quant à l'autosaisine de l'Ordre, nous n'avons à ce jour reçu aucune plainte. Les conseils départementaux ou le Conseil national peuvent toujours saisir la chambre disciplinaire régionale.

Peut-être n'y aura-t-il pas beaucoup de saisines directes d'infirmiers ou de patients sur un sujet quelque peu sensible. Peut-être préféreront-ils que ce soit le conseil de l'Ordre qui se saisisse - mais cela n'a pas encore eu lieu. Comme je l'ai déjà dit, il n'existe à ce jour aucune jurisprudence disciplinaire sur ces questions de dérives sectaires.

Mme Hélène Lipietz . - Avez-vous eu connaissance de dérives posant problèmes en matière psychiatrique ?

M. Yann de Kerguenec. - Jamais, mais c'est peut-être plus difficile en établissement. La majorité de nos signalements viennent du monde libéral ou de plus petites structures de type Ephad, ou encore des services de santé scolaire.

L'infirmière scolaire a en effet un rôle déterminant de « sentinelle ». Elle peut détecter des insuffisances alimentaires, poser des questions et soupçonner certains faits ; nous n'avons toutefois pas de capacités d'intervention, encore moins vis-à-vis des enfants que des familles.

En tout état de cause, nous n'avons jamais eu de remontées de la part des grands établissements hospitaliers, qui n'ont peut-être pas le réflexe de passer par l'institution ordinale.

Audition de M. Patrick ROMESTAING, président de la section Santé publique du Conseil national de l'Ordre des médecins (mercredi 5 décembre 2012)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions des ordres professionnels avec le Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom), représenté par le docteur Patrick Romestaing, président de la section Santé publique et démographie médicale.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Je précise à l'attention du Docteur Patrick Romestaing que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base d'une initiative du groupe RDSE, dont notre rapporteur, M. Jacques Mézard, est président, et que notre rapport sera remis début avril 2013.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander au docteur Patrick Romestaing de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Patrick Romestaing, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Patrick Romestaing . - Je le jure.

M. Alain Milon , président. - Vous avez la parole...

M. Patrick Romestaing, président de la section Santé publique du Conseil national de l'Ordre des médecins. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, je vous remercie d'avoir invité le Conseil national de l'Ordre des médecins à s'exprimer devant vous, dans le cadre du travail que vous conduisez.

Le Conseil de l'Ordre des médecins est très sensible à la situation dans laquelle peuvent se trouver un certain nombre de patients, ce phénomène étant indiscutable. Il est difficile de quantifier les patients ayant recours à des pratiques différentes des pratiques traditionnelles et se retrouvant ensuite entraînés dans des mouvements à dérive sectaire.

On apprécie également mal le nombre de professionnels impliqués. Il s'agit là de cas de figure différents : on est parfois en présence d'un médecin qui exerce une pratique non conforme et qui peut ensuite donner lieu à des dérives sectaires...

Le Conseil de l'Ordre des médecins n'a aucun pouvoir d'enquête. Nous sommes régulièrement interrogés, dans le cadre du Conseil national et de sa section Santé publique ; soit par des médecins interpellés par les pratiques de certains confrères, soit par des patients ou des familles de patients, ainsi que par les conseils départementaux. J'assume la présidence du Conseil départemental du Rhône - quatrième département de France - où travaillent 10 000 médecins.

Il est par ailleurs difficile de recueillir des preuves ou des témoignages utilisables en justice. Les conseils départementaux se retrouvent en outre en situation d'échec lorsqu'ils veulent diligenter certaines actions, notamment dans le cas d'exercice illégal de la médecine. Généralement, les sanctions décidées par les juridictions sont en effet d'une extrême légèreté et consistent parfois en un euro de dommages et intérêts, ce qui ne motive guère les conseils départementaux à engager des actions. Ils baissent donc quelque peu les bras, bien que nous essayions de les motiver...

La frontière est indiscutablement très floue entre les pratiques non conventionnelles, qui relèvent encore un peu de l'art de la médecine, les pratiques non conventionnelles qui dérivent et l'exercice illégal de la médecine débouchant sur une dérive sectaire.

Que fait le Conseil national de l'Ordre des médecins ? Quand il est saisi et qu'il s'agit d'un médecin, il prévient la section Santé publique du Conseil départemental afin qu'elle reçoive le médecin et recueille ses explications. Il est très difficile d'obtenir le témoignage des personnes qui nous saisissent, qui ne le désirent généralement pas. Cela ne facilite guère la suite...

S'il s'agit d'un médecin et que nous estimons qu'il existe une infraction au code de déontologie, nous saisissons la chambre disciplinaire. Quand il s'agit d'un exercice illégal de la médecine, nous saisissons le Procureur de la République. Là encore, ce n'est pas toujours très facile.

Notre territoire connaît actuellement une vague de médecine chinoise pour laquelle le Conseil national de l'Ordre a diligenté une action et interpellé l'ensemble des conseils départementaux, estimant qu'il s'agit là d'une pratique illégale de la médecine. Cette pratique est en effet réalisée dans des locaux bien blancs, aseptisés, qui font penser à un local médical, avec des « praticiens » revêtus d'une blouse blanche - que beaucoup de médecins ne portent d'ailleurs plus - utilisant des stéthoscopes et des caducées sur leur porte, voire sur leur voiture. On nous l'a rapporté mais on n'en a pas encore de preuves...

Nous avons diligenté des actions dans tous les départements de France, demandant aux présidents des conseils départementaux de porter un oeil sur les noms que nous avions examinés pour savoir si ceux-ci étaient inscrits, et de saisir le Procureur et le directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS). Neuf fois sur dix, on nous a fait valoir qu'en France, selon un avis du Conseil d'Etat, le terme de « médecin » est protégé par la loi mais non celui de « médecine » ! Nous en sommes là...

Cependant, le Conseil national de l'Ordre a demandé à chaque conseil départemental d'avoir un référent « dérives sectaires » et d'être le correspondant pour les patients ou les médecins qui souhaiteraient être entendus sur le sujet. Le Conseil national de l'Ordre a organisé il y a un an une journée de rencontres et de formation pour sensibiliser l'ensemble des conseils départementaux à la pratique des mouvements à dérive sectaire. La Miviludes est intervenue, ainsi que des magistrats et la présidente de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu (Unadfi), Mme Catherine Picard. Quatre-vingt-deux conseils départementaux étaient présents.

C'est dire si nous essayons de sensibiliser et de mobiliser les conseils départementaux sur un sujet de santé publique qui nous préoccupe...

Parallèlement, nous travaillons avec la gendarmerie et sa cellule de veille consacrée à la cybercriminalité, qui est très active et qui a des pouvoirs d'enquête que nous n'avons pas. Nous échangeons toutes les semaines avec elle...

Par ailleurs, le premier numéro de l'année du bulletin du Conseil national consacrait six pages aux dérives sectaires afin de sensibiliser à ce sujet les 200 000 médecins qui reçoivent cette brochure. Un numéro identique était déjà paru en 2008 ou 2009. C'est dire si nous y accordons de l'importance. Nous avons cependant besoin d'être motivés car les mouvements sectaires changent aisément de nom, passent les frontières et reviennent quelques années plus tard. Quant aux médecins, ils préfèrent se radier d'eux-mêmes avant d'être sanctionnés par la chambre disciplinaire, afin de ne pas être poursuivis par l'Ordre.

M. Alain Milon , président. - La parole est au rapporteur...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Cette commission d'enquête est aussi un moyen de motiver le Conseil national de l'Ordre des médecins et de renforcer l'action que vous menez face aux dérives sectaires dans le domaine de la santé.

Avez-vous une évaluation du nombre de médecins « déviants » ? Des chiffres ont été émis en 1996 ou en 1998 ; on parlait à l'époque d'environ 3 000 praticiens. Ce nombre a-t-il augmenté ? Avez-vous le sentiment que ces problèmes soient de plus en plus prégnants ? Constatez-vous une diversification des pratiques à risque ? Notre souci principal est de lutter contre des dérives dangereuses pour la santé de nos concitoyens...

M. Patrick Romestaing. - J'ai débuté mon propos en parlant des patients : c'est donc bien notre souci et une mission de santé publique pour le Conseil national de l'Ordre des médecins.

Nous ne pouvons ni confirmer, ni infirmer le chiffre avancé il y a un certain nombre d'années. On ne sait combien de patients ont recours à ces pratiques, ni combien de professionnels ou de non-professionnels délivrent ce genre de « soins ». Nous ne nous avancerons donc pas.

Le patient trouve indiscutablement un temps et une capacité d'écoute auprès de ces personnes, alors que le professionnel de santé ne remplit plus cette mission. Même les médecins atteints de certaines pathologies vont parfois chercher ailleurs ce qu'ils ne trouvent pas dans la médecine traditionnelle ! Tous les événements récents qui touchent le domaine sanitaire introduisent le doute dans l'esprit de la population, qui cherche ailleurs ce que les techniques traditionnelles ne semblent plus apporter.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Certaines pratiques non conventionnelles vous paraissent-elles particulièrement dangereuses ? Faut-il attirer l'attention de nos concitoyens sur celles-ci ?

M. Patrick Romestaing. - Une interruption de traitement, avec substitution d'une autre thérapeutique, proposée - voire vendue - par une personne y trouvant un intérêt commercial pose problème et nécessite surtout que l'on s'interroge !

Quant aux pratiques, elles sont si variées et reposent sur tellement d'irrationnel que l'on peut s'étonner de l'écoute qu'elles reçoivent. Quand on est en difficulté ou malade, on recherche toutefois tout et n'importe quoi ! L'irrigation du colon, qui peut paraître anodine, peut aussi être dangereuse. La paroi du colon ayant ses limites, on peut déclencher une péritonite... Tout geste chirurgical, si infime soit-il, comporte des risques.

Un jeûne forcé, accompagné d'une marche à titre de purification ou d'asservissement, censée débarrasser l'individu des mauvaises humeurs - pour parler comme au XVII e siècle - sont extrêmement dangereux. Ne pas boire pendant des heures et accomplir six ou sept heures d'effort n'est pas sans risque !

Pour ce qui est des produits vendus, je ne pense pas qu'ils présentent de toxicité particulière.

Enfin, les manipulations, cervicales ou autres, ne sont pas non plus anodines mais c'est un autre sujet qui concerne l'exercice illégal de la médecine. Je ne crois pas que nous soyons ici pour parler d'ostéopathie ou de chiropraxie !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous avez indiqué souhaiter être conforté dans le travail que vous menez pour lutter contre les dérives sectaires. Quel type de mesure souhaiteriez-vous voir adopté ?

M. Patrick Romestaing. - Nous travaillons beaucoup avec la gendarmerie. Les investigations financières sont celles qui ont le plus de portée. Les sanctions doivent être significatives et aller bien au-delà de l'euro symbolique.

Il existe des possibilités d'enrichissement importantes dans le domaine des pratiques susceptibles de favoriser les dérives sectaires. Se pencher sur le train de vie et les comptes bancaires des intéressés permet de leur porter un coup significatif.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - J'ai le sentiment que vous attendez plus de la justice...

M. Patrick Romestaing. - Oui, en effet.

Quand les magistrats délibèrent, ils n'ont pas toujours le sentiment qu'il s'agit d'exercice illégal de la médecine et qu'il existe un risque important de perte de chance pour le patient.

C'est difficile à exprimer, à quantifier et l'on peut comprendre que la justice estime parfois que l'Ordre des médecins est jaloux de ses prérogatives. Là n'est pas la question ! Chacun doit rester à sa place et le travail doit être fait par ceux qui en ont la capacité ! Si l'exercice illégal de la médecine n'est pas clairement condamné, il ne faut pas s'étonner que des mouvements se développent ensuite et déferlent sur le territoire ! Nous aimerions donc que les sanctions soient bien plus lourdes.

L'Ordre des médecins a, à plusieurs reprises, prononcé des radiations. On ne peut faire plus mais je pense que les sanctions peuvent augmenter. Nous l'estimons en tout cas nécessaire...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Certaines dérives proviennent d'influences à caractère sectaire ; d'autres peuvent être purement et simplement motivées par un but spéculatif.

Estimez-vous qu'il y ait conjugaison de ces deux facteurs et que certains professionnels considèrent que c'est un domaine où la rentabilité est plus lucrative ?

M. Patrick Romestaing. - Le risque spéculatif existe indiscutablement. Ce n'est pas un fait majoritaire mais ceux qui mettent en place des stages, des ventes de produits, etc., savent fort bien utiliser le système. Il s'agit bien là d'une pratique commerciale.

Le domaine de la formation professionnelle continue est également très lucratif... Beaucoup de pratiques se développent : coaching, développement personnel... Il n'existe peut-être pas de risque sur le plan de la santé mais l'aspect spéculatif est extrêmement présent dans ce domaine...

Mme Gisèle Printz . - Aucun diplôme n'est nécessaire pour ouvrir un cabinet de formation professionnelle ! N'importe qui peut ouvrir un centre...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Que pensez-vous de l'introduction de certaines techniques non conventionnelles à l'hôpital public ?

M. Patrick Romestaing. - Nous avons été quelque peu surpris de la décision de certains grands hôpitaux de mettre en place à l'intérieur de l'établissement des techniques qui ne sont pas validées par l'enseignement de l'université française. On y retrouve d'ailleurs la médecine chinoise...

Il existe indiscutablement des techniques qui ne sont pas encore officiellement reconnues mais qui y ont leur place. L'hypnose peut apporter un plus au traitement de la douleur, à l'anesthésie, ou être utilisée en pédiatrie.

De même, l'acupuncture est officiellement reconnue par le Conseil national de l'Ordre des médecins pour agir sur les douleurs, la sédation et sans doute aussi sur l'anesthésie. Un médecin peut recourir à l'acupuncture. S'il utilise des aiguilles à usage unique, il n'y a pas de risque et cela amène un plus.

Vouloir obéir à des phénomènes de mode qui ont un impact assez favorable sur les patients ne donne pas forcément une bonne image de la médecine française...

M. Alain Fauconnier . - Constatez-vous une corrélation entre ces pratiques atypiques et la surdensité médicale de certains territoires ?

M. Patrick Romestaing. - Il se passe indiscutablement quelque chose de curieux. On a beaucoup de médecins, en France, à certains endroits... Il se trouve que je préside la section Santé publique et démographie du Conseil national. Il existe un problème de répartition ; un certain nombre d'étudiants s'inscrivent en médecine - 56 000 cette année - mais, au bout du compte, alors que le numerus clausus a doublé en dix ans, une proportion non négligeable ne veut pas pratiquer la médecine, surtout générale, lorsqu'ils sont sur le point de s'installer. Dix mille praticiens exercent aujourd'hui en remplacement et on se demande ce qu'il faut faire pour qu'ils entrent dans la vie professionnelle. Il y a également de nombreux postes disponibles à l'hôpital. Ces jeunes médecins ne privilégient donc pas plus le salariat.

Cet élément existe mais il s'agit plus d'un choix que d'une question de démographie médicale. On trouve plus de médecins hors convention en homéopathie, acupuncture ou chirurgie esthétique dans les grandes métropoles que dans des zones rurales ou de toutes petites villes.

M. Alain Fauconnier . - Un certain nombre de médecins qui interviennent lors de congrès, comme récemment à Lyon, exercent dans des spécialités que l'université n'enseigne probablement pas. Qu'en dit le Conseil de l'Ordre ?

M. Patrick Romestaing. - Il essaie de se faire entendre, ce qui n'est pas toujours facile !

En France, le titulaire d'un doctorat a le droit d'utiliser son titre ; l'usage veut que ce titre soit réservé, dans la pratique courante, aux docteurs en médecine, les autres devant préciser dans leur en-tête et sur leur plaque s'ils sont docteurs en pharmacie, en droit, en lettres.

Or, un certain nombre de personnes affichent ce titre sans en avoir le droit au regard de la pratique française, malgré nos actions en direction des intéressés, de l'Etat et de l'université. C'est pourquoi nous nous interrogeons sur le caractère permanent du titre de docteur en médecine en France...

Il semblerait qu'un avocat, profession réglementée comme la nôtre, lorsqu'il est l'objet d'une sanction lourde, ne puisse plus utiliser son titre. Nous avons donc demandé qu'un docteur en médecine condamné et radié pour faute lourde, y compris pénale, ne dispose plus non plus du droit d'utiliser son titre de docteur. Jusqu'à présent, on nous a toujours opposé le fait que le titre est définitif et qu'on ne peut le retirer. C'est une action qu'il nous semble intéressant de porter dans l'intérêt des patients.

M. Alain Milon , président. - C'est la question que j'allais vous poser. Je pense que le rapporteur pourra proposer de mettre en place des sanctions pénales pour ceux qui feraient un usage public de ce titre après radiation...

Existe-t-il, une coordination européenne des différents Ordres en matière de dérives sectaires, en particulier pour ce qui concerne Internet ?

M. Patrick Romestaing. - Je représentais le Conseil national, jeudi et vendredi dernier, à la conférence du Conseil européen des Ordres des médecins (Ceom). Il existe, dans le cadre du système d'information du marché intérieur (Imi), des actions conjointes dans plusieurs domaines, ainsi qu'une volonté d'échanger un certain nombre d'informations, dans l'intérêt des patients, sur les professionnels objets de sanctions : à partir de quel moment nourrir ce système ? Doit-on le faire quand un professionnel est l'objet d'une plainte ou lorsqu'une sanction a été prononcée ? Doit-on attendre qu'elle soit définitive ?

Le droit européen ne simplifie pas les choses mais il existe un désir des Ordres européens de travailler ensemble. C'est ce que nous faisons en matière de démographie, d'éthique et de déontologie. Un groupe de travail, piloté par le docteur D'Autilia, médecin ordinal italien, va probablement produire un document dans le courant de l'année 2013.

Audition de M. Olivier HERTEL, journaliste à Sciences et Avenir (mercredi 5 décembre 2012)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous recevons cet après-midi M. Olivier Hertel, journaliste.

M. Olivier Hertel est l'auteur d'un article remarqué de la revue Sciences et avenir intitulé : « Les sectes entrent à l'hôpital ». Cette enquête établit un lien entre risques de dérives sectaires et diffusion des pratiques thérapeutiques non conventionnelles et souligne les dangers liés à l'intervention de ces thérapeutes dans le cadre de l'hôpital public.

Avant de donner la parole à M. Olivier Hertel, je précise que la commission d'enquête a souhaité que la réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Je rappelle à l'attention de M. Olivier Hertel que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base du droit de tirage annuel du groupe RDSE, dont M. Jacques Mézard, notre rapporteur, est président.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Hertel de prêter serment.

Je rappelle, pour la forme bien sûr, qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Olivier Hertel, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Olivier Hertel. - Je le jure.

M. Alain Milon , président. - A la suite de votre exposé introductif, mon collègue Jacques Mézard, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera quelques questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Monsieur Hertel, vous avez la parole...

M. Olivier Hertel, journaliste à Sciences et Avenir, auteur de l'article « Les sectes entrent à l'hôpital » paru dans cette revue. - La revue Sciences et Avenir est un mensuel qui existe depuis 1947. C'est donc une institution. Nous tirons environ 270 000 exemplaires par mois, soit 2,5 millions de lecteurs.

Les sujets que nous traitons sont assez larges ; ils touchent les sciences, la médecine, l'environnement, l'archéologie ainsi que des thèmes intéressant la société, dans lesquels les sciences ont une importance capitale, notamment les ondes ou les relations entre les sectes et la science, dossier que j'avais déjà réalisé en 2005.

L'expérience date de plusieurs années ; j'ai mené un certain nombre d'enquêtes sur les sectes et les dérives thérapeutiques, notamment sur la biologie totale, relative à la méthode Hamer, la Scientologie, les Raëliens et les Témoins de Jéhovah. Je suis également responsable d'une rubrique intitulée « Non prouvé scientifiquement » dans laquelle j'analyse des produits et des pratiques pseudo-scientifiques et pseudo-thérapeutiques, comme l'irrigation du colon.

L'enquête sur les sectes à l'hôpital a été publiée dans Sciences et Avenir en novembre 2012. Cette enquête a duré six mois. Il est assez rare, aujourd'hui, dans la presse écrite, de pouvoir consacrer autant de temps à ce type d'article.

Cela a parfois été compliqué : quand on a du temps, on trouve beaucoup de choses et il faut arriver à mettre en forme toutes ces informations. Cela a débouché sur un article de six pages, qui montre qu'une multitude de pratiques ésotériques sectaires, voire dangereuses, sont déjà présentes dans les hôpitaux, les centres hospitalo-universitaires (CHU), les centres hospitaliers, les cliniques, les centres anti-cancer, les universités, les facultés de médecine, les laboratoires de recherche, les grandes écoles, les associations de malades et les associations finançant la recherche.

J'ai décidé de vous présenter trois exemples emblématiques qui me semblent bien traduire cette infiltration, l'enquête étant assez longue et parfois fastidieuse. Le premier exemple concerne l'Association de prévention pour la santé par les médecines douces (Apsamed), qui est un réseau de thérapeutes pratiquant diverses techniques - kinésiologie, réflexologie plantaire, reiki, naturopathie, magnétisme, etc., techniques qui ne sont pas éprouvées scientifiquement mais qui ont pourtant eu un écho assez important, puisque l'hôpital Paul Desbief, à Marseille, fin mai-début juin, a ouvert ses portes à ces pratiques durant trois « journées-découvertes » durant lesquelles les patients et le personnel soignant pouvaient les tester.

L'Apsamed organise également un colloque annuel dans lequel on trouve des médecins ayant pignon sur rue et des thérapeutes qui y présentent leurs produits ou leur méthode.

Dans la vidéo de la dernière manifestation, j'ai notamment retenu l'intervention de M. Jacques Prunier, fabricant de compléments alimentaires à base d'algues avec lesquels il prétend pouvoir soigner la maladie d'Alzheimer, la maladie de Parkinson ou l'amyotrophie spinale infantile... Ce colloque était animé par un médecin homéopathe qui a déjà eu quelques soucis avec l'Ordre.

M. Jacques Prunier prétend avoir ainsi soigné par les algues une enfant atteinte de l'amyotrophie spinale infantile - « une enfant-légume » comme il l'appelle - en quarante-trois jours ! La mère de cette enfant habite L'île-sur-la-Sorgue et la petite-fille s'appelle Léa...

M. Alain Milon , président. - Les médecins présents à ce colloque ont-ils réagi à ces propos ?

M. Olivier Hertel. - Non, pas à ma connaissance. Dans la vidéo, on n'entend personne s'élever contre ces propos... Je pense que les personnes présentes ont été fascinées par cette histoire !

Le second cas concerne la fasciathérapie et constitue selon moi l'exemple le plus intelligent dans la manière de pénétrer les institutions de santé.

Les fascias sont des tissus fibroélastiques qui entourent les organes et certaines structures anatomiques - plèvre, péricarde ou méninges. Ce tissu serait animé d'un mouvement subtil, ce qui implique une formation assez précise pour le percevoir. La formation permet au thérapeute de sentir ce mouvement et d'avoir une lecture de l'état de la personne, ainsi que le présente une vidéo produite par Danis Bois, inventeur de la méthode.

Si le thérapeute qui pose ses mains sur le patient sent que le mouvement va vers l'avant, c'est que la personne « va de l'avant ». S'il ne perçoit pas de mouvement vers l'arrière, c'est que la personne « manque de recul ». La grille de lecture est assez simple et facile à appréhender !

Le mouvement peut également aller vers le sol, signifiant que la personne est bien « enracinée », plus ou moins puissant, etc. Tout ceci se fait en posant la main sur un bras ou sur le corps de la personne.

Le mouvement interne est déterminant pour la santé et rappelle la médecine orientale, indienne, chinoise, etc., et les notions de qi, de chi, de prana, sortes d'énergies qui circuleraient à travers le corps.

Cette méthode permet de rééquilibrer l'énergie grâce à des points d'appui définis par Danis Bois. J'ai suivi une séance de fasciathérapie pour un mal de dos. On reste allongé durant environ une heure et le thérapeute pose les mains à différents endroits, autour du dos et il ne se passe quasiment rien. D'ailleurs, j'ai toujours mal au dos ! Je consulte également des médecins mais, dans le cadre de mon métier, j'ai l'occasion de tester un peu tout, ce qui est assez instructif. Je suis encore vivant, ce qui prouve que ce n'est finalement pas si dangereux - bien qu'il faille quand même rester prudent...

Quelles sont les allégations de la fasciathérapie ? Le discours est globalement assez prudent. Aujourd'hui, on parle d'aide et d'accompagnement, mais on peut trouver l'évocation de maladies assez graves. La fasciathérapie serait notamment efficace dans la prévention ou le soutien dans les cas de cancer, de sclérose en plaques, de déficit immunitaire, etc.

Le site du « Département de fasciathérapie » recense toutes les formations de Danis Bois. L'idée est d'attirer des étudiants, généralement tous kinésithérapeutes, vers cette formation qui donne des outils pour « mener une action curative et éducative auprès de patients souffrant de douleurs physiques, de pathologies chroniques et de maladies graves ».

En fait, ce mouvement interne perçu par les fasciathérapeutes n'existe pas ! Selon les spécialistes de l'anatomie que j'ai interrogés, cette structure ne peut correspondre à la description qu'en fait Danis Bois.

Danis Bois est ancien kinésithérapeute et ostéopathe ; dans les années 1980, il a surtout été le disciple de Ram Chandra, à l'origine de la secte Shri Ram Chandra Mission. Dans un de ses livres que j'ai pu retrouver, Danis Bois indique que le premier à avoir parlé du mouvement interne, base de la fasciathérapie, est Ram Chandra. Il attribue donc à son maître l'origine de la fasciathérapie.

Ce concept ésotérique repose donc sur un mouvement imaginaire ; pourtant Danis Bois possède un doctorat de l'université de Séville ; il est professeur à l'université Fernando Pessoa au Portugal, professeur associé à l'Université de Rouen. La fasciathérapie fait l'objet d'un master, de deux diplômes universitaires (DU) et de dix-sept thèses dans le cadre de la somatopsychopédagogie ou de la psychopédagogie perceptive dans au moins six universités françaises. L'équipe de Danis Bois collabore par ailleurs avec des chercheurs dans les laboratoires de recherche du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Les hôpitaux utilisent également la fasciathérapie dans des soins de support ; il existe aussi un DU à la Pitié-Salpêtrière, où intervient un des bras droits de Danis Bois. On retrouve aussi la fasciathérapie à l'Institut de cancérologie de l'Ouest à Angers et à Nantes, ainsi que dans des associations de malades, qui constituent des environnements assez perméables, comme on peut le comprendre. Plus surprenant, un essai clinique a été réalisé sur la fasciathérapie en soin de support pour le cancer du sein...

La fasciathérapie est un business très lucratif, dont les formations sont assurées par l'école privée Point d'appui, affiliée notamment à l'université privée Fernando Pessoa, au Portugal.

La formation est simple : tous les étudiants sont inscrits à l'université Fernando Pessoa et paient des frais d'inscription, mais les enseignements sont dispensés en région parisienne, l'université permettant de délivrer des masters grâce à sa reconnaissance européenne.

La formation de fasciathérapeute, qui délivre le DU de fasciathérapie, est seulement ouverte aux kinésithérapeutes. Elle compte dix-huit sessions de trois jours sur trois ans, soit au total 450 heures de cours ou de stages de formation, pour un prix de 10 890 euros. Pour rappel, la fasciathérapie n'est pas reconnue par l'Ordre national des masseurs kinésithérapeutes...

M. Alain Milon , président. - Avez-vous vérifié ces informations auprès de l'Université Fernando Pessoa ?

M. Olivier Hertel. - L'université existe. Danis Bois y est responsable du département de psychopédagogie perceptive. Il ne pourrait faire passer de masters sans l'université Fernando Pessoa qui, grâce à sa reconnaissance par l'Union européenne, délivre des équivalences de masters.

Le chiffre d'affaires de Point d'appui en 2009 s'élevait à un million d'euros. Cette activité a dû fortement progresser ces dernières années.

Le troisième exemple est celui de l'université d'Angers, qui compte deux affaires importantes. La première, qui concerne la première année commune aux étudiants de santé (Paces) est en rapport avec le chamanisme. La seconde concerne l'affaire Gascan-X-Omalpha-Ashram Shamballa, dont vous avez peut-être entendu parler dans la presse...

L'enseignement de l'université d'Angers est assez particulier : il oblige les étudiants de première année en sciences humaines à acheter un manuel dans lequel on peut trouver certains propos assez décalés par rapport à ce qu'on attend de l'enseignement en médecine : « Il ne faut pas exagérer " l'efficacité " de la cure chamanique, mais regarder qu'elle produit des effets sur le corps de l'individu soigné et permet le cas échéant une " expérience corrective affective " et une relative guérison organique obtenue par des " représentations psychologiques déterminées " ».

Ce livre est codirigé par Jean-Marc Mouillie, philosophe, maître de conférences à la faculté de médecine d'Angers et directeur de collection aux Editions Les Belles Lettres, qui éditent ce livre.

L'enseignement des sciences humaines, à Angers, a été conçu par Jean-Marc Mouillie sous la supervision de Jean-Paul Saint-André, président de l'université d'Angers et ancien doyen de la Faculté de médecine, qui a recruté Jean-Marc Mouillie pour ses enseignements alors qu'il était doyen.

Les sciences humaines et sociales, à Angers, bénéficient d'un très fort coefficient, toutes matières confondues. Au premier semestre, elles totalisent 200 points sur 500. On peut donc penser que cette barrière a permis de filtrer un certain nombre d'étudiants. La réforme de la Paces a été conçue pour permettre aux étudiants de médecine échouant au premier semestre de se réorienter vers d'autres formations - biologie, soins infirmiers, etc.

S'ils échouent au premier semestre, notamment en sciences humaines, les étudiants ont plutôt intérêt à s'orienter vers une autre formation ; ils sont sélectionnés sur leur tropisme pour les sciences sociales, notamment les pratiques non éprouvées...

Il existe en outre un conflit d'intérêts criant et assez étonnant : le livre dont je viens de parler est édité aux Editions Les Belles Lettres et codirigé par Jean-Marc Mouillie, également directeur de cette collection. Or c'est lui qui, en tant qu'enseignant à la faculté de médecine, oblige les étudiants de Paces à acheter ce livre, soit plus de 1 000 personnes chaque année. Ce manuel, que j'ai lu, est assez cryptique et n'aurait pas fait une telle carrière sans cela. Il a d'ailleurs déjà été réédité.

Selon l'Université d'Angers, avec qui nous avons échangé par médias interposés - ce qui est assez singulier pour moi -, cette forme d'enseignement permettrait de sensibiliser les futurs médecins à la médecine préscientifique. Je pense qu'il s'agit plutôt là d'une sensibilisation aux médecines parallèles et je vais tenter de démontrer pourquoi...

Aux Editions Les Belles Lettres, dans la collection de Jean-Marc Mouillie, on trouve plusieurs livres favorables aux médecines parallèles dont un ouvrage écrit par un professeur à l'université de Nancy - qui collabore d'ailleurs avec Danis Bois et Eve Berger - et qui recense toutes les thérapies manuelles, notamment la fasciathérapie et le rebirth , qui sont un « copier-coller » d'un ancien site de Danis Bois et d'un autre site favorable au rebirth .

Ce chercheur, censé porter un regard critique sur ces pratiques, se contente de faire des « copier-coller » de sites à l'origine de ces techniques ! Cela pose non seulement le problème de l'intérêt d'acheter un tel ouvrage si on en trouve le texte sur Internet, mais surtout le problème du regard critique du chercheur. Ce livre, édité dans la même collection aux Editions Les Belles Lettres, peut laisser penser qu'il défend la médecine parallèle. Or, on ne peut simplement sensibiliser les étudiants à la médecine préscientifique...

Le chamanisme est aujourd'hui une pratique qui présente des dangers évidents, notamment du fait de l'utilisation de l'ayahuasca, drogue interdite en France mais que les adeptes du chamanisme se procurent lors de cures de purification, en Amérique latine ou centrale. Il s'agit d'un produit extrait de lianes et assez proche du LSD. Plusieurs personnes sont mortes après en avoir absorbé. Il existe un très bon dossier sur ce sujet sur le site de Psychothérapie Vigilance...

La seconde affaire qui se déroule à l'université d'Angers est l'affaire Gascan-X-Omalpha-Ashram Shamballa qui est assez complexe mais qui vaut qu'on en parle...

Tout démarre dans un laboratoire de recherche médicale de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l'unité 564, aujourd'hui dissoute, qui travaille sur les cytokines. Le directeur de laboratoire, Hugues Gascan, est en conflit avec X, professeur des universités, praticien hospitalier (PU-PH) dans ce laboratoire.

Le conflit démarre lorsqu'Hugues Gascan accuse X d'utiliser le cadre de missions pour rencontrer, à Genève, Jean Bouchard d'Orval, animateur d'un groupe appelé Omalpha, dont X serait proche sur le plan philosophique. La philosophie d'Omalpha peut se résumer à la non-dualité, que je ne peux vous expliquer clairement, n'ayant pas tout compris...

Jean Bouchard d'Orval est lié à une femme nommée Soledad Altay, chamane, adepte de tantrisme, qui donne en France depuis 2010 des conférences sur la vie sexuelle des femmes, à l'invitation de Jean Bouchard d'Orval.

Soledad Altay est en fait la représentante d'Ashram Shamballa, secte russe aujourd'hui démantelée. Son gourou, Konstantin Rudnev, est aujourd'hui en prison et son procès est en cours. On lui reproche, entre autres, d'avoir créé un réseau de prostitution.

Soledad Altay, en août 2011, a donné des conférences dans deux temples de déesse (« godess temples ») aux Etats-Unis, à Phoenix et Sedona. En septembre 2011, la police de Phoenix a réalisé une descente dans ces deux temples et a arrêté toutes les personnes présentes, ayant mis à jour un réseau de prostitution.

Dans l'une de ses conférences données au Brésil pour l'« Escola do Feminino », association qui défend la féminité, Soledad Altay a fait état d'une boîte mail et de numéros de téléphone que l'on retrouve sur le site « Spaçotantra.com.br », qui assure la promotion de spas proposant des hôtesses assez jolies qui pratiquent des massages sexuels tarifés. Cette prestation s'apparente à de la prostitution. Il est prévu que Soledad Altay vienne en France en décembre donner des conférences...

Ces numéros de téléphone renvoient à des blogs d'hôtesses que l'on retrouve dans les différents spas et qui recourent aux massages tantriques « lingam » - massage du sexe de l'homme.

Ces blogs renvoient aussi vers le site « Neozenspa », où l'on pratique également le massage lingam, qui tend à devenir une tradition brésilienne ! Ce site affiche la photo des différentes hôtesses, avec leur prix et leurs spécialités.

Soledad Altay a donc un certain nombre de liens avec la prostitution ; elle utilise plusieurs noms -Soledad Chekes, Chekes Rada, etc. Quel rôle joue-t-elle dans ces réseaux, elle qui est aussi chamane ? Cela donne une idée de la manière dont le chamanisme est aujourd'hui perçu...

En conclusion, pourquoi peut-on parler de dérives sectaires ? La plupart du temps, on se trouve face à des doctrines qui excluent toute autre explication et contredisent les connaissances scientifiques et médicales sur lesquelles il existe généralement un consensus international.

Ces dérives sont également liées à des exigences financières extravagantes au regard du service rendu, comme avec la fasciathérapie, méthode non éprouvée et non reconnue par l'Ordre national des masseurs kinésithérapeutes.

On peut également parler de dérives thérapeutiques s'agissant d'allégations fantaisistes qui promettent de guérir des maladies graves avec des moyens dérisoires - compléments alimentaires, etc.

Il existe aussi un risque d'arrêt des traitements. Les thérapeutes ne conseillent plus d'arrêter les traitements car ils savent, depuis l'affaire Hamer, qu'ils risquent désormais des peines de prison mais on est toutefois confronté à des personnes qui laissent penser que les moyens de se guérir sont en nous et qu'il faut stimuler ces forces pour obtenir la guérison.

C'est un discours que l'on retrouve quasiment partout aujourd'hui. La fasciathérapie ou les autres techniques sont beaucoup plus séduisantes qu'un traitement lourd et invalidant comme la chimiothérapie ou la radiothérapie...

Doit-on néanmoins faire entrer ces pratiques à l'hôpital ? Non, car on fait courir un grand risque aux malades ! Dans mon article, j'explique, en utilisant l'exemple de la réflexologie plantaire, qu'on peut orienter les malades vers un réseau de thérapeutes déviants, parmi lesquels on trouve des personnes potentiellement très dangereuses.

De ce point de vue, la méthode Lise Bourbeau - dont je pourrais vous lire quelques passages - est intéressante... La ligue 44 contre le cancer compte ainsi, parmi ses représentants les plus respectables, une réflexologue qui intervient dans différentes institutions - hôpitaux, lycées notamment - et a par ailleurs créé un réseau de thérapeutes dont l'une utilise ladite méthode.

A l'hôpital, le discours est toujours modeste : on est là pour procurer du bien-être aux malades, parallèlement aux soins conventionnels mais, en dehors de l'hôpital, les propos peuvent vite déraper. Il suffit de consulter le site de cette réflexologue qui prétend que le diagnostic de la réflexologie est équivalent au diagnostic médical et qu'il suffit de stimuler les ressources internes - ce que fait la réflexologie - pour parvenir à l'autoguérison.

Est-il pertinent de financer des pratiques qui n'ont pas été éprouvées ? Selon moi, on prive le malade de soins éprouvés qu'on ne peut dès lors plus se payer. Quelle est la réelle motivation de la pénétration de ces pratiques à l'hôpital ? N'est-ce pas une façon de répondre à la compétition entre le public et le privé et d'être plus attractif lorsqu'on est amené à traiter des malades atteints du cancer, en proposant des techniques réclamées par les malades ?

Le reiki et la réflexologie peuvent-ils permettre de conserver des malades au sein de l'hôpital plutôt que de les voir partir vers une clinique privée, qui fait de toute façon la même chose ? Quel est le gain pour le malade ?

Ces pratiques sont généralement difficiles à évaluer, notamment les techniques de massage, pour lesquelles il est compliqué de travailler en double aveugle. On peut aussi se poser la question de la pertinence du financement de ces études qui reposent sur des concepts ineptes. Par souci d'économies, on aurait tendance à vouloir tester des pratiques qui reposent sur des bases scientifiques et éprouvées dont on voudrait éventuellement vérifier l'efficacité thérapeutique. Or, je pense que l'on commet une erreur en partant de la thérapeutique pour déterminer si elle est ou non efficace, les bases n'ayant aucun sens.

Il conviendrait donc de poser à l'Institut national du cancer (INCa) la question sur l'essai clinique portant sur la fasciathérapie...

M. Alain Milon , président. - La parole est au rapporteur.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Merci pour cet exposé clair et édifiant. Comment l'idée d'explorer ce sujet vous est-elle venue ? Je souhaiterais également connaître votre analyse sur le lien existant entre pratiques non conventionnelles - dont on sait qu'elles ne relèvent pas toutes, bien loin de là, des dérives sectaires - et les dérives à caractère sectaire... De véritables réseaux ont-ils été mis en lumière ?

M. Olivier Hertel. - Je travaille sur ce sujet depuis un certain nombre d'années et je pense avoir accumulé des informations sur ces pratiques.

Tout a commencé par l'affaire Gascan-X. Sciences et Avenir est en contact permanent avec les laboratoires de l'Inserm. Découvrir une telle affaire dans un des laboratoires les plus richement dotés d'Angers n'était pas négligeable. Une demande de financement effectuée auprès de l'Agence nationale de la recherche (ANR) de plus d'un million d'euros est d'ailleurs toujours en suspens, le chercheur n'ayant plus les moyens de travailler. Ce laboratoire était un laboratoire de premier plan pour une petite ville comme Angers...

Nous avons donc tiré un fil, puis un autre et ainsi de suite. Je disposais également d'autres éléments concernant d'autres pratiques, comme le reiki ; l'idée était de les recenser toutes. A chaque fois que l'on progresse, on rencontre des gens qui peuvent parler de leur expérience. Il suffit ensuite de rassembler les éléments.

Quant au lien entre les pratiques non conventionnelles et les dérives, il est de plusieurs ordres. On fait aujourd'hui beaucoup d'efforts pour détourner les gens de la pensée magique et l'on offre beaucoup de moyens à la recherche et à la connaissance. Il est navrant de penser que la pensée magique l'emporte et que de fausses informations fassent l'unanimité. Il important que les citoyens puissent se défendre contre les charlatans et les escrocs ; or on semble ouvrir la porte aux dérives...

Les dérives sectaires n'entrent pas forcément en jeu à l'occasion d'une thérapie, mais le reiki ou la réflexologie appartiennent à un environnement qui soutient l'idée d'autoguérison.

L'hôpital apporte une certaine légitimité à ces thérapies non conventionnelles ; toutefois, une fois le malade sorti, le discours du thérapeute ne peut plus être surveillé par le médecin. On l'a constaté à Nantes, où un patient a été exposé à des pratiques déviantes par le biais de la réflexologie plantaire...

Je ne résiste pas à l'envie de vous lire un passage de la méthode Lise Bourbeau concernant la maladie d'Alzheimer : « Cette maladie est un moyen utilisé pour fuir la réalité du présent. La personne atteinte de cette maladie a souvent été du genre à s'occuper des autres. Elle utilisait beaucoup sa mémoire pour effectuer les tâches du quotidien, s'immergeant dans celles-ci pour essayer d'oublier les incidents du passé qui l'ont fait souffrir... » .

Quant au cancer, selon Lise Bourbeau, « cette maladie se manifeste chez une personne qui a subi une blessure importante dans son enfance - avec un ou les deux parents - et qui a dû la vivre dans l'isolement » . Le stress vécu dans l'isolement est une théorie du docteur Hamer. La genèse du cancer et Le sida et l'infarctus , ouvrages du docteur Hamer, sont d'ailleurs cités dans la bibliographie...

Ces ouvrages peuvent tomber entre les mains de patients qui, grâce à la Ligue 44, consultent un thérapeute qu'ils auront peut-être déjà rencontré dans un centre anti-cancer et qu'ils retrouveront en dehors du cadre sécurisé de l'hôpital.

M. Alain Milon , président. - Les cancérologues ont-ils lu ces ouvrages ?

M. Olivier Hertel. - Peut-être certains sont-ils attirés par ces pratiques... La probabilité que beaucoup de médecins les aient lus est forte. Ce best-seller a été vendu à 460 000 exemplaires et je pense qu'il a été réédité... On en parle beaucoup sur le Net.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Ceux qui contestent votre article vous reprochent de ne pas apporter de preuves de dérives sectaires...

M. Olivier Hertel. - Apsamed, la Ligue 44, la réflexologie plantaire et la méthode Lise Bourbeau illustrent bien ces cas. Si l'on n'est pas dans la dérive sectaire, on est bien dans la criminalité de haut vol. Quoi qu'il en soit, Ashram Shamballa est bel et bien une secte ! On n'a donc pas de mal à prouver la dérive sectaire !

Pour en revenir à Danis Bois, la fasciathérapie repose sur Ram Chandra... Il suffit de consulter le site de Danis Bois pour comprendre : cette formation permet une action curative.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Il existe un débat de fond qui met en cause la médecine traditionnelle. Certains articles prétendent qu'on ne peut nier l'existence de dérives entraînant des pertes de chances ou des dégâts réels mais qu'ils sont exceptionnels : « En comparaison, les dégâts causés chaque année par la " médecine officielle ", par l'usage des médicaments " normaux " et normés et par des pratiques médicales iatrogènes s'élèvent à plus de 34 000 morts ».

M. Olivier Hertel. - On est là face au schéma classique qui oppose les pratiques ancestrales à la médecine conventionnelle. Il s'agit d'un discours anti-médical. Plutôt que de compter les morts dues à certaines pratiques médicales, on pourrait recenser toutes les personnes que la médecine a sauvées !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Ce débat est important, étant donné le nombre de personnes qui ont recours à ces pratiques.

L'article poursuit : « Dans cette affaire, il y a deux poids, deux mesures. Si vous êtes médecin de médecine " officielle " et que vos malades meurent dans vos bras, vous avez la bénédiction des autorités. Les 145 000 morts par le cancer chaque année sont désormais un chiffre statistique qui ne fait pas scandale . En revanche, si vous pratiquez une médecine douce non validée par les autorités, vous risquez la radiation et l'opprobre national, même si aucun malade ne s'est plaint ! » .

M. Olivier Hertel. - La médecine a une vertu, celle de reconnaître ses limites. Avec les pseudo-médecines, bien souvent, la pratique est censée être efficace à 100 %.

Si l'on doit comparer les deux pratiques, comparons leur efficacité. Or, celle-ci ne se mesure pas seulement d'après le nombre de morts mais également en fonction des gens que l'on parvient à soigner !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Dans votre enquête, vous êtes-vous préoccupé de l'AP-HP ?

M. Olivier Hertel. - J'ai eu l'occasion d'interviewer une des responsables de l'AP-HP dont j'ai oublié le nom à propos de l'introduction des médecines non conventionnelles à l'hôpital. Selon elle, les choses se feront de manière prudente, après validation des pratiques.

M. Alain Milon , président. - Qui les évaluera ?

M. Olivier Hertel. - Je ne le sais pas....

Ce n'est pas l'acupuncture, par exemple, qui est efficace mais le fait de planter l'aiguille à certains endroits du corps et de déclencher une réaction physiologique qui agit sur la douleur. Prétendre que l'acupuncture est efficace revient à valider l'idée qu'il existe des méridiens à travers lesquels circule une énergie plus ou moins harmonieuse que l'on peut rééquilibrer.

Un article paru dans Nature - malheureusement intitulé « Acupuncture » - explique fort bien le principe de la cascade moléculaire...

M. Alain Milon , président. - Je vais vous citer quelques phrases, sans vous en dévoiler la source...

« Ainsi, la quantité de données fiables augmente, esquissant les potentialités des médecines non conventionnelles. Si la médecine allopathique est efficace en termes de soins aigus et d'urgence, les médecines non conventionnelles se révèlent utiles en matière de prévention et de prise en charge de la douleur et des maladies chroniques, c'est-à-dire précisément les domaines dans lesquels le système de santé français manque de performance. [...] Les médecines non conventionnelles contribuent à une prise en charge plus globale, qui améliore l'efficacité des soins, notamment en matière de maladies chroniques. [...] Les médecines non conventionnelles pourraient donc aider à mieux prévenir et mieux guérir, d'autant qu'elles provoquent peu d'effets iatrogènes » ...

M. Olivier Hertel. - Il s'agit d'un discours classique de soutien à ces pratiques. La question est de savoir ce qui permet d'affirmer que ces pratiques sont efficaces ?

M. Alain Milon , président. - Quelle est selon vous la source de ces affirmations ?

M. Olivier Hertel. - J'imagine qu'elles émanent de la Coordination des associations de particuliers pour la liberté de conscience (CAPLC)...

M. Alain Milon , président. - Pas du tout ! Elles proviennent du Centre d'analyse stratégique auprès du Premier ministre !

M. Olivier Hertel. - J'ai en effet vu passer cette note relative à l'adoption un label...

M. Alain Milon , président. - C'est assez inquiétant....

M. Olivier Hertel. - C'est inquiétant... Paradoxalement, la Miviludes est également un service du Premier ministre.

La démarche de labellisation est étonnante. Qui et quoi va-t-on labelliser ? Comment vérifier la pratique de tel ou tel thérapeute ou telle ou telle thérapie ?

Mme Catherine Deroche . - N'avez-vous pas cherché à prendre contact avec la faculté d'Angers ?

M. Olivier Hertel. - Si, bien entendu. J'ai envoyé un mail Jean-Marc Mouillie à deux reprises pour obtenir une interview. Il m'a indiqué une première fois qu'il était très occupé. Je l'ai ensuite recontacté peu de temps avant le bouclage de mon article, mais il ne m'a jamais répondu.

Quant à Jean-Paul Saint-André, président de l'université d'Angers, ancien doyen de la Faculté de médecine, je l'ai contacté dans le cadre de l'affaire Gascan-X pour essayer d'obtenir des explications sur la fermeture du laboratoire d'Hugues Gascan. Il y avait à cette époque beaucoup d'argent en jeu et un certain nombre de projets de recherche sur le cancer risquaient d'être abandonnés. Pour une université de cette taille, plus d'un million d'euros de financement, ça ne se refuse pas. Il s'agissait d'un financement exceptionnel : on a donc du mal à comprendre comment on en est arrivé là !

Plus troublant, Jean-Paul Saint-André témoigne au procès Gascan-X en faveur de X ; il est étonnant qu'il n'ait pas cherché à désamorcer dès le début une situation qui mettait en jeu des moyens et des personnels... Je n'ai pas d'explication. C'est assez inédit. Les conflits de ce genre sont fréquents mais on arrive généralement à les régler.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Avez-vous eu des remontées de professionnels ou de citoyens à la suite de votre article - en dehors des droits de réponse que vous avez publiés ?

M. Olivier Hertel. - Je suis connu pour avoir le plus mauvais courrier des lecteurs du journal ! Je reçois en effet beaucoup de courriers d'adeptes des pratiques que je dénonce, qui ne comprennent pas ce qu'ils considèrent comme un acharnement. D'une certaine manière, ils me prennent pour l'instrument des grands laboratoires, en évoquant un complot. Je n'ai toutefois jusqu'à présent jamais été l'objet d'un procès. Ma démarche est simple : je n'affirme rien si je n'ai pas de preuve.

On l'a dit, la médecine pâtit par ailleurs d'une véritable déshumanisation. Si les gens sont sensibles aux pratiques non conventionnelles, c'est que durant une heure, on vous écoute, on vous touche, on vous masse, on est attentif à votre personne. J'ai récemment passé un IRM : je suis passé d'un sas à un autre puis dans une machine extrêmement bruyante qui peut être stressante pour certains. Durant cet examen, je n'ai rencontré qu'une technicienne et personne d'autre !

M. Alain Milon , président. - C'est un problème que nous avons déjà évoqué ; le rapporteur pourra peut-être faire des propositions pour remédier à cette situation...

M. Olivier Hertel. - Mes détracteurs me reprochent d'être contre l'enseignement des sciences humaines à la faculté de médecine : ce n'est absolument pas le cas ! Je trouve au contraire que les sciences humaines sont essentielles, mais doivent être dispensées partout de la même manière que dans les facultés de médecine qui font référence !

M. Alain Milon , président. - Je vous remercie.

Audition du Pr Jean-Louis GÉRARD, secrétaire général, et du Pr Isabelle RICHARD, doyen de la faculté de médecine d'Angers, Conférence des doyens de faculté de médecine (mardi 11 décembre 2012)

M. Alain Milon , président . - Nous entendons aujourd'hui les représentants de la Conférence des doyens de faculté de médecine. M. le Pr Jean-Louis Gérard en est le secrétaire général, Mme le Pr Isabelle Richard, doyen de la faculté de médecine d'Angers, représente la Conférence des doyens à la Commission scientifique indépendante qui est en train de se mettre en place et qui aura pour mission de statuer sur la validation des diplômes universitaires proposés dans le cadre des études de médecine.

La commission d'enquête a souhaité que cette réunion soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport et son enregistrement vidéo sera diffusé sur le site du Sénat.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Je précise que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, qui est donc notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes auditionnées de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Jean-Louis Gérard et madame Isabelle Richard, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les deux personnes se lèvent et prêtent serment.

M. Jean-Louis Gérard, secrétaire général de la Conférence des doyens. - Merci au Sénat d'avoir souhaité nous entendre. La Conférence des doyens est consciente de sa responsabilité tant dans l'organisation de la recherche que dans la formation initiale ou continue des médecins et autres professionnels de santé. Cette question est cruciale au regard du sujet de cette commission d'enquête. Le Pr Dominique Perrotin, son président, n'ayant pu se libérer, nous a confié le soin de représenter la Conférence, et vous prie de bien vouloir l'excuser. Je suis doyen de la faculté de médecine de Caen et secrétaire de la Conférence. Le Pr Isabelle Richard est doyen de la faculté d'Angers. S'il est vrai que la faculté de médecine d'Angers a été mise en cause dans une récente campagne de presse, la désignation du Pr Richard ne saurait cependant soulever d'ambiguïté, puisque sa présence aujourd'hui est liée à sa fonction de représentant de la Conférence des doyens auprès de la Commission scientifique indépendante du développement professionnel continu. Cette instance, qui se met en place, aura notamment à évaluer dans quelle mesure les diplômes d'université, (DU), qui sont des formations de troisième cycle, peuvent être accréditées dans le cadre du développement professionnel continu (DPC), nouvelle forme de l'obligation de formation continue des médecins et des autres professionnels de santé.

Les inquiétudes récemment relayées par la presse engagent à articuler la réflexion selon trois axes.

Il s'agit, en premier lieu, de savoir s'il faut ou non aborder la question des médecines « complémentaires » ou « parallèles » en formation initiale ou continue. Informer les étudiants et les médecins de l'existence de ces médecines et du fait que les patients y recourent nous semble utile pour que les médecins puissent exercer pleinement leur rôle de prévention et de protection des patients. Cette information doit s'appuyer sur des notions de psychologie et d'épistémologie. En formation initiale, les sujets suivants peuvent être évoqués dans le cadre du programme national du second cycle des études médicales : la relation médecin-malade ; l'annonce d'une maladie grave ; la personnalisation de la prise en charge médicale ; les bases de la communication avec le malade ; l'établissement avec le patient d'une relation empathique, dans le respect de sa personnalité et de ses désirs ; le comportement approprié lors de l'annonce d'un diagnostic de maladie grave, d'un handicap ou d'un décès ; l'élaboration d'un projet individualisé pour l'éducation thérapeutique d'un malade porteur d'une maladie chronique en tenant compte de sa culture, de ses croyances.

Un enseignement plus spécifique pourrait être envisagé dans le cadre des séminaires de second cycle. Ces questions pourraient être abordées dans le cadre des formations de spécialités particulièrement confrontées à des patients vulnérables - gériatrie, psychiatrie, médecine physique et réadaptation, cancérologie, douleurs et soins palliatifs - ce qui n'est pas systématiquement le cas aujourd'hui.

L'enseignement des méthodes de ces médecines « parallèles » ou « complémentaires » n'est, en revanche, pas au programme de la formation médicale initiale, constituée du socle commun à tout exercice médical, et n'a pas lieu de l'être. En formation continue, des diplômes d'université (DU) abordent certaines de ces techniques : homéopathie, ostéopathie, médecine chinoise, hypnose. Les conseils de gestion des facultés de médecine et les conseils des études et de la vie universitaire sont chargés de valider les programmes de ces DU, le choix des intervenants et les modalités de contrôle des connaissances. Les doyens des facultés de médecine veillent au respect de ces procédures. Reste qu'il n'est pas prévu, à l'heure actuelle, d'évaluation périodique de ces DU, laquelle serait pourtant hautement souhaitable. Cela pourrait se faire avec les nouvelles modalités de la formation médicale continue et du développement professionnel continu. Il sera bon que les doyens des facultés de médecine se saisissent de cette occasion pour analyser l'ensemble de l'offre, ce qui pourrait les amener à constater que certains intitulés, ou certains intervenants, appellent la vigilance et que certaines de ces formations ne devraient plus être organisées dans les universités. L'établissement d'un tel panorama, certes très utile, pourrait être coordonné par notre conférence. Car certaines formations à risque pourraient échapper au contrôle de la CSI, sachant que la demande d'accréditation ne sera pas obligatoire pour que la formation perdure, mais seulement pour que le cursus puisse être validé comme formation continue. Certaines de ces formations ont déjà été interrompues par nos collègues doyens de plusieurs facultés, notamment celle de Bobigny.

La Conférence des doyens, et c'est le second axe de réflexion, a rappelé son attachement à un enseignement de sciences humaines dans l'ensemble du premier cycle des études médicales, conformément à l'annexe de l'arrêté du 28 octobre 2009 définissant les épreuves de la Paces (première année commune d'enseignement en santé) et aux recommandations de la Commission pédagogique nationale des études médicales concernant les enseignements de deuxième et troisième année. Cet enseignement, complémentaire de l'enseignement scientifique et clinique, est légitime et utile à la formation de médecins conscients de leurs responsabilités et de ce que doit être une pratique humaniste de la médecine. Cet enseignement doit être placé sous la responsabilité d'universitaires, qu'il s'agisse d'hospitalo-universitaires ayant une compétence spécifique, par exemple en éthique, ou d'universitaires des disciplines concernées. Cet enseignement pourrait aborder les médecines préscientifiques et les représentations qu'a le patient de sa maladie, ses croyances, y compris magiques et irrationnelles.

La demande de formation, notamment continue, sur la relation soignante, est importante, y compris chez les professionnels non médicaux. Cette offre de formation étant pratiquement absente des facultés de médecine, des officines, plus facilement infiltrables que nos institutions, occupent le marché. Il ne serait pas mauvais que nos facultés de médecine, en lien avec les acteurs du système de santé, développent une offre qui fasse contre-feu. Un travail conjoint avec les organisations de formation continue des fédérations hospitalières pourrait être utile.

La recherche, et principalement la recherche clinique, doit nous être un troisième axe de réflexion. Elle peut porter sur les croyances des patients, leur recours à telle ou telle pratique, l'efficacité de ces pratiques. Aucune question n'est illégitime mais toute recherche doit répondre aux exigences de la raison. L'hypothèse de recherche doit être définie. La méthode utilisée, qui doit user de critères de jugement précisés et vérifiables, doit être validée. Les conditions réglementaires, en particulier l'approbation par le comité de protection des personnes, doivent être réunies. Les résultats doivent être publiés.

Les facultés de médecine et les universités ne sont généralement pas au centre de cette activité de recherche clinique, leur financement provenant de fonds liés au secteur de la santé, notamment les financements PHRC (programme hospitalier de recherche clinique), d'appels d'offre internes des hôpitaux et structures de santé, de fonds associatifs. Elles sont en revanche concernées au premier chef par l'approbation donnée aux travaux de thèse - thèses d'exercice ou thèses d'université - qui peuvent découler de ces recherches : l'autorisation de soutenance requiert un avis conjoint du directeur de travail, du président du jury, du doyen de la faculté de médecine et du président d'université. La vérification du contenu complet de chaque travail reste cependant difficile.

Mme Isabelle Richard. - En somme, la Conférence des doyens a le sentiment qu'elle pourrait agir sur les formations de troisième cycle, les DU et diplômes interuniversitaires, la question de l'enseignement des sciences humaines et celle des thèses.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Votre exposé est fait de raison. Vous visez ces points fondamentaux que sont la formation, l'enseignement des sciences humaines et la recherche clinique, via les thèses. Nous avons apprécié votre synthèse.

Il s'agit pour nous, sans aller à l'encontre de la liberté de conscience ou d'expression, de veiller à éviter des dérives qui peuvent aller jusqu'à l'emprise mentale et avoir des conséquences néfastes sur la santé.

Plusieurs articles de presse récents ont pointé le problème de l'introduction, dans les formations universitaires, d'enseignements qui posent problème, tant par leurs objectifs que par leurs méthodes. Un journaliste a répertorié pas moins de dix-sept thèses sur la fasciathérapie et ses dérivés. Il y a là de quoi s'interroger. Comment, en dépit du contrôle qu'exerce l'Université, dans les formes que vous avez rappelées, de tels travaux peuvent-ils aboutir et être reconnus ? D'autres articles alertent sur le fait que des enseignements sont dispensés par des gens dont on se demande comment ils ont pu devenir professeurs associés dans nos universités. Fasciathérapie et hypnose ericksonnienne ont-ils bien leur place dans nos facultés ?

Mme Isabelle Richard. - Pour ce qui est des thèses, il est bien possible que certaines contiennent des allégations problématiques, car il est difficile de contrôler tous les contenus. Une procédure se met en place, faite pour améliorer le taux de publication des thèses, mais qui pourrait aussi garantir une plus grande qualité scientifique : l'idée est qu'un comité des thèses examine en amont les méthodes de l'étudiant quand il dépose son sujet.

Sans doute trouve-t-on dix-sept thèses dans la base de données des thèses sous le mot-clé « fasciathérapie », mais cela demande à être interprété. Il peut s'agir, au moins pour certaines, d'analyses sur le nombre de patients ayant recours à telle technique et sur les raisons pour lesquelles ils y recourent. Ce n'est pas absurde en soi. Il faut bien distinguer entre le prosélytisme et ce type de recherche.

Il est vrai que certains DU ne devraient pas exister. Nous n'avons pu mener une enquête exhaustive, mais cela est faisable. Les procédures en cours seront sans doute l'occasion d'une évaluation. Pour mettre en route un diplôme, il faut passer par de stricts contrôles, mais, une fois qu'il existe, il n'y a plus ni évaluation, ni recertification, si bien que les choses peuvent dériver : le responsable change, le programme est modifié et de fil en aiguille, le projet n'a plus aucun rapport avec celui qu'avait examiné le conseil de gestion de la faculté. Il faudrait donc une procédure de certification régulière.

M. Jean-Louis Gérard. - A Bobigny, une procédure d'évaluation a été mise en place et des DU ont été fermés, qui dataient de plus de vingt ans.

Mme Muguette Dini , présidente. - Dans quels domaines ?

M. Jean-Louis Gérard. - En naturopathie, notamment.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Pouvez-vous nous en dire plus sur ces formations qui ont été fermées ?

M. Jean-Louis Gérard. - Cela m'est difficile. L'enquête que nous avons menée auprès des facultés de médecine en vue de cette audition a fait ressortir l'action menée par le doyen de la faculté de Bobigny.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Retenons donc que vous avez indiqué tout à l'heure qu'un certain nombre de DU ne devraient pas exister.

Autre chose nous alerte : il semblerait que certains qui se prévalent de diplômes obtenus à l'étranger arrivent à se faire nommer enseignants en France. Avez-vous connaissance de tels cas ?

M. Jean-Louis Gérard. - Ne sont autorisés à organiser un enseignement que des universitaires. Or, dans l'université française, les gens dont vous parlez ne sont pas universitaires. C'est tout ce que je puis vous dire.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Quid des professeurs associés ?

M. Jean-Louis Gérard. - Ils sont essentiellement nommés en médecine générale. A ma connaissance, il y a fort peu de professeurs associés dans d'autres disciplines. Dans nos facultés de médecine, les professeurs associés sont en lien avec les sous-sections du Conseil national des universités.

Mme Isabelle Richard. - Les candidatures des professeurs associés sont validées par le CNU. Il est difficile, en revanche, de maîtriser les recrutements de vacataires au sein des formations et peuvent se prévaloir du titre d'enseignant d'université, ce qu'ils ne sont pas. Mais la confusion est vite faite dans l'esprit du public. D'où la nécessité d'être vigilants sur les intervenants.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Il suffit de consulter Internet. Un certain nombre de ces intervenants, sur la qualité scientifique desquels on peut s'interroger, se prévalent d'avoir enseigné à l'université. Certains ont même pu ainsi créer des doctorats reconnus par l'État, ce qui est bien paradoxal.

M. Jean-Louis Gérard. - Il y a là, très clairement, usurpation d'un titre. Les vacataires ne peuvent se prévaloir d'aucun titre universitaire : le terme de professeur associé est parfaitement inadapté.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Mais il est largement utilisé.

Vous avez évoqué la nécessité de l'enseignement des sciences humaines. De fait, on a le sentiment que nombre de patients vont chercher ailleurs ce qu'ils ne trouvent pas à l'hôpital en terme d'accueil, de relation de confiance. Loin de nous l'idée d'écarter tout ce qui n'est pas purement cartésien dans l'enseignement médical.

M. Jean-Louis Gérard. - Les sciences dures ne suffisent pas, à notre sens, à sélectionner les médecins, dont le métier est pour beaucoup fait de relation avec le patient. C'est pourquoi on ne peut concevoir de formation médicale sans les sciences humaines et sociales. Une réflexion est en cours sur l'évolution des formations, y compris de deuxième cycle : une approche par compétences pourrait être privilégiée, qui inclurait communication et relation avec le patient. A l'heure actuelle, les modes de sélection écartent les étudiants qui ont une formation littéraire ; on peut le regretter.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Nos concitoyens sont très nombreux à recourir à des thérapies alternatives ou complémentaires, dont certaines peuvent parfois faire autant de bien qu'un placebo et, si elles ne font pas de bien, ne font pas de mal, mais dont d'autres peuvent avoir des conséquences dramatiques, jusqu'au risque vital. Mauvaise qualité de l'accueil, manque d'empathie, craintes suscitées dans la presse sur le médicament, quelles qu'en soient les raisons, le phénomène prend de l'ampleur. Comment assurer une information plus systématique ?

Mme Isabelle Richard. - La réponse passe par trois voies. L'enseignement en sciences humaines et en psychologie médicale, qui doit aider le futur professionnel à mieux connaître les mécanismes psychiques qui animent le patient et peuvent le conduire, à un moment, à rompre la relation thérapeutique pour en nouer une d'une autre nature. Ces questions sont peu abordées, la logique des concours n'y porte guère. Ces disciplines mériteraient d'être revalorisées.

La deuxième piste, pragmatique, irait à l'organisation de séminaires stratégiques, sur le modèle de ce qui a été fait pour le dépistage des risques de maltraitance. Les documents de la Miviludes pourraient servir de support à des formations destinées à aider les médecins à détecter, en consultation, les fragilités possibles d'un patient.

La troisième piste consisterait à dispenser un enseignement sur ces méthodes dites alternatives. Mais les choses sont bien difficiles à doser. Où s'arrête l'information, où commence la promotion ? On parle assez peu de ces méthodes en formation initiale, au motif que ce n'est pas de la science, donc pas de la médecine. C'est peut-être une erreur. Peut-être faudrait-il associer un tel enseignement à une stratégie claire d'information et de dépistage.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Mais il y a un vrai hiatus. D'un côté, on n'en parle pas aux étudiants, de l'autre, on tolère des enseignements plus que douteux. Ce n'est guère cohérent.

Mme Isabelle Richard. - Ces enseignements ne font pas partie du cursus exigé des étudiants pour l'obtention de leur diplôme : c'est à ce cursus que je me référais, au sein duquel, c'est la politique du moment, on ne veut pas en parler. Les formations optionnelles, comme les DU, ne font pas partie du cursus.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Mais vous savez l'usage qui peut être fait d'un diplôme universitaire : nous en sommes tombés d'accord. Il faudrait y remettre un peu d'ordre.

Autre question, que pensez-vous de l'introduction de thérapies complémentaires dans les hôpitaux publics parisiens ?

Mme Isabelle Richard. - Je ne connais pas précisément ce dossier. Certaines de ces thérapies complémentaires, comme vous l'avez dit, ne sont pas dangereuses et relèvent d'une forme particulière de la relation clinique, en particulier en fin de vie. Le massage peut être un élément de la qualité de vie en fin de vie, et l'on doit pouvoir faire un protocole de recherche clinique sur la question.

Reste que les hôpitaux et les CHU sont des institutions puissantes. Certaines techniques ne doivent pas y être proposées, au risque de leur donner une caution. Mais on ne peut pas les mettre toutes dans le même sac.

M. Jean-Louis Gérard. - Il y a sans doute des temps particuliers en médecine, notamment celui de la fin de vie, avec les soins palliatifs. Des accompagnements qui peuvent apporter un peu de chaleur humaine n'y sont peut-être pas inadaptés. Je ne parle évidemment pas de thérapeutiques mais bien de simples accompagnements.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Les facultés de médecine font-elles, à votre connaissance, l'objet de tentatives d'infiltration de la part de mouvements sectaires ?

Mme Isabelle Richard. - A ma connaissance, non. Mais chacun sait que les sectes avancent masquées. Ne pas en avoir connaissance ne prouve pas que cela n'existe pas. Ce qui protège un peu nos institutions, c'est la rigidité de nos règles comptables. Il serait impossible d'organiser, à l'université, des circuits de formation aux fins de récupérer d'importantes sommes d'argent, par exemple.

M. Yannick Vaugrenard . - On parle peu, dites-vous, des risques de dérives dans la formation des médecins : ne croyez-vous pas que le moment est venu d'en parler beaucoup ? Une telle formation ne permettrait-elle pas aux futurs médecins, lorsqu'ils exerceront, d'informer leurs patients sur ces risques ? Il n'est mauvais, ni pour le patient, ni pour la sécurité sociale, que les généralistes se mêlent de prévention.

Introduire des thérapies parallèles à l'hôpital, sachant qu'entre thérapie parallèle et thérapie alternative, la barrière peut être poreuse, et qu'une thérapie alternative peut être mortelle pour un patient, n'est-ce pas périlleux, puisque c'est une manière de les légitimer ?

Un article de Sciences et avenir a mis en cause la faculté d'Angers à propos de la refonte des enseignements de sciences humaines en première année de médecine. Il indique que ces disciplines sont déterminantes pour l'examen de premier semestre, puisqu'elles représentent 200 points sur 500. Or, ajoute l'auteur de l'article, les étudiants sont requis de s'appuyer sur un ouvrage collectif où l'on découvre les vertus supposées des pratiques chamaniques et où la médecine par les preuves est régulièrement dénigrée. Comment est-ce possible ?

M. Jean-Louis Gérard. - Tout est question de dosage, comme l'a rappelé Mme Richard. Parler trop des thérapies alternatives dans le cursus, c'est s'exposer à les valoriser, c'est devoir aborder la question de leurs méthodes au risque de s'éloigner de la méthode médicale. Il est cependant indispensable d'en parler, pour protéger les malades du risque d'éloignement de la médecine classique. D'où l'importance de la recherche clinique, qui doit passer par toutes les exigences de la démonstration et être publiée.

Il faut aussi prendre en compte la vulnérabilité des étudiants. Mieux vaut aborder ces questions en troisième cycle, où ils sont mieux armés. D'autant que du côté des patients, le problème se pose surtout dans certaines spécialités, gériatrie, psychiatrie, cancérologie, soins palliatifs.

Il faut revenir sur les fondements de l'exercice médical. Il est des médecins généralistes qui n'entrent pas dans le circuit de la médecine générale conventionnelle, au nom d'un exercice dit particulier : mésothérapie, homéopathie ou que sais-je. Tous les médecins ne doivent-ils pas être impliqués dans une médecine classique, conventionnelle et remboursée ?

Mme Isabelle Richard. - Nous considérons l'article que vous citez, d'ailleurs repris dans un récent numéro de Paris Match , comme diffamatoire, et nous avons déposé une plainte. L'université d'Angers a exigé un droit de réponse. L'article comporte des inexactitudes : les sciences humaines représentent 200 points sur 1 000 et non sur 500. L'ouvrage mis en cause comprend un premier chapitre sur la médecine préscientifique ; c'est là qu'est évoqué le chamanisme, dont il n'est nullement fait l'apologie. Le chapitre en question a été mis en ligne sur le site de l'université d'Angers, afin que chacun puisse en juger. L'enseignement en sciences humaines dispensé en première année répond parfaitement aux objectifs, faisant appel à l'épistémologie, au droit, à la sociologie, à l'histoire, pour aider les étudiants à comprendre le contexte dans lequel se situe la médecine.

Mme Catherine Deroche . - Avez-vous observé un désir particulier chez les étudiants de recevoir un enseignement sur les médecines non conventionnelles ?

M. Jean-Louis Gérard. - Je n'ai pas ce sentiment.

Mme Isabelle Richard. - Les étudiants en médecine ne sont pas différents du reste de la société. Ils ne sont pas plus à l'abri de l'irrationnel que les autres. D'où l'intérêt d'une information solide. En revanche, je n'ai pas observé de recrudescence.

Mme Gisèle Printz . - Des malades se sont-ils plaints d'avoir été contactés ou soignés par des médecins qui pratiquent des thérapies parallèles ?

Mme Isabelle Richard. - C'est toute la difficulté, qui complique aussi la tâche de qui veut élaborer une formation pour les étudiants. Le médecin doit savoir protéger son patient contre lui-même, contre la situation dans laquelle son état de faiblesse et l'abus de certains interlocuteurs peuvent le mettre. Or les patients, dans les situations les plus graves, rompent le contact avec leur médecin traitant. D'où l'intérêt d'une formation construite sur le modèle de ce qui a été fait pour le dépistage de la maltraitance.

M. Alain Fauconnier . - Peut-on établir une corrélation entre ces dérives et la forte densité médicale de certains lieux ?

Mme Isabelle Richard. - Nous sommes l'un et l'autre à la tête de facultés de médecine qui souffrent plutôt d'être environnées de déserts médicaux. Je n'ai pas de réponse à votre question.

Mme Hélène Lipietz . - N'est-ce pas, à l'inverse, parce qu'il y a des déserts médicaux, des failles dans la couverture médicale, que ce type de thérapies a pu prospérer ?

M. Jean-Louis Gérard. - Faut-il parler de désert médical ou de désert d'aménagement du territoire ? La question est posée. On ne peut tout rejeter sur nos jeunes collègues. L'histoire de nos régions montre qu'il y avait autrefois des guérisseurs. Cela fait partie de nos cultures. J'ai souvenir d'avoir fait profondément remanier une thèse sur les sources guérisseuses en Basse-Normandie, dont les conclusions ne me paraissaient pas totalement factuelles. Nous sommes confrontés et à l'histoire, et à la renaissance du passé. Je ne suis pas sûr que dans la ruralité, cependant, il y ait place pour des médecines qui restent très spirituelles. Non pas que nos campagnes ne soient pas spirituelles, mais elles sont marquées par un fort pragmatisme. Beaucoup tient, pour moi, à l'histoire de nos pays.

M. Alain Fauconnier . - Je visais, quant à moi, la boboïsation de certains centres urbains, où la densité médicale est importante.

M. Jean-Louis Gérard. - Il est vrai que si l'on regarde la répartition des médecins à exercice particulier, on constate qu'on les trouve essentiellement dans les zones urbaines.

Mme Muguette Dini , présidente. - Merci d'avoir répondu à nos questions.

Audition de M. Antoine GUÉLAUD, journaliste, directeur de la rédaction de TF1, auteur du livre Ils ne m'ont pas sauvé la vie (mardi 18 décembre 2012)

M. Alain Milon , président. - Nous recevons aujourd'hui M. Antoine Guélaud, directeur de la rédaction de TF1.

M. Guélaud a publié en 2009 un livre très émouvant, intitulé : Ils ne m'ont pas sauvé la vie , qui porte sur les ravages de la méthode Hamer auprès de certains malades atteints du cancer et qui explique très bien comment certains praticiens douteux parviennent à exercer une véritable emprise sur leurs victimes.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Je rappelle à l'attention de M. Guélaud que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative du groupe RDSE, dont M. Jacques Mézard est président. M. Mézard a donc tout naturellement été désigné comme rapporteur de notre commission.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Guélaud de prêter serment.

Je rappelle, pour la forme bien sûr, qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

M. Antoine Guélaud, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Antoine Guélaud. - Je le jure.

M. Alain Milon , président. - Je vous propose de lancer les débats par un court exposé introductif, puis mon collègue Jacques Mézard, rapporteur, et les membres de la commission d'enquête, vous poseront quelques questions.

M. Antoine Guélaud, journaliste, directeur de la rédaction de TF1, auteur du livre « Ils ne m'ont pas sauvé la vie ». - Merci de me recevoir dans cette assemblée prestigieuse. Il me semble que cette audition est le prolongement d'un travail que j'ai pu mener depuis le milieu des années 1990 sur la thématique - assez nouvelle à l'époque - des sectes et de la santé.

Merci aussi au nom d'Evelyne puisque dans ce livre, très largement inspiré de la réalité, j'ai été en quelque sorte Evelyne durant quelques centaines de pages.

Je voulais également vous dire aussi mon émotion de témoigner devant vous ; cette affaire ne m'a en effet pas laissé indemne dans ma vie professionnelle. Cette rencontre a été pour moi très marquante.

A l'époque, en 1994-1995, je réalise une enquête pour « Le droit de savoir », dirigé par Charles Villeneuve, qui me donne carte blanche pour comprendre le lien et les interactions qui existent entre sectes et santé et pour infiltrer - ce que je ferai dans un autre cadre - un mouvement sectaire qui manipule les gens atteints de cancer ou du Sida et qui leur propose des remèdes miracles.

Je rencontre Evelyne « M. » - son mari a souhaité qu'on ne divulgue pas son nom - et j'ai du mal à croire ce que j'entends ! Evelyne m'explique qu'elle a été traitée comme un cobaye par des médecins généralistes, médecins ayant pourtant prêté le serment d'Hippocrate. Je mets immédiatement ce témoignage en doute, considérant le fait comme impossible. On atteint là l'impensable ! Un travail d'enquête commence alors...

Je rencontre Evelyne une première fois sans caméra et j'essaye de vérifier point par point ses affirmations. Nous décidons de lancer cette première enquête pour « Le droit de savoir » et découvrons que des médecins généralistes ont effectivement manipulé cette femme, comme d'autres patients. Faut-il d'ailleurs encore parler de patients ? On peut considérer qu'il s'agit de « clients » car on s'éloigne ici de la médecine, ces malades ayant été incités à abandonner les traitements allopathiques classiques.

Ceci est très choquant car, comme me le raconte Evelyne au cours de nos entretiens, un médecin qui reçoit en blouse blanche, qui a pignon sur rue et qui est en principe validé par l'Ordre des médecins - quoi qu'on puisse en penser par ailleurs - ne peut a priori être soupçonné d'être le représentant d'une secte.

Elle se rend compte de sa méprise grâce à la presse et aux travaux du Parlement. Alors qu'elle est retenue depuis plus de trois semaines dans une sorte de « bazar diététique » pour un jeûne que lui a conseillé son généraliste, elle trouve la force de sortir et découvre un article dans La Voix du Nord consacré au Mouvement du Graal, dont il se trouve que ses médecins font partie. Ce mouvement, qui croit en la réincarnation, est basé en Autriche et dans plusieurs pays d'Europe. Il compte encore à ce jour un millier de membres...

Elle découvre qu'elle est manipulée et décide - malheureusement trop tard - de rentrer à Paris pour rejoindre sa famille. La méprise dont elle a été victime lui apparaît grâce à la liste établie par la commission d'enquête. Je sais que cette liste fait débat. J'ai pu m'en entretenir avec M. Fenech, l'ancien président de la Miviludes. C'est grâce à cette liste - certes imparfaite mais qui a le mérite d'exister - que cette femme se rend compte qu'elle est entre les mains d'un mouvement sectaire, alors qu'elle faisait confiance à ses médecins. C'est pourquoi je suis personnellement partisan de l'établissement d'une telle liste.

Evelyne fait état devant moi de détails épouvantables. Sans entrer dans le sordide - encore que - elle est allée jusqu'à accepter, durant son jeûne de trois semaines, d'être traitée avec des produits que des vétérinaires utilisent pour soigner le cancer de la mamelle de la chienne ! Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, Evelyne n'est pas une marginale. Son QI est normal ; elle est cadre commercial ; son mari est parfaitement intégré. C'est une femme heureuse, avec une famille, des parents, établie dans la société. Pour qu'une telle personne puisse accepter d'aller jusque là, c'est que la manipulation mentale a dû être terrifiante !

Elle a donné blanc-seing à ses médecins pour lui administrer ces injections. Accepter, pendant trois semaines, de recevoir sur un sein énorme, violacé, des soins à base de cataplasmes d'argile, c'est terrible à imaginer. Quand elle me raconte ça au cours de notre premier entretien, j'ai du mal à la croire.

C'est ici que le travail journalistique a commencé. Nous avons mené une première enquête sur ces médecins pour « Le droit de savoir ». J'ai interviewé le docteur Saint-Omer, son médecin « traitant » en quelque sorte, et celui qui jouait le rôle de « gourou » - le docteur Guéniot. Le docteur Saint-Omer, quand je l'interroge sur son appartenance au Graal, reconnaît celle-ci et m'affirme qu'il s'agit d'un mouvement philosophique.

Avec le docteur Guéniot, les choses se passent différemment ; il est, semble-t-il, plus rompu à une certaine manipulation verbale. Lorsque je lui demande s'il fait partie du Graal, il me répond qu'une loi interdit à quiconque de demander à quelqu'un s'il est juif, homosexuel ou franc-maçon. Il m'indique qu'il ne répondra donc pas à ma question. Tout était dit, d'une certaine manière ! Notre échange sera assez dur et il niera absolument tout.

Cette première enquête révèle au grand public la question qui nous réunit aujourd'hui, celle des relations entre mouvements sectaires et praticiens de santé. Nous n'étions ni les premiers, ni les seuls à travailler sur ces relations dangereuses entre praticiens et sectes, mais cette enquête a fait beaucoup de bruit.

Force est de constater que le « quatrième pouvoir » a encore un peu de poids : la police, la justice, l'Ordre des médecins se mettent alors au travail et réalisent enfin une enquête sérieuse. Elle aboutira à la radiation du médecin traitant par l'Ordre des médecins et à la mise en examen du second praticien, qui sera finalement... blanchi !

Quelques mois après la diffusion de ce reportage dans « Le droit de savoir », Evelyne me fait appeler par son cancérologue, le docteur Koskas, installé à Boulogne. Je travaillais alors sur un reportage pour « Le droit de savoir » sur les guérisseurs. Le docteur Koskas m'annonce qu'Evelyne est en train de mourir et me demande de continuer son combat. Je me sens donc investi de quelque chose de particulier. Je m'en ouvre à Charles Villeneuve, qui me donne carte blanche pour continuer. Nous ferons une seconde enquête pour « Le droit de savoir », au cours de laquelle nous assisterons à la radiation du médecin traitant ; allant plus loin, nous nous rendrons en Autriche pour infiltrer le Mouvement du Graal et récupérerons une de leurs croix chez un ancien adepte, mort également.

Cette personne, atteinte d'un cancer des cordes vocales, était allée, avec son épouse, sur les recommandations du docteur Guéniot, consulter une « voyante karmique » que j'ai moi-même interrogée. Elle m'a confirmé qu'elle travaillait régulièrement avec le docteur Guéniot, s'en vantant presque. Remontant le temps, elle prétendait que la personne atteinte du cancer des cordes vocales avait été légionnaire romain dans une autre vie et avait reçu une lance dans le cou, ceci expliquant cela !

Ces gens, qui travaillent avec des vétérinaires soignant le cancer de la mamelle de la chienne et injectent ces produits à des êtres humains, recourent à des « voyantes karmiques » et sont toujours présents sur le territoire français !

Nous nous rendons donc en Autriche, dans la montagne, pour rencontrer, avec une caméra cachée, des êtres fantomatiques, habillées de blanc ou de noir, selon leur sexe. Nous essayons de comprendre ce mouvement et donnons la parole à d'autres personnes, en menant ce travail en mémoire d'Evelyne.

Quand, des années plus tard, un éditeur me propose d'écrire un livre, je lui propose de raconter l'histoire de cette femme, sur fond d'enquête sur les liaisons dangereuses entre sectes et santé.

Je ne serai pas plus long ; cette rencontre a été la plus marquante de ma vie professionnelle... J'ai été grand reporter pendant dix ans à TF1. J'ai couvert plusieurs centaines de sujets et j'ai rencontré beaucoup de gens, mais cette rencontre a été pour moi tout à fait particulière !

M. Alain Milon , président. - La parole est au rapporteur...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Merci, Monsieur Guélaud, de ce témoignage et du travail d'enquête que vous avez réalisé.

Vous avez très clairement posé le problème du lien entre mouvements sectaires et praticiens de santé. A la suite de vos enquêtes et à la suite de votre livre, avez-vous connaissance d'éléments qui démontrent que ce problème existe toujours ? Il ne s'agit pas pour nous de limiter en quoi que ce soit la liberté de conscience ou d'expression, mais d'éviter qu'un certain nombre de personnes, sous des prétextes divers, mettent en danger la vie de nos concitoyens.

M. Antoine Guélaud. - Je n'ai pas poursuivi d'enquête particulière dans ce domaine...

En second lieu, le docteur Guéniot est mort d'un cancer, quelques mois après qu'il a été blanchi par la Cour d'appel de Douai. C'est la dernière phrase de mon livre et je n'en dirai pas plus parce que je n'en sais pas davantage. Il était l'interlocuteur régional et un porte-parole national important du Mouvement du Graal dans le Nord.

Par ailleurs, des témoignages font état d'interpénétrations entre mouvements sectaires et praticiens de santé.

Je voudrais m'arrêter ici sur la position de l'Ordre des médecins. Quand je pose la question à l'Ordre de savoir s'il a entendu parler des agissements sectaires des deux praticiens en question, on me répond simplement qu'ils sont inscrits au tableau. Dès lors, tout est censé aller très bien !

Or, ces témoignages de patients doivent être pris en compte par les associations de lutte contre les sectes mais également par l'Ordre, qui s'occupe de régir la profession de médecin. Je pense que celui-ci a vocation à intervenir en cas de manipulation. Il ne s'agit plus alors de liberté de parole, ni de liberté de pensée !

L'Ordre des médecins, qui a été très longtemps dans le déni, a un peu évolué. J'ai pu le constater en lisant les propos de certains de ses responsables. Mais a-t-il vraiment les moyens de savoir ? Je n'en suis pas persuadé. Est-ce à lui d'avoir ces moyens ? Faut-il qu'il travaille avec d'autres institutions ? La question pourrait être posée.

Pour en revenir à votre question, je sais que des témoignages continuent à remonter concernant l'abus de vulnérabilité. Comment une femme comme Evelyne, dont j'ai décrit le caractère volontaire, a pu tomber dans ce piège ? Selon moi, il faut se préoccuper de la question de la vulnérabilité, les mouvements sectaires risquant malheureusement de continuer à proliférer dans le domaine de la santé et parmi les praticiens.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous avez une expérience de journaliste et occupez un poste de responsabilité éminent. Depuis votre enquête, des années se sont écoulées. On voit aujourd'hui le poids de ces mouvements et l'utilisation qu'ils font d'Internet concernant un certain nombre de pratiques à la mode.

Quels sont selon vous les moyens de communication les plus adaptés pour alerter nos concitoyens à ce sujet ? Il suffit de se connecter à Internet pour se retrouver piégé par des fenêtres qui invitent à rencontrer tel ou tel gourou ou qui incitent à se rendre dans tel ou tel salon consacré au bien-être, etc.

M. Alain Milon , président. - Vous avez dit que vous étiez favorable à l'établissement d'une liste recensant les sectes. Face à leur multitude, comment établir une telle liste ?

M. Antoine Guélaud. - La réponse à la question concernant les meilleurs moyens d'alerte est : par la prévention et la répression. Je crois à la prévention. On ne peut tout laisser dire sur Internet, ni laisser tout faire à ceux qui disposent d'un simple agrément administratif dans le domaine de la santé. C'est totalement anormal, pour ne pas dire inadmissible ! C'est pourquoi je suis partisan de l'établissement d'une liste qui pourrait être réactualisée sans avoir à être forcément complète.

Il ne s'agit pas d'un problème d'exhaustivité, mais d'un devoir d'information. Les journalistes reprennent sans cesse leur bâton de pèlerin, car des personnes vulnérables sont sans cesse à nouveau abusées. Le but n'est pas de dénoncer qui que ce soit, mais de faire ressortir la suspicion qui peut exister à l'égard de certains mouvements. La Miviludes l'a fait, à sa manière. J'ai eu ce débat avec Georges Fenech, qui était favorable à l'établissement d'une telle liste ; il n'a pu la réaliser à l'époque. Sans doute en a-t-il été empêché - peu importe... Cette liste aurait le mérite d'attirer l'attention sur des mouvements potentiellement dangereux, notamment en matière de manipulation mentale.

En France, les moyens de lutte contre ces mouvements sont dérisoires. Il existe peu de spécialistes dans la police, la gendarmerie ou la justice. Or, ces affaires peuvent fort bien finir en faits divers - l'histoire d'Evelyne le démontre. Veut-on attendre que les personnes meurent pour réagir ? Je ne le crois pas !

La Miviludes a-t-elle suffisamment de moyens ? Je ne le crois pas, mais elle effectue un travail de recensement et de recueil de l'information considérable. Suffisamment de parlementaires s'intéressent-ils à ces questions ? Vous faites ici la démonstration de votre intérêt et j'en suis ravi. Y-a-t-il suffisamment de personnes sensibilisées à cette question ? Je n'en suis pas sûr...

La répression est également indispensable. Ce qui se passe sur Internet est totalement inacceptable ! Internet est à la fois un outil de connaissances extraordinaire mais aussi une poubelle. Que faut-il faire ? On ne peut tout contrôler. Il faut donc se poser quelques questions en matière de répression : il en va de la vie de certaines personnes !

Comment se fait-il qu'un certain nombre d'activités ne soient pas plus réglementées ? Pourquoi peut-on s'installer librement pour exercer tout un tas d'activités allant de guérisseur à psychologue, en passant par je-ne-sais-quoi ? Cela pose une vraie question à notre société ! Il suffit souvent d'un agrément purement administratif pour visser sa plaque de pseudo-spécialiste. C'est un vrai souci.

Par ailleurs, il existe de moins en moins d'espaces d'écoute dans notre société. Ceux qui ont envie de s'enrichir jouent donc le rôle d'écoutants -voyants, marabouts, astrologues en tous genres. Je connais des personnes devenues SDF après avoir été abusées, ne disposant plus d'argent pour subvenir à leurs besoins, ayant tout investi dans leur besoin d'écouter. Certes, il s'agit là de personnes crédules, mais nous ne sommes pas tous faits du même bois. Quand on est confronté à la maladie, au chômage, à une séparation - que sais-je ?- on est beaucoup plus vulnérable !

Mis à part la catégorie des voyants, astrologues, marabouts, sur lesquels j'ai enquêté, certains mouvements idéologiques profitent de la vulnérabilité des personnes pour les faire adhérer à des pensées pour le moins curieuses !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Que pensez-vous de l'action de la justice dans ce domaine ?

M. Antoine Guélaud. - On ne commente pas une décision de justice...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Je parle de l'action...

M. Antoine Guélaud. - L'action et la décision vont de pair, me semble-t-il...

J'ai l'impression qu'il existe - mis à part le juge qui a instruit l'affaire d'Evelyne, qui se passionnait pour ces questions - une forme de désintérêt de la part de la magistrature et de la justice dans son ensemble. Ne sont-elles pas assez prestigieuses ? La justice est-elle suffisamment outillée ? En parle-t-on suffisamment à l'Ecole nationale de la magistrature ? J'en doute...

Certes, tout comme j'ai mené un combat journalistique dans cette affaire, d'autres ont mené un combat judiciaire mais je crois que la lutte contre les sectes n'est pas une priorité de notre société. Cela ne me semble anormal.

Je pense qu'il faudrait systématiquement « dépayser » les décisions de justice quand il s'agit de sectes. Celles-ci ont le bras long et infiltrent tous les milieux. Pour éviter tout soupçon de collusion, il conviendrait donc de systématiquement déplacer ces affaires. Les médias locaux ne pourraient ainsi interférer. J'ai été menacé de mort par le docteur Guéniot en plein tribunal ! Il a fallu faire évacuer la salle et j'ai été protégé par la police. Cela fait partie des risques du métier que j'exerce et ce n'est pas cela qui va me fait peur, mais on peut être confronté aux pressions amicales de confrères locaux, de titres prestigieux de la presse quotidienne régionale... Le dépaysement me semble donc un gage de sérénité pour la justice.

M. Alain Milon , président. - La parole est aux commissaires...

Mme Muguette Dini . - On a le sentiment que la déshumanisation de la médecine traditionnelle à l'hôpital peut fragiliser le patient et le pousser à s'orienter vers d'autres solutions. Est-ce votre sentiment ?

M. Antoine Guélaud. - Merci de poser cette question, fondamentale. Je crois qu'on a fait beaucoup de progrès dans l'annonce de la maladie depuis l'affaire d'Evelyne, même si tout n'est pas réglé.

Deux facteurs très importants ont fait basculer Evelyne, qui s'est alors tournée vers ces médecins membres du Graal... Lors de l'annonce de sa maladie à l'institut Gustave Roussy, elle a eu le sentiment d'être considérée comme un numéro. Sa tumeur mesurait trois centimètres. Or, au-dessus de trois centimètres, l'institut opérait ; en dessous, il n'opérait pas. Ils ne savaient donc que faire. Cela l'a beaucoup marquée.

Le même jour, elle reçoit à dîner un couple d'amis pour une soirée prévue de longue date, dont la jeune femme est enseignante - donc membre d'une institution honorable - mais également du Mouvement du Graal. Evelyne ne le sait pas et confie qu'elle désirerait prendre un second avis médical mais qu'on ne lui propose rien avant un mois. La providence, le destin, le hasard met sur sa route cette jeune enseignante qui lui conseille des médecins formidables et lui propose de lui obtenir un rendez-vous très rapidement. Deux jours après, Evelyne rencontre lesdits médecins et tombe dès lors dans les griffes du mouvement !

On a l'impression que les sectes ne pénètrent pas dans l'école ou dans le milieu médical. Ce n'est pas le cas ! Comment ces institutions font-elles pour lutter efficacement contre ce phénomène ? Que fait l'Education nationale pour protéger nos enfants contre la manipulation mentale ? Peu de chose, en fait, alors que les Français considèrent qu'il n'y a pas de risque lorsqu'il s'agit d'une institution.

Des progrès restent à faire, même si certains ont déjà été accomplis. On ne peut annoncer son cancer à un malade par téléphone, comme on l'a fait pour Evelyne, mais je crains que l'hôpital ait encore des progrès à faire en matière de prise en charge du patient !

M. Yannick Vaugrenard . - On mesure bien la marge de progrès qu'il faut réaliser en termes de formation, voire d'éducation, qu'il s'agisse des médecins, des enseignants ou des juges. C'est un des points que nous serons amenés à soulever dans le rapport qu'établira notre commission d'enquête...

Selon vous, les pouvoirs publics ont-ils modifié leur façon de voir les choses après la diffusion de vos reportages ? Qui guide les manipulateurs ? Ont-ils été eux-mêmes manipulés ou s'agit-il uniquement d'une question d'appât du gain ?

Vous avez affirmé qu'il était nécessaire de « dépayser » les procédures judiciaires afin d'assurer l'objectivité du jugement. Pensez-vous que la justice soit faible parce qu'elle s'exerce là où ont eu lieu les faits, ou parce que les textes législatifs sont insuffisants, trop laxistes et pas assez précis ? Il faut en effet donner au juge les moyens d'exercer pleinement sa mission et d'être efficace. Cela peut nous amener à améliorer les textes législatifs afin que la justice et la société se prémunissent contre les dangers que vous avez évoqués...

M. Antoine Guélaud. - J'aimerais pourvoir vous répondre que la justice n'a pas les moyens d'exercer son magistère mais ce n'est, selon moi, pas le cas si j'en crois les témoignages modestes que j'ai pu apporter dans l'affaire dont on évoque les circonstances.

Cette affaire est une affaire d'hommes, dans une région où les réunions au fond du jardin du docteur Guéniot, à La Madeleine, banlieue huppée de Lille, réunissaient beaucoup de notables. C'est pourquoi, je crois qu'il faut déplacer les débats pour faire en sorte que des personnages qui exercent d'éminentes charges de magistrats ne se retrouvent pas au fond de ce jardin pour prononcer certaines prières.

Je ne dis pas que cela s'est passé dans l'affaire d'Evelyne mais il faut éviter tout cela, tout comme il faut éviter les pressions indirectes à travers des notables locaux, des hommes de presse, de média et tout un tas de réseaux dont on peut imaginer les tenants et les aboutissants. Je pense que les textes existants suffisent pour que la justice se fasse...

Qui guide les manipulateurs et qu'est-ce qui les guide, l'appât du gain ou l'idéologie ? Les deux ! Au début de mon enquête, j'étais persuadé que c'était purement l'appât du gain ; à la fin, j'ai été convaincu que c'était surtout l'idéologie. C'est l'élément le plus inquiétant.

J'ai presque eu la preuve de mon intuition en apprenant, quelques semaines avant la publication de mon livre, la mort du docteur Guéniot, qui était atteint d'un cancer et qui est vraisemblablement allé au bout de son idéologie et de sa croyance....

Au départ, j'ai pensé que c'était une machine à faire de l'argent. Le cabinet du docteur Guéniot fonctionnait très bien. Il s'agissait d'un cabinet tournant, composé de plusieurs membres. Il gagnait sûrement bien sa vie, mais je pense qu'il existait un soubassement idéologique extrêmement fort et puissant et une croyance sincère dans ce qu'il professait. C'est là le plus inquiétant...

Des changements sont-ils intervenus ? Malheureusement, il a fallu la sortie de ce livre pour que les institutions se mettent en marche. On a tourné une page...

En France, seuls une dizaine de gendarmes sont formés pour traiter des affaires liées aux sectes. C'est fort limité !

Evelyne voulait témoigner pour que ces choses ne puissent plus jamais se reproduire. J'aurais aimé que ce livre serve à réfléchir au fonctionnement de la gendarmerie, de la police et des institutions, afin de permettre de repérer les insuffisances qui existent dans tel ou tel domaine. Les choses sont très complexes et très subtiles : on n'est pas là dans le folklore du Mandarom ! Il faut certes davantage de moyens mais aussi une certaine prise de conscience du phénomène...

Mme Catherine Deroche . - Pourquoi le Docteur Guéniot a-t-il été blanchi par la justice ? A-t-il bénéficié d'une absence de preuves ?

Pratiquait-il une médecine traditionnelle avant de basculer dans ces pratiques sectaires ?

Mme Muguette Dini . - Recourait-il en même temps à une pratique traditionnelle pour soigner les maux courants ou ne se concentrait-il que sur des malades particulièrement vulnérables ?

M. Antoine Guélaud. - Il avait une clientèle traditionnelle.

Sans remettre en cause l'homéopathie - tel n'est pas mon propos - il convient de préciser que ces deux généralistes l'utilisaient beaucoup.

Cette patientèle traditionnelle, plutôt bourgeoise pour le docteur Guéniot et issue de la classe moyenne et moyenne inférieure pour ce qui est du docteur Saint-Omer, entretenait un lien de confiance fort avec ces deux médecins. Le docteur Saint-Omer était installé à Roubaix, dans un autre bassin de population. J'évoquais précédemment le cas de cette personne atteinte d'un cancer des cordes vocales et du larynx que le docteur Saint-Omer prétendait soigner, dépassant ainsi son rôle. C'est à cette occasion que l'idéologie prenait vraisemblablement le dessus sur le serment d'Hippocrate et sur les engagements du médecin.

Il y avait donc dans cette clientèle traditionnelle des cas particuliers à propos desquels le docteur Saint-Omer agissait de manière particulière, le malade atteint d'un cancer du larynx étant un patient du docteur Guéniot.

Ce médecin a été blanchi car des pièces très importantes ont disparu du dossier, souvent au profit des personnes « inculpées », comme on disait à l'époque. Il faut reconnaître que la justice a eu du mal à passer : Evelyne est décédée à la fin des années 1990 et la Cour d'appel de Douai s'est réunie en 2008 ou 2009. La justice et les magistrats - que je respecte naturellement - n'ont pu établir un lien suffisant entre les docteurs Saint-Omer et Guéniot. Le docteur Guéniot n'ayant rencontré Evelyne que deux fois, la Cour a considéré que le lien était trop ténu et a décidé de disculper le docteur Guéniot, malgré les preuves apportées par ailleurs par les avocats de la partie adverse.

Mme Catherine Génisson . - D'autres familles ne se sont-elles pas manifestées au cours de ce procès pour témoigner de la façon dont le docteur Guéniot avait pris en charge certains patients ?

M. Antoine Guélaud. - Non. Il est compliqué de couper le cordon quand on a fait partie d'un mouvement sectaire. Il faut dire que les « nouveaux mouvements sectaires » - qui finissent par être anciens ! - sont des mouvements où l'on jouit d'une très grande liberté physique. On n'y est absolument pas emprisonné. Il existe sans doute un hiatus entre le fait d'oser couper le cordon avec des gens qu'on a côtoyés - patients, sympathisants du mouvement ou de la secte - qui se réunissent, participent à une manifestation ou à un colloque animé par tel ou tel médecin, notamment en Belgique, etc.

J'ai pu le vivre moi-même lorsque je m'en suis entretenu avec l'épouse de la personne porteuse d'une croix du Graal, décédée d'un cancer du larynx. Il n'est pas aisé de se retourner contre le mouvement même si l'épouse en question a accepté de témoigner anonymement dans les reportages du « Droit de savoir » et malgré le fait que, pour elle, le docteur Guéniot était pour le moins responsable d'un certain laisser-faire, ayant préconisé un traitement manifestement inadapté au cancer de ce patient. Ce lien crée une sorte de communauté intellectuelle et il n'est pas intellectuellement évident de se retourner contre le mouvement.

En outre, lorsqu'on habite à 250 mètres du médecin en cause, qu'on vit dans un endroit comme cette banlieue de Lille, il n'est guère facile de se faire montrer du doigt et de laisser libre cours aux critiques.

Ce sont toutes ces préventions qui font qu'il est complexe d'oser prendre des positions. Evelyne elle-même, qui n'avait pourtant rien à voir avec ce mouvement, a eu du mal à affronter ces gens. Ces personnes font peur. Bien des mythes et des légendes entourent les sectes et ces gens sont capables de mots assez cruels !

Mme Catherine Génisson . - J'entends bien tout ce que vous dites mais, entre le décès d'Evelyne, la mise en route de vos reportages et le procès, il s'est écoulé huit ou neuf ans. Il n'y a pas eu que deux victimes ! Que celles qui ont échappé à un destin funeste ne témoignent pas, on peut le comprendre mais cette omerta est assez étrange de la part de l'entourage et des familles.

M. Antoine Guélaud. - C'est exactement le cas ! Les choses ne sont pas manichéennes. Ce mouvement savait par ailleurs être très chaleureux et accueillant.

C'est un peu la face lumineuse d'un mouvement qui a aussi une face sombre. Cette personne qui a perdu son mari n'a pas porté plainte pour les raisons que j'essaye de vous expliquer. Cela peut paraître curieux mais c'est ainsi.

Le docteur Saint-Omer a heureusement cessé son activité et on ne saura jamais si d'autres personnes auraient souhaité le poursuivre. A ma connaissance, il n'y a eu qu'une plainte, celle d'Evelyne. Le mouvement en a d'ailleurs joué, prétendant qu'Evelyne était folle, que même son mari n'arrivait pas à la raisonner. C'est ce qui explique la difficulté à témoigner contre des gens qui font peur. J'ai moi-même été menacé de mort en plein prétoire : cela ne fait jamais plaisir ! Ils sont capables de tout cela...

M. Alain Milon , président. - Vous estimez que le manque d'empathie de certains médecins explique que des patients se tournent vers des gourous, qui se montrent plus accueillants.

La maladie continuant d'évoluer et les soins prodigués par ces gourous ne fonctionnant jamais, pourquoi les patients et les familles ne retournent-ils pas vers les médecins dont les soins, s'ils ne fonctionnent pas toujours, sont en tout cas parfois plus efficaces ?

M. Antoine Guélaud. - Le cancer du sein est un cancer particulier, qui connaît différents stades. Les poussées fulgurantes succèdent aux améliorations, et ainsi de suite. C'est ce qu'Evelyne a vécu. Jusqu'au jeûne, elle a connu des phases d'amélioration. Elle disait alors à tous ceux qui, autour d'elle, doutaient de ce traitement, que c'était bien la preuve qu'il fonctionnait. Brusquement, son état se dégradait et ses médecins en jouaient beaucoup, lui expliquant que le cancer du sein était bien connu pour cela, prescrivant de nouveaux produits en vente libre en Belgique.

Ils ont joué avec elle. C'était pour eux un objet, un cobaye. Ils savaient user de mots qui la réconfortaient. Le déficit d'écoute, dans notre société, est terrifiant. Beaucoup de charlatans en profitent, dans différents domaines : santé, médical, paramédical, voire crypto-médical. Il convient de s'en préoccuper car les gens s'enfoncent dans une obscurité, où certains, avec leur petite lumière, arrivent à les attirer. Ils ne savent pas que derrière, il y a un gouffre !

Mme Gisèle Printz . - Les enfants sont-il également victimes de ces sectes ? Les enfants sont-ils aussi crédules que les adultes ?

M. Antoine Guélaud. - En l'espèce, l'idée de ce mouvement était de séparer la mère du reste de la famille et de l'opposer à celui-ci. C'est souvent le cas...

Quelques mouvements arrivent cependant à fédérer un certain nombre de familles. Les enfants sont déscolarisés, leur éducation est assurée à la maison, selon des principes particuliers qui doivent suivre les préceptes de telle idéologie ou philosophie.

J'ai pour ma part davantage approché des mouvements qui tentaient de séparer une personne du reste de sa famille, expliquant à l'adepte qu'il était un modèle, que les autres n'avaient rien compris. Evelyne s'est ainsi complètement coupée de son mari. La force de ces manipulateurs est de parvenir à séparer un couple uni, intellectuellement stable et fort. Evelyne m'a dit en avoir ensuite éprouvé une grande honte. C'est ce qui explique entre autres pourquoi elle a eu du mal à témoigner et à porter plainte. Je n'ai pas obtenu immédiatement son témoignage. Il a fallu que je la rencontre à plusieurs reprises, que je m'entretienne avec son avocate, que je discute avec elle. Le sentiment de culpabilité est énorme : se rendre compte qu'on a été trompé est psychologiquement terrifiant. Cela laisse des séquelles. Intenter un procès est donc une autre chose...

Mme Catherine Génisson . - Vous avez raison d'insister sur la vulnérabilité psychique de ces personnes, qui deviennent des proies faciles pour les mouvements sectaires, mais beaucoup de progrès ont été faits concernant la pathologie cancéreuse et son annonce.

Même s'il existe des problèmes de fonctionnement, il faut saluer la qualité du personnel soignant dans sa globalité, à la fois en matière diagnostique, thérapeutique et de prise en charge psychologique. Beaucoup de témoignages attestent qu'un grand nombre de personnes consacrent énormément de temps à ces questions. Je le dis parce que vous êtes journaliste et qu'il faut prendre garde aux paroles définitives...

M. Antoine Guélaud. - J'ai eu d'autant moins de paroles définitives sur la question que j'ai bien précisé que des progrès avaient été réalisés. Cela vous a peut-être échappé, mais j'essaye d'être au plus près de ce que je constate et des témoignages que je recueille !

En tant que journaliste, je souhaite que les rédactions, en France, ne soient pas coupées des réalités. Quand j'ignore quelque chose, je n'ai aucun mal à l'admettre. J'ai reconnu que des progrès ont été accomplis et je suis même allé plus loin en disant que je ne pensais pas que quelqu'un puisse aujourd'hui apprendre au téléphone qu'il est atteint d'un cancer.

Le temps passe et les mentalités évoluent. Beaucoup de reportages que je vois concernent ce sujet ; des progrès demeurent nécessaires, je le confirme et on en reparlera sûrement dans nos futurs reportages...

M. Gérard Roche . - La clientèle du docteur Guéniot était-elle particulière ou pratiquait-il une médecine allopathique traditionnelle ?

M. Antoine Guélaud. - Ce médecin soignait des grippes, des angines et autres petits maux. Il était cependant contre la vaccination, ce qui pouvait constituer une indication, et utilisait plutôt l'homéopathie - mais le docteur Koskas, le cancérologue qu'Evelyne a fini par consulter, qui a une clinique et qui est intervenant dans un hôpital, travaille lui-même avec des homéopathes et des médecines différentes, estimant qu'on peut aider le patient en soignant son cancer avec une radiothérapie ou une radiothérapie associées à d'autres techniques.

Le docteur Guéniot considérait qu'il soignait ses patients normalement mais faisait usage d'un prisme particulier. Sa clientèle était toutefois tout à fait ordinaire...

M. Alain Milon , président. - Nous avons entendu des histoires similaires, en particulier la semaine dernière, en Belgique, où la fille d'une malade du cancer, Nathalie de Reuck, a écrit un livre témoignant de l'histoire de sa mère.

Il faut par ailleurs relever que dans ce pays, le centre de lutte contre les sectes s'intéresse aux sectes « nuisibles », ce qui suppose une distinction qui n'existe pas chez nous.

Vous avez évoqué la nécessité de former des spécialistes de ce sujet dans la police. En Belgique, certains policiers sont spécialisés dans la lutte contre le terrorisme et les sectes. On peut donc essayer de se rapprocher de ce modèle.

Enfin, l'Ordre des médecins, que nous avons auditionné, a fait valoir qu'il existait un véritable problème avec les médecins radiés, ceux-ci pouvant continuer à utiliser leur titre de docteur en médecine. Nous allons tenter de réfléchir à la façon d'empêcher un médecin radié de faire un usage public de son titre, afin de l'empêcher de poursuivre ses activités nuisibles.

Audition conjointe de MM. François-Régis BATAILLE,
directeur général, docteur Eric JADAUD, oncologue-radiothérapeute (Institut de cancérologie de l'Ouest) et de MM. Yann BUBIEN, directeur général, Pr Norbert IFRAH, président de la commission médicale d'établissement (Centre hospitalier universitaire d'Angers) (mardi 18 décembre 2012)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous procédons cet après-midi aux auditions conjointes des représentants du Centre hospitalo-universitaire (CHU) d'Angers et de l'Institut de cancérologie de l'Ouest (Ico).

Cette réunion s'inscrit dans les réflexions que nous avons déjà engagées depuis le début de nos travaux sur la place des thérapies dites non conventionnelles dans le cadre de l'hôpital public, s'agissant notamment de malades atteints du cancer. Dans le cas de l'Institut de cancérologie de l'Ouest, il s'agit plus particulièrement de la fasciathérapie, dont l'introduction au sein de cet établissement est à l'origine d'une véritable polémique.

Pour l'Institut de cancérologie de l'Ouest, nous recevons M. François-Régis Bataille, directeur général et le docteur Eric Jadaud, oncologue-radiothérapeute.

Pour le CHU d'Angers, nous recevons M. Yann Bubien, directeur général et le Pr Norbert Ifrah, président de la Commission médicale d'établissement.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Je rappelle à l'attention de chacun que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative du groupe RDSE, dont M. Jacques Mézard, notre rapporteur, est président. M. Mézard a donc tout naturellement été désigné comme rapporteur de notre commission.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux intervenants de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Messieurs François-Régis Bataille, Eric Jadaud, Yann Bubien et Norbert Ifrah, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les quatre personnes se lèvent et prêtent serment.

M. Alain Milon , président. - Je vous propose de lancer les débats par de courts exposés introductifs, puis mon collègue Jacques Mézard, rapporteur, et les membres de la commission d'enquête, vous poseront quelques questions.

La parole est au CHU d'Angers...

M. Yann Bubien, directeur du CHU d'Angers. - Je vous remercie de nous recevoir et je voudrais en préambule vous exposer le cadre dans lequel le CHU d'Angers et, de manière probablement plus large, les établissements de santé publique, en France, abordent la problématique des dérives sectaires.

En ma qualité de responsable d'un CHU, ma première obligation est de veiller à la qualité de la prise en charge des patients dont mon établissement a la responsabilité.

Cette qualité passe par des soins personnalisés, sécurisés, validés et tracés. Pour beaucoup de patients, cela signifie que l'établissement se doit de leur proposer les soins de dernière génération ou considérés comme les plus innovants.

Pour autant, la qualité du service offert passe également et indéniablement par l'accompagnement humain des soins.

Les responsables hospitaliers, médecins, directeur, cadres, se doivent donc d'arbitrer entre l'injonction de dispenser une grande palette de soins, injonction qui émane autant des patients que de la société civile, et le nécessaire contrôle des dérives potentielles de ses soins dont les responsables hospitaliers ont parfaitement conscience.

L'une des dérives les plus insidieuses est probablement la dérive sectaire. Il est donc de notre responsabilité de mettre en place des remparts contre ces risques.

A mon sens, il existe trois portes d'entrée majeures aux risques sectaires : la formation de nos agents (médecins ou paramédicaux), le partenariat associatif et les protocoles de recherche.

Le risque réside dans l'application de pratiques jugées déviantes et dans le danger de voir nos institutions hospitalo-universitaires servir de caution scientifique à la propagation desdites pratiques.

Je ne saurais vous affirmer que nos organisations sont imperméables à ces dérives ; néanmoins, nous faisons tout pour enrayer toute propagation sectaire, tant dans nos pratiques que dans le cadre de nos partenariats avec d'autres institutions.

Ainsi donc, les sélections des formations pour nos personnels soignants et médicaux répondent à un protocole précis qui tient compte de critères de vigilance raisonnés.

Quant aux protocoles de recherche, ils font l'objet de réglementations fortes et sont placés sous la vigilance de nombreuses structures de validation.

Ceci est également vrai pour les protocoles de recherche infirmière. Ils existent depuis trois ans et connaissent un grand succès. On y retrouve de nombreuses pratiques complémentaires aux pratiques traditionnelles.

En effet, ces pratiques complémentaires aux soins médicaux sont pour certaines portées par le personnel paramédical afin de mettre en place le plus souvent des prises en charge ou des accompagnements bienveillants et des soins de supports.

Or précisément, ma responsabilité d'établissement public et universitaire est de devoir évaluer ces pratiques. C'est pourquoi nous engageons nos équipes à objectiver ces approches à travers des démarches de recherche paramédicale qui peuvent s'exprimer soit à travers les programmes hospitaliers de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP), soit des appels d'offres internes.

Enfin, je terminerai mon propos en disant qu'il ne faut pas faire d'amalgame entre des pratiques complémentaires aux soins médicaux et des pratiques alternatives qui remplaceraient les soins classiques validés par les sciences et par l'université.

Il faut sans doute s'opposer à ces dernières, mais il ne faut pas pour autant rejeter les approches complémentaires qui peuvent se révéler très utiles pour les patients. En revanche, notre devoir est d'en contrôler l'application, d'en valider le périmètre et d'en déterminer l'application.

On peut sans doute concilier médecine de pointe et pratiques soignantes complémentaires, et ce dans le plus grand intérêt du patient. De nombreux exemples le montrent au quotidien.

Le danger serait de laisser libre ce champ des pratiques complémentaires au risque de le voir capté par des organisations parallèles ou des mouvances sectaires.

Un établissement doit sans arrêt répondre à une injonction paradoxale : d'un côté, on reproche à la médecine d'être trop technicisée, aux hôpitaux de faire souvent montre d'inhumanité, de trop recourir aux médicaments et à nombre de protocoles médicaux ; de l'autre, on nous accuse de ne pas mettre en oeuvre suffisamment de pratiques complémentaires. Certains journalistes me demandent souvent pourquoi et il y a également beaucoup de lobbies qui paraissent de bonne foi en la matière...

Il nous faut donc répondre à tous, dans l'intérêt du patient, qui lui aussi réclame des pratiques complémentaires. Quand on souffre, on a sûrement besoin de se raccrocher à autre chose qu'aux soins conventionnels.

Les hôpitaux doivent donc être très attentifs à ces dérives et veiller à valider des pratiques complémentaires conformes à l'art médical.

M. François-Régis Bataille, directeur général de l'Institut de cancérologie de l'Ouest. - Je dirige l'Institut de cancérologie de l'Ouest, l'un des dix-huit centres de lutte contre le cancer qui existent en France. La particularité des Centres de lutte contre le cancer (CLCC) - à laquelle nous tenons beaucoup - réside dans le fait qu'ils sont dirigés par des médecins comme Norbert Ifrah. Je suis quant à moi professeur de médecine et plus particulièrement d'hématologie.

Il s'agit de structures de droit privé à but non lucratif. Nous y tenons également beaucoup. Nos médecins sont salariés et non actionnaires ; ils n'ont pas droit aux dépassements d'honoraires, ni à une activité privée. C'est un choix d'exercice et de vie...

Tout comme les CHU, il est important que nous puissions offrir à nos patients les traitements les plus modernes. Les CLCC gèrent uniquement des patients atteints de cancer de gravité variable, mettant une fois sur deux en jeu le pronostic vital. Il s'agit d'une population agressée par la maladie, stressée, inquiète, ce qui constitue un point important.

Nous développons également des thérapies modernes dans le champ de la radiothérapie, de la chirurgie, de la chimiothérapie, avec des concepts importants de médecine dite « personnalisée ».

Nous avons tout à fait conscience de ce que représentent, à côté de la médecine conventionnelle allopathique, les médecines non conventionnelles. Il existe principalement deux types de médecine non conventionnelle. C'est un distinguo important dans la pratique et dans le vécu que peuvent en avoir les patients. Certaines médecines non conventionnelles, que nous qualifierons d'alternatives, ont pour ambition de se substituer à notre médecine allopathique. Je pense ici à l'homéopathie et, sous certains aspects, à la médecine chinoise.

Ces médecines alternatives, compte tenu de leurs ambitions, peuvent dramatiquement détourner certains de nos patients des médecines allopathiques que nous prescrivons. Certaines médecines sont moins holistes et n'ont pas l'ambition de se substituer à la médecine allopathique. Il s'agit plus de médecines jouant sur l'angoisse, le stress, le bien-être ; elles peuvent utiliser des plantes, des minéraux, des massages ou des phénomènes de posture, voire des pratiques mentales comme le yoga. Ce distinguo est important.

On mélange souvent les choses mais leur poids n'est pas le même. On retrouve très souvent cette médecine complémentaire dans un contexte de soins de support.

Le CLCC dispose de traitements très modernes qui guérissent de plus en plus de patients. Fait-il appel à la médecine non conventionnelle ? Nous y reviendrons à propos de la fasciathérapie, car je ne suis pas d'accord avec ce qui a été dit en introduction. Il y a là une subtilité qu'il faut corriger...

Dans la pratique, on retrouve davantage de médecines non conventionnelles en cancérologie que dans le cadre d'autres spécialités. Ceci n'est pas dû au fait que nous les pratiquions. Je lisais à ce sujet un rapport du Centre d'analyse stratégique... Toutes les études montrent que 50 % à 80 % des patients traités de façon conventionnelle reçoivent des thérapies non conventionnelles. Nous ne le savons parfois que si nous posons la question. Ces thérapies peuvent être alternatives - comme l'homéopathie - mais sont le plus souvent complémentaires.

On ne peut ignorer cette réalité, que nous vivons tous les jours. L'Ico a même mené des enquêtes sur les différents sites qu'il gère... Ceci est très ennuyeux car, qu'elles soient alternatives ou complémentaires, à ma connaissance, l'efficacité de ces médecines n'est pas prouvée et surtout peu ou pas testée. Nous reviendrons sur l'essai de fasciathérapie que nous avons mené, qui est un essai de recherche clinique et non une pratique courante au sein de l'Ico. La nuance est importante...

Il est donc extrêmement pénalisant pour les patients, chez qui elles peuvent avoir des effets secondaires, d'avoir recours à ce type de thérapeutique. En outre, certaines de ces médecines entretiennent incontestablement des liens sectaires.

Dans les CLCC mais aussi dans les CHU, les patients sont paradoxalement très demandeurs de ce type de thérapeutique, dont l'efficacité n'est pas démontrée. Il existe en effet très peu d'exemples où l'acupuncture et l'ostéopathie ont démontré leur efficacité.

Nous devons donc nous prémunir contre le fait que beaucoup de nos patients recourent sans que nous le sachions à ce type de médecine. Beaucoup d'efforts sont faits pour pallier ce comportement délétère. Nous informons en particulier régulièrement nos personnels et les malades sur ces médecines par le biais de réunions, en présentant une analyse critique extrêmement précise du sujet.

Nous ne les pratiquons toutefois pas globalement et des affiches de l'Institut national du cancer (INCa) et de la Miviludes évoquant ces thérapies miracles sont placardées dans l'institution.

Des espaces d'information figurent sur tous nos sites ; des « flyers » de la Miviludes y sont proposés afin d'informer au mieux les patients. Le but est d'éviter que ceux-ci se détournent de leur traitement allopathique même si, très souvent - j'insiste - ils combinent les deux.

Doit-on systématiquement les délaisser, en l'absence d' « evidence based medicine » ? Ces thérapies complémentaires, à titre individuel, semblent réduire les angoisses, calmer le stress et procurer un certain bien-être. Dans certains cas, il me paraît logique de pouvoir, dans les conditions rigoureuses, les expérimenter, comme dans le cas de la fasciathérapie.

Contrairement à ce qui a été dit en introduction, l'Ico ne pratique pas la fasciathérapie. Eric Jadaud va y revenir précisément... Nous avons réalisé une étude de faisabilité et un essai randomisé, comme pour toutes les études que réalise l'Ico. Les CHU et les CLCC ont une importante activité de recherche clinique. Chaque année, l'Ico étudie près de 1 500 malades dans ses essais thérapeutiques. Ces deux dernières années, nous avons réuni environ 2 500 à 3 000 malades à cette fin. Vingt-trois d'entre eux ont participé à l'essai concernant la fasciathérapie, soit 1 % de nos patients. Ce n'est donc pas l'essentiel de notre activité. Nous avons d'autres objectifs...

L'étude du Centre d'analyse stratégique fait état d'un certain « engouement » pour les médecines complémentaires. Je pense qu'une réflexion doit être menée à ce sujet car on ne peut les ignorer. Elles méritent, quand on en a le temps, l'argent ou l'opportunité, d'être expertisées plutôt que d'être considérées comme actives et être mises en oeuvre - ce qui n'est pas le cas dans notre structure. Pour nous, la fasciathérapie, qui a fait polémique, constitue un essai de recherche clinique qui nous semble avoir été pratiqué de façon rigoureuse, comme tous les autres essais. Auparavant, nous ne la pratiquions pas ; l'essai terminé, il n'y a pas plus de fasciathérapie qu'auparavant dans notre institution !

M. Eric Jadaud, oncologue-radiothérapeute (Institut de cancérologie de l'Ouest - Centre Paul Papin). - Je remercie la commission d'enquête de me permettre d'expliquer clairement devant elle les motivations et les modalités de ces deux études cliniques impliquant la fasciathérapie, qui ont été réalisées à l'Ico, sur le site Paul Papin.

Je suis médecin spécialiste au sein des CLCC, oncologue radiothérapeute et coordonnateur de ces deux études. Je ne suis pas fasciathérapeute et ne me forme pas à cette discipline. En revanche, je suis sensibilisé, depuis de nombreuses années, au développement des soins de support qui sont à mon sens essentiels pour accompagner les patients, notamment durant leurs soins oncologiques mais aussi durant les phases d'annonce et après leur traitement. Ces soins peuvent améliorer la tolérance du traitement, favoriser la compliance des patients à leur traitement et, potentiellement, augmenter l'efficacité de celui-ci. Si l'on adhère mieux à son traitement, on peut le réaliser en totalité dans de meilleures conditions et optimiser les résultats.

Pourquoi avoir réalisé ces études ? Nous avons été interpellés par des témoignages de patients rapportant des bénéfices de la fasciathérapie, notamment en matière de stress, de troubles du sommeil, de douleurs et de qualité de vie.

Le sujet a également retenu l'attention d'un public pluridisciplinaire, médical et paramédical, lors des réunions régionales du groupe de réflexion sur l'accompagnement et les soins palliatifs en hématologie et oncologie (Graspho), devenu l'Association francophone pour les soins oncologiques de support (Afsos) en 2008 qui, en France, fait référence dans ce domaine.

Comment avons-nous mené ces évaluations ? En 2006, une étude pilote de faisabilité a concerné huit patients hospitalisés. Cette étude a été financée par les dons de trois laboratoires pharmaceutiques et a duré de février à mai 2008. Les résultats ont été analysés. Les critères d'évaluation portaient notamment sur le stress, la douleur, le sommeil, etc. Les résultats ont été publiés et primés au Congrès national de l'Afsos, fin 2010.

Forts de ces résultats, nous avons débuté une étude de cohorte monocentrique de recherches biomédicales sans produit de santé. Il s'agit d'une phase II avec randomisation, c'est-à-dire un tirage au sort de quarante-six patientes traitées pour un cancer du sein par une chimiothérapie postopératoire, mais en ambulatoire, contrairement à la première étude.

Comme le premier, ce projet d'étude a été présenté en réunion de recherche d'établissement, accepté puis, suivant la procédure normale, a reçu l'accord du Comité de protection des personnes et de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).

Cette étude a également été référencée par l'INCa et s'est déroulée sur une période de dix-huit mois, de septembre 2010 à février 2012. L'étude est donc terminée depuis plusieurs mois. Il n'existe plus aucune intervention de fasciathérapie dans l'établissement depuis cette date.

Son financement viendra pour l'essentiel d'un prix délivré par une association reconnue pour son investissement dans la lutte contre le cancer du sein, après sélection par un jury scientifique réuni pour récompenser les recherches sur la qualité de vie des patientes. Les résultats sont en cours d'analyse...

Les deux kinésithérapeutes diplômés d'Etat qui sont intervenus pour ce faire dans l'institution terminaient leur formation de fasciathérapie. Je souligne que la fasciathérapie n'a jamais infiltré notre établissement, comme cela a pu être évoqué. Elle a simplement été impliquée, à deux reprises, dans un cadre de recherche, avec évaluation médicale.

Les patients concernés n'ont jamais été détournés de leur programme de soins oncologiques, proposé en concertation pluridisciplinaire et validé par leur médecin référent. Au bout du compte, nos démarches nous semblent en phase avec les propositions de la récente note d'analyse publiée en octobre dernier par le Centre d'analyse stratégique sur le thème : « Quelle réponse des pouvoirs publics à l'engouement pour les médecines non conventionnelles ? ».

M. Alain Milon , président. - La parole est au rapporteur.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous avez parlé de soins de support, de médecines complémentaires. Je crois que l'on peut dire qu'il existe des pratiques conventionnelles et des pratiques non conventionnelles. Pourquoi avez-vous choisi la fasciathérapie ? Pouvez-vous nous expliquer par ailleurs ce dont il s'agit ?

Vous avez indiqué que la deuxième étude a été réalisée par deux kinésithérapeutes qui terminaient une formation de fasciathérapie. Qui réalise cette formation ? Pourquoi avez-vous choisi précisément cette pratique non conventionnelle parmi d'autres ? Quel est par ailleurs le résultat de la première étude ?

Vous avez obtenu le prix « Ruban rose - Qualité de la vie ». Selon le comité scientifique de cette manifestation (je cite), « la fasciathérapie est une approche manuelle réalisée par un kinésithérapeute, qui a une action au niveau des fascias et qui, par son effet somatopsychique, pourrait permettre une meilleure tolérance de la chimiothérapie. Une approche originale, simple, peu coûteuse qui, si son efficacité est prouvée, ouvrira de nouvelles perspectives cliniques et thérapeutiques ».

Vous avez par ailleurs reconnu devant nous qu'on n'avait pas encore démontré scientifiquement que ces pratiques non conventionnelles apportaient un résultat. Pourquoi avez-vous donc lancé ces études ?

M. Eric Jadaud. - Pourquoi la fasciathérapie ? Lors de nos consultations, nous recevons des informations de nos patients. Une enquête que nous avons réalisée en 2009 révélait qu'il existait une dizaine de pratiques différentes en marge des soins oncologiques conventionnels, parmi lesquelles figurait la fasciathérapie.

Lorsqu'on m'a rapporté les bénéfices que l'on pouvait en tirer en matière de stress, j'ai cherché de mon propre chef à en savoir un peu plus sur le sujet. Je me suis informé, comme d'autres, à travers des lectures et sur des sites Internet. J'ai surtout rencontré des kinésithérapeutes qui m'ont expliqué ce qu'était la fasciathérapie. Je ne suis, encore une fois, ni kinésithérapeute, ni fasciathérapeute.

Que sont les fascias ? Les praticiens les définissent comme des membranes enveloppant l'ensemble des organes. Il semblerait que ces membranes puissent apporter une réponse, sous forme de contracture par exemple, à un stress physique ou psychique. C'est assez classique : lorsqu'on éprouve une angoisse, on a la gorge serrée ou d'autres symptômes classiques. De ce point de vue, la fasciathérapie est utilisée pour soulager les symptômes d'ordre végétatif.

Ce qui a retenu notre attention concerne la prise en charge globale. Il ne s'agit pas que d'un « massage » mais aussi d'un temps d'écoute et d'échanges, le patient, après 45 minutes de soins, pouvant exprimer son ressenti vis-à-vis de la séance.

Les fascias recouvrent tous les organes du corps, des pieds à la tête, jusqu'aux parties neurologiques - encéphale, etc.

Cet état de bien-être me posant question, j'ai cherché à comprendre comment cette technique fonctionnait et j'ai pensé qu'elle mériterait peut-être d'être évaluée.

Il n'existe en France, à ma connaissance, qu'une seule école de formation continue ; elle s'adresse à des kinésithérapeutes diplômés d'Etat, voire à d'autres professions et se situe à Ivry-sur-Seine. Nous l'avons donc contactée afin d'informer le public médical et paramédical. C'est ainsi que le contact s'est établi. Le directeur de cette école est venu présenter la fasciathérapie lors d'une réunion du Graspho, en 2005. Le public pouvait poser des questions. Un intérêt s'est manifestement dégagé à propos de cette approche.

Il ne s'agit donc pas d'une perception individuelle mais d'une impression collective et partagée. Nous nous sommes ensuite demandé si l'on pouvait évaluer cette méthode et dans quel cadre. Une kinésithérapeute angevine qui terminait sa formation a accepté de participer à l'étude que nous avons décidé de mener, qui comportait des critères d'inclusion et d'exclusion.

Nous avons proposé ce soin aux patients hospitalisés en unité de soins dont la douleur, l'état de stress et le sommeil n'étaient pas contrôlés par les thérapies médicamenteuses.

Trois médecins s'intéressant aux soins de support ont été chargés d'informer les patients par lettre ; le patient, s'il était intéressé, pouvait donner son consentement éclairé. Ce n'est qu'après coup que le praticien intervenait auprès du patient susceptible de recevoir le soin, en accord avec celui-ci. Ce dernier était au courant de l'étude et des critères d'évaluation.

Même si l'on ne peut en tirer d'enseignements significatifs étant donné le trop petit nombre de volontaires - huit patients - les résultats ont tous été positifs, sauf pour ce qui est du paramètre de la douleur, très perturbé par les changements réguliers des traitements antalgiques, qui ont rendu les choses plus compliquées.

Nous avons présenté ces résultats lors d'un congrès de l'Afsos et nous sommes ensuite demandés comment les utiliser. L'idée était de proposer ce soin à un public plus important, selon une autre modalité. C'est pourquoi nous avons choisi une population très homogène, celle des patientes pour qui on avait la quasi-certitude que la qualité de vie était altérée par les traitements oncologiques traditionnels, des patientes recevant une chimiothérapie postopératoire - ou chimiothérapie adjuvante - pour un cancer du sein.

L'étude avait deux objectifs. Premièrement de vérifier que cette qualité de vie se dégradait avec les soins oncologiques. Les résultats nous fourniront cette information ; il existe en effet relativement peu de données dans la littérature par rapport au dernier protocole de référence établissant ce fait. Ensuite, la fasciathérapie a été introduite par tirage au sort, ainsi qu'on le pratique dans les études cliniques de phase II, une population recevant le traitement alors qu'une autre sert de témoin, sur la base des mêmes critères d'évaluation.

Les patientes répondant aux critères d'inclusion se voyaient présenter l'étude afin de pouvoir donner un consentement éclairé. Le tirage au sort déterminait alors qui recevrait ou non le soin réalisé, dans le cadre de l'étude, après la cure de chimiothérapie. Il comportait systématiquement une évaluation sur les critères, validés au plan européen, que sont les échelles de qualité de vie reconnue par l'European Organization for Research and Training in Cancer (EORTC).

Grâce à cet ensemble de données, nous saurons si ce soin se traduit réellement par un bénéfice quantifiable - même si on ne peut le définir qualitativement - et si l'on peut envisager une information complémentaire. En aucun cas, nous ne pourrons démontrer si ce soin peut devenir ou non un standard thérapeutique. Cette étude a en permanence été menée dans un cadre académique de recherche, sur la base de règles strictes.

M. Alain Milon , président. - Les patients dont vous parlez ont reçu des soins de chirurgie et de chimiothérapie agressifs. Ne leur avez-vous proposé que la fasciathérapie ou ont-ils bénéficié parallèlement de kinésithérapie et de psychothérapie ?

Jusqu'à présent, on nous a dit que les patients qui ont eu recours aux soins parallèles n'avaient pas retrouvé chez le médecin un soutien psychologique suffisant.

Avez-vous établi une comparaison entre les patients bénéficiant de soins allopathiques et d'une kinésithérapie et ceux recevant en outre une psychothérapie ? Quel est l'avantage des uns par rapport aux autres ?

M. Eric Jadaud. - Je ne peux vous en décrire les avantages mais je puis vous dire que nous avons répertorié l'ensemble des pratiques parallèles, dont la kinésithérapie conventionnelle, un certain nombre de patientes ayant subi un curage axillaire, c'est-à-dire un prélèvement ganglionnaire pouvant avoir un retentissement sur la mobilité du bras, avec des douleurs axillobrachiales, etc.

Il faudra établir une comparaison des demandes de soins de support entre chaque groupe. Cette donnée sera intéressante. La question se pose de savoir s'il y a un retentissement sur les autres soins supports. Elle fera partie de l'analyse...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous avez évoqué une formation dans une école d'Ivry...

M. Eric Jadaud. - C'est la seule que je connaisse...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Avez-vous pris des renseignements à propos de cette école, sur les diplômes qu'elle peut délivrer et la personne qui la dirige ?

M. Eric Jadaud. - Les renseignements dont je dispose - qui sont probablement accessibles sur Internet...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous avez quand même fait autre chose que prendre des renseignements sur Internet !

M. Eric Jadaud. - Je n'ai pas fait que me renseigner sur Internet ! J'ai assisté, fin 2006, à deux journées de communication sur la fasciathérapie sur le thème d'une recherche qualitative en kinésithérapie. C'est une approche qu'on n'a pas l'habitude de percevoir dans la kinésithérapie conventionnelle s'agissant de rééducation fonctionnelle.

Je n'ai pas tout compris car ce n'est pas mon métier, mais je n'ai perçu aucun élément pouvant porter un préjudice potentiel aux patients...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous êtes oncologue et radiothérapeute. Vous avez une idée scientifique sur ce que vous appelez les « fascias ».

Selon votre première étude, cela a-t-il eu un impact positif sur le cancer dont étaient atteintes ces huit patientes ?

M. Eric Jadaud. - L'évolution des courbes de la qualité de vie et de sommeil du patient ou son stress ne peuvent qu'interpeller...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Je le suis !

M. Eric Jadaud. - Je ne suis pas en mesure de dire comment répondent les fascias. Je ne suis pas praticien. Que perçoivent les fasciathérapeutes par le toucher ? Comment cela fonctionne-t-il biologiquement ? C'est au-delà de mes compétences ! Le concept en lui-même ne me semble pas incohérent. Seul un thérapeute pourrait vous répondre. Les grandes lignes de cette technique ont été présentées à la réunion du Graspho, afin que le public puisse comprendre et donner son avis.

Jamais ces projets n'auraient débouché sans cette sensibilisation, cette adéquation et cette cohérence qu'a perçues le public pluridisciplinaire.

M. François-Régis Bataille. - Nous n'avons jamais formé nos kinésithérapeutes à cette thérapie.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Les deux kinésithérapeutes dont vous avez parlé terminaient une formation de fasciathérapie à l'extérieur de votre établissement, dans cette école d'Ivry...

M. François-Régis Bataille. - Ces médecines complémentaires n'ont pas pour but, contrairement à ce que vous dites, de modifier l'évolution de la maladie cancéreuse, ni l'ambition des médecines alternatives. La difficulté est de trouver les personnes pouvant revendiquer une expertise de fasciathérapeutes. Nos kinésithérapeutes n'ont et n'auront jamais cette formation. Ce n'était pas le but de l'opération...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Nous avons bien compris. Il n'y a, de notre part, aucune confusion !

Les quarante-six patientes sont-elles sorties de votre centre avec des coordonnées de praticiens libéraux pratiquant la fasciathérapie ?

M. Eric Jadaud. - Je ne puis vous répondre. Je sais par qui elles ont été prises en charge au sein du centre. Nous n'avions qu'un seul praticien dont nous détenions les coordonnées. Je ne sais si ces patientes ont ensuite souhaité continuer à recevoir des soins, ni avec qui. Cela ne faisait pas partie de nos critères de recherche...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Ne craigniez-vous pas que certaines personnes puissent poursuivre ce type d'expérience en abandonnant la médecine traditionnelle ?

M. Eric Jadaud. - Il s'agirait là d'une dérive écartant le patient de ses soins oncologiques conventionnels. Notre organisation constituait une sécurité face à ce risque, du fait de la présence du cadre médical.

Il me semble important de pouvoir porter un regard sur ces techniques plutôt que d'apprendre par un tiers que telle personne recourt à tel soin. Un grand nombre de patients font appel à des pratiques non conventionnelles, dont certaines peuvent présenter des risques d'interactions dangereuses avec nos propres soins. Pour éclairer ces pratiques, il nous faut donc les connaître et peut-être les avoir évaluées.

Soixante patientes, au cours de notre enquête, ont demandé à être clairement informées, voir à connaître le résultat de l'évaluation. Nous n'avons jamais cru qu'il s'agissait d'une stratégie pour échapper aux soins conventionnels et nous ne l'avons fort heureusement pas constaté non plus durant les traitements.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Le fait que des tenants de la fasciathérapie se prévalent de l'expérience d'Angers pour diffuser ces pratiques ne vous pose-t-il pas de problèmes ?

M. François-Régis Bataille. - De quoi peuvent-ils se prévaloir ? Cette étude est terminée sur le plan clinique mais les résultats n'en sont pas encore analysés, ni publiés. Aucune étude n'a, à ma connaissance, porté sur la fasciathérapie, en dehors de celle que nous avons entreprise. Je vois donc mal sur quoi peuvent se baser les tenants de la fasciathérapie, si l'on reste sur le concept rigoureux d' « evidence based medicine » .

Il en va de même des autres médecines non complémentaires, peu ou pas expertisées. Je ne vois pas sur quoi les gens peuvent s'appuyer... Les cas d'efficacité reconnue sont très rares lorsque l'expertise a été faite par des allopathes, suivant des critères scientifiques.

Cela reste malgré tout discutable lorsqu'on réalise des méta-analyses. Le rapport indique que, dans certains contextes douloureux, l'acupuncture semble être bénéfique, mais les experts ne sont pas tous d'accord. Il en va de même du traitement des lombalgies et de la partie technique des manipulations.

Comment peut-on revendiquer les résultats d'une étude alors qu'on ne les connaît pas encore ? Le CHU, l'Ico ou la plupart des CLCC expertisent beaucoup de molécules qui ont potentiellement une action anticancéreuse. Ce n'est pas pour cela qu'on peut les revendiquer comme telles ! Beaucoup de celles que nous expertisons n'ont d'ailleurs aucune efficacité et ne sont pas retenues.

Autrefois, on conseillait aux patients recevant une chimiothérapie et qui se plaignaient de la fatigue de se reposer. Aujourd'hui, on sait qu'il s'agit d'une aberration scientifique ! Enormément d'études remarquables démontrent que l'exercice physique, qui peut être considéré comme un traitement préventif, a un effet spectaculaire, dans le cancer du sein, sur le délai d'apparition de la récidive, sur l'apparition d'un second cancer, voire des cancers en général. Qui l'aurait cru il y a vingt ans ? Pas moi, puisque nous affirmions exactement l'inverse !

Dès l'annonce d'un cancer du sein à une patiente - et ce sera très clair dans le prochain Plan cancer - il est aujourd'hui recommandé aux patientes de pratiquer un exercice physique. Pendant longtemps, on conseillait aux femmes de se reposer alors que l'activité physique est extrêmement importante pour maintenir sa masse osseuse. Il s'agit là de données contre-intuitives - mais c'est le propre de la science. A ma connaissance, le bon sens n'a jamais conduit à une découverte scientifique ! Il ne faut pas être borné mais savoir cependant rester dans un cadre d'expertise très précis.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Quel est l'avis du Pr Ifrah, président de la Commission médicale d'établissement ?

M. Norbert Ifrah. - Il se trouve que je suis également président de la Fédération hospitalière de France (FHF) cancer, et de la quarante-septième section du Conseil national des universités, relative à l'hématologie, la cancérologie, l'immunologie et la génétique. Ce sont donc des sujets sur lesquels j'ai été amené à travailler.

Le terme de « fascias » est le mot latin pour désigner les aponévroses : tout le monde le sait, nos muscles et nos viscères sont entourés de feuillets qui ont pour rôle de les protéger des frottements. Personne - malades compris - ne se trouve mal de recevoir des massages !

En second lieu, beaucoup de ces petits soins de support ont un intérêt réel, sans forcément véhiculer une idéologie bien dangereuse...

Autrefois, avant de disposer des médicaments modernes que sont les très puissants anti vomitifs, les chimiothérapies s'accompagnaient de drames à côté desquels la perte des cheveux n'était rien. Il s'agissait de l'intolérance absolue à l'idée même de manger.

On utilisait alors de petits moyens, dont l'un va vous faire sourire mais ne fonctionnait pas mal. Il consistait, en même temps que le premier cycle de chimiothérapie, à demander au malade ce qu'il aimait le moins et à le lui servir, de manière à ce qu'il focalise son dégoût sur ce qu'il n'aimait pas et qu'il puisse continuer à s'alimenter. On est loin d'une grande idéologie !

De la même manière, nous avions appris à interroger les malades sur leurs préférences musicales et à leur faire entendre la musique qu'ils aimaient au moment le plus difficile des soins ou lors des complications de traitement.

Je pense qu'il faut savoir replacer les choses là où elles sont. C'est l'opinion générale du CHU dans lequel je travaille, des autres CHU mais aussi de la totalité des CLCC, qui sont, je le rappelle, des établissements différents des CHU, mais qui partagent avec eux certains moyens et qui travaillent beaucoup ensemble.

Par ailleurs, nos établissements ont un besoin et un devoir de recherche ; il faudrait être bien fat pour nous satisfaire de nos résultats ! Nous avons transformé des lieux de mort en lieux de vie mais, parfois, ces lieux sont des lieux de survie. La qualité de survie est questionnable. Elle mérite que nous y réfléchissions. Il me semble que les CHU comme les CLCC sont armés pour soumettre à la question de la raison ces théories parfois incroyablement fumeuses qu'on nous propose.

Nous faisons extrêmement attention - mais nul n'est parfait et ne peut prétendre se tromper jamais. Il est cependant de notre rôle de soumettre ces assertions à la question de la raison. Comme vous le savez, l'homéopathie a été remboursée par la sécurité sociale bien avant les essais comparatifs. Lorsque ces essais ont eu lieu - et vous en connaissez les résultats - cela n'a pas empêché que l'on continue à rembourser l'homéopathie, ni ses tenants d'observer qu'il était normal que l'expérience n'ait pas été positive, puisqu'ils n'avaient pas eux-mêmes désigné les homéopathes de référence.

On voit donc combien les choses sont difficiles et combien nous avons besoin, ensemble, en restant vigilants, de soumettre toutes ces questions à la rigueur et à la raison.

Je voudrais, pour semer le doute, rappeler l'aventure de la médecine chinoise, au milieu des années 1980, dans la leucémie aiguë à promyélocyte. Celle-ci représente 10 % des leucémies aiguës, avec une mortalité de 40 % dans les six premières heures, dans les meilleurs services, du fait d'un syndrome d'anomalie de la coagulation incontrôlable.

Au milieu des années 1980, des Chinois ont annoncé qu'un champignon réglait le problème des saignements incoercibles de cette maladie. Inutile de vous dire la polémique et les débats que cela a soulevés, ni toutes les accusations qui ont déferlé sur cette philosophie chinoise qui venait perturber la médecine rationnelle.

Laurent Degos, de l'hôpital Saint-Louis, a testé ce médicament. Cela a été une révolution thérapeutique ! Les malades ont arrêté de mourir et, aujourd'hui, dans cette maladie qui représente 10 % des leucémies aiguës, 90 % des malades guérissent. On a non seulement démontré, dans un premier temps, en avançant prudemment, que ce champignon chinois, d'où est tiré l'acide tout-trans-rétinoïque, apportait quelque chose de plus aux traitements de chimiothérapie. Nous venons en plus de démontrer, lors du Congrès international d'hématologie d'Atlanta, la semaine passée, que l'association de ce champignon et de petites doses d'arsenic faisait mieux que la chimiothérapie associée à ce champignon chinois !

Il est donc de notre devoir commun de ne jamais nous satisfaire de l'existant - et nous l'avons souvent fait dans les maladies cancéreuses mortelles, notamment avec François-Régis Bataille. Cette posture nécessite une grande vigilance....

C'est pourquoi nous sommes attentifs. Nous mettons toute une série de barrières et de garde-fous, mais nul ne prétend être infaillible. Quoi qu'il en soit, la réflexion que mène votre commission d'enquête constitue pour nous une raison de plus pour vérifier que toutes les mesures de sécurité que nous avons mises en place sont bien opérationnelles.

Il y a trois semaines, j'ai reçu un long courrier d'une jeune femme qui venait me demander un stage de shiatsu dans le service. Je lui ai répondu que je ne connaissais personne capable de l'encadrer.

Sommes-nous sollicités ? Bien plus encore que nous ne l'imaginons ! Cela passe par les directeurs, les chefs de service... Voire par d'autres voies !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Le rapport entre ce champignon chinois dont je ne doute pas des qualités et la fasciathérapie me paraît un raccourci un peu rapide de l'expertise scientifique - mais c'est un autre débat !

M. François-Régis Bataille. - Toutes ces études réclament du temps et de l'argent. Nous ne pouvons tout faire et notre rôle est essentiellement de traiter par les rayons, la chirurgie et la chimiothérapie.

Beaucoup de traitements demeurent empiriques mais, dans l'absolu, tout peut être expertisé scientifiquement. La plupart des livres scientifiques rapportent toutes sortes d'expertises très rigoureuses, dont certaines, réalisées aux Etats-Unis, portent sur l'efficacité de la prière. Ceci est d'ailleurs rapporté dans le rapport du Centre d'analyse stratégique.

Tout s'expertise. L'important est que les choses soient faites sérieusement, et que cela réponde à un objectif bien précis. Souvent, la demande vient des patients eux-mêmes. Les malades atteints de pathologies dégénératives ou de cancers graves s'accrochent à beaucoup de choses et sont sensibles à toute opportunité thérapeutique. L'important est de ne pas faire confiance aux charlatans, car il en existe beaucoup, mais je pense que nous sommes formés pour expertiser un certain nombre d'éléments.

Nous n'avons cependant pas que cela à faire. Les vingt-trois patients qui ont participé à l'essai de fasciathérapie représentent 1 % de notre activité de recherche clinique. Ce n'est pas non plus exorbitant !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Nous avons tous conscience - et les auditions nous le rappellent chaque semaine - qu'il existe un problème d'accueil et d'écoute à l'égard des patients atteints d'un cancer ou d'une autre maladie grave. Il est évident que certaines pratiques peuvent apporter du confort à quelques-uns, comme la prière.

Il nous paraît dangereux que l'on puisse utiliser certaines pratiques en dehors d'un cadre strict et d'une surveillance renforcée, pour aboutir aux dérives que l'on connaît. Le fait que ceci se déroule au sein même du service public nous inquiète quelque peu.

M. Gérard Roche . - Je ne veux être choquant ni vexant pour personne. Nous ne sommes pas un tribunal, ni même un jury médical - bien qu'un certain nombre de médecins soient présents. Nous sommes des parlementaires et le Sénat a voté la création d'une commission sur l'influence des mouvements sectaires dans le domaine de la santé.

Ce qui nous interroge, c'est la fasciathérapie qui entre dans le cadre des soins d'accompagnement. Pour nous, dès lors que ce sont des soins d'accompagnement et non des thérapeutiques substitutives qui entraînent l'arrêt des traitements allopathiques habituels, nous n'avons rien contre et nous vous avons entendu.

On dit souvent que les gens sont très mal accueillis à l'hôpital pour des thérapeutiques graves : j'ai beaucoup d'exemples de gens parfaitement satisfaits des soins qu'ils reçoivent dans les CHU ou dans les hôpitaux de première catégorie. Tous les médecins ne sont pas des tortionnaires et certains font peut-être preuve de bien plus d'humanité qu'on ne le leur prête !

Nous n'avons rien contre les thérapeutiques d'accompagnement des personnes qui ont besoins d'être aidées. Vous avez parlé d'activité physique, de prière : nous n'y trouvons rien à redire et ce n'est pas pour cela que nous sommes réunis aujourd'hui. Nous sommes ici parce que la fasciathérapie - qui est sûrement très efficace - va être labélisée, voire institutionnalisée...

M. Eric Jadaud. - Il ne s'agit en aucun cas d'un label !

M. Gérard Roche . - Le fait qu'elle soit utilisée dans des établissements comme les vôtres lui confère quand même un certain caractère de sérieux !

Or, la fasciathérapie est tirée d'une philosophie extrême-orientale et est utilisée par une secte dénommée Omalpha, dénoncée par la Miviludes en 2009. Ceux qui en ont entendu parler se demandent si cette secte n'est pas en train d'infiltrer l'hôpital et si les patients ne vont pas être tentés d'adhérer à cette secte. C'est là notre interrogation...

Il faut donc à présent en venir au fait et débattre de la raison pour laquelle vous êtes ici aujourd'hui : comment situez-vous la fasciathérapie par rapport à son origine ?

M. Norbert Ifrah. - Je suis sûr qu'il n'y a jamais eu de fasciathérapie au CHU d'Angers, sauf à l'Ico, dans le cadre d'un essai clinique ! Or, le CHU et l'Ico sont des établissements voisins, qui partagent un certain nombre de moyens et d'outils, mais des établissements autonomes !

M. Gérard Roche . - Je m'adressais à vous globalement...

M. Alain Milon , président. - L'étude qui a été menée peut permettre aux tenants de la fasciathérapie d'exploiter l'image du CHU d'Angers et de l'Ico.

M. Bataille a évoqué à plusieurs reprises le rapport du Centre d'analyse stratégique, sur lequel il s'est appuyé pour expliquer la présence de la fasciathérapie à l'Ico. Nous ne sommes pas contre cette analyse, loin de là - nous sommes du métier et l'acceptons volontiers - mais les études du Centre d'analyse stratégique et de l'Ico seront exploitées par ceux qui recourent à de telles méthodes. Ce qui nous inquiète n'est pas que vous fassiez une analyse médicale, scientifique, précise sur l'utilité ou la non-utilité de la fasciathérapie mais le fait que ceux qui l'exploitent de manière malhonnête ou illégale pourront arguer du fait qu'ils ont reçu l'autorisation du Premier ministre et utiliser l'image de l'Ico et du CHU d'Angers - même si, au bout du compte, ce dernier n'a jamais été responsable de quoi que ce soit !

Mme Catherine Deroche . - Vous avez dit que la fasciathérapie pouvait être pratiquée par d'autres personnes que des kinésithérapeutes...

M. Eric Jadaud. - J'ai cru comprendre que le champ de formation pouvait être ouvert à des médecins.

Mme Catherine Deroche . - S'agit-il de non médicaux ?

M. Eric Jadaud. - Je ne le crois pas...

Mme Catherine Deroche . - Je connais, dans le Lot, un Anglais qui s'est intitulé « fasciathérapeute »...

M. Eric Jadaud. - Pour nous, les choses sont très claires : nous avons intégré ce soin dans le cadre d'une évaluation - élément essentiel - mais toujours à titre de soin d'accompagnement.

Vous avez évoqué un label. Je comprends votre inquiétude mais je pense qu'en aucun cas la fasciathérapie ne pourra tirer un label de cette étude, compte tenu de son importance même.

M. François-Régis Bataille. - Nous n'avons pas analysé les résultats mais ils pourraient au contraire constituer un contrepoids considérable. Statistiquement, lorsque les études de médecine complémentaire ou non conventionnelle, au sens large du terme, ont été pratiquées de façon rigoureuse par des CLCC ou des CHU, les résultats ont été généralement négatifs.

Le Centre Léon Bérard, à Lyon, qui est un grand CLCC, a ainsi réalisé une étude sans complexe sur l'homéopathie. La question était en soi scientifiquement importante et intéressante. Cette étude s'est révélée négative, comme la plupart des autres. Ce n'est pas parce qu'on lance une étude sur un sujet qu'elle va conduire à des résultats positifs qui pourront être utilisés comme levier par ceux qui souhaitent le faire !

M. Eric Jadaud. - C'est pourquoi le terme de « label » m'a quelque peu perturbé...

M. François-Régis Bataille. - Le risque est que les médecines non conventionnelles, qui sont utilisées par beaucoup de personnes, ne soient jamais expertisées. C'est une situation qui, en médecine conventionnelle, n'existe pas !

M. Alain Milon , président. - A Evry, les cours de fasciathérapie sont faits à partir de la faculté Fernando Pessoa de Porto. Cette faculté privée loue des locaux à l'hôpital de Toulon pour mettre en place des médecins formés par la faculté de Porto ! C'est inquiétant...

M. François-Régis Bataille. - C'est une université qui fait en effet l'actualité. En Europe, la plupart des médecines conventionnelles sont enseignées par des structures privées. Je ne suis pas expert en matière de sectes...

M. Alain Milon , président. - Nous ne le sommes pas encore non plus : c'est bien là la difficulté !

Mme Catherine Deroche . - A quel moment est intervenue la fasciathérapie ?

M. Eric Jadaud. - La dernière séance de fasciathérapie a été réalisée après la sixième cure de chimiothérapie.

Mme Catherine Deroche . - Le protocole était-il identique pour les deux fasciathérapeutes ?

M. Eric Jadaud. - Il n'y avait qu'un praticien par étude. La kinésithérapeute qui a participé à la première étude ne pouvait adhérer au protocole, du fait de son emploi du temps. Il a donc fallu trouver quelqu'un d'autre...

Mme Catherine Deroche . - J'entends bien vos réactions à propos des termes de « labellisation » ou de « cautionnement ». Néanmoins, à la suite de l'article paru dans Sciences et Vie , avez-vous envisagé, au même titre que l'université d'Angers, de répondre aux accusations qui pourraient rejaillir sur l'image de votre institut ?

M. François-Régis Bataille. - Il fallait qu'on en vienne là, le sujet n'aurait pas été complet sans cela ! Cette affaire est désolante pour Angers, qui est victime collatérale dans une affaire où ni le CHU ni nous-mêmes ne sommes impliqués !

J'estime l'article de Sciences et Avenir ambigu, malhonnête intellectuellement partisan. On le voit fort bien avec la publication d'autres articles, dans les jours qui ont suivi. Nous portons donc plainte, comme l'a fait l'université d'Angers...

Cet article est ambigu, car j'ai réalisé qu'il avait donné l'impression à un certain nombre de mes collègues que j'avais été interviewé par Olivier Hertel, que je ne connais pas et que je n'ai jamais rencontré ! Je n'ai pas été interviewé par Olivier Hertel, alors que d'autres l'ont été. Ce qui est dit dans l'article ne relève donc pas d'un contact avec ce journaliste.

Cet article est malhonnête sur le plan intellectuel, car il laisse croire que l'Ico pratique des médecines non conventionnelles, ce qui est entièrement faux. Nous restons dans un cadre strict d'étude de recherche clinique. Olivier Hertel s'étonne en particulier du fait que l'Ico ait réalisé un essai sur la fasciathérapie : oui, nous venons d'en parler !

Il confond par ailleurs une information critique sur des médecines non conventionnelles que nous assurons - nous sommes là dans notre rôle, en accord avec la Miviludes - avec du prosélytisme en faveur de ces mêmes médecines. J'estime cette confusion extrêmement grave. Il s'agit d'une malhonnêteté intellectuelle, à la limite de la diffamation, ceci laissant entendre que nous abandonnerions nos malades à ce type de médecine, alors que nous sommes parmi les centres qui innovent le plus, chiffres à l'appui !

Enfin, c'est un article partisan. Ce n'est pas moi qui le dis mais Libération ; le 7 novembre, Libération a publié, à propos de l'article de Sciences et Avenir , un article ayant pour titre : « L'affaire Gascan rebondit ». Chacun a le droit d'être partisan, mais je pense qu'Olivier Hertel a écrit cet article pour des raisons autres que celles qu'il met en avant.

Tout ceci est extrêmement décevant et violent. Une corrélation n'est pas un lien de causalité, mais je note, lorsqu'on considère cette affaire dans laquelle nous ne sommes pas impliqués, qu'il existe une certaine corrélation entre l'émergence d'articles comme celui de Sciences et Avenir et l'évolution du processus judiciaire, proche de la cassation. Ce n'est qu'un constat mais il est important et on ne peut s'abstenir de l'évoquer.

Mme Muguette Dini . - Vous nous avez indiqué que la formation de fasciathérapeute dispensée par le centre dans lequel vous vous êtes rendu s'adresse à des professionnels de santé, kinésithérapeutes ou médecins. Avez-vous une idée de sa durée et de la façon dont elle se déroule ?

M. Eric Jadaud. - J'ai assisté à des journées scientifiques, non à la formation elle-même...

Mme Muguette Dini . - Combien de temps dure-t-elle ?

M. Eric Jadaud. - Ces informations sont accessibles sur Internet et définissent le nombre d'heures de formation et même le coût. Je crois que cette formation dure plusieurs années. Je n'ai pas de renseignements concrets sur sa qualité et son contenu. Le programme donne le sentiment qu'il s'agit de kinésithérapie. Je ne puis toutefois me prononcer sur ce qu'il pourrait y avoir au-delà...

M. Stéphane Mazars . - Il existe toujours un risque que ces médecines complémentaires deviennent alternatives. Vous essayez d'ailleurs de les faire entrer dans le domaine du soin support, c'est-à-dire des médecines complémentaires.

Mesurez-vous ce risque de basculement ? S'agit-il d'une vue de notre esprit ? Si ce risque existe, que faites-vous pour essayer de l'éloigner ?

M. Norbert Ifrah. - C'est un souci permanent et c'est par le dialogue, en ne refusant aucune discussion, que nous arrivons à garder le lien avec le malade, même dans les moments les plus difficiles que sont l'annonce, la rechute ou les complications graves.

Toutes nos chimiothérapies et beaucoup de radiothérapies abaissent terriblement les défenses immunitaires des malades. De nombreux malades présentent un zona, maladie connue pour être très douloureuse, bien plus nécrotique et grave chez les immunodéprimés. Cela fait vingt-huit ans que je pratique cette activité : je n'ai jamais rencontré un malade qui n'ait pas reçu un soin dispensé par un magnétiseur ou son équivalent, parallèlement à ce que nous lui proposions, qui est extrêmement efficace, la cible étant connue et sensible à ce traitement ! Je n'ai jamais vu un malade qui n'allait pas voir un rebouteux en plus. Il faut que vous le sachiez.

Tout notre travail consiste à conseiller aux malades de continuer à suivre leur traitement et de les informer qu'il existe sans cela un véritable risque de dissémination de la maladie et de complications mortelles. Nous sommes dans ces cas-là dans la transaction.

J'ai évidemment eu affaire à des malades qui se détournaient de leur traitement. Certains sont les victimes absolues de charlatans ou de sectes. J'ai connu des malades qui se rendaient en Suisse pour acheter, à des prix exorbitants, les fameux « physiatrons » de Solomidès, qui ne sont que des alkylants non purifiés mais vendus à prix d'or ! Des infirmières m'ont informé que la femme de tel ou tel malade voulait qu'elles injectent de l'air en sous-cutané à leur mari en fin de vie ! Nous sommes quotidiennement confrontés à ces éléments et c'est dans un débat entre êtres humains, avec toute l'humilité réciproque nécessaire, que nous arrivons à conserver un lien, car nous sommes alors dans une situation d'échec humain même si, par chance, le médicament fonctionne.

Oui, le danger est permanent ; oui, il est partout ! On ne dit pas assez qu'il se situe avant que le malade n'arrive à l'hôpital. Je demeure très marqué par le souvenir d'une étudiante, en fin d'études de pharmacie, qui m'avait demandé de rencontrer son oncle, un homme de trente-neuf ans, architecte, suivi par un mage pour une maladie mortelle ou peu s'en faut au moment où il l'a rencontré et qui l'était devenue lorsque je l'ai rencontré. Le mal avait alors essaimé et la chimiothérapie ne pouvait plus opérer. Ce malade était suivi par des méthodes strictement alternatives, prônant le refus de ce que nous pouvions lui proposer. Ces événements se passent très en amont des établissements publics !

L'établissement dans lequel je travaille a été très largement médiatisé, il y a sept ans, pour avoir essayé de s'opposer à ce qui nous semblait constituer une dérive sectaire dans la prise en charge d'un enfant atteint d'une maladie grave et victime des errements de sa famille et de conseillers extérieurs en matière de prise en charge. Par chance, il avait suivi une chimiothérapie qui l'avait placé en rémission complète, ce qui n'était pas garanti. Dans l'état de la science de l'époque - c'est encore le cas aujourd'hui - seule une autogreffe avait une chance de le guérir.

Un premier avis, à Nantes, a confirmé ce diagnostic, puis un second, à Paris et un troisième à Angers. Le juge a demandé que l'enfant soit pris en charge en pédiatrie dans notre établissement. Une tempête médiatique a alors été orchestrée contre « ces rigides d'hospitaliers ». Les choses sont allées jusqu'à un procès, dans lequel on nous a sommés de rendre l'enfant à sa famille. Il a été suivi dans une autre région, par une équipe médicale en conflit ouvert - et connu - avec l'ensemble de la communauté des hématologues et des cancérologues pédiatres.

Pour nous, cela a été la fin de l'histoire car, comme vous l'imaginez, nous n'avons jamais su ce que cet enfant était devenu ! Pour être honnête, je crains de le savoir...

De la même manière, après la loi de 2002, par ailleurs très utile aux malades, nos couloirs ont été hantés pendant deux ou trois ans par les comités de liaison des Témoins de Jéhovah, qui ont fini par se rendre compte que nous n'étions pas un terrain véritablement favorable à leurs réflexions. Je pense que François-Régis Bataille a la même expérience que la mienne...

M. François-Régis Bataille. - Il faut faire preuve d'optimisme. Certes, on assiste à un engouement pour les médecines non conventionnelles, mais les médecines conventionnelles sont de plus en plus efficaces. Si l'on démontre que certaines thérapies relèvent du charlatanisme, que l'on dispose de thérapies modernes et personnalisées et que les connaissances sur le cancer progressent énormément, le problème se règle instantanément. Il faut malgré tout un contexte idéologique très fort pour que les patients restent dans un cadre non conventionnel alternatif. Je doute que les médecines complémentaires, si tant est qu'elles soient efficaces, deviennent alternatives. La meilleure réponse, pour nous, médecins, est de disposer de traitements capables de guérir de plus en plus de cancers, comme c'est le cas actuellement.

Par ailleurs, un important effort d'information et de discussion est réalisé en direction de nos patients dès les premiers instants de prise en charge. Nous discutons et rediscutons avec eux de véritables programmes de soins personnalisés. C'est un atout considérable, qui doit permettre d'éviter les dérives. Je suis donc optimiste...

Les personnes qui dérivent sont celles qui sont soumises à une pression idéologique très forte ou qui considèrent que nous n'avons rien à leur proposer. Or, ces situations se réduisent de plus en plus, Dieu merci ! Sans parler d'acharnement thérapeutique, il existe des traitements efficaces, et ce durant longtemps, et l'on guérit actuellement une majorité de cancers. Les malades croient donc en ce que nous leur disons, si je puis employer le terme de « croyance ».

Certes, les malades peuvent naviguer sur des sites toxiques mais beaucoup sont également capables d'en consulter d'autres, plus intéressants - ne serait-ce que les nôtres - pour avoir accès à la connaissance au sujet des nouveaux traitements. Ils se montrent d'ailleurs fins connaisseurs lorsqu'ils viennent nous consulter.

M. Gérard Roche . - Cela ne simplifie pas la tâche !

M. François-Régis Bataille. - Ainsi va la vie ! Chacun est sur la toile, tout se discute. C'est à nous de nous montrer éducatifs et convaincants.

M. Alain Milon , président. - Cette audition est l'une des plus intéressantes parmi toutes celles que nous avons eues. Monsieur Bubien, vous qui avez une expérience de cabinets ministériels importante, avez-vous le sentiment que les ministres de la santé sont bien informés sur ces médecines alternatives ?

M. Yann Bubien. - Pour tout dire, nous en parlions relativement rarement. En revanche, nous étions souvent sollicités par les journalistes et les parlementaires à propos de ces sujets. Pourquoi la santé est-elle si restrictive ? Pourquoi est-elle si mécanique, si technique ? Pourquoi ne s'ouvre-t-elle pas à d'autres médecines complémentaires ? Ce sont des questions que j'ai entendues au cours de presque toutes les rencontres que nous organisions entre les journalistes et les ministres successifs pour lesquels j'ai travaillé.

Dans l'affaire dont parlait à l'instant le Pr Ifrah, j'ai reçu nombre de courriers de personnalités, de parlementaires, de journalistes pour soutenir ces activités. Nous avions très peu d'informations sur ce qui se passait vraiment. Or, il est utile de savoir et de connaître les dérives.

Ce matin encore, j'ai reçu une proposition de formation sous forme d'une plaquette fort bien réalisée, se référant à certaines personnalités importantes ou à des médecins. Il n'y a pas de raison de ne pas y répondre favorablement. On sait maintenant ce dont il s'agit. Le CHU y prend garde car nous savons d'où cela provient. Il s'agit souvent de propositions de formations qui s'adressent aux personnels paramédicaux. Si nous avons les moyens en personnel pour en examiner le contenu, ce n'est pas toujours le cas des établissements plus petits, dotés d'un moins grand nombre d'agents.

Il y a sans doute là quelque chose à faire. Nous sommes et serons vigilants et - je l'espère - de plus en plus.

Audition de Mme Pascale FLAMANT, déléguée générale, du Pr Ivan KRAKOWSKI, directeur du service interdisciplinaire de soins de supports en oncologie au centre Alexis Vautrin (CLCC de Nancy), et de M. Bernard LECLERCQ, directeur général du centre Oscar Lambret (CLCC de Lille) - Fédération française des centres de lutte contre le cancer (mercredi 19 décembre 2012)

M. Alain Milon , président . - Nous auditionnons les représentants de la Fédération française des centres de lutte contre le cancer (FFCLCC) : Mme Pascale Flamant, déléguée générale ; le Pr Ivan Krakowski, directeur du service interdisciplinaire de soins de supports en oncologie au centre Alexis Vautrin (CLCC de Nancy), et M. Bernard Leclercq, directeur général du centre Oscar Lambret (CLCC de Lille). Notre réunion est ouverte au public et à la presse. Un compte rendu en sera publié avec le rapport ; son enregistrement vidéo sera diffusé sur le site du Sénat.

Nous avons souhaité procéder à une série d'auditions sur le thème du cancer, compte tenu de la menace que font peser sur ces malades les promesses de guérison, souvent hélas dénuées de fondement, faites par des charlatans dont les agissements semblent par ailleurs relever de comportements sectaires.

Notre commission d'enquête a pour origine une initiative de notre collègue M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, qui en est le rapporteur.

Je vais, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes auditionnées de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 et suivants du code pénal.

Madame Pascale Flamant, messieurs Ivan Krakowski et Bernard Leclercq, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les trois personnes se lèvent et prêtent serment.

Mme Pascale Flamant, déléguée générale de la Fédération française des centres de lutte contre le cancer. - Les centres de lutte contre le cancer (CLCC) sont des établissements de santé privés d'intérêt collectif (Espic). Leur gouvernance est tout à fait particulière puisqu'elle se rapproche de celle des établissements publics : un préfet préside leur conseil d'administration ; leur directeur général est un médecin nommé par le ministre de la santé, dans certains cas par le ministre de la recherche. On est donc très proche du monde public même si la gestion est privée. Leur triple mission de service public (soins, enseignement, recherche) les rapproche des centres hospitaliers universitaires (CHU). Les CLCC comptent vingt sites, soit environ un par région. Toutefois, d'un strict point de vue juridique, on compte dix-huit établissements figurant sur la liste arrêtée par le ministre de la santé. Ils emploient 16 000 salariés, dont 1 500 à 1 600 médecins. Leur activité s'élève à pratiquement 2 milliards d'euros ; sa croissance est due pour une part - malheureuse - à la hausse du nombre de malades du cancer, et pour une autre part - plus favorable - à la chronicisation de la maladie, c'est-à-dire à l'allongement de la durée des traitements.

Nous venons d'adopter notre plan stratégique. Vous avez entendu parler de la marque Unicancer. Créé dans le cadre de la stratégie de groupe, Unicancer est un groupement de coopération sanitaire de moyens entre les CLCC et leur fédération, chargé d'héberger les activités mutualisées entre les centres. Notre plan stratégique a pour signature : « ensemble, innovons toujours pour nos patients ». Son premier axe est l'innovation : les centres sont en effet pionniers dans de nombreuses pratiques thérapeutiques ; un deuxième axe regroupe la diffusion des savoir-faire, notamment dans la recherche clinique - nous sommes des établissements de recours. Enfin, la performance constitue une autre priorité stratégique, tant en termes d'efficience médico-économique qu'en qualité des prestations. Les CLCC sont en outre très attentifs à la culture du patient-partenaire : l'objectif est de chercher à répondre aux attentes des patients sur la qualité et l'accès aux soins. L'Observatoire des attentes des patients créé à cette fin donne déjà des résultats très intéressants. Bref, les CLCC sont pionniers dans les soins de support et dans la professionnalisation des équipes.

M. Ivan Krakowski, directeur du service interdisciplinaire de soins de supports en oncologie au Centre Alexis Vautrin. - Je témoigne ici en tant qu'oncologue médical, particulièrement intéressé au développement des soins oncologiques de support. Ce type d'approche est ancien dans nos centres, mais de plus en plus formalisé grâce aux progrès de la cancérologie. Nous pouvons désormais suivre des patients guéris mais conservant des séquelles, ou non guéris mais dont l'espérance de vie a été allongée et dont la prise en charge est reportée sur les symptômes de la maladie. Les médecins sont de plus en plus nombreux à se lancer dans ces nouvelles pistes de recherche. Pour notre part, nous avons été à l'origine d'un groupe de soins de support, et j'ai l'honneur de présider l'Association francophone pour les soins oncologiques de support (Afsos). La première définition officielle des soins de support a été donnée par un article fondateur de la circulaire de 2005 relative à l'organisation de la prise en charge du cancer.

La situation actuelle est nouvelle : l'allongement de l'espérance de vie et les progrès réalisés dans l'accompagnement des malades ont modifié leurs attentes. Les états généraux de la Ligue contre le cancer l'ont bien montré, les patients souhaitent désormais, outre une amélioration de leur prise en charge, davantage d'écoute et d'aide dans les épreuves qu'ils traversent. Au sein de nos établissements, nous fournissons ainsi, au-delà de l'aide technique à la rémission du cancer et à l'atténuation des effets secondaires des médicaments, une médecine hippocratique un peu oubliée : nous mettons davantage de temps à la disposition des patients. Ce type d'attention constitue encore à ce jour la meilleure garantie qu'ils n'aillent pas chercher ailleurs des solutions miraculeuses.

Notre démarche se veut scientifique, donc vertueuse. Nous combinons ces méthodes avec des thérapies complémentaires. 60 % de nos patients ont aujourd'hui recours à des approches non conventionnelles, comme l'homéopathie, l'auriculothérapie ou le thermalisme. Il convient de poursuivre l'évaluation de ces pratiques - il y a déjà des pistes de recherche. Des référentiels sont en cours d'élaboration ; les 6 et 7 décembre derniers, l'Afsos a d'ailleurs mis à la disposition des professionnels les premiers documents réalisés. L'approche des personnes, en complément du traitement des organes malades, constitue la meilleure des méthodes à ce jour, d'autant qu'il peut y avoir des interactions entre des médicaments naturels et des thérapies.

Mme Pascale Flamant. - Les soins de support englobent des pratiques traditionnelles, telles que la kinésithérapie ou la psycho-oncologie. Le Plan cancer prévoit d'ailleurs de les développer. Les CLCC ont été précurseurs en la matière, parce que la prise en charge globale du malade fait partie de leurs fondamentaux. Cependant, de nouvelles pratiques émergent, mal identifiées et qui ne relèvent pas véritablement des soins de support.

M. Bernard Leclercq, directeur général du centre Oscar Lambret. - Je suis directeur de CLCC depuis onze ans - j'en suis à mon troisième mandat. Auparavant, j'avais travaillé vingt et un ans à l'Institut Gustave Roussy, dont j'ai été le directeur adjoint. J'ai conduit divers projets pour la fédération à destination de l'ensemble des CLCC. Je suis, en outre, membre du bureau de la fédération et responsable du comité stratégique du management qualité et risques de nos établissements. J'ai donc une vision globale du secteur.

Tous les CLCC fonctionnent sur une organisation transversale et multidisciplinaire, reposant sur le principe d'une expertise collective. Aucune personne soignante ne prend de décision thérapeutique seule. C'est l'un des meilleurs garants de la robustesse de nos établissements. De plus, en raison de leurs plateaux techniques comme de leur expertise, nos établissements sont sollicités pour traiter les cas les plus graves dans les régions où ils sont implantés : ils ont depuis longtemps la masse critique indispensable pour gérer les situations difficiles.

Autre particularité : la qualité de l'information donnée aux patients dès le début de leur maladie. Les CLCC se sont naturellement inscrits dans les dispositifs expérimentaux dès le premier Plan cancer. Leur dispositif d'annonce associe les professionnels médicaux et paramédicaux. Il ne faut pas oublier que les patients sont souvent trop fragiles pour se rappeler tout ce qui leur est dit. Des validations fréquentes de l'information donnée sont réalisées, notamment aux deux extrémités de l'échelle des âges : à l'attention de nos patients les plus jeunes comme à l'égard des plus âgés. Mon établissement traite chaque année 1 500 patients de plus de soixante-quinze ans, atteints de polypathologies et d'une symptomatologie riche dans laquelle il est difficile d'identifier ce qui ne relève que du cancer. Nos établissements ne ferment pas la porte aux thérapeutiques nouvelles, qu'ils prennent avec sérieux. Il y a une exigence d'évaluation et des garanties offertes aux malades auxquels ces pratiques sont proposées : dans tous les cas, le consentement aux soins, attesté par déclaration écrite, est vérifiable.

En trente-trois ans d'expérience, je n'ai jamais été confronté personnellement à un problème de dérive sectaire. J'ai entendu parler de patients prétendument soignés par des méthodes douteuses, comme le traitement du docteur Solomidès. J'ai vu des parents confrontés à la situation douloureuse d'enfants condamnés par la maladie, et cherchant sur Internet des solutions miracles. A chaque fois, nous avons veillé à leur donner l'information la plus complète possible pour leur faire comprendre ce qu'il était possible de faire dans des situations médicalement identifiées. L'organisation de nos centres protège correctement les patients. La plus grande attention reste toutefois de mise, et la formation des professionnels de santé doit aiguiser leur vigilance.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Avez-vous des précisions à nous donner sur les soins de support ? Quels effets thérapeutiques constatez-vous grâce à eux ?

M. Ivan Krakowski. - Les soins de support sont l'ensemble des soins et du soutien aux personnes atteintes de maladies graves, tout au long de leur maladie. Ils englobent des thérapies conventionnelles (traitement de la douleur, soins palliatifs, lutte contre la dénutrition, accompagnement psychologique...) ; ils font également appel à des thérapies complémentaires, comme la stimulation transcutanée ou l'acupuncture, qui peut être une méthode de lutte contre la douleur. Il importe de bien distinguer les soins de support des thérapies alternatives. Les premières restent définies selon des critères scientifiques - bien que ceux-ci ne soient pas tous complètement établis - et sont utilisées depuis longtemps. L'acupuncture en est un bon exemple. Nous avons des preuves assez formelles de l'intérêt de cette double approche, par exemple en cas de cancer du poumon. Cette double approche par les traitements spécifiques et les soins de support augmente la qualité de vie, allonge l'espérance de vie et diminue la nécessité de recourir à des traitements agressifs. La communauté scientifique évalue certaines approches : la stimulation transcutanée est en train d'être assimilée aux thérapies conventionnelles. L'effet placebo, qui en cancérologie peut être important, peut pour certaines méthodes dépasser les 60 %. Deux études importantes sont par ailleurs prévues, l'une sur le thermalisme qui va être l'objet d'une étude clinique, l'autre, comparative, sur l'homéopathie.

M. Alain Milon , président. - L'Institut de cancérologie de l'Ouest a publié une étude sur la fasciathérapie. Qu'en pensez-vous ?

M. Ivan Krakowski. - La fasciathérapie fait partie des thérapies complémentaires. Dans le centre que vous évoquez, elle est généralement pratiquée par des kinésithérapeutes, donc par des professionnels de santé. Elle fait l'objet d'une évaluation. C'est un sujet de réflexion au sein de la communauté scientifique. Une approche évaluative pluridisciplinaire est nécessaire. Au sein de l'ensemble de nos établissements, de nombreux professionnels de santé reconnus, identifiés par leur numéro de Répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS), sont intéressés au développement de l'hypnothérapie, de l'hypnoanalgésie, de l'acupuncture, des thérapies fondées sur la nutrition ou l'activité physique. A mon sens, il faut laisser leur chance à ces techniques et en poursuivre l'évaluation.

M. Yannick Vaugrenard . - Notre démarche est de détecter les dérives sectaires pour mieux les prévenir. Vous avez parlé d'un Observatoire des attentes des patients : quels résultats donne-t-il ? En outre, l'aspect psychique, voire affectif, est déterminant dans la guérison. Le temps passé auprès du malade peut incontestablement améliorer les choses. Or, c'est aussi là que celui-ci peut être abordé par des mouvements sectaires. Est-il informé sur le risque de dérive sectaire ? La mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) y participe-t-elle ? Si vous n'avez pas eu de cas d'influence sectaire ayant poussé les patients à interrompre leurs traitements, d'autres témoignages nous ont montré que cela se produit surtout à l'égard de patients fragilisés par une maladie grave. Comment se prémunir concrètement contre de tels phénomènes ?

Mme Pascale Flamant. - Je tiens à votre disposition une documentation sur l'Observatoire des attentes des patients. Nous avons réalisé des sondages et des entretiens qualitatifs auprès du grand public ainsi que de nos patients : ces derniers sont globalement satisfaits et valorisent grandement la prise en charge globale des CLCC, ainsi que le regard pluridisciplinaire qui y est porté sur leur maladie. Ils sont nombreux à souhaiter ardemment que la prise en charge dont ils bénéficient puisse être étendue et profiter à d'autres malades.

J'ignore si tous les établissements procèdent de même, mais ils sont nombreux à diffuser abondamment les affichettes sur les risques de dérive sectaire qu'ont réalisées l'Institut national du cancer (INCa) et la Miviludes, notamment dans les espaces de rencontre et d'information, très prisés des patients. En outre, la plateforme numérique de l'INCa, cancer-info, fournit des informations fiables à toutes les personnes concernées. Le dispositif avait été porté auparavant par la FFCLCC, grâce à son programme d'information à destination des médecins et des patients, en lien avec la Ligue. Bref, cela fait partie de l'ADN des centres de donner une information fiable et complète, bien qu'en la matière il soit toujours possible de faire mieux.

M. Ivan Krakowski. - Je confirme que nous nous sommes abondamment servis des plaquettes réalisées par l'INCa. C'est en outre le rôle d'Unicancer que de structurer l'information disponible.

Un patient fragile est en effet plus vulnérable aux tentatives des mouvements sectaires, et un patient est fragile lorsque sa confiance à l'égard du personnel soignant se dégrade, par exemple lorsqu'il demande conseil à des collègues d'une autre équipe. Mais dès lors qu'il se sent écouté, il est quasiment à l'abri de ce danger. Nous peinons parfois à valoriser le temps consacré à l'écoute des patients. Le financement manque pour disposer de suffisamment d'assistantes sociales, de psychologues, dont le financement n'est pas assuré par la T2A, de soutien esthétique ou de balnéothérapie. Ces approches oubliées dans les grands pays occidentaux, qui favorisent le dialogue et la confiance, devraient être reconnues.

Mme Gisèle Printz . - Les visiteurs médicaux sont nombreux, dit-on, dans les hôpitaux, qui viennent prendre contact avec les personnes isolées. En avez-vous rencontré ? Comment détecte-t-on ceux qui auraient de mauvaises intentions, par exemple à l'égard des biens des personnes ? La plupart du temps, leur démarche part d'un bon sentiment, mais certains peuvent avoir des objectifs douteux.

M. Bernard Leclercq. - J'ignore ce qu'il faudrait faire, mais je peux vous dire ce que nous faisons. Dans nos établissements, aucun visiteur n'entre à titre personnel. Dérivé de celle de la Ligue, notre convention n'autorise l'entrée que de personnes formées, identifiées, badgées, à des horaires bien déterminés, et ce pour une durée inférieure à deux ans afin de décourager la « professionnalisation des bénévoles » ; vingt-sept associations, répertoriées sur notre site, sont aujourd'hui accréditées dans mon CLCC ; je les réunirai en janvier, comme chaque année. Mais des initiatives telles que celles que vous évoquez, je n'ai jamais eu connaissance.

L'amélioration de l'organisation des soins contribue à décourager les tentatives de profiter de la vulnérabilité des patients. D'abord par l'évaluation des besoins des patients dès le début de la maladie. En la matière, les soins de support sont susceptibles d'apporter des réponses techniques. Bien que nous ne couvrions pas encore l'ensemble des besoins, des progrès sont en cours. Ensuite, par une meilleure organisation de la sortie qui est un élément absolument essentiel car la sortie représente pour de nombreux malades un saut dans le vide : après avoir été choyés par l'hôpital, les patients sont confrontés aux difficultés de la vie quotidienne, hors de l'attention des soignants. La vie à domicile n'étant pas toujours possible, ils se retrouvent en position vulnérable quand des aidants plus ou moins bien intentionnés apparaissent dans le paysage. Une étude de 2005 a montré que les retours non programmés à l'hôpital étaient relativement importants et que nous sous-estimions ce fait : sur trois mois, mon établissement en a enregistré 105 à 115. Ces retours ne résultent pas forcément de complications, mais souvent de situations d'urgence, sociale ou médicale. Or les personnels de soins ne sont pas toujours libres pour leur apporter des solutions. Nous avons mené un important travail en interne pour évaluer les besoins et limiter les situations de détresse : l'ensemble des patients fait l'objet d'une évaluation des possibilités de sortie, de manière à distinguer la sortie pure et simple, la sortie avec des soins à domicile, l'hospitalisation à domicile et le transfert dans une unité de soins de suite. Nous avons ainsi enregistré une baisse significative de la durée moyenne de séjour, et les retours non programmés ont été durablement divisés par dix. L'approche peut rester médicale et organisationnelle.

Dans d'autres cas, les systèmes hospitaliers répondent mal aux situations de détresse et doivent s'adapter. Ainsi, dans le groupement de coopération scientifique mis en place avec le CHRU de Lille, nous avons mutualisé les compétences dans trois domaines. D'abord entre les rhumatologues du CHRU et les oncologues du centre Oscar Lambret, nous avons créé une filière accélérée de prise en charge pluridisciplinaire des métastases et des douleurs osseuses. Cela a développé des techniques partagées de traitement de la maladie à l'attention de personnes qui laissaient auparavant les équipes médicales désarmées ; les patients n'éprouvent plus un sentiment d'abandon dû à l'absence de filière organisée. De même, en neuro-oncologie, les traitements modernes ont pour effet de chroniciser la maladie et de faire apparaître des complications neurologiques invisibles auparavant ; la filière, organisée selon le même principe, a dégagé des solutions de prise en charge à des malades qui en étaient auparavant privés. Même chose en oncogériatrie : une filière a été mise en place avec les gériatres du CHRU et l'on observe une réduction significative des situations qui, ressenties comme des échecs ou des limites de la médecine conventionnelle, pouvaient profiter aux sectes. Une veille a en outre été instaurée au sein de l'établissement, consistant pour les personnels à signaler tout événement indésirable.

Nous travaillons en réseau avec les espaces de rencontre et d'information, les AIRE-cancer (accueil, information, rencontre, écoute) et les espaces rencontre-cancer. Discuter régulièrement avec eux de nos protocoles de prise en charge nous conduit indirectement à vérifier à travers cet échange si ces espaces ne donnent pas cours à des dérives. Sans que l'on puisse considérer que nous étions face à une dérive sectaire, nous avons ainsi, une fois, retiré des protocoles de nutrition.

C'est grâce à cet assemblage de prises en charge médicale, de mesures de veille et d'évaluation des techniques non conventionnelles qui paraissent intéressantes, que nous offrons les meilleures garanties aux malades accueillis dans un établissement.

Qu'en est-il ensuite lorsque les malades sortent ? Il faut renforcer les liens et la communication entre les équipes dans les établissements et le monde extérieur en prenant en particulier en compte la façon dont les malades s'informent sur internet - 50 % des foyers de ma région en sont équipés, il y a là une très forte curiosité des patients. Ils nous posent parfois des questions désarmantes en consultation. Ils viennent parfois avec des propositions de traitements en attendant presque qu'on les leur prescrive alors qu'elles ne sont pas du tout adaptées à leur situation.

Tout en étant frappé par la rareté de signes de dérives sectaires sur les forums de patients de mon établissement, j'y mesure la détresse des malades à l'extérieur. Tant que nous n'y aurons pas apporté des réponses - ce qui dépasse largement le cadre de l'hôpital -, nous ne pourrons dire qu'il n'y a aucun risque.

M. Ivan Krakowski. - Pour compléter ces propos concernant l'information des patients sur le net, selon le Pr Franck Chauvin, de l'Université de Saint-Etienne, si les patients consultent souvent internet, nombre d'entre eux considèrent que l'information n'y est pas aussi fiable que celle que leur donnent des médecins. Pour limiter la circulation d'informations inadaptées, le Pr Chauvin propose de rendre les référentiels et les recommandations accessibles aux patients, sur des sites animés par des professionnels.

Ainsi en est-il du référentiel diffusé sur les sites des réseaux régionaux de cancérologie et des sociétés savantes impliquées dans les soins support. Dans un souci de clarté, il ne traite pas de toutes les thérapies complémentaires. En revanche, il précise la définition des thérapies complémentaires et des thérapies alternatives, et évoque la notion de médecine intégrative, qui associe médecine conventionnelle, médecine complémentaire et soins de support. Il indique aussi quelles sont les techniques complémentaires les plus utilisées et pourquoi : elles atténuent les effets indésirables des traitements et améliorent la qualité de vie et le bien-être global. Ce référentiel donne une classification des thérapies complémentaires et il informe les patients sur le risque d'utiliser une technique non conventionnelle sans en avertir l'équipe médicale - certaines plantes diminuent l'effet des hormonothérapies. Il est très important que le malade soit rassuré : l'équipe médicale ne le jugera pas quand il lui indiquera tous les traitements auxquels il recourt.

Qui doit en parler ? Quand en parler ? Comment en parler ? A qui en parler ? Il serait souhaitable que les espaces de rencontre et d'information recommandent l'utilisation de référentiels de thérapies complémentaires et que les professionnels soient formés afin d'orienter leurs patients. Il convient encore de combattre des idées fausses : non, naturel ne veut pas dire sans risque ; non, une thérapie complémentaire ne s'utilise pas dans l'urgence, mais oui, des thérapies sur lesquelles nous manquons d'évaluation peuvent être indiquées dans certains cas. Il s'agit également d'indiquer aux patients quels professionnels pratiquent les thérapies complémentaires. Le but de ces démarches d'information et formation est d'éviter que les patients aillent chercher ailleurs ce que des professionnels de santé bien formés peuvent leur offrir dans nos centres avec sérieux et ouverture.

M. Alain Milon , président. - Il faut donc bien distinguer la médecine conventionnelle, la médecine complémentaire, la médecine parallèle, et les soins de support. En matière de cancer, vous êtes arrivés à prendre en compte le patient dans sa globalité, ce qui n'est pas encore le cas dans toutes les spécialités. L'une des propositions du rapport sur la psychiatrie que je présentais ce matin devant la commission des affaires sociales est justement la création d'un Institut national pour la psychiatrie, sur le modèle de l'Institut national du cancer. Je vous remercie.

Audition du Pr Agnès BUZYN, présidente de l'Institut national du cancer (mercredi 19 décembre 2012)

M. Alain Milon , président. - Nous accueillons le Pr Agnès Buzyn, présidente de l'Institut national du cancer, créé par la loi de santé publique du 9 août 2004 en vue de développer l'expertise dans le domaine des cancers et de la programmation scientifique, de l'évaluation et du financement de projets. Cette agence est aussi chargée du suivi d'une part importante du Plan cancer 2009-2013.

Notre réunion est ouverte au public et à la presse. Un compte rendu en sera publié avec le rapport ; son enregistrement vidéo sera diffusé sur le site du Sénat. Je rappelle au Pr Buzyn que notre commission d'enquête a pour origine une initiative de M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, qui en est le rapporteur.

Je vais, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander au Pr Agnès Buzyn de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 et suivants du code pénal.

Mme Agnès Buzyn, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Mme Agnès Buzyn . - Je le jure.

M. Alain Milon , président. - Je vous donne la parole.

Mme Agnès Buzyn, présidente de l'Institut national du cancer (INCa). - Nous sommes sensibles à la question des dérives sectaires parce que les malades du cancer sont souvent très vulnérables, que la lourdeur des traitements peut les inciter à rechercher des traitements alternatifs moins pénibles et que la communauté scientifique admet que les soins de support font partie intégrante du traitement.

Conformément à la définition assez stricte qu'en donne l'Organisation mondiale de la santé (OMS), ces soins sont des actes de santé ayant fait l'objet d'une évaluation ; ils regroupent habituellement la nutrition et la diététique, la kinésithérapie et la rééducation fonctionnelle, la psycho-oncologie, la prise en charge de la douleur, les soins palliatifs, voire l'accompagnement social. Au-delà, l'on trouve des pratiques relevant de la médecine complémentaire voire de la médecine alternative. Là encore, les définitions sont bien précises : la médecine complémentaire concerne des actes de soins ne s'opposant pas au traitement conventionnel et qui ne mettent pas le patient en danger ; la médecine alternative s'oppose à la médecine conventionnelle et met en danger la personne, par des retards de diagnostic ou de prise en charge, des contre-indications ou en raison des effets secondaires des traitements - c'est là que réside le principal risque de dérive sectaire.

Une proportion de 75 % de la population a eu recours à des médecines non conventionnelles au moins une fois dans sa vie. Seraient concernés 30 % à 50 % des malades du cancer - tous les patients n'en informent pas leur médecin. Les signes d'alerte en matière de dérive sectaire sont le dénigrement des traitements proposés par les médecins, la recommandation de l'arrêt des traitements conventionnels, un règlement financier exigé par avance ou des séances d'essai gratuites. Il peut aussi s'agir de médecines prétendant agir à la fois sur le physique et le mental ou conduisant le patient à s'éloigner de son entourage familial. Les patients les plus exposés sont ceux qui ont été insuffisamment pris en charge à l'annonce du diagnostic du cancer, qui ont perdu confiance dans le personnel médical ou qui ont la sensation que, faute de soins de support, l'équipe n'est pas à l'écoute du retentissement du traitement sur leur état.

En 2011, la Miviludes et l'INCa ont mené une action de sensibilisation avec les différentes fédérations hospitalières, la Ligue contre le cancer, la fondation ARC et le Conseil national de l'Ordre des médecins. Nous avons édité une plaquette d'alerte, qui recense l'ensemble de ces signaux à l'intention des patients, de leurs proches et des médecins. Elle rappelle aux patients qu'ils peuvent recourir à la ligne Cancer-Info, service d'information mis en place par l'INCa. Nous avons publié 10 000 affichettes et 60 000 dépliants, que nous envoyons au réseau institutionnel, aux professionnels de santé, dans les établissements de soins autorisés, aux fédérations hospitalières, aux sociétés savantes, aux réseaux régionaux de cancérologie et aux associations, sans oublier les espaces d'information des patients. Au 15 décembre, nous avions reçu 567 commandes pour 4 700 affichettes et 32 000 dépliants. Un quart de ces commandes provenait d'établissements de santé, un quart de professionnels de santé, 14 % des lieux d'information, 13 % des associations et 8 % des malades ou de leurs proches.

Afin de ne pas culpabiliser les patients, ces documents ne diabolisent pas le recours aux médecines alternatives. Sur un ton factuel et pragmatique, ils expliquent la différence entre le traitement alternatif qui exclut le traitement conventionnel et le traitement complémentaire qui pourrait améliorer leur bien-être sans les mettre en danger.

D'après nos enquêtes, 30 % des patients avouent avoir eu recours à des médecines alternatives ou complémentaires. 85 % d'entre eux l'ont fait afin de mieux supporter leur traitement, tandis qu'ils sont 27,5 % à indiquer que leur objectif était de traiter le cancer lui-même, ce qui constitue pour nous un signal d'alerte.

Quoique considérées comme non dangereuses, les médecines complémentaires comme la sophrologie, la musicothérapie, la rigologie, ne sont ni évaluées ni nécessairement exercées par des professionnels de santé obéissant à une déontologie et soumis au secret médical. Leur hiérarchie et le suivi de leur pratique dans les établissements hospitaliers sont mal connus. Bien que les praticiens soient en général des bénévoles intervenant pour le bien-être du patient, il convient de rester vigilant face à des risques éventuels de dérives sectaires.

M. Stéphane Mazars . - Les médecines complémentaires ne posent a priori pas de problèmes. Mais de complémentaires ces pratiques peuvent-elles devenir alternatives ?

Mme Agnès Buzyn. - Pas à ma connaissance. L'auriculothérapie, la musicologie ou la sophrologie semblent n'avoir jamais conduit les patients à ne plus suivre leur chimiothérapie, mais, si elles le faisaient, elles deviendraient des médecines alternatives. On reste là dans une complémentarité de prise en charge. La limite entre médecines complémentaire et alternative est parfois difficile à déterminer, car elle ne tient pas tant à la discipline elle-même qu'à son inscription dans une démarche de soins globale ou au fait qu'elle s'oppose à la démarche de soin classique.

M. Stéphane Mazars . - Comment expliquez-vous la hausse du recours à toutes ces pratiques de soins non conventionnels ?

Mme Agnès Buzyn. - Je pense que c'est un problème de société. Il y a une défiance de nos concitoyens par rapport aux messages officiels, même en matière de santé publique. On le voit avec la vaccination. Nos concitoyens sont réceptifs à des discours différents qui proposent de les soulager à moindre frais. Ce phénomène est culturel. La défiance est générale face au message public.

M. Stéphane Mazars . - Ne pointez-vous pas ici un déficit de communication auprès du grand public ? Nous avons été confrontés à des témoignages qui sont parfois troublants et inquiétants. Néanmoins, quand nous avons discuté du cancer, nous avons entendu des messages plutôt encourageants, notamment sur le fait que la maladie se chronicise. Sait-on assez que le cancer se soigne ?

Mme Agnès Buzyn. - Je suis d'accord. Si nous étions capables de communiquer sur le fait que l'on soigne de mieux en mieux les cancers, cette attitude changerait. Nous avons mené en 2011 dans l'espace public comme le métro, à la radio et à la télévision une campagne grand public avec pour message : « Changeons de regard sur les cancers ». En 2012, le message était : « La recherche avance ». Nous voulons changer l'image de la maladie, afin que le coup de massue que constitue l'annonce du diagnostic ne détermine le malade à aller chercher d'autres réponses à son angoisse que les traitements conventionnels. La communication de l'INCa fait confiance à l'intelligence collective en étant la plus transparente possible sur ce qui marche et sur les limites de ce que nous proposons, s'agissant par exemple des risques du dépistage. Toutefois, l'on ne change pas l'image d'une maladie en trois ou en cinq ans...

M. Stéphane Mazars . - Avez-vous pu identifier des disciplines accueillantes aux praticiens peu scrupuleux, qui prônent le recours à des techniques alternatives ?

Mme Agnès Buzyn. - Je n'ai pas de données objectives à ce jour. Les patients s'expriment très peu à ce propos sur la ligne Cancer-Info. Je pense que les gens qui vont glisser vers ces médecines alternatives n'en parlent pas. Nous n'avons quasiment pas d'informations sur ce qui se passe dans l'« arrière-cour » des hôpitaux. Or, en tant qu'agence d'expertise, nous nous devons de nous baser sur des enquêtes.

M. Stéphane Mazars . - Les patients éprouvant un sentiment de culpabilité ou de honte se livrent difficilement. L'INCa dispose-t-il des moyens de mener des enquêtes à ce propos ?

Mme Agnès Buzyn. - Nous n'en avons pas fait une priorité, donc ce n'est pas inscrit à notre plan d'action pour 2013. Nous menons beaucoup d'enquêtes sur le ressenti des malades, leur suivi ou sur leur retour à l'emploi, autant de sujets dont ils parlent volontiers. Ces données sont donc faciles à recueillir. Si nous les interrogions sur le recours à certaines pratiques, je doute de la fiabilité des résultats. Toutefois, nous n'excluons pas de le faire au cas où nous percevrions une réelle dérive.

Nous agissons plutôt en amont, en informant patients ou praticiens, ou en renforçant les soins de support. Il importe d'offrir réellement aux patients une prise en charge globale - psychologique, nutritionnelle, de kinésithérapie - qui réduit le risque d'aller chercher ailleurs tout en palliant la brièveté des contacts avec les médecins. L'offre systématique de soins de support figure parmi les critères d'autorisation des établissements à traiter les cancers - les agences régionales de santé (ARS) procèdent à l'évaluation de ceux-ci.

Un moment-clé dans la prévention des risques de dérive est celui de l'annonce du diagnostic. Si une relation de confiance a été établie avec l'ensemble de l'équipe soignante, le malade osera poser des questions. Nous travaillons beaucoup sur le parcours de soins à partir de ce moment et jusqu'à la sortie de l'hôpital.

M. Stéphane Mazars . - Les patients sont-ils informés - oralement ou par écrit -que certains tenteront peut-être de les éloigner de leur parcours de soins ?

Mme Agnès Buzyn. - Cela ne figure pas parmi l'information systématiquement donnée aux malades. L'expérimentation du parcours de soins coordonné a déjà bénéficié à 9 000 malades de trente-cinq établissements. Une infirmière coordonnatrice les accompagne dans toutes leurs démarches comme dans l'accès aux soins de support. Il y a même des offres sur le plan esthétique. L'accompagnement est focalisé sur les risques sociaux tels que la perte d'emploi - le cancer, c'est souvent la double peine. L'infirmière coordonnatrice, qui fournit aux patients toute une série de documents, pourrait tout à fait leur remettre également une fiche d'alerte sur les dérives sectaires. Pour le moment, nous nous sommes concentrés sur les risques sociaux. Une fiche d'alerte sur les dérives sectaires pourrait être donnée aux malades.

M. Alain Milon , président. - Les personnes que l'on laisse entrer à l'hôpital pour y dispenser des soins de support entrent en contact avec les patients et ont connaissance de leur maladie ; n'ayant pas prêté le serment d'Hippocrate, elles ne sont pas soumises à la même déontologie que les médecins ni au respect du secret médical. A l'intérieur de l'hôpital, ces personnes peuvent respecter le protocole, mais qu'en est-il à l'extérieur ? Ces personnes ne risquent-elles pas de se révéler, à l'extérieur, des vecteurs des médecines parallèles ?

Mme Agnès Buzyn. - Personnellement, je n'ai pas d'inquiétude à l'égard des soins de support parce que kinésithérapeutes, diététiciens ou psycho-oncologues, qui dispensent ces soins de support, sont des professionnels diplômés ; qu'ils soient personnels hospitaliers ou liés par une convention, ils font partie des équipes soignantes. J'ai un peu plus d'inquiétude en revanche à propos des médecines complémentaires, comme la musicologie ou l'auriculothérapie. Ces praticiens ne font pas partie intégrante des équipes. On peut imaginer qu'ils soient liés par une convention ou une charte déontologique ; cependant, je constate que l'exigence de diplôme n'est pas la même, qu'ils ne sont pas soumis à la même hiérarchie et qu'ils ne font pas partie de l'équipe. Ce sont des bénévoles. Les malades sont ravis d'avoir accès à ces pratiques... qui ne font l'objet d'aucune évaluation. Ces thérapeutes ne font pas partie de l'équipe médicale. Ils ne sont pas soumis à la hiérarchie de l'hôpital. Je n'ai pourtant aucun élément objectif pour dire que ce sont des vecteurs de médecines parallèles vers l'extérieur.

M. Alain Milon , président. - C'est à ces cas que je faisais référence.

Mme Agnès Buzyn. - Toutes les dérives ne sont pas sectaires : ce n'est que dans certains cas que l'on demande de l'argent au patient ou que l'on tente de lui faire arrêter son traitement. Cela dit, toutes ces personnes entrent dans les chambres des malades sans beaucoup de contrôle. J'ai rarement vu des patients refuser ces pratiques.

M. Alain Milon , président. - C'est bien sur ce point que notre commission d'enquête estime qu'il y a problème. Au cours d'une précédente rencontre, le Pr Capron, qui préside la commission médicale d'établissement de l'Assistance publique -hôpitaux de Paris (AP-HP) nous faisait part de son inquiétude face à l'ouverture de cette dernière à des médecines non-conventionnelles qu'il juge dépourvues de tout effet positif.

Mme Agnès Buzyn. - Comme M. Krakowski, j'estime qu'il faut évaluer ces pratiques dont certaines ont peut-être un effet. Il est vrai que l'on voit rentrer à l'AP-HP beaucoup de ces médecines complémentaires, qui n'ont parfois de médecine que le nom. Je ne sais pas ce que c'est que l'auriculothérapie. Des autres professionnels, on exige des diplômes et le respect d'un certain formalisme : qu'on ne soit pas aussi exigeant à l'égard des praticiens de thérapies non conventionnelles sous prétexte qu'ils répondent à une demande du public ne laisse pas d'inquiéter. Je suis d'accord avec vous.

M. Alain Milon , président. - Des conventions sont signées avec les associations qui peuvent employer des gens formés dans des instituts qui ne semblent pas tous très sérieux. Le plus souvent, on peut craindre que certains bénévoles conduisent les malades à délaisser les traitements conventionnels.

Mme Agnès Buzyn. - Potentiellement, on peut craindre ce genre de dérive à terme, en effet. Et certains bénévoles obéissent à un désir morbide d'approcher la maladie. Surtout, les malades font mal la différence par exemple entre un médecin et un musicologue qui rentre dans la chambre : il y a tellement de monde à l'hôpital qu'ils ne sont pas en état de mettre des barrières et de faire la distinction entre les uns et les autres. Leur vulnérabilité les incite à se livrer quand ils rencontrent une personne bienveillante. Je m'inquiète de cette présence non cadrée car le malade n'est pas en état, vu sa vulnérabilité et son épuisement, de « mettre des barrières ».

M. Alain Milon , président. - Nous aussi nous inquiétons. Sortis de l'hôpital, les patients se retrouvent seuls - ou seuls avec la famille mais souvent seuls - sans suivi particulier. Dans ces circonstances, les personnes rencontrées pendant leur séjour à l'hôpital peuvent-elles les entraîner vers les médecines parallèles ?

Mme Agnès Buzyn. - C'est également un grand souci pour nous. Les durées d'hospitalisation sont très courtes, le traitement est de plus en plus basculé vers la médecine en ville alors que les médecins traitants manquent de disponibilité. Dans ces moments de solitude, les malades restent très vulnérables. Voilà pourquoi notre plan d'action pour 2013 comporte un groupe de travail sur le transfert des soins de l'hôpital vers la médecine de ville. L'organisation des soins est l'un des cinq axes du futur Plan cancer retenus par le Président de la République, ce qui nous amènera, dans les années à venir, à agir en vue d'un meilleur suivi des patients hors de l'hôpital de manière coordonnée avec le médecin généraliste. Grâce au parcours personnalisé de soins, nous identifierons mieux les fragilités sociales et détecterons les personnes menacées par la solitude à la sortie de l'hôpital, de façon à pouvoir les orienter vers les associations - ce n'est pour l'heure qu'une expérimentation.

M. Alain Milon , président . - Nous ne pouvons que vous remercier de toutes vos réponses.

Audition de MM. Laurent TOUVET, directeur des Libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur et Louis-Xavier THIRODE, chef du Bureau central des cultes (mercredi 9 janvier 2013)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, au moment où nous commençons nos travaux de l'année 2013, permettez-moi de souhaiter à chacun d'entre vous une bonne année, et surtout une bonne santé. Je le dis d'autant plus volontiers que c'est précisément au domaine de la santé que notre commission d'enquête s'intéresse.

Mes chers collègues, nous allons auditionner M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur depuis septembre 2007. M. Touvet est accompagné de M. Louis-Xavier Thirode, chef du bureau central des cultes.

Après avoir entendu essentiellement des personnalités exerçant des responsabilités dans le domaine de la santé, nous recevrons au cours des prochaines semaines plusieurs hauts responsables des ministères de la justice et de l'intérieur. C'est avec MM. Laurent Touvet et Louis-Xavier Thirode que nous commençons notre série d'auditions consacrées à l'action de ces deux ministères.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Je signale au public présent qu'il est tenu d'assister à l'audition en silence ; toute personne qui troublerait les débats, par exemple en manifestant son approbation ou sa désapprobation, serait exclue sur le champ.

Je précise à l'attention de MM. Touvet et Thirode, que notre commission d'enquête a été constituée sur l'initiative du groupe RDSE. C'est donc tout naturellement que le président de ce groupe, M. Jacques Mézard, a été choisi pour être notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous faire prêter serment. Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Messieurs Touvet et Thirode, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les deux personnes se lèvent et prêtent serment.

M. Alain Milon , président . - Monsieur Touvet, vous avez la parole pour un court exposé introductif, à la suite duquel M. le rapporteur et les autres membres de la commission d'enquête vous poseront leurs questions.

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre accueil.

Je crois bon que vous commenciez par auditionner le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques, car c'est cette direction, la DLPAJ, dont le bureau central des cultes est l'un des dix-sept bureaux, qui a la responsabilité de définir le cadre et les orientations et d'assurer une mission de coordination dans le domaine sur lequel portent vos travaux.

Le bureau central des cultes se compose de six personnes. Ma direction ne possède aucun service déconcentré, l'action du ministère de l'intérieur reposant sur les services locaux de la police nationale, de la gendarmerie nationale et sur les préfectures.

Je vous présenterai d'abord les missions générales du bureau central des cultes, puis son action particulière dans la lutte contre les dérives sectaires.

Les trois missions principales de ce bureau sont l'expertise juridique, la connaissance du phénomène religieux et le pilotage du réseau « laïcité » des préfectures.

L'expertise juridique est le coeur de métier du bureau central des cultes ; c'est d'ailleurs l'une des raisons qui justifient son rattachement à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques. Nous nous attachons à présenter, expliquer et diffuser le droit des cultes. Ce droit étant mal connu des partenaires privés, mais aussi des services administratifs et des collectivités territoriales, nous avons préparé, ces dernières années, plusieurs circulaires visant à réunir les différents éléments du droit des cultes et à l'expliquer de manière argumentée dans un souci opérationnel.

Ainsi, nous avons publié la circulaire du 19 février 2008 sur la police des lieux de sépulture, pour répondre en particulier à la question des carrés confessionnels dans les cimetières. Une circulaire du 25 mai 2009 porte sur les édifices du culte, une autre du 23 juin 2010 sur le support institutionnel de l'exercice du culte, c'est-à-dire sur les associations régies par la loi du 1 er juillet 1901 et celles qui le sont par la loi du 9 décembre 1905.

Par la circulaire du 25 juillet 2011, nous avons actualisé celle du 25 mai 2009 sur les édifices du culte, après que plusieurs décisions du Conseil d'État ont renouvelé et approfondi le droit en la matière. Enfin, le 25 août 2011, nous avons publié une circulaire sur les cultes outre-mer, qui nous a demandé un travail d'« archéologie » juridique important dans la mesure où le droit des cultes outre-mer est assez ancien et divers.

Le droit étant une matière vivante, l'expertise juridique du bureau central des cultes se concrétise par une veille juridique, principalement jurisprudentielle, dans le domaine de l'application de la laïcité, du principe de liberté religieuse et du respect des dispositions de la loi du 9 décembre 1905.

L'ensemble de ce travail a conduit à l'élaboration d'un « code » de la laïcité et de la liberté religieuse. Ce recueil de textes et de jurisprudences, publié en octobre 2011, rassemble les normes constitutionnelles, internationales, législatives et réglementaires, ainsi que les principales circulaires préparées et publiées.

L'expertise juridique s'exerce aussi sous la forme d'autorisations individuelles dans le domaine des congrégations religieuses, dont je vous rappelle qu'elles sont légalement reconnues en application du titre III de la loi du 1 er juillet 1901. Plus précisément, leur reconnaissance passe par un décret en Conseil d'État.

Cette procédure nous permet, même si l'inventaire des congrégations n'est pas exhaustif, de recenser de nombreuses communautés religieuses qui, à l'image du paysage religieux, tendent de plus en plus à se diversifier ; je souligne que ces congrégations ne sont pas toutes catholiques, même si ce sont les congrégations catholiques qui sont à l'origine de l'adoption de la loi du 1 er juillet 1901.

La deuxième mission principale du bureau central des cultes consiste à connaître le phénomène religieux et les mouvements spirituels. En effet, pour être pertinente, l'expertise juridique doit s'appuyer sur une connaissance concrète du phénomène religieux.

Cette connaissance est d'autant plus nécessaire qu'au cours des dernières décennies les grandes religions ont été assez notablement affectées par des évolutions de long terme : de façon générale, on observe une baisse de la pratique religieuse ; pour le judaïsme, on note l'apport de populations rapatriées et, pour le protestantisme, celui de populations immigrées ; au sein du catholicisme, des communautés nouvelles tendent à se multiplier.

Ces divers phénomènes me semblent avoir pour point commun de manifester l'essor de mouvements reposant sur la sensibilité, l'émotion et la spontanéité davantage que sur la raison et l'adhésion à un dogme.

D'autres religions sont implantées en France : l'islam est la plus importante par le nombre des fidèles, mais il y a aussi l'orthodoxie, le bouddhisme, l'hindouisme et le sikhisme. Leur développement récent et les difficultés qu'elles rencontrent pour comprendre le régime juridique dans lequel elles s'inscrivent justifient les contacts que le bureau central des cultes entretient avec elles.

Nous sommes conscients que cette transformation du paysage religieux est un contexte propice au développement de dérives sectaires. C'est pourquoi il est nécessaire que nous disposions d'outils nous permettant de connaître de la manière la plus fine possible les religiosités nouvelles pour les distinguer des dérives sectaires - car les premières n'entraînent pas nécessairement les secondes.

Pour ce qui concerne nos moyens d'action, le bureau central des cultes et moi-même entretenons des relations avec les autorités représentatives de toutes les religions pratiquées en France. Nous avons aussi des rapports avec les autres ministères compétents dans le domaine de la laïcité, notamment les ministères de la santé et de la justice. Le bureau central des cultes a constitué une documentation, qu'il tient à jour, sur tous les groupes religieux.

La troisième mission principale du bureau central des cultes consiste à animer le réseau des préfectures en ce qui concerne notamment la laïcité.

Il va sans dire que le ministère de l'intérieur est fréquemment en contact avec les préfectures. Reste que, dans ces relations, la dimension de la laïcité a pris un nouvel essor au cours de l'année 2011, à la suite notamment de débats publics qui ont conduit le ministre de l'intérieur, au mois d'avril 2011, à demander à chaque préfet de désigner un correspondant « laïcité » dans son département. Cette mesure était l'un des axes d'une politique d'affirmation et d'explication de la laïcité.

Nous avons aussi mis en place, pour les fonctionnaires, des programmes de formation initiale et continue dans le cadre desquels il m'arrive d'intervenir.

Pour que les correspondants « laïcité », qui sont les relais par lesquels l'Etat affirme les principes laïcs et veille à leur bonne application dans les départements, puissent travailler et s'enrichir mutuellement par le partage de bonnes pratiques, nous avons organisé, en novembre dernier, deux journées d'animation du réseau « laïcité ». Au cours de ces journées, les correspondants « laïcité » se sont vu présenter l'évolution des grandes tendances religieuses, le droit des cultes et sa pratique ; nous avons pu répondre à leurs questions concrètes et, surtout, ils ont pu échanger sur les bonnes pratiques et les solutions trouvées à leurs problèmes.

Nous sommes aussi un interlocuteur du Haut Conseil à l'intégration, qui a toujours été un acteur engagé dans le domaine de la laïcité. Nous contribuons à ses côtés à l'organisation de colloques, au cours desquels je suis plusieurs fois intervenu.

Enfin, le bureau central des cultes sera bien entendu présent pour accompagner les travaux de l'Observatoire national de la laïcité, dont le Président de la République a annoncé la création le 9 décembre dernier.

Je vais maintenant vous présenter la manière dont l'action du bureau central des cultes se décline dans le domaine de la lutte contre les dérives sectaires.

Il va de soi que nous travaillons en liaison avec la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, la Miviludes, qui est pour nous un partenaire privilégié, un interlocuteur précieux avec lequel nous entretenons un dialogue et des échanges ; le chef du bureau central des cultes, Louis-Xavier Thirode, qui m'accompagne aujourd'hui, siège au sein de son comité exécutif de pilotage opérationnel. Nous mettons au service de la mission interministérielle notre connaissance des mouvements spirituels et notre expertise juridique.

Notre ligne de conduite est tracée par la circulaire du ministre de l'intérieur du 25 février 2008, qui énumère toutes les infractions qu'il faut surveiller avec la plus grande attention. Nous nous inscrivons dans le cadre fixé par la circulaire du Premier ministre du 27 mai 2005 : la France étant un pays où la liberté de conscience est garantie, toute personne peut penser ce qu'elle veut et il n'y a pas de liste préétablie des mouvements sectaires ; notre vigilance porte sur des faits susceptibles de constituer des infractions pénales et s'exerce particulièrement à l'égard des mouvements au sein desquels de tels faits ont pu être constatés.

La circulaire du 25 février 2008 procède de façon très pédagogique : après avoir rappelé le principe de la liberté d'opinion et de croyance, elle présente tous les dispositifs juridiques, comme la dissolution administrative et surtout les sanctions pénales, qui peuvent être mis en oeuvre pour sanctionner les agissements fondés sur la sujétion physique ou psychologique de personnes.

Dans le domaine de la lutte contre les dérives sectaires, le bureau central des cultes met également à la disposition de la Miviludes sa connaissance des mouvements religieux ; en particulier, il peut favoriser des rencontres avec certains responsables religieux ayant particulièrement attiré l'attention de la mission interministérielle.

En outre, une synthèse annuelle est transmise à la Miviludes par le ministère de l'intérieur. Elle est préparée, au sein de la DLPAJ, par le bureau central des cultes.

La direction des libertés publiques et des affaires juridiques pilote également l'élaboration des circulaires d'instructions aux préfets. Au cours des dernières années, une circulaire a été publiée à peu près tous les dix-huit mois. La plus récente, datée du 26 décembre 2012 et dont M. Thirode et moi-même tenons le texte à votre disposition, rappelle les moyens d'action et les axes de travail des services du ministère de l'intérieur.

Les moyens d'action dont disposent ces services sont au nombre de quatre.

En premier lieu, ils peuvent s'appuyer sur l'expertise des dispositifs de soutien opérationnel mis en oeuvre au niveau national, notamment celle de la cellule d'assistance et d'intervention en matière de dérives sectaires (Caimades) au sein de l'Office central pour la répression des violences aux personnes ; cette cellule dispose d'une expertise précise des mouvements et des comportements susceptibles d'être qualifiés de dérives sectaires.

En deuxième lieu, les services du ministère de l'intérieur peuvent mobiliser les services territoriaux dans les départements. Les représentants des directions générales de la gendarmerie et de la police nationales ainsi que ceux du comité interministériel de prévention de la délinquance pourront vous donner de plus amples précisions à ce propos.

Les préfets ont à leur disposition plusieurs solutions : le groupe de travail spécifique mentionné dans la circulaire du 25 février 2008, les conférences départementales de la laïcité et de la liberté religieuse et les réunions de l'état-major de sécurité. Cette palette d'outils leur permet, selon les cas, d'associer uniquement les services de l'Etat ou d'élargir la réflexion, notamment aux associations et aux collectivités territoriales, afin d'apporter les meilleures réponses aux signalements opérés.

En troisième lieu, les services du ministère de l'intérieur ont reçu pour instruction de renforcer les liens avec tous les acteurs de la sécurité civile, notamment avec les collectivités territoriales et les associations d'aide aux victimes, qui disposent souvent d'informations auxquelles les services de l'Etat n'ont pas accès, ou pas dans les mêmes délais. Une conjugaison des moyens privés et publics est donc nécessaire.

En quatrième lieu, enfin, la circulaire du 26 décembre 2012 demande une association plus grande des départements ministériels et rappelle aux préfets qu'ils doivent se tourner vers la Miviludes et vers les structures centrales disposant du recul nécessaire pour mieux apprécier les situations locales.

En ce qui concerne les axes de travail pour l'année 2013, la circulaire du 26 décembre 2012 demande aux préfets de surveiller principalement deux phénomènes : les groupes apocalyptiques et les déviances guérisseuses. Ce programme a été défini en lien étroit avec la Miviludes, qui a mis en évidence dans un long rapport des déviances dans les domaines de la psychothérapie, des massages ou de la construction de la personnalité.

A propos des déviances apocalyptiques, et puisque certains avaient annoncé la fin du monde pour le 21 décembre dernier, je souligne que le bilan de cette journée a été très maigre... Il ne s'est quasiment rien passé, si ce n'est la présence sur place d'environ trois cents journalistes et trois cents badauds.

Toutefois, nous savons que certains groupes continuent de constituer des stocks de nourriture ou de préparer des camps retranchés. Notre vigilance continue donc de s'exercer sur ce type de mouvements, même s'il apparaît que le phénomène lié au 21 décembre 2012 a été surtout médiatique, les conséquences pratiques que l'on pouvait craindre ne s'étant heureusement pas produites ; reste que les services de l'Etat étaient bien entendu mobilisés.

Ces consignes ont été rappelées aux correspondants « laïcité » lors des journées des 12 et 13 novembre dernier.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, telle est la manière dont s'exerce, à l'échelon central, la vigilance à l'égard des mouvements susceptibles de susciter des dérives sectaires.

M. Alain Milon , président . - Monsieur le directeur, nous vous remercions de votre exposé.

Avant de donner à la parole à M. le rapporteur, qui a certainement de nombreuses questions à vous poser, je me permets de vous interroger - pour faire un peu l'importun : à qui a été envoyée la facture de la mobilisation des services pour le 21 décembre dernier ?

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Monsieur le président, cette mobilisation faisait partie des missions générales de l'Etat dans le domaine de la prévention des troubles à l'ordre public. En pareil cas, on n'envoie généralement pas de facture !

Je ne crois pas qu'il faille s'engager dans un système de facturation systématique, qui conduirait à rechercher la cause de tout événement troublant l'ordre public ; cela nous entraînerait dans des débats un peu compliqués.

Il reste que les initiatives publiques prises par ce genre de mouvements représentent assurément un coût pour la collectivité.

M. Alain Milon , président . - Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Monsieur le directeur, ne trouvez-vous pas un peu dommage que la circulaire la plus récente, qui prévoit que la surveillance des mouvements apocalyptiques doit être l'un des deux axes principaux de l'action des services de l'Etat, ait été publiée cinq jours après le 21 décembre ? Peut-être aussi étiez-vous très optimiste sur la survie de notre planète ! (Sourires.) Cette question me paraît légitime dans la mesure où cette circulaire extrêmement intéressante prévoit, outre le suivi attentif des déviances guérisseuses, celui des groupes apocalyptiques - mais peut-être est-ce un peu de mauvais esprit de ma part...

Monsieur le directeur, vous avez déclaré qu'il fallait s'attacher aux faits. Considérez-vous que toutes les procédures administratives prévues ont effectivement été mises en place ? Les commissions ad hoc ont-elles été constituées dans tous les départements ?

Pour être clair, si je vous pose la question, c'est qu'il a fallu que j'intervienne auprès du préfet de mon département, il y a deux ou trois mois, pour que la commission soit créée - je dis bien « créée », car elle ne l'avait même pas été. C'est pourquoi je vous demande si vous disposez d'un bilan de la mise en place de ces commissions dans tous les départements.

J'en viens à une question plus large : en matière de prévention et de lutte contre les dérives, considérez-vous que la législation existante est suffisante ? Si tel n'est pas le cas, quelles modifications souhaiteriez-vous voir apportées ?

Voilà pour ma première volée de questions ; j'en aurai deux autres ensuite.

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Je commencerai par la date de publication de la circulaire.

Je vous concède que, pour cette fin du monde-là (Sourires.) , la circulaire est arrivée trop tard. Peut-être peut-on imputer ce retard à la lourdeur de certains circuits administratifs et au fait que 2012 a été une année de changement politique. Il a fallu sensibiliser à nouveau les équipes des cabinets ministériels à cette préoccupation.

En tous les cas, nous avons publié, au cours des dernières années, une circulaire chaque année ou tous les dix-huit mois, et une autre en fin d'année définissant les programmes d'action pour l'année suivante. Cela ne me paraît pas être une mauvaise chose. Vous le voyez, cette question de la lutte contre les dérives sectaires continue d'être attentivement suivie et, en ce domaine, il n'y a ni rupture ni changement majeur.

S'agissant des groupes de travail, je concède qu'ils n'ont pas été mis en place dans tous les départements.

C'est une démarche pragmatique qui a été privilégiée.

Certaines préfectures nous rapportent qu'aucun signalement ne leur est parvenu. La lutte contre les dérives sectaires relève donc de priorités différentes selon les départements. Certains sont beaucoup plus engagés, parce que le phénomène y est beaucoup plus visible, les signalements plus nombreux, ou encore parce que les associations y sont peut-être plus actives. Dans d'autres départements, où le phénomène semble beaucoup avoir moins de relief, il est vrai que certaines préfectures n'ont pas mis en place ces structures ou organisent des réunions à intervalles beaucoup plus espacés.

Je ne pense pas qu'il faille imposer depuis Paris un rythme de réunion précis, comme tenu de la diversité de nos territoires et de leurs priorités. Dans ce domaine comme dans d'autres, nous laissons une certaine latitude aux autorités de l'Etat sur place.

Cela dit, votre rôle de parlementaires peut aussi être de rappeler aux autorités de l'Etat, qui sont vos correspondants privilégiés dans vos départements, l'importance que vous attachez à ce problème ou les informations qui vous ont été relayées et qui pourraient les conduire à mettre davantage l'accent sur les réunions de ces structures.

J'en viens à votre question sur la législation. Je pense que celle-ci est suffisante ; la circulaire de 2008 la détaille très abondamment. De très nombreux articles du code pénal incriminent des comportements susceptibles de s'appliquer à des dérives sectaires. Je ne vais pas en dresser la liste ici ; vous les connaissez bien. Certains concernent notamment le domaine de la santé.

La difficulté principale, je crois, c'est plutôt de faire « sortir » les affaires. Le droit existe, mais il nous faut réfléchir à la façon d'aider les victimes à porter plainte, une démarche qui est difficile pour elles. Les associations sont, à cet égard, des relais importants.

Il faut aider les victimes à sortir de l'emprise des mouvements sectaires et, une fois qu'elles y sont parvenues, à franchir ce nouveau pas qu'est le dépôt de plainte, puis les protéger pour éviter qu'elles ne restent sous l'influence ou la menace du mouvement qu'elles ont souhaité quitter.

Mais, dans de nombreux cas, nous avons constaté que les plaintes avec constitution de partie civile qui étaient déposées étaient par la suite retirées. C'est un souci important, mais je ne pense pas qu'il faille pour autant créer de nouvelles incriminations. D'abord, notre droit est déjà très complet. Ensuite, ce n'est pas en raison d'un défaut d'incrimination que les procédures n'ont pas abouti ces dernières années. C'est plutôt parce que, malgré l'existence du délit dans le code pénal, aucune action concrète n'était engagée par les victimes. C'est là notre souci et c'est pourquoi il faut effectuer, auprès des victimes, un travail de pédagogie et d'assistance, plutôt que de créer de nouvelles incriminations.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - J'entends bien, monsieur le directeur. Ce que vous venez de nous dire, nous le savons. Il est effectivement souvent difficile pour les victimes, ou les familles en cas de décès des victimes, d'intervenir devant les juridictions pénales. Mais ce n'est pas seulement par les victimes que l'action publique peut être mise en mouvement, et c'est là, semble-t-il, que des progrès pourraient être réalisés.

Il suffit d'aller sur Internet pour se rendre compte qu'il existe de nombreux praticiens ou groupes dont le comportement peut nuire ou nuit à la santé de nos concitoyens.

L'arsenal législatif, qui est important, paraît suffisant - il y a l'abus de faiblesse, les atteintes aux personnes physiques, c'est ce que vous avez rappelé dans la circulaire de 2008 - et permet d'intervenir avant même que des victimes ne le fassent. Toutefois, personnellement, je n'ai pas l'impression que ce soit souvent le cas. C'est pourquoi je souhaite connaître votre opinion sur ce point et la politique qu'entend suivre le ministère de l'intérieur dans ce domaine.

Existe-t-il une réelle veille ? Avec le développement d'Internet, il suffit de surfer pour se rendre compte qu'un certain nombre de personnages, travaillant assez souvent en réseau, sont en train de promouvoir des pratiques dangereuses pour la santé.

Notre souci n'est pas de sanctionner des expressions dont on peut penser ce que l'on veut, mais qui ne mettent pas en danger la vie de nos concitoyens. Notre objectif est qu'il soit fait preuve d'une plus grande fermeté et d'une plus grande vigilance. Comment concevez-vous aujourd'hui le rôle du ministère de l'intérieur en matière de prévention, en particulier par rapport au développement de l'internet dans ce domaine ?

M. Alain Milon , président . - Mme Catherine Génisson souhaiterait compléter la question de M. le rapporteur.

Mme Catherine Génisson . - Je ne me permettrais pas de compléter la question de M. le rapporteur ! J'irai simplement dans le même sens que lui.

Vous nous avez indiqué, monsieur le directeur, que vous agissiez en fonction des faits. Votre rôle relève-t-il d'une politique du constat et d'une action à partir du constat ? N'est-il pas tout de même nécessaire d'avoir une politique d'investigation dès l'amont ? Cela justifierait comme une nécessité, voire comme une obligation, la sensibilisation, la mobilisation des services du ministère de l'intérieur sur l'ensemble de notre territoire.

Vous avez tout à fait raison de dire qu'il faut faire « sortir » les affaires. Cela suppose peut-être aussi de définir plus clairement, voire plus explicitement, les relations que le ministère de l'intérieur doit avoir avec les autres partenaires de l'action publique : le ministère de la santé, le ministère de la justice, les milieux associatifs. Vous avez beaucoup parlé de la Miviludes, bien évidemment.

D'après les auditions auxquelles nous avons procédé, je pense vraiment que nous vivons un réel danger en raison non seulement d'actions très sporadiques, mais aussi des mises en réseau. Heureusement ou malheureusement, Internet est un support incontournable et d'une efficacité redoutable. Au-delà du constat des faits, il me semble donc nécessaire d'aller plus loin en amont.

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Je ne suis pas sûr que le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques soit le plus qualifié au ministère de l'intérieur pour vous répondre.

Les services de police et de gendarmerie mènent, sur le terrain, une action de renseignement pour détecter les communautés et les praticiens qui se livrent à des comportements susceptibles d'être qualifiés de sectaires. Mais je ne pense pas que tout exercice illégal de la médecine soit nécessairement constitutif d'une dérive sectaire, même si cet autre sujet est assez proche de celui qui nous réunit. Ce qui nous préoccupe davantage, c'est l'emprise psychologique ou physique que ces praticiens peuvent exercer sur les personnes.

A partir de cette action de renseignement, des informations sont échangées et des affaires particulières sont signalées. Peut-être peut-on envisager, en effet, en liaison avec la Chancellerie, l'envoi d'une circulaire de politique pénale pour rappeler ces axes.

Je ne sais pas à quand remonte la dernière circulaire de politique pénale. Ma collègue directrice des affaires criminelles et des grâces à la Chancellerie, que vous auditionnez juste après nous, pourra vous en dire davantage.

Pour notre part, nous sommes entièrement disposés à mieux coordonner l'action publique. Nous y veillons dans nos contacts avec les autres ministères, dans le domaine de la laïcité comme, je l'ai dit, dans celui de la lutte contre les dérives sectaires en liaison avec la Miviludes, pour favoriser cette coordination et cette action plus « proactive », comme vous l'avez souhaité, madame le sénateur, monsieur le rapporteur, et pas seulement en réaction à des informations qui nous sont communiquées.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Monsieur le directeur, je crois que tout est lié. Vous nous indiquiez que, dans un certain nombre de départements, les préfets n'avaient pas mis en place les instruments administratifs adéquats, car ils n'en avaient pas ressenti la nécessité, aucune affaire n'étant remontée jusqu'à eux. Mais je crois qu'il ne faut pas partir de ce système-là. A partir du moment où des dispositifs sont prévus par la loi et le règlement, on peut s'interroger sur les raisons pour lesquelles ils ne sont pas mis en place !

Mme Catherine Génisson . - Tout à fait !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - D'ailleurs, le fait que des préfets puissent de leur propre chef, jugeant que ce n'est pas utile, considérer qu'ils n'ont pas à mettre en place un certain nombre de mécanismes paraît assez grave. Si l'on faisait de même dans tous les domaines, l'Etat serait alors dans une situation bien précaire !

Par conséquent, la première chose à faire est de veiller à ce que soit mis en place tout ce qui doit l'être de par la loi et le règlement.

J'ai une autre question concernant l'application de la loi dite « About-Picard » du 12 juin 2001, dont vous rappelez l'un des dispositifs dans la circulaire de 2008. A votre connaissance, y a-t-il eu, depuis cette loi, ce qui n'était pas le cas en 2008, des cas de dissolution judiciaire à la demande de votre ministère ? Un certain nombre de structures qui fonctionnent selon le mécanisme associatif justifieraient l'application de cette loi.

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Sur ce dernier point, à ma connaissance, non.

M. Alain Milon , président . - La parole est à M. Louis-Xavier Thirode.

M. Louis-Xavier Thirode, chef du bureau central des cultes . - Pour compléter l'organisation et le suivi à l'échelon départemental, deux éléments sont à prendre en compte.

D'abord, il existe sur le terrain une multiplicité d'outils. Des rencontres ont lieu, sous de multiples formes, entre les services de police et de gendarmerie, le préfet, le procureur. Par conséquent, l'absence, dans certains départements, de réunion des groupes de travail propres aux dérives sectaires - c'est un fait - ne signifie pas que les questions ne sont jamais abordées. Un certain nombre d'affaires sont aussi examinées à l'occasion des réunions de police, qui, en règle générale, sont hebdomadaires, et des réunions avec le procureur, qui sont, elles, mensuelles.

Ensuite, je pense qu'il est nécessaire d'effectuer un suivi plus opérationnel et pragmatique des mouvements dans les départements où l'on a connaissance de faits particulièrement graves ou perturbants, grâce à une sorte de pilotage plus personnalisé. C'est le sens de la réflexion de la Miviludes et du ministère cette année.

En effet, nous avons essayé de mettre en place une nouvelle méthode, à savoir un tableau de suivi conjoint des grands mouvements ou des grandes questions qui peuvent se poser dans les départements, afin de permettre aux préfets et aux services de police de mener leurs recherches de manière plus « proactive », pour reprendre un terme qui a été utilisé.

Tel est aussi le sens de la circulaire publiée cette année qui, pour une première fois dans ces perspectives, fait état de deux axes de travail précis à fouiller et à creuser. En termes de recherche du renseignement, la démarche sera donc un petit peu plus active qu'elle ne l'a été.

Pour ce qui est de la publication de la circulaire après le 21 décembre, deux éléments ne doivent pas être exclus de la réflexion. Tout d'abord, si la fin du monde n'a pas eu lieu à cette date, les mouvements, eux, perdurent. De plus, des phénomènes de décompensation et de déstabilisation des groupes sont toujours susceptibles de se produire, tout comme des gourous peuvent avoir envie notamment d'organiser la fin du monde pour leur propre groupe...

Les activités se poursuivent, notamment dans le Sud, où se mettent en route de nombreux de groupes « survivalistes » sur lesquels une surveillance est exercée. Sur ce plan-là, l'actualité se poursuit donc au-delà du 21 décembre.

M. Alain Milon , président . - La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard . - Monsieur le directeur, je voulais réagir aux premiers propos que vous avez tenus, mais le rapporteur l'ayant fait pour moi, je n'insisterai pas.

Je souhaite toutefois souligner que les lois de la République s'appliquent dans tous les départements, quel que soit le préfet, quel que soit le département. Par conséquent, si une circulaire du ministère de l'intérieur précise qu'il est indispensable de tenir une réunion annuelle des services concernés pour faire un point d'étape, en quelque sorte, sur les dérives sectaires dans le département, il faut s'exécuter sans discussion et organiser cette réunion ! Et peu importe qu'aucune association ou que personne n'ait déposé de plainte ou fait remonter quoi que ce soit.

Il me paraît indispensable que la consigne soit appliquée avec la rigueur républicaine nécessaire.

J'en viens maintenant à mes différentes questions.

Pour les dérives sectaires, une veille sur Internet efficace est-elle selon vous possible, même si, dans ce domaine, on sait bien que c'est extrêmement compliqué, et pourrait-elle être étendue à l'ensemble des moyens de communication, y compris la presse ?

J'ai eu la chance de passer une semaine en Auvergne - région que connaît bien notre rapporteur ! Dans la Montagne , j'ai pu lire tous les jours des petites annonces où tel ou tel gourou proposait ses services. Certes, ce phénomène existe dans tous les journaux et partout, en Bretagne, en Pays-de-la-Loire, donc pas seulement en Auvergne !

Il ne s'agit pas forcément d'une dérive sectaire, mais nous n'en sommes pas loin. En tout cas, nous sommes proches de la manipulation mentale ou psychologique. Je suis donc surpris que nous ne nous donnions pas les moyens de cette vigilance minimale pour éviter à tout le moins la publicité faite par ces personnes-là.

Vous avez commencé votre intervention, monsieur le directeur, en disant qu'à l'échelon central vous ne disposiez que de six personnes pour exercer cette responsabilité. Pensez-vous que les moyens dont vous êtes dotés sont suffisants ? Une vigilance décentralisée ne serait-elle pas plus efficace ? En vous posant la question, je ne souhaite pas vous mettre dans l'embarras, mais la réponse m'intéresse !

Dernière question : nous avons eu des contacts fort intéressants avec la Miviludes. Nous avons été malheureusement surpris d'apprendre que, dans l'exercice de leurs fonctions au cours de leur mandat, des responsables de cette mission étaient parfois mis en difficulté sur le plan judiciaire. Des avancées législatives ne seraient-elles pas intéressantes pour éviter aux membres de la Miviludes des problèmes juridiques ?

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Je ne vais peut-être pas répondre à vos questions dans l'ordre dans lequel vous les avez posées.

S'agissant des moyens des services, l'effectif du bureau central des cultes est passé, en 2011, de trois à six personnes. J'aurais donc mauvaise grâce à me plaindre, même si nous, directeurs, sommes tous contraints de réfléchir à nos missions et à nos moyens pour accompagner une réduction d'effectifs, et s'il est vrai que, lorsque celle-ci se poursuit plusieurs années consécutives, cela finit par faire beaucoup !

Mais nous développons d'autres techniques. A la DLPAJ, nous avons numérisé tout le traitement des dossiers contentieux. Cela nous permet quelques économies et une meilleure organisation du travail rendant possible le redéploiement des personnels sur des missions qui nécessitent plus de valeur ajoutée humaine.

Je ne vais pas réclamer plus ici. Il est certain que, si nous étions beaucoup plus nombreux, nous ferions davantage. Mais, je vous le disais, la DLPAJ compte dix-sept bureaux et assume de nombreuses autres missions. Le bureau central des cultes travaille bien avec une équipe petite, mais motivée. Il règle les questions de laïcité - c'est son coeur de métier -, il a des relations avec le représentant des cultes et traite avec la Miviludes pour la lutte contre les dérives sectaires.

Franchement, de ce côté-là, je crois que c'est bien. Il faut qu'une administration centrale ait les moyens d'impulser une politique, mais son application sur le terrain relève des services déconcentrés qu'il ne faut pas non plus dégarnir de trop. Ils ont besoin aussi de moyens humains !

S'agissant de la mise en difficulté de membres de la Miviludes, je crois qu'il faudrait tout de même savoir si la Miviludes est le seul organisme administratif faisant l'objet de ce genre d'attaques. Être critiqué et éventuellement mis en cause devant les juridictions, n'est-ce pas un risque inhérent à l'exercice de toute responsabilité ?

Si responsabilité civile il y a, la personne mise en cause est généralement couverte par la « faute de service » devant les juridictions administratives. En cas de responsabilité pénale, il existe des mécanismes de protection juridique, de protection fonctionnelle, par lesquels les administrations peuvent apporter leur soutien, lequel peut aller jusqu'à la prise en charge des dépenses d'avocats des personnes mises en cause.

Je ne dis pas que cela supprime tout tracas à ces personnes, loin de là ! Simplement je m'interroge sur le périmètre des personnes qui seraient ainsi protégées.

S'agissant d'Internet, l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication, l'OCLCTIC, dispose de « cyberpatrouilleurs » qui peuvent se faire passer pour des personnes ordinaires et ainsi permettre de démasquer certaines pratiques.

Par ailleurs, les services de renseignement, de police et de gendarmerie me semblent assez vigilants. Je ne connais pas le détail de leurs activités, mais je pense que votre question pourra être utilement posée aux représentants de ces services.

L'internet, avec tous les avantages qu'il procure, est aussi source de dangers et, dans le domaine pénal, à double titre. En effet, le nombre de victimes potentielles est très aisément démultiplié et le sentiment d'impunité chez les auteurs conduit sans doute au développement d'une délinquance particulière sur Internet. C'est l'une des préoccupations du ministère et des services de police et de gendarmerie. Cette préoccupation n'est pas nouvelle, mais sera probablement d'une plus grande actualité encore au cours des prochains mois.

M. Alain Milon , président .- La parole est à M. Alain Fauconnier.

M. Alain Fauconnier . - J'ai deux questions.

La première porte sur les associations loi 1901.

Dans ma collectivité, je fais relever à peu près tous les mois les déclarations de nouvelles associations. Lorsque mes services ou d'autres services attirent mon attention sur un problème éventuel, je transmets à la gendarmerie, qui en fait ce qu'elle a à en faire.

Sans être spécialiste des sectes, on constate globalement qu'entre 30 % et 40 % des associations recensées chaque mois sont en fait des couvertures pour des pratiques curieuses.

Les associations ont des obligations réglementaires : tenir une assemblée générale, déclarer leurs comptes. Si vous avez un doute, qu'est-ce qui est mis en oeuvre pour obliger ces structures à respecter un minimum de règles, les mêmes que celles qui sont appliquées aux autres, qu'il s'agisse de la pratique du football, du rugby ou de la danse, par exemple ?

Ma seconde question porte sur le problème du lien entre l'Education nationale et le ministère de l'intérieur sur ces sujets-là.

Mes services constatent très souvent que, derrière la pseudo-scolarisation à domicile, un certain nombre d'enfants sont, en fait, déscolarisés. Les services de l'Etat, Éducation nationale ou services sociaux divers et variés, sont totalement démunis et ne peuvent que constater ces situations. Qu'avez-vous l'intention de faire ? Ce sont des enfants qui sont touchés et c'est le plus souvent par ce biais que des scandales particuliers ont été révélés.

Mon territoire - je ne sais pas s'il est qualifié de « sensible » par votre administration -, le sud Aveyron -, compte une quantité non négligeable d'enfants déscolarisés - scolarisés à la maison, paraît-il ! - et de plus en plus de situations, à mon avis dangereuses, me sont signalées par les services sociaux.

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Avec Louis-Xavier Thirode, nous allons nous partager les réponses à apporter à vos questions.

Selon le répertoire national des associations, qui recense toutes les associations déclarées, il existe près de deux millions d'associations, dont environ un million sont considérées comme vivantes, soit près de 10 000 associations par département à suivre, monsieur le sénateur... Même si les associations ont des obligations (la réunion de leurs organes dirigeants, par exemple) il n'existe aucun contrôle et l'on ne peut pas exercer de suivi précis.

L'État se concentre sur les associations reconnues d'utilité publique, qui sont environ 2 000, et sur les associations qui remplissent des missions de service public : vous avez cité le domaine sportif, mais il faut aussi considérer les associations qui oeuvrent dans le domaine social. Je dois également signaler les associations qui disposent d'une certaine surface financière, celles qui reçoivent plus de 153 000 euros, soit de dons, soit de subventions, et qui ont l'obligation de publier leurs comptes. Celles-là font l'objet d'un suivi beaucoup plus attentif. Les associations qui font appel à la générosité publique relèvent de la juridiction de la Cour des comptes.

Pour toutes les petites associations, comme vous l'avez indiqué, le suivi consiste en une attention particulière, un signalement qui peut être transmis aux services de police et de gendarmerie.

Je ne vois pas comment on pourrait, tout en respectant la liberté d'association, demander à vérifier des comptes rendus d'activité que nous ne pouvons pas exiger.

Je laisse Louis-Xavier Thirode vous répondre sur la déscolarisation.

M. Louis-Xavier Thirode , chef du bureau central des cultes . - Il s'agit, plus généralement, de cours à domicile. Nous ne sommes pas forcément les plus qualifiés pour répondre sur cette question, qui relève davantage du ministère de l'éducation nationale. Néanmoins, elle fait écho à des débats que nous avons eus lors du dernier Comité exécutif de pilotage opérationnel de la Miviludes, car elle se pose également pour d'autres types de mouvements religieux.

L'affaire Tabitha's Place , dont vous avez certainement entendu parler, est un archétype à cet égard. Il faut savoir que les questions d'enseignement sont assez bien balisées lorsqu'une école se déclarant comme telle est mise en place. Des contrôles préalables et postérieurs à l'ouverture sont effectués. Ils sont relatifs à la pédagogie, d'une part, et à la sécurité, d'autre part. On peut se demander s'ils sont suffisants et s'il ne serait pas souhaitable d'envisager aussi un contrôle du contenu des enseignements.

En revanche, on rencontre des difficultés pour contrôler tout ce qui se développe en marge de ce système, comme les cours à domicile ou les associations ne déclarant pas l'ouverture d'une école. Un phénomène de déscolarisation peut alors apparaître, concernant un certain nombre de modes d'éducation susceptibles d'intéresser votre commission d'enquête, mais aussi des mouvements religieux plus radicaux ou fondamentalistes.

M. Alain Milon , président . - La parole est à Mme Catherine Génisson.

Mme Catherine Génisson . - S'agissant de la scolarisation à domicile, au-delà des structures mises en place par certains mouvements, des parents peuvent se sentir investis d'un pouvoir suprême sur leurs enfants et devenir les promoteurs d'un tel mode d'éducation. Il est difficile de les persuader d'agir autrement.

Puisque nous discutons des dérives sectaires et de leurs incidences sur la santé, je rappelle que cette problématique concerne deux ministères, ceux de la santé et de l'intérieur.

Le ministère de la santé a été profondément réorganisé, avec en particulier la création des agences régionales de santé, dont il n'est pas question de remettre en cause le bien-fondé. Toutefois, un certain nombre de préfets nous indiquent que cette nouvelle organisation dissocie fortement, dans bien des domaines, par exemple la prévention des catastrophes, leur action de celle des directeurs généraux de ces agences, que l'on pourrait presque qualifier de « préfets sanitaires ». On observe notamment des difficultés relationnelles entre les uns et les autres. Ne croyez-vous pas nécessaire d'assurer une meilleure transversalité et d'établir des liens beaucoup plus forts, à l'échelon tant national que territorial ? Je rejoins ainsi la préoccupation exprimée tout à l'heure par M. le rapporteur quant à la mise en place de réunions de commissions et groupes de travail prévus au niveau départemental, afin de pouvoir recueillir un maximum de renseignements et d'être ainsi plus efficaces en matière de prévention des dérives sectaires.

M. Alain Milon , président . - La parole est à M. Alain Fauconnier.

M. Alain Fauconnier . - En évoquant tout à l'heure une déscolarisation ou une pseudo-scolarisation à la maison, je pensais à une secte installée sur mon territoire, qui a l'« habileté » de dispenser un enseignement aux enfants sans avoir ouvert une école. Les assistantes sociales et les services de l'éducation nationale rencontrent d'énormes difficultés pour lui faire simplement respecter la loi. Le problème, qui perdure et excède tout le monde, relève en fait de la police et de la justice.

M. Alain Milon , président . - La parole est à M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques.

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Madame la sénatrice, je partage votre préoccupation d'assurer une meilleure transversalité à l'échelon territorial, à l'image de celle que nous nous efforçons de mettre en place entre administrations centrales.

N'ayant jamais exercé de fonctions préfectorales, je ne suis sans doute pas le plus qualifié pour évoquer cette question, mais je sais que les préfets, qui représentent pourtant l'ensemble des ministres, rencontrent des difficultés pour bien coordonner l'action des services de certaines administrations de l'Etat.

M. Alain Milon , président . - La parole est à Mme Gisèle Printz.

Mme Gisèle Printz . - On a l'impression qu'on a peur d'intervenir contre ces sectes ! Tout se passe comme si on ne pouvait rien faire contre elles, comme si elles bénéficiaient de protections. Il doit tout de même exister des moyens d'agir !

M. Alain Milon , président . - La parole est à M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques.

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Je tiens à vous rassurer, madame la sénatrice, je n'ai pas peur ! (Sourires.) Je ne pense pas que beaucoup de fonctionnaires aient peur d'intervenir. Ce qui est difficile, c'est d'appréhender les comportements de ces mouvements, qui sont, cela est vrai, particulièrement habiles à se jouer des législations et des contrôles. Ils exercent en outre une pression psychologique sur les personnes soumises à leur emprise, ce qui entrave largement l'émergence du phénomène. En tout état de cause, les difficultés ne tiennent absolument pas à une crainte ou à un désintérêt des services de l'Etat.

Plusieurs d'entre vous l'ont dit, nous ne sommes peut-être pas organisés de la meilleure façon pour concentrer, à un moment donné, les contrôles et les actions sur les mêmes mouvements, comme cela se fait pour lutter contre d'autres formes de délinquance. Il est vrai que lorsqu'on soupçonne la commission d'infractions à caractère sectaire au sein d'un mouvement, la coordination de l'ensemble des contrôles administratifs, policiers, sociaux et fiscaux permettrait probablement d'obtenir de meilleurs résultats. C'est sans doute là une piste de travail intéressante.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous nous dites, monsieur Touvet, que l'on n'utilise pas forcément les bonnes méthodes. Puisque vous êtes chargé de mettre en oeuvre la législation relative aux cultes, dont relève la répression des dérives sectaires, je souhaiterais connaître vos préconisations en la matière.

Je voudrais abonder dans le sens de mes collègues. En tant que président d'une communauté d'agglomération, je suis invité tous les ans à participer à une commission administrative sur la protection de la chauve-souris qui réunit une quarantaine de représentants de diverses collectivités et administrations...

Mme Christiane Kammermann . - Il y a des choses plus importantes !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Pas un préfet en France n'oublie d'organiser de telles réunions ! Je ne doute pas que ce ne soit extrêmement important en matière de protection de la biodiversité, mais il serait bon que les préfets fassent preuve de la même diligence pour ce qui concerne la lutte contre les dérives sectaires.

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Monsieur le rapporteur, il s'agit justement de l'une des instructions de la circulaire du 26 décembre 2011 : le préfet doit veiller à réunir, au moins une fois par an et en tant que de besoin en fonction des nécessités locales, le groupe de travail spécifique mentionné dans la circulaire de 2008.

Nous serons particulièrement attentifs, notamment pour ce qui concerne la remontée d'informations, à ce que les préfectures s'étant signalées par un certain manque de vigilance en la matière au cours de ces dernières années s'investissent davantage en 2013.

M. Alain Milon , président . - Pour rebondir sur l'intervention de M. le rapporteur, j'indique que j'ai eu hier une réunion de travail avec le préfet de Vaucluse, qui s'oppose à l'installation sur mon territoire d'une zone d'activité de 100 hectares, avec 700 emplois à la clé, au seul motif qu'elle se trouverait à moins de trois kilomètres d'un lieu où vivent des chauves-souris. On est vraiment dans l'aberration complète !

Pour terminer cette audition, messieurs Touvet et Thirode, je voudrais vous interroger sur les points suivants.

Tout d'abord, l'ensemble de nos collègues ont souligné la nécessité d'une bonne coopération entre les différents services de l'Etat : existe-t-il une coopération du même type au niveau européen ? Sinon, ne conviendrait-il pas de la mettre en place ? Internet permet en effet à certains mouvements de mener leur action sans tenir compte des frontières.

Ensuite, vous avez évoqué tout à l'heure l'émergence de nouvelles communautés non religieuses : pouvez-vous développer ce point ?

Enfin, la communauté des Béatitudes est issue de la religion catholique : d'autres grandes religions sont-elles propices à l'apparition de sectes de ce type ?

M. Laurent Touvet, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques . - Je l'ai dit, la DLPAJ participe à la coopération interministérielle dont la mise en oeuvre est confiée à la Miviludes. Cette dernière a des contacts avec ses homologues européens. Dans le même esprit, les services de police et de gendarmerie de différents États européens échangent bien sûr des renseignements, comme ils le font dans d'autres domaines, pour d'autres types de délinquance. Je n'ai pas, pour ma part, de contacts personnalisés avec mes homologues d'autres pays de l'Union européenne.

S'agissant des nouvelles communautés religieuses, le chef du bureau central des cultes me semble mieux placé pour vous fournir des détails. Je lui cède donc la parole.

M. Louis-Xavier Thirode, chef du bureau central des cultes . - Au préalable, pour revenir sur la remarque de M. le rapporteur, ne doutez pas que le travail policier d'investigation et de poursuite judiciaire au niveau local est réalisé. La difficulté, en matière d'organisation de la lutte contre les dérives sectaires, tient sans doute à la multiplicité des organismes susceptibles d'intervenir à l'échelon local, qui peut entraîner une certaine confusion. Si les préfets ne réunissent pas le groupe de travail spécifique, c'est peut-être parce qu'ils organisent leur action au sein d'autres instances.

Cette action des préfets revêt deux dimensions.

Quand une affaire présente une certaine importance ou a des ramifications dans plusieurs départements, ils adressent un signalement à l'échelon central. La Caimades, la cellule d'assistance et d'intervention en matière de dérives sectaires, peut alors entrer en action.

Sinon, ils effectuent simplement un travail judiciaire au niveau local. En tout état de cause, des informations judiciaires sont ouvertes, des signalements sont effectués tant au niveau local qu'au niveau national.

La Miviludes et le ministère en sont tombés d'accord cette année : mettre en place une recherche proactive de renseignements et examiner précisément, conjointement avec l'administration centrale, ce qui se passe dans quelques départements ciblés où se manifestent des phénomènes sectaires importants pourrait vraiment représenter un « plus ». La Miviludes et le ministère ont décidé de retenir cette méthodologie.

J'en viens aux communautés nouvelles. Il s'agit d'une terminologie surtout employée dans l'Eglise catholique, pour désigner des mouvements charismatiques nés à la fin des années soixante-dix ou au début des années quatre-vingt. Ces mouvements se sont développés soit en relation directe avec Rome, soit autour de personnalités particulièrement charismatiques, soit au bénéfice d'une moindre autorité diocésaine. Même s'il convient de ne pas le surestimer, ce phénomène est une réalité, qui s'incarne aujourd'hui dans des associations et des congrégations nouvelles, revendiquant davantage d'autonomie par rapport à l'organisation traditionnelle de l'Eglise. L'une d'entre elles, la communauté des Béatitudes, a défrayé la chronique, mais il en existe de nombreuses autres qui exercent tranquillement leurs activités en France aujourd'hui.

On assiste à l'autonomisation d'un certain nombre de courants religieux dans tous les cultes, plus particulièrement au sein de l'Islam, où il n'existe pas d'autorité religieuse clairement affirmée, ce qui est propice à la fragmentation en communautés pouvant être amenées à se replier sur elles-mêmes. Une telle situation est problématique, surtout quand ces mouvements prônent des valeurs fondamentalistes, ce qui aboutit parfois à une rupture du lien social et au développement d'une économie autarcique.

C'est une tendance préoccupante, contre laquelle les cultes institués essaient de lutter en exerçant un contrôle plus étroit ou en réaffirmant leur autorité sur les nouveaux mouvements.

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, avez-vous d'autres questions à poser ?...

Monsieur le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques, monsieur le chef du bureau central des cultes, nous vous remercions de vos réponses.

Audition de Mme Marie-Suzanne LE QUEAU, directrice des affaires criminelles et des grâces (mercredi 9 janvier 2013)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous poursuivons notre travail par l'audition de Mme Le Queau, directrice des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice depuis juillet 2012. Il s'agit de la première audition d'un responsable de ce ministère, lequel joue un rôle décisif dans la lutte contre les dérives sectaires.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public sur le fait qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence.

Je précise que cette commission d'enquête a été constituée sur l'initiative du groupe RDSE, dont M. Mézard, notre rapporteur, est le président.

Madame la directrice, je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous faire prêter serment. Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Mme Le Queau, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Mme Marie-Suzanne Le Queau . - Je le jure.

M. Alain Milon , président . - Je vous remercie, madame la directrice.

Je suggère que vous nous présentiez un court exposé introductif. M. le rapporteur et les membres de la commission d'enquête vous poseront ensuite leurs questions, qui seront sans doute nombreuses !

Vous avez la parole, madame la directrice.

Mme Marie-Suzanne Le Queau, directrice des affaires criminelles et des grâces . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion d'expliquer l'action du ministère de la justice dans toutes ses composantes - c'est-à-dire la chancellerie et, sur le terrain, les parquets généraux et les parquets - en matière de lutte contre les dérives sectaires. Je précise que mon intervention se limitera au champ pénal, qui est le champ de compétence de ma direction.

Je me propose, dans cet exposé introductif, de rappeler de quel arsenal législatif dont nous disposons, d'exposer la politique pénale mise en oeuvre et les modalités de son application au travers des enquêtes et des condamnations intervenues, et, enfin, de présenter l'organisation mise en place par le ministère de la justice pour assurer la cohérence de l'ensemble du dispositif.

S'agissant de l'arsenal législatif, je rappelle que le mot « secte » n'est pas défini dans notre droit positif, conformément au principe de la laïcité et de la liberté de conscience.

Les dérives sectaires font néanmoins l'objet, dans la circulaire du 19 septembre 2011, de la définition suivante : il s'agit des « atteintes portées par tout groupe ou tout individu à l'ordre public, à la sécurité ou à l'intégrité des personnes par la mise en oeuvre de techniques de sujétion, de pression ou de menace, ou par des pratiques favorisant l'emprise mentale et privant les personnes d'une partie de leur libre arbitre ».

Cette définition est partagée par un certain nombre d'acteurs intervenant dans le champ des dérives sectaires, puisqu'elle reprend, ni plus ni moins, celle qui est présentée dans le guide élaboré par la Miviludes. Il existe donc une sorte de consensus sur les termes mêmes de la définition des dérives sectaires.

Dans le champ pénal, les dérives sectaires sont appréhendées à la fois par des infractions de droit commun et par une infraction spécifique, à savoir le délit d'abus frauduleux de l'état de faiblesse.

En ce qui concerne les investigations générales, donc de droit commun, on sait que les dérives sectaires peuvent, en pratique, prendre différentes formes, notamment celle d'atteintes aux personnes ou aux biens. On retrouve de manière très classique, si je puis dire, les infractions réprimées par le code pénal que sont, dans le champ des atteintes aux biens, l'escroquerie, l'abus de confiance, l'extorsion de fonds, et, dans le champ des atteintes aux personnes, l'homicide involontaire ou les blessures involontaires, la non-assistance à personne en danger, les agressions sexuelles, la corruption de mineur.

Au-delà du code pénal, certains comportements sont réprimés par des codes spécifiques, notamment le code de la santé publique pour ce qui concerne l'exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie. D'autres infractions relèvent du code de la construction et de l'habitation, du code général des impôts, du code du travail - je pense notamment à l'incrimination de travail dissimulé -, de la législation sur l'obligation scolaire ou du code des douanes.

La spécificité du champ des dérives sectaires tient à l'introduction dans notre droit positif, en 2001, d'un nouvel article 223-15-2 du code pénal, qui réprime le délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse. Ce délit a été créé pour permettre la répression de la sujétion mentale. S'appuyant sur le délit classique d'abus de faiblesse, le législateur a prévu un cas particulier, celui de la personne « en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement ». L'objectif était double : d'une part, protéger les victimes des dérives sectaires ; d'autre part, sanctionner spécifiquement le processus d'emprise mentale.

De plus, en matière de répression, une circonstance aggravante a été instaurée. Les peines « classiques » sont de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende ; en cas de circonstance aggravante, elles sont de cinq ans d'emprisonnement et de 750 000 euros d'amende.

Enfin, la répression des personnes morales a été prévue à l'article 223-15-4 du code pénal.

Comment cet arsenal législatif a-t-il été mis en oeuvre par la chancellerie ?

Dans le domaine des dérives sectaires, trois circulaires sont intervenues. La première, ancienne, est celle du 29 février 1996, relative à la lutte contre les atteintes aux personnes et aux biens commises dans le cadre des mouvements à caractère sectaire. A l'époque, on parlait de sectes, et non pas de dérives sectaires. Cette circulaire reprenait d'ailleurs les dix critères révélateurs de dérives sectaires qui avaient été identifiés dans le rapport parlementaire de 1995.

La circulaire du 1 er décembre 1998, quant à elle, a mis l'accent sur le travail en partenariat entre les magistrats du parquet et l'ensemble des acteurs concernés.

Enfin, la circulaire fondatrice du 19 septembre 2011 fixe la doctrine d'action des parquets et des parquets généraux.

Cette dernière circulaire reprend d'abord l'arsenal législatif que je viens de vous exposer. Elle précise ensuite les axes d'enquête pénale en cas de dérives sectaires alléguées. L'attention des magistrats est attirée sur deux points : en premier lieu, sur les éléments constitutifs du délit spécifique d'abus frauduleux de l'état de faiblesse réprimé par l'article 223-15-2 du code pénal ; en second lieu, sur la nécessité d'avoir recours à des services enquêteurs spécialisés.

S'agissant des éléments constitutifs, il est demandé aux magistrats, afin de rassembler des preuves lors des enquêtes, d'avoir recours à l'expertise psychiatrique et psychologique des victimes. Il leur est également demandé d'examiner si l'état de sujétion psychologique est dû à des pressions ou à des techniques propres à altérer le jugement. Afin de caractériser cet élément, il est recommandé aux magistrats de procéder à toute une série d'auditions. Une fois que cet état de sujétion psychologique a été caractérisé et qu'il a pu être imputé à la mise en oeuvre de pressions ou de techniques de cet ordre, il convient de vérifier s'il a entraîné des actes ou des abstentions gravement préjudiciables aux victimes dans le champ professionnel, dans le champ de la santé ou dans le champ familial ou affectif.

Les magistrats du parquet ou les magistrats instructeurs, dans le cadre de la direction des enquêtes qui leur incombent, doivent appeler l'attention des services enquêteurs sur ces points pour tenter de caractériser cet abus de l'état de faiblesse et entraîner ensuite, le cas échéant, la conviction des formations de jugement.

Bien évidemment, la complexité de ces enquêtes et leur technicité supposent de recourir à des services d'enquête spécialisés. C'est pourquoi il est demandé aux magistrats de saisir en priorité l'Office central pour la répression des violences aux personnes, l'OCRVP, notamment la cellule d'assistance et d'intervention en matière de dérives sectaires (Caimades). Ces services enquêteurs ont en effet l'habitude de mener ce type d'investigations.

Le troisième point évoqué dans la circulaire concerne la relance des dispositifs partenariaux, afin de travailler en lien avec les associations - en tout premier lieu par le biais de la Miviludes -, d'une part, et avec les préfets, d'autre part, dans le cadre des conseils départementaux de prévention de la délinquance, d'aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes.

Quels ont été les résultats enregistrés sur le terrain en termes d'enquêtes et de condamnations ?

En matière de données statistiques, la direction des affaires criminelles et des grâces a mis en place en 2011, avec toutes les précautions qui s'imposent, une sorte de tableau de bord reprenant le stock des procédures à partir de 2006. Nous avons ainsi enregistré, sur cette base, quatre-vingt-quinze dossiers, dont soixante-cinq sont toujours en cours et trente sont terminés.

S'agissant des soixante-cinq dossiers en cours, vingt-cinq sont liés à des dérives sectaires dans le domaine de la santé et trente concernent l'infraction d'abus frauduleux de l'état de faiblesse. Les autres infractions en cause sont celles de droit commun que j'ai évoquées tout à l'heure. Sur ces soixante-cinq dossiers, trente-cinq sont partis à l'instruction, c'est-à-dire qu'ils ont fait l'objet de l'ouverture d'une information judiciaire, et trente sont encore au stade de l'enquête.

S'agissant des trente dossiers terminés, onze ont donné lieu à condamnations et treize ont fait l'objet d'un classement sans suite par le parquet ou d'une ordonnance de non-lieu rendue par le magistrat instructeur. Enfin, six signalements ont été classés sans suite sans enquête. En effet, si le principe affiché dans la circulaire est l'enquête quasiment systématique, cette dernière ne sera bien évidemment diligentée par le procureur que si le signalement est suffisamment étayé et si les faits dénoncés sont susceptibles de recevoir une qualification pénale, un signalement pouvant ne relever que du domaine civil, en l'absence d'infraction.

Voilà ce que l'on peut retenir des données statistiques. Il faut bien voir que les enquêtes sur le terrain sont très difficiles. Je vous ai exposé les différents éléments constitutifs dont il fallait démontrer l'existence. C'est une question d'administration de la preuve : comment recueillir des preuves en cette matière alors que, très souvent, le mouvement concerné a un caractère clandestin ? Aujourd'hui, ce que l'on peut observer au vu des informations qui remontent du terrain, c'est que l'on a surtout affaire à de petits groupes isolés, qu'il peut être difficile d'identifier. De plus, les victimes, tant qu'elles sont à l'intérieur de mouvements sectaires, ne vont pas forcément déposer plainte. Enfin, il est ardu de recueillir des témoignages de proches ou de tiers afin de caractériser les éléments constitutifs. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles vous pourriez peut-être, mesdames, messieurs les sénateurs, être déçus par les chiffres que je viens de présenter.

Pour illustrer mon propos sur la difficulté de l'administration de la preuve, je prendrai l'exemple d'un dossier qui a été jugé définitivement et dont je puis donc faire état. Il est quelque peu emblématique dans la mesure où son issue a été très décevante, me semble-t-il, pour les parties civiles. M. Robert Le Dinh, dit « Tang », poursuivi pour toute une série d'infractions, a finalement été condamné en appel à dix ans de prison pour agression sexuelle aggravée, alors que, en première instance, il avait été condamné à quinze ans de prison pour viol aggravé, agression sexuelle et abus de faiblesse aggravé. Je ne connais pas le fond du dossier mais, au vu des condamnations prononcées, il semble que le délit spécifique d'abus frauduleux de l'état de faiblesse ait été difficile à caractériser. En tout cas, les éléments retenus n'ont pas entraîné la conviction des magistrats professionnels et des jurés, et M. Le Dinh a été acquitté de ce chef d'accusation. Cela explique peut-être - c'est une hypothèse que je formule - pourquoi la condamnation à quinze ans de prison en première instance a été ramenée à dix ans en appel. Dans cette affaire, l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu victimes de sectes, l'Unadfi, a été très déçue que l'infraction spécifique d'abus frauduleux de l'état de faiblesse n'ait pas été retenue en appel.

Quelle est l'organisation mise en place par le ministère de la justice pour assurer la cohérence de ce dispositif ?

Auprès de moi est placé un magistrat dit référent en matière de dérives sectaires, qui travaille en lien étroit avec les parquets généraux et les associations. Il a été demandé aux parquets généraux, par la circulaire du 19 septembre 2011, de désigner en leur sein un magistrat référent, dont le rôle est de centraliser ce type d'affaires, d'organiser des réunions avec les associations et d'être leur interlocuteur.

Par ailleurs, ma direction organise à l'Ecole nationale de la magistrature, l'ENM, une session de formation intitulée « Les dérives sectaires », dont je vous ai amené le programme. Des mouvements sectaires ont d'ailleurs manifesté à l'entrée de l'ENM, afin de protester contre la tenue d'une telle formation.

Nous avons connaissance des dossiers concernant des dérives sectaires par le biais d'un double canal.

En premier lieu, nous sommes informés grâce aux signalements de la Miviludes : à cet égard, nous avons constaté, en 2012, une très forte augmentation des signalements de dérives sectaires dans le domaine de la santé, liées à la pratique d'une prétendue médecine, ces affaires étant appréhendées par les parquets sous le délit d'abus frauduleux de l'état de faiblesse. Ces signalements, qui nous sont adressés directement par la Miviludes, font ensuite l'objet d'une ouverture de dossier. A partir de là, nous demandons aux parquets généraux de nous rendre compte de l'état d'avancement des enquêtes.

En second lieu, les procureurs généraux, aux termes de la circulaire du 19 septembre 2011, doivent nous rendre systématiquement compte, par le biais de leurs magistrats référents, de toutes les affaires en lien avec des dérives sectaires.

J'appelais tout à l'heure à une certaine prudence quant aux statistiques. Il peut en effet arriver que des affaires nous soient signalées comme étant liées à des dérives sectaires et enregistrées comme telles, alors qu'il apparaît en définitive qu'elles ne le sont pas. Par ailleurs, il peut aussi arriver, à l'inverse, que des affaires soient le fruit de l'action de sectes et qu'elles ne nous soient pas signalées en tant que telles.

Il en est de même en matière de condamnations. Dans nos bases informatiques, toutes les infractions sont normées à partir d'un code Natinf. Il s'agit d'une nomenclature. Un code existe ainsi pour le délit d'abus frauduleux de l'état de faiblesse, mais les cinquante-sept condamnations répertoriées à ce titre recouvrent des situations totalement différentes, pouvant être dépourvues de tout lien avec notre sujet d'aujourd'hui. Je ne peux donc pas vous garantir la fiabilité des statistiques dont nous disposons en la matière.

Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je souhaitais vous dire dans mon propos introductif. Je me tiens maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Alain Milon , président . - Nous vous remercions, madame la directrice.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacques Mézard , rapporteur - Madame la directrice, j'ai cru comprendre que vous considérez que notre arsenal législatif est aujourd'hui à peu près complet pour permettre à nos juridictions de poursuivre et de sanctionner, le cas échéant, des pratiques qui paraîtraient dangereuses pour nos concitoyens. Pourriez-vous nous le confirmer ?

Mme Marie-Suzanne Le Queau, directrice des affaires criminelles et des grâces . - Je considère que l'introduction, en 2001, du délit spécifique d'abus frauduleux de l'état de faiblesse permet de couvrir au plan pénal, avec les infractions de droit commun que j'ai évoquées, l'ensemble des comportements liés à des dérives sectaires.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Pour ce qui est des poursuites, nous avons bien noté la difficulté qu'il y a en cette matière à apporter une preuve irréfutable permettant la condamnation. Plus globalement, je considère que dans ce domaine, bien plus encore que dans d'autres, il ne suffit pas d'attendre les plaintes des victimes, car il leur est très difficile de se faire connaître et de saisir la justice. On a pu constater, dans le cadre des conseils départementaux de prévention de la délinquance, d'aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes, que les choses avaient beaucoup évolué en matière de dépôt de plaintes et d'action des victimes s'agissant des affaires de drogue ou de violences contre les femmes. Dans le domaine des dérives sectaires, on n'en est pas là !

Je souhaiterais donc savoir quelle est la politique mise actuellement en oeuvre par le ministre de la justice pour faire en sorte que le déclenchement des actions ne dépende pas forcément des seules victimes. Des instructions formelles ont-elles été données aux parquets ? Dans le domaine de la santé, nous avons constaté un certain nombre, pour ne pas dire un nombre important, de cas où des personnes sont victimes d'agissements entraînant soit des conséquences financières importantes pour elles, soit, plus grave encore, des conséquences parfois dramatiques pour leur santé.

Dans le même ordre d'idées, comment le ministère compte-t-il faire évoluer sa politique face au développement, sur Internet d'agissements qui nous apparaissent dangereux ?

Mme Marie-Suzanne Le Queau . - La doctrine du ministère résulte de la circulaire du 19 septembre 2011. Il s'agit d'une circulaire fondatrice. Dans le cadre de l'organisation du ministère public, qui est hiérarchisé dans notre pays, le garde des sceaux, via cette circulaire, a donné des orientations générales aux procureurs généraux. Ces derniers sont tenus de les décliner dans les cours d'appel, les procureurs devant ensuite faire de même dans leur ressort de compétence. C'est ainsi que fonctionne le ministère public français : il n'est pas autonome, il doit rendre compte de son action au garde des sceaux, ce qui exige la remontée des informations.

Dans cette circulaire, instruction a été donnée aux parquets de désigner des magistrats référents chargés d'organiser le travail dans les ressorts de cour d'appel, d'être les interlocuteurs des associations, de faire le lien avec les préfets et les services de police et de gendarmerie. En France, le parquet ne s'autosaisit pas. Une forte mobilisation des acteurs de terrain est donc nécessaire pour faire remonter les signalements. Ce sujet est sans doute moins connu de nos concitoyens que ceux que vous évoquiez, monsieur le rapporteur, à savoir la drogue et les violences faites aux femmes : tout un chacun peut connaître, dans son entourage, une personne concernée par ces drames. Cela est beaucoup moins vrai pour les dérives sectaires, bien qu'il n'y ait pas de profil sociologique particulier de victime ni d'auteur de tels agissements. Permettez-moi d'ailleurs de faire une suggestion à votre commission : peut-être serait-il bon de confier à une université un travail de recherche sur cette question à partir, par exemple, des dossiers définitivement jugés ? Si nous disposions de tels profils, il nous serait possible de sensibiliser les acteurs de terrain et de lancer au plan national des campagnes de prévention. Je crois qu'il s'agit d'un domaine où la prévention est tout à fait essentielle : l'action de la justice ne suffit pas, sachant qu'il est très difficile, comme je vous l'ai dit, de mener à bien des enquêtes.

En ce qui concerne Internet, la gendarmerie a dû mettre en place un système de surveillance de sites. C'est donc elle qui, par ce biais, va diligenter, de manière très classique, des enquêtes. Cela ne relève pas à proprement parler de la compétence des magistrats du parquet. Toutefois, les procureurs ou les procureurs généraux peuvent, lorsqu'ils réunissent les services de police et de gendarmerie, les sensibiliser sur cet axe d'enquête. C'est une question de priorités.

M. Alain Milon , président . - A l'instar de ce qui est fait en matière de lutte contre la pédophilie, doit-on mettre en place des outils particuliers pour lutter contre les dérives sectaires sur Internet ?

Mme Marie-Suzanne Le Queau . - Il s'agit d'un problème très difficile à appréhender : alors que le mot « pédophilie » évoque à chacun des images et des cas de figure bien précis, la notion d'abus de faiblesse relève du domaine de la liberté de conscience. Après tout, quelqu'un peut très bien librement adhérer à une secte sans que cela pose problème, dès lors qu'il n'y a pas de commission d'infraction. Il s'agit là d'une vraie difficulté.

M. Alain Milon , président . - D'où l'intérêt d'établir des profils de victimes.

Mme Marie-Suzanne Le Queau . - Il est évident que les gens embrigadés, si je puis dire, dans ce genre de mouvements connaissent souvent, à ce moment de leur vie, un état de fragilité. C'est en tout cas ce que l'on peut constater dans les champs judiciaire et pénal. Une conjugaison d'éléments fait qu'ils sont sensibles aux arguments des personnes qui les sollicitent.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Madame la directrice, vous parliez d'images. Or, dans le cadre de cette commission d'enquête, les images que nous pouvons avoir à l'esprit sont inspirées par les récits de victimes de dérives sectaires, de malades ayant été amenés à cesser tout traitement, dont la vie s'achèvera prématurément et dans des conditions parfaitement catastrophiques. Ce sont aussi des images !

Je n'ai aucun doute sur le fait que la continuité de l'Etat est assurée, quel que soit le gouvernement en place. La circulaire de septembre 2011 oriente donc toujours la politique menée par le ministère de la justice, et c'est bien ainsi. Pouvez-vous nous confirmer que des magistrats référents ont été désignés dans chaque cour d'appel ?

Mme Marie-Suzanne Le Queau . - Absolument !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - La chancellerie fait donc là preuve d'une plus grande volonté politique que le ministère de l'intérieur d'appliquer efficacement les textes : nous en prenons acte avec beaucoup de plaisir !

Pour ce qui est de la formation, organiser une session spécifique à l'ENM me semble une excellente chose. Vous nous avez dit que cela avait suscité des manifestations de mouvements sectaires : pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ?

Mme Marie-Suzanne Le Queau . - Le magistrat référent qui anime cette formation m'a indiqué que la Scientologie avait organisé des mouvements de protestation devant l'ENM. C'est tout ce que je puis vous en dire.

Mme Gisèle Printz . - Il y a eu un article dans Le Monde à ce sujet.

M. Alain Milon , président . - La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen . - Madame, vous avez indiqué que notre arsenal législatif vous semblait suffisant, mais vous avez également souligné, et cette question mérite que l'on s'y arrête un instant, les difficultés liées à la fiabilité des statistiques.

En effet, si l'on veut établir un diagnostic et agir de manière efficace, il faut être à même d'apprécier précisément l'amplitude de la problématique. Or, comme le montrent les deux auditions auxquelles nous avons procédé ce matin, il est difficile d'obtenir des données précises en ce qui concerne les dérives sectaires en matière de santé. En fait, on oscille sans cesse entre les dérives sectaires appréhendées dans leur globalité et les dérives en matière de santé, objet des travaux de notre commission.

Quels sont les moyens qui nous permettraient d'obtenir des données fiables, susceptibles de déboucher sur des interventions efficaces, du moins plus efficaces ?

Mme Marie-Suzanne Le Queau . - Si, déjà, j'étais en mesure de vous apporter des renseignements précis en matière de dérives sectaires en général, je serais ravie !

Comme je l'indiquais tout à l'heure, les termes de « secte » ou de « dérive sectaire » ne figurent pas dans le code pénal. Moi, je dois m'en tenir à la nomenclature des infractions définies par les textes.

Je peux certes me fonder sur l'abus frauduleux de l'état de faiblesse avec sujétion, mais je ne peux pas dire si tel abus de faiblesse a été commis dans le cadre d'une dérive sectaire. Les seules statistiques fiables, aujourd'hui, figurent dans le tableau - et je ne prétends pas qu'il soit exhaustif - élaboré par la Direction des affaires criminelles et des grâces à partir des remontées de terrain, c'est-à-dire de l'appréciation par les parquets généraux de dossiers considérés comme relevant d'une dérive sectaire.

Si l'on voulait vraiment faire un travail précis, il faudrait partir non pas de l'amont, mais de l'aval, c'est-à-dire des condamnations. Il faudrait recenser toutes les condamnations ayant été prononcées dans des affaires pour lesquelles il a été démontré que les faits ont été commis dans le cadre de dérives sectaires.

Pour l'heure, les entrées du tableau présentent des aléas. Je ne peux donc pas vous donner dans ce domaine de chiffres précis comme je le pourrais dans d'autres. Selon moi, en matière pénale, le seul travail probant, qui ne pourrait pas prêter à discussions, consisterait à se fonder sur les condamnations définitives prononcées par les juridictions. Mais je ne connais pas leur nombre, je ne connais pas le « chiffre noir », si tant est qu'un tel chiffre existe.

M. Yannick Vaugrenard . - Voilà une suggestion particulièrement intéressante, madame. J'ignore quelle masse de travail cela représente, mais sachez que nous sommes preneurs ! (Sourires.)

Permettez-moi de vous poser deux questions.

En premier lieu, l'administration de la preuve étant une opération très difficile, notamment en matière d'abus de faiblesse, ne pensez-vous pas qu'il serait intéressant d'allonger les délais de prescription pour les faits relevant de dérives sectaires ?

En second lieu, à votre connaissance, des recours déposés devant la Cour européenne auraient-ils abouti à la condamnation de la France au motif que cette dernière aurait condamné des dérives sectaires, en matière de santé ou en d'autres ?

Si je vous pose cette question, c'est parce qu'en 2007, lors d'une conférence qui s'est tenue à Varsovie, sur l'initiative de l'OSCE, la politique de la France, notamment l'action de la Miviludes, a été mise en cause par les mouvements sectaires.

Je m'interroge donc sur l'opportunité d'élaborer un cadre législatif européen de manière à éviter une condamnation de notre pays. Si la France avance et devient plus efficace, elle risque de rencontrer des difficultés en l'absence d'évolution du corpus législatif européen.

Mme Marie-Suzanne Le Queau . - Comme vous le savez, en matière délictuelle, le délai de prescription est de trois ans à compter de la commission des faits.

Toutefois, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt, qui fait désormais jurisprudence, précisant que le délai de prescription court à compter de la dernière infraction constatée si les faits procèdent d'un mode opératoire unique.

Prenons un exemple, un peu simple, je vous l'accorde, mais qui a le mérite de la clarté.

Une personne devient membre d'une secte. Elle y reste dix ans. La première année, elle est victime d'extorsion de fonds. Si elle a rejoint la secte en 2000, normalement, en 2003, les faits sont prescrits. Toutefois, si elle quitte la secte en 2011, donc après y être restée une dizaine d'années, et qu'elle décide alors de porter plainte pour extorsion de fonds, aux termes de la jurisprudence de la Cour de cassation, l'année de départ du délai de prescription sera non pas 2000, mais 2011. Cela ne vaut, j'y insiste, que si la personne est restée dans la secte. Si elle l'a quittée, puis y est revenue, nous retenons le point de départ initial.

Chaque fois que, dans des domaines aussi difficiles que celui qui vous intéresse aujourd'hui, se pose la question de l'administration de la preuve, nous sommes confrontés au délai de prescription.

Il existe, vous le savez, des délais de prescription dérogatoires en matière de moeurs. Ainsi, en cas d'infraction sexuelle sur mineur, le délai de prescription part à la date de la majorité. Vous imaginez aisément la difficulté que représente l'administration de la preuve lorsque quelqu'un nous dit - et il ne s'agit évidemment pas de remettre en cause ce qui est dit -, alors qu'il a vingt-sept ans et demi, avoir été violé à l'âge de trois ans : comment monter une enquête dans un tel cas ? Car nous sommes en matière pénale et il faut trouver des preuves. Évidemment, si l'auteur reconnaît les faits, il n'y a pas de problème, mais, dans le cas contraire, il est quasiment impossible d'obtenir des preuves.

Par ailleurs, il y a une exigence de cohérence de la loi pénale. La question de la prescription se pose dans de très nombreux domaines. Le législateur peut estimer qu'il faut revoir le dispositif en matière de prescription, mais alors, il faut le faire complètement, c'est-à-dire pour l'ensemble des infractions. En effet, si l'on modifie demain les règles de prescription dans ce domaine très important, pourquoi ne le ferait-on pas dans tout le domaine, que vous considérez comme prioritaire, des atteintes aux personnes ? Sinon, où sera la cohérence de notre code de procédure pénale ?

Je conçois que tout cela ne vous semble pas satisfaisant, mais, pour ma part, j'estime que la jurisprudence de la Cour de cassation telle que je viens de vous l'exposer est de nature à répondre à ce problème de la prescription.

Par ailleurs, à ma connaissance, aucun recours n'a été introduit contre la France devant la Cour européenne des droits de l'homme. Si tel avait été le cas, mes référents n'auraient pas omis de me le signaler.

D'une manière générale, je suis favorable à ce que les instances européennes, le Conseil de l'Europe ou, mieux, le Parlement européen, se saisissent de ces sujets. A tout le moins, la Commission européenne pourrait travailler sur un projet de décision-cadre qui aurait vocation à s'appliquer à l'ensemble des Etats membres. Et cette démarche ne vaut pas uniquement pour les dérives sectaires.

Si l'on veut réaliser des avancées significatives, il faut que le Parlement européen légifère afin d'introduire des similitudes dans les corpus législatifs des différents pays. Mais, nous le savons, il est souvent difficile de faire aboutir les négociations.

Dans tous les domaines, nous devons, me semble-t-il, avoir aujourd'hui le réflexe de l'Europe et, sans doute, demain ou après-demain, celui du parquet européen.

Mme Catherine Génisson . - Madame Le Queau, vous avez indiqué que, pour avoir une meilleure connaissance des données, mieux vaudrait partir de l'aval, c'est-à-dire des jugements définitifs. Cette piste me semble intéressante. Pensez-vous que nous pourrions nous montrer plus normatifs que nous ne le sommes aujourd'hui et faire des propositions dans ce sens, en particulier sur les sectes ?

J'ajoute deux questions connexes.

Tout d'abord, au début de votre propos, vous avez évoqué les conséquences « gravement préjudiciables » des abus de faiblesse. Y a-t-il une échelle pour évaluer le degré de gravité ?

Par ailleurs, il a été question de « profils de victimes » et vous avez indiqué qu'il serait intéressant de faire appel à des universitaires pour les définir. Est-il concevable de définir des profils de sectaires ou bien la tâche est-elle véritablement titanesque ?

Mme Marie-Suzanne Le Queau . - Je vous confirme, madame la sénatrice, qu'un travail universitaire serait d'un grand intérêt pour nous aider à définir le profil des victimes, des mis en cause et des condamnés. Des études de ce type sont d'ailleurs déjà en cours dans d'autres domaines ; je pense notamment aux violences conjugales. Cela n'a donc rien de révolutionnaire et nous disposerions ainsi de données plus fiables.

Mme Catherine Génisson . - Pour les deux parties.

Mme Marie-Suzanne Le Queau . - Oui, il faut étudier à la fois le profil des victimes et celui des condamnés. A cet égard, on trouverait sûrement des éléments extrêmement intéressants pour mener une recherche pluridisciplinaire dans les dossiers judiciaires. En termes de transmission des informations, l'accès des universitaires aux dossiers définitivement jugés ne soulève aucune difficulté.

La définition de ces profils est intéressante non pas en soi, mais parce qu'elle nous permettrait notamment d'alimenter des campagnes de prévention et de sensibiliser les acteurs, en particulier, dans mon champ de compétences, les services de police et de gendarmerie, sur l'amélioration du recueil des informations, donc des investigations à mener dans le cadre des enquêtes préliminaires qui sont diligentées. On pourrait orienter la recherche d'informations en fonction des profils, voire affiner les missions que nous confions aux experts en psychologie ou en psychiatrie. Le souci premier est d'entraîner la conviction non seulement des magistrats professionnels, qui ont l'habitude des affaires criminelles, mais surtout des jurés qui sont amenés à se prononcer en cour d'assises.

La notion de conséquence « gravement préjudiciable » n'est pas normée dans les textes. Elle est laissée à la libre appréciation du parquet et des formations de jugement.

Vous comprenez bien que l'appréciation de cette notion est liée au contexte. Ainsi, les conséquences gravement préjudiciables sur le plan patrimonial ne seront pas appréhendées de la même manière selon que l'on a affaire à une personne qui gagne le Smic, et qui fait l'objet d'un détournement de la moitié de son salaire, ou à une personne qui est soumis à l'impôt de solidarité sur la fortune. Les seuils sont très différents.

La notion de « gravement préjudiciable » est également multidirectionnelle. Il peut s'agir du patrimoine, mais il peut aussi s'agir, en matière de santé, de l'action de charlatans - permettez-moi ce terme - qui vendent à des personnes malades je ne sais pas quel produit miracle, les invitant à abandonner la médecine traditionnelle, au prix parfois de conséquences irrémédiables. Il peut s'agir de personnes qui se trouvent coupées de leur famille, se posant alors éventuellement la question du sort de leurs enfants. Si vous auditionnez mon homologue en matière civile, il pourra vous expliquer tout cela dans le détail.

Il ne faut pas oublier ce que j'appellerai les dommages collatéraux, les enfants totalement abandonnés, dont certains se retrouvent dans des sectes ou font l'objet de dérives sectaires.

Avant d'être directrice des affaires criminelles et des grâces, j'ai exercé les fonctions de procureur de la République. J'ai alors eu à m'intéresser à des petits groupes isolés, souvent en campagne, qui prônaient des régimes vitaminés. Il est arrivé que ces régimes entraînent la mort de nourrissons. Nous avons parfois été obligés de placer des enfants parce qu'ils n'avaient pas d'autres parents que leur père ou leur mère et que ces derniers appartenaient à la secte.

Les magistrats sont très sensibilisés au fait que, au-delà des affaires d'argent, il y a des questions de famille, l'histoire d'un enfant, dont il faut préserver la santé.

Enfin, sur l'autre volet de votre question, madame, c'est effectivement la Direction des affaires criminelles et des grâces qui a la maîtrise des statistiques. Je ne peux rien ajouter aux réponses que j'ai apportées sur ce sujet. Je considère que c'est par le travail, par la pratique professionnelle, que nous parviendrons à aplanir les difficultés que nous rencontrons. Il n'est pas utile, dans ce domaine, de créer de nouvelles normes.

M. Alain Milon , président . - Je vous remercie, madame la directrice, de cette intervention très instructive.

Audition à huis clos - Témoin n° 1 (mercredi 9 janvier 2013)

M. Alain Milon , président . - Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, mesdames, messieurs, nous allons procéder cet après-midi aux auditions de trois proches de victimes.

Pour la première fois, nos travaux se dérouleront à huis clos, conformément à la demande des témoins.

Mes chers collègues, je veux insister devant vous sur le courage des personnes auditionnées, qui acceptent de s'exprimer devant la commission d'enquête pour informer le public, par le biais de notre rapport, sur les dangers des dérives sectaires dans le domaine de la santé et éviter ainsi à d'autres victimes, espérons-le, d'être piégées à leur tour.

C'est pourquoi nous citerons, dans notre rapport, de larges extraits des comptes rendus de ces auditions, tout en respectant la demande d'anonymat formulée par les témoins et acceptée par nous-mêmes.

Cette commission d'enquête que je préside et dont le rapporteur est Jacques Mézard s'est constituée - je le précise à l'intention de notre témoin -, sur l'initiative du groupe RDSE, dont M. Mézard est le président.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous faire prêter serment. Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

La personne se lève et prête serment.

M. Alain Milon , président . - Je vous remercie.

Je vous propose de commencer cette audition par une courte présentation du cas dont vous venez témoigner. Puis M. le rapporteur et les membres de la commission d'enquête vous poseront les questions qu'ils jugeront utiles.

Vous avez la parole.

Témoin n° 1 . - Pour expliquer ma présence aujourd'hui devant cette commission d'enquête, je situerai brièvement le cadre dans lequel est intervenue cette dérive.

Mon épouse, aujourd'hui décédée, était atteinte d'un cancer depuis 2003 et suivait les soins qui lui étaient préconisés tant par son médecin traitant que par le centre anticancéreux et l'hôpital où elle a été traitée.

[...]

Je tiens à préciser que ma femme a toujours voulu travailler pendant qu'elle luttait contre le cancer, tant que ses forces le lui ont permis. Je souligne aussi que c'est elle qui suivait ses rendez-vous et sa prise de médicaments. Elle n'était donc ni assistée ni diminuée. Elle a fait preuve d'un grand courage !

A la fin de 2009, mon épouse étant de plus en plus fatiguée et ayant de plus en plus de mal à manger, elle a été hospitalisée. Les médecins ne nous cachaient pas qu'elle pouvait partir du jour au lendemain. Elle avait alors trente-neuf ans - j'en avais trente-six.

[...]

A la fin du mois de janvier ou au début du mois de février 2010, la surveillante en chef a annoncé à mon épouse que son retour à la maison était envisageable.

Evidemment, comme pour nombre de malades, quand on nous a proposé ce retour à domicile, nous avons accepté. Je n'y étais pas opposé ; simplement, comme je travaillais - il fallait bien continuer à gagner de quoi vivre -, je ne pouvais pas assister mon épouse en permanence.

J'estime que l'annonce du retour à domicile a été un peu rapide. D'une certaine façon, nous avons été mis devant le fait accompli. J'ai demandé que nous puissions obtenir des aides afin qu'une personne soit présente auprès de mon épouse quand je serais au travail. En effet, prendre un congé de fin de vie m'était malheureusement impossible, car c'est un congé sans solde. Or j'avais besoin de mon salaire pour vivre.

Heureusement, nous avons été mis en contact avec le réseau d'accompagnement et de soins palliatifs, le RASP, qui a notamment pour mission de suivre les personnes en fin de vie hospitalisées à domicile. C'est le RASP qui a joint la MDPH dont nous dépendions.

Quelques jours après le retour à domicile de mon épouse, nous avons eu la visite d'un médecin de la MDPH qui devait normalement procéder à l'évaluation des aides dont mon épouse avait besoin pour pouvoir vivre correctement à domicile. C'est là que le problème est apparu.

Ce médecin est venu au jour et à l'heure prévus. J'insiste sur le fait qu'il s'agissait bien d'un médecin, diplômé d'une université et intervenant dans le cadre de la MDPH, donc a priori , d'après ce que j'ai cru comprendre, dans le cadre d'une mission de service public.

Ce médecin qui est intervenu chez nous a tout de suite été dans l'empathie, très proche de mon épouse, presque trop selon moi.

Or, très vite, ce docteur a appelé mon épouse par son prénom et lui a parlé avec une voix doucereuse.

[...]

Le problème est que ce médecin, qui s'est montré d'emblée très gentil, très sympathique - peut-être même trop - ne nous a pas parlé des aides auxquelles nous pouvions avoir droit. C'est pourtant l'objet de sa visite.

Très vite, le propos est devenu intrusif sur le passé de mon épouse, sur sa vie familiale. Il lui a été demandé de raconter son enfance. Cela nous a paru un peu surprenant, mais n'ayant jamais eu à faire face à une telle situation, j'ai laissé faire.

Mon épouse s'est mise à parler, d'autant plus aisément que, comme cela vous a sans doute déjà été dit lors de précédentes auditions, les malades du cancer se plaignent souvent d'un manque d'écoute lors des soins. Cette fois, elle était écoutée par un docteur qui prenait tout son temps. Mon épouse s'est donc mise à parler beaucoup de son enfance, de sa famille, dans laquelle il y avait déjà eu des cas de cancer.

Très vite, ce médecin a commencé à lui dire qu'il lui fallait peut-être réfléchir à certaines choses de son enfance, et a mis en cause la mère de mon épouse en lui expliquant, grosso modo , que, dans la mesure où elle avait plutôt été une brillante élève, ce qui n'était pas le cas de son frère, ses parents s'étaient beaucoup occupés de ce dernier et l'avait laissée de côté en ne lui prodiguant pas assez d'affection. Cela expliquerait l'existence d'un problème relationnel avec sa mère et la découverte d'un autre visage de son père, etc.

La première chose qui m'a donc surpris est cette remise en cause de la famille de ma femme.

Je le répète, ce médecin insista sur le fait qu'il était important de réfléchir aux liens avec la famille qui, selon elle, pourraient expliquer beaucoup de choses. En outre, ce médecin a reproché à mon épouse de ne pas s'être rendue directement dans un centre anti-cancer, mais chez son médecin traitant. D'après ce docteur, qui intervenait au nom de la MDPH, si ma femme n'était pas allée directement au centre anti-cancer, c'était la preuve qu'elle avait laissé les autres agir à sa place, qu'elle n'avait pas voulu se battre contre cette maladie...

J'ai noté une autre chose qui m'a choqué. Ce médecin a dit à plusieurs reprises qu'il fallait donner du sens à la maladie, insistant sur l'idée que ce cancer avait un sens et qu'il fallait le trouver. Mon épouse a objecté que, pour elle, cette maladie lui était tombée dessus, qu'elle n'avait rien fait pour l'avoir et qu'il n'y avait pas de sens à cela. Nous y faisions face comme nous pouvions. Malgré toutes ces objections, ce médecin est tout de même revenu plusieurs fois sur ce point, en soulignant que l'important était de donner un sens à la maladie, et a expliqué que nous étions tous porteurs de cellules cancéreuses et que les malades chez qui le cancer se développe l'ont en réalité voulu, consciemment ou inconsciemment. Par conséquent, si certaines personnes ont un cancer, c'est tout simplement parce que, à un moment de leur vie, elles veulent mourir.

Cela m'a d'autant plus gêné, je l'ai dit tout à l'heure, que mon épouse s'est toujours battue. Je ne vois pas en quoi elle pourrait être coupable de sa maladie. Elle a toujours pris toutes les mesures nécessaires, autant qu'elle le pouvait, pour lutter contre la maladie ; elle prenait toujours ses médicaments et a suivi tous les soins qui lui étaient indiqués. J'ai donc trouvé ces propos assez sidérants !

A un moment donné, cette personne a remarqué que je commençais à m'impatienter. Je me suis effectivement permis, au bout d'un certain temps, de lui demander à quelles aides nous pourrions prétendre. Ce médecin a vaguement répondu, sans s'étendre, que nous aurions peut-être droit à huit heures d'aide, puis m'a dit que j'étais trop énervé et m'a alors demandé de quitter la salle. J'ai refusé. Outre que j'avais toujours été aux côtés de mon épouse, cette attitude me paraissait vraiment bizarre.

J'avais déjà entendu parler des problèmes sectaires, et la façon d'accuser ma belle-famille, de chercher à culpabiliser mon épouse et, enfin, de m'intimer l'ordre de quitter le lieu où nous nous trouvions, ne me paraissait pas saine. Donc, je suis resté, mais je n'ai rien dit parce que c'était finalement ce médecin qui allait établir le rapport pour l'obtention des aides.

[...]

Voyant que je ne quittais pas la pièce, le médecin a continué à parler et a beaucoup évoqué le sens de la maladie expliquant par exemple à mon épouse que, si elle avait le dos large - j'ai trouvé cela assez peu délicat -, c'était tout simplement parce qu'elle portait le poids des souffrances de sa famille !

Un peu plus tard, il y a eu une autre explication que j'ai notée tellement elle m'a parue ahurissante : si elle était myope et qu'elle portait des lunettes, cela aussi avait un sens : c'est qu'elle ne voyait pas le fond des choses !

A la fin de son intervention - j'en ai été tellement surpris que je l'ai noté -, ce médecin a recommandé le recours à un magnétiseur et, au moment de partir, a beaucoup insisté pour que nous n'hésitions pas à le contacter de nouveau.

Le médecin nous a laissé sa carte de visite, au dos de laquelle était écrit le nom d'un spécialiste de « psychogénéalogie », invitant à nous y intéresser.

Nous lui avons répondu que nous étions déjà suivis par un réseau, en l'occurrence le réseau d'accompagnement et de soins palliatifs, que nous pouvions bénéficier d'une aide psychologique si nous le voulions et que nous avions, en outre, un très bon médecin traitant, qui était disponible.

Dès son départ, ma femme et moi avons beaucoup discuté, car cette histoire nous avait tout de même ébranlés. Nous avons consulté le site de ce spécialiste. Certaines choses sur ce site nous ont paru complètement absurdes.

[...]

Nous n'avons pas vraiment été victimes de dérives sectaires, mais nous avons immédiatement contacté le psychologue du réseau qui nous suivait pour nous entretenir avec lui afin qu'il porte une appréciation objective de la situation. De deux choses l'une : soit nous étions devenus complètement fous sans nous en rendre compte - avec la maladie, l'émotion, c'est possible ; soit ce médecin qui était intervenu avait agi de façon incorrecte. Nous en avons également parlé à notre médecin traitant qui a eu la même réaction que nous. Tout de suite, notre crainte a été que cette personne agisse ainsi avec des malades isolés.

[...] J'ai donc contacté très vite l'Afdi la plus proche, et celle-ci s'est occupée de faire le signalement nécessaire auprès du conseil de l'Ordre des médecins et de la MDPH. En outre, le RASP que nous avions informé a pris contact avec la MDPH.

Quelles ont été les suites données à cette affaire après le décès de mon épouse ?

Le conseil de l'Ordre des médecins a été saisi. Il a rendu une décision, considérant que le comportement de ce médecin était contraire à l'éthique, qu'il avait pu choquer plusieurs personnes et qu'il pouvait être assimilé à du prosélytisme sectaire. Le conseil de l'Ordre a donc émis le même avis que nous. J'avais aussi demandé un rendez-vous au conseil général.

[...]

Voilà ce que j'ai cru comprendre, mais dont je ne suis même pas certain : le médecin a été convoqué et a eu un blâme mais exerce toujours, et je crains que ce ne soit encore le cas, au sein de la MDPH.

Tels sont, en résumé, les points qu'il me paraissait important de porter à votre connaissance.

M. Alain Milon , président . - Je vous remercie.

Je passe maintenant la parole à M. le rapporteur.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Monsieur, je vous remercie d'avoir accepté de témoigner devant notre commission d'enquête et d'avoir décrit la situation avec des éléments à la fois précis et explicites.

Témoin n° 1 . - Tout à fait !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Il suffit d'aller sur le site dont vous parlez pour être édifié, effectivement. Je l'avais fait bien avant de savoir que vous viendriez témoigner devant la commission d'enquête.

D'après vous, cette personne serait-elle capable de convaincre des malades qui n'auraient pas eu votre réaction de vigilance ?

Témoin n° 1 . - A mon sens, il faut garder à l'esprit qu'il est question de personnes affaiblies, en fin de vie, qui plus est dans le cadre d'un retour à domicile.

Dans notre cas, j'étais présent auprès de mon épouse, et nous avions la chance d'être bien entourés par nos familles respectives. Toutefois, je me place dans la situation d'une personne seule, tombant face à un tel médecin, qui a passé plus de deux heures chez nous ! Quelqu'un vient, vous consacre du temps, vous écoute et vous parle sur un ton très gentil, tout sauf culpabilisant, avec des mots qui ne sont pas compliqués. Parfois, les professeurs de médecine ont, au contraire, un langage un peu abscons.

Cette personne est à l'écoute, elle pose des questions, par exemple sur le sens de la maladie, qui constitue une souffrance et souvent une absurdité, pour des personnes âgées naturellement, mais peut-être davantage encore pour des personnes jeunes. On se demande : « Pourquoi nous, pourquoi pas les autres ? » C'est évidemment une question à laquelle le professeur oncologue n'avait pas répondu. Je n'ai jamais entendu le professeur, pourtant chevronné, qui suivait mon épouse parler du sens de la maladie.

Ainsi, ce médecin a introduit un questionnement que certains n'auraient peut-être pas développé. Qui plus est, il s'agit de personnes en fin de vie : j'ai trouvé cette situation d'autant plus terrible qu'il s'agit sans doute du moment où l'on est le plus sensible à ce type de questions.

Je me place dans la situation de personnes seules et à domicile. J'insiste sur ce point : on évoque fréquemment le retour à domicile. A mes yeux, c'est une bonne chose dans certains cas, mais il ne faudrait pas que cette procédure devienne le nouveau paradigme. Dans notre cas, sans doute nous avait-on annoncé le retour à domicile d'une manière un peu rapide et mal préparée. A mon sens, il convient de surveiller ce type de situations.

On l'a bien compris, l'enjeu est également de libérer des lits car, même dans un centre anti-cancer, on manque parfois de place, c'est clair. Toutefois, l'hospitalisation des malades à domicile est une véritable porte d'entrée pour des personnes qui souhaitent se livrer à de tels agissements. Quant à la directrice de la MDPH, elle m'a répondu que ce docteur avait sans doute agi en toute bonne foi.

[...]

J'en conviens, l'image que j'avais des sectes avant cet événement relevait plutôt de mouvements, sinon d'apparence farfelue, du moins placés en dehors du système. Dans le cas de mon épouse, ce qui m'a profondément indigné et qui m'indigne encore aujourd'hui, c'est qu'il s'agissait d'un médecin qui, sans avoir nécessairement le statut de fonctionnaire, exerçait dans le cadre d'une structure publique et d'une mission de service public.

[...]

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez donc saisi le conseil de l'Ordre des médecins ?

Témoin n° 1 . - Je ne l'ai pas fait personnellement. Je vous l'avoue, mon épouse et moi étions plongés dans la lutte de la fin de vie. Ensuite est venue la période du deuil, marquée notamment par une série de problèmes matériels. De fait, lorsque l'on se retrouve seul, avec un salaire en moins, il faut faire face à un ensemble de difficultés.

Néanmoins, j'ai évoqué le cas de ce médecin avec le réseau d'accompagnement, qui a fait des signalements, puis avec l'Adfi, qui a agi de manière exemplaire et qui a signalé directement l'affaire au conseil de l'Ordre. C'est par cet intermédiaire que le conseil de l'Ordre a été saisi et s'est prononcé vis-à-vis de ce médecin.

[...]

J'ajouterai une remarque incidente. Vous avez évoqué les intervenants qui, hors des personnels médicaux, sont susceptibles d'exercer au sein des centres anti-cancer. Certaines dérives existent sans doute, mais je tiens également à souligner que de bonnes initiatives sont menées. Ainsi, à la fin de sa vie, mon épouse a pu bénéficier de l'intervention d'une socio-esthéticienne. C'était très bien. De même, la psychologue du RASP est intervenue, que ce soit à domicile ou au centre anti-cancer. Là encore, tout s'est très bien passé.

Que les choses soient claires : je ne condamne ni le centre ni la MDPH. Je tiens à le dire, nous avons bénéficié d'une aide exemplaire. Sans ces institutions, nous aurions été plongés dans de terribles difficultés ! Si ma femme a pu bénéficier d'une fin de vie qui a été, à mes yeux, la plus digne possible, c'est grâce à toutes ces aides.

[...]

Mme Muguette Dini . - A aucun moment vous n'avez été tenté de porter plainte ?

Témoin n° 1 . - Je me suis posé la question. Je vous l'avoue, sur le moment, mon objectif était de protéger d'éventuelles victimes à venir. Voilà pourquoi j'ai fait ce signalement en me figurant que, une fois saisis de ce cas, les responsables des institutions allaient intervenir et mettre fin à la carrière de ce médecin.

Toutefois, nous n'avions pas été victimes à proprement parler : on ne nous a pas extorqué d'argent ou d'autres biens.

Mme Muguette Dini . - Et maintenant, porteriez-vous plainte ?

Témoin n° 1 . - A présent, le problème est également d'ordre financier. Tout d'abord, j'ignore si une telle action en justice serait possible compte tenu des délais de prescription. Ensuite, je crains qu'une telle procédure ne soit financièrement trop coûteuse : je n'aurais pas les moyens de payer un avocat. Enfin, et surtout, j'aurais l'impression de me substituer à la MDPH et au conseil général. Ces institutions n'ont pas porté plainte contre ce médecin et, au fond, cela me choque.

[...]

M. Yannick Vaugrenard . - A mon tour, je vous remercie de votre témoignage et du courage dont vous avez fait preuve, tant durant ces périodes douloureuses qu'aujourd'hui, pour venir parler devant nous. Votre audition nous sera très utile pour permettre de faire plus et mieux à l'avenir, afin que de tels cas ne se prolongent ou ne se renouvellent pas. [...] Ne pensez-vous pas qu'il serait bon d'imaginer un dispositif inspiré des numéros verts, un lieu d'appel permettant à des personnes qui, comme vous, seraient confrontées à de telles situations, d'interpeller la société ? Une coordination de la puissance publique permettrait d'intervenir non seulement dans l'instant, mais aussi par la suite, pour éviter les nuisances à venir. [...]

Témoin n° 1 . - Il m'est difficile de répondre a posteriori à cette question. Peut-être un tel dispositif m'aurait-il aidé sur le moment.

Je précise que plusieurs numéros de téléphone existent déjà, comme « Allo cancer ». Ils permettent de poser des questions, notamment sur la maladie. Toutefois, le problème de ces dispositifs est le même que celui des ERI ou des centres de lutte contre le cancer : votre interlocuteur est souvent là pour vous écouter, mais il ne peut pas répondre à des questions précises - par exemple, ce médecin est-il fonctionnaire ou non ? Quel est son statut ?

Je reviens un peu en arrière dans le temps, mais cet élément a son importance. Lorsque mon épouse devait suivre, un jour par semaine, une chimiothérapie, son administration - comme la majorité des employeurs - lui a recommandé de demander un arrêt maladie. On préfère que les salariés soient en arrêt maladie, c'est plus pratique que des employés qui suivent des soins tout en travaillant... C'est alors que nous avons appelé « Allo cancer ». Mais on n'a pas pu nous renseigner. Ainsi, quand on constate que, sur une question d'arrêt maladie, on ne peut pas vous répondre, on en conclut que ce n'est plus la peine de composer de tels numéros, car ils n'apportent aucun renseignement. Dès lors, mon épouse a fait des recherches par elle-même sur Internet.

[...] Elle a fini par trouver, par l'intermédiaire d'une question posée par un député, qu'il existait un dispositif intitulé « congé maladie fractionné ». Ce système évite de prendre un congé maladie complet, donc d'épuiser ses droits, et permet de bénéficier d'un jour de congé maladie par semaine ; c'est très bien, par exemple, pour les patients qui suivent une chimiothérapie ! Or personne n'était capable de lui indiquer cette possibilité, ni à l'ERI ni au centre de lutte contre le cancer. Personne ne nous a jamais parlé de cela, ni à la Ligue contre le cancer, ni au numéro que nous avions composé.

Voilà pourquoi, à votre question relative à la mise en place d'un tel numéro vert, je réponds oui, à condition toutefois qu'il y ait des personnes compétentes au bout du fil ! S'il s'agit simplement de trouver une écoute, il n'y a pas de problème : des psychologues, vous en rencontrerez autant que vous le souhaitez dans les centres anti-cancer. Ils vous diront : « Oui, nous vous comprenons, nous entendons votre douleur . » C'est très bien. Mais après, que fait-on ?

Mme Catherine Deroche . - A mon sens, vous avez eu l'attitude appropriée : très rapidement, au cours de l'entretien avec ce médecin et grâce à votre vigilance, vous avez pu protéger votre épouse d'un retour éventuel de cette femme qui aurait pu la perturber à une période de sa vie où elle n'en avait vraiment pas besoin.

Ensuite, vous avez alerté la MDPH et le conseil de l'Ordre. Ce n'était pas à vous de mener l'enquête par la suite. Vous avez prévenu les autorités de tutelle de cette personne. C'est à ces organismes de « faire le ménage » parmi les agents qu'ils mettent au contact des patients, pour les aider à domicile et leur fournir des renseignements. Vous avez donc adopté le comportement le plus efficace pour protéger votre épouse et votre famille, pour que ce médecin ne vienne pas vous perturber avec des théories qui sont plus angoissantes que rassurantes.

Je le répète, c'était aux pouvoirs publics d'agir ! Même si elle ne constitue pas un employeur public ou un service public, la MDPH n'est tout de même pas un organisme « hors sol », totalement déconnecté du public. Votre attitude a été tout à fait adaptée : il revient aux individus concernés de signaler, non de mener leur propre enquête.

[...]

M. Alain Milon , président . - Au nom de tous les membres de cette commission d'enquête, je salue votre courage et vous remercie, de nouveau, d'être venu témoigner devant nous.

Audition de M. Xavier RONSIN, directeur de l'Ecole nationale de la magistrature, et de Mme Isabelle BIGNALET, sous-directrice de l'Ecole nationale de la magistrature, responsable de la formation continue (mercredi 9 janvier 2013)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous poursuivons notre travail avec l'audition de M. Xavier Ronsin, directeur de l'Ecole nationale de la magistrature, l'ENM. Il est accompagné de Mme Isabelle Bignalet, sous-directrice de l'ENM, responsable de la formation continue.

La sensibilisation des futurs magistrats aux enjeux de la vigilance sectaire de même que la formation continue des magistrats et des professionnels de la justice nous semblent devoir faire partie de notre enquête. Je souligne donc l'intérêt de cette audition.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public sur le fait qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence, et que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ.

Je précise que notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe RDSE, dont M. Jacques Mézard, notre rapporteur, est le président. Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous faire prêter serment. Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Madame Isabelle Bignalet et monsieur Xavier Ronsin, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les deux personnes se lèvent et prêtent serment.

M. Alain Milon , président . - Je vous propose, monsieur le directeur, de lancer nos débats par un court exposé introductif, puis M. le rapporteur et nos collègues vous poseront les questions qui les intéressent.

M. Xavier Ronsin , directeur de l'Ecole nationale de la magistrature . - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord dire quelques mots de présentation.

Je suis directeur de l'Ecole nationale de la magistrature depuis un peu moins d'un an. Comme vous le savez sans doute, l'ENM a plusieurs missions.

Elle a une mission de formation initiale pour les futurs magistrats. L'école accueille les étudiants, recrutés par concours ou sur titre, et leur dispense une formation initiale d'une durée de trente et un mois avant qu'ils ne deviennent magistrats.

L'ENM est également l'opérateur quasi exclusif de la formation continue des magistrats français. Il s'agit d'une offre de formation extrêmement riche qui a un contenu réglementaire, je crois utile de le préciser, car tout magistrat doit suivre une formation d'une durée minimum de cinq jours par an, en formation nationale ou régionale et déconcentrée.

Si je vous apporte ces précisions, c'est pour indiquer que nous produisons un catalogue de formation continue diffusé à l'automne. Le principe, qui souffre assez peu d'exceptions, est que les magistrats s'inscrivent à nos actions de formation continue sur la base du volontariat, en indiquant plusieurs choix. En général, nous leur accordons soit leur premier choix de formation, soit leur deuxième.

Il n'y a donc pas de principe de contenus de formation imposés. Cela signifie que certaines formations sont suivies par beaucoup de magistrats, d'autres par moins, puisque, pour susciter l'adhésion des magistrats, le choix se fait sur la base du volontariat.

Je me propose, puisque je vous ai envoyé des documents que j'espère suffisamment complets, de vous présenter simplement les grandes lignes.

La formation des futurs magistrats ou des magistrats en exercice afin de leur permettre de bien appréhender les phénomènes de dérives sectaires est naturellement au coeur du métier de l'ENM et de ses équipes. L'ENM, en tant qu'opérateur de formation initiale, n'est pas une « super faculté de droit ». Nous enseignons les différents métiers de base de la magistrature, notamment les fonctions de juge des enfants, de juge aux affaires familiales ou de substitut du procureur.

Comme je l'ai détaillé dans la note que je vous ai fait parvenir, nous sensibilisons les futurs magistrats aux thèmes de la maltraitance, de la vulnérabilité et de la dépendance, aussi bien dans les phases de formation initiale que dans les phases de spécialisation. C'est notamment le cas pour les futurs juges des enfants ou les futurs parquetiers. Entre ces deux phases, les futurs magistrats, que nous appelons auditeurs de justice, partent durant un peu moins d'une année dans une juridiction où ils font un stage de plein exercice avec des magistrats. Ils exercent toutes les fonctions et naturellement, à cette occasion, sont sensibilisés aux dossiers que les magistrats du tribunal d'affectation peuvent leur présenter.

Cette sensibilisation à ces problématiques se quantifie également par des volumes d'heures. Je vous ai ainsi envoyé des exemples de formations sur les sectes et les mineurs ou sur des problématiques particulières destinées aux juges des enfants. Bien sûr, nous avons eu à plusieurs reprises des contacts avec le président de la Miviludes, parce qu'il nous paraissait important de disposer de son expertise.

Je vais évoquer rapidement le deuxième point, la formation continue, ce qui me permettra de répondre plus facilement à vos questions. La formation continue aborde le thème des sectes ou les questions qui émergent autour des sectes. La formation dédiée à cette question a eu par le passé pour titre « l'enfant et les sectes », « les sectes », et s'intitule aujourd'hui « les dérives sectaires ». Il s'agit donc d'une formation ancienne dont nous avons pu faire bénéficier depuis plusieurs années environ 400 magistrats. Les bénéficiaires sont des magistrats en poste, en exercice, qui ont entre un an et trente-cinq ans d'ancienneté, qui ont montré un intérêt patent pour ces problématiques et qui se sont inscrits. L'ENM, en tant qu'opérateur - je suis d'ailleurs accompagné, comme vous l'avez rappelé, d'Isabelle Bignalet qui est magistrat comme moi et sous-directrice en charge de la formation continue -, a mis en place des sessions de formation continue sur ces problématiques, qui ont eu toujours beaucoup de succès.

Quel est notre but dans ces sessions ? Non pas de privilégier une approche purement théorique du sujet des dérives sectaires. Les magistrats qui y assistent ont souvent été confrontés dans leur pratique à des cas concrets et ont besoin d'un appareil critique, d'échanges avec des collègues pour savoir quelles clés de lecture privilégier, quels choix procéduraux faire. Nous essayons de leur donner ces compétences dans un esprit opérationnel. La richesse de la formation est de permettre ces échanges et de ne pas fonctionner simplement par une information descendante, du sachant vers celui qui apprend.

Nous y enseignons à la fois les éléments fondamentaux - qu'est-ce que la notion de dérives sectaires, quels sont les textes juridiques, quels sont les acteurs de la prévention -, nous faisons appel à des experts, psychiatres ou psychologues, nous définissons les grands contentieux les plus fréquemment rencontrés sur notre territoire et nous développons éventuellement des thèmes d'actualité. L'important, c'est de susciter des débats et des échanges.

Notre politique est de semer du grain. Un collègue qui a bénéficié d'une telle formation, de retour dans son tribunal, dans sa chambre, dans son service, qu'il soit parquetier ou juge des enfants, essaime et fait bénéficier son entourage professionnel de ce qu'il a pu apprendre.

Concernant le thème qui est l'objet de votre commission d'enquête, notons que le sujet de l'année 2012, comme le sujet programmé de l'année 2013, porte sur les dérives sectaires et la santé.

Il est important aussi de préciser que nous ne sommes pas uniquement endogamiques, ce n'est pas « des magistrats parlent à des magistrats ». Dans ces formations, nous accueillons également d'autres publics. La session de 2012, par exemple, accueillait près de quatre-vingt-dix participants, parmi lesquels une quarantaine de magistrats mais aussi des greffiers, des membres de l'administration pénitentiaire, des policiers, en particulier des officiers et des fonctionnaires de police de la cellule d'assistance et d'intervention en matière de dérives sectaires, la Caimades, des officiers de gendarmerie et des administrateurs de l'Assemblée nationale. Ceux-ci s'étaient inscrits, car nous leur avons ouvert nos programmes. Je le dis parce que je suis au Sénat, bien sûr, et sans vouloir vous taquiner, mais des administrateurs de l'Assemblée nationale ont participé à cette session.

En 2013, nous prévoyons de passer de 90 participants à 115 participants - cela montre le succès de ces formations -, avec plus de 60 magistrats français, des magistrats étrangers - nous sommes en partenariat avec d'autres écoles de formation judiciaire et nous avons donc mis cette formation au catalogue des actions de formation que nous ouvrons à des magistrats étrangers - et, de nouveau, des policiers et des administrateurs du Parlement.

La formation durait trois jours en 2012 ; nous l'avons porté à quatre jours pour 2013. C'est sans doute une très bonne détection de l'actualité relative aux dérives sectaires qui nous a fait choisir, à la suite des travaux de la Miviludes, le thème de la santé comme thème d'actualité transversale à cette session de formation. Nous travaillons en lien étroit avec la Miviludes, dont le guide Santé et dérives sectaires a été distribué à l'ensemble des participants.

Enfin, et c'est mon dernier point, nous proposons également dans notre catalogue de formations un diplôme universitaire intitulé « emprise sectaire, processus de vulnérabilité et enjeux éthiques », organisé par l'Université Paris V, en lien avec la Miviludes. C'est un peu marginal par rapport à nos offres de formation, mais deux magistrats se sont inscrits à ce cursus de formation exigeant. Ils vont donc suivre huit modules de trois jours chacun, de novembre à juin. Certains de ces modules portent sur les aspects médicaux et sociaux, la psychologique, la psychiatrie, etc.

Je crois donc pouvoir dire que le dispositif de formation des magistrats proposé par l'ENM prend bien en compte ces thématiques. Le chiffre de 400 magistrats touchés depuis cinq ou six ans par ces formations, sur un peu plus de 8 000 magistrats en France, montre l'intérêt porté à ces formations et leur succès, qui est le signe de leur qualité. Nous nous efforçons de suivre l'actualité et les travaux récents, et d'enrichir d'année en année le contenu de cette formation. Nous évaluons régulièrement la pertinence de nos actions de formation et nous remettons sur le métier les canevas de formation. C'est d'ailleurs pour cela que nous avons augmenté la densité de la session de cette année.

Voilà donc dans les grandes lignes ce que je souhaitais communiquer. Nous mettons en oeuvre en formation initiale une sensibilisation par une approche métier et par une approche déontologie et réflexes professionnels et en formation continue un module disponible depuis plusieurs années et dont le succès va grandissant ; nous mettons enfin à disposition des magistrats un diplôme universitaire.

M. Alain Milon , président . - La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Je vous remercie, monsieur le directeur, de cet exposé synthétique qui nous rassure et nous confirme dans l'idée que la question des dérives sectaires dans la santé est une des préoccupations de la magistrature. C'est une satisfaction pour nous.

Je souhaite vous poser quelques questions. Manifestement, d'après les chiffres que vous nous donnez, la formation continue fonctionne de mieux en mieux. Mais, en ce qui concerne la formation initiale, on a un peu le sentiment, et mon terme n'est pas provocateur, que la question des dérives sectaires est approchée de manière un peu homéopathique, c'est-à-dire très diluée. Les informations sur cette question n'émergent qu'à l'occasion du cursus général. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait prévoir, durant la formation initiale, un module, même court, vraiment centré sur cette question ?

Ensuite, ayant mis en oeuvre cette formation, vous disposez d'une certaine expérience. Que tirez-vous des informations que vous avez pu recueillir quant à l'évolution de ces dérives et la manière dont on peut les contrer ?

M. Xavier Ronsin . - Le mot « dilution » m'amène à réagir, mais je ne veux pas me lancer dans une analyse des mérites ou non de l'homéopathie et des dilutions successives ... (Sourires.)

M. Jacques Mézard , rapporteur . - C'était un peu provocateur.

M. Xavier Ronsin . - Je ne parlerais donc pas de dilution. Comme cela figure plus complètement dans la note que je vous ai adressée, nous disposons d'une séquence de trois heures sur ce sujet devant un public très ciblé. Cela peut apparaître comme « dilué » au regard des 31 mois de formation, mais c'est extrêmement précis et nous sensibilisons les étudiants.

On pourrait caricaturer certaines formations de l'ENM en disant « sur deux ans et demi vous ne faites que cela sur la déontologie ou sur l'expertise comptable », mais il faut voir plus loin, c'est en tout cas ce que je défends. L'important n'est pas tant le volume horaire que la pertinence du public et du moment. Nous sommes face à des étudiants, voire à des jeunes professionnels, parfois un peu plus anciens, et nous devons les amener vers des métiers. Nous devons leur apprendre à rédiger des jugements. C'est la première phase : quels sont les réflexes du magistrat, quelle est sa déontologie, etc.

J'entends donc le mot « dilution », mais pas dans le sens d'une inefficacité, parce que, réellement, cette question est un sujet à part entière, parce que nous vivons dans la cité, parce que nous sommes informés par nos expériences professionnelles. Vous savez que le corps enseignant de l'ENM n'est pas exclusivement dédié à la formation ; il est composé de magistrats, pour l'essentiel. C'est un petit corps enseignant de 18 personnes venant de juridictions, qui restent trois ou six ans au plus à l'ENM et qui retournent ensuite en juridiction. Il ne s'agit donc pas de personnes complètement déconnectées des réalités.

Notre système de formation fait appel, par ailleurs, à beaucoup d'experts venant de juridictions ou d'organisations en charge de ces problématiques. Notre approche est donc très sérieuse.

Le thème est introduit, simplement, à un moment d'initiation durant la première phase, puis fait réellement partie des sujets auxquels les étudiants sont confrontés dans leur tribunal lorsqu'ils font ce stage probatoire évalué, lorsqu'ils passent concrètement dans des cabinets de juges des enfants. Enfin, nous revenons sur ce sujet au moment de ce que nous appelons la pré-affectation, la préparation aux prises de fonction, dans les derniers mois précédant leur première prise de poste.

La formation est donc ciblée d'une manière que je pense efficace. Je ne veux pas dire que l'on ne peut pas faire mieux, votre regard pourrait éventuellement nous conduire à aller au-delà de ce qui est actuellement prévu.

Concernant la formation continue, je vous ai fourni le déroulé exact de la formation qui m'apparaît comme quelque chose de tout à fait sérieux.

Au sujet de votre deuxième question sur les leçons de l'expérience, Isabelle Bignalet complétera mon propos. Nous avons des directeurs de session, des magistrats qui suivent particulièrement ces phénomènes et qui participent à la conception du programme. Nous l'enrichissons année après année, et les retours des participants, des magistrats, des experts nous donnent de nouvelles idées pour cela.

Nous ne sommes pas, et ne prétendons pas être, un observatoire de l'ensemble des procédures susceptible de se dérouler durant une année. C'est là le rôle de la Direction des affaires criminelles et des grâces dont vous avez entendu la directrice. L'observatoire des affaires en cours relève de son expertise. En revanche, elle-même ou des magistrats de ses services peuvent être conviés à présenter des exposés à nos magistrats sur les évolutions de ces phénomènes.

Mme Isabelle Bignalet , sous-directrice de l'Ecole nationale de la magistrature, responsable de la formation continue . - Nos formations, comme on vous l'a indiqué, sont des lieux de parole et d'échange. Leur objectif est de susciter des questionnements. L'information sur l'évolution de ces dérives peut donc être l'objet d'échanges au cours de ces formations.

Comme vous l'indiquait M. Ronsin, ces formations sont mises en oeuvre par des directeurs de session qui y assistent. Ils peuvent disposer de retours beaucoup plus précis sur les échanges qui ont lieu, puisqu'ils choisissent les intervenants et assistent à l'ensemble de la formation, en lien avec un de nos magistrats, Mme Meryil Dubois ici présente, qui coordonne la formation.

C'est d'ailleurs un collègue magistrat du bureau de l'action publique générale de la Direction des affaires criminelles et des grâces, M. Julien Quéré, qui est en charge de cette formation sur les dérives sectaires à l'ENM. Il dispose sans doute de plus d'éléments que moi, qui ne suis pas présente à ces sessions, sur l'évolution de ces dérives. Ceux-ci sont en effet pris en compte pour enrichir nos formations, puisque les thèmes évoluent d'une année sur l'autre.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez choisi, pour la formation qui va se dérouler, le thème de la santé. Ce choix est-il inspiré par la Miviludes ou correspond-il à une actualité repérée dans le cadre de formations antérieures ?

M. Xavier Ronsin . - Nous l'avions repéré, parce que notre pratique de magistrat est de détecter ces problèmes, notamment pour les mineurs. C'est souvent dans les cabinets des juges des enfants que le problème émerge, parce que nous recevons des signalements de l'aide sociale à l'enfance, l'ASE. C'est évidemment tout le problème du secret, cette zone grise qui échappe au regard public.

C'est donc un thème qui nous avait déjà alertés.

Naturellement, le rapport de la Mission, les débats, la lecture de la presse spécialisée nous ont montré que c'était un thème d'actualité. Nous l'avions donc retenu en 2011 pour la session de 2012, puisque les thèmes sont anticipés d'une année sur l'autre.

Au-delà, ce que l'on peut lire dans le rapport de la Miviludes concernant les pratiques des charlatans, par exemple sur la lutte contre le cancer, qui donnent lieu à des témoignages absolument poignants, ce sont des sujets auxquels on peut être confronté lorsque, pour les personnes les plus vulnérables, quelqu'un saisit la justice pour contester ou demander une mesure de protection. C'est donc le deuxième angle, assez classique pour les magistrats et les juges des tutelles. Le troisième, cela peut être l'angle pénal, bien sûr, avec les procédures pour mise en danger de la vie d'autrui par des comportements fautifs, par lesquelles les parquets peuvent disposer d'un certain nombre de signalements.

Je ne sais pas si Mme Marie-Suzanne Le Queau, avec qui je ne me suis pas concerté, a pu vous dire si les procédures sur ces thèmes augmentaient, mais je retire de l'exercice de mes fonctions précédentes de procureur à Nantes pendant quatre années le sentiment que, comme autrefois les incestes, il y a une large part de faits qui restent méconnus, qui ne sont malheureusement pas portés à la connaissance de la justice. Je pense donc qu'il faut une extrême vigilance de la part des magistrats pour détecter que, dans telle situation, il y a peut-être un sujet d'emprise ou de dérive sectaire, parce que cela n'émerge pas spontanément sous forme de plainte dans des locaux de police ou de gendarmerie.

C'est donc plutôt dans les contentieux concernant des personnes vulnérables - enfants, personnes sous tutelle ou susceptibles d'être placées sous tutelle - que la problématique émerge.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Je vous remercie de votre réponse. Vous parlez à juste titre du volet pénal, que l'on connaît, avec les infractions répertoriées, dont l'abus de faiblesse. On voit tout de suite les difficultés qui peuvent apparaître dans un cabinet de juge des enfants concernant certaines dérives sectaires, certaines pratiques, ou un embrigadement des parents. Vous nous parlez moins de ce qui se passe au niveau du juge aux affaires familiales. Est-ce parce que cette dimension est peut-être plus difficile à identifier lorsqu'il y a un débat entre époux ?

M. Xavier Ronsin . - Je crois que j'avais cité les cabinets de juge aux affaires familiales. Pour simplifier, c'est souvent le débat sur la garde des enfants et l'autorité parentale qui fait émerger des accusations de dérives sectaires à l'encontre, évidemment, de l'autre époux.

C'est donc quelque chose qui fait partie sinon du quotidien, en tout cas de la réalité du travail des juges aux affaires familiales. Ces questions sont ensuite résolues sur le terrain de la charge de la preuve, quand un époux parvient à apporter suffisamment d'éléments, ou débouchent sur une demande d'expertise sollicitée par le juge aux affaires familiales, ou sur une enquête sociale. Dans ce cadre, il est souvent difficile de vaincre une forme d'omerta ou de percer à jour un discours un peu lénifiant visant simplement à se présenter comme peut-être un peu atypique par rapport à d'autres modes de comportement.

Ces sujets peuvent donc effectivement tout à fait émerger à l'occasion d'un conflit de couple et de l'attribution de la résidence des enfants.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - La formation que vous proposez a, semble-t-il, suscité des réactions, voire des manifestations. Avez-vous rencontré les manifestants ? Les organisations concernées se sont-elles adressées à vous pour critiquer votre démarche ?

M. Xavier Ronsin . - Vous êtes extrêmement bien renseigné, monsieur le rapporteur ! (Sourires.)

Je vous le confirme, nous sommes obligés, lors des sessions de formation, de faire appel aux services de police pour filtrer les entrées et éviter toute intrusion dans nos locaux situés Quai aux fleurs. L'Eglise de Scientologie n'avait notamment pas apprécié de faire l'objet d'une de nos formations. Mme Bignalet pourra en témoigner, une petite manifestation a eu lieu devant nos locaux en 2012.

Par ailleurs, l'Eglise de Scientologie a engagé un contentieux à notre encontre afin d'avoir accès aux fichiers des magistrats qui suivaient ces formations, au contenu des documents que nous avons distribués, etc. Nous sommes allés plusieurs fois devant la Cada, la commission d'accès aux documents administratifs, et le tribunal administratif, où une affaire est encore pendante. Nous n'avons pas répondu : « Circulez, il n'y a rien à voir ! », mais nous avons protégé ce qui nous semblait nécessaire, à savoir l'anonymat des magistrats qui avaient suivi ces formations.

Nous savons que l'Eglise de Scientologie est extrêmement vigilante. J'y vois là le signe que nous dérangeons et le gage que nos formations ne sont pas homéopathiques.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Tout à fait !

M. Xavier Ronsin . - Elles ont un intérêt et elles peuvent être jugées dangereuses par certains.

Si vous le souhaitez, je pourrais vous transmettre le texte de la requête, voire l'argumentaire que nous avons préparé avec le ministère de la justice. Je n'ai pas avec moi tous les éléments concernant cette affaire, car je ne savais pas que vous alliez m'interroger sur ce point.

Nous avons rappelé plusieurs éléments à la Cada : nos sessions de formation ne sont pas publiques, elles sont réservées aux magistrats ; délivrer à un tiers la liste des participants à l'une de ces formations porterait atteinte à la protection de leur vie privée dans la mesure où la liste comporte les nom et prénom, voire l'adresse des participants.

Nous avons également indiqué que nous n'entendons pas communiquer à l'association spirituelle de l'Eglise de Scientologie la liste de l'ensemble des participants ayant suivi les formations relatives aux dérives sectaires, une demande qui nous avait été faite pour les années 1998 à 2012. Nous avons aussi refusé de leur communiquer nos archives, la documentation utilisée, ainsi que les courriers que nous avons échangés avec la Miviludes.

Nous avons fourni à l'Eglise de Scientologie quelques pièces du dossier documentaire, tout en lui faisant remarquer qu'elle n'avait qu'à acheter les ouvrages de la Miviludes, parce que nous n'allions pas le faire à sa place. Nous avons adressé la copie de notre programme, mais en occultant le nom et la qualité des intervenants. Nous avons refusé de communiquer les correspondances entre l'ENM, la Miviludes et le ministère de la justice au motif qu'elles faisaient partie de l'ingénierie pédagogique et, surtout, qu'il s'agit d'une question de principe.

A l'évidence, les formations que nous proposons dérangent ou suscitent l'intérêt de ceux qui, à un titre ou à un autre, peuvent y être cités.

M. Alain Milon , président . - La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard . - Monsieur le directeur, continuez à déranger le plus possible ! Cela nous donne toute satisfaction.

Le comble, c'est que l'on a le sentiment que la démocratie est sur la défensive,...

Mme Gisèle Printz . - Tout à fait !

M. Yannick Vaugrenard . - ... alors qu'elle devrait être à l'offensive en matière de dérives sectaires, notamment dans le domaine de la santé.

Il reste un point de clivage qui, me semble-t-il, n'est pas tranché, et que je n'ai d'ailleurs pas tranché moi-même : selon vous, est-il plus intéressant de disposer d'une liste bien établie de sectes afin de lutter plus facilement contre elles ou est-ce un inconvénient ?

M. Xavier Ronsin . - Je sors peut-être de ma fonction de directeur, qui n'est pas de dire si ce que l'on a appelé autrefois la liste des RG, qui n'existe plus, était pertinente ou non.

La justice doit trancher sur des situations concrètes. Dès lors qu'il ne s'agit pas d'une organisation interdite, ce n'est pas l'appartenance en tant que telle à une association ou à un groupuscule qui pose problème.

En revanche, des approches thématiques sont nécessaires pour ne pas mélanger telle formation avec telle autre et pour bien comprendre l'espèce de fiche descriptive faite par autrui et, le cas échéant, les techniques de lavage de cerveau, de conditionnement psychologique. Ce sont des éléments d'information pour le magistrat.

Le fait qu'un tel ou un tel figure sur une liste suspecte relève éventuellement de l'autorité administrative, voire d'un organisme tel que la Miviludes ; c'est un élément d'appréciation parmi d'autres pour le magistrat. Il s'agira très concrètement pour lui de savoir si ce point est névralgique ou pas dans une situation de divorce et d'attribution d'autorité parentale ou lors d'un différend concernant des soins à apporter à un enfant et si les éléments matériels d'une infraction pénale sont alors réunis.

Je ne répondrai pas de manière binaire : la liste telle qu'elle existait comportait plusieurs centaines de noms et pouvait vite devenir obsolète dans la mesure où les organisations pouvaient changer de nom très rapidement. Dès lors qu'il y a consensus pour reconnaître qu'il n'y a pas d'erreur de noms sur la liste, celle-ci est plutôt, à mon avis, une alerte ou un appel à la vigilance des magistrats.

Je ne sais pas si ma réponse vous satisfait, mais telle est l'approche non pas du directeur de l'ENM, mais du magistrat sur ce sujet.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Pour avoir participé plusieurs fois dans une vie antérieure à des conférences sur la défense des libertés à l'ENM, j'ai eu le sentiment que certains de vos étudiants étaient plutôt pétris de certitudes. Concernant les mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, ont-ils déjà des connaissances ou une opinion sur ce sujet lorsqu'ils arrivent à l'ENM ?

M. Xavier Ronsin . - Eu égard à certains événements ou aux lectures politiques qui ont pu être faites du comportement de certains magistrats, comme dans l'affaire dite « Outreau », une réforme en profondeur de la scolarité a eu lieu à l'ENM en 2008 : la formation en trente et un mois vise précisément à éviter que les élèves n'aient des certitudes. Nous insistons sur l'humilité nécessaire par rapport aux apprentissages et évoquons la déontologie ainsi que le respect, notamment, du rôle des avocats.

Je ne dis pas pour autant que, avant cette réforme, tout était horrible et que, depuis, tout serait extraordinaire, mais nous avons entendu le message politique, et cet aspect des choses est l'une de nos préoccupations. Mes prédécesseurs ont mis en place une réforme très importante en particulier pour ce qui concerne les procédures de sélection des magistrats, avec des tests psychologiques ou encore, par exemple, la présence d'un psychologue afin d'éviter la psychorigidité prêtée à certains magistrats. Je puis vous assurer que la psychorigidité n'était pas le lot commun de tous ceux qui étaient recrutés.

Par ailleurs, certains, parce qu'ils étaient policiers ou gendarmes, ou parce qu'ils travaillaient dans des services administratifs traitant de ces questions ou encore parce qu'ils s'y étaient intéressés, ont des connaissances sur ce sujet, tandis que d'autres ont une vision très théorique de la question, au travers des articles qu'ils ont lus dans Le Monde ou Le Figaro .

Nous ne proposons surtout pas avec notre formation de trente et un mois des cours quelque peu éthérés, un niveau bac+n déconnecté de la vie réelle et de la vie sociale.

Au contraire, nous nous efforçons le plus possible de plonger nos étudiants, nos auditeurs de justice, dans les réalités économiques, politiques et sociales en les confrontant aux phénomènes de vulnérabilité, d'abus de personnes en situation d'échec dans leur vie affective ou dans leur vie sociale susceptibles d'être des proies, ou aux comportements de personnes très psychorigides qui vont avoir sur leur famille la même emprise qu'un gourou. Lorsque les auditeurs sortent des beaux quartiers, ils n'ont naturellement pas cette vision de la vie.

Pardonnez-moi cette expression un peu triviale, les magistrats ont vraiment les « mains dans le cambouis » quand ils sont dans les juridictions. Notre travail à l'ENM consiste à les préparer à cette réalité et à les suivre dans leur activité.

Parfois, nous sommes confrontés à un autre excès : les auditeurs doutent beaucoup d'eux-mêmes, sont très inquiets des immenses responsabilités qui leur sont confiées. Nous sommes là pour entretenir ce doute intellectuel et pour les conforter dans leurs pratiques, en ayant de bons réflexes professionnels. Telle est en tout cas notre ambition.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - A cette fin, recourez-vous à des cas pratiques ?

M. Xavier Ronsin . - Bien sûr ! C'est le principe même de notre formation.

Depuis très longtemps, nous partons de situations concrètes, avec des appareils documentaires et l'intervention de sachants. Nous ne proposons pas aux magistrats des cas purement théoriques, dont ils pourraient dire qu'ils ne les rencontreront jamais dans la réalité.

Dans le cadre de la formation continue, tous les magistrats exposent à leurs collègues les situations auxquelles ils ont été confrontés dans leur cabinet, la manière dont cela s'est passé, les difficultés auxquelles ils se sont heurtés et les résultats fructueux auxquels ils sont parvenus.

Il s'agit vraiment d'un échange entre pairs avec, bien sûr, un regard extérieur pour susciter le désir de progresser.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous l'aurez compris, la commission d'enquête n'est pas un exercice strictement intellectuel. Nous voulons voir si les questions posées par les dérives sectaires dans le domaine de la santé sont importantes pour notre société. Il ne s'agit pas de remettre en cause la liberté de conscience. Nous voulons faire en sorte que notre société lutte contre les pratiques consistant à pousser certaines personnes à ne plus se soigner et aussi, dans certains cas, à piller purement et simplement les économies d'autrui. Ces comportements sont tout à fait inacceptables.

M. Xavier Ronsin . - Naturellement !

Si une personne adulte connaît une sorte de dérive mentale, reposant sur un salmigondis idéologique, ce cas échappera à la justice si personne ne le signale. Si quelqu'un en a connaissance et que rien n'est fait, c'est un cas de non-assistance à personne en danger.

Toutefois, dès lors que des enfants ou quelqu'un qui a la capacité de faire émerger le problème sont concernés, la justice sera au courant et nous serons bien sûr dans le même champ de protection.

En effet, le magistrat est le gardien des libertés, et la liberté, c'est aussi celle de ne pas se laisser abuser par autrui. En ce sens, la magistrature est pleinement solidaire de la représentation nationale lorsqu'elle exerce son rôle de protection. La formation est, selon moi, un levier pour faire progresser les choses.

M. Alain Milon , président . - Monsieur le directeur, en prévoyant dans votre formation des cours sur les dérives sectaires en matière de santé, vous avez constaté, comme nous qui travaillons sur le sujet depuis quelques semaines, qu'il devient vraiment urgent d'agir pour protéger nos concitoyens.

Dans le cadre des propositions que nous allons formuler dans notre rapport, pensez-vous que l'on doive améliorer l'arsenal législatif qui est à votre disposition ou vous paraît-il suffisant ?

M. Xavier Ronsin . - Tout magistrat a tendance à croire sur parole les parlementaires quand ils affirment que trop de lois tuent la loi et que l'arsenal législatif existant est suffisant.

Ma propre expertise ne me permet pas de dire que le dispositif législatif présente des défaillances. Mais, je le répète avec humilité, je ne prétends pas être le sachant, la personne ayant expertisé l'ensemble des procédures civiles et pénales en France et qui aurait décelé telle ou telle lacune. Je pense que la directrice des affaires criminelles ou le directeur des affaires civiles pourraient vous dire qu'il y a éventuellement béance sur tel ou tel point.

Si j'en crois mon expérience de trente ans de magistrat, en règle générale, les textes existent, qui demandent à être appliqués à des situations qui doivent émerger. Car le vrai problème est souvent là. La situation est-elle connue ? Pourquoi ne l'est-elle pas ?

J'ai beaucoup travaillé sur la problématique de l'enfance en danger, y compris dans des dossiers célèbres, et on constate que certains - telle assistante sociale, tel bailleur social - ont des petits éléments de vérité, mais le problème est de réunir les informations, de leur donner du sens et de porter le dossier à la connaissance de la justice. C'est en ce sens qu'il faut travailler plutôt que de prévoir une énième loi qui accroîtrait les peines.

Je suis prudent sur ce terrain, ma réponse se fonde sur les constats que j'ai dressés lorsque j'ai dirigé un tribunal : on semble avoir les instruments suffisants. En revanche, peuvent se poser des questions de moyens. Eu égard à toutes les situations, les juges des enfants sont-ils assez nombreux ? L'examen de la situation de mise sous tutelle est-il réalisé avec une périodicité suffisante ?

Ce sont là des sujets transversaux, qui peuvent éventuellement avoir un impact sur la célérité des procédures. On n'a pas forcément besoin de modifier beaucoup la loi, même si ce sont les lois de finances qui donnent ou pas des moyens à la justice.

M. Alain Milon , président. Je vous remercie d'avoir témoigné devant nous.

Audition à huis clos - Témoin n° 2 (mercredi 9 janvier 2013)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous poursuivons les auditions de proches de victimes.

Nous travaillons maintenant à huis clos. Qu'il me soit permis d'insister une nouvelle fois sur le courage qu'il faut aux personnes auditionnées pour témoigner devant nous. Leur démarche courageuse relève du souhait d'informer le public par le biais du rapport que notre commission rédigera sur les dangers des dérives sectaires dans le domaine de la santé afin d'éviter, espérons-le, à d'autres victimes d'être piégées à leur tour.

C'est pourquoi nous citerons dans notre rapport de larges extraits des comptes rendus de ces auditions, tout en respectant la demande d'anonymat qui a été formulée par les témoins et acceptée par M. le rapporteur et par moi-même.

Je précise à l'attention de notre témoin que la commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé a été constituée à la demande du groupe RDSE, dont Jacques Mézard est le président. M. Mézard a donc tout naturellement été désigné comme rapporteur de cette commission d'enquête.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous faire prêter serment. Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

La personne se lève et prête serment.

Je vous propose de débuter notre entretien par une courte présentation du cas dont vous venez témoigner, puis le rapporteur et les membres de la commission d'enquête vous soumettront leurs questions.

Vous avez la parole.

Témoin n° 2 . - Le cas dont je vais témoigner concerne essentiellement ma fille, aujourd'hui âgée de seize ans, qui est la victime principale des principes de soins que sa maman voudrait privilégier.

Sa maman est ainsi elle-même victime de certains pourvoyeurs de théories déviantes et, dans le même temps, elle répercute sur sa fille les dévoiements et les privations de soins médicaux qui découlent de ces théories. Ses influences, d'inspiration New Age , remontent à plus de vingt-cinq ans. Elles sont donc anciennes.

Plus récemment, et plus concrètement, il y a également la biologie totale et le « décodage biologique ». D'autres doctrines médicales sont aussi concernées, car il n'y a jamais d'arrêt dans ce type de « recherches ».

Au-delà de la dénonciation des acteurs des dérives sectaires, je souhaite souligner que la maman est bien le dernier maillon d'une chaîne de dérives, dont, je l'ai dit, elle est également une victime. Il me faut insister sur l'habileté dont ces acteurs, en quelque sorte organisés en réseau, font preuve pour dévier les situations banales de la vie courante et pour dresser une montagne de difficultés devant toute personne qui voudrait s'opposer à leurs déviances.

Pour m'y opposer, j'ai recherché le concours d'institutions comme l'Ordre des médecins et la justice, mais le processus est très difficile et très long.

J'ai donc mis plusieurs années, d'une part, à comprendre la détermination de la maman à s'opposer à la médecine scientifique, puis, d'autre part, à lutter contre les effets des déviances subis par ma fille, soit pratiquement les dix années suivantes. Ma fille en ressort aujourd'hui avec quelques séquelles physiques et psychologiques, qui ne sont pas dramatiques mais qui n'en sont pas moins réelles.

Seize ans, c'est assez long à raconter, d'autant qu'il y a une quantité impressionnante d'anecdotes et de faits. Je distingue deux périodes, le découpage entre ces périodes étant déterminé par l'intervention de la justice.

[...]

J'ai quand même mobilisé le conseil de l'Ordre des médecins au sujet de deux situations particulières : une consultation de biologie totale et la signature par un médecin homéopathe d'un faux certificat de vaccination. Le dossier a été traité par le conseil de l'Ordre des médecins de façon très intéressante, mais les faits ont été amnistiés !

[...]

Entre 2006 et 2012, de grandes difficultés pour gérer l'état de santé de ma fille apparaissent à nouveau. Du fait que j'ai pu progressivement imposer qu'elle voie des médecins « normaux » et compétents, on a en effet mis à jour un peu plus précisément ses pathologies, qui sont assez banales, mais dont il faut s'occuper sérieusement. Elle souffre d'asthme de façon chronique, ce qui nécessite des soins. Par ailleurs, en 2007-2009, une malformation pulmonaire a été découverte, ce qui entraîne une sensibilité particulière aux infections. Il faut donc faire preuve d'une extrême vigilance pour éviter les surinfections. Cela implique, notamment, de déclencher de façon très précoce l'antibiothérapie et de bénéficier des protections qu'en principe presque tout le monde a, je veux parler des vaccins, en particulier des vaccins spécifiques pour protéger le terrain pulmonaire : le BCG, même si on est revenu sur l'obligation relative à ce vaccin ; le vaccin contre la rougeole, qui est une maladie à conséquences pulmonaires et mêmes neurologiques graves ; le Pneumo 23®, qui protège contre certains microbes ; le vaccin contre la grippe saisonnière. Toutes les personnes qui sont un peu fragiles des poumons reçoivent ces traitements.

Or, si la maman de ma fille a accepté, petit à petit, que l'enfant soit suivie par un médecin traitant, puis par un pneumologue, même s'il elle ne s'associe plus aux visites chez ce dernier, et si elle a admis les traitements, ne mettant plus en avant la biologie totale ou autres thérapies déviantes, en revanche, elle s'est accrochée à l'interdiction de tous les vaccins.

A la naissance de l'enfant, j'avais compris que, étant relativement opposée aux vaccins, elle acceptait uniquement les vaccins obligatoires, qui ont été effectués : tétanos, poliomyélite, etc.

Le BCG, à l'époque, était obligatoire pour entrer à l'école maternelle, raison pour laquelle elle a fait faire un faux certificat médical. C'est aussi la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.

Au-delà du côté spectaculaire et délirant de la consultation en biologie totale, déjà ancienne, comme je l'ai dit, il est intéressant de savoir qu'un médecin généraliste, adepte de ces théories, a pratiqué une consultation de « décodage biologique » sur l'enfant et expliqué, au bout du compte, ses pathologies par un prétendu stress anténatal venant de la perte d'un jumeau intra-utérin, raison pour laquelle l'enfant aurait développé une culpabilité se traduisant par certains symptômes de la vision - un léger strabisme ainsi qu'un problème mineur de la vue lui ayant valu la prescription de lunettes correctrices par un ophtalmologiste - et par des problèmes pulmonaires.

Selon ledit médecin, il suffisait d'expliquer ce stress anténatal à l'enfant pour la dispenser de tout soin. Elle est donc rentrée à la maison sans lunettes parce que sa maman lui avait dit qu'elle n'en avait plus besoin ! Pour ses poumons, tout allait également s'arranger : le sirop n'était plus nécessaire non plus...

[...]

C'est à la seconde période que je voudrais consacrer le plus de temps. [...]

Naturellement, quand je demande la poursuite de la résidence alternée en accusant la mère de soigner l'enfant de façon incorrecte, je me fais violemment - je dis bien violemment - rejeter, notamment au terme d'une enquête sociale dans laquelle on me qualifie de « psychorigide », propos qui sont repris dans l'ordonnance du juge, qui prévoit, certes, la poursuite de la résidence alternée - comme la maman ne souhaitait pas obtenir la résidence principale, je ne prenais pas trop de risques à ce niveau -, mais dans laquelle est ajoutée une sanction au père, à savoir l'obligation de suivre trois séances de « pédagogie parentale » !

[...]

La garde alternée dure ensuite sept ans. En 2009, quand le diagnostic est précisé par une IRM, le pneumologue prescrit des mesures précises pour contrôler les différentes pathologies. Ce sont des mesures simples, mais elles doivent être effectuées, ce qui demande du temps, mais aussi une formation de l'enfant lui-même. La stratégie de contrôle de l'état pulmonaire passe, par exemple, par la mesure, avec un petit appareil, du débit de pointe. Il y a aussi la prise de corticoïdes inhalés, le recours rapide à l'antibiothérapie et la mise à jour des trois ou quatre vaccins que j'ai cités.

Le problème est que la maman s'oppose, les semaines où l'enfant réside chez elle, à la prise de corticoïdes et que, jusqu'à présent, elle n'a jamais accepté les vaccins. Je le comprends progressivement et j'essaie de le prouver, mais il est très difficile de faire la preuve de ce qui se passe dans l'intimité d'un foyer et l'on ne peut pas non plus soumettre l'enfant à des questions ni le placer au centre du conflit. Donc, tout cela prend du temps.

Puisque c'est sur ce point que sa position est la plus dure, voilà concrètement comment la maman s'oppose aux vaccins.

Après la découverte des vrais problèmes de notre fille et la prescription des vaccins en urgence, comme j'avais sa garde pendant la première partie des vacances d'été de 2009, j'ai pris sur moi de commencer les vaccins avec le Pneumo 23. Je l'en informe donc. Elle ne donne pas de suite !

L'année 2009 est également une année mémorable en raison de l'apparition du virus de la grippe H1N1 pour lequel des recommandations spécifiques sont faites aux personnes présentant un risque élevé, dont ma fille. Je reçois donc un bon de vaccination de l'assurance maladie et je fais vacciner ma fille contre la grippe A. J'ai reçu une lettre de reproches en novembre 2009 avec une menace de faire appel au juge, car - je cite - « tu es tenu de respecter la loi ».

Je souligne que dans cette lettre, et c'est toute la finesse de l'obstruction, la mère n'exprime jamais son refus de la vaccination, sans doute de crainte qu'une telle attitude ne la desserve devant le juge. Elle me reproche seulement d'avoir fait vacciner l'enfant sans son accord explicite. Inutile d'argumenter, chacun sait que dans un contexte sectaire le débat n'est pas possible : soit on est avec, soit on est contre.

Quoi qu'il en soit, je suis contraint de suspendre les vaccinations puisque le médecin traitant connaît la position de la maman et m'indique oralement qu'il ne peut pas procéder aux vaccins tant que la mère n'a pas également donné son accord.

Si je fais faire les vaccinations par un autre médecin qui ne connaît pas le contexte, je me mets moi-même en défaut devant le juge, qui ne manquera pas un jour d'être saisi ; surtout, j'implique l'enfant dans un coup de force contre sa mère, ce qui serait désastreux pour ma fille. [...]

Je reviens à la question de la vaccination. C'est le vaccin contre la rougeole qui tenait le plus à coeur au pneumologue. A force de solliciter les médecins par écrit pour qu'ils me notifient également par écrit, ce qui m'a pris pratiquement un an, que la maman ne voulait pas faire vacciner l'enfant, j'ai obtenu gain de cause. J'ai eu une première lettre du pneumologue dans laquelle celui-ci insiste fortement sur la nécessité de vacciner l'enfant, en particulier contre la rougeole.

Sur ce, le médecin traitant, qui, lui aussi, attendait le consentement de la maman pour éventuellement vacciner l'enfant, finit par produire un document dans lequel il notifie que la maman est opposée à la vaccination. J'ai donc maintenant quelques éléments concrets.

Un autre juge décide que la résidence principale, maintenant demandée par les deux parents, va être attribuée au père et que les soins médicaux devront être conformes aux préconisations du CHU, qui avait réalisé une expertise à la demande du pneumologue.

[...]

En conclusion, je dirai qu'il y a peut-être une difficulté d'ordre juridique dans le fait que, si les parents séparés qui ont conservé, comme c'est le cas la plupart du temps, l'autorité parentale doivent exercer celle-ci de façon conjointe, il suffit que l'un des parents s'oppose pour que rien ne soit possible. Il est quand même incroyable que les préconisations, après expertise, du CHU pour soigner un enfant soient bloquées par un veto de la mère et qu'il faille aller devant le juge pour débloquer l'interdiction. C'est vraiment navrant !

Peut-être faudrait-il faire en sorte qu'il soit beaucoup plus facile pour un parent, à l'appui d'expertises éventuellement contradictoires mais sérieuses, de faire appliquer ce que la médecine scientifique préconise pour soigner un enfant.

Je vous remercie de votre attention.

M. Alain Milon , président . - La parole est maintenant à M. le rapporteur.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Manifestement, monsieur, vous avez combattu de longues années directement, mais aussi judiciairement en engageant une procédure devant le juge aux affaires familiales.

[...]

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Pouvez-vous nous en dire davantage sur les influences à caractère sectaire que vous imputez à votre épouse ? Fait-elle partie d'un réseau ?

Mme Muguette Dini . - Pour compléter la question de M. le rapporteur, à quel moment avez-vous pensé que votre compagne était sous une emprise sectaire ? Vous en étiez-vous rendu compte avant la naissance de votre fille ?

Témoin n° 2 . - J'ai connu la mère de ma fille un peu avant 1989. Elle avait déjà une certaine attirance pour les questions ésotériques et avait fréquenté des personnes à la dérive - je le vois très clairement maintenant - qui faisaient des stages du genre « guérison miraculeuse ».

Je ne suis pas parti en courant. Cela restait, me semblait-il, du domaine des expériences que certains aiment bien tenter. Je suis même allé avec elle à une conférence new age , que donnait un individu bien connu qui écrit des livres.

Cela remonte à plus de vingt-cinq ans et est donc très ancien. On ne peut pas se permettre de faire des conjectures sur l'origine et les causes de son parcours. Il faut prendre plus de distance.

[...]

Il y a chez elle une composante très importante : elle cherche à se former dans l'espoir d'exercer une activité professionnelle qui ressemblerait à celle d'un thérapeute. Elle était, c'est vrai, assez attirée par la profession médicale, mais n'avait pas pu faire les études correspondantes.

Ce ne sont que des suppositions. Quoi qu'il en soit, elle a enchaîné les formations pendant vingt ans. Elle a commencé voilà vingt ans par la naturopathie, puis a obtenu une spécialisation en drainage lymphatique, en Autriche.

[...]

Après la naturopathie et le drainage lymphatique, elle s'est tournée vers la biologie totale.

[...]

Ensuite, cela a été la médecine chinoise, qui est maintenant enseignée à la faculté. Elle était déjà passée par des écoles, dont on pourrait longuement parler.

[...]

Il s'agit donc d'un processus extrêmement long dans lequel elle s'enferme de plus en plus, l'enfermement étant entretenu par les thérapeutes et les tenants de toutes ces déviances. Ces personnes - vous avez parlé de réseau - se connaissent toutes, et ont deux ennemis communs : la médecine et la société. Ils se serrent les coudes et se renvoient les patients. Ce sont donc des réseaux informels. Quand un thérapeute a en quelque sorte « fait le tour » de son patient, il lui suggère d'aller en voir un autre, qui lui fera franchir une étape supplémentaire. Et le patient y va !

Les sectes ont compris qu'il y avait là un marché, et elles se sont engouffrées dans ces thérapies. Soit elles en proposent elles-mêmes, soit elles les soutiennent. Dans tous les cas, elles ont les méthodes, les bases et l'habitude de la manipulation. C'est une industrie.

M. Yannick Vaugrenard . - Y a-t-il eu des conséquences financières lourdes de ces engagements et formations suivis par votre ex-compagne ?

Par ailleurs, vous nous disiez que votre fille était plutôt de santé fragile. Dès lors que les vaccins semblaient être indispensables, peut-on considérer qu'il s'agit de non-assistance à personne en danger s'ils ne sont pas effectués ?

Témoin n° 2 . - D'un point de vue financier, mon ex-compagne y a, bien sûr, laissé des plumes, mais il se trouve qu'elle avait, et qu'elle a peut-être encore, les moyens de payer ces formations et, d'une certaine façon, d'avoir un peu de retour sur investissement.

Si ma fille était décédée de la rougeole, que se serait-il en effet passé ?

[...]

Comme nous avions une autorité parentale conjointe, j'aurais été, aux yeux de la justice, coresponsable du fait qu'elle ne soit pas vaccinée. Pourquoi ne pas l'avoir fait vacciner de force contre la rougeole pour être sûr qu'elle n'en meure pas ? Les choses se seraient probablement passées comme ça !

Comment agir en amont ? J'ai la « chance » de m'être trouvé dans un cas de figure où les traitements étaient justifiés par de fortes causes pathologiques, mais que dire de tous ceux qui ne se font pas vacciner ? Pour la rougeole, du fait d'un taux insuffisant de vaccination en 2008 et en 2009, le nombre de cas a doublé. Certaines maladies resurgissent parce que le taux de vaccination est passé de 90 % à 80 %.

M. Alain Milon , président .- La coqueluche, la tuberculose...

Témoin n° 2 . - Voilà ! A la limite, ceux qui ne se font pas vacciner ne prennent pas de risques pour eux-mêmes puisqu'ils sont protégés par la vaccination des autres, mais, d'une certaine façon, ils sont irresponsables. Or, on ne peut pas les mettre devant leurs responsabilités.

[...]

Audition à huis clos - Témoin n° 3 (mercredi 9 janvier 2013)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous allons clore cette journée d'auditions en entendant un troisième témoignage à huis clos.

En effet, le rapporteur et moi-même nous sommes engagés à respecter la demande d'anonymat formulée par les témoins.

Il s'agit ici d'informer, par le biais de notre rapport, le public sur certains risques particuliers liés à la formation professionnelle aux pratiques thérapeutiques dites « non conventionnelles ». C'est ce qui nous amènera à citer, dans ce rapport, de larges extraits du compte rendu de l'audition, tout en respectant la demande d'anonymat que je viens d'évoquer.

Je rappelle maintenant, à l'intention de notre témoin, que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative du groupe RDSE, dont Jacques Mézard, rapporteur de la commission d'enquête, est le président.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous faire prêter serment. Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

La personne se lève et prête serment.

M. Alain Milon , président .- Je vous propose de commencer votre audition par une courte présentation du cas à propos duquel vous venez témoigner. Ensuite, le rapporteur et les sénateurs membres de la commission vous poseront quelques questions.

Témoin n° 3 . - Tout d'abord, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me recevoir parce que cela fait bientôt sept ans que je mène moi-même ma petite enquête.

A vrai dire, j'ai découvert ce domaine tout à fait fortuitement, en faisant la connaissance de mon compagnon.

Lorsque je l'ai rencontré, en novembre 2006, [...], il m'a fait part de son intention de changer de voie professionnelle. Pourquoi pas ? Je n'ai pas émis d'objection a priori [...]. Il m'a dit qu'il voulait s'engager dans une formation en naturopathie.

Mon compagnon s'est d'abord adressé à plusieurs organismes, puis son choix s'est arrêté sur une école de formation en naturopathie, le Cenatho - Collège européen de naturopathie traditionnelle holistique.

Il fallait qu'il puisse financer cette formation, dont le coût, pour la formule accélérée (dispensée sur un an et demi), s'élevait à 10 000 euros. Je lui ai dit qu'il était un peu audacieux de se lancer dans une formation aussi onéreuse et qu'il fallait peut-être demander l'aide du Fongecif ou voir s'il ne pouvait pas bénéficier d'un financement. Mon compagnon a donc adressé une demande d'aide au Fongecif, mais cette dernière lui a été refusée.

Dès lors, j'ai essayé de tempérer ses ardeurs. Il a quand même persévéré et voulu démissionner de son emploi pour pouvoir suivre la formation proposée par le Cenatho. J'ai à nouveau tenté de le dissuader.

Du fait de sa démission la formation lui donnait le droit aux Assedic, ce qui était un moindre mal. Mon compagnon s'est donc inscrit au Cenatho à la fin de 2006 et sa formation a commencé au tout début de 2007.

Au fil du temps, je me suis rendu compte que l'enseignement était extrêmement spécieux. Beaucoup de signes me faisaient croire qu'il était engagé dans quelque chose d'étrange, d'ésotérique et, à tout le moins, de peu sérieux. En effet, la première chose que j'ai pu remarquer a été que les formateurs ne pouvaient se prévaloir d'aucune formation académique.

Le contenu de l'enseignement me paraissait vraiment très léger. Il comprenait un peu d'anatomie, mais du niveau de terminale D - je peux en témoigner : c'est la filière que j'ai suivie ! (Sourires.) . Il comprenait un peu de biologie, mais sous forme de saupoudrage, ainsi que beaucoup de disciplines dont je n'avais jamais entendu parler et qui me paraissaient relever de la médecine de Molière ou de celle de Marco Polo !

Il y avait, par exemple, la « science des humeurs ». (M. le président s'exclame.) C'est à cette occasion que j'ai appris que j'étais d'un caractère bilieux. Soit !

Ensuite, la formation incluait de l'iridologie, à savoir l'étude de l'iris, lequel serait divisé en cadrans, eux-mêmes illustrés par des espèces de petits homoncules, de petites figurations - un peu comme dans les cartes maritimes du XVII e siècle -, censées représenter la projection des organes. Selon l'iridologie, l'observation des iris permettrait d'avoir un aperçu à la fois des traumatismes physiques passés, des fragilités actuelles et des traumatismes à venir.

J'étais de plus en plus inquiète. Mais, ce qui m'a encore plus inquiétée, c'est le changement de comportement que j'ai constaté chez mon compagnon : ses idées devenaient de plus en plus arbitraires, il était fermé à toute critique, il avait une réponse globale à toutes les questions du monde. Au même moment, il a changé ses habitudes alimentaires, devenant végétarien. Mon compagnon avait aussi des mantras à réciter tous les matins, sur la base de petits livres publiés par des maisons d'édition inconnues.

[...]

Je me suis dit un jour qu'il y avait peut-être un aspect sectaire dans tout cela puisque c'était un petit monde qui extorquait quand même pas mal d'argent. En effet, à côté de la formation en elle-même, on demandait à mon compagnon d'acquérir des supports pédagogiques très coûteux, du matériel, notamment un pendule en acier « iridié » qui avait dû être adoubé par je ne sais quel gourou et qui lui a tout de même coûté 200 euros. Tout cela m'a beaucoup inquiétée.

Ce qui m'a également beaucoup inquiétée, c'est que j'ai pu constater par moi-même la nature des enseignements en me prêtant au jeu du cobaye : au Cenatho, ils ont besoin de personnes sur qui s'exercer.

[...]

Le Cenatho travaille également sur les groupes sanguins, avec l'idée que certains d'entre eux prédisposeraient plus ou moins fortement au développement de maladies. Il recourt aussi à la numérologie médicale, qui, par l'addition de je ne sais quels chiffres, permettrait d'évaluer le risque qu'un individu a d'avoir un cancer.

Enfin, j'ai pu y entendre des tas de choses parfaitement étranges, en tout cas absolument pas sérieuses, dépourvues de tout fondement.

Selon moi, la formation dispensée au Cenatho n'est rien qu'un saupoudrage d'idéologies.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Manifestement, vous avez beaucoup travaillé sur le dossier du Cenatho. Dans ce qui a attiré votre attention, qu'est-ce qui vous a paru le plus préoccupant ?

Vous avez évoqué l'aspect financier, qui, d'ailleurs, ressort des éléments figurant sur le site Internet du Cenatho, où les tarifs de formation, qui ne sont pas légers, apparaissent très clairement.

Témoin n° 3 . - Tout à fait !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - En dehors de cet aspect, quels risques, quels dangers avez-vous répertoriés pour nos concitoyens qui suivent ce type de formations ?

Témoin n° 3 . - Ce qui m'inquiétait le plus, c'était, d'une part, la désinformation et, d'autre part, la position radicalement anti-allopathique. Ils ont beau dire qu'ils travaillent main dans la main avec les allopathes et qu'ils ne font que de la prévention... Déjà, je ne sais pas très bien ce que la prévention veut dire pour eux parce que, si j'ai bien entendu mon compagnon, un être en bonne santé est un malade qui s'ignore et on doit tout le temps faire de la prévention ! Dans ces conditions, on vous impose des tas de médications. Moi-même, j'ai dû subir quantité de traitements parce que je suis en bonne santé et... qu'on ne sait jamais !

Ils ont beau dire qu'il n'y a pas de diagnostic ! Il y a diagnostic et il y a prescription ! Ce n'est donc pas du tout préventif : c'est curatif !

La désinformation est ce qui me paraissait le plus inquiétant. Ainsi, j'ai entendu, de la bouche même du directeur, que Pasteur était un escroc et que la maladie n'était en fait qu'une affaire de terrain.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Avec votre expérience, comment pouvez-vous résumer ce que le Cenatho appelle « une vision réellement "holistique" de l'humain » ? (Sourires.)

Témoin n° 3 . - Je ne sais pas ce que cela signifie. Du reste, je pense qu'un médecin classique a aussi une vision holistique de l'humain !

Il me semble que les responsables du Cenatho créent une sorte de rideau de fumée avec des termes abscons ou inintelligibles pour pouvoir cacher le vide de leur enseignement.

Mme Muguette Dini . - Mon collègue Yannick Vaugrenard et moi-même nous posons la même question : aujourd'hui, où en est votre compagnon ? Est-il toujours en formation ? En est-il sorti ?

Témoin n° 3 . - Non, il n'est plus en formation. Il en est sorti au bout de dix-huit mois. Il a tenté d'exercer son art, mais il a rencontré beaucoup de difficultés.

Déjà, pour essayer de trouver une clientèle, il faut se démener !

Du reste, tout le monde n'est pas prêt à débourser 60 à 80 euros pour une séance qui ne lui sera pas remboursée. Au demeurant, le fait que la séance ait lieu au domicile du praticien n'est pas ce qu'il y a de plus rassurant pour la clientèle ! De fait, cette dernière ne dispose d'aucune garantie quant au sérieux du praticien [...].

En tout cas, la tentative de mon compagnon a fini par échouer, si bien qu'il a trouvé un autre emploi, qui lui convient et, si je puis dire, me paraît tout à fait respectable.

M. Alain Milon , président . - Votre compagnon garde-t-il des relations avec le Cenatho ?

Témoin n° 3 . - Oui. Du moins, il a essayé d'en garder. Curieusement, ce sont les responsables du Cenatho qui n'en gardent pas. En effet, quand ils constatent qu'ils n'ont pas abouti dans leur démarche, ils se méfient : les personnes qu'ils ont formées pourraient éventuellement essaimer leur aigreur - de fait, elles ne le font pas.

[...]

M. Yannick Vaugrenard . - Savez-vous si les formations concernées sont parfois aidées ou soutenues financièrement par des collectivités publiques ?

En ce qui concerne les financements, je sais que certains organismes ont financé le Cenatho. Je sais que, sur son site, à une époque - en tout cas, en 2007 -, ce dernier se prévalait d'avoir reçu des financements de certains Fongecif, mais pas de tous. Cela a donc dû se faire.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Sur son site, le Cenatho indique très clairement que les techniques qui y sont enseignées « n'entrent en aucune façon en opposition avec la loi française », que les professionnels de ces disciplines « ne procèdent à aucun diagnostic ni traitement de maladie ».

Quant à vous, vous affirmez l'inverse : vous déclarez qu'il y a un aspect curatif.

Témoin n° 3 . - Oui, je dis l'inverse, et je suis formelle.

[...]

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Sur le site, il est également indiqué que ces professionnels « n'interviennent jamais non plus pour modifier ou inviter à interrompre un éventuel traitement médical ».

Témoin n° 3 . - Quand, il y a quelques années, on m'a demandé de subir une opération, j'en ai parlé à mon compagnon, qui s'est élevé de façon vraiment très véhémente contre cette intervention.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Toujours sur le site du Cenatho, on lit que « les naturopathes prêtent serment sur le code de déontologie fédéral ». Savez-vous ce qu'est ce code ?

Témoin n° 3 . - Non, je l'ignore. Tout ce que je sais, c'est que la Fédération française de naturopathie, la Fenahman, ainsi que « l'Objectif : notre santé », l'ONS, sont des émanations du directeur du Cenatho.

M. Alain Milon , président . - Qu'est-ce qui motivait votre compagnon quand il vous recommandait de ne pas vous faire opérer de votre endométriose ?

Témoin n° 3 . - Selon ses propres termes, j'étais un « mouton de l'allopathie » et on pouvait me soigner par le terrain...

Du reste, cette posture vaut quelle que soit la maladie ! Ainsi, mon compagnon n'a pas fait vacciner ses enfants.

M. Alain Milon , président . - Les intervenants du Cenatho conseillent donc de s'écarter de la médecine traditionnelle ?

Témoin n° 3 . - Oui, très nettement.

M. Alain Milon , président . - S'ils ne l'écrivent pas sur leur site, ils le font dans leurs cours.

Témoin n° 3 . - Exactement. Ils sont anti-vaccinaux, anti-antibiotiques, anti-médecine classique.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Sur le site du Cenatho figurent des éléments sur la qualité de vie dans ses locaux de formation. Pouvez-vous nous donner quelques indications, non pas sur les distributeurs de boissons chaudes bio et commerce équitable - ça, nous connaissons -, mais sur la « fontaine à eau osmosée et dynamisée Mélusine » ? (Sourires.)

Témoin n° 3 . - Comment, vous ne connaissez pas l'eau osmosée et dynamisée ?... (Nouveaux sourires.)

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Eh non !

Témoin n° 3 . - Pour ma part, j'ai appris à la connaître !

M. Jacques Mézard , rapporteur .- Quant à nous, nous voulons étancher notre soif de connaissance ! (Nouveaux sourires.)

Témoin n° 3 . - Voyez-vous, en buvant cette eau-ci (le témoin désigne la bouteille d'eau minérale se trouvant sur sa table.) , vous prenez des risques, puisque c'est de l'eau morte ! Selon eux, il existe de l'eau morte et de l'eau vivante. Ne me demandez pas la différence ! Je sais juste qu'il existe de l'eau vivante, vendue très cher par des laboratoires - dont celui qui fabrique les fontaines à eau Mélusine -, et que l'eau que nous buvons tous les jours est une eau morte. Je ne sais pas pourquoi. Pourtant, j'ai essayé de comprendre...

[...]

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Pouvez-vous nous en dire plus sur le « bol d'air Jacquier » ?

Témoin n° 3 . - Encore quelque chose d'intéressant ! Il s'agit d'un appareil qui ressemble un peu à ceux que l'on utilise pour faire des fumigations, mais qui diffuse de l'oxygène censé vous revitaliser et reprogrammer tout le cellulaire interne... Pour le coup, on le trouve facilement au salon Marjolaine.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Avez-vous des éléments sur les « trois systèmes de neutralisation des nuisances électromagnétiques » ?

Témoin n° 3 . - Je ne sais pas non plus ce que c'est, si ce n'est que cela se présente sous forme de petites pyramides bleues, que l'on dispose à côté de tous les appareils électromagnétiques et qui sont censées en neutraliser les effets néfastes, et que cela coûte cher !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Et ces systèmes fonctionnent ?

Témoin n° 3 . - De toute façon, on travaille à l'aveugle ! Comme je le dis toujours à mon compagnon, pour apprécier l'efficacité de tels appareils, il faudrait comparer les résultats obtenus selon qu'on les utilise ou non. Or de telles comparaisons sont impossibles.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - En tout cas, ces appareils se vendent !

[...]

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Si j'ai bien compris, selon vous, l'aspect financier est fondamental dans les motivations de Cenatho.

Témoin n° 3 . - Évidemment. Plus largement, la désinformation pratiquée sur le plan sanitaire me paraît grave.

Pour ma part, je ne pense pas du tout que le directeur du Cenatho soit végétarien, ni qu'il prête quelque attention que ce soit ni accorde aucun fondement à ce que prône le Cenatho.

[...]

M. Alain Milon , président . - Les enfants de votre compagnon ne sont pas vaccinés ?

Témoin n° 3 . - Non. Du reste, ils ont bénéficié d'un certificat d'intolérance établi par un médecin. [...]

M. Alain Milon , président . - Le problème, avec les faux, c'est que, généralement, dans leur certificat, les médecins précisent que l'état de santé de l'enfant est tel « à ce jour » que la vaccination est contre-indiquée. Autrement dit, l'enfant étant malade le jour de la consultation, il ne peut être vacciné.

[...]

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Le médecin avait-il reçu l'enfant ?

Témoin n° 3 . - Non. Ils se passaient entre eux l'adresse d'un médecin qui travaillait à l'acte, sans connaître du tout les patients.

[...]

En ce qui concerne les vaccins, la naturopathie considère que, si l'on doit se faire vacciner, on doit prendre des tas de « médicaments », eux aussi fabriqués par des laboratoires, pour « se laver » du vaccin. Vous le voyez, ils tirent prétexte de tout !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - C'est intéressant : vous nous expliquez qu'ils vendent des « médicaments » qui servent à se prémunir contre l'effet des vaccins.

Témoin n° 3 . - En effet. Selon eux, les vaccins sont néfastes.

[...]

Mme Muguette Dini . - Vous nous dites que l'ensemble de ces pseudo-praticiens sont constitués en réseaux : réseaux de praticiens, réseaux de pharmacologie, réseaux de laboratoires...

Témoin n° 3 . - Il y a en effet une cinquantaine de noms qui apparaissent partout.

[...]

M. Alain Milon , président . - Je vous remercie pour votre témoignage.

Audition de M. Cédric ARCOS, directeur de cabinet du délégué général de la Fédération hospitalière de France (FHF), Mmes Florence LEDUC, directrice de la formation et de la vie associative de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne (Fehap) et Dominique Chantal DOREL, directrice des relations avec les usagers de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) (mardi 15 janvier 2013)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui les représentants des trois fédérations hospitalières :

- la Fédération hospitalière de France (FHF), représentée par M. Cédric Arcos, directeur de cabinet du délégué général ;

- la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne (Fehap), représentée par Mme Florence Leduc, directrice de la formation et de la vie associative ;

- la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), représentée par Mme Dominique-Chantal Dorel, directrice des relations avec les usagers.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport ; son enregistrement vidéo sera diffusé sur le site du Sénat.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Je rappelle à l'attention des représentants des fédérations hospitalières que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, qui est donc notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes auditionnées de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Cédric Arcos, mesdames Florence Leduc et Dominique-Chantal Dorel, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les trois personnes se lèvent et prêtent serment.

M. Alain Milon , président. - Je propose que chacun présente un rapide propos introductif des sujets qui intéressent la commission d'enquête ; puis M. Mézard, rapporteur, ainsi que les membres de la commission d'enquête interviendront pour poser des questions.

M. Cédric Arcos, directeur de cabinet du délégué général de la FHF - Merci de l'invitation que cette commission d'enquête a adressée aux fédérations pour s'exprimer sur ce sujet très important et très délicat qui concerne tous les hospitaliers de par les valeurs, les enjeux et les processus qui sont en jeu.

La FHF partage le constat, établi en son temps par la Miviludes, selon lequel le secteur de la santé est particulièrement propice à l'influence des mouvements à caractère sectaire et de leurs dérives. L'hôpital est en effet exposé, de par sa nature, à ces dérives du fait de la vulnérabilité même des personnes qu'il accueille.

Permettez-moi de replacer ce mouvement dans un contexte plus global, celui de l'hôpital dans la cité... Ce mouvement concerne l'hôpital en tant qu'acteur du soin au sein de la cité. Il me paraît important de constater que ces influences sectaires s'inscrivent dans une période où l'on déplore une certaine perte de repères à laquelle l'hôpital, comme les autres acteurs, est lui aussi confronté.

Il s'agit là d'une déstabilisation du savoir médical, d'une perte de la légitimité des professionnels de santé, médicaux ou soignants, les évolutions technologiques venant ajouter de l'incertitude dans les modes de prise en charge, qui rendent plus difficilement accessibles au raisonnement non scientifique les thérapeutiques en cause. Ceci vient perturber l'individu qui a besoin de stabilité et de réponses.

On constate également une certaine perte de repères chez les patients ; celle-ci ne tire pas à mon sens son origine de la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades, qui visait à faire de l'individu une personne plus autonome et un acteur de son parcours de soins.

Pour la FHF, la conjonction de ces différents phénomènes de remise en question des légitimités traditionnelles et de l'affaiblissement du religieux vient bousculer les repères traditionnels. Ce trouble s'applique à l'hôpital, où les malades vont parfois chercher les réponses auprès de mouvements dont le but est de les rassurer et de réduire les incertitudes qu'ils peuvent rencontrer dans leur parcours de soins.

Les réponses qu'il faudrait apporter sont certes propres au milieu hospitalier mais vont au-delà ; ils concernent globalement l'hôpital dans son environnement.

Paradoxalement, l'hôpital, face à ces dérives, est presque mieux protégé que les autres institutions. La vulnérabilité des personnes face aux influences sectaires se situe davantage en dehors de l'hôpital.

Des millions de personnes font aujourd'hui face à une maladie très invalidante ou perturbante, avec des issues parfois dramatiques. L'influence des mouvements sectaires peut prendre tout son sens lorsque ces patients, fragilisés, font l'objet de sollicitations en dehors du cadre hospitalier et qu'on leur propose des médecines alternatives ou d'autres réponses...

Selon moi, l'une des solutions réside dans le maillage et l'accompagnement du patient tout au long de son parcours de soins, afin que celui-ci ne soit plus isolé. Ceci nous renvoie au rôle de la coopération entre les différents acteurs de soins, en aval de l'hôpital - médecine de ville, libéraux - mais également aux nouveaux métiers de référents de parcours, destinés à apporter des réponses professionnelles et à réduire les incertitudes.

L'hôpital a pris conscience de la nécessité de se mobiliser afin de se protéger de l'influence des mouvements sectaires. On constate une prise de conscience des établissements hospitaliers publics - même s'il existe une certaine difficulté à en parler - en particulier à travers les actions de formation des personnels. Nous conservons d'ailleurs des liens très forts avec l'Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH), qui a mis en place une série de procédures destinées à se protéger de l'intervention d'organismes à caractère sectaire qui chercheraient à pénétrer ces milieux par le biais de la formation. De plus en plus d'établissements mettent de telles procédures en place.

La mission que vous conduisez a toute son importance car c'est en parlant de ces sujets et en apportant des réponses aux professionnels que ces mouvements seront le mieux identifiés. Les professionnels hospitaliers, en particulier publics - mais je ne doute pas que ce soit la même chose pour les autres établissements - sont particulièrement sensibilisés en la matière et ont mis en place des réflexes pertinents, au plus près du terrain, seule voie pour bien prendre en compte ces phénomènes.

Mme Florence Leduc, directrice de la formation et de la vie associative de la Fehap. - Je voudrais tout d'abord dire que l'institution que je représente aujourd'hui compte 3 700 établissements et services qui ont pour une part une origine congréganiste et pour une autre part une origine laïque. Pour autant, le mouvement respecte la neutralité, la laïcité et les opinions philosophiques, dans le droit fil des valeurs de la République, qu'il est important de rappeler.

Quand la Fehap m'a proposé de la représenter dans le cadre de cette audition, j'ai commencé par en parler avec ses adhérents. C'est un sujet que je connais bien, du fait de mes fonctions antérieures dans les organisations d'aide, de soins et d'accompagnement à domicile, où j'ai déjà été confrontée aux questions de dérive sectaire.

Le premier constat est le même que celui que vous venez de tirer et j'ai pu glaner un certain nombre d'histoires marquantes pour l'institution : on ne soupçonne pas que telle ou telle personne, si empathique, si proche, puisse appartenir à une secte. Or, aujourd'hui, plus les personnes sont fragiles et isolées, plus elles sont vulnérables.

Deux sujets apparaissent particulièrement difficiles pour les établissements. En premier lieu, les équipes soignantes ou les services d'accompagnement ont souvent affaire à des personnes qui refusent certains soins ou qui n'acceptent pas que leurs enfants aient accès à ces soins. Ceci place les équipes face à un cas de conscience : la règle veut en effet que nos institutions respectent les croyances de chacun, mais ceci va à l'encontre de leur mission. Seul point positif, de tels dilemmes peuvent toutefois être discutés dans le cadre des groupes de réflexion sur les questions éthiques...

En second lieu, certains personnels appartenant à des sectes peuvent infiltrer les établissements de soins. L'absence de rencontre initiale avec les autorités compétentes, lors des procédures d'appel à projets, rend ces dernières moins vigilantes.

La question de la formation pose également problème. Aujourd'hui, n'importe quelle structure peut se prévaloir du titre d'organisme de formation. Il n'existe en effet aucun contrôle préalable de l'organisation ou du contenu de ces formations et certains organismes offrent parfois des programmes de formation alléchants, par exemple sur la question de la fin de vie ou du cancer...

On m'a également rapporté l'histoire d'un membre d'une organisation d'hospitalisation à domicile faisant preuve de beaucoup d'empathie envers les patients. Cette personne, avec d'autres, s'occupait de patients en dehors de ses heures de travail, leur prodiguant des lavages de pieds et procédant à des incantations. On manque de moyens pour se séparer d'un tel élément en recourant aux voies légales du licenciement, les faits reprochés se situant en dehors du temps de travail, même si le salarié appartient à une organisation sectaire et fait rentrer chez les patients des personnes extérieures au service.

Les soins à domicile sont également d'une grande complexité. Les contrôles sont plus difficiles à exercer qu'à l'hôpital. Le fait que plusieurs personnes d'une même équipe se rendent alternativement au domicile du malade, s'il ne convient pas toujours aux familles, permet d'exercer une plus grande vigilance. Sans doute y a-t-il des périodes plus ou moins propices pour le rappeler, mais il ne faut pas manquer de le faire régulièrement.

Enfin, je veux évoquer en dernier lieu la vulnérabilité des qualifications professionnelles les moins élevées dans la hiérarchie, voire des personnels à temps partiel, qui constituent parfois des catégories fragiles et peuvent, plus facilement que d'autres, être la proie de mouvements sectaires.

Mme Dominique-Chantal Dorel, directrice des relations avec les usagers de la FHP. - Je suis d'accord avec le constat selon lequel il existe une certaine perte de repères qui peut servir de terreau aux mouvements à caractère sectaire.

L'idée d'introduire dans le parcours de soins un coordinateur pourrait favoriser le suivi des patients entre l'établissement hospitalier, l'amont et l'aval.

Quant à la formation, certains moyens ne sont pas toujours utilisés. On pourrait imaginer que les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) activent une sorte de filtre permettant de prendre ou de ne pas prendre en charge ces formations.

Par ailleurs, si l'on parle beaucoup des mouvements sectaires, on manque d'éléments statistiques les concernant...

Il y a une quinzaine d'années, nous connaissions un certain nombre de problèmes avec les témoins de Jéhovah, qui refusent la transfusion sanguine. Grâce à l'arrêt du Conseil d'Etat à ce sujet, l'information selon laquelle le médecin doit délivrer des soins indispensables est bien passée auprès des professionnels de santé et aucune difficulté de cet ordre ne nous est remontée.

Concernant les professionnels de santé membres d'une secte, tous peuvent être concernés quelles que soient leurs fonctions et leur niveau.

Quant aux victimes de sectes qui sont prises en charge par un établissement hospitalier, je veux mettre en avant le fait que les professionnels hésitent beaucoup à effectuer des signalements. Tout comme pour les enfants victimes de sévices, il existe une chape de plomb concernant ce genre de phénomène...

Par ailleurs, il y a eu des actions de sectes à l'égard des patients. Un mouvement, très actif à une certaine époque a conduit des actions très hostiles à la pratique de la sismothérapie dans les cliniques psychiatriques. Mes prédécesseurs n'en ayant pas parlé, je voulais le dire ici. Je pense que ce phénomène a également existé dans les établissements hospitaliers publics...

Je crois enfin que les professionnels de santé ne connaissent pas suffisamment les travaux de la Miviludes. Je propose donc que nous utilisions nos propres canaux pour pouvoir leur faire mieux connaître les outils qui sont à leur disposition.

M. Alain Milon , président. - La parole est au rapporteur...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vos différents exposés nous confirment l'existence des problèmes que vous avez évoqués dans les établissements publics et privés.

Quel type de pratiques alternatives constatez-vous dans vos établissements ? Quelles sont les évolutions par rapport à celles-ci, certaines pouvant ne poser aucun problème mais d'autres ayant au moins en partie des connotations à caractère sectaire ?

Mme Dominique-Chantal Dorel. - Il me paraît difficile de répondre dans la mesure où nous avons des connaissances parcellaires du phénomène des dérives sectaires.

Par ailleurs, certains types d'accouchement sont reconnus par l'académie alors que d'autres ne le sont pas. Où se situe la frontière ? Pourquoi en qualifier certains de sectaires ? C'est là ma difficulté...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Ce n'est pas exactement ma question ! Quelles sont les pratiques alternatives que vous voyez poindre dans vos établissements, en relation directe ou indirecte avec ce que l'on peut considérer comme des pratiques sectaires ?

Nous nous rendons compte, chaque semaine, que l'accueil et l'écoute sont des questions extrêmement importantes. Manifestement, nombre de nos concitoyens ne trouvent pas forcément ce qu'ils espèrent de ce point de vue dans vos établissements, favorisant le recours à des pratiques alternatives plus ou moins dangereuses. Quelle évolution constatez-vous dans ce domaine ?

On sait qu'un certain nombre de mouvements à caractère sectaire concentrent leurs efforts sur la formation, qui est d'un grand intérêt pour la diffusion de leurs techniques en même temps que d'un certain intérêt financier. Or, ces pratiques sont difficiles à déceler...

Mme Florence Leduc. - Je n'ai aucun relevé de pratiques qui pourraient nous inquiéter au sein de la Fehap. Je ne puis donc vous indiquer des lieux où celles-ci s'exerceraient. Toutefois, bon nombre d'établissements de santé du secteur privé non lucratif disposent d'un centre de formation initiale destiné aux infirmières, ergothérapeutes, kinésithérapeutes, etc.

Le fait de travailler en réseau sur les contenus et l'inventaire des différentes méthodes permet de repérer ce qui pourrait poser question mais je n'ai pas de remontées, les systèmes actuellement en oeuvre ne le permettant pas.

M. Cédric Arcos. - La demande de médecine alternative émanant des patients eux-mêmes renvoie à la perte de repères que j'évoquais précédemment. Si la médecine semble aujourd'hui toute puissante, elle n'arrive paradoxalement pas à répondre aux difficultés des patients et laisse ainsi la porte ouverte aux mouvements sectaires. Le patient, qui désire être acteur de sa propre prise en charge, a tendance à chercher des réponses ailleurs et peut notamment en trouver dans ces médecines alternatives.

En ce qui concerne la FHF, il faut bien différencier les médecines alternatives et complémentaires. Les établissements de santé ne peuvent en aucun cas accepter les médecines alternatives qui viennent se substituer aux médecines traditionnelles. En revanche, elles peuvent s'intégrer dans une prise en charge conventionnelle, dès lors que les traitements complémentaires ont une efficacité clinique démontrée et constituent un plus pour le patient.

L'un de nos établissements adhérents a accepté une des demandes d'un des professionnels de santé exerçant en son sein, un masseur-kinésithérapeute qui souhaitait développer l'aromathérapie. Un échange a eu lieu dans l'établissement, ce qui semble plutôt sain ; la recherche préalable qui a été conduite a démontré l'intérêt de cette pratique et un débat a eu lieu en commission médicale d'établissement (CME).

Il peut également y avoir des recommandations de bonnes pratiques des sociétés savantes. Dès lors qu'il n'en existe pas, il me semble hasardeux d'accepter l'introduction des pratiques en cause. En tout état de cause, un débat en CME doit avoir lieu avant toute introduction de médecine complémentaire.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous considérez donc que l'entrée de pratiques complémentaires dans les établissements hospitaliers relève de la stricte compétence de la CME et non du ministère de la santé...

Au sein d'une CME, un professionnel qui se serait laissé entraîné dans un processus de dérive sectaire peut convaincre ses collègues de prendre le risque d'intégrer des techniques non classiques et entraîner l'hôpital à d'en assumer les coûts... Le financement de ces pratiques par les hôpitaux, en lieu et place des pratiques de la médecine conventionnelle, ne pose-t-il pas problème ?

M. Cédric Arcos. - Bien entendu, cela pose une difficulté. C'est pourquoi il faut réunir les trois conditions que j'ai énumérées : travaux préalables, recommandations de bonnes pratiques des sociétés savantes et débat collégial au sein de la CME.

Ce n'est pas à l'assurance maladie de prendre en charge ces techniques ; ces phénomènes sont heureusement marginaux et relèvent plus de l'initiative d'un individu ou d'une équipe qui souhaite faire plus, en restant encadré. Ce sont en tout état de cause des sujets fort délicats.

Mme Florence Leduc. - Il me semble que les choses ont beaucoup changé ces dernières années : on recourt en effet aujourd'hui à des référentiels de bonnes pratiques et à des conférences de consensus. Toutes les pratiques professionnelles sont l'objet des consultations les plus larges possibles. Nous disposons aujourd'hui d'un arsenal qui n'existait pas il y a une dizaine d'années, les établissements pouvant à présent s'appuyer sur des recommandations. Cet outillage est relativement précieux.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Avez-vous des remontées d'informations émanant des établissements à propos du combat mené par une organisation comme la Scientologie contre la psychiatrie ?

Mme Florence Leduc. - Non, pas en en ce qui me concerne...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - On en reçoit pourtant même en dehors des hôpitaux...

Mme Dominique-Chantal Dorel. - Quelques cliniques psychiatriques ont effectivement connu de tels mouvements à l'extérieur de leurs murs...

M. Cédric Arcos. - Des difficultés nous sont remontées à propos d'un certain nombre d'organismes, face auxquels les directions d'établissements se retrouvent seules. Des organisations demandent à avoir accès au registre de visites des services de psychiatrie qui répertorient les visites des services de l'Etat, etc. Les directions d'hôpitaux s'y opposant systématiquement, les organisations présentent un recours auprès de la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada), qui leur donne raison, ce qui crée un certain nombre de difficultés et d'incompréhensions de la part des directeurs d'hôpitaux. Il y a sans toute là un point à revoir, qu'a d'ailleurs identifié la Miviludes.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Quel est leur nom ?

M. Cédric Arcos. - Le nom qui revient le plus souvent est celui de la Commission des citoyens pour les droits de l'homme.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Savez-vous ce qu'ils font de ces registres ?

M. Cédric Arcos. - Pas directement...

Mme Catherine Génisson . - La perte de repères est un sujet important et je demeure pour ma part assez perplexe quant au débat autour de la prescription des pilules de troisième génération, qui me semble prendre une amplitude assez extraordinaire...

L'environnement est donc un facteur très important que nous devons prendre en compte dans nos travaux. Vous avez également abordé le sujet de la formation et parlé du parcours de soins ; plus un patient est vulnérable, plus l'éducation à la santé doit pouvoir donner certaines clés. Cela relève de la responsabilité publique et c'est une voie que l'on pourra emprunter.

Vous avez par ailleurs évoqué le sujet des médecines complémentaires et décrivez les procédures qui vous semblent les plus adaptées. Ne faut-il pas très plus coercitif sur ce sujet ? Nous avons auditionné des responsables administratifs et des professionnels de santé - en particulier dans le domaine de la cancérologie - chez qui nous avons senti une mansuétude extraordinaire par rapport à des propositions qui peuvent paraître surprenantes quant à leur efficacité, alors même que l'on peut comprendre l'importance des médecines et des soins complémentaires. Peut-être convient-il de mettre en place des procédures mieux identifiées faisant intervenir le ministère de la santé ou au moins de définir une méthodologie, si ce n'est une labellisation de ces médecines...

Enfin, Mme Dorel a soulevé le sujet des frontières entre pratiques acceptables et pratiques pouvant conduire à des dérives sectaires. On pourrait presque parler aujourd'hui de « médecine durable » tant il est vrai que l'on institutionnalise certaines méthodes de prise en charge. Vous avez cité l'exemple de la gynéco-obstétrique et des techniques d'accouchement, particulièrement significatif, qui est aujourd'hui officialisé et pour lequel on se pose la question des limites. Ceci nécessiterait sans doute en amont des travaux scientifiques associant usagers et citoyens, afin de créer des cadres plus rigoureux que ceux qui existent actuellement. Or, on constate parfois un extrême encadrement sans pour autant que certaines choses n'interpellent les citoyens, les scientifiques ou les milieux médicaux. Ce sont là, selon moi, des portes d'entrée idéales pour tous les mouvements sectaires, qui n'attendent que cela !

M. Alain Néri . - La pratique des mouvements sectaires repose avant tout sur l'abus de faiblesse ; or, lorsqu'on est malade, on est forcément en état de faiblesse. Les conditions sont donc réunies pour leur permettre d'intervenir...

Vous affirmez par ailleurs que l'on peut accepter la médecine complémentaire mais est-il aisé d'établir une limite entre médecine complémentaire et alternative ? Il doit être difficile de trouver la frontière entre les deux. C'est ainsi qu'on laisse la porte ouverte aux activités que nous condamnons... Dans quelle mesure serait-il possible d'établir des barrières plus fortes afin d'éviter des dérives ? Cela passe-t-il par le réglementaire ou le législatif ?

Je me pose également des questions sur le rôle et les moyens d'intervention des commissions médicales d'établissement.

Comment le praticien, qui a prêté le serment d'Hippocrate, peut-il intervenir ?

Enfin, dans quelle mesure un groupe peut-il avoir accès à ma personne si je ne le souhaite pas ? Comment le fait qu'il ait accès à une liste peut-il lui donner le droit de venir me solliciter pour me « prendre en charge » ?

Mme Catherine Génisson . - On peut avoir une association clairement identifiée mais infiltrée : on en a eu l'exemple avec une association qui gère l'hospitalisation à domicile.

M. Alain Milon , président. - Il s'agit de la mise en place par une maison départementale des personnes handicapées (NDPH), pour une patiente sortie de l'hôpital, d'un système de soins sectaires. C'est peut-être un cas extrême mais il pose question...

Nous nous posons tous la même question : quelle est la limite entre la médecine complémentaire et la médecine alternative ? Une médecine alternative ne peut-elle devenir, lorsqu'elle a prouvé son efficacité, une médecine complémentaire ?

Même si les observations qui ont été faites sont intéressantes, vous n'avez pas véritablement répondu à la question du rapporteur. Nous savons, pour avoir auditionné des hôpitaux publics, qu'il existe des médecines alternatives mises en place à la demande de médecins ou même de directions. Je sais que les hôpitaux en question sont adhérents de la FHF, dont je fais partie. Pourquoi certains types de médecines qui ne sont pas complémentaires arrivent-elles à entrer à l'hôpital ? Dans le privé, le problème est peut-être différent et plus difficile à cerner... Je pense à la fasciathérapie, à l'aromathérapie, à certaines techniques chinoises ou massages que l'on retrouve au sein de l'hôpital et même à l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP). Comment peut-on le tolérer et ne pas dire que cela existe ?

M. Jacques Mézard , rapporteur. - La CME de l'AP-HP ne semble pas partager la position de la direction à ce sujet - c'est un euphémisme. Quel est votre sentiment à cet égard ? Vous nous avez dit qu'il fallait que la CME soit d'accord. Ce n'est pas le cas ! Vous connaissez forcément cette situation...

M. Cédric Arcos. - Je n'ai pas d'avis particulier, ne connaissant par suffisamment le dossier. La position que j'exprime est celle de la fédération. Pourquoi est-ce si difficile d'en parler ? C'est là toute la question !

Pourquoi ces techniques arrivent-elles à s'importer ? Les professionnels de santé, médicaux ou non, se trouvent parfois assez seuls et en manque d'informations. C'est en cela que votre travail est intéressant. Les autorités ont, quant à elles, pour responsabilité de ne pas laisser faire n'importe quoi. La pire des réponses est d'accorder une trop grande place au jugement individuel ou personnel. Il existe parfois une volonté de mal faire mais on rencontre surtout beaucoup d'ignorance dans ces pratiques. On ne voit pas le mal partout et c'est bien là toute la perversité du phénomène !

Nous plaidons pour essayer de lutter au maximum contre l'isolement et la décision individuelle. C'est pourquoi les conditions cumulatives que j'ai évoquées doivent être réunies...

Comment, au sein d'une équipe, repérer une personne infiltrée ? La solution réside dans le travail d'équipe, qui permet de ne pas laisser un professionnel seul. La Miviludes et l'Institut national du cancer (INCa) ont développé un système d'information destiné à repérer les situations problématiques et éviter les dérives individuelles. Le ministère de la santé a, par ailleurs, une responsabilité fondamentale pour aider les directions d'établissement et les communautés médicales sur ce sujet.

Mme Florence Leduc. - Nous n'avons pas forcément de réponse à ces interrogations, notamment s'agissant de la question des frontières. Ainsi, la relaxation est une bonne chose quand elle permet de lutter contre la douleur mais peut être aussi l'objet de certaines dérives. La frontière entre les deux est difficile à établir...

Il peut par ailleurs y avoir différents modes de contrôle. C'est pourquoi nous incitons les conseils d'administration à la transparence. Vérifier l'engagement des hommes et des femmes qui portent ces organisations me semble important.

Nous conseillons également aux directrices et aux directeurs généraux de se mêler des pratiques professionnelles. Nous avons organisé, en fin d'année dernière, un colloque sur le gouvernement des pratiques professionnelles afin d'étudier la façon dont ce travail peut être porteur pour les valeurs de l'organisation, pour le projet qu'elle porte et pour la manière dont les malades sont pris en compte.

Le soin ne vaut évidemment pas sans accompagnement mais les pratiques professionnelles ne sauraient appartenir qu'aux seuls praticiens. Nous essayons d'apporter à ce sujet une certaine cohérence et de replacer la notion des pratiques professionnelles au goût du jour, au-delà des dérives sectaires.

Mme Catherine Génisson . - Sur quels critères vous appuyez-vous pour apprécier le bien-fondé des propositions professionnelles ? Ne faut-il pas avoir également une approche argumentée et scientifique ?

Mme Florence Leduc. - La première question est celle du projet ; elle implique également de se préoccuper de la façon dont les personnes sont prises en charge.

En second lieu, les conférences de consensus et les recommandations de bonnes pratiques professionnelles constituent un outil sur lequel on peut porter un regard.

Mme Dominique-Chantal Dorel. - L'idée de s'appuyer sur les travaux de la Haute Autorité de santé (HAS) est bonne. Malheureusement, ceux-ci sont très parcellaires et généralement très techniques. Or, les médecines complémentaires me semblent se situer dans une sorte de médecine mal définie, « molle » en termes même de contenu - même si l'on peut espérer s'appuyer un jour sur les conférences de consensus.

M. Yannick Vaugrenard . - Ne pensez-vous pas que des décisions plus centralisées s'imposant à tous seraient plus utiles que des appréciations à géométrie variable, en fonction des hôpitaux, des fédérations, voire en fonction des régions où se prennent les décisions ?

Par ailleurs, les informations relatives aux risques de dérives sectaires et à la Miviludes s'adressent-elles aux patients comme au personnel médical ?

Mme Florence Leduc. - Chaque unité de la Fehap est une entité juridique autonome. Aucune décision s'imposant à l'ensemble des personnes n'est donc possible.

En second lieu, notre organisation participe comme les autres à des fonds d'assurance formation. Nous avons commencé à travailler sur les dérives sectaires par ce biais. A l'issue de groupes de réflexion sur les questions éthiques mis en oeuvre par l'OPCA, que nous gérons paritairement, des informations sont envoyées périodiquement à nos adhérents, par le biais d'une « newsletter ».

Par ailleurs, le conseil d'administration et le directeur général de la Fehap ont souhaité mettre en place une réflexion sur les questions éthiques, en commun avec une université et l'AP-HP, afin d'informer régulièrement les adhérents sur ces sujets.

M. Alain Milon , président. - Pour en revenir aux sociétés savantes, il en existe une, relative aux naturopathes, et même un Ordre des biomagnétiseurs. Faut-il s'y fier pour établir un règlement quelconque ? On ne sait d'ailleurs pas non plus très bien ce que sont les sociétés savantes... S'il faut les définir, on n'en a pas fini !

Audition de la Direction générale de la Police nationale (mardi 22 janvier 2013)

Mme Muguette Dini , présidente . - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui quatre représentants de la direction générale de la Police nationale :

- M. Patrick Hefner , contrôleur général, conseiller auprès du directeur général de la Police nationale, chef du pôle judiciaire, prévention et partenariat ;

- M. Christian Hirsoil , contrôleur général, sous-directeur de l'information générale ;

- M. Bernard Petit , contrôleur général, sous-directeur chargé de la lutte contre la criminalité organisée et de la délinquance financière à la direction centrale de la police judiciaire ;

- et M. Frédéric Malon , commissaire divisionnaire, chef de l'Office central de la répression des violences faites aux personnes (OCRVP) dont dépend la Caimades (Cellule d'assistance et d'intervention en matière de dérives sectaires).

Cette réunion n'est ouverte ni au public ni à la presse ; son compte rendu sera publié avec le rapport.

Je rappelle à l'attention des représentants de la direction générale de la Police nationale que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, qui est donc notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes auditionnées de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Messieurs Patrick Hefner, Christian Hirsoil, Bernard Petit et Frédéric Malon, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les quatre personnes se lèvent et prêtent serment.

Messieurs, je vous donne la parole pour un rapide exposé introductif ; puis nous vous poserons des questions.

M. Patrick Hefner, conseiller du directeur général de la police nationale, chef du pôle judiciaire prévention et partenariats. - La Police nationale a toujours adopté une démarche pragmatique pour lutter contre les dérives sectaires.

Tout d'abord, elle a cherché à mieux cerner le phénomène sectaire, singulièrement dans le domaine de la santé : 50 % des affaires en traitement à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) et concernant des sectes ont trait à la santé, 25 % à la Miviludes.

Second objectif : se doter d'outils de renseignement et de lutte les plus performants possibles. La connaissance quantitative et qualitative des sectes se fonde sur les renseignements qui remontent des structures locales. Ces données sont analysées et synthétisées par les services centraux, dont la fonction est également de maîtriser non seulement le droit positif mais aussi la jurisprudence, parfois fluctuante, afin de constituer un lieu de référence et d'expertise. Des échanges avec la Sous-direction de l'information générale (Sdig) et l'Office central pour la répression des violences faites aux personnes (OCRVP), ou avec la Miviludes, les Ordres des médecins et des pharmaciens, les agences régionales de santé (ARS) ou le monde associatif complètent cette information, qui est ensuite retransmise aux services de police et de Gendarmerie ou aux magistrats, par la formation dispensée à l'Ecole nationale de la magistrature (ENM) et dans le cadre d'un colloque annuel de formation continue qui se tient quai aux fleurs, à Paris, organisé également par l'ENM.

D'un point de vue statistique, le phénomène est difficile à évaluer : dans l'état 4001, établi en 1972, aucun des 107 index ne concerne les dérives sectaires. Rien non plus dans le plan en cours d'enrichissement des procédures. Aussi, les statistiques sont-elles établies par la sous-direction de l'information générale (Sdig) ou la direction centrale de la police judiciaire pour refléter l'activité des sectes dans ce domaine. En 2014, un nouvel outil, le logiciel de rédaction des procédures de la Police nationale (LRPPN), alimentera la base de traitement des antécédents judiciaires (Taj), reliée à Cassiopée, base informatique du ministère de la justice, établissant ainsi une chaîne d'information intégrée depuis la commission de l'infraction jusqu'au stade de la sanction. Cet outil alimentera aussi une base statistique et les chiffres seront plus précis : 8 000 infractions seront répertoriées, correspondant à peu près aux codes Natinf du ministère de la justice. Comme les recoupements seront facilités, la police sera plus efficace. Le Taj, qui sera opérationnel en avril 2013, fusionnera le système de traitement des infractions constatées (Stic) de la Police nationale avec des données du système judiciaire de documentation et d'exploitation (Judex), tenues par la Gendarmerie. Ainsi, à la fin du premier semestre, nous disposerons d'un outil performant de statistiques, contenant 55 millions d'éléments.

Quelles sont les structures de lutte mobilisées contre les dérives sectaires ? Les services centraux sont polyvalents, associant expertise et assistance aux services. Au sein de la Police nationale, les Renseignements généraux ont laissé la place en 2008 à la Sdig, pour l'information institutionnelle et les questions de société. Elle est dirigée par M. Hirsoil. Un référent secte a été nommé dans chaque service départemental d'information générale. La Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) reprend par ailleurs des attributions des Renseignements généraux.

D'un point de vue répressif, la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) a mis en place une cellule d'assistance et d'intervention en matière de dérives sectaires (Caimades), qui dépend de l'Office central de la répression des violences faites aux personnes (OCRVP), créé en 2006. En ce qui concerne la sécurité publique, les sûretés des départements sont compétentes. A la Préfecture de police, il s'agit de la brigade de répression de la délinquance contre la personne.

La délégation aux victimes de la DGPN travaille en lien avec 104 associations d'aide aux victimes, notamment l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu (Unadfi) et l'Alerte faux souvenirs induits (Afsi). Nos référents dans les départements aident les victimes à porter plainte.

Un mot sur nos méthodes : notre rôle est de fournir une assistance aux services. Cette assistance prend souvent la forme d'une cosaisine dans les affaires judiciaires, décidée par les parquets ou les magistrats instructeurs.

La création de l'Agence de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) traduit le souci d'intégrer la dimension patrimoniale dans la lutte contre les délinquants. La Gendarmerie a saisi 82 millions d'euros en 2011 et la Police nationale 166 millions, ces chiffres incluant aussi les biens confisqués dans le cadre de la lutte contre les stupéfiants ou la criminalité.

Enfin, la veille internet est réalisée grâce à des mots-clefs. Une Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos) donne également la possibilité aux internautes de signaler des dérives.

M. Christian Hirsoil , sous-directeur de l'information générale . - La direction centrale de la sécurité publique a été chargée, en 2008, du renseignement et de la sécurité publique, dénommée « information générale ». Nous avons repris les fonctions des Renseignements généraux sur les thématiques de société, dont les dérives sectaires font partie. Une section des dérives sectaires a été créée au sein de la sous-direction, dont une des cinq divisions concerne l'information institutionnelle et les questions de société. Elle s'appuie sur les services départementaux d'information générale, compétents sur l'ensemble du département, et non simplement en milieu urbain. Avec 194 implantations, le maillage territorial est important.

Les Renseignements généraux avaient participé à la réalisation d'un panorama sur les sectes dans les années 1990. En 1995, ils avaient fourni une étude identifiant 172 mouvements, à l'occasion du rapport parlementaire de MM. Alain Gest et Jacques Guyard, Les sectes en France , complété, en 1999, par un autre rapport parlementaire, Les sectes et l'argent - une constante sur ce thème. La Sdig a produit en 2009 un panorama des dérives sectaires. Ce document recense et décrit les méthodes des auteurs de dérives sectaires dans le champ de la santé. En 2012, nous avons suivi attentivement le phénomène apocalyptique : 100 notes ont été émises au niveau central, 800 au niveau territorial. Le rôle du niveau central est la synthèse, l'analyse, la détection des menaces de suicides collectifs : par exemple, dans le cas de la secte de Régis Violette, grâce à un rapprochement avec la Caimades et la Miviludes, nous avons, en 24 heures, empêché deux personnes de passer à l'acte et neutralisé Régis Violette au Canada. L'information générale participe de la chaîne du renseignement et s'inscrit dans un cadre administratif. Notre prolongement naturel est la Caimades. Les notes du « terrain » et les synthèses lui sont adressées.

Plus de la moitié de notre travail porte sur la santé. Afin d'aider les services territoriaux, nous avons repris et complété la grille de lecture des Renseignements généraux. Nous suivons les thérapeutes déviants, dont la pratique n'est pas conforme aux prescriptions, les pseudo-praticiens, qui regroupent les escrocs et les personnes animées par le goût de l'emprise mentale et le pouvoir sur les individus - ressorts psychologiques fréquents dans les dérives sectaires. Nous suivons également les thérapies à danger pour des groupes de personnes qui impliquent une perte de repère et du libre arbitre. Dans tous les cas, les auteurs ont recours à des termes très sophistiqués, emploient un vocabulaire scientiste ou pseudo-scientifique, n'hésitant pas à se parer de titres ou de diplômes d'universités inconnues ou utilisant des spécialités médicales détournées ou inexistantes. Le public est celui des personnes en difficulté que notre société moderne fabrique, en recherche de nouveaux buts, de nouvelle spiritualité, de nouvelles approches de santé offrant une perspective globalisante. Ces aspirations détournent ces personnes du bon jugement en matière de santé.

Nous utilisons une autre grille pour cerner les risques de déstabilisation mentale, d'endoctrinement, les exigences financières, les ruptures avec l'environnement familial, les atteintes à l'intégrité physique (drogues, privation de sommeil, régimes alimentaires comme le végétalisme ou le jeûne), l'embrigadement des enfants par la déscolarisation ou la soumission au même régime que les parents. Dans le cas des mouvements collectifs, nous recherchons la diffusion d'un discours anti-social, l'existence de troubles à l'ordre public, comme ceux provoqués par la lutte entre la Scientologie et les Anonymous, la succession de démêlés judiciaires, le détournement des circuits économiques par des escrocs à des fins d'enrichissement, ou encore la tentative d'infiltration des pouvoirs publics. Notre mission en effet consiste à centraliser et analyser toute information destinée au Gouvernement, sous le contrôle des préfets. Nous participons aux groupes de travail spécifiques dans les départements et, pour développer la culture de service, au regroupement des référents sectaires, en lien avec la Miviludes.

Les signalements proviennent des associations de défense des victimes : Adfi, CCMM, Info-sectes... Les signalements directs auprès des services départementaux d'information générale augmentent, particulièrement de la part des familles ou d'amis inquiets. Même si les plaintes d'adeptes sont rares, certains arrivent à se défaire de la pression exercée sur eux. De même, nous entretenons une relation très étroite avec la Miviludes, qui nous transmet nombre d'informations, tandis que l'expertise de son pôle santé nous aide à affiner nos analyses. Sa mémoire des faits et ses spécialistes nous aident dans notre travail de caractérisation des faits. A partir des signalements, nous procédons à des recoupements et des vérifications de terrain. Nous collaborons aussi avec les agences régionales de santé (ARS) ainsi qu'avec les conseils de l'ordre des médecins, informés des cas de patients ayant interrompu leur traitement médical.

En outre, une cellule de veille internet a été créée au sein de la Sdig depuis deux ans et demi, initialement destinée à surveiller les phénomènes de violence. Les dérives sectaires qui mettent en danger l'intégrité physique en font partie. Nous procédons par des mots-clefs qui criblent le flux internet : noms de sectes ou termes scientistes ou pseudo-scientifiques. Cette veille est exploitée quotidiennement et transmise à la section sectes et dérives sectaires de la direction. Lorsqu'une augmentation de flux est détectée, les bureaux des départements concernés sont informés. Les départements les plus touchés sont ceux du Sud, territoires riches et sensibles aux questions de santé. Là encore, nous produisons des notes d'information et alimentons la Caimades.

M. Bernard Petit , contrôleur général, sous-directeur chargé de la lutte contre la criminalité organisée et de la délinquance financière au sein de la direction centrale de la police judiciaire. - Les services sous ma responsabilité sont des unités opérationnelles, d'investigation ou d'enquête, constituées d'offices centraux ou de divisions nationales. Ils exercent une compétence judiciaire nationale, et relèvent souvent de l'interministériel ; ils centralisent et coordonnent les actions menées dans leur champ de compétences et constituent le point de contact en matière de coopération internationale. Le spectre des missions est très large : trafics humains, stupéfiants, faux monnayage, trafics d'armes, cybercrimininalité, etc. Parmi ces services, se trouvent l'Office central de répression contre les violences aux personnes (OCRVP), au sein duquel a été créée la Caimades, dirigé par M. Malon.

Notre action s'inscrit dans un cadre judiciaire et non dans le monde du renseignement. La DCPJ n'a pas vocation à lutter contre les sectes, mais contre les dérives constitutives d'infractions pénales qui leur sont imputables. Outre l'OCRVP et la Caimades, tous les services sont mobilisés sur l'ensemble du territoire : les divisions criminelles ou financières ont vocation à traiter les dossiers transmis par l'autorité judiciaire ou par voie de renseignement judiciarisé. La police judiciaire dispose d'un maillage territorial : neuf directions interrégionales, deux directions régionales, huit services régionaux et trente-cinq antennes ; au total, 5 200 fonctionnaires sont dédiés aux enquêtes judiciaires.

Au niveau des services centraux, un groupe ad hoc, la Caimades, constitué de six enquêteurs spécialisés dans la lutte contre les dérives sectaires, a été créé en septembre 2009 au sein de l'OCRVP pour faire face à l'augmentation du nombre de dossiers et de leur complexité. Cette structure n'a pas d'équivalent. Auparavant, ces sujets étaient traités par la police judiciaire (PJ) dans son ensemble. La Caimades peut diligenter des enquêtes, seule ou en cosaisine avec les services territoriaux de la PJ ou de la gendarmerie. Elle fournit à ces derniers des conseils, notamment sur les dispositions de la loi About-Picard. Elle peut ainsi concevoir des stratégies d'enquêtes ou des canevas d'auditions des victimes. Elle organise aussi des formations, comme à l'ENM ou à l'Ecole des officiers de police, parfois au profit des préfectures. Elle constitue enfin une documentation spécialisée.

Les six enquêteurs spécialisés sont appuyés dans leurs investigations par deux psychocriminologues de l'OCRVP, en particulier pour la prise en charge des adeptes ou les interrogatoires des gourous. La cellule peut recourir à deux outils importants de la DCPJ : d'une part, la Plateforme d'identification des avoirs criminels (Piac) de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière, utile pour établir une différence entre mouvements mafieux intéressés et les simples illuminés, d'autre part, Pharos, intégrée à l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication, qui reçoit les signalements de faits sur internet susceptibles de recevoir une qualification pénale.

Depuis sa création, la Caimades, avec l'appui de l'ensemble des services de la police judiciaire, a traité une quarantaine de dossiers très divers, qui concernent tantôt deux ou trois personnes, tantôt plusieurs milliers comme dans le cas de la Scientologie : les reclus de Monflanquin, l'Université de la relation, le dossier de l'Ave Maria, l'affaire des Béatitudes ou celle de Lisieux - où une peine d'emprisonnement vient d'être prononcée, qui consacre l'aboutissement d'un dossier et de nombreux efforts déployés. Parmi les vingt dossiers en cours, plus de la moitié ont trait à la santé. Nous constatons une augmentation des cas dans ce domaine et une diversification des mouvements : médecines alternatives, coaching, psychothérapies, néochamanisme, bien-être personnel..., autant de termes à la mode utilisés comme chevaux de Troie par des gourous charismatiques.

Nous ne pouvons intervenir qu'en cas d'infraction pénale : homicide involontaire, provocation au suicide, escroquerie, non-assistance à personne en danger, exercice illégal de la médecine, agression sexuelle, délaissement de mineurs, ou encore l'abus de faiblesse. Fondé sur l'article 223-15-2 du code pénal, l'abus de faiblesse est très difficile à caractériser. Des enquêteurs spécialisés sont nécessaires et la Caimades est souvent sollicitée. La rupture des liens familiaux, les changements de comportement, les dons suspects au profit de la collectivité, les faux souvenirs individuels constituent des indices, mais, dans tous les cas, un acte préjudiciable à l'adepte doit être commis pour constituer l'infraction. Or, dans les cas d'emprise mentale, il n'y a pas toujours de dommage matériel pour l'adepte, d'où l'importance des psychologues et des psychiatres. Il arrive souvent que plusieurs infractions puissent être retenues.

En cas d'exercice illégal de la médecine, les avis du conseil de l'Ordre des médecins, pas toujours assez tranchés, sont peu utilisables par les enquêteurs. Autre difficulté, les adeptes ne s'identifient pas toujours à des victimes et peuvent protéger leur gourou. Ainsi, la Caimades a acquis désormais une grande expérience, et son travail est reconnu. La validation par les juges des enquêtes menées reste évidemment attendue avec impatience.

M. Frédéric Malon , commissaire divisionnaire, chef de l'Office central pour la répression des violences faites aux personnes. - Je reviens sur l'abus de faiblesse, réprimé par l'article 223-15-2 du code pénal, qui est particulièrement difficile à caractériser, notamment dans les cas d'emprise mentale, que seuls des enquêteurs spécialisés et des psychologues sont capables de détecter. La Caimades bénéficie, à cet égard, du concours de deux psychocriminologues, ou d'experts désignés par les magistrats. Nous nous fondons également sur les critères définis par le Pr Parquet.

Les délais de prescription constituent une difficulté. Souvent, les anciens adeptes, qui portent plainte, ne font ce choix qu'après une période de reconstruction, et le délai de prescription, de trois ans en matière délictuelle à partir du dernier acte gravement préjudiciable, est alors épuisé. S'il commençait à la sortie de la secte, nous serions plus efficaces.

Une deuxième difficulté concerne la politique des parquets en matière de recevabilité des plaintes déposées par les familles des victimes : certains tribunaux de grande instance les admettent, d'autres non.

Une troisième difficulté est relative aux expertises psychologiques : on ne peut pas forcer quelqu'un à s'y soumettre, et il peut arriver qu'un adepte le refuse.

L'article 223-15-2 du code pénal date d'une douzaine d'années : il est encore jeune. Son volet de droit commun, sur le délit d'abus de faiblesse, est assez classique, mais sur celui qui est plus spécifique aux dérives sectaires et porte sur la manipulation mentale, il y a très peu de jurisprudence pour nous éclairer sur la marche à suivre et pour confirmer si les stratégies d'enquête que nous mettons en oeuvre sont les bonnes.

La décision rendue aujourd'hui à Lisieux nous conforte dans nos méthodes. Cette affaire est l'une des premières affaires traitées par la Caimades. La gourelle a été condamnée à quatre ans fermes d'emprisonnement. Des méthodes novatrices avaient été employées pour l'enquête : les lignes téléphoniques de la gourelle avaient été placées sur écoute, puis les enregistrements soumis à un expert psychiatre, ce qui avait donné au juge des éléments caractérisant l'emprise mentale.

La question de la responsabilité pénale des lieutenants du gourou est complexe : parfois eux-mêmes auteurs, co-auteurs ou complices des actes commis par celui-ci, ils l'aident à parvenir à ses fins, que celles-ci soient financières ou sexuelles, et sont à ce titre coupables ; ils peuvent être aussi considérés comme des victimes, dans la mesure où ils sont sous l'emprise du gourou. Il revient aux magistrats de trancher : à Lisieux, le principal lieutenant a été considéré davantage comme une victime.

M. Yannick Vaugrenard . - Votre exposé, très dense, recoupe plusieurs des informations que nous avions déjà recueillies. La condamnation à quatre ans d'emprisonnement encouragera ceux qui enquêtent dans ce domaine, en montrant que notre démocratie n'est pas si faible face à ces dérives, malgré la réelle difficulté d'apporter des preuves. Elle doit être exemplaire.

Le panorama des dérives sectaires produit par la Sdig m'intéresserait, même s'il date de 2009. Quelles sont les difficultés principales que vous rencontrez dans l'exercice de votre travail ? Sont-elles liées à des insuffisances de la loi ? Cela nous intéresserait d'en savoir plus.

Souvent, des enfants sont en cause dans ce type d'affaires, et l'on observe même parfois des phénomènes de déscolarisation. Pensez-vous que l'action des pouvoir publics en la matière est suffisante ? L'Education nationale intervient-elle assez pour surveiller ce risque ? Pouvons-nous accroître la vigilance ?

La concertation avec la Miviludes est primordiale, comme l'est le rapprochement avec le conseil de l'Ordre des médecins et avec les ARS. Pouvez-vous être plus précis sur votre travail avec celles-ci ? Les précédentes auditions n'ont qu'insuffisamment éclairé ce point.

Des pseudo-praticiens, des thérapeutes déviants ou de véritables gourous ont littéralement pignon sur rue, passent des annonces sur internet, apposent des plaques visibles dans le domaine public, diffusent fréquemment des publicités mensongères dans des quotidiens régionaux, voire nationaux. Ne peut-on pas les poursuivre sur la base du flagrant délit ?

Mme Muguette Dini , présidente . - Une formation sur ce thème est dispensée aux forces de police, de gendarmerie, et aux magistrats. Quel pourrait être votre rôle pour former les enseignants à détecter les influences sectaires sur les enfants ? Les enseignants sont en effet très démunis. Les cas de maltraitance sont déjà difficiles à repérer. Avez-vous des contacts avec l'Education nationale sur ce sujet ?

M. Patrick Hefner . - Les victimes sont souvent signalées auprès des ARS. Pour la déscolarisation, ce sont les assistantes sociales qui suivent ce type de phénomène.

M. Christian Hirsoil . - Notre mission consistant à recueillir de l'information, nous nous efforçons de développer nos réseaux de contact et notre carnet d'adresses. Les ARS centralisent les problématiques dont nous parlons : de plus en plus, elles sont destinataires de signalements, provenant des victimes ou encore de professionnels, comme des assistantes sociales, des médecins, ou encore du personnel hospitalier. Notre objectif est de nous rapprocher d'elles, de nous faire connaître par elles aussi.

Nous servons aussi d'intermédiaires entre la Miviludes et les ARS. Lorsqu'on nous signale un fait, nous demandons à l'ARS si elle a reçu des informations concordantes. Les ARS peuvent nous éclairer sur certaines pratiques : par exemple, il y a des titres qui ne peuvent plus être utilisés par les gourous depuis deux ans. Nos services territoriaux trouvent auprès des ARS un appui juridique dans la caractérisation de ce type de faits. Reste que les gourous débordant d'imagination, leur rhétorique s'adapte...

En ce qui concerne la déscolarisation, quand nous soupçonnons une situation de dérive sectaire, nous déterminons très rapidement l'environnement familial. Nous nous rapprochons de la famille, ce qui n'est pas toujours évident, car il s'agit de la vie privée, et parfois de sujets tabous. Nous explorons aussi l'environnement plus large : quartier, école, collège, centre communal d'action sociale. Cela alerte en général et mobilise les différents services. Bref, quand nous nous intéressons à l'environnement, nous le faisons de manière complète. Ce sont souvent les assistantes sociales et les enseignants, les infirmières scolaires aussi - notre baromètre ! -, qui sont les premiers à réagir quand un enfant est en situation de détresse : des absences régulières, des troubles de la concentration, de la somnolence diurne, sont autant de signaux d'alerte. Cependant, la déscolarisation n'est pour nous qu'un indicateur parmi d'autres.

M. Bernard Petit . - La loi About-Picard est d'application assez récente, les premières condamnations commencent à tomber. Prenons le temps de l'évaluer, attendons que les recours en cassation aient abouti.

Sur la nécessité de modifier la prescription nous sommes tous d'accord, mais cela pose de nombreux problèmes juridiques : il ne faut pas tendre vers la rétroactivité.

Un point me paraît fondamental : c'est que les plaintes soient reçues. Etant donné l'ampleur des enjeux humains dans ce type d'affaire, il faut absolument uniformiser les politiques des parquets en la matière, pour qu'une enquête puisse systématiquement avoir lieu.

Mme Muguette Dini , présidente . - Vous qui êtes spécialiste des violences faites aux personnes, vous savez que ce n'est pas le seul domaine où les plaintes ne sont pas toujours volontiers enregistrées : c'est aussi le cas en matière de violence conjugale, et je donne toujours pour conseil aux victimes de rester au commissariat jusqu'à ce que la plainte soit prise.

M. Bernard Petit . - Nous devons surmonter ces difficultés.

En ce qui concerne la formation, je ne suis pas sûr que ce soit le rôle des policiers que d'aller former les personnels de l'Education nationale... Notre démarche est très judiciaire et relève de l'administration de la preuve, alors que ce qu'on attendrait de l'Education nationale serait plutôt de la détection et de la prévention.

Mme Muguette Dini , présidente . - C'est bien de détection que je parlais.

M. Bernard Petit . - Nous pouvons contribuer à des actions de formation, mais parmi d'autres intervenants.

En ce qui concerne les marabouts et autres gourous qui font des publicités mensongères ; nous les attaquons plutôt sous l'angle de l'escroquerie. Cette infraction est assez complexe, puisqu'il faut démontrer l'intention morale, mais ce type d'infraction peut être traité par des services généralistes. Il ne faut pas laisser prospérer ce type de personnages, car ils peuvent ensuite passer à un stade supérieur.

M. Patrick Hefner . - La difficulté, c'est souvent le recueil de la plainte, surtout quand les faits sont voilés d'un aspect culturel : par exemple, dans les phénomènes vaudous, l'exorciseur et sa victime partagent la même approche, au point que celle-ci ne se reconnaît pas comme victime.

Mme Muguette Dini , présidente . - Merci pour ces éclairages passionnants.

Audition de M. Laurent VALLÉE, directeur des affaires civiles et du Sceau (mardi 22 janvier 2013)

Mme Muguette Dini , présidente . - Nous entendons aujourd'hui M. Laurent Vallée, directeur des affaires civiles et du Sceau au ministère de la justice, ainsi que Mme Aline Evrard, chef du bureau du droit public, et Mme Sandrine Bourdin, rédactrice au bureau du droit des personnes et de la famille.

Cette audition est ouverte au public et à la presse ; son compte rendu sera publié avec le rapport.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vous demande de prêter serment. Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les trois personnes se lèvent et prêtent serment.

M. Laurent Vallée, directeur des affaires civiles et du Sceau . - Nous ne sommes pas coutumiers du sujet, sur lequel il nous manque sans doute de l'expérience, en particulier dans le domaine de la santé. De surcroît, la matière présente un caractère très délicat : il revient au juge de trouver un point d'équilibre entre les droits du malade, ses convictions et ses choix, réels ou effectués sous l'emprise d'un mouvement à caractère sectaire, et les exigences qui pèsent sur les médecins. La décision d'assemblée du Conseil d'Etat de 2001, relative au refus de transfusion sanguine, illustre cette difficulté. Je vais donc tâcher d'organiser mon propos autour de la jurisprudence civile que nous avons pu réunir en droit de la famille, qui est l'un de nos coeurs de métier. En effet, les mouvements à caractère sectaire ne font pas en matière civile l'objet d'un traitement spécifique : le juge doit appréhender les questions qu'ils posent avec le droit commun. Nous chercherons à voir s'il est nécessaire de créer de nouveaux outils.

L'article 371-1 du code civil qui définit l'autorité parentale, indique en particulier que son exercice vise à protéger l'enfant « dans sa sécurité, sa santé et sa moralité » . Cela implique, s'agissant de la santé, de lui faire passer les visites de prévention définies par le code de la santé publique, ainsi que de procéder aux vaccinations obligatoires prescrites par ce même code. Il incombe donc aux parents d'organiser le suivi médical de leur enfant, quelles que soient leurs convictions religieuses.

La jurisprudence témoigne d'une recherche d'équilibre entre le droit de chacun des deux parents d'exercer son autorité parentale et l'intérêt de l'enfant. Elle varie selon les cas d'espèce : c'est véritablement à une appréciation in concreto que doit se livrer le juge. Ainsi, la cour d'appel de Rennes a-t-elle jugé le 27 novembre 1991 que le seul fait que l'appartenance d'un père à une secte pouvait le conduire dans certaines situations, en appliquant les principes de cette secte, à entrer en conflit avec la mère de l'enfant, notamment dans le cas où ce dernier devrait subir une transfusion sanguine, suffisait à confier exclusivement l'autorité parentale à la mère. La cour d'appel d'Anger a considéré le 3 avril 1990 que l'appartenance de la mère à un mouvement qui présente une dérive sectaire ne justifiait pas le transfert de l'autorité parentale au père. Il est délicat de dégager de ces précédents une ligne directrice, ce qui est logique puisque c'est l'intérêt de l'enfant qui prédomine.

En matière de résidence habituelle, le juge apprécie si l'appartenance à un mouvement à caractère sectaire est de nature à justifier une modification de la résidence habituelle de l'enfant : la jurisprudence que nous avons rassemblée en témoigne. Parfois, le juge estime que c'est l'exercice conjoint de l'autorité parentale qui est protecteur des intérêts de l'enfant. Il peut enfin, tout en fixant la résidence habituelle de l'enfant chez le parent reconnu comme ayant une pratique sectaire, imposer à celui-ci des contraintes de nature à prévenir les conséquences qui pourraient en résulter pour l'enfant, comme l'a établi l'arrêt de la première chambre civile du 22 février 2000.

Tout enfant présent sur le territoire français peut faire l'objet d'une mesure d'assistance éducative. Le code civil le prévoit en particulier, en son article 375-1, lorsque la santé de l'enfant est en danger. Le juge a parfois considéré que l'appartenance d'un parent à un mouvement à caractère sectaire pouvait constituer une présomption de danger, justifiant l'ouverture d'une mesure d'assistance éducative, dont les formes dépendent de l'appréciation in concreto qu'il peut porter.

Nous ne disposons pas de statistiques plus précises ou de relevés exhaustifs des décisions portant sur le thème qui nous occupe aujourd'hui, mais l'absence d'alerte particulière de la part des juridictions nous conduit à penser qu'avec les outils actuels, le juge peut répondre, en matière d'autorité parentale ou d'assistance éducative, aux différentes situations qui se présentent à lui. Nous n'avons pas constaté, en examinant la jurisprudence, qu'il était nécessaire de renforcer l'arsenal juridique actuellement en vigueur.

La mise en place d'un régime de protection des majeurs sous emprise mentale, comme le propose le Centre contre les manipulations mentales (CCMM), reviendrait à reconnaître que l'emprise mentale peut justifier l'ouverture d'une mesure de protection. Cela pose la question de la nécessité du certificat médical, prévu par la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection des majeurs, dont la logique a été de modifier l'article 425 du code civil pour étendre sa rédaction à des causes d'altérations nouvelles - les travaux préparatoires le confirment. Le cas de l'emprise mentale ne nous paraît donc pas exclu par la loi, dont le texte est très général. Il serait même embarrassant à mon avis d'y ajouter un cas aussi spécifique. Une décision de la cour d'appel de Rennes du 22 février 2011 a autorisé d'ailleurs l'ouverture d'une curatelle renforcée dans le cas d'une personne sous l'emprise d'un gourou.

Bien sûr, la preuve de l'emprise reste difficile à apporter, en particulier si la personne refuse de se soumettre à un examen médical. Cependant il semble difficile d'atténuer la nécessité de l'examen médical - commune à l'ensemble des mesures de protection - dans le cas d'une mesure qui porte atteinte à la liberté individuelle.

Faut-il introduire la manipulation mentale comme vice du consentement ? Autre question posée par le CCMM. Dans les cas de contrainte, ou de menace morale, le cas, classique, de la violence, prévu à l'article 1112 du code civil, suffit. Une décision rendue par la Cour de cassation le 13 janvier 1999 à propos d'une donation consentie sous la violence nous paraît manifester le fait que la haute juridiction intégrait dans la violence le cas de manipulation mentale. S'il s'agit d'appréhender des comportements destinés à induire en erreur une personne, cela s'intégrerait dans l'ensemble vaste du dol, qui est l'un des vices du consentement en vertu de l'article 1116 du code civil.

La question n'a pas été soulevée à l'occasion des travaux que mène la Chancellerie sur un projet de réforme du droit des contrats. Le vice spécifique qu'il s'agit de réprimer est la violence économique. Nous appréhenderons de la sorte des cas où il y a un abus de faiblesse de l'une des parties au contrat. Ainsi, il ne nous apparaît pas opportun d'isoler la manipulation mentale comme vice du consentement.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Si j'ai bien compris votre exposé précis et synthétique, vous estimez qu'avec le droit existant les tribunaux ont les moyens de faire face aux problèmes posés par les dérives sectaires dans le domaine civil. Ce problème concerne les juges des enfants, les juges des tutelles, les juges aux affaires familiales... Il y a une sensibilisation à l'Ecole nationale de la magistrature, dont nous avons reçu le directeur : ne pensez-vous pas qu'une formation continue serait nécessaire afin d'actualiser les connaissances des magistrats ? Trop de nos concitoyens sont amenés, du fait de manipulations, à cesser des traitements, à ne pas se faire vacciner...

M. Laurent Vallée . - Bien que la question de l'emprise d'un mouvement sectaire se pose dans de nombreuses affaires, l'on ne s'en rend compte que de manière disparate et éclatée. Il est difficile pour le juge d'être immédiatement conscient de ce qui se passe. Peut-être y a-t-il un effort à faire de regroupement de la jurisprudence, évidemment casuistique, et de sensibilisation des magistrats aux questions récurrentes qu'elle aura révélées, davantage qu'une formation véritablement technique.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Avez-vous un magistrat référent sur ces dossiers à la direction des affaires civiles et du Sceau ?

M. Laurent Vallée . - Nous avons un magistrat référent auprès de la Miviludes. Ce n'est pas un sujet auquel nous sommes confrontés de manière continue.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Je suis assez d'accord avec vous sur les difficultés que soulèverait l'intégration de la notion de manipulation mentale telle quelle dans le code civil. Il faut veiller à bien utiliser les moyens existants. Les vices du consentement que vous avez rappelés appartiennent à notre tradition juridique, et bien les utiliser est important.

Ce qui nous préoccupe le plus, c'est le domaine de la santé. Nous savons que de grandes organisations sectaires ont pour stratégie de lutter contre la psychiatrie, ce qui peut avoir des conséquences en matière de santé. Alors que le problème de la transfusion est presque réglé, reste celui de la lutte contre la vaccination menée par des organismes sectaires : il y a toujours des vaccinations obligatoires ! Il n'est pas neutre que des parents s'y opposent, et pourtant j'ai le sentiment que ce ne sont pas des questions souvent évoquées devant les juges. Or, les dérives visant à empêcher nos concitoyens de respecter les obligations légales en matière de santé, et plus précisément en matière de vaccination, sont inquiétantes et ont des conséquences graves. Comment améliorer la situation ?

Mme Sandrine Bourdin, rédactrice au bureau du droit des personnes et de la famille . - En ce qui concerne les juges des enfants, cela dépend aussi du signalement par les services sociaux. En cas de mention de défaut de suivi médical, de non-respect des vaccinations obligatoires, le juge des enfants peut prendre des mesures, faire une injonction aux parents de procéder à ce suivi médical. Encore faut-il qu'il soit avisé par les services de prévention et de la petite enfance.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Etes-vous convaincus que ce type de question est souvent posé ? Je n'en ai pas le sentiment. C'est préoccupant : je pense qu'on passe souvent à côté de graves difficultés.

M. Laurent Vallée . - Il nous est difficile de répondre à l'expression d'un sentiment - même si je ne le conteste pas.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Sur la question de la protection des majeurs et celle de l'emprise mentale, je pense comme vous qu'il ne serait pas bon de faire évoluer les textes du code civil, mais ne pensez-vous pas qu'on ne réagit pas assez ? Il y a tout de même un nombre important de personnes qui justifieraient qu'on les place sous un régime de protection, car on leur fait faire n'importe quoi : quand quelqu'un n'a même plus la capacité de continuer à se soigner, cela pose problème... Il y a un équilibre à trouver entre la liberté individuelle et la nécessité de protéger contre ces dérives.

Mme Catherine Génisson . - L'alerte doit d'abord être donnée par les soignants.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Comment améliorer la mise en place du régime de protection par le juge civil ? Fait-on le maximum pour que le signalement arrive ? Je n'en suis pas convaincu. Les magistrats prennent des décisions de protection dans des cas d'escroquerie, par exemple, qui sont bien moins graves que ces situations où la victime est parfois en danger de mort. J'ai l'impression qu'il y a là une défaillance collective. La Chancellerie mène-t-elle une réflexion sur ce sujet ?

M. Laurent Vallée. - Pas en ce moment. Le problème se pose en amont du juge...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Le signalement, nécessaire à la mise en place d'un régime de protection, semble plus facile à obtenir dans les affaires d'escroquerie que dans celles que nous évoquons ici, qui sont pourtant de plus en plus fréquentes. Il semblerait qu'il y ait une regrettable différence d'approche...

Mme Muguette Dini , présidente . - A-t-on attiré l'attention des magistrats sur ce point ? Ne risque-t-on pas de décourager le signalement ? Les tentatives de l'entourage pour alerter sur une situation ne sont pas toujours entendues. Les magistrats sont-ils aussi sensibles à ces appels qu'en cas d'escroquerie ?

M. Laurent Vallée. - J'entends cette crainte. Il m'est toutefois difficile de répondre sur la façon dont les juges réagissent à tel ou tel type de signalement. Il est vrai que certaines situations sont plus habituelles, plus objectivées, quand d'autres sont plus difficiles à apprécier et à appréhender...

Mme Muguette Dini , présidente . - Et à prouver.

Mme Catherine Génisson . - Ne sous-estimons pas les personnes concernées, qui utilisent des argumentations très charpentées et sont capables d'induire le juge en erreur. Ce sujet doit être une priorité dans la réflexion de la Chancellerie.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Serait-il opportun, à vos yeux, de prolonger les délais de prescription pour les victimes de dérives sectaires ?

M. Laurent Vallée. - Nous pouvons y réfléchir. Depuis la réforme de la prescription en 2008, la Chancellerie se montre très vigilante sur les dérogations.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - En matière de psychiatrie, les nouvelles dispositions légales ont conduit le juge à être présent dans les établissements hospitaliers. Avez-vous constaté des interventions de grandes organisations sectaires, très militantes, qui se font beaucoup entendre ?

M. Laurent Vallée. - L'administration centrale n'a pas été saisie de cas justifiant une attention particulière. Nous pourrons nous pencher sur le sujet quand nous reviendrons sur la loi relative aux soins sans consentement.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Certaines actions connues, constantes, ont sans doute un prolongement dans les hôpitaux.

Mme Muguette Dini , présidente . - Il me reste à vous remercier pour vos réponses.

Audition de la Direction générale de la Gendarmerie nationale (mardi 22 janvier 2013)

Mme Muguette Dini , présidente . - Mes chers collègues, nous procédons aujourd'hui à la première audition de responsables de la Gendarmerie nationale :

- M. le général d'armée Jacques Mignaux , directeur général de la Gendarmerie nationale ;

- M. le lieutenant-colonel Yvan Carbonnelle , chargé de mission à la direction des opérations et de l'emploi ;

- et M. le lieutenant-colonel Nicolas Duvinage , commandant adjoint de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp).

La commission d'enquête a souhaité que cette réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; son compte rendu sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Je précise à l'attention des personnes auditionnées que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, qui est donc notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes auditionnées de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Général Jacques Mignaux, lieutenant-colonel Yvan Carbonnelle et lieutenant-colonel Nicolas Duvinage, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les trois personnes se lèvent et prêtent serment.

Je propose que chacun présente un rapide propos introductif des sujets qui intéressent la commission d'enquête ; puis M. Jacques Mézard, rapporteur, ainsi que les membres de la commission d'enquête interviendront pour poser des questions.

Général, vous avez la parole.

M. le général d'armée Jacques Mignaux, directeur général de la Gendarmerie nationale. - Je suis très heureux d'intervenir devant votre commission d'enquête ; les deux adjoints qui m'accompagnent sont des experts et pourront utilement compléter les propos du chef sur une question très sensible.

Dans le domaine de la prévention et de la lutte contre les dérives sectaires, nos modes de fonctionnement ont été rénovés par une circulaire interne de mars 2012 qui décrit l'action de la Gendarmerie aux niveaux national et local et en partenariat avec l'ensemble des acteurs. C'est un document de méthode pour les enquêteurs sur le terrain, car il faut un maillage entre niveau central et niveau déconcentré. Ce texte manquait à notre dispositif.

Conformément aux orientations de la Miviludes, nous nous attachons à identifier les menaces potentiellement sectaires en matière de santé. Je dis potentiellement que toute dérive thérapeutique n'est pas forcément sectaire ; cela suppose d'autres éléments constitutifs, dont la sujétion psychologique. Dans certaines affaires en matière médicale, la frontière est parfois ténue entre l'escroc et le gourou. L'infraction est d'autant plus difficile à qualifier et les magistrats nous demandent d'ailleurs souvent de réunir des éléments constitutifs d'infractions plus classiques que celles qui ont plus spécifiquement trait aux dérives sectaires à proprement parler.

La France possède un dispositif original et volontariste. Peu de pays, hormis la Belgique, disposent d'une structure de coordination interministérielle comme la nôtre. Dans la plupart des autres pays, l'approche institutionnelle est le plus souvent distante et relègue les dérives sectaires à la sphère privée, ce qui rend la coopération internationale difficile dans ce domaine. Il n'existe pas de véritable cadre d'échange d'informations au sein d'Europol ou d'Interpol dédié aux dérives sectaires. La Gendarmerie et la Police nationale ont mis en place un officier de liaison au sein de la Miviludes, et la DGGN est membre de son comité exécutif de pilotage opérationnel (Cepo).

Nous avons la volonté de travailler en synergie. L'impulsion interministérielle a conduit à mettre en place, dans chaque administration, des structures spécialisées ou des correspondants dédiés « dérives sectaires ». Un exemple de travail avec d'autres administrations : nous avons interpellé un couple, organisé en SARL dans le Sud-Ouest depuis 2006. Le mari, radié de l'Ordre des médecins, disait être en relation, via des « canalisations », avec les archanges. Il tirait ses revenus de l'organisation de stages de « canalisations publiques », à 1 200 euros la semaine, de la vente de cristaux, et d'opérations de « décodage » à 80 euros la transcription. Son site internet constituait sa vitrine. Les mécanismes de l'embrigadement sectaire ont été mis en évidence : les adeptes étaient incités à tout perdre pour se préparer à l'ascension vers la cinquième dimension, à savoir la fin du monde...

Nous travaillons avec la cellule d'assistance et d'intervention en matière de dérives sectaires (Caimades) ; des correspondants « dérives sectaires » sont présents auprès des parquets généraux, des agences régionales de santé (ARS) et des ordres professionnels de santé, qui nous adressent souvent des signalements via les préfets ou les parquets.

Enfin, le dispositif mis en place par la loi About-Picard du 12 juin 2001 qui a introduit dans le code pénal la notion d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse a été adopté de manière consensuelle. En pratique cependant, les enquêteurs recourent souvent à des infractions qu'ils jugent plus simples à caractériser : escroquerie, agression sexuelle, travail illicite, exercice illégal de la médecine, provocation au suicide.

Quelle est la place de la Gendarmerie dans ce dispositif, et comment s'adapte-t-elle à l'évolution de la menace ?

Nous avons un pilotage central et intégré depuis près de dix ans. Le service technique de recherches judiciaires et de documentation (STRJD), à Rosny, comporte, au sein de son département d'atteintes aux personnes et trafic de personnes, une cellule Dérives sectaires composée de trois enquêteurs dotés d'une compétence juridique nationale. Cette cellule coordonne la remontée d'informations des unités, rassemble les éléments, effectue des rapprochements à partir de messages d'information judiciaires (Mij). C'est l'interface avec notre officier au sein de la Miviludes et avec nos contacts à la Caimades.

Depuis 2012, la division de lutte contre la cybercriminalité, qui comprend vingt-trois enquêteurs, organise la veille des sites internet potentiellement sectaires et jugés les plus dangereux. C'est une décision que j'ai prise pour répondre à la demande formulée par la Miviludes dans son rapport de 2010. Neuf enquêtes ont déjà été ouvertes, essentiellement sur des faits d'exercice illégal de la médecine. Il convient de rester vigilant, même s'il n'y a pas toujours de dérive sectaire.

Nous nous appuyons également sur le département des sciences du comportement, qui compte sept analystes comportementaux spécialisés dans les atteintes aux personnes.

Dans une administration centrale assez segmentée, j'ai veillé au décloisonnement de l'information entre bureaux en matière de renseignement, de police judiciaire et de police administrative. Nous avons ainsi créé un groupe national de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires qui met en relation, essentiellement par mail, les différents bureaux intéressés.

L'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp) participe au Groupe d'appui technique (Gat) créé au sein du ministère de la santé sur les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique.

Dans chaque département, dans chaque groupement de gendarmerie, nous avons instauré un référent Dérives sectaires, officier renseignement ou officier de police judiciaire. Même chose dans les régions. Approche transversale à Paris, relais verticaux dans les unités : tel est le principe de notre organisation.

Deuxième caractéristique : une volonté de partenariat avec les autres administrations et acteurs dans l'intérêt des victimes. La sous-direction de l'information générale (Sdig) partage ses notes de sensibilisation, qui ont notamment permis d'encadrer le phénomène annoncé à Bugarach. Au niveau local, la Gendarmerie nationale est représentée au sein du conseil départemental de prévention de la délinquance. Les associations spécialisées sont aussi des interlocuteurs privilégiés ; elles sont souvent à la source des signalements et oeuvrent pour un meilleur accompagnement des victimes. Ces dernières mettent souvent très longtemps à se reconstruire, à se défaire de la crainte révérencielle du gourou. Nous avons un réseau de référents victimes, avec un officier prévention-partenariat par département. J'ai au sein de mon cabinet un référent, qui participe à la délégation aux victimes du ministère de l'intérieur, et nous avons convié la Miviludes à notre séminaire Victimes de décembre 2012.

Troisième caractéristique : une capacité d'adaptation aux nouvelles technologies de l'information et de la communication qu'utilisent désormais les menaces sectaires. Outre la veille Internet judiciaire, j'ai demandé que soit renforcée la détection des menaces sectaires sur les réseaux via une veille Internet « pré-judiciaire », au niveau départemental. Nous travaillons uniquement sur des sources ouvertes. Depuis 2012, les analystes de nos cellules renseignement de groupement reçoivent une formation généraliste.

Le nombre d'enquêtes judiciaires diligentées par la gendarmerie est passé de treize en 2008 à quarante-neuf en 2012, dont dix-sept pour lesquelles l'entrée en contact avec la victime s'est faite par le biais de la santé. Il faut toutefois manier les chiffres avec prudence : tant qu'une enquête n'est pas close, on ne peut certifier qu'il s'agit de dérive sectaire. Il est souvent difficile d'établir la matérialité des faits pour constituer l'infraction, et il y a sans doute des pertes en ligne.

Beaucoup d'enquêtes portent sur l'exercice illégal de la médecine. Ainsi, dans le Nord, une infirmière et une secrétaire ont profité de leur profession dans une unité territoriale de prévention et d'action sociale pour faire des adeptes du reiki parmi le personnel de l'établissement, notamment la chef de service - qui a mis fin à ses jours.

Le quart des signalements reçus par la Miviludes concerne la santé, preuve que ce biais est fort utilisé par les escrocs-gourous. Outre la relative technicité du droit de la santé, la gendarmerie est confrontée à la difficulté de la détection. Si le porte-à-porte persiste, la menace est aujourd'hui plus diffuse, amplifiée par Internet où fleurissent des offres qui peuvent attirer notre attention, notamment dans le secteur du bien-être. D'où l'importance de la veille sur les réseaux, d'autant que le phénomène a tendance à s'atomiser, avec des gourous isolés qui s'abritent derrière la respectabilité apparente du thérapeute.

J'ai identifié trois pistes de progrès. Je souhaiterais une formation plus approfondie, en lien avec la Miviludes, pour les enquêteurs spécialisés en matière d'environnement et de santé publique, qui couvrent un spectre de sujets très large. Il faut également renforcer la coopération, initiée en 2005, entre la gendarmerie et les établissements hospitaliers. Dans un guide d'avril 2012 consacré à la dérive sectaire dans le domaine de la santé, la Miviludes conseille aux directeurs d'hôpitaux de signaler tout trouble à l'ordre public aux autorités compétentes : on sait que des organisations sectaires font des visites dans les hôpitaux. Enfin, il faut mieux sensibiliser nos concitoyens aux dérives thérapeutiques, comme on l'a fait pour les violences conjugales, la sécurité routière ou le tabac. Il faut davantage de prévention pour éviter que le binôme victime-gourou thérapeute déviant ne se constitue et ne débouche sur une perte de chance thérapeutique, la victime renonçant au traitement pour suivre une chimère. Une piste serait de nouer des partenariats avec les commerçants qui vendent des produits « bio » ou des compléments alimentaires, comme on le fait avec les bijoutiers. Il faut, comme le dit Auguste Comte, « savoir pour prévoir, prévoir pour pouvoir » .

Ce domaine complexe, à la limite de la sphère intime, reste difficile à aborder. On constate une grande retenue chez les victimes, privées de leur libre arbitre, et nous sommes face à des manipulateurs redoutablement intelligents. Rassembler les éléments constitutifs de l'infraction prend du temps d'où notre volonté de professionnaliser davantage encore notre réseau.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Le sujet est complexe et difficile, mais la Gendarmerie nationale sait nous rassurer. A vous entendre, nous allons dans le bon sens. On est passé du travail de repérage et de surveillance - qui existe toujours - effectué sur le terrain par chaque brigade à la veille Internet, car la Toile est devenu le moyen privilégié de propagation de l'information, de toutes les informations, et la menace sectaire ne fait pas exception. Estimez-vous avoir assez de moyens humains et techniques pour faire face à ce développement non plus arithmétique, mais géométrique ?

M. Jacques Mignaux. - Nous avons construit une réponse assez organisée, que nous essayons de faire vivre. On est passé de la notion de secte à celle de dérive sectaire, assez délicate à caractériser. Nous avons mis en place des moyens significatifs. Le phénomène est préoccupant, mais on ne révèle pas tout sur Internet. Je compte renforcer le pôle Cybercriminalité dans les années à venir en redéployant des effectifs, car le cyberespace concentre beaucoup de menaces. La loi interdit pour l'instant les cyberpatrouilles, sauf depuis 2007 en matière de pédopornographie. Il faudra réfléchir à une évolution dans ce domaine, en partenariat avec tous les acteurs. En outre, la réponse pénale est insuffisante pour avoir un effet réellement dissuasif : la sanction doit justifier l'engagement de tous.

L'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp), qui s'est beaucoup focalisé sur la contrefaçon de médicaments et le trafic de déchets, verra le nombre de ses enquêteurs augmenter.

M. le lieutenant-colonel Nicolas Duvinage, commandant adjoint de l'Oclaesp . - Nous sommes cinquante-cinq, dont un conseiller technique santé mis à disposition par le ministère de la santé.

M. Jacques Mignaux. - J'envisage d'augmenter de quinze cet effectif. Ces dernières années, il a augmenté de cinq par an environ, y compris en pleine révision générale des politiques publiques (RGPP) !

M. Nicolas Duvinage . - La montée en puissance de l'Oclaesp s'est accompagnée du déploiement d'un réseau d'enquêteurs de terrain spécialisés 1 ( * ) . Ce déploiement se poursuit : nous formons actuellement quinze stagiaires. Nous participons à des structures de coopération internationale dans le domaine de la santé. C'est dans ce cadre que nous pouvons aborder tel signalement, tel soupçon. Nous allons ainsi signaler un cas de fabrication de dispositifs médicaux charlatanesques, qui peuvent être liés à des dérives sectaires, dans un pays européen. La réglementation encadrant le dispositif médical étant beaucoup plus souple que celle du médicament, à quelques exceptions près, l'incrimination pénale est cependant plus délicate.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Allez-vous également dans les salons, notamment les salons du bien-être ?

M. Jacques Mignaux . - Sans même aller dans ces salons, il y a des magasins installés dans des quartiers qui ne sont pas considérés comme des lieux de perdition : près du Sénat, une boutique vante les vertus de telle ou telle pierre... Il n'y a pas nécessairement dérive sectaire, mais ce sont des lieux de rencontres. Il s'agit en fait d'un phénomène urbain ; dans les zones périurbaines ou rurales, la clientèle n'est pas suffisante. Nous n'avons pas de démarche systémique vis-à-vis des salons. En revanche, si la Miviludes nous le demandait, ou si des informations convergentes nous parvenaient du terrain, nous y regarderions de plus près, une fois obtenu, bien sûr, l'accord des magistrats.

M. Nicolas Duvinage . - Dans le domaine du bien-être, il faut distinguer trois grands sous-domaines : les massages, les compléments alimentaires et la psychothérapie.

Pour tout ce qui concerne les massages, l'Oclaesp a des relations régulières avec le conseil national de l'Ordre des masseurs kinésithérapeutes qui n'hésite pas à nous faire des signalements. Pour les compléments alimentaires, leur définition et leur régime juridique sont souvent flous ; selon les cas, ils sont qualifiés de produits alimentaires ou de médicaments. L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) sont d'ailleurs toutes deux compétentes pour ces produits « frontières ». Enfin, pour les thérapeutes en tous genres, notamment hypnothérapeutes et psychothérapeutes, nous constatons parfois des exercices illégaux de la médecine et des usurpations de titre.

M. Yvan Carbonnelle . - Dans ces domaines, la recherche de renseignements n'est pas très compliquée, car on trouve beaucoup de liens et de documentation gratuite sur Internet et dans les salons ou les magasins. Je tiens à votre disposition un petit fascicule publicitaire qui vante les bienfaits de diverses thérapies pour les personnes en fin de vie ou en situation précaires et pour les enfants.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Je n'ai pas le sentiment que les peines encourues pour l'exercice illégal de la médecine soient à la hauteur du préjudice, ni que les poursuites soient systématiques, même s'il n'y a pas à proprement parler de dérive sectaire. Comme ce phénomène se développe, n'y aurait-il pas lieu de modifier la loi ?

M. Jacques Mignaux . - Cette question mériterait d'être posée à la Chancellerie, d'autant que je ne dispose pas de chiffres précis sur les réponses pénales. A l'heure actuelle, l'exercice illégal de la médecine est puni de deux ans d'emprisonnement, contre trois ans pour un vol simple. Pourtant, jouer avec la santé, n'est-ce pas particulièrement grave ? Dans certaines affaires, l'Ordre des médecins a porté plainte et s'est porté partie civile. Une réflexion s'impose donc.

M. Nicolas Duvinage . - Je dispose de quelques données pour l'exercice illégal de la pharmacie pour les oligo-éléments et les vitamines : la définition du médicament n'étant pas claire, la jurisprudence n'est pas stabilisée. Ainsi, la Cour de cassation fixe des seuils pour la vitamine C : en-dessous de 100 milligrammes, il ne s'agit pas, pour elle, de médicament. Au-delà de 500 ou 800 milligrammes, il s'agit de médicament. La diffusion de tels produits relève donc de l'exercice illégal de la pharmacie. Mais entre 100 et 500 milligrammes, la jurisprudence n'est pas établie. Cette question est d'ailleurs en cours d'examen devant la Cour de cassation pour une affaire concernant l'Eglise de Scientologie, condamnée en première instance et en appel pour exercice illégal de la pharmacie.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez évoqué le reiki. Qu'en est-il de toutes ces médecines alternatives ?

M. Yvan Carbonnelle . - Ces thérapeutes changent très souvent d'appellation. Ainsi, les géobiologues se font désormais appeler ondobiologues... La Miviludes a distingué trois grands courants : les méthodes psychologisantes, les massages avec ou sans toucher, les régimes alimentaires. En fait, nous sommes confrontés à de multiples appellations et écoles.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Estimez-vous que le quantum des peines encourues soit trop bas ? Auriez-vous besoin de nouveaux textes pour vous aider ?

M. Jacques Mignaux . - Il faudra prendre garde, si de nouvelles incriminations sont créées, à ce qu'elles soient applicables et que les infractions soient clairement caractérisées. Un dialogue avec les magistrats permettrait sans doute d'approfondir la question.

Par ailleurs, comme nous ne pouvons nous présenter en tant que gendarmes dans les forums, nous voudrions pouvoir procéder à des cyberpatrouilles.

M. Nicolas Duvinage . - Les cyberpatrouilles permettent de participer à des forums Internet sous un pseudonyme.

M. Jacques Mignaux . - Ce qui motive les délinquants, ce sont les profits avec des risques limités. Pour ce qui touche à la santé, on peut se demander si les peines encourues sont dissuasives. De plus, nous sommes souvent en présence de criminalité organisée, avec des ramifications internationales.

M. Jacques Mignaux . - Les douanes et la gendarmerie sont, dans ce domaine, assez complémentaires. Internet permet de commander des médicaments dont on ne connaît pas les principes actifs.

Mme Catherine Deroche . - Y a-t-il des départements plus atteints que d'autres par ces phénomènes ? Faîtes-vous appel aux élus locaux, notamment aux maires, lors de vos enquêtes ? Sont-ils sensibilisés à ces problèmes ?

M. Jacques Mignaux . - Aucun département n'est épargné. Même en zone rurale, on constate des dérives sectaires ou des manipulations, du fait de l'isolement. C'est pourquoi nous avons demandé aux conseils départementaux de la prévention de la délinquance d'intervenir en amont. Enfin, des flux de population en période estivale modifient du tout au tout l'ambiance dans des zones très calmes neuf mois sur douze.

Des campagnes de sensibilisation du grand public seraient les bienvenues mais il faut du temps et des moyens pour obtenir des résultats. Il ne faudrait pas non plus donner le sentiment que nous partons en guerre contre toutes les médecines douces.

Mme Muguette Dini , présidente . - Merci de nous avoir éclairés.

M. Jacques Mignaux . - Et merci de votre invitation : ces échanges sont fructueux, car ils nous obligent à nous remettre en question. Nous suivrons avec intérêt les conclusions de votre commission. Je vais vous remettre deux numéros de la revue de la gendarmerie ; l'un d'entre eux comporte un article sur les dérives sectaires.

Audition de M. Jérome FOURNEL, directeur général des douanes (mardi 22 janvier 2013)

Mme Muguette Dini , présidente . - Nous allons auditionner M. Jérôme Fournel, directeur des douanes et droits indirects au ministère de l'économie et des finances, accompagné par M. Jean-Paul Balzamo, sous-directeur des affaires juridiques, du contentieux, des contrôles et de la lutte contre la fraude et de Mme Laurence Jaclard, chargée des relations institutionnelles.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Je précise à l'attention de M. Fournel et de ses collaborateurs que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, qui est donc notre rapporteur. Je vous prie d'excuser l'absence de M. Milon, président de cette commission, qui m'a demandé de le remplacer.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais demander à MM. Fournel et Balzamo de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Messieurs Jérôme Fournel et Jean-Paul Balzamo, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les deux personnes se lèvent et prêtent serment.

Mme Muguette Dini , présidente . - Je donne la parole à M. le directeur général pour un exposé introductif ; puis M. Jacques Mézard, rapporteur, ainsi que les membres de la commission d'enquête interviendront pour poser des questions.

M. Jérôme Fournel . - En 2011, les services douaniers ont saisi plus de 65 000 contrefaçons de médicaments et de produits de santé, 230 000 comprimés, 30 tonnes de produits pharmaceutiques dépourvus d'autorisation de mise sur le marché ainsi que 327 000 unités et 25 kilos d'anabolisants. Ces saisies, qui ne permettent pas de connaître l'ampleur réelle des trafics, ne sont pas exceptionnelles par rapport à nos voisins, sans doute parce que notre système de mise sur le marché et de distribution des médicaments est très encadré.

Depuis 2008, nous avons renforcé nos contrôles car nous avons constaté le développement de la vente de contrefaçon de médicaments sur Internet. Nous avons affaire à des organisations criminelles de deux types : la vente directe vers le client final ; des circuits logistiques un peu plus complexes avec des structures intermédiaires en France ou en Europe qui s'approvisionnent à l'étranger et qui revendent, avec des bénéfices confortables, leurs produits sur le sol national. Généralement, il s'agit de produits érectiles, anti-obésité, anti-cancers et d'anabolisants. En août 2012, les services ont ainsi saisi 18 000 produits destinés à traiter des troubles érectiles.

La tâche des douanes est ardue, car les flux sont très importants : chaque nuit, environ 120 000 colis sont délivrés à Roissy pour FedEx.

Y a-t-il des liens entre ces approvisionnements et des groupes sectaires ? Très peu d'éléments nous ont été transmis qui permettent d'attester qu'une partie de ces ventes irait vers des groupes sectaires.

Trois cas illustrent néanmoins l'existence de tels liens.

Premier exemple : nous avons constaté que des produits avec des principes actifs sont vendus à certaines communautés. Quelques herboristeries chinoises vendent des produits qui ont des principes actifs bien plus importants qu'annoncés. Le tribunal correctionnel de Paris a ainsi condamné en septembre 2012 pour exercice illégal de la médecine une herboristerie située dans le X e arrondissement qui vendait notamment des produits médicinaux interdits en France. Ces affaires concernent des communautés qui ont leurs propres pratiques médicinales et qui importent des produits prohibés.

Deuxième exemple : la Miviludes a contacté les services de l'observatoire des médicaments de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières concernant la possible introduction sur le territoire national de niacine. Les adeptes de l'Eglise de Scientologie y ont fréquemment recours pour se purifier. Cependant, comme la niacine n'est pas soumise à réglementation douanière, son importation est extrêmement difficile à contrôler.

Le troisième cas nous vient d'Italie : dans les années 2000, notre attaché douanier à Rome nous avait avertis de saisies très importantes de DMT, stupéfiant hallucinogène, utilisé par le mouvement sectaire « La maison reine de la paix » situé à Assise. Le sujet avait rebondi en 2010, lorsque les autorités italiennes avaient prévenu les pays voisins d'un possible trafic de DMT. Les autorités italiennes nous ont également avertis d'un trafic d'ayahuasca. Bien entendu, nous saisissons régulièrement ce type de produit, mais nous n'avons jamais établi de liens avec des mouvements sectaires.

La douane s'occupe de la régulation, de la saisie, de la gestion des flux légaux et illégaux de marchandises, dès lors qu'elle dispose des bases juridiques pour intervenir. A partir de 2009, consciente de l'accroissement de la contrefaçon de médicaments, la douane a créé, au sein de la direction du renseignement douanier (DRD), un observatoire du médicament qui produit des études, dont une sur les sectes et les médicaments. Cet observatoire s'appuie sur divers acteurs extérieurs, dont certaines administrations et des responsables de la santé. La douane judiciaire, elle, mène des enquêtes à la demande du Parquet.

Comme la fraude se développe sur Internet, nous avons spécialisé, au sein du service cyberdouane, des agents pour travailler sur les sites qui vendent des médicaments contrefaits. Nous avons également conclu des partenariats avec divers acteurs de la santé publique : nous avons ainsi signé des conventions avec des laboratoires pharmaceutiques. Plus récemment, la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières a signé un protocole avec le Pharmaceutical Security Institute pour obtenir un maximum d'informations sur les fraudes médicamenteuses.

La douane participe régulièrement à des opérations internationales du type Pangea V en 2012, opération au cours de laquelle 427 000 médicaments de contrebande et de contrefaçon ont été saisis, dont plus de 360 000 à Roissy.

Divers problèmes restent à traiter : ainsi en est-il de la classification et de l'identification des produits actifs. Pour les produits stupéfiants de synthèse, les organisations criminelles partent souvent d'une molécule interdite, la modifient légèrement pour qu'elle ne tombe pas sous le coup d'une interdiction légale et la mettent sur le marché. Les réglementations française et européenne sont particulièrement lentes à réagir dans ce domaine. Un texte communautaire sur les précurseurs de stupéfiants est en cours de rédaction : la France voudrait que la liste soit aisément adaptable alors que la Commission européenne souhaite parvenir à une liste révisable tous les trois ou quatre ans... ce qui garantit son obsolescence instantanée.

Autre sujet difficile à traiter : Internet. La quantité des colis qui passe par Roissy est phénoménale. Sans doute, faut-il accroître nos moyens sur les plateformes aéroportuaires, mais nous devons également mieux contrôler Internet. Nous avons passé des accords avec des grands sites de vente en ligne. Nous souhaitons aussi multiplier les messages d'alerte précédant une connexion à un site proposant des produits prohibés. C'est un travail de longue haleine.

Nous travaillons avec l'Association française pour le nommage Internet en coopération (Afnic) pour faire en sorte que, pour les sites illégaux, la procédure d'interdiction du nom de domaine soit rapide, comme aux Etats-Unis. D'ailleurs, à la demande de la douane, l'Afnic a supprimé des domaines qui contrevenaient aux lois françaises.

Le troisième problème tient à l'évolution de la jurisprudence communautaire sur les questions de contrefaçon. Depuis un arrêt de la fin de 2011 de la Cour de justice de l'Union européenne, les services douaniers ne peuvent plus intervenir lors des transits transbordements, alors que les circuits logistiques pour les médicaments contrefaits font parfois le tour de l'Europe, partent en Afrique pour revenir en France par le biais de fret express.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - L'utilisation de certains appareils dans le domaine de la santé nous laisse perplexes... Que pouvez-vous faire en la matière ?

M. Jean-Paul Balzamo. - La difficulté est la même pour les médicaments que pour les produits à finalités pseudo-médicales. Certains font l'objet d'une prohibition absolue ou relative, c'est-à-dire que, dans ce dernier cas, ils sont soumis à la délivrance d'un certificat ou d'une autorisation d'importation. D'autres, en revanche, sont des produits libres et les douanes ne sont dès lors pas habilitées à intervenir, même si l'utilisation qui en est faite pose problème ou est détournée de ses fins, par exemple par un mouvement sectaire.

M. Jérôme Fournel. - Qu'il s'agisse de médicaments proprement dits, de médicaments par fonction ou par présentation, la difficulté est bien de retrouver le médicament derrière le produit tel qu'il se présente au moment de la saisie.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Comment collaborez-vous avec la Miviludes ?

M. Jérôme Fournel. - Nous répondons surtout à des demandes ponctuelles 2 ( * ) . La Direction générale des douanes a surtout mis en place une coopération étroite avec les entreprises du médicament ou avec leur organisation professionnelle (le Leem) avec lesquelles nous travaillons sur le contrôle des flux de produits entrants. En 2009, nous avons recruté un pharmacien inspecteur de santé publique, placé au sein du Service national de la douane judiciaire, travaillant à la fois dans le cadre de l'observatoire des médicaments et de la douane judiciaire. Il nous aide à déterminer si tel ou tel produit est bien un médicament ainsi que la réglementation qui lui est applicable.

Mme Muguette Dini , présidente. - Auriez-vous un exemple de nom de domaine contraire à la loi française ?

M. Jérôme Fournel. - On trouve sur internet des sites destinés aux consommateurs français dénommés tabacmoinscher.com ou encore replica.com pour un site de contrefaçons. Toutefois, ce n'est pas le nom qui contrevient à la loi, c'est son contenu. Alors que la Loppsi 2 (loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) nous autorisait déjà à faire des coups d'achats, c'est à dire à acheter les produits pour matérialiser l'infraction de vente à des consommateurs français de produits prohibés, la loi de finances rectificative votée à la fin de l'année dernière nous permet désormais de le faire de façon anonyme.

Mme Muguette Dini , présidente. - Sauf exception, vous n'êtes pas en mesure de définir avec précision si les infractions constatées en matière de médicaments concernent des organisations connues pour leurs dérives sectaires, des boutiques de bien-être, des praticiens déviants ou encore de pseudo-praticiens ?

M. Jérôme Fournel. - La distinction est très difficile à établir car nous ne nous intéressons en principe qu'aux flux des produits qui entrent et non à leurs destinations. Certes, dans le cadre d'enquêtes, nous avons la possibilité de connaître de l'usage de ces produits, comme par exemple des produits dopant ou de ceux destinés au culturisme. Mais nous ne le faisons alors qu'au cas par cas, d'autant que ces produits ne sont pas, pour la plupart, soumis à une réglementation spécifique et qu'il n'existe pas de dispositifs en assurant la traçabilité de bout en bout.

Beaucoup de sectes préconisent, du moins officiellement, le rejet des produits chimiques au profit de produits naturels, ce qui ne les prédestine pas à être de gros consommateurs de médicaments. Sans en être certain, je pense que les dérives portent au moins autant sur les stupéfiants ou les molécules actives que sur les médicaments proprement dits.

Mme Muguette Dini , présidente. - Merci pour ces échanges très intéressants.

Mme Mireille GAUZÈRE, adjointe du directeur de la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (ministère de la justice) (mercredi 23 janvier 2013)

Mme Muguette Dini , présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui nos auditions de responsables du ministère de la justice avec Mme Mireille Gauzère, directrice adjointe de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

Je rappelle que nous avons auditionné, le 9 janvier, la directrice des affaires criminelles et des grâces, ainsi que le directeur de l'Ecole nationale de la magistrature (ENM) ; nous avons entendu hier M. Laurent Vallée, directeur des affaires civiles et du sceau.

Cette réunion n'est ouverte ni au public ni à la presse ; son compte rendu sera publié avec le rapport.

Je précise à l'attention de Mireille Gauzère que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, qui est donc notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à Mme Gauzère de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Madame Mireille Gauzère, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Mme Mireille Gauzère . - Je le jure.

Mme Muguette Dini , présidente. - Vous avez la parole, madame, pour un exposé introductif ; puis M. Jacques Mézard, rapporteur, ainsi que les membres de la commission d'enquête interviendront pour poser quelques questions.

Mme Mireille Gauzère, adjointe du directeur de la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (ministère de la justice). - Je vais essayer, de manière très rapide, de vous dire un mot de l'engagement de la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) de manière générale dans la lutte contre les dérives sectaires, avant d'en venir plus précisément à la question plus spécifique de la santé.

Je ferai, pour commencer, un rappel des modalités d'action générale de la PJJ. Nous comptons un peu moins de 10 000 salariés dans toute la France et un budget d'un peu moins de 800 millions d'euros ; nous prenons en charge d'une part des jeunes qui font l'objet d'une décision de la justice pénale, soit des mineurs, soit de jeunes majeurs, sous réserve que la décision de justice ait été prise sous le fondement de l'ordonnance de 1945 ; d'autre part, nous mettons en oeuvre l'ensemble des mesures d'investigation civiles ou pénales d'aide à la décision des magistrats.

Chaque année nous prenons de cette manière en charge plus de 100 000 jeunes ; un jour précis comme aujourd'hui, nos établissements et services en comptent environ 45 000. Il s'agit d'enfants qui, pour la plupart, demeurent dans leur famille et font l'objet d'une prise en charge de journée en milieu ouvert six jours sur sept, sur un fondement pénal, sur la base des différentes décisions que peuvent prendre les juges des enfants.

Par ailleurs, nous hébergeons des mineurs ou de jeunes majeurs dans l'ensemble des établissements d'hébergement, au pénal : foyers classiques dits établissements de placement éducatif, centres éducatifs renforcés qui prennent en charge par session, centres éducatifs fermés... Aujourd'hui, 700 mineurs sont détenus sous la responsabilité de l'administration pénitentiaire, la PJJ assurant en continu une présence éducative en prison, dans les trente-cinq quartiers pour mineurs ou dans les six établissements qui leur sont destinés.

De surcroît, la DPJJ prend en charge, dans ses établissements et services, l'ensemble des mesures d'investigation civiles et pénales. Elles se font, depuis 2012, à travers une nouvelle mesure d'investigation éducative mise à la disposition des magistrats. Lorsque cela paraît opportun, nous intégrons un module spécifique sur la question du risque de dérives sectaires, dans les cas où il paraît pertinent de le faire, au regard d'informations disponibles auprès de l'autorité judiciaire. La question des dérives sectaires fait l'objet d'un engagement très fort de notre direction et nous travaillons de manière très étroite en relation avec la Miviludes. Ce partenariat, qui existe depuis de nombreuses années, a fait l'objet d'une formalisation récente à travers une convention.

Nous avons, de longue date, mis à disposition un agent de la DPJJ auprès de la Miviludes, afin de pouvoir avoir une relation encore plus étroite dans la durée - bien que ces relations s'établissent avec l'ensemble des collègues, au sein de la Miviludes, selon les sujets.

La PJJ prend en charge les jeunes selon les modalités précises que je viens d'évoquer mais, toujours de manière liminaire, la PJJ est aussi en charge, au travers du décret de juillet 2008 sur l'organisation du ministère de la justice, de la coordination des acteurs de la justice des mineurs.

A ce titre, sur les matières civiles - que nous ne mettons pas en oeuvre en tant qu'opérateur puisqu'elles relèvent de la responsabilité du conseil général - comme sur les matières de protection administrative, également de la pleine responsabilité des conseils généraux, nous avons avec les conseils généraux concernés des relations aussi bien à l'échelle nationale qu'à l'échelon territorial, dans chacun de nos cinquante-quatre ressorts des directions territoriales de la PJJ.

La vigilance contre les sectes peut également s'exercer dans ce cadre plus large, mais dans ce cas simplement au travers des relations que nous avons avec les parquets pour dénoncer certains faits. La PJJ participe localement aux Cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP), installées depuis la loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l'enfance dans l'ensemble des départements, et relevant de la responsabilité du président du conseil général dans chaque département. C'est une autre voie d'entrée, complémentaire de la précédente.

Enfin, les établissements et services du secteur associatif autorisés par les préfets sur instruction des services déconcentrés de la PJJ et habilités à prendre en charge des mineurs placés par des magistrats obéissent au même cahier des charges que ceux mis en oeuvre pour le secteur public de la PJJ.

Ces établissements sont financés à 100 % par la PJJ s'agissant des décisions pénales ou de l'investigation et obéissent aux mêmes sujétions ; ils font naturellement l'objet de la même vigilance à propos de la question qui vous occupe plus particulièrement aujourd'hui.

Le partenariat avec la Miviludes se traduit d'une part par la présence de longue date, dans chacune de nos directions interrégionales, d'un correspondant spécialement identifié pour traiter les questions de dérives sectaires en général. Il nous paraît en effet qu'il s'agit là d'une matière complexe, protéiforme et qu'il est toujours précieux d'avoir un correspondant identifié.

Nous avons par ailleurs à coeur de faire en sorte que l'ensemble de nos formations initiales professionnelles prennent en compte la question de la prévention et de la lutte contre les dérives sectaires. Ceci nous paraît important et c'est ainsi que les modules de formation initiale des éducateurs ou des directeurs de services, mis en place à l'Ecole nationale de protection judiciaire de la jeunesse, comportent une sensibilisation à ces questions.

L'école nationale de la PJJ, à Roubaix, assure la formation initiale et continue de nos professionnels ainsi que de ceux du secteur associatif habilité. Elle forme environ chaque année 3 000 personnes en formation continue, plus les cohortes de la formation statutaire initiale.

Par ailleurs, nos professionnels ont accès à des formations organisées par d'autres opérateurs. Nous avons ainsi accès aux formations organisées par l'Ecole des hautes études en santé publique. Du 4 au 8 mars prochain a ainsi lieu une formation spécifique sur les dérives sectaires ouverte aux professionnels de nombreux secteurs, parmi lesquels ceux de la PJJ.

Le directeur de l'ENM a sans doute dû vous parler du fait que les formations organisées par cette école sont également ouvertes, sur le sujet particulier des dérives sectaires, aux professionnels de la PJJ.

Mme Muguette Dini , présidente. - Il nous l'a dit en effet...

Mme Mireille Gauzère. - Enfin, nous avons, il y a de cela trois ans, dans le cadre de notre projet stratégique national, déployé une capacité d'audit des établissements et services de la PJJ, quelle que soit leur forme - secteur associatif habilité ou public. 1 500 ont été habilités par le ministère de la justice pour prendre des jeunes en charge, quel que soit le fondement - civil, pénal, investigation...

Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) datant d'une dizaine d'années, dit « rapport Vincent-Destais », le mettait en exergue. Jusqu'à récemment, la probabilité de contrôle sur pièce et sur place d'un établissement de protection de l'enfance était de l'ordre d'une fois tous les trente ans en moyenne. L'objectif que nous avons fixé dans la loi de finances, qui est donc contrôlable par le Sénat et l'Assemblée nationale, est de passer à une fois tous les cinq ans au moins.

La PJJ a constitué en quelques années une équipe d'audit composée de soixante-dix auditeurs, formés de manière très précise à travers un protocole travaillé avec un partenaire privé spécialiste de l'audit. Ces audits se déploient progressivement ; notre objectif, qui est pour l'instant tenu dans les plans mis en oeuvre, est de contrôler au moins une fois tous les cinq ans chaque établissement afin de garantir en continu la qualité de la prise en charge.

Parmi les très nombreux points de contrôle prévus, une attention particulière est entre autres portée à la question des dérives sectaires. Il me semble que ceci garantit la qualité dans la durée. Nous avons aujourd'hui, dans cinquante et un départements, des conventions d'audit signées conjointement avec les conseils généraux, de sorte que les auditeurs de la PJJ et les inspecteurs des services des conseils généraux peuvent conjointement les mettre en oeuvre.

Mme Muguette Dini , présidente. - La parole est au rapporteur...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Une convention a été signée entre la Miviludes et la DPJJ. L'évaluation annuelle quantitative et qualitative des actions mises en oeuvre qui avait été décidée a-t-elle eu lieu ?

Mme Mireille Gauzère. - Pour l'instant, cette convention n'ayant été signée qu'en novembre, nous n'avons pas encore rédigé la première évaluation, mais les relations fonctionnent dans les deux sens : soit la Miviludes appelle notre attention sur des mouvements sectaires dont ils ont connaissance dans les structures dont nous nous occupons, soit nous saisissons la Miviludes de faits nous paraissant susceptibles de constituer des dérives sectaires, afin de recueillir leurs observations, par exemple à propos de la possibilité de travailler avec certains prestataires au profit des jeunes que nous prenons en charge.

L'étude réalisée par l'Institut national scientifique d'études et de recherches médicales (Inserm) et la PJJ, il y a quelques années, s'agissant de la question spécifique de la santé des jeunes confiés à la PJJ, fait ressortir que celle-ci est globalement dégradée au regard de la population générale et, en particulier, présente très souvent des pathologies à caractère mental ou des troubles associés. C'est pourquoi nous sommes particulièrement vigilants quant aux thérapies que ces jeunes peuvent suivre, afin qu'ils puissent avoir accès en continu à des soins de qualité.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Quels types de signalements envoyez-vous à la Miviludes qui, si j'ai bien compris, visent des structures sous votre contrôle direct ?

Mme Mireille Gauzère. - Il est arrivé, dans les derniers mois, que des directions interrégionales de la PJJ fassent état d'une démarche directe d'un organisme auprès d'établissements et de services de la PJJ proposant un stage à destination des jeunes « les plus difficiles », ainsi que des formations spécifiques pour les professionnels les prenant en charge.

Nous avons interrogé la Miviludes sur la nature de cette offre de formation. Celui-ci présentait des objectifs très ambitieux - par exemple réinsertion des jeunes délinquants dans la société en trois à six semaines. Dans le même temps, on notait des éléments très vagues concernant la formation des formateurs. Le recours à des techniques de développement personnel a attiré notre attention, ces méthodes pouvant constituer une dérive sectaire. La Miviludes n'avait pas connaissance de cet organisme mais a suivi précisément son évolution, en liaison avec les parquets des ressorts concernés, au regard de l'offre déployée.

A l'inverse, nous recevons parfois des signalements de la Miviludes, qui appelle l'attention de la PJJ sur le fait que des jeunes, au-delà de ce qui les a amenés à être pris en charge par la justice pénale, peuvent être exposés, au sein de leur famille, à une forme d'emprise. De manière générale, ces questions d'emprise sont très complexes et peuvent toucher les adolescents, période de leur vie où ils sont davantage exposés à ce risque. Il est de notre devoir de les aider à former librement leurs choix, dans ce domaine comme dans d'autres.

Dans le domaine spécifique de la santé, certains cas arrivent à être résolus grâce au partenariat avec la Miviludes et à l'information générale dont bénéficie notre réseau.

Récemment, une transfusion sanguine d'une jeune a été refusée dans un premier temps par la famille ; les choses ont pu finalement se régler dans de bonnes conditions, après un dialogue étroit et la mobilisation de tous les dispositifs.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Avez-vous été amenés à intervenir directement vis-à-vis de mineurs en danger sur le plan physique ou moral ?

Mme Mireille Gauzère. - Nous n'avons pas, dans les années récentes, s'agissant d'établissements sociaux ou médico-sociaux autorisés par les préfets et habilités par le ministère de la justice, rencontré de cas s'assimilant à une dérive sectaire.

En revanche, il peut arriver ponctuellement que des intervenants extérieurs, qui viennent en appui des actions d'éducation dans le cadre pénal, puissent être en lien avec des mouvements sectaires.

Mme Muguette Dini , présidente. - De telles situations se sont-elles vraiment déjà produites ?

Mme Mireille Gauzère. - Certains organismes peuvent en effet tenter de prendre pied à l'intérieur de structures accueillant des enfants...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - De quels types d'organismes s'agit-il ? Comment s'y prennent-ils et quel est leur but ?

Mme Mireille Gauzère. - Les établissements régis par la DPJJ sont des organismes hébergeant des mineurs dans un cadre pénal. Ceux-là ne sont pas potentiellement exposés à ce genre de phénomène ayant, par construction, un caractère fermé. Tout est fait pour que les jeunes en sortent définitivement et soient réinsérés dans les meilleures conditions. Ces établissements ne reçoivent généralement pas d'intervenants extérieurs.

S'agissant d'établissements de protection de l'enfance, la vigilance est permanente. Nous évitons en particulier de recourir aux organismes de formation ou aux organismes divers de développement personnel qui figurent sur les listes de la Miviludes de manière générale.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - C'est une réponse diplomatique mais ma question était plus précise : vous affirmez que des tentatives ont été constatées. Lesquelles ? Il n'y a rien de bien terrible à révéler le nom des organismes qui en sont à l'origine !

Mme Mireille Gauzère. - Je n'ai pas d'information très détaillée à ce sujet. Ces opérations passent immédiatement dans le champ des parquets et sont placées sous le contrôle de la Direction des affaires criminelles et des grâces, qui a dû probablement évoquer devant vous les éventuelles suites judiciaires, qu'il s'agisse de mineurs ou de majeurs.

Une affaire a fait l'objet d'une décision définitive ; votre commission l'a probablement examinée, puisqu'elle est au coeur de problèmes de santé. Il s'agit de l'affaire Le Moaligou, cette petite fille de onze mois décédée des suites d'un régime alimentaire inadapté pour son âge 3 ( * ) . Cette affaire avait d'abord été portée à la connaissance du conseil général, avant l'intervention de la gendarmerie d'Airaines. L'enfant est malheureusement décédée. Une information judiciaire a alors été ouverte contre ses parents pour défauts de soins par ascendants. La cour d'assises de la Somme, en 2011, a définitivement condamné les parents à une peine de cinq ans d'emprisonnement, dont trente mois avec sursis.

Il semble que ce fait divers terrible, qui a fait l'objet de cette décision définitive, ait été dans le champ qui est le vôtre...

Mme Muguette Dini , présidente. - Avez-vous entendu dire que des personnels d'établissements dépendant de vous ont été victimes de tentatives d'infiltration par des sectes ? Des éducateurs de la PJJ auraient-ils pu être eux-mêmes membres d'une secte ou influencés par des sectes et mener des actions de prosélytisme auprès des jeunes placés sous leur responsabilité ? Peut-être n'en avez-vous pas connaissance...

Mme Mireille Gauzère. - Je n'ai pas connaissance de la qualification précise de ces agissements. Nous avons procédé, en 2012, au licenciement de deux contractuels, dans un foyer d'hébergement en région parisienne, au motif juridique que ces personnes n'avaient pas respecté le principe de neutralité qui s'imposait à elles...

Mme Muguette Dini , présidente. - Que cela signifie-t-il concrètement ?

Mme Mireille Gauzère. - D'après les éléments dont nous disposons, ces personnes faisaient entrer leurs pratiques religieuses à l'intérieur de l'établissement et avaient un comportement inadéquat au regard des mineurs se trouvant dans le lieu d'hébergement.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Peut-on avoir le nom de ce mouvement ?

Mme Mireille Gauzère. - Encore une fois, je ne sais comment le qualifier, ni quel est son nom mais il s'agissait d'actes inadéquats. Les licenciements n'ont d'ailleurs pas été contestés. Il semble que cette organisation ait été d'inspiration salafiste mais je ne me permettrai pas de porter une appréciation précise sur le caractère sectaire ou non de cette organisation...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - On ne vous le demande pas !

Mme Muguette Dini , présidente. - Nous parlons ici de dérives sectaires : les religions peuvent en avoir...

Mme Mireille Gauzère. - Nous avons établi un protocole relatif à la laïcité et à la mise en oeuvre du principe de neutralité à l'intérieur de nos établissements et services. Ce protocole n'a pas de lien direct avec les dérives sectaires mais est très utile à nos professionnels, car il précise les conditions d'exercice de la liberté religieuse des jeunes qui nous sont confiés, qui constitue un droit constitutionnel, mais également la nécessité, pour les professionnels, de respecter strictement le principe de neutralité.

M. Alain Néri . - Ma question recoupe en grande partie la précédente. Dans le domaine de l'enfance en difficulté, on trouve certes des éducateurs mais aussi des psychologues, des psychiatres, etc.

Or, c'est un secteur qui est quelque peu pénétré par les sectes. Quelles dispositions mettez-vous en oeuvre pour éviter les dérives possibles ? Vous avez parlé de laïcité. La PJJ, comme l'éducation nationale, se doit d'être laïque et de respecter toutes les opinions, à condition qu'elles ne gênent pas celles des autres, la liberté des uns finissant où débute celle des autres. Cherchez-vous à savoir, lors du recrutement mais aussi dans le cadre du fonctionnement de vos établissements, si les pratiques correspondent bien à l'éthique que vous revendiquez, ce public fragile peut en effet être l'objet d'abus de faiblesse ?

Mme Mireille Gauzère. - C'est une question très importante. Nous avons, dans nos établissements et services, des psychologues agents de l'Etat ou contractuels. Historiquement, la PJJ était autorisée à recruter un volume important de contractuels. Sur 10 000 salariés, nous comptons 1 200 contractuels. Ces psychologues travaillent de manière interdisciplinaire. Le fait que les regards soient croisés limite généralement les risques, qu'il s'agisse des mesures d'investigation ou de prise en charge pénale.

Par ailleurs, nous avons essayé, dans toute la mesure du possible, de renforcer la plupart de nos centres éducatifs fermés dans le domaine de la santé mentale en recrutant 2,5 équivalents temps plein supplémentaires - infirmiers psychiatriques et psychiatres à mi-temps - pour assurer la prise en charge des jeunes. De la même manière, le fonctionnement collectif, au sein d'une équipe qui compte en principe vingt-quatre professionnels, permet de limiter les risques.

Les jeunes que nous prenons en charge étant assurés sociaux, nous veillons, dans toute la mesure du possible, à ce qu'ils puissent bénéficier des dispositifs de droit commun. Lorsqu'ils sont pris en charge six jours sur sept en milieu ouvert et qu'ils ont besoin de suivre une psychothérapie, nous veillons à ce qu'ils la suivent et que leurs parents puissent bénéficier du remboursement prévu dans le droit commun.

Dans ce cas le plus fréquent, il me semble que le fait de former les agents de la PJJ, dans le cadre de la formation initiale, à repérer les situations d'emprise psychologique sur les enfants permet de limiter les risques.

Bien évidemment, nous cherchons continuellement à progresser. Nous n'avons pas eu, dans la période récente, connaissance de difficultés particulières en ce domaine mais ceci est peut-être lié à la vigilance de la PJJ, qui commence à être connue, et à son lien avec la Miviludes.

M. Alain Fauconnier . - Vous arrive-il de voir des dossiers d'enfants scolarisés par des familles ? C'est dans ces conditions que, le plus souvent, certains sévices sur les enfants se déroulent, en particulier dans certaines communautés...

Mme Mireille Gauzère. - Malheureusement, plus de la moitié des enfants faisant l'objet d'une prise en charge pénale étaient précédemment déscolarisés, beaucoup depuis plus d'un an. Pour autant, d'après les éléments dont je dispose, il s'agit plutôt de déscolarisations consécutives à des échecs scolaires.

En revanche, les mesures d'investigation demandées par les magistrats qui ont connaissance d'une situation de maltraitance sont l'occasion d'examiner plus précisément le risque d'une emprise sectaire concernant la famille.

M. Alain Fauconnier . - Certains enfants peuvent être scolarisés dans leur famille et se trouver dans des situations très compliquées. En voyez-vous dans ces circonstances ?

Mme Mireille Gauzère. - Non, nous n'avons pas d'effectifs significatifs à cet égard. Certains enfants sont massivement déscolarisés mais non sur le fondement de l'article du code de l'éducation qui autorise la scolarisation à domicile. Il s'agit malheureusement d'enfants ayant quitté l'école avant seize ans...

Mme Muguette Dini , présidente. - Il s'agit des plus grands...

Mme Mireille Gauzère. - En effet...

Mme Muguette Dini , présidente. - Nous parlons ici des petits.

Mme Mireille Gauzère. - Dans l'hypothèse où l'on constaterait une déscolarisation ou une scolarisation à la maison sur le fondement de cet article du code, le service de la PJJ en charge de la mesure d'investigation étudierait spécifiquement cet aspect des choses.

M. Yannick Vaugrenard . - Une première évaluation qualitative et quantitative de la convention signée entre la Miviludes et la PJJ concernant les actions mises en oeuvre a-t-elle pu être réalisée ?

En second lieu, la PJJ contribue à la rédaction des textes de loi ou des décrets s'agissant des dérives sectaires touchant la jeunesse. Des projets de modification de textes législatifs ou de décrets permettant une plus grande efficacité dans cette lutte sont-ils en préparation ?

Enfin, la DPJJ est destinataire d'un signalement d'enfant faisant l'objet de dérives sectaires, alerte-t-on les services de santé ou les services de police ? Avez-vous le sentiment que les choses se font de manière suffisamment réactive ou y a-t-il encore des marges de progrès ?

Mme Mireille Gauzère. - Comme je le disais, nous n'avons pas encore de bilan écrit de la première période mais, si nous sommes en situation de l'achever dans un délai rapide, nous pourrons le mettre à la disposition de votre commission d'enquête.

S'agissant des textes de loi, la DPJJ est en effet en charge de la rédaction des dispositions relatives à la justice des mineurs. C'est ainsi que nous sommes en train de travailler sur la réforme de l'ordonnance de 1945, annoncée vendredi dernier par le Président de la République lors de l'audience solennelle de la Cour de cassation. Aucune disposition spécifique n'est prévue à propos des dérives sectaires. De telles dispositions relèveraient, au titre de la législation pénale générale, de la compétence de la direction des affaires criminelles...

S'agissant des signalements, la PJJ est en général présente dans les cellules de recueil des informations préoccupantes (Crip), qui peuvent concerner n'importe quel type de situation à propos d'un enfant réputé en danger.

La loi de 2007 sur la protection de l'enfance confie cette responsabilité à la protection administrative, le juge n'intervenant qu'en cas d'opposition de la famille ou, aux termes de l'article du code de l'action sociale et des familles, dans le cas d'un danger grave ou immédiat.

Dans l'hypothèse où les premiers éléments sont susceptibles de constituer une dérive sectaire, le représentant du parquet siégeant à l'intérieur de la Crip saisit le correspondant « sectes » du parquet général du ressort correspondant. Dans l'hypothèse où il s'agirait d'un enfant pris en charge par la PJJ ou connu pour des infractions pénales, même lorsqu'il a fait l'objet d'alternatives aux poursuites sans prise en charge postsentencielle, un signalement est fait au correspondant de la PJJ.

A Paris, un magistrat du bureau de la législation de la DPJJ au sein de la sous-direction des missions de protection judiciaire et d'éducation est identifié pour suivre ces sujets ; il siège au sein du Conseil d'orientation et du Comité exécutif de pilotage opérationnel de la Miviludes.

Lorsque la voie d'entrée est la Miviludes, les choses viennent de Paris et nous répercutons immédiatement sur nos correspondants locaux du ressort concerné.

Audition de M. Xavier MALBREIL, journaliste, auteur de « La face cachée du Net » (mercredi 23 janvier 2013)

Mme Muguette Dini , présidente. - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Xavier Malbreil, journaliste, auteur de La face cachée du Net dont une partie est consacrée à la problématique de l'influence des sectes sur Internet.

Internet se trouve en effet au coeur de l'enquête que nous menons, car on y trouve non seulement un véritable « supermarché » des techniques de soins les plus diverses et les plus fantaisistes, mais aussi de très nombreuses offres de formations à ces techniques dont les adeptes peuvent faire beaucoup de victimes.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Je précise à l'attention de M. Malbreil que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, qui est donc notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Malbreil de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Xavier Malbreil, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Xavier Malbreil . - Je le jure.

Mme Muguette Dini , présidente. - Je donne la parole à M. Malbreil pour un exposé introductif ; puis les membres de la commission d'enquête, interviendront pour poser des questions.

M. Xavier Malbreil, journaliste, auteur de « La face cachée du Net. 4 ( * ) - Je suis écrivain et dispense, à la faculté de Toulouse 2, des cours de narratologie - ensemble de sciences qui a pour but d'étudier le récit - aux étudiants en arts plastiques ou ayant suivi les beaux-arts. J'enseigne tout ce que les penseurs, depuis Platon jusqu'à nos jours, ont compris, étudié et transmis à propos du récit. J'arrive ainsi à montrer comment ces sectes se servent de techniques issues de la narration pour convaincre les internautes.

Observateur du Net depuis une quinzaine d'années, je suis par ailleurs critique d'art numérique pour le compte de la Revue électronique du Centre d'art contemporain de Montréal .

Au cours d'un dossier consacré à l'imaginaire du Net, je me suis rendu compte qu'il existait une très forte présence de la religion sur le Net, ce que je ne soupçonnais pas auparavant. Jean-Paul II a ainsi été, très tôt, un précurseur en réalisant un site consacré à la religion catholique, au début des années 1990. Les autres religions s'y sont ensuite mises à leur tour, puis les sectes.

C'est lors de conservations avec mon éditeur qu'est né le projet de livre sur La face cachée du Net .

Comment le Net a-t-il été créé ? A l'origine, il y a les réseaux universitaires, puis les réseaux militaires. Les fanatiques d'informatique, les « geeks », s'y sont très vite retrouvés ; les utopistes ont également fait très tôt du Net leur terrain d'action privilégié. Tout ceci a créé une idéologie qui est en partie responsable de la façon dont on voit aujourd'hui le Net, et qui nous met parfois en porte-à-faux avec ces réseaux.

Cette idéologie est basée sur une liberté totale : échanges de fichiers sans restriction, surtout pour les universitaires, qui réclamaient un système leur permettant d'échanger du savoir et des données sans passer par une instance centralisatrice ; non-reconnaissance des règles et du droit commun, très présente dès l'origine, dans les années 1980 ; enfin, qualification du réseau comme un espace virtuel et dématérialisé.

Ce dernier trait ne sera plus remis en question ; il constitue pourtant une mauvaise appréhension du Net. En effet, le Net n'est pas un espace virtuel. Ce qui est virtuel, c'est ce qui est en attente de réalisation. Les données figurent sur des serveurs ; certes, elles ne sont pas présentes sur un support matériel, comme le livre, mais les livres, quand on ne les lit pas, sont rangés dans des bibliothèques ! On ne les a pas constamment devant soi...

Le Net est donc un espace qui n'est ni virtuel ni dématérialisé. On a récemment compté que si les réseaux numériques continuent leur croissance au rythme actuel, la consommation d'électricité nécessaire pour les seuls réseaux serait, dans dix ans, équivalente à la consommation actuelle globale. On a jusqu'à présent gardé cette fausse idée d'un Net virtuel, qui a permis à certains de faire ce qu'ils voulaient en convoquant les idéologies libertaires à l'origine du Net, mais aussi d'échanger des données.

C'est un point sur lequel je me suis souvent opposé avec les gens avec qui je travaillais dans les réseaux de littérature et d'art numérique, en leur expliquant qu'on ne pouvait tout faire sur le Net. Il s'agissait alors de personnes investies dans leurs expérimentations et leurs utopies, qui considéraient qu'il ne fallait rien interdire. Au début des années 2000, le réseau était beaucoup moins important que maintenant, et ceux qui travaillaient dessus étaient surtout des universitaires ou des artistes. Je faisais à l'époque valoir que nous étions un petit nombre mais qu'un nombre plus important d'utilisateurs amènerait inévitablement certains changements. On a effectivement vu ce qu'il en a été...

Je fais souvent remarquer que le Net, qui comprend l'ensemble des réseaux - Web, forums, courrier électronique - englobe tous les autres réseaux, comme celui de la presse. On sait comment Google pille la presse. Le Net englobe la presse, la radio, la télévision ; c'est un fait unique dans l'histoire de l'humanité qu'un seul réseau arrive à concentrer tous les autres.

On voit donc que le Net n'est donc absolument plus virtuel ou marginal mais qu'il est devenu le réseau qui englobe tous les autres réseaux...

Les sectes ont très vite vu le parti qu'elles pouvaient tirer de ce manque de vigilance du public et du législateur et se sont emparées des outils que donne la loi pour défendre leur périmètre. C'est ainsi que la Scientologie recourt constamment à des procédures à propos de contenus en ligne. Roger Gonnet, connu pour son combat contre les sectes, a ainsi eu à subir des procès, tout comme Mathieu Cossu, etc. Les sectes savent très bien utiliser la loi à leur avantage...

Mon approche spécifique, dans ce travail sur le « profilage » des sectes sur le Net, s'appuie sur mes recherches d'observateur du Net et sur mon enseignement en narratologie. Je me suis servi pour ce faire d'outils comme « Touchgraph », ou « Archive », très utiles pour trouver des liens entre les différents sites. Ils permettent également de savoir quand ces sites ont été mis en ligne et modifiés, informations pleines d'enseignements...

Ceci m'a permis d'établir un certain nombre de constats sur des constellations de sites religieux ou sectaires ; je me suis ensuite servi des outils de la narratologie, afin de démontrer que les sectes, sur leur site, répondent généralement à trois critères. Elles avancent d'emblée l'argument d'autorité, systématiquement utilisé, comme par exemple l'affirmation : « les plus grands scientifiques ont démontré ». Elles recourent également au récit merveilleux et miraculeux. Quand elles proposent un savoir thérapeutique tout en conseillant aux lecteurs de continuer à se soigner avec la médecine classique, elles utilisent la dénégation. Celle-ci a pour but d'éviter les procès. On sait que le docteur Hamer a été condamné à de la prison ferme : toutes les sectes utilisent cette dénégation, qui n'est en l'espèce que théorique.

Je puis, si vous le souhaitez, démontrer comment ces pratiques ont évolué. Je suis en effet revenu sur le travail que j'ai réalisé il y a cinq ans pour le livre La face cachée du Net , en établissant un certain nombre de constatations par rapport aux stratégies des sites sectaires : comment se sont-ils adaptés ? Quels éléments ont évolué ? Pour quelles raisons ?

Mme Catherine Génisson . - Qu'est-ce qu'un site « ufologique » ?

M. Xavier Malbreil. - C'est un site qui traite des extraterrestres et des soucoupes volantes, en anglais « Unidentified Flyng Objects » (UFO).

« Biodécodage.com » est le site de Christian Flèche, issu de l'école Hamer, référencé par le site « Scientologie.fraude.free.fr », qui combat les sectes.

Les sites de médecines douces et de biodécodage sont affiliés au site de Christian Flèche. Une école se constitue à partir d'un site et utilise des filiales, comme « Biodécodage.ch » en Suisse ou « Decodage-biologique-sud-ouest.com », ces filiales rayonnant autour de la structure centrale. Ces outils de profilage servent donc à visualiser très vite comment s'organisent des sites sectaires.

Grâce à ces outils de profilage, en partant d'un site comme celui de Gérard Athias, par exemple, qui se situe dans la mouvance du docteur Hamer, et en cliquant sur les liens que comporte ce site, on peut dessiner toute une galaxie.

Sur « Sectes-info.net », site de désinformation issu de la Scientologie, on voit apparaître les sites affiliés, dont celui de M. Christian Paturel, qui promeut une démarche thérapeutique que l'on peut soupçonner de dérive sectaire. Ceci permet d'identifier de nouveaux acteurs...

Que sont les « AdWords » ? Il s'agit de mots-clés achetés à Google pour pourvoir faire des publicités renvoyant vers tel ou tel site. Les thérapeutes que l'on soupçonne de dérives sectaires achètent des mots-clés pour ramener vers eux de la clientèle. C'est un argument publicitaire qui avance masqué, se confondant facilement avec l'information. Cette dernière arrive en tête des pages de requête et on a parfois du mal à la différencier des contenus constituant une information authentique.

L'achat d'« AdWords » est la technique la plus classique pour faire venir à soi des clients qui ne savent pas qu'en tapant un mot-clé, ils arrivent sur le site d'une personne qui veut leur vendre quelque chose.

Le premier AdWords acheté par Julien Frère - élève de Christian Flèche, qui se réclame de la mouvance du docteur Hamer - était destiné à vendre un soutien thérapeutique ainsi qu'un certain nombre de stages. Pour être affilié à son école de la « théorie de la mémoire implicite » et être reconnu comme thérapeute, il faut payer environ 6 000 euros sur trois ans. On obtient alors un papier qui vaut ce que vaut le papier, c'est-à-dire à peu près rien, si ce n'est un coup de tampon !

Les principaux thérapeutes - Christian Flèche, Gérard Athias, etc. - font désormais moins appel aux AdWords mais ont cependant l'air de très bien se porter : leur site s'est professionnalisé et ils donnent des conférences payées très cher ! Ce n'est pas le cas des personnes qui sortent d'une des écoles de Julien Frère, qui doivent se constituer leur propre périmètre commercial et recourir à cette technique pour attirer la clientèle.

Julien Frère est installé en Suisse et détient une licence sur « Biodécodage.com ». De tels thérapeutes peuvent être soupçonnés de dérives sectaires, car ils demandent un investissement lourd en temps et en moyens financiers et créent une sujétion chez les gens venus solliciter un soutien moral et psychologique. Ils conseillent alors à ces personnes de devenir elles-mêmes thérapeutes. Celles-ci se trouvent ainsi embrigadées dans une école qui n'a d'école que le nom ! Certains utiliseront ensuite une licence, comme Julien Frère, et les techniques des formateurs - AdWords, mots-clés truqués...

Julien Frère, au terme d'un stage de trois ans chez Christian Flèche, a ainsi validé des compétences de « formateur en biodécodage et en psychobiothérapie ». Je ne sais qui ce diplôme, qui comporte un coup de tampon et une signature, peut impressionner mais cela fonctionne manifestement : Julien Frère a un agenda bien rempli, donne des cours, des conférences et utilise les trois procédés que j'ai isolés en tant que narratologue : argument d'autorité qui vise à l'adhésion et prépare la soumission, recours au merveilleux et dénégation.

Sur ce dernier point, Christian Flèche, sur son site, indique : « L'usage abusif du terme décodage biologique par des hommes, des femmes ayant suivi certaines formations uniquement théoriques, sans aucune pratique et sans thérapie personnelle, nous amène à faire cette importante mise au point : le décodage biologique n'est pas une promesse de guérison, il ne tient pas les clefs de la guérison, ce n'est pas une vérité, une certitude. C'est une ouverture, une curiosité... » .

Ceci indique qu'il a eu des problèmes : il utilise l'argument de la dénégation pour se couvrir par rapport à des élèves qu'il a formés, qui ont dû commettre des actes répréhensibles avec lesquels il veut prendre ses distances. C'est un point que j'ai mis en évidence lors de mon retour sur l'enquête que j'ai menée...

Un site comme celui de Tabitha's Place, secte chrétienne fondamentaliste, se porte manifestement bien. Cependant, certains de leurs adeptes connaissent des problèmes : en 2008, une famille a été dépossédée de ses biens et a réussi à partir en abandonnant tout sur place !

Les sites sur lesquels j'ai mené ma première enquête existent toujours, et leurs pratiques également. Les sites qui luttent contre les sectes, comme celui de Roger Gonnet, « Scientologie.fraude.free.fr », existent toujours également, mais sont en but à des procès et ont plus de mal à se maintenir que les sites sectaires ! Cela pose question...

J'ai par ailleurs récemment découvert une pratique qui peut rappeler les comportements sectaires. Il s'agit d'un système de marketing en réseau appelé « Organo Gold » qui propose un café enrichi avec un champignon appelé « reichi », Ganordema Lucinda, utilisé en pharmacologie traditionnelle chinoise et dont les promoteurs affirment que le champ d'application est quasiment universel, puisque cela guérirait cancers, maladies cardio-vasculaires, diabète, Alzheimer, Parkinson, grippe, rhume, impuissance, etc.

Vous devez donc acheter fort cher un pack de café, de thé ou de chocolat enrichi au reichi et surtout convaincre d'autres personnes de le vendre avec vous, selon le célèbre système pyramidal : plus vous convainquez de gens, plus vous créez un réseau puissant et plus vous gagnez d'argent !

Pour avoir le droit à une licence « or », il faut compter 1 398 euros, ce qui donne droit à 74 boîtes de café à 20 euros la boîte ! Cela vous assure, dit-on, 20 % de revenus sur le produit de la vente de votre réseau, soit 2 500 euros par semaine !

Organo Gold utilise un système de séminaires, de réunions et de shows et font actuellement un énorme battage médiatique en France. Comme les thérapeutes que j'ai recensés en 2008, cet organisme sature le réseau avec un maximum d'AdWords.

En France, il est très difficile de trouver des sites qui analysent objectivement leur offre. Il n'en existe qu'aux Etats-Unis. J'ai réussi à identifier un forum de discussion où certains Américains s'interrogent sur le fait de savoir s'il s'agit d'une si bonne affaire. Certains qui se sont fait abuser y témoignent mais en France, le réseau est tellement saturé qu'il est impossible de leur trouver des contradicteurs ! J'ai trouvé cette pratique très problématique.

Leur premier show a eu lieu à Bordeaux en novembre 2012. Cela ressemble aux shows de sectes comme la Scientologie : des aboyeurs de foire demandent au public de réagir, d'adhérer, cherchent à le convaincre de participer à des séminaires et surtout d'acheter des packs.

Ce système est un véritable rouleau compresseur, car tous ceux qui achètent du café Organeau Gold font en même temps l'acquisition d'une franchise dont les milliers de sites bloquent ensuite le réseau, empêchant tout accès à une parole contradictoire, ainsi que je l'ai déjà dit.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - M. Malbreil nous a présenté là, de manière synthétique, une utilisation du Net à des fins mal intentionnées.

Avez-vous constaté une présence forte de grandes organisations sectaires ? Risque-t -on la dissémination de groupes plus petits et éparpillées ? Qu'est-ce qui vous paraît aujourd'hui le plus dangereux ?

M. Xavier Malbreil. - Les sites dans la mouvance de l'enseignement que dispense le docteur Hamer se sont professionnalisés ; ils ont moins besoin de mots-clés pour construire leur périmètre commercial mais on assiste également à un grand essaimage.

Ce que j'avais prévu il y a cinq ans s'est réalisé : les adeptes se sont formés et ouvrent à leur tour des cabinets, sans avoir pour cela la moindre compétence. L'essaimage est donc réel pour les personnes de cette école - Athias, Sabbah et Christian Frère...

Je n'ai pas remarqué de progression particulière du périmètre des sectes plus importantes, comme la Scientologie. Je pense qu'elles se savent très surveillées. Elles continuent, à travers le site « Sectes-info.net », à diffuser un message de mystification mais je n'ai pas constaté de nouvelles stratégies de ces grandes organisations.

Ce que je trouve plus préoccupant, c'est la dissémination des thérapeutes. J'ai été moi-même amené à en croiser un lorsque je travaillais au Centre national d'enseignement à distance (CNED). L'un de mes collègues informaticien avait en effet suivi les stages de Christian Frère et devait s'installer comme thérapeute. Il m'a expliqué qu'il avait suivi une formation et je l'ai vu pratiquer devant moi : nous prenions un jour le café avec un collègue, qui s'appelle René (ce fait a de l'importance pour la suite). Celui-ci dit qu'il a mal dormi. Mon collègue lui a immédiatement demandé s'il ne pensait pas que cela pouvait avoir un lien avec une naissance mal vécue, jouant sur le prénom « René », associé au mot « renaît », et a essayé de le convaincre de venir le consulter. Cet essaimage de petites écoles me préoccupe beaucoup...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Notre préoccupation est d'éviter que nos concitoyens voient leur santé mise en danger du fait de l'abandon de la médecine traditionnelle. Ces dérives les conduisent en outre assez souvent à être ponctionnés financièrement, dans des conditions relevant de l'escroquerie.

Dans le domaine de la santé, la multiplication des sites relevant de dérives sectaires est évidente. Quel est, selon vous, le moyen d'y remédier ? Existe-t-il des remèdes et comment remédier à cette situation préoccupante ?

M. Xavier Malbreil. - J'ai pu constater que les principaux sites antisectes avaient un langage très émotionnel. On peut comprendre que cela leur tienne à coeur - Roger Gonnet a été un moment embrigadé dans la Scientologie - mais je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure façon de faire passer le message de vigilance sectaire.

En réalisant ce travail de retour sur enquête, plusieurs années après l'écriture de mon livre, je me suis rendu compte que les sites antisectes existaient toujours. Ils n'ont manifestement pas réussi à endiguer l'offre qui est toujours plus importante.

Les sites pornographiques pour adultes émettent tous un message d'avertissement à destination de l'internaute pour l'informer que ces sites sont réservés aux personnes de plus de dix-huit ans. Les sites qui ne répondent pas aux certificats de sécurité édictés par les autorités du Web sont également bloqués par les fournisseurs d'accès s'ils peuvent comporter des virus ou des cookies pouvant endommager les navigateurs.

Pourquoi n'existe-t-il aucun système d'alerte concernant tous ces sites qui proposent des thérapies dont on sait qu'elles n'aboutissent à rien et n'ont aucune validité scientifique ? Tout le problème est évidemment de savoir quel site générera un message d'alerte mais si personne n'agit, ces sites continueront à faire des victimes ! Je pense que les sites sectaires bénéficient en fait de l'idéologie utopique qui a présidé à la naissance du Net.

Je suis toujours étonné qu'il n'existe pas de site qui centralise les questions que peuvent se poser les internautes, où ils puissent trouver l'écoute qu'ils recherchent dans les sectes. Il existe des numéros de téléphone - SOS Amitié, SOS Suicide - mais pas de site où l'on puisse trouver cette écoute !

Une personne de mon entourage a été un moment adepte de la secte Krishna. Cela lui a fait du bien à un moment ; cette personne en est sortie lorsqu'elle s'est sentie mieux. Elle a trouvé auprès d'un groupe humain l'écoute qu'elle ne trouvait pas ailleurs - la secte Krishna n'est pas la pire... Pourquoi un site ne proposerait-il pas l'écoute que recherchent certaines personnes ?

Mme Catherine Génisson . - Existe-t-il un moyen d'empêcher une même information d'inonder les sites ?

Par ailleurs, certains messages que l'on trouve sur des sites de pseudo-thérapeutes sont ubuesques. Vous en donnez un certain nombre d'exemples - je cite : « Michel, léché par sa mère »... Comment des gens intelligents peuvent-ils se laisser abuser par de tels propos ? Je comprends mal le mécanisme qui pousse certains à adhérer à de tels raisonnements.

M. Alain Néri . - Il y a une quinzaine d'années, une secte organisait des réunions pour vendre des casseroles. Pour me faire une idée, je m'étais rendu à l'une d'elles, qui se tenait dans l'un des plus grands hôtels de Clermont-Ferrand. A l'époque, ce mouvement utilisait le bouche à oreille pour recruter des candidats. On est aujourd'hui, avec Internet, dans le même délit d'abus de confiance, d'abus de faiblesse et d'escroquerie. On doit pouvoir trouver les fondateurs de ces sites et les poursuivre pénalement !

Ce qui m'inquiète, c'est la manipulation mentale et le prosélytisme. Internet est la pire ou la meilleure des choses, face à la multiplication des actions visant des populations souvent fragiles. De quelle façon peut-on parvenir à mettre ces mouvements hors d'état de nuire, sans être accusé d'atteinte à la liberté d'expression ?

M. Xavier Malbreil. - Je ne suis pas législateur ! Je constate simplement que des sites comme Organo Gold réalisent un énorme travail de saturation des réseaux. Ce mouvement est arrivé en France il y a trois mois et tente de prendre très vite des parts de marché, ayant quelques soucis aux Etats-Unis avec le Drug and Alcohol Office (DAO), du fait de l'adjonction de ce champignon dans le café, le thé ou le chocolat.

Chaque revendeur devient responsable d'un site. On peut demander, par décision de justice, que le nom de domaine d'Organo Gold soit supprimé en France...

Mme Muguette Dini , présidente. - Avant qu'elle ne soit effective, les responsables auront fait fortune !

M. Xavier Malbreil. - Les fournisseurs d'accès se retranchent derrière les réseaux et mettent en avant le fait qu'ils ne sont pas responsables de ces trafics...

Mme Catherine Génisson . - Ne doit-on pas être plus exigeant vis-à-vis des fournisseurs d'accès, comme avec les réseaux pornographiques ? Cela relève bien sûr du législateur mais ne devrait-on pas être plus coercitif et mieux surveiller les fournisseurs d'accès ?

Mme Muguette Dini , présidente. - Cela ne touche pas à l'ordre public, contrairement à la pornographie...

Mme Catherine Génisson . - La pornographie non plus !

On considère - à juste titre - que cela peut pervertir les esprits, en particulier ceux des jeunes. Pourquoi n'intervient-on pas sur un sujet aussi grave que les risques sectaires ?

Mme Muguette Dini , présidente. - Ce qui n'est pas interdit est autorisé. On est en fait très démuni. Avez-vous une idée de la manière dont nous pourrions être efficaces ?

M. Xavier Malbreil. - On peut agir auprès de l'administration qui détient les noms de domaines mais il est pratiquement impossible de déposséder une marque d'un nom, d'autant plus qu'Organo Gold a peut-être déposé son nom aux Honduras. C'est pratiquement impossible.

Mme Muguette Dini , présidente. - Le domaine n'est pas choquant...

M. Xavier Malbreil. - On peut également agir sur les fournisseurs d'accès - Orange, Free, SFR...

M. Alain Néri . - J'ai été rapporteur de la loi relative à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage. Or l'action de ces réseaux met en cause la santé de ceux qui font confiance à des produits néfastes, dont l'usage peut conduire à interrompre un protocole de soins.

La loi en question poursuit celui qui utilise les produits - on est en train de le vérifier aujourd'hui - mais prévoit surtout de condamner plus lourdement encore les pourvoyeurs. J'avais à l'époque déposé un amendement pour sanctionner la pratique en bande organisée.

Le trafic auquel on assiste aujourd'hui sur Internet relève bien de la bande organisée ! Le pourvoyeur d'accès est donc complice de ce trafic ! Peut-être est-ce là une piste à laquelle il faut réfléchir.

M. Xavier Malbreil. - J'ai toujours pensé que ce sont les fournisseurs d'accès qui dégagent le plus de bénéfices. Ils ont des moyens pour contrôler ce qui se passe. Leurs bénéfices étant énormes, ils pourraient fort bien payer des dizaines ou des centaines d'enquêteurs pour observer les réseaux et établir des signalements.

Mme Muguette Dini , présidente. - Ce sont peut-être les fournisseurs d'accès qu'il faut toucher...

M. Xavier Malbreil. - Ils se retranchent toujours derrière le fait qu'on ne peut rien interdire sur le Net...

M. Alain Néri . - « Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! » , a dit Mme Roland pendant la Révolution

Mme Muguette Dini , présidente. - Nous devons auditionner des fournisseurs d'accès la semaine prochaine...

M. Xavier Malbreil. - Ils vous diront qu'ils ne peuvent rien faire ! C'est toutefois, selon moi, sur les réseaux que l'on peut agir. Ils amènent les contenus à chaque internaute et gagnent beaucoup d'argent. Ils auraient donc les moyens d'exercer un contrôle !

Audition de la Direction générale de la Gendarmerie nationale (ministère de l'intérieur) consacrée à la veille Internet et la cybercriminalité (mardi 29 janvier 2013)

Mme Hélène Lipietz , présidente. - Mes chers collègues, nous procédons aujourd'hui à une deuxième audition de représentants de la Direction générale de la Gendarmerie nationale (DGGN) par notre commission d'enquête. Cette audition est consacrée au thème précis de la cybercriminalité, qui se trouve au coeur de notre sujet.

Nous entendons donc cet après-midi trois officiers de gendarmerie spécialistes de ces questions :

- le lieutenant-colonel Yvan Carbonnelle, chargé de mission à la direction des opérations et de l'emploi de la direction générale, où il est plus précisément responsable du pilotage de la lutte contre les dérives sectaires ;

- le lieutenant-colonel Bernard Popineau et le chef d'escadron Pascal Thys, qui travaillent au service technique de recherches judiciaires et de documentation, le premier à la division des opérations judiciaires, le second à la division de la lutte contre la cybercriminalité.

Cette première réunion d'aujourd'hui n'est ouverte ni au public ni à la presse ; son compte rendu sera publié avec le rapport.

Je précise à l'attention des officiers auditionnés que M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE a pris l'initiative de la constitution de cette commission, qui a tout naturellement souhaité qu'il en soit le rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes auditionnées de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Lieutenant-colonel Yvan Carbonnelle, lieutenant-colongle Bernard Popineau et chef d'escadron Pascal Thys, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les trois personnes se lèvent et prêtent serment.

Mme Hélène Lipietz , présidente. - A la suite de l'exposé introductif du lieutenant-colonel Yvan Carbonnelle, mon collègue Jacques Mézard vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

M. Yvan Carbonnelle, chargé de mission à la direction des opérations et de l'emploi de la direction générale de la Gendarmerie nationale. - En matière de cybercriminalité, la gendarmerie s'appuie sur un maillage d'enquêteurs spécialisés, formés pour certains pendant un an à l'université, en licence professionnelle. Ces enquêteurs en nouvelles technologies sont environ 240 et essentiellement affectés dans les sections de recherches régionales, voire départementales. Ils effectuent essentiellement des actes techniques - exploitation de disques durs ou de données de téléphonie - et leurs actions de surveillance d'Internet sont assez rares. Certains poursuivent leurs études jusqu'au master.

En relais de ces enquêteurs, nous comptons environ 800 correspondants formés aux nouvelles technologies et relayant l'action des enquêteurs spécialisés au plus près du terrain, notamment dans les compagnies, à l'échelon de l'arrondissement. Nous monterons probablement en puissance à l'avenir pour atteindre, à terme, l'objectif d'un correspondant par brigade ou par communauté de brigades. Ces correspondants réalisent des actes simples et appuient les enquêteurs spécialisés.

Le coeur du dispositif, en matière de surveillance d'Internet et d'expertises criminalistiques liées aux nouvelles technologies, se situe dans le service technique de recherches judiciaires et de documentation, ainsi que dans le laboratoire scientifique que constitue l'Institut de recherches criminelles de la Gendarmerie nationale.

Nous disposons, pour la partie concernant le Service technique de recherches judiciaires et de documentation - STRJD - d'une division qui a déjà été présentée succinctement la semaine dernière. Elle comprend environ vingt-cinq enquêteurs qui disposent d'une compétence nationale.

Cette division est divisée en trois départements. Le premier est consacré aux investigations sur Internet, qui traitent notamment des dérives sectaires, mais aussi des stupéfiants, des produits dopants et des incitations à la haine raciale, etc. Un autre département s'occupe de la répression des atteintes aux mineurs sur Internet, en s'appuyant notamment sur le Centre national d'analyse des images pédopornographiques, créé par arrêté interministériel et confié à une unité mixte de police et de gendarmerie. Le dernier département se présente sous la forme d'un département de soutien et d'assistance aux unités qui ont besoin d'une aide plus poussée dans ce monde compliqué d'Internet.

Les enquêteurs STRJD ont la capacité de mener des investigations sous pseudonyme, les fameuses « cyberpatrouilles » autorisées par les articles 706-25-2, 35-1 et 47-3 du code de procédure pénale.

Les infractions qui autorisent les enquêtes sous pseudonyme sont celles relatives à la pédopornographie, aux atteintes en direction des mineurs, à la traite des êtres humains, à l'apologie du terrorisme ainsi qu'aux jeux en ligne, en lien avec l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel). Les enquêteurs qui peuvent agir sous pseudonyme ont été spécialement habilités par le procureur général près de la Cour de Paris et ont reçu une formation complémentaire compte tenu de la spécificité de leur action et des risques d'atteinte aux libertés publiques.

Nous envisageons actuellement de déployer de nouvelles capacités d'enquêtes sous pseudonyme à l'échelon régional. Plusieurs dizaines de personnels sont déjà formés afin de démultiplier nos capacités.

Nous travaillons bien évidemment avec l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC), qui relève de la Police nationale.

Nous avons également, afin de créer des synergies, créé un plateau technique « cybercriminalité-analyse numérique », qui mutualise les capacités, tant du STRJD que de l'Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale (IRCGN). Ceci facilite le travail conjoint.

Quelles sont nos actions particulières en matière de lutte contre les dérives sectaires dans le domaine de la cybercriminalité et d'Internet ? Comme vous l'a dit le directeur général la semaine dernière, pour répondre à un besoin de la Miviludes remontant à 2010, nous avons entamé une action de surveillance plus régulière - maintenant quotidienne - de certains sites susceptibles d'être sectaires ou à connotation sectaire.

Comme nous vous l'avons expliqué, il est difficile, pour ne pas dire impossible, de certifier que ceux qui sont derrière un site Internet appartiennent à un groupe sectaire. On éprouve simplement des doutes qu'il convient de matérialiser par des enquêtes de terrain. Néanmoins, à partir même du site, nous sommes souvent en mesure de caractériser certaines infractions - exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie, travail illégal.

Ainsi, en 2012, nous avons initié neuf procédures grâce à cette surveillance, contre seulement deux en 2011. Cette multiplication témoigne d'une montée en puissance qui continuera dans les années à venir.

Les enquêtes étant toutes en cours, il est difficile de les évoquer avec précision. Je donnerai toutefois un exemple... Dans l'Ouest de la France, nous avons mené une enquête concernant une personne connue de la Miviludes, non-inscrite auprès d'un ordre en tant que masseur-kinésithérapeute ou médecin et qui proposait pourtant de l'irrigation colonique ou des massages quelque peu douteux. Le dossier a été transmis au Parquet après enquête...

On n'a jamais de certitude sur la caractérisation sectaire du site et des personnes qui l'animent mais, outre les infractions que j'ai citées, des indicateurs d'alerte s'allument lorsqu'un jargon ésotérique est employé, qu'il existe des incitations à la rupture, qu'une présentation favorable est faite d'un dirigeant de type charismatique ou d'un praticien exclusif ou qu'on propose aux visiteurs un projet de vie ou une philosophie particulière.

Le dernier élément de notre processus rénové, mis en place en 2012, réside dans l'interaction entre les services, ainsi que vous l'a exposé le directeur général. Tous les services se parlent, qu'il s'agisse de police judiciaire ou administrative. Un exemple récent démontre que notre démarche a le mérite d'exister : un membre important de l'Ordre national des dentistes a signalé à l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp) un problème de dentisterie holistique censée soigner les aspects énergétiques et psychologiques de certaines pathologies. L'Oclaesp a reçu ce signalement, l'a traité et l'a transmis à la division de lutte contre la cybercriminalité du STRJD, qui entamera probablement un travail à ce sujet.

Nous avons évoqué la fois dernière le cas de l'extension éventuelle du dispositif de cyberpatrouilles à d'autres infractions. Comme l'a indiqué le directeur général, on ne peut le proposer de notre propre chef ; néanmoins, le directeur général était favorable à une étude, en lien avec la justice, quant au fait de savoir si les cyberpatrouilles ne devraient pas être étendues à des infractions comme l'exercice illégal de la médecine, de la pharmacie, ou à l'abus de faiblesse et d'ignorance. Il peut être intéressant d'entrer dans des dialogues sous pseudonyme avec des animateurs de sites...

Enfin, en 2012, nous avons souhaité parfaire la formation de nos analystes du renseignement, soit environ 500 personnes, réparties sur tout le territoire. Il existe, pour les volontaires, une possibilité de stage dédié à la surveillance en source ouverte sur Internet. Ceci permet à cinquante analystes déjà formés de mieux organiser leur veille sur Internet à partir d'agrégateurs de Web, d'effectuer des recherches à l'aide de métamoteurs, de prévoir des alertes systématiques et de mieux connaître le monde d'Internet, y compris en matière de limites légales.

Il s'agit d'un stage généraliste qui traite de toutes les problématiques : extrémismes violents, violences urbaines, hooliganisme et dérives sectaires.

Mme Hélène Lipietz , présidente. - La parole est au rapporteur...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Constatez-vous une augmentation des comportements sur Internet pouvant justifier des réactions en matière d'ordre public ?

M. Yvan Carbonnelle. - Les groupes sectaires sont en général assez discrets et ne créent pas de troubles manifestes à l'ordre public. Néanmoins, le vecteur Internet a drainé tout un tas de sites plus ou moins douteux ; on trouve ainsi, dans les magasins spécialisés dans le bien-être, des annonces renvoyant soit à un blog, soit à un site. Il est parfois difficile de quantifier et de maîtriser les choses. C'est pourquoi nous ne travaillons pas par adresse de sites - elles changent souvent - mais plutôt par mot-clé, sur des thématiques connues de la Miviludes, comme l'ondobiologie, le biodécodage, etc.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Notre commission d'enquête concerne les dérives sectaires dans le domaine de la santé. Constatez-vous à ce sujet une augmentation des cas problématiques ? Quand prenez-vous la décision de transmettre au Parquet ?

Ce qui nous préoccupe, c'est la protection de la santé de nos concitoyens. Il ne s'agit pas, ainsi que nous le répétons souvent, de toucher à la liberté d'expression ou à la liberté de conscience, mais de faire en sorte qu'on ne pousse pas nos concitoyens à ne plus se soigner, à mettre leur vie en danger ou, dans un certain nombre de cas, à vider leur trésorerie dans des conditions relevant de l'abus de faiblesse ou d'autres délits...

M. Pascal Thys. - On constate en effet une augmentation significative de pseudo-offres permettant d'améliorer la santé. Nous déclenchons une procédure quand nous réussissons à matérialiser une infraction, comme l'exercice illégal de la profession de médecin ou de pharmacien. Il faut pouvoir déceler une infraction pour signaler le site en question au parquet compétent.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Il est normal que vous étudiiez si telle pratique ou tel comportement constituent une infraction, mais vous savez mieux que moi que c'est le Parquet qui juge de l'opportunité des poursuites. Qu'est-ce qui déclenche le signalement ? On voit sur Internet de nombreux sites proposer des techniques qui paraissent pour le moins antagonistes avec un réel traitement de quelque pathologie que ce soit, comme l'utilisation des énergies pour accomplir des actes chirurgicaux sans opération. Cela peut interpeller...

Les offres foisonnent sur Internet ; certaines ne tirent pas à conséquence et peuvent ne pas faire de mal, mais un certain nombre sont inquiétantes. Vous avez réalisé neuf transmissions seulement en 2012 ; or, il existe cependant un certain nombre de comportements à risque. Cela pourrait d'ailleurs tout aussi bien relever de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)...

M. Pascal Thys. - Ainsi que vous l'avez dit, le Parquet est seul juge de l'opportunité des poursuites. Pour pouvoir le saisir, il faut que nous puissions caractériser l'infraction ou qu'il existe une suspicion d'infraction - tentative d'escroquerie, exercice illégal de la profession de médecin, etc. Il faut, à la base, avoir quelque chose de solide permettant de bâtir une procédure. On ne peut partir sur une suspicion. C'est le problème en matière de constatations : il faut trouver des éléments concrets à amener au Parquet pour ouvrir des poursuites.

Comme vous le signaliez, il existe une multitude d'offres de soins sur Internet. Nous sommes obligés de faire des choix sur des critères objectifs, constitutifs d'infractions pénales. Sans ces éléments, il est quasiment certain que le Parquet n'engagera pas de poursuite. En temps normal, il est difficile de démêler ce qui peut relever ou non de l'infraction pénale ; si l'on part de simples suspicions, il n'y aura pas de suites judiciaires ! Ce n'est qu'après avoir constaté ces éléments et bâti une procédure, et une fois l'affaire transmise au Parquet local que quelqu'un pourra se déplacer pour procéder aux auditions et aux constatations. La matérialisation des faits sur les lieux de l'infraction, de déclaration du cabinet ou d'élection du domicile du supposé praticien est nécessaire. C'est là toute la difficulté pour démarrer une enquête sur Internet.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Qu'est-ce qui vous faciliterait la tâche ?

M. Pascal Thys. - Si l'on se réfère uniquement à ce qui est offert en source ouverte, qui constitue notre limite d'investigation, il est extrêmement difficile de matérialiser quelque chose - sauf si l'on constate une dérive thérapeutique.

Ce qu'il faudrait, comme l'a indiqué le lieutenant-colonel Carbonnelle, c'est pouvoir aller plus loin et, sous réserve que ce soit possible, étendre le champ de la cyberpatrouille de manière à pouvoir mener des investigations sur les forums sur lesquels les gens s'expriment, où des thérapeutes viennent proposer leurs services. L'idéal serait de pouvoir entrer en contact avec eux, de pouvoir dialoguer, de savoir où ils veulent aller et quelles sont les offres qu'ils proposent aux internautes. Pour cela, il faut établir un dialogue, utiliser un pseudonyme et engager une conversation électronique avec les individus en question...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - C'est ce qui a été autorisé aux douanes... Vous considérez donc que cela vous faciliterait la tâche ?

M. Pascal Thys. - Pour l'instant, les champs infractionnels sont très strictement encadrés par la loi, comme la pédopornographie, la traite des êtres humains, le terrorisme. En dehors de ceux-ci, nous n'avons pas de possibilité réelle de pouvoir agir, en dehors de l'offre présente sur Internet.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Sans aller jusqu'à la création de nouvelles infractions, on peut considérer que ce qui existe dans le code pénal permet de faire face aux difficultés mais, si je comprends bien, sans la cyberpatrouille, vous vous sentez quelque peu démunis...

M. Pascal Thys. - En effet !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - La réponse est claire !

Certaines organisations travaillent-elles en réseau ?

M. Yvan Carbonnelle. - En matière de dérive sectaire, la notion de réseau organisé, qui répond à la notion juridique du code de procédure pénale et du code pénal n'a, a priori jamais été constatée, hormis pour la Scientologie, dont la condamnation pour escroquerie en bande organisée a été confirmée en appel l'année dernière.

En revanche, outre la dilution facilitée par le réseau Internet, on constate que certains évoluent dans un réseau de connaissances - et non dans un réseau organisé. Tel sous-disciple de la méthode Hamer change de nom et se déplace de salon en salon, telle personne se réclame d'une thérapeutique ou d'une philosophie particulière...

La comparaison est peut-être malheureuse mais, de même que des médecins officiels envoient leurs clients à des confrères, des thérapeutes déviants qui peuvent être des gourous peuvent envoyer leurs patients à des gens pratiquant la même thérapeutique déviante.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Avez-vous des constatations particulières sur les centres de formation ? Un certain nombre de pratiquants semblent former des disciples de manière très onéreuse et essaiment...

M. Yvan Carbonnelle. - On voit en effet revenir de manière systématique des instituts qui ont pignon sur rue, peuvent changer de noms et sont notoirement connus.

Ainsi, le Cenatho doit intervenir au salon du bien-être de Paris, qui se tiendra du 14 au 18 février, Porte de Versailles, à propos des sept niveaux de santé naturopathique et holistique, ainsi qu'un médecin radié de l'Ordre qui a créé une « faculté libre de médecine naturelle et d'ethnomédecine ». Il y a aussi d'autres instituts. N'importe qui peut s'inscrire à ce salon. Les structures de formation proposent des formations souvent onéreuses mais ont pignon sur rue...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Avoir pignon sur rue ne veut pas forcément dire que l'on respecte la loi. Ce n'est pas un critère de respectabilité !

M. Yvan Carbonnelle. - Avec la multiplication des sites Internet et des propositions de ce genre - qui sont parfois des coquilles vides - il nous faut soit une constatation, qui peut se faire sur Internet pour certaines infractions, soit un signalement.

Le signalement provient rarement de la victime mais parfois d'associations de défense des victimes ou de proches ; il peut également provenir de la Miviludes.

Le signalement peut aussi être le résultat d'une constatation d'un enquêteur à l'occasion d'une autre affaire ou d'affaires qui n'ont pas de connotations sectaires, comme un suicide. Lors des auditions, on apprend qu'une personne a été victime d'une dérive sectaire. C'est ce qui s'est passé récemment dans le cadre d'une enquête citée par un magazine de Canal Plus , en décembre dernier. On s'est aperçu que cet acte pouvait cacher une incitation au suicide, par le biais de thérapeutiques déviantes...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Un certain nombre de sites proposent des appareils qui vendent manifestement du vent, au propre comme au figuré. Que se passe-t-il dans ces cas-là ? Transmettez-vous le dossier à la DGCCRF ? Dans certains cas, ce sont de véritables attrape-nigauds ! C'est comme si l'on vendait une voiture sans moteur !

M. Pascal Thys. - On pourrait alors partir sur l'abus frauduleux d'état d'ignorance ou sur une tentative d'escroquerie. C'est un cas d'infraction que l'on peut cibler.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Dans ce cas, pourquoi n'y a-t-il pas systématiquement de signalement ?

M. Pascal Thys. - Un grand nombre d'infractions concernant ce type d'appareils sont relevées quasi quotidiennement sur Internet, même si elles ne sont pas forcément en relation avec les dérives sectaires. Le champ infractionnel est malheureusement très vaste !

M. Yvan Carbonnelle. - Il existe aussi un portail gouvernemental appelé « Internet escroquerie », qui permet à tout citoyen de signaler ce qui apparaît illégal sur Internet...

Mme Gisèle Printz . - Si je suis victime d'un charlatan, puis-je venir vous voir pour porter plainte ? Enquêterez-vous sur le problème que je vous soumets ?

M. Bernard Popineau. - Oui, nous incitons les gens à venir nous voir, mais ce sont les parents qui accomplissent cette démarche, jamais les victimes elles-mêmes. Elles ont de grosses difficultés à évoquer les raisons pour lesquelles elles se sont laissé entraîner dans ce système.

Entendre une victime d'un mouvement sectaire est très délicat. On va devoir passer des heures à mettre cette personne en confiance pour obtenir les éléments matériels qui vont nous permettre de caractériser l'infraction.

Mme Gisèle Printz . - Vous ouvrez donc une enquête ?

M. Bernard Popineau. - Oui. Nous comptons, dans notre organisation, au moins un référent sectaire dans chaque département, en liaison avec le groupe national de vigilance contre les dérives sectaires. Je connais personnellement ces référents. Ils sont sensibilisés au sujet et sont invités à entrer à chaque fois en contact avec nous, afin que nous puissions les conseiller et leur apporter les éléments essentiels pour recueillir les premiers éléments, dans le cadre d'une enquête ou d'une plainte.

Ce sont les parents ou les frères et soeurs qui s'adressent à nous, jamais la victime. Il faut engager un dialogue et des négociations avec l'intéressé pour l'inviter à venir déposer en toute liberté. Il n'est en aucune manière question de l'obliger à déposer, mais tout citoyen est invité à pousser la porte de la gendarmerie pour dénoncer tel ou tel fait. C'est une démarche qui n'est pas facile, qui plus est pour une victime !

Nous formons nos personnels dans ce domaine et les assistons. Dans ma division, nous sommes même amenés à nous déplacer sur l'ensemble du territoire, afin d'assister nos camarades sur le terrain, faciliter les investigations, permettre des recherches et apporter les éléments probants au magistrat qui va décider de l'opportunité des poursuites.

Mme Catherine Deroche . - Vous avez fait référence au salon du bien-être et à son programme. Intervenez-vous dans ce type de manifestations ?

M. Yvan Carbonnelle. - C'était un exemple...

Nous effectuons bien évidemment des reconnaissances sur ce type de salon, mais pas forcément sur celui-là, qui est en zone de Police nationale. Nous partageons le renseignement. Nous menons des repérages discrets pour avoir plus d'informations et récupérer la documentation qui est en libre-service. Ce qui apparaît sur Internet ne constitue qu'un appât ; une fois le visiteur intéressé, il est attiré dans un centre pour y dépenser son argent et, s'il s'agit d'une dérive sectaire, être placé sous emprise mentale.

La surveillance Internet ne fait pas tout : il faut aussi se déplacer sur le terrain et enquêter. La gendarmerie compte 30 000 officiers de police judiciaire, soit environ 300 par département. Ce sont eux qui conduisent les enquêtes, sous la direction du Parquet, assistés par les agents de police judiciaire.

M. Yannick Vaugrenard . - Vous estimez qu'il vous serait utile d'avoir possibilité d'intervenir sur des forums en utilisant des pseudonymes, ce qui est impossible aujourd'hui. Lorsque vous constatez sur Internet une forme de désinformation manifeste destinée à utiliser la faiblesse de certaines personnes, avez-vous la possibilité d'intervenir en flagrant délit ou faut-il systématiquement une plainte pour que la puissance publique intervienne ?

En second lieu, comment fédérez-vous les énergies de la police et de la gendarmerie ? Croisez-vous vos informations ?

M. Pascal Thys. - La constatation sur Internet ne pose pas de problème. Dès lors qu'une pratique déviante est susceptible de mettre la vie d'une personne en danger ou consiste à proposer une thérapie sans que la personne qui la suggère soit inscrite à l'Ordre des médecins, la procédure nous permet d'agir immédiatement d'initiative. Nous bâtissons alors la procédure et la transmettons immédiatement au Parquet.

Localement, nous pouvons également intervenir dans un périmètre géographique relativement proche ; dans le cas contraire, nous transmettons au Parquet compétent dans les meilleurs délais, afin de pouvoir conserver le bénéfice de la flagrance. Nous essayons généralement de trouver une unité de gendarmerie locale susceptible de prendre la relève et la proposons au Parquet, seul décisionnaire en la matière...

M. Yannick Vaugrenard . - Est-ce fréquent ou avez-vous des éléments statistiques démontrant une augmentation importante ?

M. Pascal Thys. - J'ai l'impression que les dérives thérapeutiques sont en augmentation constante sur Internet, mais ce n'est pas forcément systématiquement en lien avec une éventuelle dérive sectaire. Il peut y avoir derrière ces propositions des personnes souhaitant récolter un maximum d'argent. Cela peut déboucher sur une escroquerie plutôt que sur autre chose...

M. Yvan Carbonnelle. - La coopération avec la Police nationale se fait par le biais de la présence de personnels de chacune des institutions au sein des offices centraux. En matière de dérives sectaires, la gendarmerie dispose de deux offices centraux, l'un que vous avez vu la semaine dernière, ainsi que l'Office central de lutte contre le travail illégal. Les deux comprennent des policiers.

A l'inverse, les deux offices centraux de la police nationale qui peuvent traiter des infractions en lien avec les dérives sectaires - l'Office central de la répression des violences faites aux personnes (OCRVP), qui comprend la Cellule d'assistance et d'intervention en matière de dérives sectaires (Caimades) et l'Office central de lutte contre les infractions liées aux technologies d'information et de la communication (OCLCTIC) - comptent également des gendarmes. L'échange est forcément permanent dans ces structures de police judiciaire. D'autres administrations sont aussi présentes dans les offices centraux - douanes, impôts...

Enfin, des gendarmes sont affectés au sein de la sous-direction de l'information générale - les ex-Renseignements généraux (RG) - qui travaillent également sur le sujet des dérives sectaires en matière de police administrative. Nous nous croisons enfin de manière très régulière avec la Police nationale lors des réunions de la Miviludes. Nous n'avons pas de problématiques d'échange d'informations - sur ce thème-là...

Mme Hélène Lipietz , présidente. - Quels sont les mots-clés qui définissent la différence entre une dérive sectaire et un abus de faiblesse ou d'ignorance ? Vous venez de dire que vous constatiez une montée de l'escroquerie, sans pour autant avoir l'impression qu'il y a plus de sectes qu'auparavant sur Internet...

M. Pascal Thys. - C'est extrêmement difficile à dire au vu des seules constatations que l'on peut réaliser sur Internet. On ne peut dire, à la base, s'il va y avoir dérive sectaire ou s'il s'agit plutôt d'une tentative d'escroquerie. C'est là toute la difficulté. L'infraction que nous relevons au départ nous ouvre une porte et nous permet de vérifier sur place ce qui se passe...

Mme Hélène Lipietz , présidente. - Certains sites ne sont pas basés en France. Comment faîtes-vous ? Les grands acteurs d'Internet - Google, Pages jaunes, etc. - vous aident-ils ou mettent-ils un frein à vos recherches ?

M. Pascal Thys. - Ma réponse sera mitigée...

En ce qui concerne les sites basés à l'étranger, tout dépend de l'endroit où ils sont situés. Dans les pays européens, en règle générale, cela ne pose pas de problème car il existe des structures comme Interpol, Europol, etc. Tous les ans, depuis plusieurs années, nous menons d'ailleurs une opération coordonnée appelée Pangea en matière de santé ; elle nous permet de travailler à l'échelon européen sur la vente des médicaments sur Internet.

Chaque pays essaye de récupérer un maximum d'informations sur les sites Internet français ou étrangers qui vendent des médicaments. Europol centralise l'intégralité des renseignements et envoie les informations aux pays concernés. Il s'agit d'un accord de réciprocité, chacun prenant à son compte la partie territoriale qui le concerne.

Pour ce qui est des acteurs d'Internet, tout dépend à qui l'on s'adresse. Avec Google ou Facebook, cela ne pose pas de problème particulier. En règle générale, ces acteurs du Net répondent à nos réquisitions. Avec Twitter, qui est au coeur de l'actualité, on a beaucoup de mal à obtenir une réponse à nos réquisitions, Twitter se retranchant derrière la loi américaine et estimant qu'il n'a pas à répondre aux réquisitions des autorités des autres pays.

Ce n'est pas le cas avec Facebook, par exemple, qui a mis en place un correspondant juridique qui sert de relais entre les Etats-Unis et la France. Twitter est en train de mettre un tel système en place en France ; on espère que la situation va pouvoir se débloquer...

Mme Hélène Lipietz , présidente. - Le rapport de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP), ou la récente note émanant du Centre d'analyse stratégique (CAS) relative aux médecines complémentaires ou non conventionnelles, semblent conférer une certaine respectabilité aux soins ne relevant pas de la médecine classique.

Nous nous sommes interrogés, au sein de la commission, sur le fait de savoir si la « reconnaissance » de ces pratiques alternatives par des organes officiels n'était pas revendiquée par certains gourous. Avez-vous observé des sites indiquant que ces pratiques ont été mentionnées par l'AP-HP ou le CAS ?

M. Pascal Thys. - Non, à titre personnel, je ne l'ai pas constaté.

Les sites prennent de plus en plus garde au vocabulaire qu'ils emploient, ayant pu connaître, par le passé, certaines poursuites pénales. Ils mettent aujourd'hui en place des « chartes éthiques » dans lesquelles ils indiquent, pour se dédouaner ou ne pas attirer l'attention des pouvoirs publics, que leurs pratiques ne viennent pas se substituer au traitement médical préconisé par un médecin.

M. Yvan Carbonnelle. - Certains inventent également des diplômes ou des décorations imaginaires, comme la personne qui anime l'Iface, qui a un nombre de diplômes et de décorations impressionnant. Certaines personnes peuvent se laisser berner par ce type d'argumentaire. Il est clair que ces gourous recherchent la respectabilité...

L'un d'eux, très connu, a autrefois réussi à donner une conférence à la Sorbonne. Il a, ainsi, ensuite pu s'en prévaloir.

Les médecins sont également très discrets lorsqu'ils ont été radiés de l'Ordre, et ne s'en vantent pas !

Table ronde consacrée à Internet (mardi 29 janvier 2013)

Mme Hélène Lipietz , présidente. - Mes chers collègues, nous procédons, en cette fin d'après-midi, à une série d'auditions de responsables de sites internet qui ont paru importantes pour l'information de notre commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé. Il s'agit des sites suivants :

- Google , représenté par M. Benoît Tabaka, directeur des politiques publiques- sécurité, et Mme Maria Gomri, directrice juridique ;

- pagesjaunes.fr , représenté par M. Christophe Leblanc, directeur des relations institutionnelles et M. Emmanuel Thoorens, directeur des opérations en charge du search et des données ;

- aufeminin.com , représenté par M. Christophe Decker, directeur général délégué, et M. Nicolas Evrard, médecin, responsable du pôle santé ;

- psychologies.com , représenté par M. Arnaud de Saint-Simon, président ;

- doctissimo.fr , représenté par M. Christophe Clément, directeur adjoint ;

- allodocteurs.fr représenté par M. Benjamin Batard, rédacteur en chef adjoint, et Mme Charlotte Tourmente, médecin et journaliste spécialiste en médecine.

Cette réunion est ouverte au public et à la presse ; son compte rendu sera publié avec le rapport ; son enregistrement vidéo sera diffusé sur le site du Sénat.

J'attire l'attention du public ici présent sur le fait qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Je précise à l'attention des personnes auditionnées que la constitution de cette commission d'enquête a pour origine une initiative de notre collègue Jacques Mézard, président du groupe RDSE, qui est de ce fait notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à chacun de prêter serment successivement. Je rappelle, pour la forme, bien sûr, qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les dix personnes se lèvent successivement et prêtent serment.

Mme Hélène Lipietz , présidente. - Je propose que chaque site fasse l'objet d'un bref exposé introductif. Les sénateurs, en commençant par le rapporteur, vous poseront ensuite un certain nombre de questions.

M. Benjamin Batard, directeur des politiques publiques-sécurité de a llodocteurs.fr . - Le site allodocteurs.fr est un site indépendant dédié à la santé, lancé en mars 2009 par les docteurs Michel Cymes et Marina Carrère d'Encausse, qui présentent Le magazine de la santé , l'émission médicale de France 5. Ce site propose aux internautes plus de 8 000 vidéos médicales ; son audience est de 700 000 visiteurs par mois. Il s'adresse au grand public et propose un contenu éditorial construit autour de trois axes : l'actualité de la santé, l'encyclopédie médicale et le conseil médical en ligne, réalisé par le biais de « tchats » avec des professionnels de santé. Ce site est accessible depuis le portail Internet du groupe France Télévisions et vit en synergie avec Le magazine de la santé , dont il tire une grande partie de son contenu.

Les quinze journalistes de l'émission sont tous titulaires de la carte de presse et collaborent activement à ce contenu éditorial en rédigeant des articles et en mettant leurs reportages en ligne. Cette rédaction est aguerrie aux problématiques de santé.

L'ambition d' allodocteurs.fr est de traiter toutes les questions médicales en apportant des réponses, autant que faire se peut, claires et validées sur le plan scientifique. Nous avons pour cela mis en place, avant toute diffusion, un circuit de relecture des informations par des rédacteurs en chef et les médecins de la rédaction. Depuis la création du site, nous disposons de la certification HONcode, qui constitue le code de déontologie pour l'information médicale.

L'internaute qui consulte notre site est demandeur d'informations sur sa santé et veut aussi partager son expérience. Bref, il veut être un acteur de santé, mais un acteur éclairé, exigeant et critique.

Depuis quelques années, nous observons un climat de méfiance - voire de défiance - à l'égard du système de santé, qui s'est aggravé avec les récentes crises sanitaires, comme celle du Mediator et, actuellement, des pilules de troisième génération. Ce climat a, sans aucun doute, déteint sur la manière dont l'internaute appréhende l'information médicale. La tentation est de plus en plus grande d'aller chercher des réponses du côté des médecines complémentaires et alternatives qui peuvent, on le sait, constituer des portes d'entrée pour les mouvements sectaires.

Pour répondre à ce besoin d'informations, allodocteurs.fr consacre régulièrement des articles et des dossiers à ces techniques de soins.

Certaines de ces techniques ont été largement étudiées sur le plan scientifique, et certaines ont fait leur entrée à l'hôpital - acupuncture, ostéopathie, hypnose. Quand nous parlons de ces méthodes de soins, nous privilégions toujours les reportages et les entretiens en milieu hospitalier ou universitaire, ce qui constitue un gage de sérieux.

Pour mesurer leur efficacité, nous nous appuyons toujours sur des études médicales qui ont été publiées dans des revues scientifiques de référence et n'hésitons pas à être critiques quand il le faut. Le cas s'est présenté récemment lors d'une enquête consacrée à l'ostéopathie où, de l'aveu même de certains praticiens, des risques de dérives sectaires pouvaient exister dans certaines mouvances de l'ostéopathie, des formations proposant par exemple des stages en kinésiologie, naturopathie et énergétique...

D'autres pratiques, plus obscures, sont rarement évaluées, réalisées hors de toute structure médicale. Dans ce cas, le risque est évidemment plus grand d'avoir affaire à des charlatans. Faut-il parler de ces méthodes, au risque de leur faire de la publicité ? C'est une vraie question... Nous pensons que notre rôle est d'enquêter sur ces techniques non conventionnelles et de dénoncer les dérives si elles existent.

Ces dernières années, nous avons, par exemple, consacré plusieurs reportages aux dangers des méthodes comme la kinésiologie, l'iridologie, pseudo-science qui prétend que chaque partie du corps serait représentée par l'iris, la naturopathie et le jeûne thérapeutique.

Nous surveillons deux autres thématiques avec beaucoup de vigilance, car nous savons qu'elles sont l'objet de possibles dérives sectaires. Il s'agit de la vaccination - avec, sur les forums, des discours d'opposants à toute forme de vaccination, souvent très actifs - et le vaste champ des psychothérapies. Nous donnons aux internautes des conseils pratiques pour choisir un psychologue formé et diplômé, et rappelons les règles à suivre pour éviter les pseudo-thérapeutes et les pratiques non conventionnelles. Nous insérons, sur ces sujets, des liens vers les sites de la Miviludes et de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu (Unadfi).

Malgré ces garde-fous et ces règles éditoriales, nous ne sommes évidemment pas à l'abri de nous faire piéger par un témoin ou un médecin appartenant à une mouvance sectaire. Dans ce cas, la règle doit être celle de la transparence. Si nous nous trompons, nous le dirons, si nous avons été dupés aussi, mais cette transparence est, nous semble-t-il, un enjeu important de l'information médicale sur Internet.

Mme Charlotte Tourmente, médecin et journaliste spécialiste en médecine de allodocteurs.fr . - Je suis en charge de la modération des commentaires postés sur les articles, les « tchats » et les réseaux sociaux. Je chapeaute également l'équipe d'étudiants en médecine qui répond directement aux forums. Internet et les forums peu contrôlés me semblent être un vecteur de choix pour ceux qui font la promotion des mouvements sectaires.

Nous sommes assez peu confrontés à ce type de messages, sans doute parce qu'il s'agit d'un site de médecins, celui de Michel Cymes et Marina Carrère d'Encausse, dont la déontologie est très claire. Chaque message est relu par un médecin ou un étudiant en médecine et obtient une réponse rapide. Nous supprimons systématiquement les messages suspects ou commerciaux qui font l'apologie de techniques non validées dans le domaine des médecines douces, de la nutrition ou des régimes.

Si l'internaute malveillant continue à poster ses messages suspects, nous lui envoyons un avertissement ; s'il récidive, nous le bannissons du site. Les choses sont donc assez réglementées.

Lorsque les internautes nous posent des questions sur des mouvements associés à des dérives sectaires ou à des techniques non validées, nous les mettons bien évidemment en garde et leur donnons quelques pistes pour qu'ils apprennent à reconnaître et à se méfier de certaines pratiques, comme la kinésiologie...

Enfin, nous ne créons jamais, sur le forum, de fil de discussion sur des sujets sur lesquels il n'existe pas de base scientifique ou qui prêteraient à des discussions stériles - débat antivaccination, etc.

Ce qui caractérise le site, c'est l'interactivité quotidienne avec les internautes. Je pense que c'est cette interactivité avec des interlocuteurs compétents et qualifiés qui doit être développée dans l'avenir pour éviter les dérives.

M. Christophe Clément, directeur adjoint de doctissimo.fr . - Je représente doctissimo.fr , le premier site santé « grand public », fondé en 2000 par des médecins. La rédaction est composée de journalistes scientifiques. Nous avons également un directeur médical. Toute la partie éditoriale du site est donc contrôlée à ce titre. C'est sans doute sur nos parties communautaires, dont j'ai la charge, que l'on peut trouver le plus de risques de présences sectaires.

Sur doctissimo.fr , le verbe est assez libre. Ce sont les internautes qui lancent les sujets des discussions, organisées à l'intérieur de quatorze grands forums thématiques et de plusieurs centaines de catégories. Le forum doctissimo.fr est devenu, au fil du temps, le plus gros forum francophone. On n'y parle pas aujourd'hui que de santé, la santé n'étant que l'un des quatorze thèmes que nous abordons, mais également de nutrition, de grossesse, de psychologie ou de sexualité.

Nous disposons d'un forum sur la psychologie, avec des espaces dédiés à des discussions sur la spiritualité, Dieu et la religion, ou sur les sectes. Le forum sur Dieu et la religion est plus orienté vers l'appréhension personnelle de la spiritualité, alors que celui sur les sectes constitue davantage un forum d'entraide entre victimes ou anciens adeptes qui essaient d'échapper à l'emprise des sectes.

La présence des sectes dans nos espaces communautaires ne nous mobilise pas quotidiennement. Notre mode de modération est fondé sur un système d'alerte, d'entraide et de signalement lorsque les internautes eux-mêmes sont confrontés à un message qui leur semble illégal ou tendancieux. Nous avons mis en place, en parallèle, deux systèmes d'alerte spécifique. Le premier concerne la protection des mineurs ; à ma connaissance, ceux-ci n'ont jamais fait, sur notre site, l'objet de tentatives d'approche de la part de sectes ; le second système d'alerte, mis en place avec une commission interministérielle, est relatif aux suicides.

M. Arnaud de Saint-Simon, président de psychologies.com . - Le groupe Psychologies, que je dirige, édite le magazine Psychologies - qui compte 2,5 millions de lecteurs par mois - ainsi que des hors-séries. Nous avons, grâce au succès du magazine en France, exporté ce concept dans plusieurs pays dans le monde - Chine, Russie, Angleterre, Espagne, Roumanie, Grèce, Belgique.

Nos activités digitales sont constituées d'un site Web, psychologies.com , d'une page Facebook, qui bénéficie d'une centaine de milliers de fans, et d'une application pour Smartphone appelée Psycho , dérivée de nos contenus. Le magazine est également disponible sur tablettes et iPads, via les kiosques numériques.

Nous avons également d'autres activités - livres en coédition, croisières et autres événements...

En ce qui concerne les dérives sectaires dans le champ de la santé, nous ne sommes pas un magazine de santé classique, au sens des pathologies, mais plutôt un magazine dont la vocation est d'aider les lecteurs dans le domaine de la prévention. Nous réalisons donc un certain nombre d'articles et de hors-séries autour de ce champ, concernant tout ce qui peut renforcer notre système immunitaire et diminuer notre stress. Cela va des techniques de relaxation à l'alimentation, en passant par les médecines énergétiques, qui vont de l'acupuncture au tai-chi.

Nous nous focalisons principalement sur les médecines complémentaires, qui constituent un champ compliqué, mais aussi sur ce qui relève du vécu psychologique de la maladie. Nous avons ainsi récemment publié un grand sujet sur le débat à propos de l'euthanasie.

Les psychothérapies sont un champ complexe qui n'est pas véritablement encadré. Il existe un nouveau diplôme mais, jusqu'à il y a peu, seuls les psychologues ou les psychiatres disposaient d'un diplôme d'Etat. Or, ces deux catégories de professionnels n'ont pas forcément fait de psychothérapie et n'ont donc pas forcément d'expérience clinique.

Nous avons réalisé beaucoup d'articles afin d'aider les lecteurs à choisir la bonne psychothérapie et le bon psychologue. Nous avons également recensé les différentes disciplines et deux hors-séries récents ont été réalisés autour de questions pratiques : où s'adresser, combien payer, comment être sûr du sérieux d'un professionnel ?

Nous avons par ailleurs publié, sur notre site, un annuaire des psychothérapeutes « certifiés ». En effet, trois fédérations se sont unies, avant que le nouveau diplôme de psychothérapeute n'existe, pour établir des listes de thérapeutes validées par leurs pairs. Notre journal couvre donc tout le champ de la psychothérapie, la partie relative à la modération étant mutualisée avec doctissimo.fr .

M. Christophe Clément. - Les deux titres appartiennent au même groupe...

M. Arnaud de Saint-Simon. - Nous sommes en effet une filiale du groupe Lagardère Active .

M. Christophe Decker, directeur général délégué d' aufeminin.com . - Le site aufeminin.com a été créé il y a quatorze ans ; il s'adresse aux femmes et aux mères. Ce site existe aujourd'hui en sept langues. Il est donc disponible dans toute l'Europe et représente un total mensuel de 49 millions de visiteurs. Ce site est disponible sur le Web, mais aussi sur tablette ou téléphone mobile. Notre activité s'étend également à l'édition littéraire et à la presse.

Notre site est un portail féminin très généraliste qui n'est pas spécialisé dans la santé ; les sujets abordés traitent aussi bien de cuisine, de mode, de beauté, de mariage, de psychologie que de santé.

Le contenu de nos informations et de nos articles relève de nos journalistes ; une très grande place est donnée aux internautes, qui peuvent s'exprimer via des forums, mais également sur des blogs, des albums photos ou grâce au partage de vidéos.

Je cède la parole à Nicolas Evrard, notre médecin rédacteur, à propos de la publication des informations...

M. Nicolas Evrard, médecin, responsable du pôle santé d' aufeminin.com . - Je suis médecin et rédacteur en chef du site sante-az.aufeminin.com , spécialement dédié à la santé et destiné au grand public.

Nos articles et dossiers sont rédigés par des médecins que nous connaissons bien ou par des journalistes spécialisés dans la santé, qui travaillent avec des experts référents. Je relis et valide ces textes avant publication ou mise en ligne.

Je suis aussi responsable de tout le pôle santé d' aufeminin.com et travaille au sein même de la rédaction. J'ai donc toujours une réponse à apporter à des journalistes qui auraient des suspicions sur tel ou tel intervenant. J'ai également travaillé auparavant à Santé magazine . La rédaction d'un site Internet fonctionne comme celle d'un autre média.

J'insiste sur le fait que je suis médecin journaliste. Le code de déontologie médicale a pour moi une réelle signification. Le contrat qui me lie au site aufeminin.com insiste bien sur le fait que je ne dois subir aucune pression de ce point de vue. Pour moi, cela a une réelle signification. Nous obéissons également aux règles dictées par le HONcode, comme l'a voulu la Haute Autorité de santé (HAS) en 2004.

M. Christophe Decker. - Nous comptons environ 49 millions de visiteurs à travers le monde, dont 12 en France. Ceci impose des règles de modération assez strictes pour permettre à chacun de s'expliquer dans nos forums.

400 000 messages sont postés chaque mois sur aufeminin.com , soit un message toutes les trois secondes. C'est un volume d'informations considérable. Nous n'avons de ce fait pas d'autres choix que d'être hébergeur. Les messages passent donc en ligne directement, la modération s'effectuant a posteriori . Pour ce faire, nous avons mis en place une procédure à trois niveaux.

En premier lieu, celui qui constate un message litigieux, illégal ou posant un problème de santé peut alerter un modérateur professionnel de notre équipe, qui va vérifier ce message et agir.

En second lieu, un certain nombre d'utilisateurs-modérateurs, fidèles et fiables, peuvent prodiguer des conseils aux internautes mais surtout supprimer certains messages ou certaines discussions.

Enfin, les modérateurs professionnels que nous employons répondent aux internautes, vérifient le travail des utilisateurs-modérateurs et exercent sur les forums une veille active à partir de thématiques ou de mots-clés litigieux.

En outre, nous mettons en place un certain nombre des bonnes pratiques du secteur : nos modérateurs interviennent en toute transparence sur les forums, avec un pseudonyme dédié et un compte utilisateur identifiable ; ils sont très faciles à contacter, soit à travers les discussions, soit à travers des formulaires. Nous publions par ailleurs le mode d'emploi du site et les règles de bonne conduite. Des mises en garde spécifiques sont affichées en tête des forums santé ou consacrés aux problèmes conjugaux. Nous sommes aussi signataires de la charte sur le droit à l'oubli.

Nous avons d'autre part mis en place un certain nombre de procédures dans le cadre de signalements et de préventions. C'est ainsi que nous sommes signataires, avec le ministère de l'intérieur, d'une convention consacrée aux problématiques de l'Internet traités par la Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos). Cette convention nous permet, en cas de vente illégale ou de tentatives de suicide, d'adresser de manière accélérée un signalement à la police en lui fournissant les adresses IP afin qu'elle intervienne au plus vite.

Nous avons mis en place, il y a quelques mois, un système de forums médicaux distincts des forums habituels, où interviennent des spécialistes ou des généralistes. Il ne s'agit pas de consultations médicales mais de conseils gratuits, éclairés et rassurants.

Nous sommes partenaires du dispositif Alerte Enlèvement , que nous relayons en cas de besoin et avons pris, à l'échelle de notre société, un certain nombre d'engagements en faveur de la défense des femmes en matière de prévention et de santé ou de défense des enfants.

Le problème des sectes et de leur impact sur la santé est, pour notre site généraliste, un phénomène assez restreint dans son ampleur. Selon un sondage remontant à trois jours, 2 % des internautes consultés estiment voir sur nos sites des publicités liées à des sectes une à deux fois par semaine, 18 % une à deux fois par mois, 80 % estimant ne pas en voir très souvent. Celles-ci restent donc un phénomène marginal.

Ces publicités concernent le développement personnel pour 34 % des internautes, des témoignages d'internautes ayant eu affaire à des sectes pour 25 %, des propositions relatives au bien-être pour 20 %, ou encore à l'achat de produits et de traitements pour 18 %.

M. Christophe Leblanc, directeur des relations institutionnelles de pagesjaunes.fr . - Nous tenons tout d'abord à remercier votre commission d'enquête d'avoir invité le groupe Pages jaunes , saluant ainsi la récente mutation d'un média dont la diffusion repose historiquement sur le papier vers la sphère digitale.

Notre groupe étant en second lieu au coeur de la donnée, nous partageons les problématiques que vous soulevez. Enfin, la protection et la fiabilité des données, ainsi que la neutralité du Net sont des thématiques sur lesquelles nous travaillons beaucoup et nous comptons encore beaucoup travailler avec les pouvoirs publics sur ce sujet.

Notre groupe s'articule aujourd'hui autour de trois métiers, un métier d'édition de contenus, un métier de régies numériques et un métier de médias numériques. Ces activités numériques ont représenté 60 % du chiffre d'affaires du groupe en 2012.

Nous sommes un groupe au coeur de la data : nous gérons, collectons, enrichissons, tous les ans, quatre millions de données appartenant à des entreprises - TPE, PME, grands groupes - et vingt millions de données et d'adresses de particuliers. Nous distribuons également, chaque année, plus de quarante millions d'annuaires papier.

Ceci signifie que des processus extrêmement fiables sont nécessaires pour conserver la confiance des internautes ; en effet, celle-ci est un élément clé pour notre groupe, dont le succès repose sur l'audience. Or nous ne pouvons la réaliser que si les internautes nous font confiance. Plus de deux milliards de recherches ont été effectuées sur l'ensemble des sites numériques du groupe, bien évidemment pagejaunes.fr , le navire amiral, mais aussi Mappy ou 123People ...

Mon collègue Emmanuel Thoorens va vous décrire les moyens que nous avons mis en place, les processus qui fonctionnent et qui sont relativement fiables ; il vous fournira également un certain nombre d'exemples de coopérations concrètes avec les pouvoirs publics et les organisations professionnelles, particulièrement dans le domaine de la santé qui, chez pagesjaunes.fr , est l'une des dix premières rubriques les plus consultées.

M. Emmanuel Thoorens, directeur des opérations en charge du search et des données. - La pertinence de nos données est effectivement pour nous un sujet clé. Il s'agit d'une forme de caution auprès du grand public : lorsqu'ils recherchent un médecin, les internautes ne se posent pas de questions : les Pages jaunes sont un outil fiable ! Certes, nous sommes parfois confrontés à des charlatans, mais tout professionnel a le droit - sauf décision de justice - d'être présent sur nos pages. Nous n'interdisons pas à une association religieuse, par exemple, de figurer sur nos supports...

Cependant, nous sommes vigilants s'agissant des professions réglementées, dont le secteur médical, pour lequel nous avons mis en place un certain nombre de contrôles. Cela commence par les professions qui disposent d'un Ordre, comme les médecins, les kinésithérapeutes, les pharmaciens, etc. Nous nous alignons en fait sur les listes officielles. Un médecin qui prétend être dermatologue et qui n'apparaît pas dans la liste de l'Ordre ne sera pas référencé dans nos supports sous cette spécialité.

Quant aux professions dont le titre est protégé par la loi, le cas de figure est le même, nous demandons aux intéressés de justifier leur diplôme. Ceci nous a notamment amenés à beaucoup travailler sur le sujet des psychothérapeutes. Les choses n'ont pas été simples à mettre en oeuvre.

Au-delà, toutes les autres activités de santé, de bien-être ou de développement personnel sont clairement référencées dans d'autres catégories et nous essayons de distinguer les professions médicales des autres professions. Ainsi, nous nous interdisons d'interpréter des requêtes touchant au traitement du cancer. Même si le contenu d'une annonce fait référence au traitement du cancer, ce terme ne figurera pas dans celle-ci. De la même manière, le terme de « massage » est aujourd'hui réservé aux kinésithérapeutes qui seuls apparaissent lorsque ce mot est utilisé dans la requête. Notre volonté est donc d'assurer la fiabilité et la pertinence de nos supports.

Nous nous sommes d'autre part refusé à faire figurer des avis concernant les professionnels de santé. Nous le faisons pour les plombiers, les restaurants, les hôtels mais non pour ce qui est des professions médicales, afin d'éviter tout type de dérive. Pour la même raison, nos supports ne comportent pas de forum.

L'accès à nos supports se fait soit par un référencement gratuit, soit par un plan de parution. Pour ce qui relève de la publicité, nous appliquons les mêmes règles à tous les domaines : si un ostéopathe souhaite souscrire un plan de parution, tout dépend de son code de déontologie - s'il en a un. Nous appliquons ces codes de déontologie de matière stricte lorsqu'ils existent. Si un psychothérapeute souhaite être référencé dans la rubrique lui correspondant, nous lui demanderons son diplôme.

Notre volonté est de vérifier les contenus : plus de 100 000 sites internet sont aujourd'hui réalisés par Pages jaunes , ainsi que des contenus plus classiques. Nous nous préoccupons donc toujours des règles relatives aux bonnes moeurs et essayons qu'aucune référence à une compétence n'apparaisse dans des domaines nécessitant une expertise, qu'il s'agisse du droit ou de la santé.

Nous surveillons attentivement certains secteurs, comme celui des magnétiseurs ou des sciences occultes, où la tentation existe parfois d'expliquer que ces pratiques peuvent guérir toutes les maladies en une seule consultation. Nos commerciaux ont, à ce sujet, des consignes très strictes et des contrôles sont exercés avant la parution. Ceci ne veut pas dire que quelques cas ne passent malheureusement pas à travers les mailles du filet, mais toutes les réclamations sont traitées dans les meilleurs délais et l'annonce disparaît alors immédiatement de nos supports.

La difficulté réside dans le fait qu'il peut exister des liens renvoyant vers des sites externes. Quand leur contenu est explicite dès la première page - homophobie, antisémitisme, etc. - les choses sont assez faciles à repérer. S'agissant de sites de développement personnel, il est plus compliqué de détecter des contenus potentiellement à risque...

Nous accordons la plus grande importance à la fiabilité de nos contenus, car figurer sur le site des Pages jaunes constitue une vraie caution pour le grand public. Nous devons donc mériter cette confiance. Nous mettons pour ce faire en oeuvre de nombreux moyens qui nous semblent indispensables. Nous ne pouvons garantir notre totale infaillibilité - nous sommes confrontés à des failles que nous corrigeons au plus vite - mais nous considérons que ce type de pratiques ne nous pose pas réellement de difficultés. Ceci ne veut pas dire qu'elles n'existent pas. Nous avons mis en place les moyens pour nous en prémunir : il faut rester vigilant !

Nous sommes souvent confrontés à des groupes de pression. Nous nous en tenons à l'application de la loi et des textes. Nous avons eu récemment quelques échanges compliqués au sujet de la psychothérapie. Nous sommes à l'entière disposition du législateur pour aller dans le sens d'une meilleure information du grand public, mais nous avons aussi besoin de règles extrêmement claires, afin de les appliquer sereinement et sans interprétation possible.

M. Christophe Leblanc. - Les pouvoirs publics, l'administration et le cabinet du ministre de la santé de l'époque ont trouvé la solution en créant deux rubriques, l'une consacrée aux psychothérapeutes portant le titre et une seconde pour ceux n'ayant pas le droit de porter le titre, dénommée « psychothérapie hors du cadre réglementé ».

M. Emmanuel Thoorens. - Lorsque vous tapez « psychothérapeutes » sur pagejaunes.fr , seuls sortent les psychothérapeutes et non ceux classés dans la rubrique « psychothérapie ». Si vous tapez « psychothérapie », le moteur de recherche demande à l'internaute s'il désire consulter la liste des « psychothérapeutes » ou celle relative à la « psychothérapie hors du cadre réglementé ». Pour le grand public, la différence n'est pas toujours facile à comprendre.

M. Benoît Tabaka, directeur des politiques publiques-sécurité de Google . - Deux des principaux produits développés par Google sont le moteur de recherche et le service de publicité. Le moteur de recherche Google a été créé voici environ quinze ans. L'objectif est de permettre aux utilisateurs d'accéder aux informations les plus pertinentes. Maria Gomri, directrice juridique chez Google France, va vous présenter le moteur de recherche ; je reviendrai ensuite sur la question de la publicité et la manière dont nous avons mis en place un certain nombre d'outils pour détecter les annonces frauduleuses.

Mme Maria Gomri, directrice juridique de Google France . - Notre moteur de recherche est de type algorithmique. Ce système, qui permet de naviguer sur Internet, constitue un outil complexe, dont les rectifications ne se font qu'à la marge. Notre moteur de recherche est présent dans environ 180 pays ; il est capable de comprendre des requêtes dans 146 langues et de traiter environ un milliard de requêtes par jour.

La navigation est rendue possible grâce à un algorithme d'une extrême puissance, sur lequel travaillent des milliers d'ingénieurs de Google . Au moment où nous parlons, ils sont en train d'effectuer environ 300 expériences afin d'améliorer la pertinence et la qualité de ce moteur de recherche, compte tenu de la masse à gérer. Si vous recherchez un hôtel à Paris, il est vraisemblable qu'il existe des milliards de pages sur Internet répondant à cette requête. Or, il n'est pas envisageable de toutes les présenter mais plutôt de proposer un résultat pertinent par rapport à la recherche effectuée...

Tous les sites n'apparaissent pas en première page sur notre moteur de recherche, ni même en tête des résultats. Nous disposons d'environ 200 critères permettant de calculer, de comprendre et de faire ressortir des résultats de recherche par rapport à la requête. Certains critères paraissent évidents, comme le fait de retrouver sur la page Web le mot que vous avez recherché, mais il existe également des critères plus complexes qui permettent de faire ressortir des sites Web extrêmement populaires, beaucoup de sites renvoyant vers d'autres sites.

Tout est extrêmement automatisé, informatisé et puissant, compte tenu des volumes. Il existe cependant des corrections à la marge. On parle de « déréférencement des contenus » si une décision de justice indiquant que le contenu d'une page Web est illicite nous est communiquée.

Certaines rectifications interviennent sur décision judiciaire mais également en cas de problèmes de sécurité. Si nos systèmes détectent la présence de virus ou de « malware » sur des sites Web, nous mettons les internautes en garde.

Lorsque les internautes indiquent leur code bancaire sur certaines pages, nous déréférençons celles-ci pour préserver la sécurité de leurs données. Nous déréférençons également tout contenu pédopornographique ou incitant à la haine raciale ou au racisme et mettons aussi en oeuvre une procédure américaine appelée Digital Millennium Copyright Act (DMCA), qui déréférence les contenus ne respectant pas le droit d'auteur. Nous déréférençons enfin, lorsque nous les détectons, les éditeurs qui cherchent à se faire référencer en haut de nos résultats de recherche.

Je laisse la parole à Benoît Tabaka, concernant les publicités disponibles sur notre site.

M. Benoît Tabaka. - Lorsque vous lancez une recherche sur Google, un certain nombre de résultats dits « naturels » apparaissent en fonction de l'algorithme. Dans certains cas, des publicités peuvent apparaître, soit en haut, soit sur le côté droit ; elles sont identifiées part des couleurs différentes et des mentions spécifiques. C'est ce que l'on appelle le programme AdWord qui permet aujourd'hui à toute société - grands groupes, PME - d'apparaître sur Google mais également sur un certain nombre de sites tiers.

Google est dans la même situation que d'autres grands groupes qui sont soumis aux actions d'un certain nombre de personnes malveillantes, qui ne souhaitent pas respecter les règles. C'est le cas en matière de publicité et c'est pourquoi nous avons mis en place des outils destinés à détecter ces publicités et à les analyser, afin de faire en sorte que celles qui ne respectent pas certaines règles ne s'affichent pas.

Quelles sont ces règles ? Il s'agit de la législation, mais également de mesures qui vont au-delà, l'objectif étant de protéger les internautes de contenus pouvant leur porter préjudice ainsi que les annonceurs qui utilisent ces outils et peuvent se retrouver concurrencés par ceux qui détournent les règles. C'est aussi pour nous l'occasion de ne pas être associés à des activités illicites. Le but est d'aller au-delà de la loi, tout en respectant la liberté de commerce.

Notre règlement couvre un spectre de sujets assez large et a vocation à s'appliquer de manière globale à tous les pays, en tenant compte des spécificités nationales de chaque Etat en matière de contrefaçons, de publicité en faveur des armes à feu ou des cigarettes, d'allégations trompeuses ou de pratiques commerciales déloyales, parmi lesquelles on peut retrouver les sujets qui vous préoccupent...

La détection des annonces malveillantes repose sur des outils techniques, dont la détection automatique à partir de mots-clés. Nous cherchons notamment à lutter contre les annonceurs qui essaient de diriger les internautes vers des sites porteurs de virus. Nous utilisons également les informations que l'on nous transmet, les utilisateurs ou les autorités pouvant nous signaler tel ou tel problème.

Lorsqu'une annonce ne respecte pas les règles, elle est supprimée et l'annonceur banni du système dans la majorité des cas. Si nos systèmes n'ont pas détecté une telle annonce et que celle-ci nous est signalée, nos équipes prennent le signalement en charge dans les 24 heures qui suivent et procèdent au retrait ainsi qu'à l'éventuel bannissement de l'annonceur.

Plusieurs milliards d'annonces sont aujourd'hui diffusées sur Google . En 2012, 224 millions d'annonces ont été supprimées par nos soins contre 130 millions en 2011, soit 889 000 annonceurs bannis du système. Dans le secteur de la contrefaçon, 82 000 annonceurs ont été sanctionnés par le système ; 95 % avaient été détectés par nos soins et non par signalement.

En matière de santé, nos règles interdisent certaines annonces en fonction des pays, certains n'autorisant pas la vente de médicaments sur Internet. Les allégations trompeuses qui promettent de perdre cinq kilos en deux jours grâce à un thé miracle sont également détectées par le système et refusées ; il en va de même des annonces assurant guérir une sclérose en plaque sans médicament et sans risque.

Mme Hélène Lipietz , présidente. - La parole est au rapporteur...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - A vous entendre, nous nageons dans un merveilleux système où l'on ne rencontre que très peu de difficultés. On ne peut que s'en réjouir, mais je ne suis pas sûr que cela corresponde à la réalité !

On a bien compris qu'un certain nombre de médecins interviennent sur vos sites comme modérateurs et sont associés à leur fonctionnement.

Les derniers intervenants nous ont expliqué le fonctionnement de Google . Nous ne doutons pas que vous interveniez mais, étant donné la quantité d'informations transitant par Google , on peut comprendre qu'il soit difficile d'exercer un contrôle total. Vous avez d'ailleurs reconnu vous-même procéder par mots-clés ou sondages...

Selon notre modeste expérience en la matière, on rencontre, sur certains sites, des annonces qui soulèvent bien des questions ! Même si vous leur faites la chasse, il en reste beaucoup !

Nous sommes conscients qu'il ne faut pas toucher à la liberté de conscience, ni à la liberté d'expression, mais il faut aussi protéger nos concitoyens de certaines atteintes pouvant mettre leur santé en danger - ainsi que leurs finances !

J'ai eu le sentiment que vous étiez sur le point d'intervenir davantage. Il est en effet facile de trouver, sur Google , des sites dangereux pour la santé de nos concitoyens. Je parle ici de pratiques qui poussent à interrompre certains traitements médicaux. Google a-t-il une approche spécifique par rapport aux dérives sectaires ? Celle-ci doit différer suivant les pays...

Mme Maria Gomri. - Google n'est pas Internet. Nous référençons l'intégralité d'Internet. Si un site est problématique, nous ne pouvons le déréférencer de notre propre chef. Nous ne sommes pas juges. Nous ne pouvons non plus déréférencer du contenu, à quelques exceptions près, extrêmement limitées, comme les contenus pédopornographiques. Nous reconnaissons l'existence de sites illicites dès lors qu'une décision de justice est intervenue dans ce sens. Google dispose d'un service qui traite des décisions de justice et d'un autre qui déréférence les contenus. On trouve de tout sur le Net, mais il ne s'agit pas de notre contenu ! Nous sommes un intermédiaire technique : un moteur de recherche est fait pour indexer...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Nous connaissons votre position...

Mme Maria Gomri. - Quant aux publicités, nous sommes une plate-forme d'hébergement. Il existe des milliards de publicités. Nous appliquons des règles, que nous essayons de faire respecter, comme celles interdisant, en France, la vente de médicaments. Nous en avons également d'autres qui couvrent les allégations frauduleuses. Nous interdisons aussi les publicités qu'on ne peut vérifier. Si le site ne présente pas de certification quant à la vérité des faits allégués dans la publicité, nous agissons sur la publicité mais nous ne pouvons, en tant que plate-forme d'hébergement, jouer un rôle actif sous peine de devenir éditeur.

Certaines publicités peuvent violer nos règles. Quand elles nous sont signalées, nous prenons les sanctions les plus sévères à l'encontre des annonceurs, allant jusqu'à fermer leur compte et à ne plus les accepter.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vos règles sont-elles toutes communicables ?

Mme Maria Gomri. - Bien sûr ! Elles figurent toutes sur le site. Les annonceurs s'engagent à les respecter lorsqu'ils souhaitent faire de la publicité avec nous. C'est pourquoi nous pouvons fermer leur compte ou refuser leurs annonces, sur signalement ou sur détection, car ces règles sont claires, transparentes, accessibles et surtout acceptées par eux. Nous pouvons bien entendu vous les communiquer...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vos règles sont donc celles figurant sur votre site ?

Mme Maria Gomri. - Oui. Il existe, pour les annonceurs, une section consacrée à la publicité, qui contient des centaines de règles, dont deux spécifiques, l'une relative à la santé et l'autre concernant les publicités, qui ne peuvent constituer des allégations trompeuses ou frauduleuses.

Mme Hélène Lipietz , présidente. - Cette rubrique figure tout en bas de votre site. Il faut vraiment la chercher...

Mme Maria Gomri. - C'est un service à l'intention des annonceurs. Ils doivent accepter un contrat avec Google et se voient afficher toutes les règles qu'ils sont censés lire. Elles ne sont donc pas facilement accessibles au grand public puisqu'elles concernent les annonceurs.

Mme Hélène Lipietz , présidente. - Vous dites que l'on peut vous informer du fait qu'un site paraît sectaire. Si l'on veut vous écrire, il faut aller en bas de page. C'est écrit en petits caractères...

Mme Maria Gomri. - Il faut passer par le centre d'aide. Nous vous communiquerons tous les liens.

Mme Hélène Lipietz , présidente. - L'emplacement semble très mal choisi...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Il a sûrement donné lieu à de mûres réflexions !

Mme Gisèle Printz . - Pouvez-vous nous rappeler le nombre d'annonces que vous avez supprimées ?

M. Benoît Tabaka. - En 2012, nous avons supprimé 224 millions d'annonces...

Mme Gisèle Printz . - Cela représente donc une perte financière...

M. Benoît Tabaka. - En effet. Certains acteurs tentent d'utiliser nos services pour abuser les internautes. Nous avons donc développé des outils pour protéger ces derniers. On voit aujourd'hui émerger de nouvelles menaces, dont l'internaute n'a pas forcément connaissance. Nous sommes donc obligés d'intervenir en amont et d'offrir des outils aux utilisateurs.

Combien de personnes disposent-elles d'un antivirus sur leur téléphone portable ? Très peu ! Face à cette situation, les intermédiaires s'adaptent. Google mentionne ainsi, dans ses résultats de recherche, les virus contenus dans les sites qu'il a trouvés et prévient que tel ou tel peut endommager l'ordinateur. Une alerte peut également apparaître en fonction du navigateur utilisé - Chrome, Firefox ou Internet Explorer.

Nous avons réalisé la même chose pour les publicités, toujours dans la logique de protection de l'utilisateur. Aux Etats-Unis, nous avons même agi en justice contre des annonceurs ayant volontairement violé nos règles, en particulier dans le cas d'une publicité qui proposait un travail à domicile et promettait de devenir millionnaire.

C'est aussi une protection pour l'annonceur légitime qui ne désire pas voir figurer, au-dessus de sa propre publicité, l'annonce d'un concurrent qui recourt à des pratiques déloyales. C'est par exemple le cas, en matière de contrefaçon, dans le domaine du parfum et ce pourrait être la même chose en matière de produits de santé...

Enfin, Google , pas plus que les annonceurs, ne souhaite voir son nom accolé à celui d'acteurs n'ayant pas des pratiques honnêtes, justes au légales.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Les Pages jaunes reçoivent-elles souvent des réclamations concernant les professionnels de santé ?

M. Emmanuel Thoorens. - Très peu, grâce à nos contrôles humains. Les réclamations émanent souvent des ordres professionnels, à propos de tel ou tel professionnel qui a été radié. Nous ne possédons pas cette information et ce sont souvent eux qui nous en informent.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Attribuez-vous la création d'annuaires alternatifs au fait que les Pages jaunes aient mis en place des règles plus strictes ?

M. Emmanuel Thoorens. - Pas du tout ! Historiquement, la position des Pages jaunes a toujours été la même. Certains de nos voisins font très bien leur métier. Nous sommes franco-français et essayons de faire correctement notre travail, avec une approche complètement différente. Là où certains parlent d'algorithme, nous parlons de constitution de bases de données. Nous ne transigeons pas avec la qualité, qui est notre fonds de commerce. Le jour où les Pages jaunes ne référenceront pas correctement les médecins, nous pourrons avoir de gros soucis pas ailleurs. Ce n'est donc pas quelque chose qui se discute.

Aujourd'hui, Pages jaunes compte, en France, près de 4 000 collaborateurs. 200 personnes se consacrent au quotidien à ces problématiques. Ce n'est pas un sujet sur lequel on désinvestit - loin de là !

Mme Catherine Deroche . - Contrairement à l'annuaire classique sur papier, dont la parution est annuelle, vous exercez une veille quasi permanente avec les personnes que vous venez d'évoquer ?

M. Emmanuel Thoorens. - En effet. Nous exerçons une vigilance particulière sur chaque département. Nous publions environ deux annuaires par semaine et par département et essayons, avant l'envoi à l'imprimeur, d'être particulièrement attentifs aux professions réglementées en nous assurant que ce que nous faisons imprimer est le plus correct possible.

Objectivement, nous n'avons pas eu, au cours des quinze dernières années, un seul recours en justice pour abus de confiance ou autres.

Etre un acteur historique a parfois du bon. Les choses ne sont toutefois pas toujours simples, et certains aimeraient bien nous voir faire la police dans leur secteur, comme celui des mandataires. On demande aux Pages jaunes de faire le tri, alors qu'il n'existe aujourd'hui aucun cadre réglementaire, ni aucun texte qui le permette.

Cette position est délicate à soutenir vis-à-vis des professionnels, mais nous tenons à ce principe de neutralité. Nous ne sommes pas là pour faire la loi - mais nous l'appliquons !

Mme Hélène Lipietz , présidente. - Comment êtes-vous parvenus à départager les différents psychothérapeutes ?

M. Emmanuel Thoorens. - C'est le fruit de nombreux échanges avec le ministère de la santé et les associations. Fin 2010, nous avons écrit à tous les professionnels de la rubrique « psychothérapie », en leur indiquant qu'ils seraient par défaut inscrits dans la rubrique « psychothérapie hors du cadre réglementé » s'ils ne justifiaient pas de leur qualité de psychothérapeute au regard du nouveau décret. La situation s'est normalisée début 2011 dans ce domaine...

Mme Hélène Lipietz , présidente. - Il paraît en aller de même en matière de massages. Ceux-ci comprennent deux rubriques. Or, on trouve dans celle consacrée aux « massages relaxants » des massages faciaux, à la limite de la pratique médicale, qui posent certains problèmes...

M. Emmanuel Thoorens. - C'est une réelle difficulté, tout comme le développement personnel ou le coaching , les différents professionnels se mélangeant parfois. Je ne connais pas le comportement du moteur de recherche pour toutes les requêtes mais il dirige l'internaute à la recherche de massages vers la liste des kinésithérapeutes. Quant à la relaxation, elle ne constitue pas le privilège des kinésithérapeutes, mais il n'est pas toujours aisé de différencier les choses.

Nous discutons beaucoup avec les kinésithérapeutes, vous l'imaginez bien... Si l'on ouvrait la rubrique « massages » à tous les professionnels qui le désirent, nous ferions beaucoup plus de chiffre d'affaires, mais nous avons décidé de pas le faire pour ne pas être en contradiction avec le principe que j'évoquais précédemment.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Refusez-vous certaines annonces ?

M. Emmanuel Thoorens. - Oui.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - J'ai sous les yeux un document émanant du Syndicat des ondobiologues qui, lorsqu'on sait ce dont il s'agit, peut représenter un certain nombre de problèmes... Or, l'Institut en question figure sur les Pages jaunes ...

M. Emmanuel Thoorens. - Je reprends l'argument déjà cité. Il n'y a pas eu de décision de justice. Ils existent... Je ne sais sous quelle activité ils ont été référencés mais ils ne doivent pas être présents dans des rubriques médicales, ni répondre à des requêtes utilisant des termes médicaux. Si c'est le cas, c'est une erreur.

Mme Hélène Lipietz , présidente. - On les trouve à la rubrique « conseils en organisation, gestion, management et soins hors d'un cadre réglementé ».

M. Jacques Mézard , rapporteur. - « Formation renommée en ondobiologie. Certificat de stage, documentation gratuite. Apprenez à pratiquer les méthodes de dernière génération »...

M. Emmanuel Thoorens. - Je découvre ici cette pratique. En l'absence de réglementation, comment faire ?

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Ma question ne constituait pas un piège...

M. Emmanuel Thoorens. - Ils ne figurent en tout cas pas dans une rubrique médicale !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Si l'on en croit certains ouvrages, cela viendra peut-être !

Mme Hélène Lipietz , présidente. - Sur aufeminin.com , à la rubrique « minceur, bien-être, forme », on peut trouver le message d'une personne dont vous aviez fait disparaître toutes les annonces il y a un mois. Elle annonce qu'elle revient vendre des fleurs de Bach, qui sont des extraits d'huiles essentielles. Certaines sont préconisées dans le traitement du stress et fonctionnent même sur les chats ! C'est très écologique... Cette personne propose d'aider les internautes à choisir les bonnes fleurs en fonction de leur état de stress ou de leurs problèmes psychologiques... Qu'en pensez-vous ?

M. Nicolas Evrard. - Cela prouve que nous pratiquons une certaine modération ! Où est la frontière entre proposition sectaire et non sectaire ? Je ne pense pas que les fleurs de Bach constituent un souci de ce point de vue...

Je ne sais pourquoi les messages de cette personne ont été retirés de nos forums. Nous pouvons juger certains propos non fondés et retirer alors les publicités.

M. Christophe Decker. - Si le compte de cette personne a été supprimé et ses messages effacés, c'est très probablement en application d'une de nos règles d'utilisation des forums, où sont notamment interdites la publicité et la vente de produits, quels qu'ils soient.

Quand il s'agit de layette à l'unité, nous fermons les yeux ; en revanche, quand quelqu'un vend certains produits et poste des dizaines de messages pour monter une affaire, les comptes sont supprimés. Cela fait partie de nos règles de bonne conduite.

Cette personne cherche probablement à nous narguer : nous allons essayer de supprimer à nouveau ces messages...

Mme Hélène Lipietz , présidente. - Le post date du 7 octobre 2010. La personne informe les internautes qu'elle est de retour et qu'elle offre toujours des conseils gratuits en fleurs de Bach. Certains internautes discutent avec elle, réclament de nouveaux conseils, etc. Il y en a ainsi plusieurs pages...

M. Nicolas Evrard. - Il est difficile pour nous tous, ici, de faire la différence entre des propos partisans et des propos sectaires. Certaines personnes décident de ne plus manger de viande ou suppriment le lait de leur alimentation, etc. Ces attitudes sont appuyées par certains professionnels de la santé ou universitaires... Il y a peu de temps, un législateur a même tenu des propos contre les médicaments !

Notre difficulté est de trancher entre propos partisans et propos dangereux pour la santé. En toute humilité, nous devons vous avouer que nous nous trouvons parfois dans le flou !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Nous sommes parfaitement conscients de ces difficultés, mais nous savons aussi que certains cas peuvent engendrer des conséquences dramatiques pour nos concitoyens. On peut alors également rechercher la responsabilité de ceux qui ont laissé passer la communication !

Mme Hélène Lipietz , présidente. - Sur aufeminin.com , on peut acheter des outils concernant l'astrologie, la beauté, la psychologie, la sexualité ou la forme. S'agit-il de publicités qui accompagnent des articles ? Vous propose-t-on des annonces concernant des pierres de lune ou autres objets, censés aider les gens psychologiquement ?

M. Christophe Decker. - Non, pas à ma connaissance.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Le site psychologies.com et le magazine Psychologies ont-ils des règles éditoriales différentes ?

M. Arnaud de Saint-Simon. - Non. Il existe sur le site une large communauté, ce qui n'est pas le cas pour le magazine. Le site a donc ses règles de fonctionnement propres.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - En matière de publicités relatives à la formation et aux stages, votre magazine indique qu'il s'agit d'annonces, tandis que le site propose un répertoire, sans toutefois en mentionner le caractère publicitaire.

M. Arnaud de Saint-Simon. - S'agit-il d'un moteur de recherche sur les formations ou de l'annuaire des psychothérapeutes certifiés que j'ai évoqué tout à l'heure ?

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Il y en a pas mal...

M. Arnaud de Saint-Simon. - Il s'agit de publicité. Pour répondre plus précisément à votre question, c'est l'équipe du magazine qui vend les annonces sur le site.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Je retrouve ici une discipline que vous prétendiez avoir évacuée, la kinésiologie !

M. Arnaud de Saint-Simon. - Dans le moteur ?

Mme Hélène Lipietz , présidente. - Non, dans la liste des disciplines.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - On y trouve un grand choix !

M. Arnaud de Saint-Simon. - En principe, il n'y a pas de kinésiologie dans le magazine.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - La kinésiologie figure pourtant dans votre liste ! C'est un exemple...

En matière de publicité, êtes-vous conscient de l'impact que cela peut avoir ? On peut se demander s'il ne s'agit pas d'une recommandation destinée à vos nombreux lecteurs ! On trouve sur votre site une publicité en faveur du Cenatho de Daniel Kieffer, qui apparaît dans la rubrique « Formations et stages ».

M. Arnaud de Saint-Simon. - Il s'agit de naturopathie...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Recommandez-vous de suivre la formation de ce centre ?

M. Arnaud de Saint-Simon. - Daniel Kieffer a pignon sur rue depuis très longtemps. C'est un des naturopathes les plus connus en France.

Soit l'on débat ici des dérives sectaires, soit l'on débat ici de ce champ extraordinairement complexe qu'est celui de la santé, de l'alimentation, qui n'est pas très codifié. Nous n'y pouvons d'ailleurs rien...

Les annonces dont vous parlez sont gérées par une équipe de cinq personnes, qui ont une grande expérience des dossiers des annonceurs. Chaque nouvel annonceur qui est accepté dans nos colonnes fait l'objet d'un appel à la Miviludes. Nous assumons donc la présence de Daniel Kieffer dans nos pages. Il y a débat sur la naturopathie - et sur beaucoup d'autres sujets, même sur la psychanalyse, qui n'est pas une profession codifiée. C'est là notre difficulté...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Tout n'est pas dérive sectaire, mais il existe des domaines où l'on compte certains chevauchements, vous le savez comme moi !

Je vois ici que votre sélection du mois propose une analyse d'un livre sur le décodage biologique des maladies. Chacun a les opinions qu'il veut mais on s'aperçoit aussi qu'on utilise très souvent les instruments de formation dont certains se rapprochent manifestement des dérives sectaires.

M. Arnaud de Saint-Simon. - Le site devrait sans doute être plus explicite quant à la manière dont nous sélectionnons les organismes de formation. C'est le cas de la kinésiologie. Nous la retirerons du moteur...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - J'ai pris cet exemple au hasard...

M. Arnaud de Saint-Simon. - La plupart des professions qui apparaissent dans nos annonces ne détiennent pas de diplômes d'Etat. D'ailleurs, les médecins n'ont pas le droit d'annoncer.

Mme Hélène Lipietz , présidente. - On y trouve aussi la Gestalt...

M. Arnaud de Saint-Simon. - C'est une thérapie qui a également pignon sur rue - mais on peut en débattre...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Le but n'est pas de débattre !

M. Arnaud de Saint-Simon. - La Gestalt est une sorte de psychothérapie...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - J'ai évoqué l'exemple de la kinésiologie parce que vous en avez parlé. Or, je la retrouve sur votre site.

Notre travail n'est pas de nous lancer dans une chasse aux sorcières par rapport à telle ou telle pratique, mais de mettre en évidence certaines dérives à caractère sectaire qui ont des conséquences malheureuses sur certains de nos concitoyens. Il existe des exemples d'ailleurs révélateurs.

M. Arnaud de Saint-Simon. - Par rapport à d'autres sites qui ont une posture très médicale, nous naviguons dans un environnement extrêmement complexe, celui de la prévention et des psychothérapies. Nous avons choisi d'être pédagogues plutôt que d'établir des listes impossibles : comment choisir, comment repérer les abus ?

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Votre synthèse du livre sur le décodage biologique des maladies est cependant une attaque en règle contre la médecine dite traditionnelle !

M. Arnaud de Saint-Simon. - Est-ce interdit ?

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Non, c'est une constatation, mais il faut être clair !

M. Arnaud de Saint-Simon. - Enormément de médecins psychiatres s'expriment aussi dans ce journal.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Je veux bien que la médecine quantique soit la clé de la médecine du futur, mais enfin...

M. Arnaud de Saint-Simon. - La médecine quantique est intéressante...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - En matière de formation, on voit quand même de tout !

Mme Gisèle Printz . - Vous conseillez aux personnes qui désirent suivre l'une de vos formations de se rendre à Pôle emploi pour être financièrement pris en charge. Je suis étonnée que Pôle emploi finance des stages consacrés à la méthode Feldenkrais, au sensitive Gestalt massage et au Qi gong !

M. Arnaud de Saint-Simon. - Le Qi gong est une médecine énergétique millénaire chinoise qui n'est pas répertoriée... Où le recommandons-nous ?

Mme Hélène Lipietz , présidente. - Sur la même page !

M. Arnaud de Saint-Simon. - Et l'on conseille d'aller à Pôle emploi pour faire financer une formation ?

Mme Hélène Lipietz , présidente. - Voire même par l'Etat et la région...

M. Arnaud de Saint-Simon. - Nous comptons des dizaines de milliers de pages indexées. Nous ne les connaissons pas toutes par coeur. Il serait donc intéressant de corriger ce contenu si vous nous en donnez l'adresse...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Nous sommes tellement bons que, sur les dizaines de milliers de pages, nous en trouvons une du premier coup !

Mme Gisèle Printz . - Il s'agit de conseils pour choisir un stage de développement personnel. On les trouve sur psychologies.com.

Mme Hélène Lipietz , présidente. - Y a-t-il des publicités sur le site doctissimo.com ?

M. Christophe Clément. - Oui, doctissimo.com fonctionne sur un modèle publicitaire.

Mme Hélène Lipietz , présidente. - Filtrez-vous ces publicités ou acceptez-vous toutes les propositions, notamment en matière de formation ? On sait aujourd'hui que la formation est un des moyens d'entrée des dérives sectaires...

M. Christophe Clément. - Les annonceurs qui font de la publicité sur doctissimo.com sont plutôt de grands groupes cosmétiques ou issus de la distribution, qui ont pignon sur rue. Je n'ai pas connaissance de publicités pour de la formation sur doctissimo.fr . Où se trouvent-elles exactement ?

Mme Hélène Lipietz , présidente. - Personnellement, je n'en ai pas trouvé. C'était une question... Avez-vous reçu, sur vos forums, des signalements à propos de dérives sectaires ?

M. Christophe Clément. - Non. Il existe, sur nos forums de discussion, une partie publique et une partie privée, messages auxquels nous ne pouvons avoir accès. Il s'agit de communication personnelle. Concernant la partie publique, les thèmes d'alerte qui reviennent le plus souvent sur doctissimo.fr concernent le plus souvent la diffamation, des insultes, des problèmes racistes, qui constituent le quotidien.

Par contre, certains « doctinautes » s'affichent Témoins de Jéhovah, appartenant à tel ou tel mouvement plus ou moins sectaire. Nous les laissons s'exprimer dès lors qu'ils ne font pas de prosélytisme, n'affirment pas de contrevérités ou ne contreviennent pas à nos chartes de discussion.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Ces chartes autorisent-elles les internautes à attaquer la vaccination obligatoire ?

M. Christophe Clément. - Rien ne l'interdit spécifiquement. Le forum de doctissimo.fr consacré à la vaccination est très virulent. Nous disposons, sur le forum santé, d'un modérateur médecin qui veille à ce que les arguments présentés de part et d'autre le soient dans le respect de l'opinion de l'autre.

Le site doctissimo.fr a été fondé par des médecins dont le positionnement est plutôt allopathique. Nous privilégions, dans ces échanges, les internautes ayant une position conforme au plan de vaccination et à ce qu'il convient de faire dans ce domaine, mais il n'existe toutefois pas d'interdiction formelle.

Nous laissons les internautes donner leur opinion. Il s'agit de forums de discussion dans lesquels nous n'intervenons pas en tant que professionnels de santé. Le modérateur médecin agit seulement pour supprimer des comptes, des messages et, de temps en temps, pour rétablir une vérité en donnant l'état de l'art dans le domaine considéré.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Que faites-vous si les internautes échangent dans ces forums des conseils pour obtenir de faux certificats destinés à éviter la vaccination ? Il ne s'agit pas là d'une hypothèse d'école...

M. Christophe Clément. - J'imagine bien... Internet n'est pas un monde parfait. Notre site reçoit 50 à 100 000 messages par jour, soit des dizaines de milliers de pages, que nous ne pouvons matériellement lire intégralement. Toute la modération est organisée autour d'un système d'alerte constitué d'internautes appelés « animateurs » qui, comme sur aufeminin.com , reçoivent des pouvoirs, et d'une équipe de modérateurs, mais certaines choses peuvent effectivement nous échapper si personne ne nous alerte. Si quelqu'un le fait, un tel message sera immédiatement effacé. Nous ne disposons pas aujourd'hui d'outils nous permettant de filtrer ce genre de choses...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Le sondage réalisé par aufeminin.com estime que 2 % des internautes estiment avoir lu quotidiennement sur le site des messages à caractère sectaire et 18 % une à deux fois par mois, soit 20 %. Cela paraît assez conséquent...

M. Christophe Clément. - Ces chiffres m'étonnent. Je ne sais quelle est leur validité... Nul ne dispose de liste exhaustive recensant les mouvements sectaires. Peut-être les gens ont-ils tendance à considérer que les sectes sont partout...

M. Christophe Decker. - Je ne vous ai pas communiqué tous les résultats de ce sondage ; vous les retrouverez dans notre présentation. Nous avons également demandé aux internautes si cela les dérangeait ou non. Une grande majorité a évidemment répondu par l'affirmative. Nous avons également demandé s'ils répondaient aux discussions, alertaient le modérateur ou ne faisaient rien. Le plus grand nombre a répondu ne rien faire et une faible part a dit alerter le modérateur.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Ce n'est guère surprenant !

M. Christophe Decker. - Tous nos sites doivent quotidiennement faire face à un afflux considérable de messages ; nous essayons de mettre en place une hiérarchie de modération, en recourant à des utilisateurs, des animateurs et des professionnels, afin de gérer tout ceci au mieux. Nous tentons également de mettre en place des systèmes de prévention.

Vous parliez de certificats destinés à contourner la vaccination. Je n'ai jamais entendu parler de tels cas mais, le mois dernier, nous avons eu sur nos forums des gens qui proposaient des faux papiers de manière manifeste ! Nous déclarons immédiatement de telles situations à Pharos : encore faut-il que nous les constations ou que nous soyons alertés par les internautes. Toute la problématique est là.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Je n'ai quant à moi pas de questions à adresser à allodocteurs.fr ...

M. Benjamin Batard. - Il est vrai que notre site est tourné vers la médecine allopathique et ne s'ouvre que modérément ou sous conditions aux techniques complémentaires. Nous évitons particulièrement tout ce qui concerne le développement personnel et le coaching , notamment en matière de psychologie, les dérives potentielles existant bel et bien dans ce domaine.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Nous n'allons pas ouvrir le débat, car je vois poindre des réactions sur l'intérêt du coaching ...

M. Arnaud de Saint-Simon. - Je suis d'accord avec l'intervenant précédent. Toutefois, soit on jette le bébé avec l'eau du bain, soit on essaie d'éduquer les gens et de les aider à choisir les bons coachs . Il est vrai que cette discipline n'est pas encadrée et que c'est sans doute l'une de celles dans lesquelles on trouve des personnes non pas forcément sectaires, mais simplement inefficaces !

Mme Catherine Deroche . - Les sites représentés autour de cette table se rapprochent-ils régulièrement de la Miviludes - même s'ils ne sont pas concernés ?

M. Benjamin Batard. - Nous consultons régulièrement les rapports de la Miviludes pour savoir si certaines techniques ont été dénoncées. Par ailleurs, la Miviludes est pour nous un interlocuteur intéressant, les messages de M. Georges Fenech, puis de M. Serge Blisko attirant l'attention de notre public sur la prévention.

M. Christophe Clément. - Non. Nos annonceurs ne sont ni des organismes de formation, ni des thérapeutes.

M. Christophe Decker. - Non.

M. Benoît Tabaka. - Nos interlocuteurs, au sein des pouvoirs publics, sont plutôt l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC) et Pharos, qui se charge d'avertir et de traiter le sujet avec les autres services gouvernementaux, interministériels ou autres. Cette procédure est la plus simple pour nous.

Mme Hélène Lipietz , présidente. - Avez-vous l'impression que vos sites ont essuyé des tentatives d'infiltration par des sectes ? Vous le savez, des sectes ont tenté d'intervenir auprès des tribunaux ou à l'Assemblée nationale...

M. Nicolas Evrard. - J'ai enquêté au sein de diverses rédactions et suis même allé me renseigner auprès de Marmiton , les sectes pouvant fort bien tenter d'infiltrer le milieu de la cuisine. On a partout répondu à ma question par la négative.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Merci de votre participation. Nous souhaitons que vous sachiez dans quel esprit travaille le législateur. Il est important que vous vous appréhendiez notre fonctionnement et nos objectifs.

Audition de M. Claude EVIN, directeur général de l'Agence régionale de santé d'Ile de France (mercredi 30 janvier 2013)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous procédons aujourd'hui à l'audition de M. Claude Evin, directeur général de l'Agence régionale de santé d'Ile-de-France (ARS). M. Evin est accompagné du Docteur Karine Galaup, conseiller médical auprès du directeur de la démocratie sanitaire, de la communication et des affaires publiques.

Cette réunion est ouverte au public et à la presse ; son compte rendu sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Je précise à l'attention des personnes auditionnées que M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, a pris l'initiative de la constitution de cette commission, qui a tout naturellement souhaité qu'il en soit le rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle - pour la forme, bien sûr - qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Claude Evin et Docteur Karine Galaup, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les deux personnes se lèvent et prêtent serment.

M. Alain Milon , président. - Monsieur le directeur général, je vous donne la parole pour un exposé introductif. Puis mes collègues vous poseront ensuite quelques questions...

M. Claude Evin, directeur général de l'ARS d'Ile-de-France. - Mesdames et messieurs les sénateurs, je serai attentif aux questions que vous souhaiterez me poser mais, au regard du sujet de votre commission d'enquête, je me suis interrogé pour cibler les messages qui pourraient, a priori , vous intéresser pour identifier les responsabilités des ARS en ce qui concerne la question des dérives sectaires dans le domaine de la santé, et formuler éventuellement des propositions.

Sous réserve des questions que vous serez amenés à me poser, je voudrais indiquer que nous sommes relativement peu interpellés sur les questions de dérives sectaires. Je vous dirai tout à l'heure comment nous nous organisons pour traiter ces affaires qui sont, pour ce qui concerne cette ARS, relativement peu nombreuses.

Quelles peuvent être ces sollicitations, au regard des quelques situations qui nous sont remontées à travers notre service de suivi des réclamations des patients ? Il s'agit de situations portant sur des pratiques individuelles pouvant relever d'une dérive sectaire.

La question est à apprécier au regard de la personne qui peut faire l'objet d'une suspicion de dérive sectaire. Si cette personne relève d'un exercice individuel, alors qu'elle pratique l'une des sept professions de santé réglementées au regard du code de la santé, j'ai la possibilité - dans l'hypothèse d'un manquement touchant à la sécurité des patients ou mettant en danger leur sécurité - de suspendre immédiatement l'exercice professionnel. Cette disposition, offerte par le code de la santé, est laissée à la responsabilité du directeur général de l'ARS, quelle que soit la cause de la situation.

La procédure à respecter est relativement légère ; elle consiste à convoquer la personne, dans un délai défini réglementairement. Nous sommes là dans une décision faisant grief, avec possibilité de recours. Dans ce cas, l'Ordre professionnel concerné peut être éventuellement saisi, ainsi que le procureur de la République, au titre de l'article 40 du code de procédure pénale.

Les quelques cas auxquels nous avons pu être confrontés ne relevant pas d'ordres professionnels, je n'ai alors pas la possibilité d'interrompre un exercice qui n'est pas réglementé, mais seulement celle de saisir le procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, afin qu'il puisse engager une procédure susceptible de permettre l'identification d'un exercice illégal d'une profession réglementée.

Les prérogatives d'un directeur général d'agence régionale de santé, sur le plan strictement réglementaire, concernant le comportement des personnes qui pourraient commettre des actes pouvant relever d'une dérive sectaire, sont donc relativement limitées.

Il existe une responsabilité particulière du directeur de l'ARS concernant l'usage du titre de psychothérapeute. Il lui appartient en effet, à l'issue d'une procédure de commission, de donner l'autorisation d'usage du titre, avec inscription sur le registre.

J'attire toutefois votre attention sur le fait que la législation n'a pas prévu la possibilité que je puisse retirer ce titre. Je ne puis que saisir le procureur de la République, au titre de l'article 40, en cas de danger. C'est là un élément qui pourrait vous intéresser...

La question de la présence des associations de bénévoles dans les établissements de santé est laissée à l'appréciation des chefs d'établissement. Des conventions avec les associations de bénévoles sont prévues sous réserve d'une investigation plus approfondie. Je n'ai pas le souvenir d'une réglementation comparable pour les établissements médico-sociaux, alors que la situation pourrait le mériter. Nous n'avons pas là de remontées de problèmes particuliers.

Enfin, pour information, il nous est arrivé d'être sollicités par les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte), pour donner un avis s'agissant des organismes de formation. Cette responsabilité ne relève pas de l'ARS mais de la direction du travail et de la formation professionnelle.

Je ne puis vous éclairer sur l'organisation de l'ensemble des vingt-six agences concernant le suivi des dérives sectaires mais je puis vous indiquer que l'ARS Ile-de-France dispose d'un référent identifié, le docteur Karine Galaup ici présente qui, au sein de la direction Démocratie sanitaire, traite notamment de l'ensemble des relations avec les associations et, par ailleurs, de la question des réclamations. Elle fait ainsi le lien avec l'ensemble des partenaires directement concernés. Cette organisation a été mise en place en coordination avec la Miviludes, avec laquelle nous travaillons.

Dans le cadre du dispositif de gestion des signaux d'alerte, nous avons commencé à engager une sensibilisation des collaborateurs de l'agence à propos de faits ou de situations qui peuvent laisser penser à des dérives sectaires et qui nous sont parfois signalés.

Par ailleurs, la rédaction de fiches méthodologiques a été entreprise pour décliner de façon exhaustive les éléments pouvant laisser penser à des problématiques sectaires spécifiques - médecine chinoise, ostéopathie ou autres. Nous examinons ces sujets avec les parquets généraux et les procureurs généraux des cours d'appel d'Ile-de-France.

M. Alain Milon , président. - Mme Printz souhaite vous poser des questions...

Mme Gisèle Printz . - Quel contrôle l'agence est-elle en mesure d'exercer sur les pratiques non conventionnelles, qu'elles soient complémentaires ou alternatives ?

M. Claude Evin. - Ainsi que je l'ai déjà dit, le contrôle ne peut s'exercer qu'à partir du moment où l'on en a connaissance. Nous avons un pouvoir d'inspection sur les établissements de santé ou médico-sociaux bénéficiant d'autorisations.

Si nous étions informés, il est évident que je désignerais une mission d'inspection. Cette situation ne s'est jamais produite depuis que j'assure la direction générale de l'ARS. Nous avons plutôt été confrontés à des informations concernant des professions non médicales. Dans le cas d'un médecin, je pourrais, face à un danger, suspendre immédiatement l'exercice de ce praticien. Une inspection pourrait alors être menée, mais je ne puis réagir qu'à partir du moment où je suis informé, et seulement à propos de professions réglementées.

Mme Gisèle Printz . - Parmi les projets des professionnels de santé et des associations de patients que finance l'ARS, existe-t-il un contrôle des pratiques proposées ? Quelle est l'approche de l'ARS face à des prises en charge complémentaires ou alternatives ?

M. Claude Evin. - Nous finançons deux types d'activités. Les activités strictement réglementées des établissements de santé ou médico-sociaux font l'objet de procédures définies dans le code. Les établissements médico-sociaux étant soumis à des appels à projets, les contrôles s'opèrent naturellement. Les associations ne faisant pas l'objet d'une procédure d'autorisation sont des structures qui réalisent de la prévention ; elles recourent elles aussi de plus en plus aux appels à projets. Nous sensibilisons à ce sujet l'ensemble de nos collaborateurs travaillant dans le secteur de la prévention et de la promotion de la santé. Je n'ai pas connaissance de problèmes.

M. Alain Milon , président. - A quel moment le contrôle des appels à projets s'exerce-t-il ?

M. Claude Evin. - Une évaluation des actions est conduite après coup. C'est une procédure que j'ai souhaité mettre en place lors de la création de l'ARS.

M. Alain Milon , président. - Nous savons qu'il existe, à Paris, un organisme de formation en « ondobiologie ».

M. Claude Evin. - Je ne sais pas ce que c'est...

M. Alain Milon , président. - Il s'agit de chirurgie à mains nues. Nous savons que parmi les stagiaires figurent des professionnels de santé. Le risque est évidemment grand que ces personnes utilisent leur nouveau « savoir » dans le cadre de l'exercice de leur profession... Qu'en pensez-vous ?

M. Claude Evin. - Je ne peux réagir si je n'ai pas cette information ! Nous avons récemment été indirectement informés du cas d'un ostéopathe qui aurait conseillé à un malade atteint d'un cancer d'arrêter ses séances de chimiothérapie. Nous sommes en train de nous pencher sur cette affaire. On ne connaît pas bien le statut de l'ostéopathe en question... Je ne demande pas mieux que d'être saisi de telles situations ! Si j'apprends qu'il existe des comportements de ce type, par exemple dans une maison de retraite, j'y enverrai un inspecteur - sous réserve d'en avoir suffisamment, ce qui est un autre sujet !

Votre question portait sur les actions de prévention. Les opérateurs de prévention ont des statuts juridiques divers. Il peut s'agir de collectivités locales ou d'organismes privés associatifs, qui peuvent présenter des risques de ce type. Mes services n'ont toutefois pas eu connaissance de telles situations. Si tel était le cas, les financements seraient arrêtés...

M. Yannick Vaugrenard . - Les médecins radiés par l'Ordre ne peuvent plus exercer, mais ont tout loisir de continuer à utiliser leur titre dans un autre cadre que celui de la médecine légale. Si l'ARS en est informée, peut-elle intervenir ?

Par ailleurs, il existe de plus en plus de « salons du bien-être ». Le prochain doit se tenir à la porte de Versailles en février. On y parlera de naturopathie holistique et de bien d'autres choses... L'ARS ou un autre organisme ont-ils la possibilité, comme la gendarmerie, de surveiller ce qui s'y passe, notamment en matière de formation ?

Les dérives sectaires touchent de plus en plus le domaine de la santé, et ce pour différentes raisons - société, isolement, déficit affectif, maladies. Avez-vous le sentiment que les passerelles entre les structures soient suffisamment opérantes ?

La puissance publique ne semble pas aujourd'hui assez efficace pour lutter contre l'augmentation des dérives sectaires, que l'on retrouve partout, notamment sur Internet. Comment, selon vous, faire face à un phénomène devant lequel on paraît impuissant ?

M. Claude Evin. - Je vous avoue qu'il me faudrait relire le code pour répondre à la question sur l'usage du titre de médecin après radiation. S'il existe de telles situations, cela signifie que le code pourrait être corrigé...

M. Alain Milon , président. - Elles existent...

M. Claude Evin. - Le code parle de l'exercice illégal de la médecine, mais l'interdiction de l'usage du titre ne doit pas faire l'objet d'une législation. Si la législation ne le permet pas, je ne puis intervenir... Il y a peut-être là une modification législative à envisager. Je ne peux intervenir que dans un cadre réglementaire et légal, avec les outils que me donne la loi.

Mme Gisèle Printz . - Contrôlez-vous les hôpitaux pour savoir s'il y existe des problèmes ?

M. Claude Evin. - Si on me le signale, c'est évident. Un établissement de santé qui emploierait un médecin n'ayant plus le droit d'exercer serait en infraction, cette structure devant vérifier son inscription à l'Ordre et ses diplômes. S'il s'avère qu'un établissement compte dans son personnel un médecin qui n'est pas inscrit à l'Ordre, je dispose de plusieurs moyens d'intervention, entre autres concernant le directeur. Je n'ai toutefois jamais connu cette situation.

Par ailleurs, nous n'exerçons pas de surveillance sur les salons de bien-être. Je n'en ai pas les moyens qui sont, réglementairement, très limités. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de problèmes de ce point de vue...

Quant aux passerelles entre les différentes structures, il existe un interphasage placé sous la dépendance des préfets, comportant des comités locaux dans les départements. C'est en général le directeur de cabinet du préfet qui gère cet aspect des choses. Je n'ai aucun moyen de savoir si ces groupes de travail sont bien organisés dans chaque département, les situations étant très différentes d'un département à l'autre.

Mme Muguette Dini . - Je suis allée à l'une de ces réunions dans le Rhône. C'était sans intérêt, mais ce n'est pas le cas partout. Dans d'autres départements, les réunions sont organisées de manière plus régulière...

M. Claude Evin. - C'est en effet très différent selon les départements.

Mme Muguette Dini . - Il faut qu'il existe une véritable volonté. Il y avait à cette réunion à Lyon un représentant de l'ARS...

Mme Catherine Génisson . - Avez-vous reçu des signaux d'alerte de la part de l'AP-HP ?

M. Claude Evin. - Indirectement. Le cas que j'évoquais tout à l'heure nous était remonté de l'AP-HP en décembre dernier mais, à ma connaissance, c'est le seul signalement que nous ayons eu. Avez-vous des informations selon lesquelles il existerait des problèmes ?

Mme Catherine Génisson . - Nous avons reçu de nombreux témoignages surprenants. A l'AP-HP, la directrice générale et le président de la Commission médicale d'établissement (CME) étaient d'ailleurs en totale opposition avec les pratiques qui ont cours dans quelques services. N'avez-vous pas été alerté ?

M. Claude Evin. - Si des situations suspectes remontent jusqu'à la direction, il faut m'en informer.

M. Claude Evin. - Une médecine complémentaire est bien pratiquée à l'AP-HP. Ce fait est connu, notamment du président de la CME, mais je n'ai pas eu d'informations selon lesquelles ces travaux pouvaient s'apparenter à des pratiques sectaires. S'il existe des éléments factuels en la matière, je mènerai naturellement des investigations.

Mme Catherine Génisson . - Cela pose quand même question !

M. Claude Evin. - Le fait que l'AP-HP ait, de manière totalement marginale, engagé des travaux sur des médecines complémentaires, chinoises ou autres, est très connu.

Mme Catherine Génisson . - Ce n'était pas tout à fait cela...

M. Alain Milon , président. - L'iridologie figure dans ce programme.

M. Claude Evin. - Donnez-moi ces informations afin que je les étudie...

M. Alain Milon , président. - Je vous invite à consulter le rapport...

M. Claude Evin. - De quand date-t-il ?

M. Alain Milon , président. - Il remonte à mai 2012. L'AP-HP utilise aussi le Qi gong, la sophrologie, l'aromathérapie, la réflexologie et le toucher thérapeutique. Cela nous inquiète. Le CHU d'Angers, que nous avons auditionné, recourt à la fasciathérapie. Quand nous avons demandé de quoi il s'agissait, on nous a répondu qu'il s'agissait du massage des aponévroses du cerveau ! On pratique également le toucher thérapeutique en gériatrie...

M. Claude Evin. - Je n'ai aucune compétence pour apprécier l'effet thérapeutique de ces techniques. Il y a des choses très différentes dans la liste que vous citez...

M. Alain Milon , président. - Nous-mêmes avons du mal à nous y retrouver !

M. Claude Evin. - Je me procurerai ce rapport, que je ne connais pas.

M. Alain Milon , président. - Ce n'est peut-être pas le rôle de l'ARS, mais il faut quand même qu'elle suive ces cas !

M. Claude Evin. - J'ai énormément de sujets à voir avec l'AP-HP !

Mme Catherine Génisson . - Cela démontre la difficulté à définir des circuits d'alerte !

M. Alain Milon , président. - La difficulté est de définir la médecine complémentaire et les autres médecines parallèles avant de mettre en place un réseau d'alerte. Jusqu'où peut-on utiliser certaines médecines complémentaires, comme l'hypnose - et comment ? Jusqu'à quand ces médecines resteront-elles complémentaires ? Qui doit-on alerter ?

Certes, les ordres professionnels doivent être saisis, mais il me semble que l'ARS doit l'être également...

M. Claude Evin. - Les ARS sont faites pour bien des choses, mais n'ont pas nécessairement les outils nécessaires pour remplir l'ensemble des missions que le législateur leur a confiées ou souhaite leur confier ! J'assume totalement l'ensemble de ces responsabilités, avec les moyens dont je dispose !

Mme Catherine Génisson . - On a parfois l'impression, d'un établissement à un autre, que les décisions sont prises à la petite semaine !

M. Claude Evin. - Il n'y a pas de procédure de décision en la matière...

Mme Catherine Génisson . - La naturopathie, l'hypnose ou la sophrologie connaissent une certaine vogue, mais les propositions que vient de rappeler M. le président sont surprenantes !

M. Claude Evin. - Dans le code de la santé publique, les autorisations d'activité relevant de l'ARS répondent à des critères figurant dans les schémas régionaux d'organisation des soins et dans les projets régionaux de santé. Un établissement qui décide de pratiquer telle ou telle activité n'a besoin d'aucune autorisation !

Je vais demander qu'on me communique le rapport en question, mais je ne sais ce que je vais pouvoir en faire. Je n'ai pas les moyens de vérifier. Ce type de situation échappe à tout cadre réglementaire, et je n'ai aucun élément me permettant d'intervenir. Rien ne me permet d'apprécier que telle ou telle pratique constitue un danger pour les personnes.

M. Yannick Vaugrenard . - On a le sentiment que la politique de santé, dans certains domaines, est beaucoup trop décentralisée et que les décisions sont prises en fonction des opportunités. Or, les dépenses sont centralisées et des autorisations doivent être données pour que la sécurité sociale rembourse ces médecines complémentaires, lorsqu'elles ne sont pas alternatives. Cela pose donc un problème de fond ! Il faut réfléchir à une forme de centralisation des décisions, afin que la politique de santé publique soit partout identique !

M. Claude Evin. - Ces pratiques, dispensées dans des établissements de santé, émargent d'une certaine manière au budget de ces établissements. Les établissements sont soit rémunérés par une tarification à l'activité, soit financés par des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (Migac). Leur encadrement ne relève pas de l'ARS, mais de la loi et du règlement. L'ARS est là pour appliquer une réglementation nationale...

Mme Catherine Génisson . - Pensez-vous que l'ARS soit la bonne structure pour vérifier ces pratiques ?

M. Claude Evin. - Oui. La difficulté vient du fait que l'ARS n'en a pas les moyens, car il n'existe pas de texte réglementaire permettant de les apprécier. L'ARS a plusieurs missions en matière d'organisation et de régulation du système de santé. J'ai dernièrement organisé une inspection au sujet du décès d'une personne âgée dans le jardin de l'hôpital Sainte-Périne... On a toujours la possibilité de faire une mission d'inspection. On pourrait également imaginer de solliciter l'avis d'une société savante. Mais je ne sais pas lesquelles seraient en mesure de nous éclairer sur ces sujets.

M. Alain Milon , président. - Le problème vient du fait que l'on fait entrer à l'AP-HP - dont les hôpitaux sont prestigieux - des médecines qui, pour l'instant, sont considérées comme parallèles. La directrice générale nous a assurés que les médecins contrôlaient tout à l'intérieur des services. Toutefois, dans le cadre de l'AP-HP, le Qi gong est pratiqué tantôt par un kinésithérapeute, tantôt par un psychologue, selon les services !

M. Claude Evin. - Ce sont des informations que je n'ai pas...

M. Alain Milon , président. - Certaines personnes peuvent se servir de cette publicité pour utiliser ces techniques à l'extérieur. C'est ce qui nous inquiète le plus. Les ARS n'ont pas encore suffisamment de pouvoirs...

Mme Gisèle Printz . - A Strasbourg, des médecins ont prescrit la culture physique pour remplacer certains traitements médicamenteux. Le danger peut venir des coachs...

Mme Muguette Dini . - L'activité physique est effectivement recommandée en matière de prévention du cancer...

Mme Catherine Génisson . - Ces pratiques sont bien payées par le budget de la sécurité sociale !

M. Claude Evin. - Les praticiens perçoivent un salaire de l'hôpital, mais je rappelle que le financement des Migac est réglementé. Aucun crédit n'est fléché en direction de ce type d'activités. La seule possibilité pourrait concerner l'éducation thérapeutique du patient, mais elle est maintenant contrôlée depuis la loi hôpital, patients, santé et territoires (HPST), qui a introduit une procédure d'autorisation. En Ile-de-France, nous avons délivré une autorisation à environ 620 programmes sur 700 demandes.

Mme Catherine Génisson . - C'est difficile à détecter dans l'analyse d'un budget.

M. Alain Milon , président. - Il s'agit quand même d'argent public !

M. Claude Evin. - La question est surtout de savoir si cela présente un danger ou non pour les patients, et quelle légitimité cela peut conférer à ce type de pratiques. Ce sont des questions qui mériteraient d'être posées, mais j'ai peu de moyens pour les apprécier.

Mme Catherine Génisson . - Cela peut dans certains cas détourner le patient de sa prise en charge thérapeutique classique. C'est là le vrai danger.

M. Claude Evin. - Si c'est le cas, ces techniques doivent être suspendues ! Cela ne peut, selon moi, s'inscrire que dans un protocole de soins clairement identifié par un médecin. Ces pratiques doivent être évaluées. Vous m'avez en tout cas alerté sur un sujet sur lequel je vais me pencher.

M. Alain Milon , président. - C'était également notre but !

Audition du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche (mardi 5 février 2013)

Mme Muguette Dini , présidente. - Mes chers collègues, nos trois auditions de cet après-midi portent sur la question de la formation professionnelle, décisive dans la conduite de notre enquête.

Nous recevons en premier lieu les représentantes du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche :

- Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval, adjointe au chef de service de la stratégie de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle ;

- Mme Dominique Deloche, chef de la mission des formations de santé ;

- Mme Catherine Malinie, chef de la mission des écoles supérieures et de l'enseignement supérieur privé.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Je précise à l'attention des personnes auditionnées que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, qui est donc notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à Mmes Pradeilles-Duval, Deloche et Malinie de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Mesdames Rachel-Marie Pradeilles-Duval, Dominique Deloche et Catherine Malinie, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les trois personnes se lèvent et prêtent serment.

Mme Muguette Dini , présidente. - Je vous donne donc la parole pour un exposé introductif ; puis les membres de la commission d'enquête interviendront pour poser des questions.

Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval, adjointe au chef de service de la stratégie de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle. - Nous remercions la commission d'enquête d'avoir souhaité entendre les représentants de la direction générale pour l'enseignement supérieur et pour l'insertion professionnelle (DGSIP).

Nous sommes en effet conscients de l'importance de notre responsabilité pour l'organisation de la formation initiale de l'ensemble de la population étudiante et, tout au long de la vie, pour l'ensemble de la population qui, au cours de son parcours professionnel, rejoint les formations.

Je suis moi-même en charge de la réflexion sur les développements des formations supérieures, leur organisation et leur articulation, tant avec l'enseignement scolaire qu'avec la future insertion professionnelle des étudiants.

Mme Dominique Deloche est chef de la mission des formations de santé, composante du service de la stratégie, en charge, en partenariat avec le ministère chargé de la santé, de la stratégie des formations supérieures médicales, pharmaceutiques, odontologiques et paramédicales.

Mme Catherine Malinie est chef de la mission des écoles supérieures de l'enseignement supérieur privé, composante du service de la stratégie, en charge de la stratégie relative aux écoles supérieures publiques, et qui accompagne le développement des écoles privées, de l'organisation des relations de l'Etat avec l'enseignement supérieur privé, dont l'objectif prioritaire est d'améliorer les exigences de qualité des formations et de contribuer au rapprochement des écoles et de l'université.

L'Etat français détient le monopole de la collation et de l'attribution des grades et des titres universitaires. Ces grades définissent les principaux niveaux de références communs à tous les domaines de formation de l'enseignement supérieur. Les titres, eux, définissent des niveaux intermédiaires.

Les grades, en France, sont le baccalauréat, la licence, le master et le doctorat. Les diplômes sanctionnent chaque étape du déroulement de ces études supérieures, dans un domaine de formation particulier, mentionné par un intitulé de diplôme particulier.

Pour un certain nombre de diplômes nationaux de l'enseignement supérieur, notamment le brevet de technicien supérieur (BTS) et le diplôme universitaire de technologie (DUT), qui sont des diplômes de cycle court de niveau bac + 2, les objectifs de formation, les contenus, les volumes horaires, les modalités de contrôle de connaissances et les compétences sont fixés par voie réglementaire de façon très stricte.

Cependant, de plus en plus de diplômes ne sont plus définis de façon aussi détaillée par une maquette nationale, mais sont présentés à l'habilitation, dans le cadre de l'autonomie scientifique et pédagogique reconnue aux différents établissements.

Dans le respect des orientations générales définies par les décrets qui réglementent les diplômes - licence, master, doctorat - il appartient aux établissements de formation - et en particulier aux universités - de fixer les objectifs de formation, les perspectives ouvertes aux diplômés, notamment en termes de poursuite d'études mais aussi d'insertion professionnelle, les connaissances et les compétences attendues, la maquette des enseignements, la composition de l'équipe pédagogique, les modalités de contrôle de connaissances et de compétences et la démarche qualité, qui permet d'assurer une amélioration continue de ces formations.

Il est aussi du ressort de ces établissements de soumettre un dossier qui permette de les évaluer et éventuellement de les habiliter.

On doit distinguer l'habilitation des nouveaux diplômes, qui sont créés ex nihilo , et celle des diplômes qui partent de diplômes existants ou de diplômes qui vont évoluer. Dans le premier cas, l'Etat vérifie que la formation respecte les grands principes qui définissent le diplôme en question et s'assure que l'établissement dispose des moyens nécessaires pour mettre en place cette formation - force scientifique, force pédagogique, équipe pédagogique correspondante. L'Etat apprécie l'opportunité d'ouvrir le nouveau cursus, notamment au regard du devenir potentiel des étudiants et de leur capacité d'insertion professionnelle ultérieure.

Dans le cas de diplômes existants et demandés en termes de renouvellement ou d'évolution, l'habilitation est prononcée ou refusée sur la base d'une évaluation proprement dite, fondée d'abord sur le bilan de l'existant, comportant toutes les dimensions évoquées précédemment : force scientifique, équipe pédagogique et ensemble des critères de qualité, notamment en termes de vivier de recrutement et de capacités d'insertion professionnelle ultérieure ou de poursuite d'études.

L'évaluation des formations déjà existantes se fait à plusieurs niveaux. Dans un premier temps, les projets sont évalués par les différentes instances nationales, qui prennent en compte les caractéristiques du secteur et les objectifs propres du niveau considéré.

C'est le cas de l'Agence de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres), qui évalue les licences, les masters, les doctorats des universités et les formations de niveau master et doctorat de certaines écoles.

La commission des titres d'ingénieur évalue les formations d'ingénieurs, la commission d'évaluation des formations et des diplômes de gestion apprécie les formations proposées par les écoles de commerce et de gestion. Les deux premières instances sont membres de l'Association européenne pour l'assurance qualité de l'enseignement supérieur (ENQA) et, à ce titre, doivent répondre à des exigences d'indépendance morale, d'indépendance financière et en termes de ressources humaines.

La commission d'évaluation des formations et des diplômes de gestion est une instance représentative des milieux économiques et académiques - universités, écoles, formations de commerce et de gestion. Elle est composée de seize membres nommés par plusieurs instances, dont les deux ministères de tutelle que sont le ministère chargé de l'enseignement supérieur et le ministère de l'économie, notamment pour les écoles relevant des chambres de commerce et d'industrie.

C'est sur la base de cette évaluation que, dans un second temps, la décision est prise par le ministère de l'enseignement et de la recherche, après une expertise menée par les conseillers scientifiques placés auprès de la Direction générale pour l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle (DGESIP). L'adossement à la recherche, la cohérence de la formation au regard de l'ensemble de l'offre de formation de l'établissement, les débouchés professionnels, représentent les éléments essentiels de cette évaluation, qui prend aussi en compte les recommandations émises par le comité de suivi de licence et par le comité de suivi du master.

Dans un troisième temps intervient la consultation du Conseil supérieur national de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui assure d'une part la représentation des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, d'autre part, la représentation des grands intérêts nationaux, notamment éducatifs et culturels, scientifiques, économiques et sociaux, par les représentants nommés par le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Une fois l'habilitation prononcée, la durée correspond, en règle générale, à la durée du contrat conclu entre l'Etat et le ministère. Elle se traduit par une publication au Journal officiel ou au Bulletin officiel de l'enseignement supérieur et de la recherche , selon les cas.

Toute modification de la formation qui fait évoluer sensiblement un des points caractéristiques de la formation doit être signalée à la DGESIP qui, en lien avec les instances d'évaluation de la formation concernée, peut identifier la nécessité de mettre en place une nouvelle évaluation, avant même l'échéance normale de fin d'habilitation.

Les points caractéristiques peuvent concerner les grands équilibres de la formation, les grands équilibres disciplinaires, les modalités pédagogiques, les voies d'accession aux diplômes concernés - voie initiale, par formation continue ou apprentissage - lorsqu'il s'agit de délocalisation de la formation, notamment lorsqu'on a des essaimages « off shore » , par exemple.

La procédure que je viens de détailler sera sans doute amenée à évoluer pour les diplômes de licence et de master, notamment dans le cadre du passage de l'habilitation à l'accréditation des établissements d'enseignement supérieur, tel qu'il pourrait être envisagé au sein de la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche.

Je veux souligner que cette procédure ne s'adresse qu'aux diplômes nationaux. En dehors des diplômes nationaux, les établissements peuvent aussi organiser, sous leur responsabilité propre, des formations permettant d'obtenir des diplômes préparant parfois à des examens ou à des concours. Ces diplômes d'établissements ne font pas l'objet d'une évaluation par le ministère chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, car ils sont organisés par les établissements, dans le cadre de leur autonomie pédagogique.

Les formations en santé sont réglementées par des textes relativement anciens. Pour la médecine, ils datent de mars 1992 et de mars 1997, pour l'odontologie de septembre 1994, pour la pharmacie de juillet 1987 et, pour la maïeutique, de décembre 2001. Les habilitations ont été accordées aux établissements sans limitation de durée et les formations ainsi réglementées ne sont pas examinées dans le cadre des différentes vagues contractuelles, contrairement au processus dont j'ai parlé il y a un instant.

Seuls certains diplômes de troisième cycle font l'objet d'habilitations périodiques. L'application du schéma « licence, master, doctorat » (LMD) aux quatre filières de santé a connu une première étape avec la création de la première année commune aux études de santé (Paces). L'arrêté du 28 octobre 2009, qui en organise la formation en semestres et en unités d'enseignement, permet, depuis, l'acquisition de crédits européens. Le programme très précis de la Paces est inclus en annexe de l'arrêté. La Paces est en place depuis la rentrée 2010.

Les arrêtés de mars 2011, qui créent les diplômes de formation générale en sciences médicales, odontologiques et pharmaceutiques, et l'arrêté de juillet 2011 créant le diplôme de formation générale en sciences maïeutique, permettent d'identifier le niveau de licence pour ces formations de santé.

Les projets d'arrêtés relatifs au master sont en cours de finalisation et seront présentés très prochainement au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (Cneser), sans doute avant le printemps prochain.

Les établissements seront interrogés, dans le cadre de ces nouvelles réglementations, sur les évolutions de la formation. Il est par ailleurs prévu par les différents textes que la formation sera évaluée dans le cadre de l'évaluation périodique des établissements, contrairement à précédemment...

M. Bernard Saugey . - Tout ce que vous évoquez là, c'est ce qui est normal. J'aimerais avoir des éléments sur les choses anormales. Pouvez-vous nous donner quelques exemples ? Vous avez indiqué dans votre contribution écrite que les faits incriminés sont incompatibles avec la mission d'enseignement. J'aimerais en avoir des illustrations concrètes et précises...

De la même façon, en matière de publicité mensongère, vous évoquez l'université Fernando Pessoa. J'aimerais également vous entendre à ce sujet...

Ce que vous nous dites là est intéressant - et je vous en remercie - mais ne pouvez-vous nous parler de ce qui ne fonctionne pas ? Parlez-nous des trains qui déraillent !

Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval. - Le cadre que j'ai rappelé, notamment en termes d'évaluation et de suivi des formations, permet de garantir, lors des évaluations, que les formations présentées soient conformes à un cadre réglementaire, lié au niveau des différents diplômes de licence, de master et de doctorat.

A ce titre, c'est bien sur le niveau scientifique et sur la déclaration des établissements que sont évaluées leurs capacités à mettre en oeuvre une formation au niveau attendu, compte tenu du diplôme obtenu.

M. Bernard Saugey . - L'avez-vous vérifié sur place ?

Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval. - L'Aeres étudie, à partir des dossiers et de l'évaluation des équipes pédagogiques, déclinée dans les dossiers de présentation à l'habilitation pour la licence et pour les masters, le niveau de ce qui est attendu en termes de soutien des équipes de recherche et de niveau des équipes pédagogiques qui interviendront dans les enseignements.

En revanche, on reste à une échelle relativement globale au sens des grands équilibres de la formation, et non du contenu très fin des maquettes de formation, notamment lorsque, contrairement à la Paces ou à des formations de type BTS ou DUT, le programme n'est pas détaillé dans le cas de la définition d'une licence, d'un master ou d'un doctorat.

Il s'agit donc d'un contrôle du niveau académique attendu en matière de diplômes universitaires.

Le processus est le même pour ce qui est de la commission des titres d'ingénieur, qui étudie la capacité de l'établissement à mettre en place une formation dotée des moyens académiques et scientifiques correspondant au titre qui sera délivré et validé.

M. Bernard Saugey . - On peut écrire n'importe quoi : comment faites-vous si vous ne vérifiez pas sur place ? Le contrôle sur dossier n'est peut-être pas suffisant. Qu'en pensez-vous ?

Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval. - En matière de licence et de master, le contrôle ne se fait que sur dossier. Cependant, les organisations syndicales, professionnelles et étudiantes sont représentées lors du passage devant le Cneser au cours de séances traitant spécifiquement de l'habilitation. Des remontées peuvent alors avoir lieu quant à la capacité de l'établissement à organiser pédagogiquement et scientifiquement l'accompagnement des étudiants, de façon plus précise que ce que nous pouvons voir apparaître dans les maquettes.

M. Bernard Saugey . - Y a-t-il des plaintes ?

Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval. - Certaines améliorations n'apparaissent pas nécessairement dans les dossiers mais pourraient être soulignées dans le cadre de l'habilitation du nouveau contrat. Ceci peut amener le ministère à faire une proposition d'habilitation, non pour toute la durée de contractualisation, mais pour deux ans au lieu de quatre ou cinq ans.

M. Alain Néri . - Le programme est une chose mais le recrutement en est une autre. Sur quels critères les enseignants sont-ils recrutés ? Le sont-ils uniquement sur titres, sur concours ou sur cooptation ?

Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval. - Pour les équipes pédagogiques, il est de la responsabilité des établissements habilités de mettre en place les moyens en personnels pédagogiques pour garantir une formation adéquate. A ce titre, il est demandé que figurent, dans les dossiers d'habilitation, le nom et le titre des différents intervenants responsables des modules de formation, maîtres de conférence, professeurs d'université, évalués par leurs pairs au niveau national, même s'ils ont ensuite été recrutés dans telle ou telle université ou tel ou tel département.

M. Bernard Saugey . - Il existe également des formations faussement diplômantes, non visées par l'Etat... Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Mme Muguette Dini , présidente. - Des universités peuvent-elles délivrer des diplômes non visés par l'Etat ?

Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval. - L'Etat ne collationne qu'un certain nombre de titres spécifiques que sont les licences, les masters et les doctorats, mais lorsqu'un établissement crée un diplôme d'établissement (DU), l'évaluation reste totalement interne ; elle ne peut être revendiquée au titre de la contractualisation avec l'Etat et n'est pas évaluée.

M. Bernard Saugey . - Comment vous en êtes-vous rendu compte à Toulon, s'agissant de l'université portugaise Fernando Pessoa ?

Mme Dominique Deloche, chef de la mission des formations de santé. - Nous ne sommes pas sur le même domaine. En médecine par exemple, certains DU portant sur des points extrêmement pointus, comme la rythmologie en cardiologie, qui n'est pas enseignée hors du cadre des DU. Certains sont très performants et permettent une formation de qualité.

S'agissant de l'université portugaise Fernando Pessoa, qui souhaitait s'installer à Toulon, les choses sont plus complexes. Nous nous en sommes rendu compte grâce aux remontées du Conseil de l'Ordre, aux journaux et à Internet. Au vu de ce que nous avons constaté sur le site de cette université privée, nous avons diligenté une demande de renseignements, par l'intermédiaire de la direction de relations internationales de notre ministère, auprès des autorités portugaises, qui nous ont fourni un certain nombre de renseignements. La ministre de l'enseignement supérieur a demandé à la rectrice de l'académie de Nice d'entreprendre une action auprès du procureur de la République, la ministre n'ayant pas la possibilité de fermer une université. Seule la justice peut, après enquête, parvenir à sanctionner un établissement.

Dans un premier temps, une plainte a été déposée pour utilisation illégale du terme d'université et manque d'accomplissement des formalités nécessaires à l'ouverture de ce type d'établissement. Nous avons ensuite complété les renseignements de la rectrice de Nice après avoir obtenu d'autres informations des autorités portugaises.

Dans nos universités, les diplômes d'établissement sont délivrés dans le cadre de l'autonomie pédagogique des établissements et évalués par le conseil scientifique ainsi que par le conseil des études et de la vie universitaire. Pour la plupart, ils présentent toutes les garanties de qualité nécessaires.

Mme Muguette Dini , présidente. - Vous avez évoqué des publicités mensongères. Concernaient-elles spécifiquement cette université ?

Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval. - Compte tenu de l'usage de termes anglais, qui permettent des traductions plus ou moins fidèles, nous nous sommes rapprochés de la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF). Une enquête est en préparation, notamment en matière d'usage et d'éventuelles dérives autour de termes comme « master », « master of » etc., qui pourraient donner lieu à une mauvaise interprétation plus ou moins voulue par rapport au titre de master, qui dispose d'un statut particulier dans l'enseignement supérieur français.

Cela fait partie de points sur lesquels nous souhaitons avoir une vision plus systématique et étayée, grâce au soutien de la DGCCRF.

Mme Muguette Dini , présidente. - Avez-vous pu détecter des diplômes d'université qui ne soient pas conventionnels ? On sait que cela existe en matière de médecine parallèle : en avez-vous connaissance ? Avez-vous la capacité d'alerter les universités à ce sujet ?

Mme Dominique Deloche, chef de la mission des formations de santé. - Nous n'exerçons pas de contrôle ni ne recensons les diplômes d'universités. A notre connaissance, il n'y a jamais eu de remontées de ce type de dysfonctionnement que l'on pourrait craindre avec des diplômes non contrôlés par l'Etat.

M. Yannick Vaugrenard . - Les habilitations sans limitation de durée présentent-elles un inconvénient ?

En second lieu, serait-il utile qu'il y ait davantage d'habilitations périodiques ?

Avez-vous eu connaissance de mouvements ou de personnalités fortement influencés par les dérives sectaires susceptibles de participer à ces formations universitaires ?

Enfin, j'ai cru comprendre que les diplômes délivrés dépendaient parfois uniquement des universités elles-mêmes. Un contrôle centralisé s'exerce-t-il sur la délivrance de ces formations ?

Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval. - Initialement, les habilitations avaient été accordées sans limitation de durée. Cela nous satisfait-il pour autant ? Non, bien entendu ! C'est pour cela que, dans le nouveau processus, les habilitations seront d'une durée limitée et d'une périodicité similaire à celle de toutes les autres formations, même dans le domaine de la santé.

Mme Dominique Deloche. - Nous avons profité de l'intégration des formations de santé dans le LMD pour les caler sur les autres diplômes et disciplines universitaires. Nous enverrons, avant l'été, une circulaire aux universités leur demandant de nous informer des conditions de cette mise en place.

Dans le secteur de la santé publique, on est obligé de contrôler l'enseignement dispensé par les universités. C'est pourquoi on ne délivre pas de licence, de master ou de doctorat, mais un grade. Nous avons essayé d'adapter les grands principes du LMD - semestrialisation, parcours personnalisé de certains étudiants dans le domaine de la recherche - mais dans un cadre assez précis, en élaborant les référentiels de formation à partir des référentiels de compétence.

En médecine, il s'agit des compétences qui sont demandées à un étudiant sur le point de prendre des fonctions d'interne : que va-t-il être capable de faire ? Que lui demandera-t-on en tant qu'interne ?

Ce contrôle est selon nous essentiel : on ne voit pas pourquoi les formations de santé y échapperaient, même si la santé, culturellement, a toujours été un peu à part dans l'université. Nous souhaitons que l'Aeres, ou l'instance qui la remplacera, exerce donc son contrôle dans ce domaine...

M. Bernard Saugey . - Madame Malinie, avez-vous quelque chose à ajouter ?

Mme Catherine Malinie, chef de la mission des écoles supérieures et de l'enseignement supérieur privé. - Rien de plus que ce qui a été dit...

Je suis plus particulièrement les formations mises en place par les écoles d'ingénieurs, mais aussi les écoles de commerce et de management. Je dois dire que les instances d'évaluation examinent les diplômes avec beaucoup d'intérêt et d'attention, qu'il s'agisse des maquettes de formation, des contenus pédagogiques ou des cursus bénéficiant de l' European credits transfer system (ECTS), afin de garantir la qualité et faire en sorte que ces formations soient reconnues par l'Etat.

Mme Muguette Dini , présidente. - Certaines universités délivrent des diplômes de reiki. Cela nous inquiète. Vous nous dites n'avoir aucun pouvoir dans ce domaine. N'avez-vous pas de liste ?

Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval. - Non.

Mme Muguette Dini , présidente. - Ne pouvez-vous agir si on vous le signale ?

Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval. - Nous ne sommes pas là dans un cadre d'évaluation. Cependant, un établissement où l'on nous signalerait des formations et des pratiques inappropriées pourrait tomber sous le coup d'une inspection générale et faire l'objet d'un bilan particulier.

Mme Muguette Dini , présidente. - Vous avez donc la capacité de déclencher un contrôle...

Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval. - Oui...

En ce qui concerne les diplômes, qu'il s'agisse d'un diplôme national obtenu au sein d'un établissement public ou au sein d'un établissement privé visé par l'Etat, celui-ci donne lieu à signature par le recteur de l'académie.

Un diplôme de master est donc nécessairement signé par le recteur, et bénéficie d'un contrôle sur le nombre de diplômes délivrés par tel établissement, dans telle mention et telle spécialité.

Une fois le diplôme obtenu, le titre ne peut être retiré. Un docteur en chimie qui a obtenu son doctorat restera donc docteur en chimie...

Mme Muguette Dini , présidente. - Ou en médecine...

Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval. - En effet. L'Ordre des médecins dispose toutefois de pouvoirs que nous ne détenons pas...

Mme Muguette Dini , présidente. - Ceux-ci n'ont aucun effet, si ce n'est que les médecins radiés de l'Ordre ne peuvent plus exercer.

M. Yannick Vaugrenard . - Un enseignant médecin radié par le Conseil de l'Ordre a-t-il toujours la possibilité d'enseigner, même s'il n'a plus celle de pratiquer la médecine ?

Mme Dominique Deloche. - Dans le domaine médical, les enseignants sont des praticiens ou des maîtres de conférences hospitalo-universitaires. Un médecin radié de l'Ordre ne peut plus avoir cette activité hospitalière, n'ayant plus l'autorisation d'exercer. Comment pourrait-il donc continuer à enseigner dans une unité de formation et de recherche (UFR) de médecine ?

M. Yannick Vaugrenard . - A-t-il la possibilité d'enseigner dans un établissement privé qui n'est pas sous contrat ?

Mme Catherine Malinie. - Le recteur d'académie valide l'agrément des enseignants des établissements privés, même s'ils ne sont pas sous contrat. Les établissements supérieurs privés peuvent signer un contrat avec l'Etat, mais ne sont pas sous contrat au sens de la loi Debré, qui ne concerne que les établissements scolaires.

Cela étant, s'il exerce de manière permanente, il doit faire l'objet d'un agrément du recteur d'académie, ce qui limite les risques...

M. Yannick Vaugrenard . - Avez-vous le sentiment qu'il existe un véritable contrôle, en dépit de la loi informatique et liberté ? Lorsqu'un médecin ne peut plus exercer son métier, il peut, me semble-t-il, continuer à utiliser son titre pour enseigner dans le privé - sous réserve bien entendu du contrôle du recteur d'académie. De quelle manière ce contrôle peut-il s'effectuer ? Est-il systématique ? Les recteurs ont-ils le réflexe de vérifier que le médecin n'a pas été radié ?

Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval. - Je ne sais pas...

Mme Dominique Deloche. - Si l'enseignant était hospitalo-universitaire, ce genre de sanction remonterait forcément. Je ne pense donc pas que cela puisse se produire, mais je n'en ai pas connaissance. Le monde médical est un monde où tout le monde se connaît. Ce genre de fait grave remonterait tout de suite...

Je ne veux pas m'aventurer dans ce domaine, mais je pense que des sanctions peuvent être prises par la DGRH à l'encontre d'un enseignant qui aurait été ainsi condamné.

Audition de la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (mardi 5 février 2013)

Mme Muguette Dini , présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions sur la question de la formation professionnelle avec les représentants de la

Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) :

- Mme Emmanuelle Wargon, déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle ;

- M. Stéphane Rémy, chef de la Mission organisation des contrôles (MOC) ;

- M. François-Xavier Garancher, chargé de mission à la MOC.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Je ne reviens pas sur le fait que le public ici présent - constitué d'une seule personne - est tenu d'assister à cette audition en silence.

Je précise à l'attention de Mme Emmanuelle Wargon et de ses collaborateurs que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à Mme Wargon et MM. Rémy et Garancher de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Madame Emmanuelle Wargon, messieurs Stéphane Rémy et François-Xavier Garancher, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les trois personnes se lèvent et prêtent serment.

Mme Muguette Dini , présidente. - Vous nous avez adressé, à la suite des questions posées par notre commission d'enquête, un document fort intéressant et très complet. Nous vous en remercions.

Je vous propose de présenter rapidement votre action afin que nous puissions ensuite échanger...

Mme Emmanuelle Wargon, déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle. - Merci, Madame la présidente. La DGEFP est, depuis les années 2000, sensibilisée et motrice sur le sujet des dérives sectaires.

A la suite des rapports parlementaires de 1995 puis de 1999, nous avons en effet entamé un partenariat fructueux avec la Miviludes, dans le cadre d'une liaison assez étroite et qui fonctionne plutôt bien, afin de participer à une politique de prévention des dérives sectaires dans le champ de la formation professionnelle.

Nous avons, à ce titre, essayé de développer une politique de prévention et d'information qui, pour donner quelques exemples, est passée par les Assises de la qualité dans la formation professionnelle, pilotée par Mme Morano fin 2011, puis par un colloque dédié aux risques de dérives sectaires dans la formation professionnelle, début 2012. Le guide Savoir déceler les dérives sectaires dans la formation professionnelle a été réalisé avec la Miviludes à l'issue de ces travaux ; il sert à sensibiliser les différents acteurs du monde de la formation professionnelle aux risques de dérives sectaires.

Le champ de la formation professionnelle est très vaste - il représente environ 31 milliards d'euros - mais aussi relativement éclaté. Il se situe à la frontière entre le public et le privé ; il n'est pas aisé de savoir s'il s'agit de contributions fiscales, parafiscales ou obligatoires. C'est donc un univers quelque peu incertain.

Environ 13 milliards sont utilisés pour des actions de formation professionnelle par des entreprises ou par les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA). Environ 6 milliards représentent la formation des agents publics des trois fonctions publiques territoriales, le reste se répartissant entre la formation des demandeurs d'emploi, des jeunes et des particuliers. Cette dernière rubrique augmente plus vite que les dépenses globales de formation et représente aujourd'hui un peu plus d'un milliard d'euros.

Face à ces enjeux, la DGEFP compte une équipe de contrôle de la formation professionnelle de dix personnes, dirigée par Stéphane Rémy, et environ 140 personnes dans les services régionaux de contrôle, services déconcentrés de l'Etat.

Nous exerçons un pouvoir de contrôle assez général. Les organismes de formation sont environ 60 000 et font l'objet d'un enregistrement. Il ne s'agit pas d'un agrément ni d'un avis porté par l'administration sur la qualité et la pertinence de l'organisme de formation. Nous recensons environ 10 000 demandes d'enregistrements supplémentaires chaque année. C'est un volume d'acteurs important. Nous réalisons environ 800 contrôles d'organismes de formation par an ; depuis 2000, cette politique ayant été renforcée avec la création des Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte), nous ciblons l'action des services de contrôle sur des zones considérées par nous comme « à risques », notamment en termes de dérives sectaires.

Nous avons donc ciblé nos campagnes sur des formations de développement personnel et de bien-être. Nous nous intéressons maintenant aux pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique (PNCAVT), qui sont à la frontière du développement personnel, du bien-être et d'une sphère portant sur des méthodes de santé dites non conventionnelles moins répertoriées que les méthodes habituelles. Un gros tiers de nos contrôles ciblent donc les organismes où les risques nous semblent plus forts.

Nous pouvons refuser de qualifier des dépenses éligibles à la formation professionnelle et aller jusqu'au retrait de l'enregistrement de l'organisme si nous considérons qu'il n'est pas dans le champ de la formation professionnelle.

Un tiers des contrôles mène soit à une annulation de l'enregistrement de la déclaration d'activité, (pour 20 % d'entre eux), soit à une redéfinition partielle de l'activité de formation (pour 10 %), ce qui démontre bien que le fait de cibler les contrôles est relativement positif.

Il peut exceptionnellement nous arriver de suspecter des difficultés d'ordre pénal - abus de faiblesse, escroquerie ou exercice illégal de la médecine. Nous utilisons alors l'article 40 du code de procédure pénale et transmettons au Parquet.

M. Bernard Saugey . - J'ai le sentiment que le cheval de Troyes des dérives sectaires est souvent le stage de développement personnel. Comment luttez-vous contre cette situation ?

Mme Emmanuelle Wargon. - C'est bien ces champs-là que nous ciblons -,n développement personnel ou bien-être et méthodes à visée thérapeutique. Souvent, tout cela est assez lié, l'offre de développement personnel passant souvent par des techniques allant de la relaxation à des techniques plus thérapeutiques. Nous ciblons donc nos contrôles vers ce champ-là.

M. Bernard Saugey . - Ces contrôles se font-ils sur place ?

M. Stéphane Rémy, chef de la Mission organisation des contrôles (MOC). - Il existe deux types de contrôles. Le premier est le contrôle des organismes de formation dès l'enregistrement. Il constitue une simple immatriculation et non un agrément. Un certain nombre de pièces obligatoires sont à fournir. Ce contrôle de premier niveau détermine si l'organisme, au vu de la première convention qu'il conclut avec une entreprise ou un individu, se situe ou non dans le champ de la formation professionnelle, s'il répond bien aux objectifs d'adaptation au poste de travail, de maintien dans l'emploi ou de développement des compétences.

Le contrôle a posteriori est mené sur l'ensemble des activités des organismes, deux, trois, quatre, cinq ans après - voire beaucoup plus. S'il s'avère que les activités ne correspondent pas aux finalités assignées à la formation ou s'en éloignent, la sanction est soit l'annulation de l'enregistrement de l'organisme, soit une requalification d'une partie de ses activités. On est là sur des contrôles sur place ou sur pièce, les deux étant possibles. D'une manière générale, ayant accès à des documents comptables, nous menons des contrôles sur place.

Mme Emmanuelle Wargon. - L'organisme ne peut donc plus se prévaloir du titre d'organisme de formation ; il ne peut plus faire de publicité en ce sens et ses dépenses ne sont plus éligibles à la formation. On le sort donc autoritairement du champ des organismes de formation.

M. Yannick Vaugrenard . - Vous avez rappelé qu'il existe 60 000 organismes de formation ; vous en recevez 10 000 de plus chaque année et vous réalisez 800 contrôles. On mesure bien le décalage par rapport aux moyens mis en oeuvre et à la réalité de ce que nous constatons !

Face à cela, l'ensemble des conseils régionaux - qui ont dans ce domaine un rôle très important - sont-ils sensibilisés à ces phénomènes éventuels de dérives sectaires dans le cadre des organismes de formation ? Les services décentralisés de l'Etat de chaque région le sont-ils, de manière à être les plus efficaces possible ? Peut-on imaginer de systématiser un avis de la Miviludes avant la mise en place de tout nouvel organisme de formation ? Est-ce possible financièrement ? Quels moyens pouvons-nous mettre efficacement en oeuvre pour éviter les dérives sectaires dans le domaine de la formation ?

Pôle emploi est également parfois sollicité pour organiser diverses formations. Etes-vous en liaison avec eux ainsi qu'avec les assemblées régionales ?

Mme Emmanuelle Wargon. - Pour que le contrôle soit efficace, il faut sensibiliser tous les acteurs et les donneurs d'ordre de la formation.

Cela passe en effet par Pôle emploi, sur lequel nous exerçons la tutelle et avec lequel nous avons des discussions régulières pour essayer d'identifier les risques.

Cela passe aussi par les relations avec les régions. La Miviludes a réalisé un guide à l'adresse des collectivités territoriales pour les sensibiliser globalement aux risques de dérives sectaires. Mais la vigilance passe également par les grands acteurs de la formation que sont les OPCA, qui achètent des formations au titre des entreprises.

Certaines sont très sensibilisées, notamment le Fonds d'assurance formation de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif (Unifaf) qui, dans le champ sanitaire et médico-social, finance des formations qualifiantes et professionnalisantes. Disposant d'un comité d'éthique, l'Unifaf essaye de prendre garde à l'offre qu'il finance.

Plus chaque financeur, chaque acheteur, sera sensibilisé à la nécessité de regarder exactement avec qui il contractualise, plus le système sera sous contrôle et moins il y aura de risques.

Les contrôles des services de l'Etat sont déconcentrés. On compte dix personnes à Paris, les autres étant en région. Ce sont des services auprès des préfets de région, dans les Dirrecte. Toute la politique du Gouvernement consiste à rapprocher le préfet de région et le président du conseil régional, afin de mener une politique globale de formation, de développement économique et d'emploi sur le territoire de la région.

Cette politique ne sera efficace que si chaque acteur se pose la question de savoir à qui il achète des formations, dans quelles conditions, et s'il a les outils pour décrypter et identifier les dérives.

Une question qui tient à coeur au ministre de la formation professionnelle, M. Thierry Repentin : peut-on avancer vers une sorte de label de qualité des formations, non pas spécifiquement au titre des dérives, mais globalement ? La question se pose sous un certain nombre d'angles. Peut-on séparer, dans cette offre de formation - ou flécher - des offreurs plus sérieux, respectant des critères de qualité au sein des offreurs de formations ? Certaines OPCA, ou certains financeurs de la formation, ont eux-mêmes des organismes de contrôle qualité qui essayent de labelliser des offreurs de formations.

Ce sujet sera porté par le ministre dans la prochaine loi sur la formation professionnelle, dont le projet est annoncé pour l'été. Le projet de loi sera probablement présenté en conseil des ministres en juin ou juillet. La question de la qualité de l'offre de formation et d'une éventuelle labellisation s'ouvre aux discussions avec les régions et avec les partenaires sociaux.

M. Stéphane Rémy. - Une précision complémentaire : chaque année, 10 000 organismes de formation disparaissent, frappés par la caducité de leur activité, soit parce qu'ils n'ont pas renseigné de bilan pédagogique et financier, soit parce que leur activité est inexistante. Ces dernières années, on assiste à une relative stabilité du nombre d'organismes, qui demeure cependant important.

Mme Emmanuelle Wargon. - On en refuse 2 000 chaque année. Un tri est donc déjà effectué à l'entrée...

La Miviludes pourrait-elle être sollicitée à cet effet ? Cela dépend du contrôle que l'on souhaite exercer au niveau de l'enregistrement... Je pense que cela nécessiterait une évolution du contenu de l'enregistrement. Je ne sais quels moyens le système peut confier à la Miviludes pour étudier 10 000 dossiers par an et donner un avis sur la qualité des dossiers. Pourquoi pas, sous réserve que le texte évolue ? Je ne suis pas sûre que nous ayons la base pour faire quelque chose après un examen de la Miviludes, sous réserve des moyens dont elle pourrait disposer...

M. Yannick Vaugrenard . - L'enjeu financier est énorme : 31 milliards d'euros ! Le fait que 10 000 organismes disparaissent d'une année sur l'autre et que 10 000 autres se créent démontre qu'il existe un enjeu financier considérable. Cela pose la question de la crédibilité de ceux qui, d'une année sur l'autre, ne peuvent plus assurer la formation professionnelle.

J'ai été rapporteur du budget de la région des pays de la Loire durant six ans. La formation professionnelle constituait un domaine extrêmement important de l'action de la région. Je puis vous assurer que nous n'étions absolument pas sensibilisés à la question des dérives sectaires ! Je le suis maintenant parce que j'ai la chance de participer à cette commission d'enquête. Le travail pour parvenir à informer les régions et les préfectures est considérable !

Je ne suis pas persuadé que toutes les régions disposent du document de la Miviludes que vous avez évoqué. Le minimum serait que l'ensemble des élus participant à la formation professionnelle de chaque région en aient connaissance ou en soient destinataires. La Miviludes ne pourra pas étudier le cas de tous les organismes de formation professionnelle, mais si chaque région a, en cas de doute, le réflexe d'alerter la Miviludes pour obtenir son avis, on réduira considérablement le nombre de demandes !

Votre réponse concernant le label de qualité me satisfait, car il jouera en faveur de la lutte contre le chômage. Certains organismes sont mus par l'appât du gain ; l'efficacité des formations, elle, reste à démontrer. Si une attention particulière est portée, dans ce cadre, aux risques de dérives sectaires, nous aurons donc fait du bon travail !

Mme Emmanuelle Wargon. - La mobilisation des services de l'Etat intervient dans certains cas à l'échelon départemental ; des cellules départementales placées auprès des préfets assurent parfois une vigilance transversale en matière de risques de dérives sectaires. Une certaine articulation reste à mettre en oeuvre entre les niveaux régional et départemental, notamment en matière de formation professionnelle. Les interlocuteurs départementaux ne sont pas toujours en synergie avec les interlocuteurs régionaux. C'est à l'Etat d'y travailler. Je pense qu'il y a là un point d'amélioration possible, la formation professionnelle relevant de la compétence régionale ainsi que la santé.

Quant au nombre d'organismes de formation, il existe un socle important. Nous estimons qu'un quart de ces organismes couvre environ 60 % du marché. Ces organismes sont bien implantés, ont beaucoup de salariés et sont connus. Le reste des acteurs de la formation est extrêmement volatil. Il s'agit parfois de petits organismes, qui réalisent un volume de formation peu élevé et dont le créateur, au bout d'un certain temps, change d'activité ou part à la retraite sans être remplacé. Ce marché est assez dual et se partage entre organismes solides, reconnus, volumineux et structures plus petites. On compte dans cette dernière catégorie des organismes de qualité. C'est dans ce domaine qu'il est plus difficile d'exercer un partage...

M. Bernard Saugey . - Les plus petites ne sont pas les moins dangereuses !

Mme Emmanuelle Wargon. - Absolument !

Mme Muguette Dini , présidente. - On évoque souvent l'entrisme de la Scientologie dans des organismes reconnus et sérieux. Comment êtes-vous alertés à ce sujet ? Avez-vous des doutes ? Il n'est pas toujours évident de le détecter...

M. Stéphane Rémy. - Vous posez là une question de méthodologie. Les rapports parlementaires de 1995 et de 1999 ont cité un certain nombre de mouvements à connotation sectaire - ce qui a valu un certain nombre de difficultés et de procès.

La méthodologie adoptée avec la Miviludes consiste à ne pas travailler sur la base de mouvements identifiés. En outre, l'appartenance à un mouvement sectaire est, en soi, non répréhensible si l'activité conduite est conforme aux activités de formation professionnelle. Il est donc possible que l'Eglise de Scientologie dispose d'un certain nombre d'organismes de formation qui lui soient reliés mais qui mènent des activités conformes au droit de la formation professionnelle.

Aujourd'hui toutefois, il n'existe pas de travail particulier sur tel ou tel mouvement. Ce n'est pas ainsi que nous procédons. Nous appliquons en effet le droit commun sur des zones à risques. Ceci ne nous permet pas de diagnostiquer si l'Eglise de Scientologie est présente ou non sur le marché de la formation professionnelle.

M. Alain Néri . - Les risques de dérives sectaires sont-ils un des critères qui vous amène à contrôler tel organisme plutôt que tel autre ?

Mme Emmanuelle Wargon. - Nous disposons depuis quelques années de plans de contrôles nationaux qui nous fixent de grandes lignes et ciblent certaines thématiques de contrôle, à l'intérieur de zones de formation.

A partir de cette matrice générale de contrôle, chaque région dresse son échantillon. J'imagine que le choix est à la fois aléatoire, pour être sûr de ne rien oublier, et pondéré par les critères ou les alertes dont on dispose...

M. Stéphane Rémy. - L'offre est de plus en plus abondante dans le domaine du développement personnel, du bien-être et de la santé, parfois avec une certaine confusion dans les objectifs assignés aux actions, d'autant plus lorsque cela s'adresse à un public indifférencié.

Nous avons donc souhaité cibler les organismes qui, par leur code de formation, correspondent à ces activités et travaillent de surcroît principalement avec des personnes qui achètent la formation à titre individuel, sans vérification ni garantie de qualité. Beaucoup de publicités circulent dans ces domaines. Près de 20 % de ces organismes se sont révélés ne pas exercer d'activité dans le champ de la formation.

Nous avons constaté par ailleurs un risque en matière de dérives sectaires et de santé, un certain nombre de prestations heurtant à l'évidence le champ d'exercice de professions réglementées. Même si les programmes de formation étaient parfois présentés de manière relativement habile, en sollicitant les expertises de l'Ordre des médecins ou de celui des kinésithérapeutes, nous avons pu établir assez facilement qu'il existait bien un risque, pour les participants n'ayant aucun prérequis en matière médicale ou paramédicale, de réaliser potentiellement des diagnostics ou des traitements, apanage des médecins ou des kinésithérapeutes.

On est là dans le champ potentiel de la dérive thérapeutique, ainsi que cela a été illustré dans un guide récent de la Miviludes, intitulé Santé et dérives sectaires . On y retrouve des organismes de formation qui en sont les vecteurs...

M. Alain Néri . - L'argent est rare et l'on doit être de plus en plus vigilant pour s'assurer de la qualité et de l'utilité des organismes qui réalisent de la formation continue, sous peine de voir l'argent public financer des organismes sur lesquels on peut s'interroger.

Dans les collectivités locales, outre les formations destinées à mettre à jour les connaissances professionnelles des agents, il existe également des formations personnelles, demandées à titre individuel, par exemple en matière de bien-être. Envoyer des agents se former dans des organismes qui sont en fait des officines de manipulation mentale pourrait poser de graves problèmes aux collectivités, qui pourraient même être poursuivies en justice pour complicité !

Il est donc important de déjouer ces risques. Le bien-être, c'est très bien ; le mieux-être, c'est encore mieux, mais améliorer la situation professionnelle et sociale des agents pour qu'ils rendent service à la population dans le cadre de leur activité professionnelle doit rester une priorité !

Mme Emmanuelle Wargon. - Ceci pose la question du rôle des acheteurs de formations. Trois types de dépenses entrent dans le champ de la formation professionnelle : l'adaptation au poste de travail, le maintien dans l'emploi et le développement des compétences.

On peut certainement intégrer le développement personnel dans le développement des compétences, au motif que celui-ci y concourt, mais tout dépend des acheteurs. Nous sommes particulièrement vigilants vis-à-vis des organismes en prise directe avec le particulier lui-même acheteur. Il peut s'agir de personnes en reconversion, en fin d'arrêt professionnel ou en difficulté. L'individu qui paie est, par essence, soumis à la publicité. Un contrôle est donc nécessaire.

Quant aux formations payées par des acheteurs, soit ce sont les entreprises elles-mêmes qui les achètent, soit ce sont les OPCA, d'où l'intérêt d'un partenariat renforcé avec ces organismes. En tant que contrôleurs, nous ne sommes pas légitimes, en l'état des textes et des forces en présence, à juger de la pertinence de la formation...

M. Alain Néri . - Encore que...

Mme Emmanuelle Wargon. - En tout cas, les textes ne nous donnent pas cette possibilité ! Les OPCA, qui sont des professionnels de l'achat de formations, devraient être en capacité de se structurer ; à la DGEFP d'essayer d'accompagner ce mouvement. C'est également vrai pour les entreprises qui ont un plan de formation dans lequel elles achètent par elles-mêmes. C'est vrai aussi des collectivités territoriales, lorsqu'elles sont acheteuses. Soit elles passent par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), qui joue le rôle d'un OPCA, soit c'est la collectivité elle-même qui achète. Comment sensibiliser son service de formation ? Si la collectivité accepte de financer des formations d'agent sur projets, on peut lui suggérer un comité d'analyse qui croiserait un certain nombre de regards, évitant ainsi les dérives.

De même, dans le cas du Fonds pour la gestion du congé individuel de formation (Fongecif), il existe un comité d'évaluation. Le Fongecif ne finance donc pas de formation sans avoir étudié de façon pluridisciplinaire et partenariale le contenu du projet, sa crédibilité et son intérêt.

La DGEFP est impliquée dans ces sujets à travers son pouvoir de contrôle, mais c'est aussi à travers une sensibilisation des acheteurs, avec lesquels nous sommes en contact par ailleurs, que nous avancerons. Le contrôle n'est pas le seul garant de la qualité de la formation.

M. Stéphane Rémy. - Le contrat individuel de formation, qui prévoit un certain nombre de conditions à peine de nullité, est un support juridique relativement protecteur pour les personnes achetant leur formation à titre individuel.

Dans le cadre de l'hôpital, certains personnels soignants n'achètent cependant pas leur formation par le biais du plan de formation de l'établissement. Une aide-soignante peut acheter une prestation de reiki ou de fasciathérapie à titre individuel, sans qu'il puisse y avoir le moindre contrôle de la direction des ressources humaines. La technique peut ensuite être éventuellement introduite dans la sphère hospitalière, comme l'ont récemment démontré un certain nombre d'articles !

Il existe de plus en plus de propositions de reconversion professionnelle : on crée un nouveau métier et on forme des promoteurs de ladite technique, de ladite méthode ou dudit concept. On l'enrobe généralement de dominantes personnelles, ou en rapport avec la santé, le bien-être thérapeutique. On laisse croire à la possibilité d'exercer cette activité en tant que professionnel libéral, avec une certaine indépendance. Certains ont même créé un Ordre professionnel, cherchant ainsi à établir une confusion avec des instances existant réellement. C'est un des soucis auxquels on est confronté quand on prescrit ce type de prestation à des demandeurs d'emploi ou à des individus...

M. Bernard Saugey . - A quel Ordre professionnel faites-vous allusion ?

M. Stéphane Rémy. - Il s'agit de celui des biomagnétiseurs. C'est un des exemples qui a été cité dans le rapport 2006 de la Miviludes. Les services de contrôle sont intervenus et l'enregistrement dudit organisme a été annulé. Le juge administratif, en première instance, a validé la décision du préfet mais l'organisme a interjeté appel...

Mme Muguette Dini , présidente. - Ils se sont tout récemment transformés en « Syndicat des ondobiologues » !

M. François-Xavier Garancher, chargé de mission à la MOC. - Je l'ignorais. Lors de la seconde campagne visant les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique, nous avions, dans l'annexe, demandé aux services de contrôle de se baser sur la fiche du Répertoire opérationnel des répertoires et des métiers (Rome) de Pôle emploi, « Bien-être et développement personnel », qui cite un certain nombre de pratiques. Nous avions en effet trouvé intéressant de cibler particulièrement cette fiche, où nous avions relevé un grand nombre d'annulations lors de la campagne précédente.

Audition de l'Office professionnel de qualification des organismes de formation (mardi 5 février 2013)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions sur la question de la formation professionnelle avec les représentants de l'Office professionnel de qualification des organismes de formation :

- Mme Christine Anceau, déléguée générale ;

- M. Claude Née, président de la commission d'instruction.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Je précise à l'attention de Mme Christine Anceau et de M. Claude Née que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, qui est donc notre rapporteur, aujourd'hui remplacé par Mme Muguette Dini.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes auditionnées de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Madame Christine Anceau et monsieur Claude Née, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les deux personnes se lèvent et prêtent serment.

M. Alain Milon , président. - Je vous propose donc de nous présenter un exposé introductif ; puis les membres de la commission d'enquête interviendront pour poser des questions. Madame la déléguée générale, vous avez la parole.

Mme Christine Anceau. - Je tiens avant tout à vous présenter l' Intellectual services qualification (ISQ) avant de passer à l'OPQF, organisme professionnel de qualification des entreprises de prestations de services intellectuels, qui appartient à la famille des organismes de qualification d'entreprise. Il s'agit de services qui constituent une spécificité française comme Qualibat, Qualifélec, etc.

Les organismes de qualification d'entreprise ont été créés à la fin de la seconde guerre mondiale, tout d'abord dans le domaine du bâtiment, le Gouvernement voulant s'assurer que les adjudicateurs avaient affaire à de bons fournisseurs ; ils ont ensuite été étendus aux autres branches professionnelles.

L'ISQ a pris la suite, en juin 2008, de l'Office professionnel de qualification de la formation et du conseil (OPQFC), créé en 1996 par la Fédération de la formation professionnelle (FFP), le Groupement des syndicats Syntec des études et du Conseil (GSSEC) et la Chambre de l'ingénierie et du conseil de France (CICF). Il s'agit d'une association loi 1901, à but non lucratif, qui dispose de deux protocoles signés avec l'Etat sur lesquels je reviendrai.

Association indépendante, l'ISQ coiffe deux entités :

- l'Office professionnel pour la qualification des cabinets et ingénieurs conseils en management (OPQCM) ;

- l'Office professionnel pour la qualification des organismes de formation professionnelle continue (OPQF), créé en 1994 à l'initiative de la Fédération de la formation professionnelle et de la Délégation à la formation professionnelle (dont les fonctions sont exercées aujourd'hui par la DGEFP). C'est de cet organisme que je vais vous parler aujourd'hui.

L'ISQ a une représentation tripartite qui comprend tous les acteurs concernés par la qualification -prestataires, clients, intérêt général.

Nous bénéficions d'un protocole qui nous lie à la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) datant de 1994, comme la plupart des organismes de qualification d'entreprise, mais également d'un protocole avec la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS) pour la partie concernant le conseil en management.

Ces deux entités sont représentées dans nos instances par des représentants des ministères, un de la DGEFP dans nos comités de qualification et dans notre conseil d'administration, et un autre de la DGCIS dans nos comités de qualification pour le conseil ainsi qu'au conseil d'administration.

Comme tous les organismes de qualification d'entreprise, nous devons respecter la norme NFX 50-091 de décembre 2004, qui régit les exigences générales relatives aux organismes de qualification d'entreprise.

C'est sur la base de cette norme que l'ISQ a obtenu, le 1 er décembre 2010, l'accréditation du Comité français d'accréditation (Cofrac), qui s'est vu confier par l'Etat la mission d'attester que les organismes accrédités sont compétents et impartiaux.

Notre mission est précisément de reconnaître le professionnalisme des organismes de formation et des cabinets de conseils.

Nous sommes les seuls dans le champ du professionnalisme. Cette reconnaissance est fondée sur le respect de la déontologie et d'un code de conduite professionnelle, sur l'adéquation des compétences et des moyens techniques, humains et financiers aux missions menées, sur la satisfaction des clients, sur la pérennité financière et sur le respect de la réglementation spécifique à la formation. La qualification OPQF s'adresse à toute structure, quels que soient ses statuts. Cette démarche, il faut le noter, est volontaire.

Pour ce faire, nous nous appuyons sur une nomenclature établie par domaine de qualification. Nous disposons d'un règlement intérieur, d'un dossier de demandes de qualification et de procédures objectives et rigoureuses vérifiées par le Cofrac.

Les étapes de la démarche sont la vérification administrative du dossier, l'instruction du dossier, l'avis de la commission d'instruction et la délivrance d'un certificat ; il existe également une procédure d'appel.

Nous pourrons revenir sur le choix des instructeurs, élément clé de notre procédure ; il s'agit de professionnels du métier bénévoles, reconnus par leurs pairs et formés, dont les compétences et l'éthique sont vérifiées.

La qualification est donnée pour quatre ans. Un contrôle est effectué chaque année pour vérifier le niveau de professionnalisme.

Il existe deux types de qualification : une qualification probatoire - très marginale - et une qualification professionnelle. Dans tous les cas de figure, le qualifié s'engage à respecter le code de conduite et le règlement intérieur.

Un postulant qui ne serait pas retenu par le comité de qualification peut faire appel. Cette procédure est peu utilisée...

La qualification permet d'établir une relation de confiance entre le client et le prestataire. Notre spécificité provient de l'instruction par les pairs, experts dans leur domaine, du regard collégial porté par une instance tripartite garante de l'impartialité et qui se retrouve dans tous les organismes de qualification.

Cette qualification constitue une référence déterminante pour les professionnels, les clients et les pouvoirs publics. Elle est identifiée dans le code des marchés publics de 2006.

A la demande du ministre de la défense et des anciens combattants agissant au nom de Qualibat, un arrêt du Conseil d'Etat du 11 avril 2012 a reconnu la force du certificat de qualification professionnelle. Cette reconnaissance est valable pour toutes les certifications de qualification professionnelle.

Les instances de l'ISQ sont classiques et comportent, comme toute association, une assemblée générale, un conseil d'administration, une instance d'appel, deux comités de qualification pour chacune des deux activités (formation et conseil), deux commissions d'instruction. M. Claude Née, ici présent, est président de la commission d'instruction pour la partie formation. Il anime l'équipe de vingt-sept instructeurs chargés d'instruire les dossiers. Nous disposons d'un personnel salariés de sept personnes, que je manage.

De manière générale, nous sommes attentifs aux risques de dérives sectaires, notamment concernant les formations comportementales. Nous vérifions en premier lieu que l'organisme de formation se trouve bien dans le champ de la formation professionnelle continue. Il doit démontrer que les actions réalisées relèvent bien de la typologie de la formation professionnelle continue établie par l'article L. 6313-1 du code du travail - adaptation et développement des compétences ou acquisition, entretien ou perfectionnement des connaissances des stagiaires, sécurisation des parcours.

Ne relèvent pas du champ de la formation professionnelle continue les actions qui ont pour finalité le mieux-être physique et moral, l'épanouissement personnel ou la prise de conscience de soi ou des autres - gymnastique énergétique chinoise, formation de praticien de santé-naturopathe, etc.

Quand nous avons un doute, nous interrogeons la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Dirrecte) ou la DGEFP. Nous avons également établi un partenariat avec la Miviludes. M. Debord, secrétaire général adjoint de la mission interministérielle, est venu présenter les actions de la Miviludes en matière de détection des risques sectaires dans l'entreprise en général et dans un organisme de formation en particulier.

Nous vérifions d'abord qu'il s'agit bien du champ de la formation professionnelle continue, puis étudions toute une série d'indices : l'organisme de formation offre-t-il d'autres prestations par ailleurs ? Si oui, lesquelles : prestations à vocation thérapeutique, stage d'hypnose, etc. ? Quels sont les parcours et les certifications des formateurs au coeur de la qualification ? Si on nous présente, par exemple, un titre d'hypnose ériksonienne, nous creuserons le cas de l'organisme de formation en question.

En étudiant le bilan pour contrôler la pérennité financière d'un organisme, nous nous penchons sur le patrimoine de celui-ci et son emploi, le but ultime des sectes étant soit de manipuler les esprits, soit de gagner de l'argent. En cas de volonté de manipulation, l'exploitation est en déficit, avec une injection d'argent extérieur qui apparaît ; s'il y a volonté de gagner de l'argent, les résultats d'exploitation sont significatifs et servent à rémunérer des maisons mères.

Bien sûr, nous ne pouvons garantir que nous ne laisserons jamais passer un organisme de formation lié à une secte ; néanmoins, l'instruction par des professionnels de la formation professionnelle continue, la présence de la FFP, des OPCA et de la DGEFP dans nos instances, ainsi que les liens que nous avons avec la DGEFP, la Miviludes et les Dirrecte, constituent une protection contre les risques de dérives sectaires.

M. Claude Née va à présent vous expliquer comment nos instructeurs sont recrutés, formés et avertis de ces risques...

M. Claude Née. - Mon but est de vous apporter les éclairages les plus concrets possibles, avec des éléments qui ne sauraient être exhaustifs en raison tout d'abord de l'intitulé de votre commission d'enquête. Nous intervenons en effet moins par secteur d'activité - par exemple la santé - que par domaine. Nous comptons ainsi vingt-deux domaines de qualification, qui vont du domaine du droit à des formations à des métiers spécifiques. Or, deux domaines, dans la liste des dossiers qui vous ont été transmis, sont sensibles quand on évoque les risques de dérives sectaires. Le premier est celui du management et du développement personnel ; le second concerne les formations à des métiers spécifiques.

C'est surtout sous cet angle que nous avons essayé d'analyser les éléments statistiques à notre disposition...

La procédure de qualification est très rigoureuse et comporte un certain nombre d'étapes. On constate que celles-ci servent de filtres avec, en premier lieu, la constitution d'un dossier assez lourd, à propos duquel on doit fournir beaucoup de pièces et d'éclairages. Le second filtre est constitué par l'instruction. Je pourrai revenir, si vous le souhaitez, sur les méthodes de travail et le profil des instructeurs.

Ce filtre devient légitime dès l'instant où la commission formule un avis collectif. La commission que je préside est à l'image de la grande diversité des prestataires, des modes de financement et des publics formés. Il est pour moi très important que cette commission réponde à cette diversité.

Le dernier filtre est évidemment constitué de la décision du comité tripartite, où siègent les représentants de l'intérêt général, des prestataires et des clients. Les OPCA, qui collectent l'argent des entreprises, sont très présents dans nos instances. Les éclairages multiples de ces différentes étapes nous permettent de ne prendre qu'un faible risque dans la qualification. Nous ne sommes toutefois pas infaillibles, comme vous le constaterez dans les quelques exemples que je me permettrai de citer...

En dernier ressort, ce sont les services de l'Etat et les services de contrôle qui interviennent, à travers les Dirrecte et la DGEFP. Là aussi, le risque est très limité par rapport à d'autres modes de certification touchant à la reconnaissance de systèmes de management de la qualité ou de services, beaucoup plus normatifs que ce que nous pouvons assurer au travers de cette reconnaissance du professionnalisme par les pairs.

Les statistiques sont un peu différées, les rapports des commissaires aux comptes tombant généralement en juin de l'année précédente, mais les plus récentes nous permettent d'évaluer les organismes qualifiés à environ 900. Je n'ose évoquer la difficulté de cerner le nombre d'intervenants dans le domaine de la formation professionnelle continue ; les chiffres sont exorbitants et démontrent une réalité très différente. On estime annuellement à 63 000 le nombre de bilans pédagogiques et financiers, mais la réalité économique et sociale de ce secteur ne se situe pas à ce niveau, les organismes de formation - et non les prestataires individuels - étant compris entre 8 000 et 12 000.

Sur 900 qualifiés, le flux de demandes des nouveaux postulants se situe, d'une année sur l'autre, entre 40 et 70 organismes de formation, 150 à 180 dossiers se présentant à la fois à la commission et au comité.

Même si les statistiques ne sont pas suffisamment consolidées, les organismes qui interviennent principalement dans le secteur de la santé sont de l'ordre de 3 %.

Cependant, le domaine sanitaire et social est très important, et les frontières difficiles à définir. La définition la plus objective tiendrait au niveau d'éducation d'entrée des populations sanitaires et sociales formées. Ces formations touchent les très basses qualifications, et notamment les services à la personne.

Le secteur strict de la santé visant des personnels soignants compte peu d'organismes qualifiés. En matière de mouvements, aucune inflation de demandes n'apparaît en 2011 et 2012 dans les secteurs concernant la commission d'enquête. Ces mouvements restent stables.

Toutefois, la poussée est forte en matière sanitaire et sociale, nos différents partenaires - OPCA et conseils généraux - y voyant beaucoup de gisements d'emploi et d'insertion.

Depuis quatre ans que je préside cette commission, nous n'avons jamais identifié de risques sectaires. Seuls deux cas nous ont posé de sérieux problèmes. Notre souci était de parvenir à déterminer s'ils se situaient ou non dans le champ de la formation professionnelle continue. C'est un sujet souvent délicat. Seules les Dirrecte, la DGEFP et le juge sont à même d'évoquer le champ de compétences et l'imputabilité des actions de formation.

Les deux cas que j'évoque concernaient des pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique telles que définies par le président Fenech. Il s'agissait de deux organismes de formation en rapport, d'une part, avec le bien-être et les thérapies holistiques, et, d'autre part, le reiki. Cela avait été évoqué lors d'un colloque organisé par le précédent ministre à la formation professionnelle, Mme Morano.

Nous avons qualifié un organisme dans le champ du reiki après deux refus successifs, une réclamation étant intervenue après le second refus. Compte tenu du fait que nous sommes accrédités par le Cofrac et que nous devons respecter une norme, refuser la qualification aurait été assimilée à de la discrimination.

Au-delà de la déontologie et de l'éthique, on arrive, grâce aux différents filtres que j'ai évoqués, à cerner certaines informations utiles, suivant quatre critères principaux. Le premier concerne le respect de la réglementation qui, dans le domaine de la formation professionnelle, est très complexe. Le second critère est celui de la pérennité financière. Les organismes de formation étant à même de signer des conventions pluriannuelles, il faut être sûr que les moyens humains, matériels et financiers permettent cette continuité. Le troisième critère traduit la capacité, en fonction de besoins identifiés, à concevoir, à mettre en oeuvre et évaluer des actions de formation. Enfin, le quatrième critère a trait à la satisfaction du client.

Grâce à ces différentes étapes et à la vigilance des professionnels de la formation, les risques sont relativement faibles.

Dans les deux cas que j'évoquais, nous avons dû constater que les critères étaient réunis et que les différentes instances ont fait le même constat que nous. Nous avons eu une très longue séance de travail avec la DGEFP au sujet du reiki. Cette dernière avait conclu ne pouvoir aller plus loin, un contrôle de l'Institut du reiki durant le mois d'août précédent n'ayant relevé aucun manquement par rapport à leurs critères de contrôle.

Ce contrôle s'exerce bien évidemment par rapport aux textes et ne porte pas sur le fond. Je ne suis pas sûr que ce contrôle ait véritablement étudié le risque sectaire, au vu de ses résultats.

Notre spectre est plus large ; il analyse les contenus de formation, et la manière dont ils sont transmis et évalués. Dans les deux cas, ils formaient à l'évidence des gens à l'emploi, des maîtres praticiens. Il ne s'agit pas de professions réglementées mais la formation professionnelle n'est pas elle-même une profession réglementée, n'importe quelle structure pouvant revendiquer son statut d'organisme de formation !

Les raisons du refus principal de ces deux organismes étaient motivées par le fait qu'ils prétendaient délivrer des diplômes. Or, les diplômes sont un monopole d'Etat, un ministère pouvant seul déléguer cette capacité. Il s'agissait donc d'une formulation quelque peu trompeuse, sur laquelle nous pouvions nous appuyer. Toutefois, ils ont produit des conventions signées avec Pôle emploi et l'Association pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), prétendant même en avoir avec le ministère de la santé - mais je ne l'ai pas vérifié.

Ce ne sont là, en tout état de cause, que deux cas sur 600 organismes de formation. La statistique est donc très faible, et nous n'avons pu constater de risques sectaires au travers de ces multiples avis.

Mme Muguette Dini . - Quel était le second cas ?

M. Claude Née. - Le second cas concernait des formations aux thérapies holistiques.

Mme Muguette Dini . - S'agit-il du Cenatho ?

M. Claude Née. - Non. Un troisième cas était qualifié depuis longtemps, bien avant notre arrivée. Il s'agit d'un organisme vraisemblablement en marge - massages, réflexologie, sophrologie, éléments qui éveillent notre intérêt - qui a perdu son numéro de déclaration d'activité après contrôle...

Mme Muguette Dini . - De quel organisme s'agit-il ?

M. Claude Née. - Il s'agit d'Artec, dans le Languedoc-Roussillon. Pour nous, dès lors qu'on perd le numéro de déclaration d'activité, on perd automatiquement la qualification.

M. Alain Milon , président. - Vous parliez, s'agissant du reiki, de formation au diagnostic et à la thérapeutique... C'est un terme qui inquiète beaucoup le médecin que je suis. J'étais persuadé que la formation et le diagnostic se faisaient par l'intermédiaire de la faculté de médecine et que les thérapeutiques ne pouvaient être utilisées que par les médecins, les kinésithérapeutes, les dentistes, les pharmaciens ne faisant pour leur part qu'appliquer les ordonnances et les contrôler. Je suis très étonné...

M. Claude Née. - C'est une vraie question. On ne peut parler d'innovation, surtout à propos du reiki, qui est assez ancien et se réfère à un environnement philosophique éloigné du nôtre, mais qui n'a aucun caractère scientifique.

Auparavant, l'acupuncture n'était toutefois pas enseignée dans les facultés de médecine. Le reiki n'est pas forcément un bon exemple. Il faut faire la différence entre le reiki, qui annonce des pratiques de diagnostic ou des thérapeutiques, et l'Institut du reiki, que nous avons qualifié. Nous nous sommes uniquement prononcés sur la capacité de cet organisme à mettre en oeuvre des formations comportant des référentiels très solides, permettant de valider des compétences. La DGEFP avait a priori une autre lecture que la nôtre avant que nous ne nous mettions autour de la table pour en discuter. Je rappelle qu'il existe, dans le Répertoire opérationnel des métiers et des emplois (Rome), publié par le ministère du travail et de l'emploi, une fiche intitulée « Maître praticien du reiki »...

Tout ce qui touche à l'orientation, à la construction des formations, s'appuie sur le Rome. C'est un environnement complexe et nous avons uniquement qualifié la capacité à former des maîtres praticiens. Je ne connais pas le dossier par coeur : existe-t-il dans la formation de maître praticien et d'enseignant une partie de diagnostic ? Je ne saurais me prononcer sur ce point...

Mme Muguette Dini . - On a bien compris que vous étudiiez avec attention les dossiers relatifs aux médecines non conventionnelles. Vérifiez-vous que les professionnels de santé qui interviennent dans ces formations n'ont pas été radiés de leur ordre ?

M. Claude Née. - Non, nous n'allons pas jusque-là. Il y a deux raisons historiques à cela. La qualification a été construite, à partir de 1994, à la fois sur le fait qu'il s'agit d'une démarche volontaire et que, d'autre part, on est sur du « déclaratif ». Il s'agit donc là d'une relation de confiance - avec toutes ses limites.

Comme Mme Christine Anceau l'a souligné, les instructeurs sont des bénévoles, dirigeants ou cadres supérieurs d'organismes de formation, qui jouissent d'une triple compétence : ils maîtrisent l'ingénierie de formation ainsi que la lecture de bilans, comptes de résultats et annexe des organismes de formation, et sont censés maîtriser la réglementation -certains pouvant détenir une compétence plus pointue que d'autres. Nous n'allons pas jusqu'à vérifier la réalité des diplômes figurant sur un CV, ni même l'inscription à un Ordre...

Mme Muguette Dini . - Quand un docteur en médecine est radié de l'Ordre, c'est toujours pour des raisons extrêmement graves. Ne devriez-vous pas vérifier ce point ?

M. Claude Née. - Les docteurs en médecine dont nous parlons sont là au titre de leurs capacités de formateur et non pour assurer des actes thérapeutiques. Tous les organismes qui interviennent dans le domaine de la santé travaillent avec le milieu hospitalier. Les procédures de référencement auprès des agences régionales de santé ou de collecte de financements permettent également d'éclairer cette qualification.

Mme Muguette Dini . - Le Cenatho a obtenu une qualification à deux reprises. En avez-vous le souvenir ? Comment avez-vous étudié cette demande précise ? Le Cenatho forme à la naturopathie.

M. Claude Née. - Il fait en effet partie de la liste « sanitaire, social, services à la personne » ou « médico-technique » et n'est pas classé dans la rubrique « santé et praticien » ou « santé, paramédical ». Je ne puis vous apporter de plus amples éclairages. Cette qualification date sûrement d'un certain temps.

Mme Muguette Dini . - Cet organisme va-t-il faire l'objet d'un nouvel examen dans quatre ans ?

M. Claude Née. - En effet. Une déclaration annuelle d'activité nous permet par ailleurs de contrôler les statuts, l'objet social, pédagogique et financier, mais surtout les formateurs, les nouveaux formateurs doivent figurer sur une liste comportant leur CV. Nous délivrons la qualification pour quatre ans mais renouvelons chaque année le certificat, au vu des éclairages apportés par la déclaration annuelle d'activité.

Mme Muguette Dini . - Comment établissez-vous un contact avec les clients individuels ?

M. Claude Née. - Ces organismes interviennent en effet également dans le champ de la formation continue au travers de financements de particuliers, qui constituent une catégorie plus fragile que les commanditaires publics ou les entreprises. Le contrôle s'effectue selon deux modes. Ces organismes doivent fournir des attestations de leurs clients par domaine de qualification...

Mme Muguette Dini . - Ils ne vont pas vous adresser des lettres de clients mécontents !

M. Claude Née. - Cela arrive... mais rarement !

Chaque instructeur doit, à partir d'une liste d'organismes n'ayant pas fourni d'attestation, appeler directement un client par domaine. On arrive alors à croiser les informations. Bien évidemment, ce n'est pas exhaustif.

Il existe trois niveaux d'attestation. Selon l'esprit de la loi du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, il faut toucher le client - qui est aussi stagiaire - mais également le financeur, qui a d'autres critères de sélection, et l'entreprise...

Mme Muguette Dini . - Dans ce dernier cas, le client est à la fois financeur et décideur.

M. Claude Née. - Des signatures et des tampons, lorsqu'il s'agit d'organisations, figurent sur ces questionnaires, et comportent un appel direct aux clients.

Nous recevons également des réclamations, assez rarement malgré tout, comme dans le domaine du coaching, qui existe aussi dans le domaine de la santé, et où l'on trouve du bon et du moins bon. On ne peut qualifier un organisme de ce champ que s'il forme des coachs, sans faire pour autant partie du champ de la formation professionnelle continue. Il s'agit, dans ce cas, principalement de particuliers. Une cliente nous a récemment adressé une réclamation à propos d'une tentative de prosélytisme en faveur de la laïcité, qui ne correspondait pas à ses valeurs. Il a fallu traiter le sujet...

M. Alain Milon , président. - Vous avez évoqué l'acupuncture et l'hypnose qui, au départ, constituaient des thérapies qui ont montré une certaine efficacité, sans toutefois supplanter l'homéopathie. La plupart du temps, les praticiens l'appliquaient en complément de la médecine traditionnelle, tout au moins en Europe et aux Etats-Unis.

Le fait que le reiki existe, s'il est dans le champ du bien-être et complémentaire de la médecine traditionnelle, n'est pas un problème. Le véritable problème vient lorsqu'il existe un intérêt financier et une emprise morale sur les patients. On oriente alors souvent ceux-ci vers ce genre de médecine et on les incite à abandonner la médecine traditionnelle, ce qui peut avoir de graves effets. Si c'est une grippe, ce n'est pas bien grave. D'ailleurs, on sait qu'il ne faut pas la soigner mais attendre ; les médecins disent toujours qu'avec un traitement, la grippe dure une semaine et, sans traitement, sept jours.

Mais pour ce qui est des maladies graves, certains organismes reconnus peuvent apparaître comme fiables alors qu'ils entraînent des déviances dangereuses pour les patients ou pour leur porte-monnaie.

M. Claude Née. - Comme le disait Mme Christine Anceau, nous n'avons pas réellement constaté de risques de dérives sectaires parmi les organismes qui ont été qualifiés - mais l'infaillibilité n'existe pas. Vous avez cité un organisme faisant partie des listes : nous allons l'étudier...

Il y a aussi des listes de naturopathes ou de thérapies holistiques. Quand je me suis penché sur celle relative au « Bien-être et thérapies », j'ai frémi mais j'ai vu que c'est l'une des instructrices les plus expérimentées de ce secteur complexe qui a traité ce sujet. Toutes les étapes ont été respectées. Ces organismes formant des maîtres praticiens et ne dispensant pas directement des formations au bien-être, nous n'avions pas, compte tenu des critères et de la norme, la possibilité de les discriminer, le risque ayant alors été un appel en bonne et due forme !

Mme Christine Anceau. - J'étais intervenue sous forme de boutade, lors du colloque organisé par Mme Morano, pour dire que si un dossier nous paraissait parfait dès son premier passage, nous pourrions nous inquiéter. Il manque en effet généralement toujours quelque élément aux demandes qui nous parviennent. Or, les sectes sont si avides de reconnaissance qu'il ne manque jamais rien à leurs requêtes ! Ceci peut donc attirer notre attention...

Mme Muguette Dini . - Vous évoquez des sectes très organisées, comme la Scientologie. Notre inquiétude porte sur les dérives à caractère sectaire ; ce ne sont donc pas obligatoirement des sectes telles qu'on les conçoit mais plutôt des organismes qui, à travers l'emprise mentale, peuvent porter atteinte à la santé ou au portefeuille - voire aux deux ! Le Cenatho n'est pas une secte, mais c'est néanmoins un organisme à surveiller.

Je vous conseille de vous inscrire à une formation - ou de faire inscrire quelqu'un - si vous menez une enquête !

M. Claude Née. - Les systèmes de référencement ont leurs propres failles....

M. Alain Milon , président. - 10 000 euros pour deux ans de formation...

Mme Christine Anceau. - Nous allons nous pencher sur le sujet !

M. Alain Milon , président. - Etes-vous sensibilisés à tous ces problèmes ?

M. Claude Née. - M. Debord est intervenu en commission d'instruction pour attirer notre attention sur les risques sectaires et nous remettre le guide de la Miviludes intitulé Savoir déceler les dérives sectaires dans la formation professionnelle .

M. Christine Anceau. - Si nous avons le moindre doute, nous nous tournerons vers la Miviludes, la Dirrecte ou la DGEFP.

La Miviludes elle-même ne produit plus de listes de sectes. On peut donc parfois se retrouver démuni. C'est ainsi que nous avons refusé deux fois de reconnaître un organisme de formation. Nous espérions que cela laisserait le temps à d'autres organismes de se manifester. Tel n'a pas été le cas... Nous savions que cet organisme saisirait le Cofrac et invoquerait la discrimination. Dès lors qu'ils adhèrent à la Fédération de la formation professionnelle, que la Dirrecte ne nous répond pas, que la Miviludes n'a pas de listes, nous sommes bien obligés de les reconnaître. En outre, le bilan de cet organisme ne présentait aucun enrichissement, au contraire - même si le fait de ne pas vouloir gagner d'argent m'a paru louche...

Mme Muguette Dini . - Auprès de qui les organismes font-ils appel ?

Mme Christine Anceau. - Il existe une instance d'appel composée de trois personnes indépendantes de l'ISQ, mais elle n'a jamais eu à se réunir, car il existe une possibilité de recours amiable, où M. Née siège avec moi. Celle-ci permet de traiter les problèmes.

Dans ce cas précis, un nouveau refus nous aurait valu des ennuis avec le Cofrac. La discrimination est la pire des choses que l'on puisse nous reprocher, car nous sommes censés être impartiaux et indépendants.

Nous attirons bien entendu toujours l'attention des organismes sur la circulaire de la DGEFP relative aux formations comportementales ; s'ils sont en règle avec nos quatre critères, que nous ne remarquons rien dans leur bilan, nous ne pouvons refuser de les qualifier.

M. Alain Milon , président. - Vous avez par deux fois refusé la certification. Qu'est-ce qui avait motivé ce refus ?

M. Claude Née. - La première fois, la personne délivrait un diplôme de maître praticien. C'était donc rédhibitoire. La seconde fois, elle écrivait seule ses référentiels et ses manuels de formation, formait et évaluait ses élèves dans le cadre d'un jury composé de sa seule personne, au bout d'un cycle plus ou moins long, avant de délivrer un certificat. Telle n'était pas la conception que nous avons d'un organisme de formation.

Le dirigeant a donc recruté un formateur, a composé un nouveau jury avec ce nouveau formateur et un représentant officiel du secteur de la santé, tout ceci avec une habilité et une réactivité redoutables, répondant à chaque exigence...

M. Alain Milon , président. - Vous avez donc fini par lui permettre de créer sa petite secte !

Mme Christine Anceau. - Il veut en quelque sorte faire figure de maître à penser ; cela ne veut pas forcément signifier qu'il s'agit d'une secte. Ce sont des gens très adroits, mais il en existe dans d'autres domaines que la santé. Enormément d'organismes n'ont pas de commissaires aux comptes, alors qu'ils le devraient, remettent des « diplômes », alors qu'ils n'en ont pas le droit, etc. Nous séparons le bon grain de l'ivraie car les bons organismes se mettent tout de suite en règle. Dans le cas particulier, cette personne s'est exécutée très vite !

M. Claude Née. - C'est à la fois un bon et un mauvais exemple : ces organismes travaillent pour des particuliers. Il existait par le passé la loi Scrivener ; les contrats spécifiques, qui sont aujourd'hui censés défendre le client privé, sont plus protecteurs que le cadre conventionnel applicable aux entreprises. Toutefois, les financements publics présentent une bien meilleure visibilité, dans la mesure où l'on sait combien de personnes ont été formées et présentées à un certificat, un diplôme, un certificat de qualification professionnelle (CQP), s'ils ont ou non retrouvé un emploi...

Dans le champ des organismes travaillant avec des particuliers, nous ne disposons pas de ces éléments. C'est une des pistes que le ministre devrait explorer pour faire progresser la qualité des organismes de formation, dans le cadre de la réforme prévue pour le mois de juin.

Mme Christine Anceau. - Ce qui fait la force de l'ISQ, c'est notre crédibilité. En tant que déléguée générale, c'est la seule chose que j'ai à l'esprit. Qualifier un mouvement sectaire serait une catastrophe. L'affaire d'Artec m'avait parue difficile à accepter, mais elle avait eu lieu avant notre arrivée.

Néanmoins, refuser sans raison peut nous faire perdre l'accréditation du Cofrac et le postulant peut nous attaquer pour discrimination. Dans le cas du reiki, l'argument du diplôme nous avait fourni une raison objective à opposer au demandeur - mais ce n'est pas toujours le cas.

Audition de Me Daniel PICOTIN, avocat (mercredi 6 février 2013)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui Me Daniel Picotin, avocat. Je rappelle que Me Picotin a défendu récemment ceux que la presse a appelés les « reclus de Montflanquin » et qu'il est particulièrement engagé dans la lutte contre les dérives sectaires.

L'objet de notre audition de cet après-midi est de recevoir le témoignage de défenseur des victimes des dérives sectaires, en complément des auditions des associations de victimes auxquelles nous avons déjà procédé.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Je précise à l'attention de Me Daniel Picotin que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, qui est donc notre rapporteur et qui s'excuse de ne pas être en mesure d'assister à notre audition de ce jour.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à Me Picotin de prêter serment.

Je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Maître Picotin, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Me Daniel Picotin . - Je le jure.

M. Alain Milon , président. - Je donne la parole à Me Picotin pour un exposé introductif ; puis j'inviterai mes collègues à vous poser des questions.

Me Daniel Picotin, avocat . - Avocat depuis trente-deux ans, j'ai participé quand j'étais député à la commission d'enquête de 1995 sur les sectes, dont la Miviludes est issue. En tant qu'avocat, je suis surtout un praticien, qui a « les mains dans le cambouis ». En 2012, j'ai plaidé dans cinq affaires d'emprise et de manipulation mentale qui ont toutes abouti à l'emprisonnement des gourous ou à leur condamnation à de la prison ferme. J'ai ainsi développé une véritable expertise dans le droit des dérives sectaires, matière que j'enseigne d'ailleurs en école d'avocats.

La question qui s'est posée à moi à l'occasion du dossier dit des reclus de Monflanquin est de savoir comment sortir quelqu'un de l'emprise mentale exercée par une secte. Cela m'a conduit à m'intéresser à la pratique des conseillers en sortie d'emprise mentale ( exit counselors ) développée aux Etats-Unis il y a une trentaine d'années par Steven Hassan. Ce dernier était sorti de dix ans d'emprise de la secte Moon après un deprogramming , une forme tout à fait interdite de lavage de cerveau. Bien que cette méthode ait fonctionné pour lui, il a souhaité développer une méthode plus douce, que pratiquent désormais des psychanalystes américains.

Je m'en suis inspiré lorsque j'ai été saisi en 2004 du dossier de la famille de Védrines - onze aristocrates de la région de Bordeaux et du Lot-et-Garonne maintenus sous emprise mentale durant dix ans. Les lenteurs de la justice pénale m'ont laissé le temps de monter, sur le modèle américain, une équipe pluridisciplinaire comprenant une psychanalyste, une criminologue victimologue qui avait pratiqué l' exit counseling antérieurement selon les méthodes américaines, un détective privé et une psychologue clinicienne. Fin 2009, nous avons réussi à sortir huit membres de la famille de Védrines de l'emprise mentale de son gourou et, fort de ce succès expérimental, je mène une quinzaine d'opérations comparables en France et en Europe. Nous avons également réussi à sortir plusieurs personnes d'emprise mentale dans des dossiers moins médiatiques.

Praticien du droit, je m'intéresse moins aux questions philosophiques liées à la définition des dérives sectaires qu'au plus petit dénominateur commun du phénomène, l'emprise et la manipulation mentales, perspective dans laquelle s'inscrit déjà la loi About-Picard sur l'abus de faiblesse qui stigmatise la sujétion psychologique.

A partir de cette expérience et de l'étude des travaux de l'ensemble des spécialistes - juristes, gendarmes et même hommes d'Eglise -, j'ai écrit un Manifeste pour une législation plus efficace , diffusé par le Centre contre les manipulations mentales (CCMM). Il se trouve que je préside son antenne régionale, Info Sectes Aquitaine.

Dans les cinq dossiers que j'ai plaidés en 2012, toutes les victimes présentaient de graves problèmes de santé puisque le gourou voulant exercer un contrôle total sur la vie de ses adeptes, il n'est pas question que ceux-ci accèdent librement aux soins : dans l'affaire des reclus de Montflanquin, Charles-Henri de Védrines, ancien candidat aux municipales à Bordeaux aux côtés d'Alain Juppé, s'est laissé priver de soins malgré vingt-cinq ans de pratique médicale comme gynécologue-obstétricien ; conformément aux décisions du gourou Thierry Tilly, aucun membre de cette famille n'a consulté de dentiste pendant dix ans, et la grand-mère n'a pas soigné sa cataracte.

Le gourou Tang, condamné à dix ans de réclusion criminelle, qui a eu comme adeptes vingt-cinq à cinquante personnes dans le Lot-et-Garonne et en Ariège, dont les époux Lorenzato (un greffier, un douanier : des gens instruits !), ne les autorisait à consulter un médecin qu'au bout de trois jours et après qu'il avait prescrit lui-même des méthodes alimentaires ou autres.

Une jeune fille, dont le compagnon prétendait venir de la Planète Sirius, par exemple, était restée pendant dix ans sous l'emprise d'un homme, qui a été condamné par la cour d'appel de Paris en janvier 2012. Non seulement elle ne recevait aucun soin mais encore il la battait, afin de « corriger son karma ». Elle s'en est sortie avec une incapacité permanente partielle (IPP) de 17 % et de graves problèmes de santé. Il lui a fallu cent vingt séances de thérapie pour se reconstruire. Elle a néanmoins à deux reprises pu livrer aux élèves de l'Ecole nationale de la magistrature un témoignage qui les a sidérés.

Enfin, Me Ilario, magnétiseur libertin, condamné en décembre dernier à Bordeaux pour exercice illégal de la médecine, prétendait soigner même le cancer par des méthodes de manipulation en même temps qu'il plaçait ses adeptes sous emprise mentale.

Bien que toutes les affaires sectaires ne concernent pas directement le sujet de la commission d'enquête, elles sont très souvent en lien avec la santé car dès qu'une personne est placée sous emprise mentale, elle n'accède plus aux soins, ou bien ils lui sont délivrés par le gourou.

Un autre problème, très choquant à mes yeux, est la déviation à laquelle on assiste chez les psychothérapeutes, notamment dans le cas des « faux souvenirs induits ». Les efforts du Parlement à l'initiative de M. Accoyer n'ont malheureusement rien résolu. J'approuve les déclarations de Guy Rouquet : le titre de psychothérapeute est certes protégé, mais il suffit de parcourir les Pages jaunes où l'on distingue entre les psychothérapeutes dans le cadre de la loi et les psychothérapeutes non agréés pour constater que les psychothérapeutes « non agréés » prospèrent. Les gens ne font pas la différence. Comment peut-on livrer la santé mentale des Français à des escrocs qui peuvent être particulièrement dangereux ? Cela me semble extravagant.

En 2004, j'avais comme Charlie Hebdo dénoncé le scandale des enfants Indigo, ces enfants hyperactifs livrés à de faux psychothérapeutes : il y en avait onze en Aquitaine. Au-delà du titre de psychothérapeute, le Parlement devrait règlementer l'activité des psychothérapeutes, comme le recommande Guy Rouquet. Après tout, la DGECRF exerce un contrôle très vigilant dès qu'une grande surface vend un produit périmé. Or, en matière de psychothérapie, on peut faire n'importe quoi. Cela n'a pas de sens !

Mes propositions législatives, que récapitule le Manifeste dont je vous ai parlé tout à l'heure, partent du constat que le monde des juristes ne comprend pas ce que c'est que le phénomène de l'emprise mentale. Lisez les travaux des juristes, à commencer par le doyen Carbonnier, ils n'ont jamais pas vu de victimes : ils en restent au consentement libre. Or l'emprise mentale procède d'un mécanisme très curieux de rencontre entre la pathologie du gourou - désir de puissance, ratage affectif ou professionnel - et ce que recherche son adepte. Celui-ci peut se faire prendre quel que soit son niveau d'intelligence, parce que le gourou, avec un remarquable sens psychologique, le séduit, anesthésie son intelligence en touchant dans son inconscient des points dont il n'a même pas conscience. Les onze membres de la famille de Védrines, âgés de seize à quatre-vingt-neuf ans, ont tous été ainsi « anesthésiés ». On ne sort de cette prison mentale que par un déclic qui peut survenir en quelques secondes, un « dessillement », pour reprendre le mot de Pauline dans Polyeucte . Avec les psys, nous cherchons à provoquer ce déclic.

De nombreux travaux ont été réalisés sur l'emprise et la manipulation mentales, tels ceux des professeurs Zagury et Parquet, des docteurs Dubec, Coutanceau et Dorey. Il appartient aux juristes de s'en saisir pour en tirer toutes les conséquences. Pourquoi ne pas créer une commission spécifique ?

Ma première proposition concerne le droit civil. Si les adeptes ne sont plus que des marionnettes dans les mains de leur gourou, il faut que le droit reconnaisse cet état d'emprise comme un vice du consentement. En cas de dol, de violence ou d'erreur, il autorise à annuler des contrats passés jusqu'à cinq ans auparavant. La même règle devrait s'appliquer par exemple à la vente, pour une bouchée de pain, du château des Védrines, le bien auquel ils tenaient le plus - des siècles d'histoire. Ajouter un mot au code civil suffirait.

Ma deuxième proposition concerne le droit pénal. M'inspirant des travaux du général Morin ou de M. Eric Doligé, le premier parlementaire à stigmatiser le délit de manipulation mentale, j'estime que transformer des personnes en « zombies » est un crime qui doit être reconnu de manière autonome. La loi About-Picard exige une sujétion psychologique et une altération du jugement. Cependant, comme la manipulation mentale n'est pas un délit autonome, cette loi ne permet pas de reconnaître le traumatisme que constitue le fait d'avoir vécu des années dans cet état. Mesurer ce préjudice-là n'a pas de sens pour la justice. Or il faut reconnaître l'« emprise mentale préjudiciable ».

Autre problème : lorsqu'ils ont voulu porter plainte pour abus de faiblesse, les parents de la jeune fille dont le compagnon venait de Planète Sirius se sont vu opposer un classement sans suite : ils n'étaient pas recevables à porter plainte. Même chose lorsque nous avons voulu attaquer le gourou de la famille de Védrines qui se ruinait au vu de tout Bordeaux ; il a fallu attendre qu'une victime sorte et porte plainte ; cela a pris cinq ans... Tout ce temps est perdu.

Je plaide donc pour que la manipulation mentale soit un délit ou un crime en soi, et que la famille puisse agir tout de suite.

Je suis également partisan de placer les personnes sous emprise sous le régime de majeur protégé. Pendant tout le temps où ces personnes se ruinent, il faut les protéger. C'est une proposition de bon sens. Or, en 2001, la Cour de cassation, qui admet ce régime pour les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, l'a refusé aux victimes de dérives sectaires, au nom d'une bien théorique liberté du consentement. Pis encore, depuis une loi de 2007, la prodigalité n'est plus un motif de placement sous tutelle ou sous curatelle. Pourtant, Christine de Védrines, née Cornette de la Minière, assujettie à l'ISF quand elle a quitté Bordeaux, ne possédait plus qu'une brosse à dents lorsqu'elle est venue nous voir, et nous avons dû l'orienter vers une assistante sociale pour toucher le RMI. Pour éviter toute atteinte aux libertés, le placement pourrait être décidé par deux experts aux tutelles et curatelles inscrits sur la liste départementale. Dix années d'application de loi About-Picard conduisent d'ailleurs à ne pas être inquiet s'agissant d'éventuelles atteintes aux libertés.

M. Alain Milon , président. - Avez-vous aussi des exemples de personnes malades qui se rendent auprès d'un gourou en quête de guérison ?

Me Daniel Picotin . - La santé figure parmi les méthodes d'approche bien connues. Tang, qui disait être Jésus, a promis à une femme en fauteuil roulant qu'elle remarcherait. Quant à Ilario, il a conseillé à un malade du cancer d'arrêter le traitement conventionnel.

Mme Muguette Dini . - Avez-vous déjà fait l'objet d'intimidations ?

Me Daniel Picotin . - Non, en revanche, je me suis une fois demandé si un gourou n'avait pas pratiqué sur moi de l'hypnose sauvage...

Mme Muguette Dini . - Avez-vous connaissance, même hors de votre région, d'une augmentation du nombre de dossiers relatifs au domaine de la santé ?

Me Daniel Picotin . - Il est difficile pour un modeste praticien de province de porter une appréciation globale de ce phénomène. En revanche, je partage les idées sur la « société facilitatrice » exprimées l'an dernier par Marie-France Hirigoyen dans son ouvrage sur l'abus de faiblesse (Abus de faiblesse et autres manipulations) . Nos contemporains n'ont jamais été autant disposés à croire tout et n'importe quoi. Cela tient à divers influences, y compris celles des séries télévisées : l'histoire des enfants Indigo m'a rappelé Les envahisseurs.

Mme Catherine Deroche . - Quelle est la part de la conviction chez les gourous, et celle de l'appât du gain ou du désir sexuel ?

Me Daniel Picotin . - Au vu de mon expérience, les meilleurs éléments de réponse figurent dans la typologie des gourous établie par le docteur Jean-Marie Abgrall dans La mécanique des sectes . On repère des constantes, à commencer par les ratages, que les gourous taisent. Tang, qui ne communique aucun élément sur sa petite enfance, a porté jusqu'à l'âge de neuf ans des couches électriques ; Claude Vorilhon n'a décroché qu'un second prix dans un radio-crochet à Clermont-Ferrand... Aussi les gourous présentent-ils souvent de fausses biographies : entre ses trois étoiles de général des services secrets, son doctorat de droit et ses nombreux records sportifs, il a fallu une journée entière à Thierry Tilly pour détailler son curriculum vitae dans le cabinet du juge d'instruction. Or il s'est avéré que, de la sixième à la troisième, il avait été avant-dernier en sport !

Une autre caractéristique des gourous est de ne pas travailler : ils vivent comme des prédateurs ou des parasites, tel Tang surveillant de son rocking chair des hommes creusant un puits, des femmes s'activant au ménage, des enfants peignant la pelouse ou lustrant sa Mustang .

Enfin, ils sont eux-mêmes en proie à des pathologies. Au lieu de les soigner, ils trouvent chez leurs adeptes des points d'ancrage, et les renforcent par l'« emboîtage » que j'ai décrit entre eux et leurs adeptes.

M. Stéphane Mazars . - Les dossiers d'enquêtes préliminaires que vous trouvez sont-ils bien ficelés ? Les services d'enquête sont-ils à votre avis suffisamment qualifiés ?

Me Daniel Picotin . - Mon principal problème se situe au niveau des parquets. Je l'ai écrit dans mon manifeste, je le proclame, c'est la justice qui a le plus grand mal à appréhender les notions d'emprise et de manipulation mentales et à accepter la loi About-Picard. A Toulouse récemment, des juges ont même exprimé des réserves publiques sur ce texte.

Pendant les cinq, dix ou vingt années que dure l'emprise du gourou, la victime ne peut pas porter plainte. Les requêtes des familles sont classées sans suite ; « s'ils sont masochistes, c'est leur problème », m'a-t-on dit. Certes, ces familles présentent toutes une problématique particulière que le gourou a su exploiter, mais elles vivent dans l'angoisse, d'autant que le gourou a généralement fait en sorte d'isoler la victime de son entourage. Selon le docteur Zagury, le gourou Tilly a agi comme un psychanalyste, mais en dévoyant le transfert.

Les services d'enquête ont fait de grands progrès : la gendarmerie dispose d'officiers de renseignement s'intéressant à ces sujets et de grilles d'analyse spécialisées. La police a mis en place la Caimades, dont les enquêteurs sont particulièrement compétents.

Autre souci avec la justice, nombre de juges aux affaires familiales et d'experts passent, faute de formation, à côté des faux souvenirs induits. Plus jamais Outreau ? C'est si peu vrai que je fais chaque fois appel à des experts nationaux car au niveau local, la vigilance n'est pas toujours la même. Il faudrait donc au moins un expert compétent dans chaque cour d'appel.

Nous sommes aussi confrontés aux difficultés quotidiennes de fonctionnement de l'institution. Dans l'affaire du magnétiseur libertin, il a fallu que je renouvelle mes explications devant les quatre substituts qui se sont succédé, au gré des affectations successives des uns et des autres. Le temps passe alors qu'il y urgence. La jeune fille dont le compagnon prétendait venir de Planète Sirius était venue me voir en 2001, la cour d'appel de Paris a prononcé la condamnation pénale en janvier 2012. Onze ans plus tard ! Certes, une formation est dispensée à l'ENM, mais l'on forme sur trois jours 80 magistrats sur 6 000, qui sont loin d'être tous au point sur ce sujet. Pour peu que le parquetier n'y croie pas et que l'expert ne voie rien, la famille a intérêt à s'armer de patience...

M. Stéphane Mazars. - Faudrait-il un parquet et un pôle d'instruction spécialisés dans chaque cour d'appel ?

Me Daniel Picotin. - Absolument. Il y a un service spécialisé à Paris.

Mme Muguette Dini . - N'a-t-on pas déjà désigné des procureurs chargés de ces sujets ?

Me Daniel Picotin. - Sur le papier peut-être. On évoque parfois la circulaire Toubon...

Mme Muguette Dini . - J'ai été étonnée d'apprendre il y a quelques jours qu'au cours de l'année 2012, le procureur spécialisé de Lyon n'avait reçu qu'un dossier et son collège de Villefranche-sur-Saône, trois.

Me Daniel Picotin . - Les affaires ne remontent pas alors qu'elles devraient être rapidement confiées à des magistrats compétents et réactifs.

Dans l'affaire Tang ou dans celle du magnétiseur libertin, les gendarmes avaient travaillé merveilleusement. Cependant, les juges hésitent devant une notion qu'ils trouvent floue. Il faudrait que les critères de l'emprise mentale soient admis du monde juridique aussi bien que ceux d'une IPP due à un accident de la route. Cela appelle un travail d'élaboration et d'explication.

M. Stéphane Mazars . - Comment envisagez-vous de faire prospérer vos propositions ? Etes-vous en contact avec la Chancellerie ?

Me Daniel Picotin . - Vous êtes le législateur...

M. Stéphane Mazars . - Vous avez été député.

Me Daniel Picotin. - Je suis en relation avec quelques parlementaires, mais il ne revient pas à un petit avocat de province de s'adresser directement à la Chancellerie. Le manifeste a été mis sur la place publique par le CCMM, mon action s'arrête là. Messieurs les législateurs, c'est à vous de jouer.

M. Stéphane Mazars . - Préconisez-vous que l'infraction soit un crime dans tous les cas ou seulement en fonction du préjudice ?

Me Daniel Picotin . - Il ne m'appartient pas d'écrire la loi. Pour moi, l'emprise mentale est un crime ; elle mérite vingt ans. Ce qui importe surtout c'est que l'on reconnaisse une infraction autonome.

Vous me demandiez si les gourous y croient eux-mêmes. Je pense que non, même si comme l'indiquait sa femme, Claude Vorilhon, alias Raël, finissait par se prendre au jeu. Lorsque vous les interrogez, l'essentiel est de ne pas entrer dans leur logorrhée, de s'en tenir à des questions courtes et précises.

M. Stéphane Mazars . - Avez-vous eu connaissance de dossiers dans lesquels des personnes morales étaient poursuivies ?

Me Daniel Picotin . - Non, hormis l'Eglise de Scientologie à Paris. Plutôt qu'aux grandes structures, comme le Mandarom, la tendance est à l'éclatement en une multitude de gourous et de thérapeutes. Tilly est un « gourou de famille », Tang a manipulé une cinquantaine de personnes et Raël a 2 000 adeptes. De l'épicier de quartier à la PME ou à la multinationale, il y en a pour chacun selon son appétit et ses compétences.

M. Stéphane Mazars . - Peut-on établir un parallèle entre les victimes de sectes et celles d'abus sexuels ou de violences, notamment quant au sentiment de culpabilité ?

Me Daniel Picotin . - Oui, tout à fait. Dans une affaire de luminothérapie, les victimes, recrutées dans les milieux catholiques, éprouvent même de la honte à l'idée que les choses vont se savoir dans la paroisse, dans la ville. Le lien pathologique dont joue le gourou lui sert à ramener des victimes sur ce point d'accroche. Il a suffi à une victime de sentir de nouveau l'odeur de l'encens en entendant de la musique tibétaine pour être tentée de repartir. Il y a des bombes à retardement psychologiques placées par le gourou !

Mme Muguette Dini . - La reconnaissance juridique de la notion d'emprise mentale pourrait-elle aussi servir aux victimes de violences conjugales ?

Me Daniel Picotin . - Les problématiques sont tout à fait voisines. Là non plus, la victime d'un conjoint pervers narcissique ou manipulateur n'est pas crue par les experts.

Mme Muguette Dini . - Les juges ne prennent pas la situation en compte.

Me Daniel Picotin . - Ils se trompent. Lorsque j'ai dit au docteur Reichert-Pagnard, auteur de Crimes impunis ou Néonta : histoire d'un amour manipulé , qui travaille beaucoup sur ces sujets, que « nous étions cousins », elle m'a répondu : « Non, nous sommes frères » . Simplement le mari violent s'en tient à sa famille sans passer au stade commercial - je ne m'en suis rendu compte que très récemment.

Mme Muguette Dini . - Après avoir rencontré le docteur Reichert-Pagnard, j'ai vainement tenté de modifier la loi. Nous avons toutefois obtenu que les violences psychologiques puissent être reconnues sans certificat médical.

Me Daniel Picotin . - Je pense à un cas de manipulateur familial en Bretagne. On y retrouve tous les éléments constitutifs du gourou : la fausse biographie, le parasitisme, la violence et le sentiment de culpabilité de la victime.

M. Alain Milon , président. - En tant qu'avocat, quel système de défense prendriez-vous si vous aviez à défendre un gourou ?

Me Daniel Picotin. - Je ne l'ai fait qu'une fois, c'était en 1997. Il était atteint du syndrome de Rendu-Osler qui provoquait des hémorragies. Dès qu'il a eu huit ou neuf ans, les gens de son village, puis de toute la Corrèze venaient le consulter. Lui, qui voulait être chanteur, a progressivement endossé ce rôle jusqu'à en abuser, et devenir une sorte de gourou. Je lui ai conseillé de reconnaître la vérité. En manipulateur qu'il était, il m'a répondu que quoiqu'innocent, il était prêt à se déclarer coupable pour m'être agréable. J'y ai renoncé, et il n'a pu bénéficier de soins. Le procureur avait requis vingt ans, mon client en a pris dix-huit, il m'a remercié...

M. Alain Milon , président . - Des avocats célèbres prennent le parti des sectes. De tels avocats appartiennent-ils à des sectes ?

Me Daniel Picotin. - Chaque avocat est libre et chacun a droit à un avocat, même Hitler. Si certains confrères sont intellectuellement ouverts aux sectes, très peu à mon avis en sont membres.

M. Alain Milon , président . - Je vous remercie.

Me Daniel Picotin. - Mon approche est celle d'un praticien confronté à un problème juridique précis et à des drames humains. Si changement il y a, il viendra du terrain et des parlementaires, davantage que du Gouvernement.

Audition de MM. Serge LEMAÎTRE, en charge de l'offre de services, et Fabien BELTRAME, responsable du département Orientation professionnelle et formation de Pôle emploi (mardi 12 février 2013)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui les représentants de Pôle emploi :

- M. Serge Lemaître, en charge de l'offre de services ;

- M. Fabien Beltrame, responsable du département Orientation professionnelle et formation.

Cette réunion n'est ouverte ni au public ni à la presse ; son compte rendu sera publié avec le rapport.

Je rappelle à l'attention des personnes auditionnées que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, qui est donc notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes auditionnées de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Messieurs Serge Lemaître et Fabien Beltrame, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les deux personnes se lèvent et prêtent serment.

M. Alain Milon , président. - Je donne la parole à MM. Lemaître et Beltrame pour un rapide exposé introductif ; puis M. Jacques Mézard, rapporteur, ainsi que les membres de la commission d'enquête interviendront ensuite pour poser des questions.

M. Serge Lemaître. - Je souhaitais, en introduction, rappeler les éléments de cadrage de l'intervention de Pôle emploi concernant la formation professionnelle des demandeurs d'emploi, pour insister sur deux points principaux.

Le rôle principal joué par Pôle emploi dans la formation professionnelle concerne la prescription de ces formations. Dans la relation quotidienne que nous avons avec les demandeurs d'emploi, les conseillers de Pôle emploi sont amenés à travailler sur leur projet professionnel.

A ce titre, et selon les besoins du marché du travail et du demandeur d'emploi, on peut, dans le cadre de ces entretiens, être amené à travailler sur une évolution du profil et du projet professionnel du demandeur d'emploi. On recherche avec lui à adapter son profil professionnel afin qu'il soit mieux armé sur le marché du travail. Ceci passe, dans un certain nombre de situations, par de la formation professionnelle.

Deux grands types de situations peuvent se présenter aux conseillers de Pôle emploi. Dans le premier cas, les offres des entreprises ne correspondent pas au profil des demandeurs d'emploi. Nous disposons alors d'outils permettant, à travers des formations, d'adapter le profil du demandeur d'emploi à l'entreprise. Nous allons donc mettre en oeuvre une formation professionnelle dans le cadre d'actions de formation préalable au recrutement (AFPR) ou de préparations opérationnelles à l'emploi (POE), afin d'adapter le demandeur d'emploi à l'offre d'emploi et lui permettre d'être embauché par l'entreprise. Nous avons ainsi financé en 2012 environ 50 000 formations de ce type.

La seconde situation - la plus fréquente - est celle où, de manière générale, le profil du demandeur d'emploi n'est plus adapté au marché du travail. Dans ce cas, on va chercher à élargir ses compétences en travaillant sur son projet professionnel, afin de l'adapter à des domaines ou à des métiers correspondant mieux aux besoins.

Le conseiller qui va travailler avec le demandeur d'emploi sur un projet de formation va généralement lui proposer des formations conventionnées, financées par le conseil régional, l'Etat, Pôle emploi, ou les OPCA. Ces formations ouvrent également droit à rémunération.

C'est là le principal rôle de Pôle emploi en tant que prescripteur de formation.

Pôle emploi, depuis 2009, achète également trois types de formations. Le premier type d'achat se fait à travers les AFPR et les POE ; le second, le plus important, concerne des achats de formations collectives, sur le même mode que les conseils régionaux. Nous achetons environ 60 000 places de formation par an, pour une durée de 400 à 650 heures en moyenne. Ces achats se font en collaboration avec les conseils régionaux, en complément de leurs offres de formation, dans le cadre de marchés.

Sans doute le paysage va-t-il évoluer avec l'acte III de la décentralisation. Demain, Pôle emploi n'achètera plus de formations collectives de ce type, les conseils régionaux prenant en charge l'ensemble de ces achats.

Lorsque le conseiller de Pôle emploi ne trouve pas de formation conventionnée, il s'oriente vers d'autres organismes pour répondre, à travers un financement individuel, à un besoin précis du demandeur d'emploi. Nous avons ainsi financé, l'an passé, environ 50 000 aides individuelles de formation (AIF).

Bien entendu, les dérives sectaires sont pour nous un sujet important, mais je voudrais attirer votre attention sur le fait que le sujet qui pose le plus de problèmes à Pôle emploi dans le domaine des dérives sectaires est celui des offres d'emploi (plutôt que celui des formations). Les entreprises nous confient plus de 3,5 millions d'offres de recrutement par an et il nous faut demeurer très vigilants. Nous le sommes également en matière d'offres d'emploi, le risque étant en effet plus important, compte tenu des volumes et de la nature des contrôles exercés. Les conseillers de Pôle emploi sont mobilisés et restent vigilants dans ce domaine.

Il est très facile de créer une entreprise et de contacter Pôle emploi pour déposer des offres ; on peut le faire par Internet et l'offre peut être publiée très vite. C'est pour nous un risque très important.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - En matière d'offres d'emploi, quelles sont les difficultés que vous avez relevées et les risques que vous avez pu constater ?

M. Serge Lemaître. - D'une manière générale, certains employeurs peu scrupuleux proposent aux demandeurs d'emploi d'investir et tentent de leur vendre du matériel...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Pouvez-vous être plus précis ? Notre commission d'enquête porte sur les dérives sectaires dans le domaine de la santé. Qu'avez-vous pu constater à ce sujet ?

M. Serge Lemaître. - Ces deux dernières années, aucune offre d'emploi n'a été identifiée comme relevant d'une dérive sectaire mais nous sommes particulièrement vigilants dans ce domaine.

Les guides de la Miviludes ou les outils d'analyse dont nous disposons sont là pour repérer ce type d'offres d'emploi mais notre vigilance s'exerce autant dans le domaine des offres d'emploi que dans celui des offres de formation...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Le répertoire opérationnel des métiers et des emplois (Rome), créé par l'ANPE, sert de référentiel aux organismes de formation afin d'apprécier les activités entrant dans le champ de la formation.

La fiche emploi-métier K11-03, intitulée « Développement personnel et bien-être de la personne » comporte de nombreux métiers à la source de certaines dérives à caractère sectaire et qui posent problème en termes de santé. Cette fiche emploi-métier propose même « des modalités d'accompagnement et d'intervention en vue d'une prise en charge médicale ». Disposez-vous d'une cellule de veille ?

Cette fiche emploi-métier recense des métiers de conseiller ou de conseillère en naturopathie, d'intervenant en iridologie, auriculothérapie, bioénergie, kinésiologie, médecine chinoise, réflexologie plantaire, étiopathie, praticien en reiki ou en Shiatsu. Exercez-vous une veille particulière sur la bioénergie et la naturopathie ? Comment en êtes-vous arrivé à les faire figurer dans vos fiches emploi-métier ?

M. Serge Lemaître. - Ce n'est pas le Rome qui sert à identifier les offres de formation ! Ce répertoire de Pôle emploi est notre nomenclature d'identification des métiers pour les offres d'emploi.

C'est un référentiel où sont classées les offres déposées par les entreprises, ainsi que les profils des demandeurs d'emploi. Ce n'est en aucun cas le répertoire sur lequel nous nous appuyons pour référencer les offres de formation. Le répertoire utilisé par les organismes de formation et par les professionnels est le Formacode, qui n'est pas la propriété de Pôle emploi. C'est un répertoire commun à tous les acteurs de la formation professionnelle destiné à référencer les formations. Il n'y a donc pas de lien entre le Rome de Pôle emploi et le Formacode. Ce sont deux choses différentes.

Le Rome est un outil « vivant », élaboré par l'ANPE, que l'on utilise depuis maintenant quinze ou vingt ans. Il sert à classer les demandeurs d'emploi et les entreprises et à faire le rapprochement entre l'offre et la demande. Cet outil évolue, de nouveaux métiers apparaissent. Les fiches emploi-métier que vous avez évoquées sont travaillées avec les syndicats et les branches professionnelles. C'est avec eux que l'on élabore l'ensemble des fiches emploi-métier qui constituent le Rome. Il en existe 531, qui font régulièrement l'objet de demandes d'évolutions, soit de la part des professionnels, soit de la part de notre réseau, qui fait état de nouveaux métiers.

Avant qu'un nouveau métier ne soit identifié, il s'écoule plusieurs mois. On compte peu d'évolutions, mais il en existe parfois en matière d'appellations.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Avez-vous des contacts avec les représentants professionnels des secteurs d'activité que j'ai cités tout à l'heure ?

M. Serge Lemaître. - Nous travaillons avec les syndicats représentatifs, lorsqu'ils existent...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Ma question est précise : avez-vous eu des relations avec ce que vous appelez les syndicats professionnels représentant la naturopathie, l'auriculothérapie, la bioénergie, la kinésiologie, l'iridologie, le reiki, l'étiopathie, le Shiatsu ?

M. Serge Lemaître. - Je ne sais vous répondre sur ce point précis. Je n'ai pas amené d'éléments sur le Rome. Je ne pensais pas que nous serions interrogés sur ce sujet. Je vous ferai très rapidement parvenir les précisions que vous demandez.

Quand il n'existe pas de syndicat ou d'organisme représentatifs, nous travaillons avec les entreprises du secteur, avec lesquelles nous bâtissons les fiches emploi-métier que vous avez devant vous.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Je souhaiterais que vous nous disiez s'il y a eu ou non une concertation avec les « représentants » des intervenants de ces secteurs !

M. Serge Lemaître. - La fiche emploi-métier à laquelle vous faites référence est large et comporte un certain nombre d'appellations. Je ne suis pas aujourd'hui capable de vous dire avec quels organismes nous avons travaillé pour l'élaborer, mais je vous apporterai la réponse très rapidement...

M. Alain Milon , président. - Cette fiche emploi-métier traite par exemple de développement des ressources personnelles et de coaching et précise que ce métier est accessible sans diplôme particulier. Vous rapprochez des professionnels des demandeurs d'emploi qui n'ont pas de diplômes et qui vont ensuite avoir une action de santé sur la population. Il faut supprimer les facultés de médecine : elles ne servent plus à rien !

M. Serge Lemaître. - Les éléments d'information de cette fiche emploi-métier correspondent à ce qui existe aujourd'hui. On peut légiférer pour interdire ce métier mais, s'il existe, comment Pôle emploi peut-il refuser de le proposer ? D'autres professions recherchent des employés travaillant tard le soir. C'est un métier déclaré ! Sur quelle base Pôle emploi pourrait-il refuser à un employeur identifié, déclaré au registre du commerce, de recruter du personnel, sauf si ce métier est interdit ?

Le contenu de la fiche emploi-métier a été construit avec les professionnels du secteur. Si ce métier comporte des règles précises d'exercice, on les retrouve dans la fiche emploi-métier...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Certains conseillers peuvent diriger nos concitoyens vers ces formations...

M. Serge Lemaître. - Non, nous parlons là d'emplois ! C'est le Formacode qui classe les offres de formation. Le Formacode n'est pas de la responsabilité de Pôle emploi mais du Centre Inffo ; il est partagé par tous les acteurs de la formation - conseil régional, Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP)...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Il y a peu, sous serment, l'Office professionnel de qualification des organismes de formation (OPQF) nous a déclaré que la qualification des organismes de formation se fait sur la base du Rome. C'est pourquoi il n'est pas absurde que l'on vous pose la question !

M. Serge Lemaître. - Sous serment, j'affirme que le Rome est le répertoire des métiers et des emplois servant à Pôle emploi à référencer les offres et les demandeurs d'emploi, et que l'outil de référencement de l'offre de formation est le Formacode ! Il existe un numéro de Formacode qui correspond à une nomenclature Formacode, même s'il y a bien une passerelle entre le Formacode et le Rome !

Mme Catherine Génisson . - On comprend bien que le Formacode définit des formations à partir de métiers existant qui figurent dans le Rome. Je ne vois pas pourquoi l'on formerait à des métiers qui n'existent pas ! Un lien existe donc forcément entre la structure formatrice et le métier considéré, cela me semble évident mais qui a la responsabilité de valider la liste du Formacode ?

Par ailleurs, de quelle caution disposez-vous pour faire réaliser une fiche emploi-métier mettant en évidence l'exercice d'un métier ?

M. Serge Lemaître. - Dans le Formacode, toutes les formations ne correspondent pas à un métier. Un certain nombre de Formacode ne pointent pas les métiers. Le Formacode vit en dehors du Rome. Il y a là une ambiguïté et je ne veux pas qu'il subsiste de confusion. Il existe une table de correspondance qui nous aide à travailler mais le Formacode est un outil indépendant, réalisé sous la responsabilité non de Pôle emploi, mais du Centre Inffo, qui en a la responsabilité.

Mme Catherine Génisson . - Pôle emploi offre aussi des emplois...

M. Serge Lemaître. - Oui...

Mme Catherine Génisson . - Il recourt pour ce faire à la liste Rome...

M. Serge Lemaître. - Oui...

Mme Catherine Génisson . - Vous nous avez dit que vous rencontriez des entreprises et des syndicats pour établir ces fiches emploi-métier. Je ne sais s'il existe beaucoup d'entreprises ou de syndiqués en matière de naturopathie ou autres...

M. Serge Lemaître. - Il existe deux sources principales d'évolution de notre répertoire. Nous pouvons soit être saisis par des branches professionnelles, soit par nos conseillers, qui peuvent se trouver confrontés à de nouvelles demandes pour lesquelles ils ne retrouvent rien dans le répertoire existant. Il est rare que l'on crée de nouvelles fiches emploi-métier. Le Rome a été entièrement revu il y a trois ans. Il s'agit plutôt d'évolutions de fiches emploi-métier existantes, d'ajouts de nouvelles appellations ou de nouvelles spécificités plutôt que de créations de fiches emploi-métier.

Les métiers évoluant dans beaucoup de domaines, comme dans l'informatique, nous sommes donc amenés à faire évoluer notre répertoire.

Mme Catherine Génisson . - Les pouvoirs publics n'interviennent-ils pas ?

M. Serge Lemaître. - Si. Notre répertoire compte énormément de contributeurs. C'est pourquoi il fait référence en France et à l'étranger. Nous l'exportons même dans un certain nombre de pays européens et sommes en concurrence avec un répertoire anglo-saxon.

Je me propose de vous faire parvenir dès demain une note de présentation sur les fiches emploi-métier, la liste des acteurs permanents et la façon dont la fiche emploi-métier que vous avez citée a été élaborée, en quelle année et à quand remonte sa dernière modification...

Mme Catherine Deroche . - Vous nous avez dit que les conseillers de Pôle emploi étaient formés à demeurer vigilants en matière d'offres d'emploi, afin d'établir une sorte de veille concernant les dérives sectaires. Dans les deux années passées, vous affirmez ne pas avoir eu de problèmes particuliers. Or, les offres d'emploi sont forcément comparables à celles qui existent dans le Rome. Pourquoi n'existe-t-il pas la même vigilance en matière d'offres d'emploi et de Rome ? N'y a-t-il pas là une sorte d'incohérence ! Certes, ces métiers ne sont pas illégaux, mais il s'agit de termes auxquels la Miviludes porte un certain intérêt. Comment votre vigilance peut-elle s'exercer ?

Par ailleurs, on sait que Pôle emploi adapte maintenant le profil du candidat aux offres existantes plutôt que de répondre aux demandes de formation à des tâches qui n'existeraient pas. Comment répondez-vous aux demandes de formation individuelle qui ne figurent pas forcément dans vos offres collectives ou parmi celles que vous achetez, lorsqu'elles émanent de personnes qui souhaitent se former à ces métiers quelque peu « à la frontière » ?

M. Serge Lemaître. - Pour la fiche emploi-métier à laquelle vous vous référez, nous avons enregistré, en 2012, 150 offres d'emploi sur 3,2 millions.

Indépendamment de la façon dont est rédigée cette fiche emploi-métier, le conseiller va vérifier, quelle que soit l'offre, l'existence de l'entreprise à travers les éléments dont nous disposons dans notre système d'information : s'agit-il d'une entreprise ? Existe-t-elle ? Bénéficie-t-elle d'un numéro de système d'identification du répertoire des établissements (Siret), d'un chiffre d'affaires ? Est-elle à jour de ses cotisations ?

Pour un certain nombre de métiers, le conseiller est plus vigilant, et appréhende l'honnêteté de l'offre à travers la façon dont elle est rédigée, les exigences de l'employeur, sa correspondance avec l'emploi-métier considéré, les conditions de travail, le salaire... Dès qu'il y a suspicion, l'offre est retirée ou n'est pas prise.

S'il y a ensuite des difficultés - ce qui peut arriver pour n'importe quel type d'offre - les demandeurs reviennent vers nous et nous suspendons alors l'offre, arrêtons d'y envoyer des candidats, prenons contact avec l'entreprise ou nous déplaçons pour vérifier l'exactitude de l'exercice du métier et chercher plus précisément des éléments permettant de vérifier qu'il existe un véritable besoin d'emploi.

C'est ce travail qui est réalisé par les conseillers de Pôle emploi, quels que soient les types d'offres, avec une acuité particulière dans certains domaines.

Mme Gisèle Printz . - Je ne comprends pas que vous ayez ces offres d'emploi et ces formations dans votre fiche Rome. Qui vous les a proposées ? Toutes ces propositions sont plutôt d'ordre sectaire : sophrologie, reiki...

M. Serge Lemaître. - Il faut les interdire !

Mme Gisèle Printz . - C'est vous qui les proposez !

M. Serge Lemaître. - Ce sont des emplois légaux !

Mme Catherine Génisson . - Comment peuvent-ils être légaux ?

M. Alain Milon , président. - Ils ne sont pas interdits !

M. Serge Lemaître. - Ce n'est pas le répertoire des métiers qui fait la loi. S'il existe des domaines dans lesquels on ne doit pas exercer une activité, on nous le dira et nous retirerons l'activité. Le Rome comporte des métiers comme stripteaseuse !

M. Yannick Vaugrenard . - Il existe manifestement une faille. Cela ne veut pas dire qu'elle est de votre responsabilité. Nous essayons d'y voir clair. Nous connaissons une situation économique particulière, avec près de 3 millions de chômeurs ; l'offre de formation doit donc être en adéquation avec les demandes d'emploi. Or, je ne suis pas persuadé que la formation à l'auriculothérapie, par exemple, soit en adéquation avec la demande économique et l'offre d'emploi ! C'est là que se situe la faille. D'où vient-elle ? A quel moment ceci a-t-il été permis ?

Les fiches emploi-métier proposent des formations spécifiques en médecines naturelles mais aussi alternatives. Ces médecines alternatives ont-elles été scientifiquement reconnues ou non ? C'est ce qui justifie notre interrogation sur les dérives sectaires qui peuvent entrer dans ce type de formations.

D'après la fiche, l'inscription sur des listes professionnelles « peut » être requise selon la spécialité, alors qu'elle « devrait » l'être ! Où faut-il « taper » pour éviter de telles dérives ? J'ai bien compris que Pôle emploi n'est pas forcément responsable de cette situation ; néanmoins, ne considérez-vous pas qu'il existe un devoir de vigilance, comme pour les offres d'emploi ? Ne serait-il pas nécessaire, selon vous, pour l'auriculothérapie, de systématiser les contacts avec la Miviludes avant de proposer ce type d'offre ?

M. Serge Lemaître. - Parle-t-on d'emploi ou de formation ? Ce n'est pas la même chose ! Le président de la Miviludes est venu devant l'ensemble des directeurs régionaux, à l'invitation de M. Christian Charpy, notre directeur général, il y a un an et demi pour présenter cet organisme, ses actions, et mettre des livrets d'information à la disposition de Pôle emploi.

Un conseiller peut fort bien prendre contact avec cet organisme s'il éprouve un doute. On peut également appeler la Dirrecte ou l'inspection du travail. On ne recourt toutefois pas systématiquement à ces solutions. Il faut dire que les volumes d'offres sont très faibles dans le domaine qui vous intéresse : 150 offres sur 3,2 millions sur un an. Seul un conseiller sur 500 a peut-être eu une fois affaire à une offre d'emploi de ce type.

Ce recours pourrait en effet être systématisé ; aujourd'hui, ce n'est le cas qu'en cas de doute.

Mme Catherine Génisson . - Comment les métiers sont-ils validés ? L'auriculothérapie est, de ce point de vue, un exemple intéressant. On l'utilise beaucoup pour essayer d'arrêter de fumer.

Comment statue-t-on sur l'existence d'un métier ?

M. Serge Lemaître. - C'est la demande qui conduit à modifier le Rome. Quand certains métiers évoluent, que des besoins sont exprimés et qu'on ne peut les identifier grâce à notre répertoire, nous intervenons sur le Rome. Des travaux sont menés par nos équipes pour savoir si tel métier est licite ou non, si sa mise en oeuvre est autorisée ; si c'est le cas, nous définissons alors les caractéristiques de ce métier.

Mme Catherine Génisson . - Quels sont les éléments d'appréciation de la légalité ?

M. Serge Lemaître. - Nous nous référons à des textes existants qui légifèrent sur tel ou tel métier. Nous nous appuyons sur plusieurs dispositifs...

M. Yannick Vaugrenard . - Dès lors qu'ils ne sont pas interdits, ils sont autorisés...

M. Serge Lemaître. - Il faut également qu'il y ait une réalité derrière ce métier. Figurer dans la fiche emploi-métier prend quelques mois.

Nous avons énormément de demandes d'entreprises qui désirent faire évoluer les fiches emploi-métier, dans lesquelles il peut manquer telle ou telle appellation.

M. Alain Milon , président. - On pourrait considérer qu'il n'existe pas suffisamment de relations entre les différents services de l'Etat, ni entre la Miviludes et Pôle emploi. La Miviludes produit des rapports qui démontrent que certains métiers ont des liens avec des risques de dérives sectaires...

Vous avez répondu par écrit à l'un des points du questionnaire que nous vous avons adressé que « Pôle emploi contribue aux enquêtes des inspecteurs du travail lorsque ces derniers sont interpellés sur des cas de dérives sectaires des organismes de formation. Ainsi par exemple, courant novembre 2012, Pôle emploi a fourni des informations sur la présence ou non d'un organisme de formation suspecté de dérives sectaires dans les bases de données des achats de Pôle emploi. Cet organisme est identifié par son Siret et le nom de son représentant n'a pas été trouvé sur les bases de Pôle emploi ». De quel organisme s'agit-il ?

M. Serge Lemaître. - L'alerte de l'inspection du travail était en fait infondée. L'organisme ne figurait pas dans les bases de Pôle emploi.

M. Alain Milon , président. - Nous sommes inquiets car, en consultant le portail de la liste publique des organismes de formation, nous avons trouvé un organisme de formation, sous le code 336, proposant 370 stagiaires et 129 476 heures de formation de coiffure, esthétique et autres spécialités de services à la personne.

Cet organisme est le Collège européen de naturopathie traditionnelle holistique (Cenatho). Il ne faudrait pas que cet organisme parvienne à trouver de l'argent dans le cadre de la formation. Nous le recevons d'ailleurs la semaine prochaine...

M. Serge Lemaître. - Rassurez-moi : financerions-nous cet organisme ?

M. Alain Milon , président. - Il figure sur le portail officiel de la liste publique des formations...

M. Serge Lemaître. - Mais ont-ils une relation avec Pôle emploi ?

M. Alain Milon , président. - Si cet organisme parvient à obtenir un financement, il pourra ensuite passer par Pôle emploi pour former des stagiaires !

M. Serge Lemaître. - Cela signifie qu'un financeur aura agréé ces formations !

M. Alain Milon , président. - Fermerez-vous les yeux pour autant ?

M. Serge Lemaître. - Non. En matière de formation, notre exigence est la même qu'en matière d'emploi mais, lorsqu'un organisme est conventionné par les conseils régionaux, nous considérons que les financeurs ont déjà mené un travail de vérification.

Notre cahier des charges, dans le domaine de la formation, est très précis : nous demandons les curriculum vitae des intervenants, l'ancienneté de l'organisme, son chiffre d'affaires. Nous imaginons que les autres commanditaires - en particulier les conseils régionaux qui, demain, seront les principaux financeurs - ont les mêmes exigences !

Je puis vous transmettre nos cahiers des charges. Nous écartons certains organismes sur des critères administratifs.

M. Alain Milon , président . - Je vous remercie pour ces informations.

Audition de M. Eric BOUZOU, du Centre d'information et de conseil des nouvelles spiritualités (CICNS) (mardi 19 février 2013)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Eric Bouzou, qui représente le Centre d'information et de conseil des nouvelles spiritualités (CICNS).

Notre réunion d'aujourd'hui n'est pas ouverte au public ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Monsieur Bouzou, me confirmez-vous que vous avez donné votre accord pour que cette audition fasse l'objet d'une captation vidéo, et pour que cet enregistrement soit éventuellement par la suite accessible sur le site du Sénat ?

M. Eric Bouzou. - Oui.

M. Alain Milon , président. - Je précise à l'attention de M. Eric Bouzou que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, qui est notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Eric Bouzou de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Bouzou, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Eric Bouzou. - Je le jure.

M. Alain Milon , président. - Monsieur Bouzou, ainsi que vous en avez été informé, notre audition est prévue pour durer 45 minutes. Je vous invite donc à prononcer un court exposé introductif, puis mon collègue Jacques Mézard et les sénateurs membres de la commission vous poseront quelques questions.

Monsieur Bouzou, vous avez la parole...

M. Eric Bouzou. - Le CICNS, que je représente, remercie les sénateurs de la commission pour leur invitation à témoigner dans le cadre de cette enquête.

Le CICNS est une association qui a huit ans d'existence et qui a reçu le statut consultatif spécial auprès de l'Organisation des nations unies (Onu). L'objet de l'association est d'équilibrer le débat sur la question des mouvements alternatifs à vocation spirituelle, éducative ou thérapeutique, amalgamés aujourd'hui sous le terme très péjoratif de « sectes » ou de « mouvements sectaires ».

Nous n'avons pas vocation à porter des appréciations positives ou négatives sur tel ou tel mouvement ou pratique, car ces appréciations nécessiteraient une expertise pointue, que nous appelons de nos voeux, mais qui n'existe pas à ce jour.

Cependant, nous analysons le contexte politique, médiatique et sociétal dans lequel se développent ces mouvements. Notre constat est que la lutte, d'abord « contre les sectes », puis prétendument « contre les dérives sectaires », a rendu ce contexte extrêmement délétère, en contradiction flagrante avec les objectifs fondateurs de la laïcité, empêchant une analyse sereine et équilibrée des situations. Selon nous, il existe une discrimination de fait à l'encontre de ces groupes et pratiques.

Concernant d'éventuels délits commis dans ces groupes, que ce soit dans le domaine thérapeutique ou dans d'autres, notre position est claire. Comme dans tout groupe humain, des personnes peuvent déraper et dériver. Le traitement de ces dérives ne peut se fonder que sur - je cite Claude Guéant, alors ministre de l'intérieur - « des éléments concrets, des faits avérés et pénalement répréhensibles ». Notre position est donc conforme à celle régulièrement énoncée par le ministère de l'intérieur.

Combien d'infractions, délits ou crimes, notamment en comparant ces chiffres aux autres secteurs de la société pour déterminer si ces groupes, ces pratiques, sont des foyers particuliers de délinquance ? Il n'y a aucune réponse à cette question, car aucune étude statistique sérieuse n'a été réalisée sur le sujet, à notre connaissance, en trente années de lutte contre les sectes et justifiant le dispositif antisectes français, qui est impressionnant et unique au monde.

J'en viens maintenant à décrire avec quelques détails les points critiques que nous portons sur la politique de lutte contre les dérives sectaires ciblant en particulier les thérapies non conventionnelles.

Il existe une ambiguïté récurrente dans l'affirmation que la France serait passée à une lutte contre les dérives sectaires, alors que tous les groupes visés sont qualifiés de sectes, terme aujourd'hui extrêmement négatif et insultant. Les citations des personnels politiques illustrant que la France semble toujours lutter contre les sectes sont nombreuses.

Il nous paraît difficile de mener une réflexion publique saine en désignant des groupes et des personnes avec des termes négatifs. Ceux qui ne seraient pas convaincus de la nocivité de ces termes peuvent constater leur utilisation régulière, avec succès, jusque dans le monde politique, pour discréditer un opposant.

La notion de « dérive sectaire » est, à travers les critères dits de dérive sectaire, une notion très floue qui permet d'épingler n'importe quel groupe de façon arbitraire si ce groupe dérange ; nous soupçonnons d'ailleurs que c'était peut-être là l'objectif plus ou moins conscient de ces critères pour certains. Quant à la nouvelle définition diffusée sur le site de la Miviludes, elle utilise des notions pseudo-scientifiques, comme la « perte de libre arbitre », qui nous paraissent inappropriées.

Aujourd'hui nous constatons que les thérapeutes des pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique (PNCVT) sont de plus en plus nombreux à être poursuivis dans le cadre de la lutte contre les dérives sectaires, très souvent pour des raisons discutables - comme par exemple la plainte d'un conjoint d'un membre du groupe en cas de divorce - et qu'ils ne comprennent pas ce qu'on peut leur reprocher ; ils sont d'une certaine manière sous le choc des accusations portées contre eux à partir de préjugés et d'amalgames et isolés dans leurs questionnements.

Pour nous, en tant qu'observateurs, il ne fait guère de doute que, passée la période de choc, ces citoyens finiront par exprimer à leur manière que cela suffit, que leurs libertés fondamentales ne sont pas respectées, ni celles des patients qui ont trouvé dans ce qu'ils proposent un réconfort ou un soin adapté et que la science ad hoc fait un travail insuffisant d'évaluation de ces propositions, lui préférant souvent une disqualification automatique. Cette réaction nous semble une conséquence possible d'une lutte contre les dérives sectaires tous azimuts qui manque de discernement.

La manipulation mentale, pratique régulièrement attribuée aux sectes et notamment aux thérapeutes alternatifs, avec ses corollaires de perte de libre arbitre et de vice du consentement, est une notion pseudo-scientifique, rejetée par la majorité des chercheurs sérieux. Elle met en péril un élément fondamental des relations interpersonnelles, comme l'a rappelé le Pr Patrice Rolland : « Le principe, dans des rapports de droit privé ou en droit des libertés, est que la valeur du consentement de l'adulte ne peut être écartée que pour des raisons exceptionnelles ».

La loi About-Picard, qui est la traduction juridique de la notion de manipulation mentale, est un échec à la fois législatif et juridique, mais elle est régulièrement invoquée dans les affaires dites de « sectes ».

Nous n'avons décelé aucune méthodologie d'étude et d'analyse convaincante dans les propos de la Miviludes. Nous peinons à déceler une démarche de connaissance dans la mesure où les instituts de recherche, notamment sociologiques, ne sont pas ou peu utilisés. Nous n'avons trouvé dans les documents publiés aucune référence d'études sérieuses qui viendrait étayer les dires de la mission. Nos commentaires détaillés de la plupart des documents fournis par la Miviludes l'illustrent amplement.

D'une manière générale, tout organisme comme la Miviludes, ayant pour mission exclusive d'observer des dérives sectaires chez d'autres groupes ou personnes génère une rumeur, un soupçon a priori et donc non justifié sur les groupes évalués.

En trente années de lutte contre les sectes, nous constatons que toutes les pratiques alternatives spirituelles, éducatives et thérapeutiques ont été entachées par amalgame, par la rumeur, d'être des sectes, par un soupçon de dangerosité, dans les différents documents officiels produits : un soupçon généré hors du cadre préconisé par le ministère de l'intérieur, que nous avons rappelé. La thèse du fléau social, non étayée, que constitueraient ces pratiques repose uniquement sur ce climat de peur.

Des chiffres anxiogènes mais sans réel fondement sont régulièrement médiatisés. L'audition devant vous de M. Fenech en donne un exemple. Depuis la commission d'enquête sur le thème « l'enfance volée », en 2006, circule de façon répétée et dans tous les médias l'information selon laquelle 60 000 enfants sont en danger dans les sectes. Or, qu'a concédé M. Fenech devant votre commission ? Je le cite : « Je suis incapable de vous dire combien précisément il y a d'enfants concernés par le phénomène. Je n'ai pas d'éléments statistiques » .

Nous trouvons très préoccupante la demande d'immunité des membres de la Miviludes, surtout lorsqu'on constate une décision de justice récente à l'encontre de l'ancien président de la Miviludes, même en considérant que cette condamnation n'est pas définitive.

Après la loi d'immunité pour les témoins de commissions d'enquête parlementaires, une telle loi ressemblerait, selon nous, à une forme d'entrave à l'accès au processus juridique pour de nombreux citoyens appartenant aux groupes ciblés. Rappelons que la France est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour des procès non équitables et, encore récemment, pour violation de l'article 9 sur la liberté religieuse.

Nous regrettons que la France choisisse l'isolement là où la plupart des pays d'Europe occidentale ont une approche pragmatique et tolérante - Suède, Italie, Espagne, Royaume-Uni, Suisse. La France est en retard sur un plan législatif par rapport à ces pays concernant les PNCVT.

Il est inconvenant d'imaginer que les autorités de ces pays, faisant face aux mêmes questions, choisiraient de moins protéger leurs citoyens contre d'éventuels dangers.

Que proposons-nous ? Trois actions...

Il convient tout d'abord de mettre en place un Observatoire des mouvements alternatifs à vocation spirituelle, éducative ou thérapeutique, compétent et indépendant, financé par l'Etat et reconnu comme organe de référence sur le sujet. Compétent signifie qu'il y aurait toutes les expertises nécessaires et avis contradictoires à la table de discussion - par exemple, s'agissant des minorités spirituelles, l'organisme Inform au Royaume-Uni. Indépendant signifie qu'il faut sortir d'une vision exclusivement négative du phénomène d'émergence de ces groupes minoritaires, en s'éloignant de la sphère du Gouvernement, trop soumise aux pressions événementielles et médiatiques.

A ce titre, le Groupe d'appui technique (GAT) sur les PNCVT au ministère de la santé a-t-il l'indépendance et l'expertise pluridisciplinaire nécessaires ? Réunit-il autour de la table tous les avis contradictoires ? La question reste pour l'instant entière et sans réponse en ce qui nous concerne.

Il faut en second lieu s'écarter, autant que faire se peut, de la rhétorique antisectes, qui est devenue injurieuse et blessante pour des centaines de milliers de personnes respectueuses de la loi.

Enfin, il faut s'en tenir aux préconisations du ministère de l'intérieur dans le traitement des dérives - que nous ne qualifions pas de « sectaires », car pour nous, ce terme est biaisé et ne sert qu'à isoler du reste de la population une partie des citoyens - et abroger la loi About-Picard. Le délit de manipulation mentale, rebaptisée « sujétion psychologique », reste non défini. Le Conseil de l'Europe avait d'ailleurs invité la France à revoir cette loi.

M. Alain Milon , président. - La parole est au rapporteur...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Nous vous avons entendu avec intérêt. Vous avez parlé de mouvements alternatifs, mais alternatifs à quoi ?

M. Eric Bouzou. - Par exemple, dans le domaine de la santé, des mouvements à vocation thérapeutique, ce qu'on appelle aujourd'hui les PNCVT, terme un peu large...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Que signifie dans votre esprit le mot « alternatif » ? Y aurait-il une vérité d'un côté et non de l'autre ?

M. Eric Bouzou. - Ce n'est pas une question de vérité, mais plutôt d'approche différente dans le domaine thérapeutique, qui nous semble mériter un traitement hors du contexte de la lutte contre les dérives sectaires.

Nous pensons que le contexte de la lutte contre les dérives sectaires est aujourd'hui une sorte de machine à fabriquer du soupçon et de la peur vis-à-vis de toutes ces pratiques. Ce n'est pas dans ce contexte que l'on peut faire une évaluation correcte.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Il ne vous a pas échappé que notre mission vise les dérives sectaires dans le domaine de la santé, notre but n'étant pas - loin de là - d'empêcher nos concitoyens d'avoir leur liberté de conscience et d'expression, mais d'éviter que certaines pratiques mettent en danger leur santé, ce qui est différent !

Critiquez-vous le système de soins classique ?

M. Eric Bouzou. - Comme je l'ai précisé, nous ne donnons pas d'avis sur l'aspect médical ou sur l'aspect thérapeutique, mais regardons le contexte dans lequel l'étude de ces pratiques est menée. Nous pensons que le fait d'inclure l'étude de ces pratiques dans la nébuleuse des « dérives sectaires » n'est pas une bonne façon de les évaluer.

Nous ne sommes pas contre une évaluation. C'est pourquoi nous proposons d'ailleurs un observatoire où obtenir une information. Aujourd'hui, nous ne pensons pas que la Miviludes fournisse une information sur ces pratiques. Elle n'en a pas les moyens !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous semblez opposer le système classique de soins, ce que l'on appelle la « médecine », à ces pratiques alternatives...

M. Eric Bouzou. - Nous ne les opposons pas dans le sens thérapeutique du terme, nous considérons que la médecine conventionnelle a ses avantages et ses inconvénients. On en entend beaucoup parler en ce moment. Il en va certainement de même dans le cas des pratiques thérapeutiques alternatives, mais ce n'est pas dans le contexte d'une lutte contre les dérives sectaires que l'on pourra en faire une analyse sereine. C'est notre point de vue.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Que pensez-vous de la biologie totale ?

M. Eric Bouzou. - Je ferai une réponse équivalente à la précédente. La question pour nous n'est pas de donner un avis sur l'efficacité ou la nocivité d'une pratique donnée. Nous constatons que le fait d'inclure l'analyse de ces pratiques dans les dérives sectaires n'est pas un contexte serein pour l'évaluation de ces pratiques.

Je peux vous fournir des exemples de personnes qui subissent des assauts policiers ou qui sont inquiétées par les pouvoirs publics sur la base de ces dérives sectaires, sans que l'on en comprenne vraiment les raisons.

La Miviludes a ainsi investi un monastère oecuménique et un centre d'accompagnement thérapeutique, le 13 octobre 2009. Je vous livre les réflexions qui ont été envoyées au préfet par certains membres de ce monastère : « Avec le recul, un sentiment d'avoir été pris à la gorge, d'avoir été abusés, demeure. Nous avons assisté, médusés et impuissants, à cette intrusion ahurissante. Nous ressentons un tel procédé comme un viol, tant cette descente de la Miviludes fut brutale. Nous étions abasourdis que de tels procédés soient de mise au nom de la Miviludes. Nous avons subi le feu ininterrompu de questions, auxquelles nous nous sommes attachés à répondre, sur la qualité alléguée par M. Fenech et nous avons été particulièrement choqués par les insinuations sectaires qu'il a proférées, nous coupant la parole à tout instant. Nos réponses n'ont pas reçu le moindre crédit : nous étions jugés et condamnés d'avance ».

Un assaut policier a été donné contre un centre de biodynamisme, le 22 février 2011, sur la base de soupçons évasifs d'activités potentiellement sectaires. Je cite Hervé Machi : « La créatrice du centre semblait exercer une emprise mentale sur les stagiaires, avec rupture familiale et professionnelle » . Sur cette simple base, le centre a été investi par soixante-dix gendarmes. Quatre personnes ont été mises en garde à vue et ne pouvaient plus se contacter. Je vous invite à entendre ces témoignages sur notre site internet !

C'est en cela que la lutte contre les dérives ne constitue pas un contexte serein pour évaluer ces pratiques. Un exemple de mail que l'on reçoit assez régulièrement : « Je me permets de vous écrire pour vous demander un conseil. Mon fils se sépare de sa copine. Elle ne veut pas qu'il voie son enfant et joue sur moi, sa mère, pour dire que je suis dans une secte parce que je vais de temps en temps dans un centre de méditation ».

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Aujourd'hui, on peut considérer que des pratiques non conventionnelles sont utilisées par de très nombreux Français. Sur votre site, vous prônez une liberté thérapeutique. Ne pensez-vous pas qu'elle existe déjà ? Que voulez-vous de plus ?

M. Eric Bouzou. - Nous pensons qu'elle est mise en péril par cette lutte tous azimuts qu'est devenue la lutte contre les dérives sectaires par l'entremise de la Miviludes.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Considérez-vous vraiment que la liberté thérapeutique n'existe pas aujourd'hui ? Il suffit d'aller sur Internet pour se trouver face à des milliers d'offres de thérapies non conventionnelles !

M. Eric Bouzou. - Elle existe parce que la demande est très importante, comme le montrent les statistiques et ainsi que cela a été démontré par certaines des personnes auditionnées par votre commission.

Il n'en reste pas moins que, selon les documents fournis par la Miviludes, toutes les pratiques questionnées dans cette commission, dont on n'a pas la liste - il y en a un certain nombre - font l'objet de suspicions.

Nous ne comprenons pas l'attitude des instances publiques. C'est pourquoi nous proposons un Observatoire de ces pratiques alternatives, spirituelles, thérapeutiques et éducatives, qui constate éventuellement des dérives sectaires lorsqu'elles existent, mais qui ne soit pas chargé d'en étudier de prétendues, alors que la majorité des personnes que nous rencontrons sont honnêtes, dévouées et essaient de soulager ceux qui s'adressent à elles !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Ma question était précise : considérez-vous que cette liberté thérapeutique existe ou non ?

M. Eric Bouzou. - Nous pensons qu'elle peut être mise en danger par la lutte contre les dérives sectaires.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Elle peut être mise en danger ?

M. Eric Bouzou. - Elle l'est pour de nombreuses personnes qui subissent les tracasseries de l'administration...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Il existe sur votre site un certain nombre de développements sur l'affaire Guéniot. On a le sentiment que vous cherchez à le défendre. Pensez-vous que les pratiques qu'il a pu mettre en oeuvre soient efficaces et utiles pour nos concitoyens ?

M. Eric Bouzou. - Si le docteur Guéniot a commis un délit, c'est à la justice de se prononcer. Or, elle a innocenté le docteur Guéniot. C'est suffisant pour questionner le harcèlement qu'a subi ce médecin dans l'affaire correspondante.

Si les pouvoirs publics veulent s'interroger de façon plus globale sur les thérapies alternatives, nous n'avons pas de critique à formuler. Nous affirmons cependant que le faire dans le cadre de la lutte contre les dérives sectaires ne peut amener de résultats satisfaisants. On ne peut réfléchir sereinement quand on soupçonne les personnes et qu'on utilise des mots comme « secte » et « gourou » à tout bout de champ !

Nous considérons la notion de manipulation mentale comme socialement dangereuse car elle peut laisser entendre que des personnes n'ont pas tout leur esprit et que leur consentement ne vaut rien.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous considérez donc que les phénomènes de manipulation mentale n'existent pas...

M. Eric Bouzou. - Les phénomènes de manipulation ont toujours existé mais la manipulation mentale comme pratique des sectes est une invention française des années 1970-1980, comme le précise le sociologue Arnaud Esquerre, dont je recommande la lecture du livre intitulé La manipulation mentale aux personnes désireuses de comprendre ce qui se cache derrière cette notion. La notion de perte de libre arbitre, régulièrement évoquée par la Miviludes et les associations antisectes, n'est pas une notion scientifique.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Puisque nous parlons de notion scientifique, que pensez-vous du comportement de praticiens non conventionnels appelant leurs patients à cesser les soins de médecine allopathique, mettant ainsi leur vie en danger ?

M. Eric Bouzou. - Je ne souhaite pas me prononcer sur cette question, si elle est sortie du contexte des dérives sectaires.

On peut se poser la question. Elle est légitime. En regard de ce conseil, il faut également tenir compte de la liberté de choix thérapeutique, élément important de la législation française. Nous ne nous prononçons pas sur l'échange qui peut exister entre un médecin qui préconise un soin et le patient qui est libre de son choix. Si on l'inclut dans ce nuage à fabriquer de la peur qu'est la lutte contre les sectes, nous n'avancerons pas !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Nous ne sommes pas là pour statuer sur les nuages, ni sur la pratique de la peur, mais pour chercher si certaines dérives risquent ou non de conduire quelques-uns de nos concitoyens au cimetière !

Je vous pose à nouveau la question de manière précise : considérez-vous normal qu'un praticien non conventionnel arrive à convaincre un patient d'arrêter tout traitement et d'absorber du jus de citron pour soigner un cancer ? Nous avons des exemples...

M. Eric Bouzou. - Je ne me prononcerai pas sur un aspect thérapeutique, faute d'expertise. Si ce praticien a commis une erreur pénale, il devrait être poursuivi.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous pouvez avoir une opinion ! Considérez-vous normal de conseiller à un patient qui développe un cancer d'arrêter tout traitement ?

M. Eric Bouzou. - Je ne veux pas me prononcer à propos d'un diagnostic qui concerne une personne que je ne connais pas...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Il ne s'agit pas d'une personne mais d'un principe ! Trouvez-vous normal qu'un praticien non conventionnel arrive à convaincre un malade atteint d'un cancer d'arrêter tout traitement et lui conseille de se soigner au jus de citron ? S'agit-il là de liberté et de nouvelle spiritualité ?

M. Eric Bouzou. - Vous citez un cas d'école sur lequel je ne peux me prononcer. Je suis désolé : je ne puis porter de jugement sur un diagnostic médical : je ne suis pas médecin !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - La non-réponse est souvent une réponse !

En consultant votre site, je peux lire un article portant le titre : « Les événements tragiques et le mythe des sectes »...

« Jonestown, Waco, Temple Solaire... Trois tragédies majeures imprimées de manière plus ou moins confuse dans la mémoire collective, et qui ont déterminé l'orientation d'esprit négative de millions de personnes dans le monde sur la question des minorités spirituelles depuis plus d'un quart de siècle, alors que la lumière est loin d'avoir été faite » .

Que signifient les termes : « Alors que la lumière est loin d'avoir été faite » ?

M. Eric Bouzou. - Au moins deux des enquêtes portant sur ces événements n'ont pas été terminées. Je vous invite à regarder le film d'Yves Boisset sur le Temple solaire ; il est très bien fait. Yves Boisset n'est pas tendre avec la pratique sectaire. Il est plutôt très sévère mais pose des questions sur les résultats de l'enquête. On sait que certaines personnes ont été tuées par balle...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Par principe, nous sommes très respectueux de la liberté de conscience. Pensez-vous vraiment défendre les nouvelles spiritualités - comme s'il en existait d'anciennes et de nouvelles - en sous-entendant que, la lumière n'ayant pas été faite, on ne sait s'il s'agit ou non de dérives sectaires ? Il faut appeler un chat un chat !

M. Eric Bouzou. - On ne peut donner la solution de ces événements tragiques puisqu'on n'a pas accès au dossier juridique, mais il convient de considérer comment ces événements ont été utilisés pour alimenter la peur des sectes. En France, on suppose aujourd'hui, de façon totalement arbitraire, que tout mouvement qualifié de secte est un foyer potentiel de suicide collectif...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - C'est là votre opinion !

M. Eric Bouzou. - Cela figure dans tous les médias ! La couverture médiatique des sectes, appuyée par beaucoup de membres de la Miviludes et des associations antisectes, invoque régulièrement ces drames dès qu'on parle des sectes. Il est très fréquent que Georges Fenech utilise cet argument pour alimenter son propos concernant d'autres mouvements qui n'ont rien à voir avec ces groupes-là...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Je ne pense pas que ces « dérives » - appelons-les ainsi - soient de nature à semer le doute dans l'esprit de nos concitoyens !

M. Eric Bouzou. - Nous sommes d'accord pour parler de dérives, mais non pour les qualifier de sectaires, le terme étant aujourd'hui très connoté et véhiculant un grand nombre d'amalgames.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Le problème n'est pas la qualification mais de connaître les conséquences de ces pratiques sur nos concitoyens !

Autre question : que pensez-vous de la vaccination ?

M. Eric Bouzou. - Ma réponse sera la même : la vaccination, comme les thérapies alternatives, ne sont pas des sujets qui peuvent s'analyser de façon productive dans le contexte de la lutte contre les dérives sectaires ! Pourquoi ? Si certaines personnes appartenant à des groupes que vous qualifieriez de sectes sont contre la vaccination, il en existe également d'autres, en dehors de ces groupes, qui y sont également opposées, même dans le monde médical.

A moins de considérer que tous sont membres de sectes, je ne vois pas pourquoi on évaluerait la question de la vaccination dans le contexte des dérives sectaires. Cela n'a aucun rapport !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Le refus de certaines personnes de toute transfusion sanguine relève quand même bien de dérives sectaires !

M. Eric Bouzou. - En France, le problème de la transfusion sanguine pour les enfants et les adultes, s'agissant des Témoins de Jéhovah, a été réglé par la loi Kouchner, les majeurs ayant le droit de voir leur choix thérapeutique respecté.

Si l'adulte n'est pas en mesure de signifier son choix, je pense que c'est au médecin d'appliquer le soin approprié. La loi a réglé le problème !

M. Alain Milon , président. - La parole est aux commissaires...

M. Alain Néri . - De combien d'adeptes disposez-vous en France ?

M. Eric Bouzou. - Nous sommes une association de défense de la liberté spirituelle et non un groupe spirituel...

M. Alain Néri . - Dans ce cas, combien de visites recevez-vous sur votre site ?

M. Eric Bouzou. - Vous utilisez le mot d'« adeptes » comme si nous étions une minorité spirituelle...

M. Alain Néri . - Adhérents, dans ce cas !

M. Eric Bouzou. - C'est tout de même différent ! Voyez comment les termes peuvent être détournés !

M. Alain Néri . - Veuillez excuser le peu de précisions de mon vocabulaire, qui est celui d'un homme simple !

M. Eric Bouzou. - Ne le prenez pas mal, mais reconnaissez que le terme d'adeptes est très connoté !

M. Alain Néri . - Je retire ce mot. De combien d'adhérents disposez-vous - si le mot vous convient mieux ?

M. Eric Bouzou. - Nous comptons une centaine d'adhérents.

M. Alain Néri . - Comment pouvez-vous disposer d'un site aussi bien fait et aussi largement fourni ?

M. Eric Bouzou. - Ce n'est guère difficile aujourd'hui. Il suffit de quelques personnes qui travaillent sur le sujet. Nous recueillons des informations et les publions sur le site...

M. Alain Néri . - Si vous-même étiez atteint d'un cancer - ce que je ne souhaite à personne - quelle serait votre réaction face à la médication qui pourrait être proposée par la médecine dite « classique » ? Accepteriez-vous le traitement ou vous contenteriez-vous d'un traitement alternatif ?

M. Eric Bouzou. - Je ne sais ce que je déciderais si j'avais un cancer.

M. Alain Néri . - Si vous ne le savez pas, pourquoi voulez-vous faire des propositions aux autres ?

M. Eric Bouzou. - Nous n'en faisons pas ! Il ne s'agit pas de faire des propositions dans un sens ou un autre. Nous estimons que l'analyse des décisions n'est pas du ressort de la lutte contre les dérives sectaires. C'est ailleurs que l'on doit traiter le sujet. La question ne peut être traitée intelligemment dans ce cadre.

M. Alain Néri . - Etes-vous bien d'accord avec le fait que l'Etat a un devoir de protection des citoyens ?

M. Eric Bouzou. - Oui.

M. Alain Néri . - Il existe également un devoir de protection des enfants, fort heureusement réglé par la loi, comme vous l'avez indiqué précédemment. Cependant, l'Etat a aussi un devoir de protection de la santé publique.

M. Eric Bouzou. - Oui.

M. Alain Néri . - Si vous proposez donc d'interrompre un traitement reconnu scientifiquement...

M. Eric Bouzou. - Nous ne proposons pas d'interrompre le traitement. Ce n'est pas notre objet. Nous ne sommes pas une association de thérapeutes !

M. Alain Néri . - Que proposez-vous dans ce cas ?

M. Eric Bouzou. - Nous ne proposons rien ! Nous suggérons simplement d'analyser ces questions en dehors de la lutte contre les dérives sectaires.

M. Alain Néri . - Si vous ne proposez rien, à quoi servez-vous donc ?

M. Eric Bouzou. - Vous mettez en avant l'étude des questions de société. Fort bien. Deux choses nous paraissent importantes dans ce cadre, le contexte dans lequel on étudie cette question et la façon de conduire les différentes études nécessaires. Si le contexte n'est pas sain, on ne peut dégager de bons résultats. Nous considérons aujourd'hui que le contexte de la lutte contre les dérives sectaires n'est pas sain pour analyser ces sujets. Il génère trop de suspicions.

Quand je vous entends réagir - et je peux comprendre que vous réagissiez ainsi - je n'ai pas l'impression que vous vous rendiez compte de la nocivité des termes utilisés lorsqu'ils sont appliqués à des personnes qui n'ont rien demandé. Vous ne réalisez pas à quel point, après trente années de lutte contre les dérives sectaires, ces mots sont chargés de sens et pèsent sur les personnes à qui ils s'adressent !

Si vous voulez vous convaincre de cette nocivité, je vous invite à consulter, sur notre site, les témoignages des gens qui ont essuyé ce type d'accusations. Peut-être comprendrez-vous alors que ce n'est pas forcément le bon moyen d'étudier l'émergence des pratiques alternatives que de le faire dans le cadre de la lutte contre les dérives sectaires. C'est d'ailleurs pourquoi nous proposons un observatoire, afin d'étudier ces questions dans un autre contexte...

M. Alain Néri . - Vous vous dites opposé au doute et à la suspicion, mais vous-même éprouvez bien un doute vis-à-vis des traitements qui peuvent être appliqués régulièrement...

M. Eric Bouzou. - Chacun décide en son âme et conscience...

M. Alain Néri . - A condition de ne pas mettre la vie des autres en danger ! La loi est là pour protéger le citoyen de ces dangers.

M. Eric Bouzou. - En effet. Un drame reste un drame et il est normal de s'en émouvoir, mais si l'on évaluait la médecine conventionnelle à partir des morts générés par celle-ci, le bilan serait expéditif ! Vous avez tous les chiffres en tête...

M. Alain Néri . - Vous devez reconnaître que la vaccination - à propos de laquelle vous éprouvez un certain nombre de doutes - a tout de même permis des succès probants dans la lutte contre des maladies qui pouvaient avoir des conséquences tragiques !

M. Eric Bouzou. - Nous reconnaissons tout à fait l'intérêt et la nécessité de la médecine conventionnelle. Ce n'est pas le sujet ! Les progrès de la médecine conventionnelle sont démontrés de façon institutionnelle - et c'est normal. De temps en temps, on se penche sur les dérives qu'elle engendre, de plus en plus nombreuses...

Comment les thérapies alternatives sont-elles étudiées aujourd'hui ? Uniquement à travers le prisme des dérives sectaires ! L'institution les évoque-t-elle de façon positive ? A notre connaissance, non ! La seule façon d'avoir une réflexion équilibrée est de sortir cette analyse du chapeau de la lutte contre les dérives sectaires. C'est pourquoi nous proposons un observatoire. Nous ne prétendons pas qu'il ne faut pas les analyser mais qu'il convient de le faire autrement.

M. Yannick Vaugrenard . - Les choses me semblent un peu compliquées et difficiles. Nous vous posons des questions très simples et j'ai le sentiment que vous n'y répondez pas vraiment. Vous vous arc-boutez derrière le fait que les questions que nous pourrions poser seraient uniquement en fonction de dérives sectaires et vous ne répondez pas sur le fond. Vous répondez d'une part que la justice n'a pas tranché, y compris des questions très simples.

C'est comme si l'on vous demandait si cette porte est blanche ou noire et que vous nous répondiez : « J'attends que la justice se prononce » ! Ce n'est pas sérieux !

Je désirerais vous poser trois questions très simples...

Vous arrive-t-il - à vous ou à ceux qui vous suivent - de conseiller à un malade de se faire soigner ou de ne pas se faire soigner par la médecine traditionnelle ? C'est une question simple ! Ne me répondez pas en disant que vous refusez d'être entraîné dans le champ des dérives sectaires et que vous proposez un observatoire !

Par ailleurs, vous indiquez sur votre site - je cite : « Vous pouvez entrer dans nos pages sans crainte. Vous aurez à coeur de ne pas en rester au conditionnement que nous avons tous dû subir ces dernières années. Ne manquez pas nos pages, elles sont rares dans notre pays » . Quels sont les conditionnements que les citoyens de notre pays ont dû subir ?

D'autre part, si j'en crois votre raisonnement, vous tirez conséquence des décisions de justice. La justice s'est prononcée sur la Scientologie. En 2012, deux structures scientologues ont été condamnées, pour escroquerie en bande organisée, à 600 000 euros d'amende par la cour d'appel de Paris. En 1997, un leader lyonnais a été condamné par contumace à trois ans de prison avec sursis et à 5 000 francs d'amende, après le suicide d'un adepte. En 1978, les manoeuvres frauduleuses de Ron Hubbard, fondateur de la Scientologie, lui ont valu une sentence de quatre années de prison.

Quel est votre sentiment par rapport à ces décisions et quelles conséquences cela pourrait-il selon vous avoir pour la défense d'adeptes ayant été manipulés mentalement ?

Enfin, je pense que le rôle de notre démocratie est de protéger ceux qui, à un moment donné, sont dans un état de faiblesse extrêmement important. Tel est notre rôle. Or, certaines associations, qui donnent lieu à dérives sectaires, profitent de la faiblesse de quelques-uns de nos concitoyens pour utiliser celles-ci à diverses fins - entre autres financières.

Quel est votre sentiment ? Pouvez-vous, si possible, apporter à ces questions des réponses précises ?

M. Eric Bouzou. - Vous me demandez si nous donnons des conseils, dans un sens ou un autre, en matière de thérapie. La réponse est non. Ce n'est pas l'objet de notre association. Nous ne sommes pas thérapeutes et n'avons pas d'expertise sur le sujet. Lorsque des personnes sont poursuivies dans le cadre de dérives sectaires, nous essayons de leur prodiguer quelques conseils, pour les aider à sortir de ce contexte très nocif. J'espère que j'ai pu vous faire saisir la charge qui résulte aujourd'hui de ces trente années de lutte contre les sectes.

En second lieu, vous me demandez de donner un exemple de conditionnement. J'en ai donné un lors de ma présentation : l'affirmation selon laquelle 60 000 enfants sont en danger au sein des sectes est très grave. Si c'est vrai, c'est une priorité nationale ; si ce n'est pas le cas, pourquoi évoquer de tels chiffres ?

Ces chiffres sont issus de la dernière commission d'enquête à propos de l'« enfance volée ». Personne ne les a mis en cause, qu'il s'agisse des médias ou d'autres milieux. Il y a là une sorte de conditionnement : personne ne prend de recul, ni ne réfléchit !

Georges Fenech a reconnu qu'il ne possédait aucune statistique. Comment peut-on, à ce niveau de responsabilité, produire de tels chiffres, sans données pour les étayer ? Nous ne comprenons pas ! Si un observatoire adoptait une démarche de connaissance, avec des experts, sur tous les sujets - sociologie, psychologie, sciences de la personne - peut-être arriverait-on à sortir des chiffres fiables. Ce n'est pas le cas...

Aucun des chiffres fournis par la Miviludes, de notre point de vue, n'est étayé ! Ainsi, un tiers des psychothérapeutes évolueraient dans les milieux sectaires. D'où vient ce chiffre ? Comment a-t-il été construit ? Quelle méthodologie a-t-on employé pour l'obtenir ?

M. Blisko, lors de son audition, a affirmé que 3 000 médecins appartenaient au monde sectaire. Il reconnaît que ce chiffre a été fourni par l'Ordre des médecins. Quelle est la compétence de l'Ordre pour décider qui appartient ou non à une secte ? On ne comprend pas bien d'où sortent ces chiffres...

Vous évoquez la Scientologie. Nous ne sommes liés à aucun groupe, mais nous nous en tenons au droit. Or, en droit, une structure ou une personne est considérée comme coupable lorsque toutes les voies de recours ont été utilisées. Vous auriez pu poser la même question il y a deux ans, à propos des Témoins de Jéhovah, condamnés en première instance, en appel et en Cour de cassation. Or, il se trouve qu'ils viennent de gagner devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Nous prenons donc acte des décisions de justice lorsque la procédure est terminée. Aujourd'hui, tel n'est pas le cas s'agissant de la Scientologie.

M. Yannick Vaugrenard . - S'agissant des trois recours, la procédure est terminée !

M. Eric Bouzou. - Mais pas le processus juridique : toutes les voies de recours n'ont pas été épuisées !

M. Yannick Vaugrenard . - Je parlais des procédures de 1978 et de 1997...

M. Eric Bouzou. - Je pensais que vous faisiez référence au dernier procès en cours...

M. Stéphane Mazars . - Que pensez-vous de notre initiative ?

M. Eric Bouzou. - Nous pensons tout d'abord que vous démontrez votre volonté de donner la parole au débat contradictoire, puisque vous nous avez invités. Nous apprécions cette invitation à sa juste valeur, l'Assemblée nationale n'ayant pas eu les mêmes égards.

Si je dois émettre un avis, je dirais que nous pensons légitime que les pouvoirs publics se posent les questions que vous vous posez mais pourquoi l'avoir fait dans le cadre des dérives sectaires ? Il aurait été possible d'étudier la question des pratiques non conventionnelles hors des dérives sectaires ! Pourquoi n'avez-vous pas utilisé un titre équivalent au groupe d'appui technique ? Vous auriez pu parler de commission d'enquête sur les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique !

M. Stéphane Mazars . - Ce qui nous anime, ce n'est pas le fait de mener une étude sur les médecines dites parallèles ou secondaires mais bien le fait que, par le biais de ces médecines, certaines personnes abandonnent la médecine conventionnelle et se mettent en danger. Il ne s'agit pas de faire un répertoire des pratiques non conventionnelles, qui n'est pas l'objet de notre commission d'enquête, mais d'étudier des situations où certaines personnes se mettent en danger et, parfois même, trouvent la mort en optant pour un type de médecine non conventionnelle.

Ce sont là des choses relativement graves, sauf à démontrer qu'elles n'ont jamais existé ! C'est pourquoi nous vous interrogeons. Si on part donc de l'hypothèse que cela peut arriver, quel est votre sentiment ?

M. Eric Bouzou. - Nous n'avons pas la compétence pour répondre à cette question précise ! Comment évaluer l'équilibre entre la liberté de choix thérapeutique, qui est pour nous fondamentale, et quelqu'un qui exerce son choix et décide de quitter la médecine conventionnelle...

M. Stéphane Mazars . - Prenons l'hypothèse d'une personne affaiblie par la maladie. On peut penser que son discernement est altéré, voire aboli. Cette personne arrête de se soigner dans le cadre conventionnel et meurt. Cela nous interpelle, cela nous interroge et nous inquiète. A-t-on raison ou tort ?

M. Eric Bouzou. - Vous avez raison de vous interroger sur certains cas, mais il est problématique, à partir de là, d'établir des généralités sur des pratiques médicales ou thérapeutiques.

M. Stéphane Mazars . - Ces cas nous intéressent. On peut en discuter. C'est ce que nous vous proposons...

M. Eric Bouzou. - Quand un drame survient parce qu'on a utilisé une pratique non conventionnelle...

M. Stéphane Mazars . - Non, parce qu'on a quitté la médecine conventionnelle et opté pour une pratique non conventionnelle...

M. Eric Bouzou. - La question est de savoir s'il a pu y avoir abus...

M. Stéphane Mazars . - Il y a abus !

M. Eric Bouzou. - S'il y a abus, il doit être effectivement traité.

M. Stéphane Mazars . - On en relève beaucoup !

M. Eric Bouzou. - Beaucoup ne veut pas dire grand-chose ! Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de drame, mais cela justifie-t-il d'en inclure le traitement dans le rouleau compresseur qu'est devenue la lutte contre les dérives sectaires ? Nous ne le pensons pas.

M. Stéphane Mazars . - Même si c'est marginal, n'est-ce pas assez grave pour que nous nous y intéressions ?

M. Eric Bouzou. - Si, en effet.

Mme Muguette Dini . - Pourquoi avez-vous décidé de créer le CICNS ? Comment l'avez-vous créé ? Avec qui et quand ?

Par ailleurs, vous avez évoqué des intrusions de la Miviludes dans deux endroits différents...

M. Eric Bouzou. - Un seul...

Mme Muguette Dini . - Vous nous avez dit que cela avait fortement traumatisé les personnes présentes, qui ont dû répondre à des questions.

D'une part, vous êtes-vous demandé pourquoi la Miviludes s'était précisément rendue en ces lieux ? Je suppose que ce n'est pas venu seul. Peut-on imaginer qu'il y ait eu des suspicions fortes, dues à des plaintes de victimes, pour que la Miviludes se permette de s'y introduire ?

D'autre part, vous avez évoqué les personnes qui sont accusées de dérives sectaires et précisé que c'était nocif pour elles. Qu'en est-il de la nocivité pour les victimes de ces personnes ? Cela me fait penser aux violences conjugales : quand une victime de violences conjugales porte plainte, il n'est pas rare que celui ou celle contre qui il ou elle a porté plainte dépose à son tour plainte en diffamation. J'ai le sentiment que c'est ici la même chose !

Il existe un certain nombre de victimes de dérives sectaires dans le domaine de la santé. Un certain nombre de personnes qu'on interroge ou qu'on accuse sont totalement innocentes et n'appartiennent pas à une secte ou n'ont pas commis d'actes nocifs mais le risque que d'autres en aient été victimes et l'aient payé de leur vie ou y aient laissé leur santé est certainement bien plus important !

Enfin, si l'un de vos enfants était atteint d'un cancer, envisageriez-vous immédiatement le recours à une médecine alternative ?

M. Eric Bouzou. - Le CICNS a été créé à l'initiative de différentes personnes venues de différents horizons, qui ont pensé que défendre les libertés fondamentales était une bonne idée, dans la mesure où nous pensions, à l'époque, que la lutte contre les sectes représentait une menace contre ces libertés...

Mme Muguette Dini . - Sans citer de noms, qui étaient ces personnes ?

M. Eric Bouzou. - Nous ne défendons pas un mouvement spirituel. Nous sommes indépendants de tout groupe ou parti politique...

Mme Muguette Dini . - Vous ne répondez pas à ma question ! Que sont ces personnes ? Des médecins, des sociologues, des avocats, des professeurs. Qui sont-ils ?

M. Eric Bouzou. - Certaines personnes sont dans l'enseignement, le social, l'électronique, la plomberie, l'artisanat...

Mme Muguette Dini . - Combien étiez-vous à l'origine ?

M. Eric Bouzou. - Je n'y étais pas, je ne puis vous répondre, mais les personnes qui adhèrent à notre association sont celles qui ont visité notre site, qui sont intéressées par ce que nous faisons et qui ont envie de nous soutenir.

Mme Muguette Dini . - Quand votre association a-t-elle été créée ?

M. Eric Bouzou. - Elle a été créée en 2004.

Mme Muguette Dini . - Que pensez-vous des intrusions de la Miviludes ?

M. Eric Bouzou. - N'y a-t-il pas d'autres méthodes de travail que ce type d'intrusion ? Qu'en est-il ressorti ? Y a-t-il eu ensuite des poursuites pénales ou non ? Certes, il est toujours préférable de prendre des précautions mais n'y a-t-il pas d'autres moyens que ceux qui ont été utilisés ?

Mme Muguette Dini . - On peut leur écrire, c'est plus simple !

M. Eric Bouzou. - Si vous faites partie d'un groupe et que vous voyez débarquer des gens de façon quelque peu brutale, vous vous poserez peut-être la question...

Mme Muguette Dini . - Il y a bien une raison à cette intervention !

M. Eric Bouzou. - Cette raison justifie-t-elle ce type de procédé ?

Mme Muguette Dini . - Tout se justifie quand on veut protéger les gens ! Qu'il s'agisse de la justice, de la police ou de la Miviludes, si l'on avertit les personnes que l'on arrive, on est sûr de ne rien trouver !

Qui sont donc les plus nocifs, ceux que l'on accuse de dérives ou leurs victimes ?

M. Eric Bouzou. - Je ne pense pas l'on puisse se poser la question en ces termes. Il est normal de protéger les victimes. La question qui se pose est de savoir quelle méthode employer pour le faire. Nous pensons que la méthode utilisée n'est ni satisfaisante, ni objective.

Mme Muguette Dini . - Les politiques sont souvent accusés de pratiquer la langue de bois mais, dans ce cas, vous êtes un politique hors pair !

Mme Catherine Deroche . - Les questions que je voulais poser l'ont déjà été, mais vous n'avez pas répondu à l'interrogation de Mme Dini : si l'on découvrait un cancer à l'un de vos enfants, iriez-vous d'emblée vers une médecine alternative ou classique ?

M. Eric Bouzou. - Il n'est pas aisé de répondre à cette question. Je donnerai une réponse qui m'a marqué, faite à l'occasion de l'enquête sur l'« enfance volée ». Il y était question des Témoins de Jéhovah et de la transfusion sanguine. On a posé à Mme Lebatard, chargée des affaires familiales au conseil d'orientation de la Miviludes, la question suivante : « Si vous aviez dans votre famille un Témoin de Jéhovah qui demande que l'on respecte sa religion, que feriez-vous ? ». Elle a hésité puis a répondu : « Je crois que j'écouterais mon coeur ». J'ai trouvé cette réponse très pénétrante. Dans de tels cas, c'est la seule réponse que l'on puisse faire. Je fais remarquer que cette réponse, qui était intéressante, a été retirée des comptes rendus de son audition !

M. Alain Milon , président. - Et que vous dirait votre coeur ?

M. Eric Bouzou. - Je ne puis répondre. C'est trop délicat. Il faut se trouver dans cette situation pour décider ce qui convient le mieux à l'enfant. On ne peut décider tant qu'on n'est pas confronté à un tel problème.

M. Gérard Roche . - Cette situation est particulière : toute votre argumentation vise à qualifier de dérives sectaires les actions de ceux qui, précisément, sont en charge de les identifier !

Je suis élu de Haute-Loire et de souche paysanne. J'ai besoin d'y voir clair pour comprendre ce que vous voulez dire ! Si je viens vous voir en vous expliquant que j'ai un cancer et que la chimiothérapie me pose beaucoup de problèmes, que me répondrez-vous ?

M. Eric Bouzou. - C'est à vous de décider en votre âme et conscience !

M. Gérard Roche . - Décider de quoi ?

M. Eric Bouzou. - Du choix qui vous convient !

M. Gérard Roche . - Dans ce cas, quel est votre rôle ? J'ai l'impression qu'il se résume à dénoncer l'agressivité des gens qui ont pour mission de protéger leurs concitoyens en dénonçant des dérives sectaires qui peuvent survenir en cas de prise en charge thérapeutique non traditionnelle. A part cela, je n'ai pas compris à quoi vous serviez !

M. Eric Bouzou. - Nous proposons que les autorités publiques adoptent une autre méthode pour étudier les minorités thérapeutiques, éducatives ou spirituelles.

Mme Catherine Génisson . - Mme Dini a dit que vous maniez fort bien la langue de bois : vous êtes effectivement très fort pour détourner les questions que l'on vous pose !

Vous semblez très attaché à la sémantique et paraissez beaucoup tenir à la défense des pratiques alternatives. Répondez par oui ou par non...

M. Eric Bouzou. - Pas plus qu'à celle de la médecine conventionnelle !

Mme Catherine Génisson . - Vous qualifiez bien les pratiques non conventionnelles de pratiques alternatives...

M. Eric Bouzou. - Pas seulement. Nous défendons toutes les pratiques dites de support, complémentaires ou alternatives.

Mme Catherine Génisson . - Depuis que nous vous entendons, vous n'avez utilisé que le terme « alternatif ».

Vous êtes très attaché à la sémantique : je vous fais donc remarquer que vous n'avez utilisé que ce terme et aucun autre.

M. Eric Bouzou. - Les pratiques qu'on appelle complémentaires ou de support sont des pratiques non conventionnelles...

Mme Catherine Génisson . - Non, c'est très différent !

Dans le même ordre d'idée, vous avez argué de la liberté thérapeutique ; notre rapporteur vous a fait remarquer que tous ceux que vous voulez défendre ont toute légitimité à exister de façon extrêmement variée, sur tous les sites possibles et imaginables, et que l'accès aux pratiques alternatives ou complémentaires est excessivement facile.

La liberté thérapeutique signifie-t-elle également selon vous l'abandon des soins de médecine traditionnelle ?

Enfin, vous avez mis lourdement en cause la méthodologie de la Miviludes. Implicitement, et de façon plus ténue, vous mettez en cause la méthodologie de fonctionnement de notre commission d'enquête. Quelle est votre propre méthodologie ?

M. Eric Bouzou. - Dans le cadre associatif ?

Mme Catherine Génisson . - Oui.

M. Eric Bouzou. - L'abandon de soins est-il légitime ?

Mme Catherine Génisson . - Ce n'est pas la question que j'ai posée ! L'abandon de soins correspond-il à la liberté de choix thérapeutique ?

M. Eric Bouzou. - La loi Kouchner précise qu'un malade est libre de refuser les soins qui lui sont proposés...

Mme Catherine Génisson . - Selon vous, l'abandon de soins et, dès lors, le recours à des pratiques alternatives est donc une voie naturelle ?

M. Eric Bouzou. - Je ne sais ce que vous entendez par « naturelle » : c'est une liberté et chacun peut l'utiliser de différentes manières, en son âme et conscience.

Mme Catherine Génisson . - Quand une personne est désespérée, qu'elle sait sa fin proche, qu'elle s'ouvre du fait de prises en charge thérapeutiques lourdes et difficiles à supporter, vous considérez donc normal qu'il y ait abandon de soins et recours aux pratiques alternatives ?

M. Eric Bouzou. - Il peut exister des structures de soutien ou d'aide pour les personnes qui se trouvent dans de telles conditions, oui. C'est tout à fait utile et nécessaire.

Mme Catherine Génisson . - De façon alternative ou complémentaire ?

M. Eric Bouzou. - Si des personnes se trouvent dans un état de faiblesse, c'est cet état de faiblesse qu'il faut traiter. Si des structures sont là pour aider cette personne à en sortir, c'est parfait. Une fois que la personne en est sortie, elle recouvre sa liberté pour choisir le soin qui lui convient, en conformité avec ce que la loi a prévu.

Mme Catherine Génisson . - Qu'en est-il de votre méthodologie ?

M. Eric Bouzou. - Nous essayons de donner la parole à des personnes qui ne l'ont pas, c'est-à-dire à des gens qui subissent l'impact de la lutte contre les dérives sectaires. Nous aimerions que la méthodologie de l'observatoire soit construite sur des structures universitaires, qui apporteront une méthodologie de travail.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Si j'ai bien compris, vous avez été créé pour lutter contre le travail de la Miviludes...

M. Eric Bouzou. - Nous nous sommes constitués en association, considérant que le travail de la Miviludes ne proposait aucune méthodologie et aucun débat contradictoire. Nous avons donc pensé nécessaire d'équilibrer ce débat, grâce à un observatoire qui produise une information qui n'était pas fournie par la Miviludes.

Audition de M. Thierry BECOURT, de la Coordination des associations de particuliers pour la liberté de conscience (CAPLC) (mardi 19 février 2013)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Thierry Bécourt, qui représente la Coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience (CAPLC).

Notre réunion d'aujourd'hui n'est pas ouverte au public ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Monsieur Bécourt, me confirmez-vous que vous avez donné votre accord, d'une part, pour que cette audition fasse l'objet d'une captation vidéo ?

M. Thierry Bécourt. - Oui.

M. Alain Milon , président. - ... et, d'autre part, pour que cet enregistrement soit éventuellement par la suite accessible sur le site du Sénat ?

M. Thierry Bécourt. - Oui, et je le souhaite !

M. Alain Milon , président. - C'est nous qui en déciderons...

M. Thierry Bécourt. - Je le sais, mais je peux exprimer mon souhait...

M. Alain Milon , président. - En effet...

Je précise à l'attention de M. Thierry Bécourt que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, qui est notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Thierry Bécourt de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Bécourt, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Thierry Bécourt. - Je le jure.

M. Alain Milon , président. - Monsieur Bécourt, ainsi que vous en avez été informé, notre audition est prévue pour durer 45 minutes. Je vous invite donc à prononcer un court exposé introductif, puis mon collègue Jacques Mézard et les sénateurs membres de la commission vous poseront quelques questions.

Monsieur Bécourt, vous avez la parole.

M. Thierry Bécourt. - Je vous remercie de recevoir notre association, que je souhaite vous présenter rapidement afin qu'on ne puisse lui prêter de fausses intentions...

La CAPLC, de statut européen depuis plusieurs années, est essentiellement destinée à faire appliquer les articles 9 et 10 de la Carte européenne des droits de l'homme, relatifs à la liberté de conscience dans les domaines des minorités spirituelles et thérapeutiques. Elle est reconnue par le Haut-commissariat des droits de l'homme (HCDH), la Fédération européenne des droits de l'homme (FEDH), l'Organisation pour la sécurité et la coopération en europe (OSCE) -où nous intervenons tous les ans- et le Bureau des droits de l'homme de l'Organisation des Nations Unies (ONU), avec lequel nous sommes en relation régulière depuis plus de dix ans.

Nous relevons, à ce titre, de la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités, adoptée par l'assemblée générale de l'ONU dans sa résolution 47-135 du 18 décembre 1992.

Je tenais à vous le préciser, habitant près de Genève et travaillant également dans cette commission. Nous avons par ailleurs participé au forum sur les questions relatives aux minorités organisé par le HCDH. C'est un sujet qui interpelle, et cette commission, qui relève de l'ONU, se pose beaucoup de questions sur la chasse antisectes ou la chasse aux sorcières qui sévit en France, y compris dans le domaine thérapeutique.

Nous bénéficions également de la protection du HCDH et sommes soumis à la convention des défenseurs des droits de l'homme.

Notre vocation première est donc de défendre les principes républicains.

Selon l'article 2 de nos statuts, la CAPLC, présente également en Belgique et en Suisse, a pour but de regrouper les associations légalement constituées dans les pays du Conseil de l'Europe et/ou de l'Union européenne, ainsi que les citoyens européens, en vue de défendre la liberté de conscience, la liberté de religion et la liberté thérapeutique auprès des institutions européennes et de dénoncer au plan européen les actes, écrits ou paroles portant atteinte ou constituant une menace pour la liberté de conscience, la liberté de religion et la liberté thérapeutique.

La CAPLC n'a donc pas pour vocation de défendre les minorités ou leurs idées, mais simplement leur liberté d'expression.

Nous sommes un organisme de terrain depuis la parution de la liste des sectes en 1995, et sommes confrontés depuis cette date à de multiples violations de ces articles, sources de nombreuses discriminations. A ce titre nous partageons la même problématique que votre commission sénatoriale quant à la défense et au respect des citoyens.

Nous tenons à vous alerter sur le fait que ce qui pose problème dans cette quatrième commission d'enquête sur les sectes réside dans l'absence de définition du mot « secte » ou « dérive sectaire ».

Il est significatif de lire, page 14 du rapport parlementaire sur les sectes de décembre 1995 : « N'ayant pu nous mettre d'accord sur le terme (...) nous nous en tiendrons, au risque de froisser bien des susceptibilités, à retenir le sens commun que l'opinion publique apporte à la notion ».

De l'aveu même de la présidente de l'UNADFI, Mme Picard, ancien député de l'Eure : « On ne peut définir ce qu'est une secte. Nous avons, en accord avec l'ensemble des parlementaires qui travaillent sur le sujet, décidé de dire qu'il ne faut pas la définir, parce que le terme « secte » ou « dérive sectaire » qui, en France, n'est pas définie juridiquement, permettrait aux mouvements sectaires de sortir du cadre ».

Nous sommes là dans un arbitraire total ! Dès que l'on accole à un mouvement le sobriquet de « secte » -certains parleront d'« étoile jaune »- il n'existe plus de possibilité de s'exprimer ! Attaqué sans savoir pourquoi, on ne peut saisir une quelconque instance ! Cette absence de définition juridique nous pose donc d'énormes problèmes...

Force est de constater qu'aujourd'hui, après plus de 40 ans d'utilisation, l'absence de cette définition juridique au profit d'un « sens commun de l'opinion publique » entraîne un flou artistique, source d'arbitraire, condamné à plusieurs reprises par l'Union européenne et le Bureau des droits de l'homme de l'ONU, voire par le Congrès américain.

On finance à 97 % les associations antisectes sur fonds publics -soit plus de 600 000 euros pour l'UNADFI- alors que la Fondation Abbé Pierre ne perçoit que 2 % de financements publics, et Médecins du Monde 10 % ! Pourquoi financer des associations comme l'UNADFI, le Centre contre les manipulations mentales (CCMM), les groupes d'étude des mouvements de pensée en vue de la prévention de l'individu (GEMPPI), alors qu'on cherche encore aujourd'hui où se situe le problème des sectes ? Dérive il y a, oui, mais partout !

Selon M. Georges Fenech et la commission d'enquête parlementaire sur « l'enfance volée » de 2006, entre 60 et 80 000 enfants seraient en danger dans les sectes. Certaines statistiques évoquent même des chiffres plus élevés ! Or, huit dossiers seulement au total sont en cours d'instruction ! A qui veut-on faire peur ?

Ces associations sont financées à grand renfort d'argent public ! Je suis horrifié en tant que citoyen : nous sommes en crise, et on alloue des financements à la rumeur !

Arbitraire, rumeur, insulte, diffamation, stigmatisation, signalement -terme politiquement correct de la délation... Chaque citoyen est amené à émettre un signalement à propos de son voisin. C'est même un devoir. C'est honteux ! Autant de méthodes employées aux frais des citoyens qui ont conduit notre pays dans un marécage dont il ne pourra sortir qu'en se tournant vers un esprit de fraternité. Nous avons perdu notre esprit de fraternité et, pour ma part, elle est très importante, étant donné les cénacles que je fréquente.

La Miviludes, de ce point de vue, n'est-elle pas anticonstitutionnelle ?

Ces associations et cette mission ne disposent d'aucune crédibilité scientifique et se voient d'ailleurs critiquées par les universitaires qu'elles se gardent bien d'inviter, de peur de se voir remises en cause. Nous travaillons quant à nous depuis très longtemps avec des sociologues comme Emile Poulat ou Jean Baubérot. Nous ne craignons donc pas ces experts, payés par l'Etat !

Les mouvements antisectes diffusent dans l'opinion, sur la base de chiffres fantaisistes, des rumeurs de danger et de complots imaginaires. Une sénatrice -dont j'ai oublié le nom, mais que je vous communiquerai- indiquait en 2007 que ces chiffres étaient totalement fantaisistes.

Les lobbies antisectes, véritable police de la pensée -mes mots sont peut-être un peu forts mais cela fait vingt ans que je suis sur le terrain- ont engagé la France dans une aventure conduisant notre pays à dresser les citoyens les uns contre les autres, en créant des lois d'exception, comme la loi About-Picard, à cultiver la séparativité qui est, à nos yeux, le pire des maux, à l'image de la triste sentence de Machiavel : « Diviser pour mieux régner ».

La nouvelle chasse aux sorcières que nous subissons depuis plus de quarante ans mène une guerre d'inquisition contre les valeurs de la vie et du coeur, en mettant en place une police de la pensée destinée à instaurer la normalisation par la pensée unique.

Venons-en aux thérapies... Je vous remettrai l'intégralité de mon intervention, ne pouvant vous en donner lecture en totalité.

M. Alain Milon , président. - Je vous rappelle que nous ne disposons en effet que de quarante-cinq minutes...

M. Thierry Bécourt. - C'est pourquoi je me presse...

Le climat dans lequel j'entends placer cette intervention est celui de l'exaspération : les gens n'en peuvent plus de constater que rien ne change malgré l'accumulation des scandales comme ceux du Vioxx, du vaccin H1N1 -la « grippette »-, de l'hépatite B ou du Mediator. Pire encore : tout semble s'aggraver dans une ambiance révoltante d'impunité. Je parle là au nom des citoyens : il n'est qu'à lire la presse...

Une guerre invisible est menée dans notre pays, dans le silence et avec la complicité des « grands médias », contre les voies spirituelles et thérapeutiques « différentes », à l'encontre des besoins d'une majorité de Français aspirant à une médecine plus attentionnée et plus humaine.

La politique antisectes menée par quelques organismes militants financés par l'argent public est aussi un fidèle relais du Conseil de l'Ordre des médecins et du ministère de la santé. Ils sont assurés que leur moindre rapport, le moindre communiqué qu'ils publient, sont repris les yeux fermés, dès qu'il s'agit de « dérives sectaires », par les médias.

Je ne prétends pas qu'il existe une connivence entre ces différents acteurs mais j'affirme que l'on prend pour argent comptant ce que disent la Miviludes et les associations dès qu'elles estiment qu'il existe une dérive sectaire. C'est pourquoi je me réjouis de la création de votre commission d'enquête...

Nous reconnaissons le caractère indispensable et incontournable de la médecine en général, tout particulièrement des services hospitaliers et des urgences.

Cependant, le fait de reconnaître l'institution médicale n'empêche nullement la critique d'un système qui, depuis quelques années, a été impliqué dans plusieurs scandales sanitaires.

Nous reconnaissons le caractère indispensable des traitements médicaux en général et les avancées scientifiques qui ont été réalisées pour le bien de tous.

Cependant, il n'en reste pas moins vrai que le nombre des victimes des effets secondaires des médicaments ou des traitements en France demeure extrêmement élevé -entre 150 000 et 300 000 par an selon les systèmes d'évaluation officiels. Le nombre de morts est très important -entre 13 000 et 34 000 morts par an.

La sénatrice que je citais il y a quelques instants parlait de plus de 10 000 maladies nosocomiales et de 30 ou 35 000 maladies iatrogènes ! On est donc devant une vraie crise du système de santé. Cela ne veut pas dire pour autant que ce système n'est pas bon, mais il doit se repositionner, sans rejeter les médecines alternatives !

Selon un article du Monde de 2009, en Suisse -je cite : « Les médecines alternatives sont plébiscitées. L'homéopathie, la phytothérapie, les médecines traditionnelles chinoises, les thérapies neuronales et les médecines anthroposophiques sont désormais mentionnées dans la Constitution suisse ». En 2013, en France, on stigmatise toutes les techniques de médecine alternative ! L'Allemagne a opéré la même reconnaissance, l'Angleterre est en train de le faire, ainsi que l'Italie, etc. La France va devenir la lanterne rouge de l'ouverture du monde hospitalier et médical à toutes ces thérapies alternatives !

Nous demandons une écoute, une simple ouverture du coeur, dont on ne parle pas beaucoup. Je vous la demande. C'est une valeur féminine. On évoque les « créatifs culturels » : c'est une valeur féminine que nous n'avons pas encore mise en place. Ouvrons notre coeur, écoutons au lieu de chasser ! C'est un homme qui vous le dit... Cela fait vingt ans que je suis sur le terrain : les valeurs du coeur sont perdues en France !

M. Alain Milon , président. - Les médecines alternatives ne figurent pas dans la Constitution suisse, mais ont fait l'objet d'un essai pour cinq ans. Elles n'ont pas, semble-t-il, amené les résultats escomptés et il a donc été décidé de poursuivre l'expérimentation durant trois ans.

M. Thierry Bécourt. - Je citais l'article du Monde ...

M. Alain Milon , président. - Je connais bien la Suisse : pour l'instant, les médecines alternatives ont été admises à titre constitutionnel par votation. On sait ce que sont les référendums... Une nouvelle votation a eu lieu pour savoir si les résultats étaient ou non satisfaisants. Ceux-ci ne l'étant pas, les médecines alternatives ne sont pas constitutionnelles et font l'objet d'une nouvelle expérimentation de trois ans.

M. Thierry Bécourt. - Nous demandons que l'on effectue cette démarche, tout comme la Suisse...

M. Alain Milon , président. - La parole est au rapporteur...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - A vous écouter, Monsieur, on comprend que vous avez l'expérience de l'art oratoire et la capacité à faire passer des messages forts ! C'est aussi ce que l'on trouve dans vos publications...

Nous sommes très attachés à la liberté de conscience et à la liberté de religion. En ce qui concerne la liberté thérapeutique, seul nous importe le fait que les différentes thérapies -médecine traditionnelle ou pratiques non conventionnelles- ne causent pas de problèmes de santé à nos concitoyens.

Vous attaquez très clairement un certain nombre de procédés dits de médecine allopathique, de médecine traditionnelle -encore que le mot de « tradition », avec les innovations de la médecine actuelle, paraisse inapproprié. Vous avez écrit, à propos de la vaccination en France : « Le document du 21 août publié par le Gouvernement français semble être un plan de sang froid pour lancer l'assassinat de masse de la population française, au moyen de vaccins toxiques, sous couvert d'offrir une protection contre la pandémie dans un délai d'à peine quatre semaine ». Je n'ai pas forcément de sympathie pour le précédent Gouvernement, mais ces propos méritaient d'être poursuivis devant les tribunaux et je m'étonne que cela n'ait pas été le cas !

La qualification de « secte » n'est pas d'une qualification du code pénal : ce qui est poursuivi, en France, ce sont des comportements que l'on peut considérer comme des dérives, mais qui s'intègrent dans le code pénal et, en particulier, l'abus de faiblesse.

Vous écrivez plus loin : « La mise en place de centres de vaccination à grande échelle dans des installations « protégées » rappellent froidement les camps de concentration nazis tels que Buchenwald, où des détenus ont été tués par des injections ». Je suppose que vous maintenez ce que vous avez écrit...

M. Thierry Bécourt. - Si vous me laissez la parole, je vous répondrai...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Ce que je lis est la réalité et, en tant que rapporteur, je déplore que vous n'ayez pas été poursuivi devant les tribunaux !

Sur votre site, on peut trouver des titres comme : « La médecine nous tue » ou « Seul contre tous, la vie et l'oeuvre du docteur Hamer ». Quand on sait qui est le docteur Hamer, condamné en France, ayant fui à l'étranger, et les conséquences de ses pseudo-thérapies, on peut être effrayé de ce que vous présentez !

Vous engagez par ailleurs vos visiteurs à signer la pétition de l'Act for Ecological Medicine (ACECOMED), dont certains articles affirment que le taux de réussite de la chimiothérapie avoisine 2,2 % -j'en passe et des plus graves ! Ces propos visent à effrayer nos concitoyens atteints du cancer et à les détourner de la chimiothérapie, en utilisant des propos manifestement inexacts !

Maintenez-vous ces allégations dans leur forme ? Quel est votre but ? La liberté thérapeutique existe aujourd'hui : que voulez-vous de plus ?

M. Thierry Bécourt. - La liberté thérapeutique n'existe pas ! Je m'inscris en faux par rapport à ce que vous venez de dire. Nous n'avons pas suffisamment de temps pour en débattre -et je le déplore- mais nous disposons de suffisamment d'éléments pour attester ce que je viens de dire.

Mme Catherine Génisson . - Pouvez-vous aller plus loin ?

M. Thierry Bécourt. - Depuis la sortie du rapport parlementaire de 1995, nous avons dû porter un grand nombre de dossiers devant les tribunaux afin de défendre des médecins rayés de l'Ordre pour avoir utilisé des méthodes justes et éprouvées dans d'autres pays mais non reconnues en France, pays des droits de l'homme, la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS), puis la Miviludes et les associations antisectes, les ayant arbitrairement désignées comme sectaires. Nous sommes prêts à vous remettre les dossiers juridiques en cours !

Vous estimez par ailleurs que j'ai des qualités d'orateur. Certainement, Monsieur : je suis aussi un politique, tout comme vous tous ici, mais -même si je ne veux pas jouer les Daniel Cohn-Bendit- je ne suis rattaché à aucun parti. Oui, j'ai l'habitude de parler en public et ne suis pas particulièrement impressionné d'être ici ! Au contraire, j'en suis très heureux !

Vous utilisez d'autre part l'argument du virus H1N1 en le sortant de son contexte. Je n'ai plus les éléments en tête et je n'ai pas le dossier devant moi -contrairement à vous- mais je suis prêt à passer beaucoup plus du temps avec vous si vous le désirez. Ce n'est pas moi qui ai parlé de « grippette » !

Mme Muguette Dini . - Vous parlez d'assassinat, pas de « grippette » !

M. Thierry Bécourt. - Bien entendu ! Il faut consulter Internet. Beaucoup de personnes à travers le monde ont parlé d'un plan organisé !

M. Yannick Vaugrenard . - Nous savons quand même parler et compter !

M. Thierry Bécourt. - Il n'empêche que si l'on considère toute la littérature parue sur la grippe H1N1, il est clair...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - On parle de la vôtre !

M. Thierry Bécourt. - Ce n'est pas la nôtre !

Mme Muguette Dini . - C'est vous qui prétendez que les centres de vaccination rappellent les camps de concentration nazis comme Buchenwald !

M. Thierry Bécourt. - Il faut replacer les choses dans leur contexte ! Je voudrais d'ailleurs bien avoir le texte en face de moi... Un très grand nombre de personnes à travers le monde se sont interrogées à ce sujet -dont des spécialistes. Il faut parfois dénoncer des faits choquants pour faire réagir les consciences endormies !

M. Alain Milon , président. - Je n'ai lu aucune publication disant que le vaccin H1N1 était dangereux pour les populations. Je suis l'auteur du rapport concernant la vaccination en France : la seule chose que l'on puisse reprocher à la ministre de la santé de l'époque, c'est d'avoir dépensé beaucoup d'argent pour une épidémie qui n'a finalement pas eu lieu mais, au départ, personne ne savait si ce serait ou non le cas, en particulier dans un pays comme le nôtre.

Pour le reste, le vaccin a eu quelques répercussions néfastes sur certains malades, comme n'importe quel type de traitement, mais il n'y a pas eu de publication indiquant que le vaccin H1N1 était dangereux pour les populations !

M. Thierry Bécourt. - Les publications qui ont montré la nocivité du H1N1 existent et je vais faire les recherches pour vous les fournir !

M. Alain Milon , président. - La nocivité du virus, pas celle du vaccin !

M. Thierry Bécourt. - Non, du vaccin !

Mme Muguette Dini . - Entre nocivité et assassinat, il y a tout de même un monde !

M. Thierry Bécourt. - Je vous entends, mais il y a des phénomènes de manche et de presse qui permettent de passer certains messages !

Mme Catherine Génisson . - C'est de la diffamation, Monsieur ! Dieu sait si j'ai été critique à propos de la campagne de vaccination H1N1 -et nous avons été un certain nombre à l'être, toutes tendances politiques confondues- mais c'était à propos du gaspillage, a posteriori , à propos de la non-adaptation du plan par rapport l'évolution de l'épidémie, du mode d'organisation...

M. Alain Milon , président. -... Qui n'avait rien à voir avec Buchenwald !

Mme Catherine Génisson . - Et en particulier du non-recours aux médecins traitants ! Vous écrivez : « Il a été précédemment révélé que certains lots du vaccin contiendront du mercure, une toxine liée à l'autisme et à des désordres neurologiques. Le vaccin contiendra également le dangereux ingrédient qu'est le scalène, qui a été directement mis en cause avec des cas de syndrome de la guerre du Golfe et d'une multitude d'autres maladies débilitantes... ». Vous revendiquez que l'art de la formule permet de faire passer des messages : c'est ce que vous venez de dire ! On n'a pas le droit de faire de telles choses !

M. Thierry Bécourt. - Où est-ce indiqué ?

Mme Muguette Dini . - Sur votre blog du Lundi 28 septembre 2009 !

M. Thierry Bécourt. - En effet...

Mme Catherine Deroche . - Vous avez dit que la liberté de choix thérapeutique n'existe pas. Si l'on diagnostique une leucémie chez l'un de vos enfants, vous avez la possibilité de le soigner ou de ne pas le soigner. Quel choix faites-vous entre la médecine classique, qui a une chance de le guérir, et la médecine alternative ?

M. Thierry Bécourt. - Je vous ai déjà répondu : notre objectif est de faire en sorte que toutes les médecines alternatives, à partir du moment où elles ont été éprouvées par un comité d'experts neutres, soit proposées au même tire que les médecines officielles.

J'ai déjà perdu un enfant et l'une de mes filles est handicapée. Je sollicite toutes les médecines. Nous faisons confiance à la médecine officielle mais lui reprochons d'établir systématiquement une barrière entre les médecines alternatives douces et la médecine qui devrait être la seule acceptable. En cas de leucémie, on consulte les différents responsables. Cela m'est déjà arrivé, ayant cinq enfants. En parallèle, j'étudierai aussi les médecines alternatives et ferai mon choix, comme nous l'avons déjà fait avec ma femme, la mère de mes enfants.

Mme Catherine Deroche . - Quelle différence faites-vous entre médecine alternative et médecine complémentaire d'un traitement classique ?

M. Thierry Bécourt. - En fonction de la gravité des maladies, je n'hésite pas à utiliser l'homéopathie, la naturopathie quand c'est nécessaire, ou d'autres techniques, si elles me semblent convenir au cas de l'enfant. Nous prenons également l'avis de la médecine non pas traditionnelle, mais officielle...

Mme Catherine Deroche . - C'est parfois une question d'heure, de vie ou de mort...

M. Thierry Bécourt. - Dans ce cas, je ne me pose pas la question : je recours directement au système hospitalier.

J'ai eu le cas avec ma fille lourdement handicapée mentale, qui va avoir treize ans cette année. Elle a, à la naissance, en urgence, bénéficié des services hospitaliers mais, en parallèle, nous avons étudié toutes les autres méthodes.

M. Gérard Roche . - Je suis frappé par la discordance qui existe entre la parole et l'écrit. Vous avez un vrai talent oratoire, et un discours plutôt conciliant. Vous parlez d'ouverture de coeur et l'on pourrait être enclin à vous écouter. Mais quand on vous lit, on est frappé par la violence qui se dégage de vos écrits !

Nous sommes ici un certain nombre à être médecins. Personnellement, j'ai été, durant vingt-cinq ans, médecin de campagne puis, pendant vingt ans, médecin hospitalier. Vos propos sont pour moi une injure ! Vous m'accusez, durant mes quarante-cinq ans d'exercice, d'avoir été complice d'un complot national, d'avoir voulu tuer les gens en les vaccinant ! Vous comprenez bien que ce n'est pas acceptable. Je n'ai pas de question à vous poser, mais vous devinez ma conclusion après ce que je viens d'entendre et de lire !

M. Thierry Bécourt. - Je vous entends mais vous avez tiré tout cela de mon blog. Il ne faut pas séparer les choses de leur contexte. Entre 2008 et 2013, il s'est passé un certain nombre de choses, pour moi comme pour tout le monde. J'ai parlé de coeur : moi aussi, j'avance, j'évolue, je prends conscience de certaines choses. Il existe aussi des évolutions en matière d'écoute : la preuve est que nous pouvons discuter ensemble librement et je m'en réjouis. Il faut aussi remettre les choses dans le contexte de cette peur, de cet affolement mondial autour de cette grippe.

Vous avez entendu parler des différentes actions menées partout dans le monde pour dénoncer cette grippe. On parle bien de la grippe H1N1 et de rien d'autre ! Il faut replacer les choses dans leur contexte ! J'étais très loin d'être le seul, à l'époque, à m'exprimer ainsi. D'ailleurs, cette vaccination n'a pas eu lieu -heureusement !

M. Alain Milon , président. - Si, elle s'est faite !

M. Thierry Bécourt. - Pas à l'échelle où l'on aurait voulu qu'elle se fasse !

M. Alain Milon , président. -... Mais à une échelle suffisante pour se rendre compte qu'elle n'était pas dangereuse !

Mme Hélène Lipietz . - J'entends bien votre discours. Je comprends que vous n'êtes pas une secte, mais contre les dérives sectaires en matière de lutte contre les sectes.

Nous tenons par ailleurs tous un blog. Le mien date de 2004. Je ne crois pas que l'on pourrait y trouver un seul mot aussi fort que ceux que vous avez écrits !

Vous dites qu'il faut remettre les choses dans le contexte. Vous avez parlé de « camps de concentration nazis » et, à un autre moment, de « méthodes dignes de Hitler et de Staline ». Il y a dix minutes, dans un contexte nouveau, vous avez employé le terme d'« étoile jaune ». C'est extrêmement fort !

Je suis étonnée de votre perpétuel rapport avec cette histoire vieille de soixante ans. L'Etat a pensé faire le bien de ses concitoyens en proposant -et non en imposant- la vaccination contre la grippe H1N1. Personne n'y a été forcé. Cela fait une grande différence. J'étais d'ailleurs de celles et ceux qui la dénonçaient et refusaient de s'y prêter -contrairement à mon grand-père, qui est parti sans qu'on lui laisse le choix d'allers ou non vers l'Est ! Il y a chez vous quelque chose d'assez étonnant dans ces rappels perpétuels au nazisme. Je ne comprends pas pourquoi, encore aujourd'hui, vous nous parlez de quelque chose qui n'a rien à voir !

M. Thierry Bécourt. - J'ai parlé d'étoile jaune. Ce n'est pas moi qui emploie ce terme, mais certains groupes. Je ne suis pour ma part pas d'accord avec eux, et je le leur ai fait savoir en tant que président. Il faut bien avoir conscience que certaines personnes peuvent aller jusqu'à cette extrémité pour délivrer des messages forts. Je sais que ceci peut choquer mais, encore une fois, le choc permet de se positionner et de sortir les personnes de leur léthargie !

Il s'agit ici d'utiliser la symbolique de la stigmatisation. Le fait d'apposer sur un groupe une étiquette sectaire signifie, pour ses membres, l'impossibilité de progresser dans leur carrière, le risque de perdre leurs enfants en cas de divorce, de se voir refuser une salle pour donner une conférence, etc. C'est ainsi que l'on perd sa dignité. Nous traitons ces dossiers depuis la parution du rapport de la commission d'enquête de 1995. Il existe une réelle stigmatisation. Je vous accorde que cela va trop loin et je ne partage pas ces termes. Ne m'attribuez donc pas des propos que je n'ai pas prononcés !

Oui, la stigmatisation existe, et peut conduire certaines personnes au suicide, comme ce médecin qui, il y a cinq ou six ans, a été accusé d'appartenir à une secte...

M. Yannick Vaugrenard . - Talleyrand disait que tout ce qui est excessif est insignifiant. Vos propos figurent cependant noir sur blanc et je partage l'avis du rapporteur : il est surprenant que vous n'ayez pas été poursuivi pour de telles assertions, quelle que soit la justification que vous pouvez nous fournir aujourd'hui qui, selon moi, n'a aucune valeur !

Qui pourrait s'exprimer, devant une commission d'enquête ou ailleurs, en disant qu'il ne respecte pas les citoyens et qu'il est contre les libertés ? C'est d'un classicisme absolu que de commencer par nous dire que vous respectez les citoyens et que vous êtes bien entendu un ardent défenseur des libertés ! C'est d'une banalité confondante...

Vous vous êtes par ailleurs permis, sur votre site, d'attaquer l'un des nôtres sous un prétexte totalement fallacieux ! Quel était l'objectif ? S'agissait-il pour vous d'empêcher l'un de nos collègues de s'exprimer, d'être entièrement libre de sa parole et de sa pensée ? C'est extrêmement surprenant et va dans le même sens que les écrits excessifs que nous soulignions tout à l'heure !

Vous avez d'autre part évoqué le suicide de médecins. C'est fort regrettable. Mais vous avez certainement connaissance de personnes faisant partie d'une secte et malheureusement décédées pour avoir abandonné la médecine dite traditionnelle au profit de médecines alternatives. Des enfants sont parfois en cause du fait de dérives sectaires. Pensez-vous que notre société soit aujourd'hui suffisamment armée pour bien se défendre contre ces dérives sectaires et contre ces manipulations mentales ?

M. Thierry Bécourt. - Votre intervention comporte plusieurs questions. Vous citez Talleyrand : « Tout ce qui est excessif est insignifiant ». Je suis tout à fait d'accord... Ce qui est excessif, c'est cette chasse aux sectes et cette inquisition, qui devient insignifiante !

En ce qui concerne les attaques contre l'un de vos collègues, où figurent-elles, sur mon blog ou sur le site de la CAPLC ?

M. Yannick Vaugrenard . - Sur le site de la CAPLC...

M. Thierry Bécourt. - Qui est la personne en question ?

Mme Muguette Dini . -... « Alain Milon, un sénateur trop lié à l'industrie pharmaceutique »...

M. Thierry Bécourt. - C'est clair...

M. Alain Milon , président. - Non, pas du tout ! Il faudra m'expliquer ! (Rire).

M. Thierry Bécourt. - Le site de la CAPLC reçoit environ 3 700 visites par mois. Des informations comme celles-ci sont lues et relues, jusque dans nos cabinets d'avocats. C'est un travail de longue haleine. Les documents que nous publions sont vérifiés.

Il peut vous paraître dérangeant que nous attaquions l'un des vôtres. J'ai également cité deux sénateurs qui allaient dans notre sens ! Ce n'est pas parce que quelqu'un fait partie des vôtres qu'il ne pose aucun problème ! Pourquoi cite-t-on cette personne ? Nous avions des éléments bien précis pour l'attaquer. Lors d'une séance de l'OSCE, j'ai ainsi personnellement mis en cause M. Fenech, qui était présent avec son comité. Vous vous doutez bien que si nous l'avons fait, c'est parce que nous disposons d'éléments sûrs.

Lorsque nous affirmons que M. Fenech a des implications relativement claires dans des laboratoires pharmaceutiques ou des sociétés d'OGM, comme le Mouvement pour une organisation mondiale de l'agriculture (Momagri), c'est que nous en avons les preuves ! On ne peut se permettre de dire de telles choses si ce n'est pas vrai. On peut donc s'interroger sur la collusion entre la chasse aux sectes et les laboratoires pharmaceutiques !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Allez plus loin, Monsieur, répondez à la question !

M. Thierry Bécourt. - Il suffit de regarder notre site, Monsieur : les éléments y figurent !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous êtes ici et nous en sommes fort contents car cela permet un débat contradictoire. Allez donc plus loin. Vous avez effectivement mis en cause l'un des sénateurs de la commission d'enquête...

M. Thierry Bécourt. - Nous l'avons en effet mis en cause mais je n'ai pas le dossier ici...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Soyez précis, Monsieur !

M. Thierry Bécourt. - Je veux bien être précis mais je n'ai pas cet élément entre les mains. Je ne suis par ailleurs pas le seul à intervenir sur ce site -même si j'en assume la responsabilité...

M. Alain Milon , président. - Quand on va sur le site, c'est la première chose que l'on voie !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - C'est là votre méthode habituelle de déstabilisation !

M. Yannick Vaugrenard . - Le fait d'attaquer l'un des nôtres au moment où nous sommes en audition est-il destiné à nous faire taire, à nous impressionner ?

M. Thierry Bécourt. - A partir du moment où il existe des éléments sur ce site, c'est effectivement que nous en disposons.

M. Alain Milon , président. - Vous n'en avez aucun ! J'ai lu votre article : votre titre est extraordinaire ! Vous parlez d'« un sénateur trop lié à l'industrie pharmaceutique ». Si ce n'est pas stigmatiser quelqu'un que de parler ainsi, je ne sais ce que cela signifie ! Vous me reprochez d'avoir participé à des conférences sur la santé mentale, sur la psychiatrie, sur la dépendance et autres sujets du même ordre. Il s'agissait de conférences nationales dont les présidents étaient Mme De Greef, M. Touraine ou M. Le Guen...

Vous me reprochez d'avoir participé à un débat avec M. Le Guen, député, à propos de la santé mentale, débat financé par les laboratoires. J'aurais donc un lien avec les laboratoires ? Est-ce cela ?

M. Thierry Bécourt. - Dans ce cas-là, peut-être pas. Il peut y avoir une erreur...

M. Alain Milon , président. - Il y a erreur ! Je comptais en parler à la fin de cette audition : si vous estimez que je suis trop lié à l'industrie pharmaceutique, apportez-en les preuves ! Apportez-moi les preuves des chèques que j'ai pu recevoir des différents laboratoires, et nous verrons ! A ce moment-là, je me retirerais tout de suite -mais je vous défie d'en trouver !

M. Thierry Bécourt. - Tant mieux !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Nous sommes ici dans une commission d'enquête : je considère que vous êtes un homme dangereux pour nos concitoyens ! Vous ne m'avez pas répondu sur le sujet qui nous préoccupe... C'est très bien de défendre les mouvements à caractère sectaire ou, selon vous, la liberté de conscience, mais qu'en est-il des éléments que l'on trouve sur vos sites discréditant systématiquement la médecine et écartant les malades des soins ?

Certains de vos articles ou certains des sites vers lesquels vous renvoyez vos visiteurs affirment que la chimiothérapie est pratiquement plus dangereuse que le cancer ! J'ai sous les yeux une « Information sur les dangers de la vaccination des enfants » qui indique : « Comment l'éviter ? ». Croyez-vous qu'il soit bon d'inciter nos concitoyens à éviter la vaccination ?

M. Thierry Bécourt. - Oui, Monsieur, je le crois !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Nous avons également l'habitude du débat et nous vous avons écouté. Je considère que ce que vous faites -je le dis à titre personnel- est dangereux et ce n'est pas en essayant de vous masquer derrière la défense de la liberté de conscience, de la liberté d'expression et de la liberté thérapeutique que vous pourrez cacher des pratiques qui vont à l'encontre de cette liberté !

M. Thierry Bécourt. - Je conteste totalement ce que vous dites et j'insiste clairement, en face de cette commission sénatoriale, pour affirmer que la pratique des vaccins est dangereuse. Je suis depuis très longtemps en lien direct et acteur de la Ligue nationale pour la liberté vaccinale (LNLV), fondée par Fernand Delarue, dont le siège est à Annecy, de l'Association liberté information santé (ALIS), et de bien d'autres encore.

Je puis vous assurer que nous disposons d'éléments très concrets montrant que toute vaccination est dangereuse...

M. Yannick Vaugrenard . - Et la non-vaccination, elle, ne l'est pas ?

M. Thierry Bécourt. - Il ne s'agit pas de cela ! La question n'est pas aussi simple ! Un grand nombre d'études à travers le monde démontrent que la vaccination est dangereuse.

Je ne veux pas dire qu'il ne faut rien faire mais il existe d'autres moyens que la vaccination. Toute la « soupe » que l'on trouve dans les vaccins est extrêmement dangereuse. Enormément d'études à travers le monde le prouvent.

Je ne m'attends pas à ce que votre commission me donne raison. Dans d'autres lieux, c'est beaucoup plus facile ! Je suis un peu ici comme un chien dans un jeu de quilles, mais nous disposons d'énormément d'éléments démontrant que la vaccination est dangereuse !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous n'avez pas répondu à mes questions concernant la chimiothérapie et M. Hamer...

M. Thierry Bécourt. - Je n'ai aucun avis sur M. Hamer.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Evidemment, vos avocats vous ont dit qu'il a été condamné à de la prison ferme et qu'il ne faut pas le défendre !

M. Thierry Bécourt. - Il a été condamné pour exercice illégal de la médecine ! Je pense simplement qu'il faut écouter les personnes qui ont développé un système thérapeutique hors norme.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Savez-vous que cet homme et ses émules incitent les malades à ne plus se soigner ?

M. Thierry Bécourt. - C'est une erreur ! Et ce n'est certainement pas ce que nous défendons.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Si vous ne le défendez pas, ne renvoyez sur son site et ne vantez pas les mérites de ses méthodes !

M. Thierry Bécourt. - Nous sommes un organe contradictoire. Nous devons donner aux citoyens des moyens d'aller chercher l'information et de se forger eux-mêmes un avis.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Ce n'est pas exact : il suffit d'aller sur vos sites pour voir que la seule information que vous y donnez, c'est celle promouvant ce type de pratiques et non une autre. Toutes vos informations sont contre la médecine et défendent des procédés aussi dangereux que celui que je viens de décrire !

M. Thierry Bécourt. - Non, toutes nos informations ne sont pas contre la médecine. Elles incitent simplement à la remettre en cause...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous feriez mieux de remettre en cause la méthode Hamer !

M. Thierry Bécourt. - La méthode Hamer ne m'intéresse pas !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Dans ce cas, pourquoi figure-t-elle sur votre site ?

M. Thierry Bécourt. - Tout simplement parce qu'il y a un manque d'information à ce sujet. Je reprendrai la remarque de l'une des personnes que vous avez interrogée il y a quelques jours : nombre de nos concitoyens s'interrogent sur toutes ces médecines. Il est important de les écouter et de ne pas les rejeter...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Nous les écoutons. Nous ne rejetons pas tout, mais seulement ce qui est dangereux pour la santé !

M. Thierry Bécourt. - Ce n'est pas ce que nous constatons. Beaucoup de thérapies sont systématiquement rejetées. Il n'est qu'à considérer la liste des pratiques de santé que rejette la Miviludes !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous n'êtes pas devant la Miviludes, mais face une commission d'enquête sénatoriale. Ce n'est pas la même chose !

M. Thierry Bécourt. - Précisément : la Miviludes traite bien des sectes et des dérives sectaires. Je ne suis donc pas hors sujet ! Or, on trouve dans cette liste l'anthroposophie, la naturopathie, la programmation neurolinguistique, etc., que l'on rejette systématiquement. C'est là notre combat : il faut les entendre !

M. Alain Milon , président. - Comment voulez-vous qu'on ne les rejette pas quand on lit ce qu'on vous a lu tout à l'heure, que l'on entend que les vaccinations sont dangereuses et qu'il ne faut pas y procéder ?

Nous avons adopté, mercredi dernier, un rapport sur la vaccination, dans le cadre de la commission des affaires sociales. Je suis intervenu pour rappeler une expérience personnelle. J'ai en effet adopté une petite touarègue handicapée de Niamey. Je fais partie d'une association qui soigne les enfants et nous l'avons prise en charge pour la faire soigner en France pour différents problèmes articulaires, en particulier concernant la colonne vertébrale et les hanches. Elle a vécu chez moi et lorsque nous sommes retournés dans son village, la trentaine d'enfants de son âge étaient tous morts d'une épidémie de rougeole !

Vous dites qu'il faut arrêter les vaccinations : si ces enfants avaient été vaccinés, l'un d'eux aurait peut-être eu de la fièvre durant huit jours, que l'on aurait soignée avec de l'aspirine, et ils seraient toujours en vie ! Or, ils sont tous morts et vous nous dites que les vaccins ne sont pas utiles !

M. Thierry Bécourt. - Peut-on considérer le problème sous un autre angle ?

M. Alain Milon , président. - Ces enfants ne le peuvent plus du tout !

M. Thierry Bécourt. - On raisonne autrement. C'est une façon de vivre, un autre paradigme. Je vais régulièrement en Inde : certains endroits connaissent des conditions de forte insalubrité. Améliorez la salubrité, donnez aux enfants une eau pure et une alimentation saine, et vous verrez le nombre de morts diminuer...

M. Alain Milon , président. - Ils attraperont quand même la rougeole !

M. Thierry Bécourt. - Je suis père de cinq enfants. J'ai perdu un enfant et l'une de mes filles est handicapée. Un enfant qui n'a pas de bonnes conditions de vie présente beaucoup plus de risques qu'un autre d'attraper des maladies. Un enfant qui connaît de bonnes conditions de vie et qui attrape la rougeole, maladie relativement bénigne chez nous, n'en mourra pas !

M. Alain Milon , président. - C'est pourquoi la France, depuis qu'elle a arrêté la vaccination contre le bacille de Calmette et Guérin (BCG), connaît une recrudescence de tuberculose, alors que les gens sont par ailleurs en bonne santé !

M. Thierry Bécourt. - Ce n'est pas vrai : il y a une recrudescence de tuberculose à certains endroits de Marseille, de Paris ou dans le Nord de la France, du fait de mauvaises conditions de salubrité.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Qui finance votre association ?

M. Thierry Bécourt. - Nos adhérents...

Mme Muguette Dini . - Combien en avez-vous ?

M. Thierry Bécourt. - Notre lettre d'information tire à environ 2 000 exemplaires.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Combien avez-vous de cotisants ?

M. Alain Milon , président. - Deux mille...

M. Thierry Bécourt. - Je n'ai pas parlé de 2 000 cotisants : vous savez fort bien que, dans une association, tout le monde ne cotise pas...

Mme Muguette Dini . - Vous avez parlé de délation au sujet des victimes de dérives sectaires. C'est un mot qu'on a beaucoup utilisé lors de la dernière guerre... Quelle différence faites-vous entre le signalement d'enfants maltraités, de victimes de violences conjugales et de victimes de dérives sectaires ?

M. Thierry Bécourt. - Quand une situation est avérée, qu'un enfant est battu, par exemple, nous avons le devoir d'en avertir l'administration...

Pourquoi ai-je employé le terme de « délation » ? Il y a quelques années, j'habitais le Nord de la France. Je suis également astrologue, et ma femme aussi. Je ne sais si c'est un crime ou si cela constitue une dérive sectaire : peut-être allez-vous me le dire... Ma femme donnait alors des cours d'astrologie. Nous avons appris par l'une de nos étudiantes, infirmière dans une structure hospitalière, qu'elle avait été dénoncée auprès de sa direction par son responsable, au motif qu'elle était membre d'une secte et suivait des cours d'astrologie ! Elle a presque été sanctionnée pour cela ! Si la preuve avait été apportée que nous représentions un danger, il aurait été normal de nous dénoncer, mais il s'agissait de cours d'astrologie. C'est pourquoi je parle de dérive !

Audition de M. Jean-Philippe LABREZE, du Collectif des médecins et des citoyens contre les traitements dégradants de la psychiatrie (mardi 19 février 2013)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Jean-Philippe Labrèze, qui représente le Collectif des médecins et des citoyens contre les traitements dégradants de la psychiatrie.

Notre réunion d'aujourd'hui n'est pas ouverte au public ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Monsieur Labrèze, me confirmez-vous que vous avez donné votre accord pour que cette audition fasse l'objet d'une captation vidéo ?

M. Jean-Philippe Labrèze. - Je ne vous avais pas répondu mais je suis d'accord.

M. Alain Milon , président. - Etes-vous également d'accord pour que cet enregistrement soit éventuellement par la suite accessible sur le site du Sénat ?

M. Jean-Philippe Labrèze. - Je le suis également.

M. Alain Milon , président. - Je vous précise que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, qui est notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Jean-Philippe Labrèze de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Labrèze, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Jean-Philippe Labrèze. - Je le jure.

M. Alain Milon , président. - Nous nous excusons du fait que les auditions précédentes aient été plus longues que prévu. M. Labrèze devant prendre un avion à 21 heures, je précise que nous devrons le libérer à 19 heures 20.

J'ai donc proposé à M. Labrèze de nous faire parvenir quelques écrits que nous pourrons inclure dans le rapport, ce qu'il a accepté.

Monsieur Labrèze, vous avez la parole...

M. Jean-Philippe Labrèze. - L'action du Collectif est une action complexe, dans un environnement complexe. Par respect pour toutes celles et tous ceux, médecins et non médecins, qui ont associé leur nom à l'action du Collectif, et parce que je réponds à une convocation d'une commission d'enquête concernant l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, je tiens à préciser que le Collectif des médecins et des citoyens contre les traitements dégradants de la psychiatrie n'a rien d'un mouvement à caractère sectaire. Il était important pour moi de le préciser.

Le Collectif a été créé en 2005, dans un contexte très particulier. L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) venait de rendre un rapport sur les troubles de la conduite chez l'enfant et l'adolescent. Ce rapport nous a semblé extrêmement préoccupant. Les chiffres sont variables et il est difficile d'avoir des statistiques précises, mais on peut aujourd'hui considérer que 20 à 25 000 petits Français consomment de la Ritaline.

On pouvait lire dans ce rapport qu'il était nécessaire de dépister au plus tôt les troubles de la conduite, avec le caractère éminemment subjectif que revêt cette notion, et qu'en cas de dépistage, il deviendrait nécessaire de mettre en oeuvre une psychothérapie voire, en cas d'échec, des traitements médicamenteux lourds - méthylphénidates ou neuroleptiques.

Les médecins et les citoyens qui se sont saisis du problème ont agi avec une grande responsabilité et une conscience totale de la gravité de la situation.

C'est ce qui a conduit à la création de ce Collectif. Je ne débattrai pas ici, faute de temps, des raisons pour lesquelles l'Inserm a rendu un rapport aussi critiquable, tant sur la forme que sur le fonds. Plusieurs mois avant que d'autres associations ne se saisissent du problème et alertent l'opinion publique, conduisant l'Inserm à repenser ses méthodes de travail, nous avions déjà, au sein du Collectif, posé le problème avec toute l'acuité nécessaire. J'avais à cette occasion personnellement participé à un colloque dont le thème portait sur « les enfants européens : un nouveau marché pour l'industrie pharmaceutique » , la vie de nos enfants étant menacée par la prescription de Ritaline, dérivé amphétaminique.

Que dénonçait concrètement le Collectif ? Pour quelles raisons s'est-il mis en mouvement ? Il existe selon nous un problème majeur dû au tandem entre psychiatrie biologique et industrie pharmaceutique. Ce tandem rétrécit régulièrement, systématiquement, consciencieusement le champ du normal, pour accoler l'étiquette des troubles mentaux à un nombre de plus en plus grand de nos concitoyens.

Un chiffre est à cet égard édifiant et, à mon sens, profondément inquiétant : en 1952, dans la première version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-I), la bible de la psychiatrie, on recensait 112 troubles mentaux ; dans le DSM-IV, qui date de 1994, on en trouve 374 ! Avec la restriction consciencieuse du champ du normal, de plus en plus de nos concitoyens se trouvent qualifiés de malades mentaux, ce qui entraîne comme corollaire immédiat une prescription de psychotropes censés résoudre leurs problèmes.

C'est à notre sens l'un des dangers majeurs que courent nos concitoyens et c'est un des points sur lesquels le Collectif a voulu insister particulièrement.

L'autre point important qui se pose avec acuité - la justice vient de mettre en examen, même si mise en examen ne signifie pas, évidemment, culpabilité, le Pr Alexandre dans le cadre du Mediator - est cette inflation de diagnostics psychiatriques qui fait intervenir un facteur essentiel, celui de la corruption. Bien évidemment, lorsqu'un diagnostic est validé aux Etats-Unis, il passe sans difficultés les frontières et est admis unanimement en France.

Le rapport de l'Inserm de 2002, intitulé Dépistage des troubles mentaux chez l'enfant et l'adolescent cite les travaux du psychiatre suédois Gillberg, qui a découvert - ou plutôt inventé - un syndrome appelé Déficit moteur, de l'attention et de la perception (DAMP). Ce médecin a été condamné très lourdement par la Cour suprême administrative de Suède ; son pourvoi devant la Cour européenne des droits de l'homme a été rejeté parce qu'il avait totalement falsifié ses travaux. Lorsqu'il a été sommé de les produire par la justice, à la demande d'associations, il les a tout simplement fait détruire par ses collaborateurs ! Si Gillberg a été lourdement sanctionné, ses travaux ont néanmoins servi en partie de support au rapport de l'Inserm.

Je pourrais ainsi citer de nombreux exemples, comme celui du professeur de psychopharmacologie pédiatrique Joseph Biederman, qui a touché 1,6 million d'euros de la part des laboratoires pharmaceutiques. Cette personne n'a rien fait de moins que de populariser le trouble bipolaire chez le nourrisson. « Grâce à lui », aux Etats-Unis, dès l'âge de deux ans, des nourrissons se voient mis sous neuroleptiques parce qu'ils ont été diagnostiqués bipolaires ! Je suis père de deux enfants : je trouve cela profondément dramatique et alarmant. C'est l'un des points sur lesquels le Collectif tenait à insister...

Dernier exemple enfin, celui de Charles Nemeroff, l'un des pères du DSM, qui a, quant à lui, touché 15 millions de dollars de l'industrie pharmaceutique.

Je disais tout à l'heure que le tandem constitué par la psychiatrique biologique et l'industrie pharmaceutique faisait peser une chape sur nos sociétés en promouvant des troubles mentaux inventés. C'est un point qui mériterait d'être largement développé...

Vous savez que la France se situe au second rang, derrière les Etats-Unis, en termes de consommation de psychotropes. Voilà une statistique profondément alarmante !

M. Alain Milon , président. - Ce n'est sans doute pas de la faute des psychiatres...

M. Jean-Philippe Labrèze. - Je vous invite à lire ce qu'écrit le Pr Béraud, ancien vice-président de la commission de transparence de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Afssaps), à qui l'on peut accorder un certain crédit, qui estime dans la préface du livre de Guy Hugnet, Antidépresseurs, la grande intoxication. Ce que cinq millions de Français ne savent pas encore : « Le nouveau livre de Guy Hugnet est plus qu'une brillante, implacable et rigoureuse dénonciation des mensonges des industriels, des médecins leaders d'opinion et des agences du médicament qui ont fait des antidépresseurs des produits miraculeux, prescrits à des millions de malades par des dizaines de milliers de médecins, mystifiés par les publications des laboratoires pharmaceutiques et dupés par les affirmations des visiteurs médicaux. Ce livre est en effet une recherche approfondie pour lesquelles des millions d'hommes et de femmes consomment chaque jour, durant des mois ou des années, des produits qui ne sont médicalement efficaces que pour une très faible minorité d'entre eux, mais qui peuvent les conduire au suicide et qui nuisent à leur santé, en les exemptant de rechercher les causes profondes de leur mal-être » .

M. Alain Milon , président. - C'est d'ailleurs pour cela qu'ils prescrivaient des psychotropes !

M. Jean-Philippe Labrèze. - Un autre point paraît fondamental aux membres du Collectif : le législateur a souhaité inscrire dans le code de la santé publique deux dispositions qui nous semblent majeures ; il s'agit des articles L. 1110 -5 et L. 1111-2. En effet, lorsqu'un patient sollicite l'aide d'un médecin, le devoir du médecin est de l'informer de l'existence d'éventuelles alternatives thérapeutiques et de le mettre en garde contre les effets graves ou fréquents, normalement prévisibles, des traitements qui vont lui être administrés.

Or, à chaque fois qu'il m'a été donné de parler à des parents dont les enfants avaient été placés sous Ritaline, ceux-ci m'ont dit qu'on ne leur avait dit qu'il s'agissait d'un produit stupéfiant, appartenant au tableau 2 de la convention des Nations Unies sur les produits stupéfiants et psychotropes, et qui avait causé des dizaines de décès par arrêt cardiaque. Je vous renvoie à l'intervention du docteur Baughman devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui affirme qu'entre 1980 et 1990 5 ( * ) , 186 enfants sont officiellement décédés des effets secondaires de la Ritaline !

J'ai vu défiler les parents devant le congrès des Etats-Unis avec la photo de leur enfant : quand on les autopsie, leur coeur est celui de cocaïnomanes, après deux, trois, quatre ou cinq ans de prise de Ritaline, dérivé amphétaminique. C'est une tragédie, et les membres du Collectif estiment que lorsqu'un parent doit se déterminer sur le fait de savoir s'il accepte ou non qu'un médecin prescrive de la Ritaline à son enfant, il a le droit de savoir que c'est un peu comme la roulette russe : cela peut se passer plus ou moins bien, ou très mal pour l'enfant !

Ce point nous semble fondamental car le fait que des prescriptions interviennent dans ces circonstances contrevient à deux dispositions essentielles du code de la santé publique, ainsi qu'au décret n° 2012-855 du 5 juillet 2012 qui, dans son article 5, revient sur la notion fondamentale de consentement éclairé. Quand un patient - ou les parents de celui-ci - doivent décider s'ils veulent qu'on leur administre un traitement ou qu'on administre un traitement à leur enfant, ils doivent se déterminer en donnant un consentement éclairé : ceci ne peut se faire que s'ils ont reçu les bonnes informations !

J'ai personnellement saisi le Pr Sicard, dans le cadre de l'action du Collectif, à l'époque où il était président du Comité consultatif national d'éthique, à propos d'un problème qui nous apparaissait également majeur, celui de la sismothérapie - ou électrochocs. Le public - et parfois même certains médecins - pensent souvent qu'il s'agit de pratiques d'un autre âge. Pas du tout ! Des milliers de patients, en France, reçoivent chaque année des électrochocs. Saisi par le Collectif, le Pr Sicard avait créé un groupe de travail sur ce sujet, dont le responsable était le Pr Beloucif. J'avais personnellement fait le nécessaire pour qu'un expert étranger, le Pr Breggin, qui intervient dans beaucoup de procès aux Etats-Unis, soit entendu par le groupe de travail. Cela ne s'est pas fait, et le Comité a conclu que les électrochocs n'étaient pas une si mauvaise chose. Personnellement, je pense que le fait de recourir encore à la sismothérapie dans notre pays est une tragédie ! Quand les patients ou leur famille donnent leur accord pour recevoir ou pour qu'on administre un tel traitement, ils le font en méconnaissance des effets délétères profonds de cette technique !

Pour terminer, je voudrais citer le professer Zarifian, qui écrivait ceci : « La psychiatrie est ce que la société en fait. » Plus précisément, c'est l'idéologie dominante d'une époque qui est responsable des représentations que suscitent les troubles psychiques. Aujourd'hui, la médecine, la science et leur alliée, la pharmacie, ont annexé les débordements psychiques et les troubles du comportement. « La santé a remplacé le salut » , disait Michel Foucault. S'en trouve-t-on mieux pour autant ? Tout est-il définitivement réglé, et l'image de la psychiatrie en est-elle grandie ? On peut s'interroger ! Néanmoins, la société y trouvant son compte à de multiples égards, on est passé progressivement du traitement des troubles psychiques - qu'il est impératif d'alléger - à la médicalisation systématique de la simple souffrance psychique existentielle. Or, celle-ci, parce qu'elle est le propre de l'homme, mérite d'être respectée. Utilisant l'alibi de diagnostic artificiel, son gommage systématique par des moyens chimiques est un génocide de l'esprit humain.

M. Alain Milon , président. - La parole est au rapporteur...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Dans quelle spécialité exercez-vous la médecine ?

M. Jean-Philippe Labrèze. - Je suis médecin généraliste.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Prescrivez-vous des médicaments ?

M. Jean-Philippe Labrèze. - Lorsqu'un patient est atteint d'une pneumopathie, je prescris des antibiotiques. Je traite mes malades de façon appropriée, conformément aux données acquises de la science.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Comment en êtes-vous arrivé à créer ce Collectif ?

M. Jean-Philippe Labrèze. - C'est une démarche citoyenne...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - L'avez-vous créé seul ?

M. Jean-Philippe Labrèze. - Non, avec d'autres confrères...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - On ne trouve pas des médecins qui ont cette opinion par hasard !

M. Jean-Philippe Labrèze. - Cela fait plus de vingt ans que je fais de la médecine. J'échange donc avec mes confrères. C'est une opinion plus largement partagée qu'on ne pourrait le croire. Un certain nombre de médecins sont en mesure d'analyser les données...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Votre lutte semble exclusivement dirigée contre l'institution psychiatrique. En avez-vous parlé avec les psychiatres de votre région ?

M. Jean-Philippe Labrèze. - Je parle avec certains d'entre eux.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Avez-vous suivi une formation relative à la psychiatrie ?

M. Jean-Philippe Labrèze. - Non.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous avez donc découvert ce sujet en recevant vos patients...

M. Jean-Philippe Labrèze. - C'est un sujet qui m'intéresse. La psychiatrie fait partie du champ de la médecine et je m'y suis intéressé pour une raison simple : c'est la seule discipline qui ait la possibilité de contraindre. Si vous n'êtes pas satisfait de la façon dont votre cardiologue vous prend en charge, ou du traitement qu'il veut vous donner, vous pouvez changer de praticien. Ce n'est pas le cas en psychiatrie, discipline qui détient le pouvoir de contraindre. En tant que citoyen, cela m'a particulièrement interpellé.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Nous connaissons aussi, en tant que législateur, le pouvoir de contrainte que peut exercer la psychiatrie. Vous savez toutefois que ce pouvoir est très strictement encadré, le juge siégeant à présent presque dans les services psychiatriques.

On peut proclamer ses convictions dans ce domaine, mais la réalité est différente. En tant qu'élus locaux, il existe des cas où nous sommes particulièrement heureux de pouvoir nous adresser à un service de psychiatrie, étant donné les difficultés que connaissent certains de nos concitoyens en la matière.

M. Jean-Philippe Labrèze. - Ce sont les abus psychiatriques qui nous interpellent, non la psychiatrie. Le fait que les juges interviennent à présent est le résultat du combat des associations de terrain, qui demandent depuis des années la judiciarisation des procédures d'internement. C'est notre action qui a conduit à ce changement radical et à cette décision du Conseil constitutionnel. Il faut rappeler cette statistique particulièrement alarmante : nous internons trois fois plus que nos partenaires européens ! Entre 1990, moment où est passée la loi Evin, censée diminuer le nombre d'internements, et 2000, les internements sont passés d'environ 37 000 à plus de 72 000 !

Les droits de l'homme étaient auparavant très peu garantis ; ils le sont bien plus depuis la décision du Conseil constitutionnel qui a mis en oeuvre ce que nous demandions depuis des années : un juge du judiciaire se saisit...

M . Jacques Mézard , rapporteur. - Nous le savons, nous avons voté la loi ! Ce n'est pas la peine de nous la réciter !

Quel type de confrères compte votre association ?

M. Jean-Philippe Labrèze. - Il s'agit de médecins qui ont signé la pétition adressée au Chef de l'Etat...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Avez-vous des liens avec la Commission des citoyens pour les droits de l'homme (CCDH) ?

M. Jean-Philippe Labrèze. - Non, le Collectif n'a pas de lien avec cette commission. Je l'ai cependant personnellement présidée plusieurs années après avoir créé le Collectif - mais c'était un choix personnel.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - C'est intéressant : on connaît les liens de la CCDH avec la Scientologie !

M. Jean-Philippe Labrèze. - En effet. Cette commission a été cofondée par un professeur de psychiatrie, le Pr Thomas Szasz, et l'Eglise de Scientologie.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Nous sommes bien d'accord. Peut-on dire que l'un des objectifs de la CCDH est la lutte contre toute l'institution psychiatrique ?

M. Jean-Philippe Labrèze. - Non, on ne peut le dire ainsi, je suis désolé...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Votre discours est assez édifiant et éclairant ! Cette lutte contre la psychiatrie et contre la médecine psychiatrique ressort de la CCDH et de votre collectif, mais que pensez-vous des psychothérapeutes et de tout ce qui tourne autour des diverses pratiques non conventionnelles ?

M. Jean-Philippe Labrèze. - Nous ne nous en prenons pas à la psychiatrie. Je vous rappelle que la CCDH a été cofondée par un professeur émérite de psychiatrie...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Nous connaissons son fonctionnement. Je vous ai posé une question...

M. Jean-Philippe Labrèze. - La CCDH compte également en son sein de nombreux psychiatres. Ces personnes ne viendraient pas soutenir une association qui aurait pour vocation de les détruire ! La CCDH combat les abus psychiatriques.

Pour répondre à votre question, je m'efforce de bâtir ma pratique sur un précepte : Primum non nocere , d'abord ne pas nuire...

Vous parlez de psychothérapie. On peut selon moi s'interroger légitimement sur l'efficacité de telle ou telle approche, mais je pense que l'on peut être d'accord sur le fait qu'il est peu probable que cela inflige un préjudice à la personne qui y recourt. Pour le médecin que je suis, c'est une dimension essentielle.

Je ne dirais pas la même chose des neuroleptiques. Les études de Casadebaig et d'Osborn - qui figurent dans la clé USB que je vous ai remise - démontrent la surmortalité considérable des patients psychiatriques traités au long cours par ces médicaments. Cela ne peut manquer, selon moi, d'interpeller le législateur, les médecins et les personnes qui, en conscience, réfléchissent à ce problème.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - On est là plus dans le dogme que dans la médecine !

M. Jean-Philippe Labrèze. - Non, il s'agit de faits !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Pensez-vous que la Scientologie apporte des offres thérapeutiques susceptibles de prendre en charge ce que la psychiatrie appelle la « maladie mentale » ?

M. Jean-Philippe Labrèze. - Vous avez demandé à un représentant du Collectif des médecins et des citoyens contre les traitements dégradants de la psychiatrie de venir s'exprimer devant vous. Je suis présent à ce titre. Si vous souhaitez entendre le citoyen ou le scientologue que je suis, puisque c'est ma religion depuis vingt-deux ans, c'est un autre débat.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Ce sont cependant des approches totalement convergentes ! L'action de votre Collectif et de la CCDH partagent pour le moins des axes conjoints... Ce n'est qu'une constatation !

M. Jean-Philippe Labrèze. - La Scientologie est une religion. Elle n'a pas vocation à prendre en charge des personnes atteintes de troubles mentaux. Elle laisse ce soin à des professionnels. Je vous renvoie aux nombreuses brochures publiées par la CCDH, dans lesquelles il est conseillé noir sur blanc aux personnes souffrant de troubles mentaux de consulter un médecin, un praticien, en lui demandant de rechercher des causes physiologiques sous-jacentes qui pourraient expliquer cet état. On pourrait débattre longuement de ce sujet. La Scientologie n'a pas vocation à traiter des troubles mentaux. C'est une religion : elle s'occupe de paroissiens et je ne suis pas ici pour en parler. Je ne suis pas représentant de l'Eglise de Scientologie...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous êtes un médecin, vous avez prêté le serment d'Hippocrate ; vous êtes là pour soigner nos concitoyens : avez-vous eu des problèmes avec le Conseil de l'Ordre des médecins ?

M. Jean-Philippe Labrèze. - Oui !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - De quelle nature ?

M. Jean-Philippe Labrèze. - J'ai eu deux problèmes avec le Conseil de l'Ordre des médecins. Le dernier en date vient du fait de ma présidence de la CCDH. J'ai été radié à vie par le Conseil départemental de l'Ordre des Bouches-du-Rhône pour être intervenu dans des dossiers où des parents m'avaient appelé à l'aide, leur enfant de quelques années se voyant administrer trois neuroleptiques. J'ai contacté le psychiatre en charge de ce cas pour lui faire remarquer qu'il prescrivait à un enfant des neuroleptiques dont l'un était interdit pour les enfants et que je ne comprenais pas cette pratique. Cela m'a valu une plainte du Conseil de l'Ordre...

Je suis par ailleurs intervenu pour m'opposer à ce qu'un patient hospitalisé à Sainte-Anne reçoive des électrochocs contre sa volonté. Ni le chef de service, ni le directeur de l'hôpital n'ont répondu à ma requête. J'ai dû alerter le procureur pour faire cesser cette situation, ce qui a effectivement été le cas.

Toutes ces plaintes cumulées m'ont valu une radiation du Conseil départemental de l'Ordre des Bouches-du-Rhône. Cette radiation a été commuée en un an de suspension par le Conseil national de l'Ordre des médecins. Je n'en veux pas à mes contradicteurs. Le dossier était devenu extrêmement volumineux. Il s'agissait d'une accumulation de mensonges, de contrevérités que j'ai dû démonter les unes après les autres, en démontrant que mon action était restée strictement conforme aux dispositions du code pénal et à celles du code de la santé publique.

Pour motiver cette année de suspension, on a utilisé des faits qui n'étaient pas conformes à la vérité. Si j'avais été jugé en raison de faits avérés, j'aurais accepté la sentence, mais on m'a imputé des actions que je n'avais pas commises !

Le premier problème que j'ai eu avec le Conseil de l'Ordre venait du fait que j'avais créé, il y a de nombreuses années, des centres de conseils en nutrition, sous la supervision de diététiciennes, pour réapprendre à certains patients les règles d'une alimentation équilibrée.

Je n'exerçais pas en tant que médecin mais j'avais commis l'erreur de ne pas me radier. J'ai été radié par le Conseil départemental de l'Ordre sur la base d'un dossier où certains documents comportaient la mention « membre de la secte de Scientologie », « donne son argent à la Scientologie », etc. Cette première radiation a été commuée en deux ans de suspension. J'ai reconnu mon erreur. Je n'ai pas porté préjudice à qui que ce soit. On pourrait imaginer des préjudices plus importants infligés à des patients.

J'ai assumé les conséquences de cette première condamnation ; j'ai changé ma base d'opération, et j'ai repris une activité médicale normale sans aucun problème, jusqu'à ce que j'exerce la présidence de la CCDH et que je sois inquiété par des psychiatres et des hôpitaux psychiatriques pour les raisons que je viens de préciser.

M. Alain Milon , président. - La parole est aux commissaires...

Mme Catherine Deroche . - Vous avez dénoncé les effets secondaires de la Ritaline, qui sont maintenant établis. Lorsque vous prescrivez une thérapeutique classique, avez-vous le même souci d'information vis-à-vis de vos patients que celui que vous exigez des autres thérapeutes ?

Par ailleurs, comment vous situez-vous dans votre pratique médicale par rapport aux médecines complémentaires ou à des médecines alternatives ? Lesquelles utilisez-vous ? Quel bénéfice y trouvez-vous par rapport à la médecine classique ?

Pourquoi manifestez-vous un tel intérêt vis-à-vis de ce que vous appelez les « traitements dégradants de la psychiatrie » ? Quel traitement appliquerez-vous à un patient atteint de schizophrénie ?

M. Jean-Philippe Labrèze. - Je m'efforce de rester intègre et en conformité avec mes convictions - partagées par de nombreux médecins. J'ai été interrogé à ce sujet par un collège d'experts lorsque l'Ordre des médecins a essayé de m'empêcher d'exercer ma pratique, sous prétexte que, présidant une commission sur les abus psychiatriques, je devais être moi-même atteint de troubles mentaux. Si je suis confronté à quelqu'un qui présente des troubles mentaux, craignant que la personne ne soit prise en charge de façon inappropriée et que ses droits puissent être violés - ce qui n'est évidemment pas systématiquement le cas -, je me défausse et dirige le patient vers un autre médecin. Je m'assure que la prise en charge médicale peut être assurée mais je ne prends pas en charge la personne.

J'ai eu la chance d'échanger à de nombreuses reprises avec un professeur de psychiatrie, responsable de la schizophrénie aux Etats-Unis, le Pr Mosher, qui a créé ce qu'on appelle les centres Soteria. Il s'agit de centres dans lesquels on prend en charge les schizophrènes sans recourir aux neuroleptiques. C'est une prise en charge plus longue, qui demande une grande humanité de la part des soignants et beaucoup de respect, mais le Pr Mosher a démontré que la guérison était plus importante qu'avec une neuroleptisation massive. Si, demain, il existe en France des centres Soteria - et c'est une préconisation du Collectif -, j'y dirigerai ces patients avec grand bonheur.

Vous m'interrogez d'autre part pour savoir de quelle façon j'utilise les médecines alternatives non conventionnelles. Je vous rappelle que le Parlement européen, dans une résolution adoptée en mai 1997, demandait à la Commission d'engager un processus de reconnaissance des pratiques non conventionnelles. On a tendance à penser que la médecine conventionnelle est exempte de toute critique. Je vous invite à ce sujet à lire l'ouvrage des professeurs Debré et Even, qui rappelle que, chaque année, on compte 100 000 accidents thérapeutiques graves, et 20 000 décès imputables aux médicaments. Il existe un consensus sur ce chiffre.

Mme Catherine Deroche . - Pour combien de guérisons ?

M. Jean-Philippe Labrèze. - Je prescris des antimigraineux, des antibiotiques, des médicaments cardiovasculaires mais je rappelle ce que le Parlement européen a demandé à la Commission de s'engager dans un processus d'étude destiné à uniformiser les législations en matière de pratiques non conventionnelles, qui sont reconnues aux Pays-Bas, en Suède, en Finlande, en Angleterre. Dans les pharmacies allemandes, on trouve des médicaments reposant sur la médecine anthroposophique. Tous les législateurs qui ont pris ces décisions ne sont pas des farfelus : s'ils l'ont fait, c'est sur la base d'études rigoureuses et d'éléments tangibles !

Personnellement, la seule médecine non conventionnelle à laquelle je recours est l'ostéopathie quand je pense que cela peut être utile pour mes patients. L'ostéopathie est reconnue en Angleterre et dans d'autres pays. C'est la seule médecine non conventionnelle à laquelle je recours personnellement.

M. Gérard Roche . - Je ne me permettrais pas de juger votre carrière - nous ne sommes pas là pour cela - mais les propos que vous tenez m'inquiètent à plusieurs titres.

Tout d'abord, vous avez une vision très passéiste, presque moyenâgeuse, de la maladie mentale, qui devient une sorte de maladie honteuse. Tout le monde sait que les choses ne sont pas aussi simples : il y a des maladies mentales graves et des troubles du comportement bénins, exactement comme dans la médecine traditionnelle.

Vous condamnez par ailleurs certains traitements pour leurs effets secondaires. Tout le monde connaît les effets secondaires à long terme des psychotropes et des neuroleptiques. Quel médecin pourrait prescrire ces médicaments en souhaitant que son patient en subisse les effets secondaires ? Pourquoi les psychiatres les prescrivent-ils ? Il faut peser les bienfaits du traitement, ses effets secondaires, et graduer. Il ne faut pas jeter le discrédit sur des thérapeutiques qui sont très efficaces ! Il n'est qu'à voir ce qui arrive lorsque certains patients arrêtent les neuroleptiques d'un seul coup ! On en a tous vu dans notre carrière !

Je ne reviens pas sur la sismographie : il s'agit d'indications particulières dans les services spécialisés. On ne peut généraliser...

Par ailleurs, on n'est plus à l'époque où l'on hospitalisait les patients de façon abusive ! Les règles sont très strictes et de nombreuses barrières qui existent. On sait combien les psychiatres sont prudents en la matière...

L'hospitalisation à la demande d'un tiers est, aujourd'hui, mieux adaptée et permet de régler des phases aiguës sans tomber dans les outrances que vous dénoncez.

Enfin, en discréditant globalement la médecine psychiatrique et la prise en charge des gens les plus fragiles, vous les orientez vers des médecines alternatives qui peuvent déboucher sur des dérives sectaires, ouvrant ainsi la porte à ce que nous sommes en train d'essayer d'éviter ! Vos propos vont donc à l'encontre de ce qu'essaie de mettre en place la commission d'enquête.

M. Jean-Philippe Labrèze. - J'entends bien. Il y a quelque chose de paradoxal qui semble avoir échappé à beaucoup d'intervenants. Vous parlez de l'efficacité des traitements psychiatriques. Personnellement, je considère que si un traitement neuroleptique était efficace, il serait légitime de penser qu'il peut, dans un laps de temps raisonnable, rendre sa santé mentale et son libre arbitre à un patient.

Dès lors, la notion de contrainte introduite pas le législateur est un non-sens. Comment expliquer cette violence et le fait que si vous ne prenez pas votre traitement, on vous interne et on vous l'administre en injection ? Si le traitement fonctionne, pourquoi les patients le suspendraient-ils ?

M. Gérard Roche . - L'opinion publique considère les maladies psychiatriques comme des atteintes mystérieuses qui envahissent les esprits. Or, les études montrent de plus en plus qu'il existe des dérèglements fonctionnels liés aux neuromédiateurs intracérébraux et qu'il faut contrôler ces dysfonctionnements par des traitements. On ne peut guérir ces malades par miracle ! Je souhaite qu'on aille beaucoup plus loin dans la rechercher neuropsychiatrique et qu'on sorte de l'approche consistant à considérer que la psychiatrie n'est pas une discipline comme les autres !

La psychothérapie peut apporter certaines améliorations, mais je souhaite que l'on réalise davantage de progrès et qu'on aille vers une approche neurobiologique et cellulaire de ces troubles. Je suis sûr que l'on va y parvenir grâce aux découvertes qui vont avoir lieu dans les décennies à venir !

Audition de M. Christian MORTIER, président de la Fédération française de reiki traditionnel (mardi 19 février 2013)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Christian Mortier, président de la Fédération française de reiki traditionnel.

Notre réunion d'aujourd'hui n'est pas ouverte au public ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Monsieur Mortier, me confirmez-vous que vous avez donné votre accord pour que cette audition fasse l'objet d'une captation vidéo ?

M. Christian Mortier. - En effet...

M. Alain Milon , président. - Etes-vous également d'accord pour que cet enregistrement soit éventuellement par la suite accessible sur le site du Sénat ?

M. Christian Mortier. - Je le suis.

M. Alain Milon , président. - Je précise à l'attention de M. Mortier que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, qui est par ailleurs notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Christian Mortier de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Mortier, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Christian Mortier. - Je le jure.

M. Alain Milon , président. - Monsieur Mortier, ainsi que vous en avez été informé, notre audition est prévue pour durer 45 minutes. Je vous invite donc à prononcer un court exposé introductif, puis mon collègue Jacques Mézard, et les sénateurs membres de la commission vous poseront quelques questions.

Monsieur Mortier, vous avez la parole...

M. Christian Mortier. - Je suis président de l'Institut de reiki et de la Fédération française de reiki traditionnel.

Il s'agit de deux entités juridiques : l'une est un organisme de formation au reiki traditionnel ; la Fédération française de reiki traditionnel fédère quant à elle des personnes qui veulent éventuellement se mettre à leur compte ou se fédérer autour du même projet.

La formation se déroule sur un à trois ans, suivant les capacités des personnes et selon le sens qu'ils souhaitent. C'est une formation dispensée pendant des cours, soit durant la semaine, soit le week-end ou bien les deux. La Fédération rassemble elle-même les personnes souhaitant se mettre à leur compte.

La Fédération est née en 2002 et l'Institut de reiki en janvier 2000.

Nous avons toujours voulu être transparents vis-à-vis des institutions, du public et de nos partenaires, de toutes les personnes qui nous font confiance ; en 2012, nous avons reçu la qualification de l'Intelligence service qualification - Office professionnel de qualification des organismes de formation (ISQ-OPQF), nous permettant ainsi de valider notre formation professionnelle.

Par ailleurs, nous avons, depuis un an, entamé une certification ISO 9001.

Cette transparence a toujours été importante pour assurer l'autonomie des personnes que nous formons et d'autre part pour obtenir la validation d'un organisme extérieur.

M. Alain Milon , président. - Je vous remercie. La parole est au rapporteur...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous indiquez dans votre documentation que le reiki est une pratique à visée thérapeutique. Pouvez-vous nous l'expliquer ?

M. Christian Mortier. - La visée thérapeutique correspond pour nous avant tout au bien-être et au confort des personnes que nous prenons en charge. Quand une personne est stressée et que nous la détendons, il s'agit d'une visée thérapeutique, qui s'inscrit bien évidemment dans un cadre non médical, non psychothérapeutique et non paramédical.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Sur le site de votre Fédération paraît un avertissement destiné à déceler ce qui n'est pas du reiki. Pourquoi ?

M. Christian Mortier. - Je pratique le reiki depuis 1991. J'ai commencé en cabinet. Neuf années m'ont été nécessaires pour retrouver l'authenticité de cette pratique. Les personnes qui, sur Internet, prétendent pratiquer le reiki ne l'utilisent pas vraiment et donnent de cette technique une très mauvaise image de marque, voire une image déplorable au plan national. C'est pour se démarquer des autres pratiques que nous avons créé notre Fédération et notre Institut. C'est également pour cette raison que nous avons déposé un signe distinctif, « reikibunzeki », car il existe des milliers de praticiens formés en deux à trois heures et trois week-ends. Il est évident que nous ne parlons pas de la même chose. C'est d'ailleurs assez terrible...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Je ne crois pas qu'il y ait de reconnaissance administrative de vos formations en tant que pratique thérapeutique.

M. Christian Mortier. - Non, bien sûr.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous dites que beaucoup de praticiens n'ont aucune compétence pour exercer du reiki. Comment voulez-vous qu'ils ne disent pas la même chose de vous ?

M. Christian Mortier. - C'est vrai, mais cela ne nous gêne pas car nous disposons d'un référentiel de compétences qui a été qualifié. Celui-ci a débouché sur un référentiel de formation et un référentiel métier.

Entre trois ans de formation et trois week-ends, il existe une certaine différence, celle-ci portant avant tout sur la profondeur de la pratique. Le reiki traditionnel est avant tout une union de la relaxation et de la méditation. Aujourd'hui, l'une et l'autre possèdent une dimension scientifique. Un certain nombre de travaux on été menés à ce sujet, et l'on peut en voir les bienfaits.

Pour le reste, il s'agit de croyances et non de connaissances. Je connais toutes ces personnes de longue date. Les croyances, à 95 %, reposent sur le mysticisme et relèvent du domaine de la « pensée magique » mais aussi sur des déviations permanentes destinées à prendre la place du corps médical, paramédical ou psychothérapeutique. On ne s'occupe plus du tout du confort du malade -bien que certains sites Internet soient politiquement corrects. Je reçois moi-même encore aujourd'hui des plaintes contre cette forme de reiki qui cherche à se substituer au corps médical. Certaines personnes prennent voix avec les disparus, Bouddha, Jésus ou d'autres. C'est affligeant !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Comprenez bien que c'est ce qui nous préoccupe ! Si je comprends bien, vous recevez vous-mêmes, étant donné votre pratique et votre dénomination, des plaintes de citoyens se plaignant de pseudo-praticiens du reiki qui sont dangereux et qui traitent le cancer, etc. Que faites-vous quand vous recevez de telles plaintes ?

M. Christian Mortier. - Je ne suis pas juge et partie. Si je reçois ce genre de courriers, c'est que ces personnes ne savent plus à quel saint se vouer. Souvent, je leur conseille de porter plainte. La loi est faite pour cela. En général, ils n'osent pas, ont peur de passer pour je ne sais qui ou je ne sais quoi, et nous demandent conseil. Le seul conseil que je leur donne est de porter plainte. C'est la seule chose que je puisse leur dire...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous comprenez bien que c'est préoccupant...

M. Christian Mortier. - C'est le mot !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous nous dites vous-même avoir constaté fréquemment ces dérives -et les constater encore aujourd'hui...

M. Christian Mortier. - Absolument ! J'ai créé un document de 76 pages pour dénoncer cette situation et je continue cette démarche avec ferveur, ces personnes n'ayant jamais pratiqué le reiki !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - On lit sur votre site que vous intervenez dans le cadre des pathologies suivantes : cancer, sida, opérations chirurgicales lourdes. Dans quel contexte intervenez-vous ?

M. Christian Mortier. - Il s'agit de dispenser du bien-être et du confort du malade. S'il n'existe pas de pathologie, il s'agit d'une simple relaxation. Si la personne est atteinte d'une pathologie, nous demandons l'établissement d'un diagnostic précis par un praticien médical, avant de nous occuper du bien-être de la personne, qui va se relaxer dans le temps présent et jouir d'un meilleur potentiel intérieur ; elle va trouver ses propres ressources et son autonomie face à sa maladie, subir moins d'effets secondaires -c'est en tout cas ce qu'elle nous dit.

Mme Catherine Génisson . - C'est complémentaire...

M. Christian Mortier. - Complémentaire, oui, sûrement, mais ce n'est pas une pratique médicale complémentaire.

Mme Catherine Génisson . - C'est une prise en charge complémentaire...

M. Christian Mortier. - Oui. Nous ne voulons pas nous substituer au corps médical. Nous n'en avons d'ailleurs pas les moyens. Il s'agit d'améliorer le confort du malade.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Il y a donc le bon reiki et le mauvais.

M. Christian Mortier. - Disons qu'il y a le reiki et certaines personnes y substituent d'autres choses...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Travaillez-vous avec des établissements hospitaliers ?

M. Christian Mortier. - Oui, nous travaillons depuis bientôt neuf ans en oncologie pédiatrique, dans le service du docteur Delépine, à Garches et, depuis un an environ, à Lariboissière, dans le service du Pr Baranger.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - L'avez-vous demandé ? Ce sont les chefs de service ou l'administration de l'hôpital qui ont frappé à votre porte ?

M. Christian Mortier. - Ce sont des soignants, qui à l'époque me connaissaient, qui ont demandé à ce que je rencontre les chefs de service. J'ai accepté. Le reiki est avant tout un accompagnement, une relation d'aide, qui permet de se relaxer, mais aussi d'être bien dans le temps présent, d'aller rechercher ses potentiels naturels, de retrouver ses couleurs, de donner parfois du sens à sa maladie et de soulager les douleurs.

Les chefs de service ont demandé à m'entendre afin d'être sûrs que cela ne pouvait causer de mal. Ils ont estimé que cela pouvait faire au contraire du bien ; cela fait maintenant neuf ans que nous sommes dans ces services.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Votre intervention fait-elle également du bien à la sécurité sociale ?

M. Christian Mortier. - Il s'agit de bénévolat : c'est donc très mal payé !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - N'avez-vous pas de convention avec l'hôpital ?

M. Christian Mortier. - Nous avons des conventions avec Lariboisière en tant que bénévoles.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Il existe cependant une convention ?

M. Christian Mortier. - Il y en a une à Lariboisière, mais pas dans les services du docteur Delépine.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Faut-il que les patients demandent votre intervention ou faites-vous une démarche directe auprès d'eux ?

M. Christian Mortier. - C'est le corps médical qui demande si le patient désire pratiquer de la relaxation. Le personnel passe le matin pour savoir si nous pouvons intervenir ou non. Il faut bien sûr qu'il s'agisse d'une demande des personnes ou des familles dans le cas des enfants. Il faut aussi que les médecins soient d'accord, car ce n'est pas toujours possible.

On nous appelle toutes les semaines, vers 11 heures, pour nous indiquer le nombre de patients intéressés -cinq, quinze, ou vingt. Nous venons alors avec des bénévoles et pratiquons. Nous redemandons néanmoins aux personnes si elles souhaitent une séance. C'est une règle pour nous, à l'hôpital ou en cabinet. Il faut que la demande soit formulée. Ce n'est pas nous qui allons vers les personnes...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - On voit sur votre site que vos formations ont été prises en charge par des organismes comme Pôle Emploi, ou des entreprises comme Renault, Air France, SANOFI. Est-ce toujours le cas aujourd'hui ?

M. Christian Mortier. - Oui. Cela représente à peine 10 % de notre chiffre d'affaires. Nous avons un tarif « Pôle Emploi » ou « Fonds de Gestion des Congés Individuels de Formation » (FONGECIF), mais consentons également 60 % de réduction aux personnes ayant peu de moyens, afin de leur permettre de pratiquer.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - A combien s'élève une formation ?

M. Christian Mortier. - Son coût est de 3 010 euros, soit 17 euros de l'heure environ, ramené à 1 200 euros pour les personnes ayant des difficultés.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Une fois formées, ces personnes peuvent-elles pratiquer en se prévalant de la formation que vous leur avez apportée...

M. Christian Mortier. - Oui...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous êtes une université à vous seul !

M. Christian Mortier. - Nous n'avons pas cette prétention ! Nous cherchons seulement à bien faire notre travail et à recevoir la validation des institutions qui nous font confiance, comme les hôpitaux ou Pôle Emploi. Nous sommes en quelque sorte des artisans...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Il y a de tout chez les artisans ! Vous ne fabriquez donc pas d'auto-entrepreneurs...

M. Christian Mortier. - Non.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Combien formez-vous de personnes chaque année ?

M. Christian Mortier. - Environ une centaine...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Arrivent-ils tous à en vivre ?

M. Christian Mortier. - Non. Certaines personnes ne se mettent à leur compte que cinq ans après. D'autres exercent en plus de leur travail, de manière à s'assurer un complément de revenus. Certaines veulent réaliser des consultations et se former. Le travail de relaxation et de méditation permet à la conscience de s'ouvrir. Les gens apprécient beaucoup le fait qu'il s'agisse d'une pratique qui donne du sens. Certains travaillent dans les bureaux, d'autres sont ingénieurs, éleveurs de chevaux, policiers, infirmières, médecins, ostéopathes et veulent acquérir une meilleure approche de leur métier.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Avez-vous des relations avec les autres pratiques non conventionnelles comme la kinésiologie, la naturopathie, le biomagnétisme, l'ondobiologie ?

M. Christian Mortier. - Nous n'avons aucune relation avec ce genre de pratiques. Je ne les connais d'ailleurs pas. Nous ne travaillons pas de la même façon : je ne fais aucun diagnostic, contrairement à certaines autres techniques. Personnellement, je n'ai aucun rapport avec celles-ci et ne souhaite pas en avoir !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous n'établissez donc pas de diagnostic...

M. Christian Mortier. - Non : nous sommes une pratique non médicale et non conventionnelle. Je ne vois d'ailleurs pas comment nous le pourrions. Cela me paraît invraisemblable !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Sur votre site, on voit que cette pratique permet d'aider à la gestion du stress et de la somatisation. Comment pouvez-vous savoir que vous avez affaire à une douleur psychosomatique ?

M. Christian Mortier. - Si la personne est un peu stressée, nous pratiquons une relaxation ; si elle se plaint du dos, par exemple, nous refusons d'intervenir sans diagnostic médical.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Ne considérez-vous pas dangereux de permettre à une centaine de personnes par an de se livrer à ces pratiques non conventionnelles -même si l'on peut considérer qu'elles ne font pas de mal, ce qui n'est manifestement pas votre but ?

M. Christian Mortier. - C'est un risque. C'est une question que je me suis posée...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Même s'ils sont électriciens ou professeurs, ce n'est cependant pas pour autant qu'ils peuvent, après quelques dizaines d'heures de formation, avoir le type de relations que vous décrivez avec ce qu'il faut bien appeler des « patients »...

M. Christian Mortier. - Je préfère le terme de « consultants ». A la moindre pathologie, nous exigeons un diagnostic médical. En cas de trouble psychologique, nous demandons une ordonnance du psychiatre avant de prendre les personnes en charge. Généralement, il n'existe pas de contre-indications à la relaxation et à la méditation dans ce domaine...

Nous sommes intransigeants à ce sujet. Si les gens que nous formons sortent de cette éthique, ils savent qu'ils ne pourront pas compter sur la Fédération.

Faire partie de la Fédération exige un suivi ; celui-ci est assuré par des supervisions régulières. Si les gens ne s'y soumettent pas, ils ne peuvent plus faire partie de la Fédération.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Comment une consultation se déroule-t-elle ?

M. Christian Mortier. - Une consultation dure environ une heure, parfois deux. Le consultant nous explique son attente et nous dit comment il nous a connus. Il est important de connaître sa démarche, sa demande. Nous lui demandons ce qu'il attend de nous, afin de déterminer s'il souhaite ou non une pratique magique ou en dehors de la réalité, à laquelle nous ne pouvons répondre. Nous lui conseillerons dans ce cas d'aller plutôt consulter un psychiatre, mais ne le prendrons pas en charge.

Si la demande du consultant correspond à la pratique du reiki traditionnel, nous lui expliquons la manière dont nous allons procéder. Il s'allonge ; nous posons les mains sur lui d'une certaine façon, en l'effleurant à peine. C'est le principe de la méditation. Il s'agit d'agir sur douze points précis. Au cours de cette relaxation-méditation, le consultant va s'abandonner à lui-même et rechercher en lui ses propres ressources. Quand il est détendu, un peu moins stressé, il fait appel à ses potentiels naturels, qui reviennent. Il peut alors faire face, donner du sens, avant toute chose. L'être humain dispose d'un certain nombre de ressources à cet égard !

Une fois la séance terminée, nous lui demandons comment celle-ci s'est déroulée et quel a été son ressenti, afin d'établir un lien dans sa vie.

M. Alain Milon , président. - La parole est aux commissaires...

Mme Catherine Deroche . - En cas de pathologie, vous demandez en fait au médecin s'il n'existe pas de contre-indications à la pratique du reiki. Quelles pourraient-elles être ?

M. Christian Mortier. - C'est ce que nous souhaitons savoir et nous ne pouvons le déterminer par nous-mêmes. Cela rassure le consultant, qui pose la question à son médecin.

Mme Muguette Dini . - Combien de personnes compte la Fédération ?

M. Christian Mortier. - Deux cents personnes environ suivent des cours ; les professionnels sont une quinzaine.

Mme Muguette Dini . - Quelle est la moyenne des séances et quel en est le prix ?

M. Christian Mortier. - On laisse au consultant le choix de revenir ou non. On ne sait pas le nombre de séances nécessaires pour régler le problème. Si les séances lui font du bien, il revient régulièrement. La moyenne est d'une à deux fois par mois. La séance d'une heure est facturée environ 60 euros.

Mme Muguette Dini . - Attendez-vous une formalisation du contenu de votre formation ?

M. Christian Mortier. - A quel niveau ?

Mme Muguette Dini . - Attendez-vous une reconnaissance encadrée de votre Institut ?

M. Christian Mortier. - Ce serait avec plaisir. Nous bénéficions déjà d'une première qualification professionnelle émanant de la Fédération de la formation professionnelle. Cela permet à notre formation de recevoir une validation extérieure. Pour nous, c'était extrêmement important. Peut-être voulez-vous parler d'une reconnaissance par l'Etat ?

Mme Muguette Dini . - Comment attester avoir répondu à un certain nombre de critères et être un véritable professionnel du reiki ?

M. Christian Mortier. - Je possède une formation de sophrologue analyste. J'ai travaillé avec David Servan-Schreiber sur les pratiques comportementales et cognitives. J'ai consacré par ailleurs 25 ans de ma vie à la méditation. Je sais donc de quoi je parle. Il faut posséder du savoir, du savoir-faire et du savoir être. C'est la le référentiel de compétences. Je souhaite donc bien évidemment aller plus loin : de quelle façon, je ne sais pas...

Mme Catherine Génisson . - Peut-on, après avoir bénéficié d'une formation, pratiquer le reiki sur soi-même ?

M. Christian Mortier. - On peut pratiquer le reiki sur soi-même pour se relaxer, par exemple. Entre deux séances, c'est parfois utile... Nous cherchons cependant à autonomiser les personnes en leur donnant des exercices pour leur permettre, entre deux séances, d'aller plus loin. Cela ne remplace pas une pratique professionnelle, mais c'est une aide incontestable.

Mme Catherine Génisson . - Vous avez évoqué vos relations avec David Servan-Schreiber. Vous nous l'avez déjà dit, mais pouvez-vous nous confirmer qu'à aucun moment ce que vous proposez ne se substitue à un traitement de médecine traditionnelle ?

M. Christian Mortier. - Absolument !

Mme Catherine Génisson . - Découragez-vous les consultants d'abandonner leur traitement allopathique ?

M. Christian Mortier. - Je les encourage au contraire à continuer ! Nous sommes sur ce point extrêmement vigilants. On sait très bien que, lorsque les personnes vont un peu mieux, elles désirent arrêter leur traitement. Cela fait partie du contrat que nous passons avec eux : si jamais ils ne prennent plus leurs médicaments, nous ne pouvons continuer à les recevoir. Nous ne pouvons manquer de nous en apercevoir. Je précise bien qu'il s'agit d'une aide pour pouvoir prendre ses médicaments et avoir moins d'effets secondaires. Je leur dis d'ailleurs, de manière un peu simpliste, que lorsqu'ils n'auront plus mal à la tête, le médecin arrêtera de leur prescrire de l'aspirine !

Les gens veulent très souvent arrêter la prise de médicaments à cause des effets secondaires. Quand ceux-ci s'amenuisent ou disparaissent, cela ne leur pose aucun souci. C'est en tout cas dans notre contrat !

Mme Catherine Génisson . - Vous êtes entré dans des services d'oncologie pédiatrique qui ont pignon sur rue. Cette relation s'est-elle directement établie entre les chefs de service et vous-même ou y a-t-il eu une consultation plus institutionnelle de la Commission médicale d'établissement (CME) ?

M. Christian Mortier. - D'après ce que je sais, la relation s'est établie dans le cadre du service. Je ne sais pas si les choses sont allées plus haut.

Mme Catherine Génisson . - C'est donc un accord de gré à gré...

M. Christian Mortier. - En effet. J'ai mis trois mois pour entrer dans ce service. L'oncologie pédiatrique est un domaine assez difficile. Les parents sont très demandeurs. Le personnel soignant également, car le stress est très important. D'un commun accord, nous avons tenté une expérience de quelques mois. J'ai travaillé avec tous les membres du service -psychologue, médecins, infirmières, etc.- Le système que nous avons mis en place fonctionne très bien.

Mme Catherine Génisson . - A partir de quel âge peut-on pratiquer le reiki chez un enfant ?

M. Christian Mortier. - A partir de quatre ans, quatre ans et demi.

Mme Catherine Génisson . - Peut-on faire de la méditation à cet âge-là ?

M. Christian Mortier. - Non, nous posons uniquement les mains sur l'enfant, ce qui l'apaise, grâce à notre propre travail intérieur. Il rentre en lui-même, s'endort alors qu'il ne dormait plus.

M. Stéphane Mazars . - Comprenez-vous pourquoi la commission d'enquête a souhaité vous entendre ?

M. Christian Mortier. - C'est moi qui l'ai demandé ! Dans le marasme que connaît le reiki, nous n'existons plus alors que ce n'est pas le cas ! Je tenais donc à être auditionné par la commission d'enquête et je vous remercie de m'avoir reçu.

Audition du Dr Marc HUNG, président de l'Union nationale des médecins à exercice particulier (mercredi 20 février 2013)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui le Docteur Marc Hung, président de l'Union nationale des médecins à exercice particulier (UNAMEP).

Notre réunion d'aujourd'hui n'est pas ouverte au public ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Monsieur Hung, me confirmez-vous que vous avez donné votre accord pour que cette audition fasse l'objet d'une captation vidéo ?

M. Marc Hung. - Oui.

M. Alain Milon , président. - Me confirmez-vous que vous acceptez que cet enregistrement soit éventuellement par la suite accessible sur le site du Sénat ?

M. Marc Hung. - Oui.

M. Alain Milon , président. - Je précise à l'attention du Dr Hung que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, qui est notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Hung de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Marc Hung, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Marc Hung. - Je le jure.

M. Alain Milon , président. - Ainsi que vous en avez été informé, notre audition est prévue pour durer 45 minutes. Je vous invite donc à prononcer un court exposé introductif, puis mon collègue Jacques Mézard, et les sénateurs membres de la commission vous poseront quelques questions.

Vous avez la parole...

M. Marc Hung. - Je suis installé en Lot-et-Garonne depuis trente-deux ans en tant que médecin acupuncteur et médecin à exercice particulier.

Je suis syndiqué depuis une quinzaine d'années et président de l'UNAMEP depuis près de cinq ans. L'UNAMEP est un sous-groupe de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), le plus grand syndicat national représentatif des médecins.

Mon action syndicale ne m'a jamais amené à être confronté aux sectes. J'en ai entendu parler comme tout le monde, mais je n'y ai jamais été confronté directement -sauf à titre personnel, dans mon exercice, lorsque j'ai soigné des patients évoluant dans ce milieu, ou lors de discussions avec mes confrères.

M. Alain Milon , président. - La parole est au rapporteur...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Pouvez-vous nous en dire plus sur les médecins à exercice particulier ? Combien y en a-t-il en France ? Quel type d'exercice pratiquent-ils ? Y a-t-il eu une évolution, ces dernières années, du nombre de praticiens dans le cadre de l'exercice libéral ou hospitalier ?

M. Marc Hung. - Le mot d'exercice particulier peut apparaître péjoratif, mais il s'agit d'un classement de la sécurité sociale.

Il y a quatre à cinq ans de cela, on avait estimé que 20 % des médecins environ relevaient d'un exercice particulier. 10 à 15 % des médecins le déclarent ; 35 % des généralistes ou même des spécialistes y recourent accessoirement. On les trouve essentiellement en acupuncture, homéopathie, ostéopathie mais il existe un autre groupe de médecins à exercice particulier qui regroupe les angiologues, les allergologues ou les endocrinologues.

L'UNAMEP est une sous-branche de la CSMF, celle-ci ne pouvant regrouper que des généralistes ou des spécialistes. Certains médecins cotisent donc aussi bien chez les spécialistes que chez les généralistes, mais on les regroupe parmi les mêmes.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Quelle est l'évolution des conditions d'exercice entre le secteur libéral et le secteur hospitalier ?

M. Marc Hung. - Les choses ont bien évolué. On assiste à ce sujet à une ouverture générale de la médecine dans ce domaine. Beaucoup de gens pratiquent ces médecines complémentaires. Ce qui nous inquiète, c'est le fait qu'un certain nombre de non-médecins suivent des formations d'ostéopathie, d'acupuncture ou d'homéopathie.

J'avais écrit il y a deux ou trois ans que cela pouvait arranger le Gouvernement, car cela coûte moins cher à la sécurité sociale !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Constate-t-on l'entrée de vos confrères dans le secteur hospitalier ?

M. Marc Hung. - Oui. Je suis ainsi attaché depuis cinq ans, dans le domaine de l'acupuncture, à la maternité de l'hôpital de Villeneuve. J'effectue deux vacations par semaine. Il existe de plus en plus d'ouvertures en cancérologie et en obstétrique.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Comment se répartit l'exercice de vos adhérents entre secteur 1 et secteur 2 ?

M. Marc Hung. - Je suis personnellement en secteur 2 mais la majorité des adhérents sont en secteur 1, tous ayant mon âge et personne ne pouvant plus entrer en secteur 2. Je suppose donc que le secteur 2 va mourir de sa belle mort ! Je ne sais si les secteurs ont, de ce point de vue, une véritable importance.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Pouvez-vous nous en dire plus sur le type des thérapies pratiquées par les médecins à exercice particulier ? On a compris que l'éventail était large et que certaines disciplines que vous venez de citer sont dans le secteur à exercice particulier.

M. Marc Hung. - A titre personnel, je me suis orienté vers la médecine par hasard. Je voulais en effet être pilote de chasse ! J'ai fait les classes préparatoires, mais j'ai eu des problèmes médicaux et j'ai dû me réorienter.

J'étais curieux de tout. C'est un domaine que je ne connaissais pas et auquel je n'avais jamais pensé. Quand j'ai commencé à exercer, j'avais une carte d'étudiant pratiquement tous les ans !

C'est à ce moment que j'ai été confronté aux sectes. Je me suis intéressé à la psychothérapie. J'ai passé un diplôme de psychologie, de sexologie et j'ai lu un jour un article parlant d'une technique de reprogrammation psychologique qui rendait beaucoup de services aux patients. J'ai alors acheté un gros livre qui avait trait de la Dianétique , qui m'a beaucoup impressionné.

C'est ce qui m'a amené à considérer que ces techniques de manipulation auxquelles nous sommes soumis manquent dans la formation des médecins, car nous sommes un public très valorisant pour ces mouvements. Les médecins qui en font partie ne s'en vantent pas, mais cela donne à ces groupes une grande légitimité pour recruter d'autres personnes. Je considère donc que la formation initiale des étudiants devrait comporter un minimum d'heures de cours sur ce sujet !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Quels sont les types de thérapies que l'on retrouve chez les médecins à exercice particulier ?

M. Marc Hung. - C'est dans le domaine de l'acupuncture qu'on en trouve le plus grand nombre. Je dispose dans ma base de 1 500 noms de médecins acupuncteurs. On y trouve ensuite les homéopathes, les ostéopathes, puis les spécialistes comme les allergologues, les endocrinologues, les spécialistes de médecine vasculaire, ainsi que les psychothérapeutes, dont je fais également partie, les médecins esthéticiens, qui sont quelque peu hors du champ de la sécurité sociale. L'un des vice-présidents de l'UNAMEP est médecin esthéticien. On trouve enfin des sexologues, spécialité dans laquelle j'ai également un diplôme...

Mme Catherine Génisson . - Qu'en est-il de la sophrologie et de l'hypnose ?

M. Marc Hung. - Un certain nombre de techniques que nous avons apprises dans nos formations de psychothérapie nous servent en consultation. J'ai également suivi une formation d'hypnose ériksonienne et une autre de programmation neurolinguistique (PNL). J'ai alors compris un certain nombre de techniques de manipulation des sectes, mais ces formations réservées aux médecins, faites par des médecins et dans un cadre universitaire, ont un but éthique. Ce sont des outils que je trouve redoutables, mais qu'il faut connaître.

Je pratique effectivement ces techniques d'hypnose, dans le cadre de certaines psychothérapies...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous avez dit avoir été confronté au phénomène de dérive sectaire chez des confrères et des patients...

M. Marc Hung. - Non, pas vraiment. Quelques-uns de mes patients qui font partie de sectes ont laissé, dans ma salle d'attente, des prospectus que j'ai éliminés rapidement, mais ils n'ont pas récidivé.

L'un de mes confrères m'a cependant raconté avoir eu, lorsqu'il s'est installé, un patient qui l'a invité à venir faire une conférence sur l'acupuncture devant son mouvement. C'est une technique d'approche qui valorise le médecin et qui, peu à peu, peut constituer un piège.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Considérez-vous que ces thérapies peuvent amener des problèmes chez certains confrères ou hors du corps médical ?

M. Marc Hung. - Je ne crois pas que ces thérapies représentent en elle-même un quelconque danger : tout dépend de leur utilisation. Il en va de même pour toutes choses : un couteau est un outil efficace lorsqu'il est entre de bonnes mains, mais il peut aussi servir à agresser quelqu'un !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Comment reconnaît-on que ces médecins ont les compétences nécessaires pour adhérer au syndicat et pour traiter des patients ?

M. Marc Hung. - Avant de pouvoir afficher leurs pratiques, ils ont nécessairement reçu une formation -la plupart du temps universitaire, mais pas toujours. Ainsi, l'hypnose, au départ, n'était pas enseignée à l'université. J'ai personnellement suivi ma formation dans un institut privé, l'Institut Milton Erikson, à Paris. Ces cours étaient dispensés par un psychiatre hospitalier, et s'adressaient à des médecins et à des psychologues. Les non-médecins n'étaient pas admis.

Cela offre donc un certain nombre de garanties selon moi. Ce sont des outils que je trouve très importants à connaître, car ils sont efficaces, utiles, et rendent beaucoup de services aux patients. Le problème vient du fait que ces outils, comme la PNL, ont été détournés à des fins commerciales, par des personnes qui les ont utilisés à des fins de manipulation mentale.

La PNL est une technique d'hypnose ériksonienne. Milton Erikson était un psychiatre américain qui utilisait au départ des moyens classiques et qui a mis au point une nouvelle technique, partant du principe que l'hypnose est un état de conscience modifié : l'esprit est dissocié en deux, le conscient agit pendant que l'inconscient accomplit autre chose. C'est ainsi que, lorsque vous avez appris une nouvelle grave, vous pouvez vous retrouver à un endroit sans vous souvenir de la route que vous avez suivie pour vous y rendre.

L'hypnose ériksonienne permet de réajuster la vision les patients qui sont venus demander son aide à un praticien. Je ne pratique jamais une psychothérapie ou une séance d'hypnose sur quelqu'un qui ne m'a rien demandé, mais l'hypnose est pour moi un outil intéressant pour modifier certains schémas mentaux de fonctionnement...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous avez indiqué que 25 à 30 % des médecins généralistes recouraient à certaines de ces techniques -même si c'est occasionnellement. Comment sont-ils formés ?

M. Marc Hung. - Il s'agit essentiellement de techniques concernant l'acupuncture et surtout l'homéopathie. Il existe maintenant des diplômes interuniversitaires d'homéopathie, mais il existait auparavant des écoles privées, créées par de grands laboratoires d'homéopathie pour former les homéopathes.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Un médecin qui souhaite recourir à ces techniques a-t-il besoin de justifier d'une formation ?

M. Marc Hung. - Non, sauf s'il souhaite le faire figurer sur sa plaque. Il doit le justifier par rapport au Conseil de l'Ordre.

Le médecin généraliste est par définition un omnipraticien. Il peut utiliser tous les outils thérapeutiques à sa disposition. Le fait de persuader son patient de s'arrêter de fumer fait partie d'une manipulation. Cela dépend plus du médecin que la technique...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Selon vous, comment s'effectue l'arbitrage entre ce qui peut être pris en charge par les thérapies complémentaires et ce qui relève de la médecine dite classique ?

M. Marc Hung. - Je me considère et me déclare comme médecin généraliste. Je suis mes patients pour de l'hypertension, du diabète, etc. Le jour où le patient que je traite pour du diabète a un problème psychologique quelconque, je l'adresse à un confrère psychiatre ou psychologue.

Certains patients me sont cependant envoyés par des confrères pour un sevrage tabagique par hypnose, un problème de sexologie ou de dépression, le patient refusant par exemple le traitement antidépresseur.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - On constate un relatif engouement pour certaines de ces techniques. Comment l'expliquez-vous ? Je parle des patients et non des médecins.

M. Marc Hung. - Je crois qu'il en va de même pour les médecins -mais ils ne le crient pas trop sur les toits. Un certain nombre de mes confrères utilisent aujourd'hui de l'homéopathie et je sais par ailleurs qu'ils ont suivi la formation.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Les raisons peuvent être cependant différentes, au moins partiellement.

M. Marc Hung. - En effet. Le médecin peut vouloir élargir sa clientèle, mais il peut aussi avoir constaté que certains patients sont en meilleur état...

Quant aux patients, il y a bien sûr toujours cette part de magie que ceux-ci recherchent dans des techniques qui ne sont pas reconnues. Les personnes traitées par homéopathie, dans leur grande majorité, se prennent toutefois mieux en charge, se documentent, alors que le patient classique consulte son médecin pour se faire prescrire des antibiotiques. Je ne vois pas mes patients habitués à l'homéopathie de tout l'hiver ! Je ne sais si c'est grâce à l'homéopathie, mais je constate qu'ils se prennent souvent mieux en charge...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Excellente réponse !

M. Alain Milon , président. - La parole est aux commissaires...

Mme Catherine Deroche . - Comment votre syndicat a-t-il pris la publication du Centre d'analyse stratégique ?

M. Marc Hung. - Assez mal ! J'ai failli leur demander un rendez-vous, et j'ai en fait publié un communiqué de presse en protestant contre la tendance qui consiste à vouloir faire faire de la médecine aux non-médecins !

Certes, il est vrai que ces techniques sont recommandées par l'OMS, mais elles le sont pour des raisons d'économies ! Elles peuvent être pratiquées par tout le monde et présentent peu de risques, sauf si le patient est pris en charge par n'importe qui !

Mme Catherine Deroche . - Même si cet exercice particulier est réservé à des médecins, n'existe-t-il pas un risque que les dérives sectaires parviennent à pénétrer le domaine de la formation ?

Ne pensez-vous pas qu'une sensibilisation à ces formes d'exercice devrait être mise en place ?

M. Marc Hung. - J'ai suivi un certain nombre de formations, aussi bien universitaire que non universitaire, par pur intérêt. Certaines présentaient une apparence sectaire. On les détecte en général très rapidement. Pour le public, c'est en revanche plus difficile.

Je ne pense pas que les diplômes universitaires ou interuniversitaires présentent un risque. Tout le monde connaît plus ou moins tout le monde. Des orientations sectaires seraient assez rapidement éventées. Je ne pense donc pas que la pénétration sectaire soit facile dans le domaine de la formation.

Je pense cependant qu'il serait utile de mettre en garde nos jeunes qui ne possèdent pas les outils nécessaires pour se prémunir contre certaines manipulations mentales.

M. Gérard Roche . - Nous ne sommes pas là pour juger de la qualité d'un type de thérapeutique, mais pour rechercher les dérives sectaires qui peuvent survenir dans le cadre de ces pratiques.

Ainsi que vous l'avez dit, le processus semble cependant pouvoir être totalement inversé, une secte pouvant demander à un thérapeute de tenir une conférence et, peu à peu, l'amener sur son terrain.

M. Marc Hung. - Je l'ai vu au moins deux fois...

M. Gérard Roche . - C'est une approche nouvelle et intéressante.

Ma question portait sur le fait de savoir s'il existait, dans le cadre de votre association, une mise en garde contre le fait que des thérapeutes peuvent être manipulés par une secte. Vous y avez un peu répondu...

M. Marc Hung. - C'est surtout vrai au niveau de la formation initiale. Pour ce qui est de la formation continue des médecins, domaine dans lequel je suis investi depuis une dizaine d'années -je suis président de l'Association de formation des médecins à exercice particulier (AFORMEP)- nous venons d'obtenir l'agrément du Fonds d'assurance formation (FAF) sur deux dossiers d'homéopathie, en cancérologie et en suivi de grossesse.

Nous nous investissons donc dans la formation continue, mais n'avons pas accès à la formation initiale, sous la coupe de mandarins !

Mme Catherine Génisson . - Les questions tournent toujours autour des mêmes sujets. Vous avez indiqué qu'il était important de sensibiliser les étudiants en médecine à la question des médecines particulières. Comment concevez-vous cet enseignement ? S'agit-il d'enseigner ces techniques particulières ou de sensibiliser les étudiants au fait qu'il faut être vigilant, ces propositions pouvant conduire à des dérives sectaires ?

Par ailleurs, vous avez indiqué avoir été reconnu en matière d'enseignement de l'homéopathie en cancérologie : pouvez-vous en dire plus ?

M. Marc Hung. - Non : j'ai monté un dossier de formation pour l'utilisation des techniques homéopathiques dans les traitements d'appoint...

Mme Catherine Génisson . - Vous avez été un peu lapidaire dans vos explications.

M. Marc Hung. - Cela s'appliquait cependant au domaine spécifique de la cancérologie.

Mme Catherine Génisson . - Faut-il prévoir un devoir d'alerte pour les étudiants en médecine ?

M. Marc Hung. - ... Ou les former à l'homéopathie et ou à l'acupuncture ? Non...

Cependant, il convient de les alerter, de leur donner une vision d'ensemble de l'homéopathie ou de l'acupuncture, qui peuvent paraître ésotériques par rapport à d'autres raisonnements plus sectaires.

Peut-être faut-il leur donner également des outils pour trier le bon grain de l'ivraie.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Que se passe-t-il si un médecin pratiquant la fasciathérapie veut adhérer à votre organisation professionnelle ?

M. Marc Hung. - Je ne connais pas la fasciathérapie. Je connais des kinésithérapeutes, dont je suis content, et qui la pratiquent. Je leur envoie des patients mais je ne sais pas ce qu'ils font. Certains patients m'ont assuré que ces praticiens leur avaient fait du bien. Je ne porte pas de jugement...

Le syndicat n'est pas compétent pour valider ou invalider un diplôme ou une technique particulière. C'est là le travail du Conseil de l'Ordre.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vos adhérents sont tous des médecins inscrits au Conseil de l'Ordre, mais vous n'effectuez aucun « tri » : si un médecin qui pratique l'ondobiologie désire adhérer à votre organisation, l'acceptez-vous ?

M. Marc Hung. - Il peut faire ce qu'il veut, du moment que le Conseil de l'Ordre l'accepte. Un syndicat médical est un syndicat professionnel fait pour défendre l'intérêt de la profession, à moins que l'on décèle des dérives sectaires -que l'on signalera dans ce cas. Si vous désirez adhérer à la Confédération générale du travail (CGT), personne ne vous empêchera d'en payer la cotisation !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous voyez où est le problème...

M. Marc Hung. - En effet, mais le syndicat ne peut demander leur diplôme à tous les médecins. Dès lors qu'ils sont inscrits au Conseil de l'Ordre et ont le droit d'exercer, ils peuvent adhérer.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Si un médecin veut adhérer à votre organisation avec un exercice si particulier que l'on sait qu'il s'agit de charlatanisme ou de dérive sectaire, que faites-vous ?

M. Marc Hung. - Je refuserai ou plutôt, c'est le syndicat départemental qui refusera, l'UNAMEP étant une union nationale et les adhérents payant donc leur cotisation au syndicat départemental.

Je n'ai aucune idée exacte de ce que font tous les adhérents. Les cas particuliers remontent vers moi pour m'interroger, mais je n'ai jamais eu affaire à ce genre de question.

Mme Catherine Deroche . - J'ai compris que l'exercice particulier était lié au statut que la sécurité sociale lui confère. Dans ce cadre, existe-t-il une nomenclature des spécialités ?

M. Marc Hung. - Je fais partie depuis l'an dernier du groupe de travail sur les médecins à exercice particulier, dans le cadre de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM). Nous avons fini par arriver à la conclusion qu'on ne peut que se fier aux déclarations des médecins. Les diplômes éventuels, qui doivent être validés par le Conseil de l'Ordre, n'affichent pas obligatoirement toutes les pratiques particulières. Les choses ne sont donc pas identifiables par les cotations de la sécurité sociale.

Le médecin généraliste adoptera donc une cotation C, comme pour une consultation, qu'il s'agisse d'une séance d'hypnose, de psychothérapie, ou de mésothérapie.

Audition de M. Thierry WAYMEL, président de la Fédération française des kinésiologues spécialisés et M. Bernard OPHOVEN, président du Syndicat francophone des kinésiologues spécialisés (mercredi 20 février 2013)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Thierry Waymel, président de la Fédération française de kinésiologie spécialisée et M. Bernard Ophoven, président du Syndicat francophone des kinésiologues spécialisés.

Notre réunion d'aujourd'hui n'est pas ouverte au public ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Messieurs, vous avez donné votre accord pour que cette audition fasse l'objet d'une captation vidéo. En revanche, vous subordonnez le fait que cette vidéo puisse être accessible sur le site Internet du Sénat au fait de la visionner préalablement.

M. Thierry Waymel . - Je le confirme.

M. Alain Milon , président. - Il est pris acte de votre souhait. Je précise à l'attention des personnes auditionnées que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, qui est notre rapporteur, et qui n'est pas en mesure d'assister à cette audition.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à MM. Waymel et Ophoven de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Waymel, Monsieur Ophoven, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les deux personnes se lèvent et prêtent serment.

Messieurs, ainsi que vous en avez été informé, notre audition est prévue pour durer quarante-cinq minutes. Je vous invite donc à prononcer un court exposé introductif, puis les sénateurs membres de la commission vous poseront quelques questions.

Vous avez la parole...

M. Thierry Waymel. - Je suis ancien militaire de carrière. J'exerce la kinésiologie depuis plus de quinze ans, en particulier la kinésiologie sportive. Je représente ici la Fédération française de kinésiologie spécialisée, dont j'occupe le poste de président depuis un an et demi, après quatre années de vice-présidence. Je suis accompagné par M. Bernard Ophoven, kinésithérapeute, méziériste, ostéopathe et kinésiologue, également président du Syndicat francophone des kinésiologues spécialisés.

La Fédération existe depuis plus de vingt ans. Actuellement, nous comptons environ 550 licenciés et une centaine d'étudiants. Nous possédons un code de déontologie, un code éthique, un règlement intérieur, une charte et un syndicat, déjà évoqué. Ce métier est référencé sous le code Rome - K1103.

Nous estimons que, sur le territoire français, environ 5 000 personnes utilisent le test musculaire ou les méthodes tirées de la kinésiologie. Ces personnes peuvent avoir une formation complète ou incomplète dans le domaine de la kinésiologie.

J'ai personnellement, depuis quatre ans, porté le dossier de professionnalisation au sein de la Fédération, afin de restructurer notre profession et de lui trouver un cadre légal et surtout juridique. J'ai été suivi dans cette démarche par l'ensemble du conseil d'administration de la Fédération.

Depuis, nous nous sommes structurées en région, chacune s'organisant autour d'un bureau et d'un comité d'organisation, afin de créer une homogénéité sur le territoire français. Nous souhaitons que la Fédération devienne l'interlocuteur principal des instances gouvernementales et gère l'ensemble des écoles à travers la régionalisation, respectant ainsi le choix et l'orientation des élèves.

Par ailleurs, nous sommes en relation avec la Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP), afin de déposer un dossier de certification comprenant trois niveaux. Nous avons en effet un niveau à 600 heures frontales 6 ( * ) , un second à 1 200 heures frontales et un troisième à 1 500 heures frontales. Je tiens à votre disposition un extrait de ce document, qui représente en particulier ma spécificité, afin de vous donner une idée du dossier que nous avons déposé. Aujourd'hui, le nombre d'heures demandé est de 500 heures. Cette formation est sanctionnée par des écrits, de la pratique supervisée et par un mémoire, mais cela nous semble aujourd'hui insuffisant.

Lors de notre prochaine assemblée générale, au mois de mars, nous allons faire passer le nombre d'heures de formation à 800 et à 1 500 heures. Comme je vous l'ai indiqué, nous disposons d'une charte, d'un code de déontologie, d'un règlement intérieur et sommes calqués sur le cursus européen. Nous avons de ce fait signé un partenariat avec le Regroupement européen pour la formation et la reconnaissance des médecines non conventionnelles (Reformed), sur la base d'une reconnaissance de 600 heures, en présence de sa présidente, Mme Delaporte, afin de bénéficier d'une transversalité de nos cursus.

Nous sommes aussi en contact avec M. Didier Pachoud, président du Groupe d'étude des mouvements de pensée en vue de la protection de l'individu (Gempi). M. Ophoven est d'ailleurs correspondant missionné pour y étudier tous les dossiers qui seraient en relation avec la kinésiologie. Quelques kinésiologues sont en outre, à titre personnel, adhérents au Gempi. Nous échangeons d'autre part avec 105 pays étrangers et organisons à Paris, cet été, une rencontre destinée à définir une nouvelle prospective de la kinésiologie en France, en Europe et dans le monde.

Selon notre Fédération, il n'existe pas de dérives sectaires dans la kinésiologie. Cependant, nous veillons que les éventuels écarts soient sanctionnés par notre commission éthique.

Cette année, nous avons ainsi refusé l'adhésion de deux écoles et de deux personnes qui ne répondaient pas à nos codes, associant à la kinésiologie d'autres techniques ne nous convenant absolument pas sur le plan déontologique.

Les atteintes médiatiques que nous subissons, comme les allégations d'organismes chargés de veiller à la protection des individus, nous paraissent réellement injustifiées. Nous n'avons jamais eu de droit de réponse ou de débat contradictoire à ce sujet. De fausses rumeurs concernant les honoraires - pourtant demandés avec tact et mesure - viennent souvent en contradiction avec l'état économique de la plupart des kinésiologues, qui ont vu leur pouvoir d'achat diminuer. Ce dossier est en cours d'étude dans le cadre de la validation de la CNCP. Il s'agit en effet de créer un nouveau métier, et non de fabriquer de nouveaux chômeurs !

Malheureusement, dans le contexte économique actuel, du fait de l'irresponsabilité des détracteurs de notre profession, qui tiennent des propos mensongers à notre égard, les kinésiologues ont aujourd'hui bien du mal à préserver leur pouvoir d'achat. Nous le prenons comme une machination organisée, sans concertation, provoquant une désinformation inacceptable ! Nous sommes heureux de pouvoir être enfin auditionnés aujourd'hui pour répondre à vos questions.

En tant que profession non réglementée, nous souhaiterions être labellisés pour pouvoir être en accord avec l'administration. Certains critères de reconnaissance, dans les pays européens, sont en faveur d'une validation de notre profession. La Fédération française de kinésiologie spécialisée a le devoir d'être un exemple pour le développement des pratiques professionnelles, et nous sommes attachés à la transparence des méthodes de kinésiologie. Notre code éthique est strict à ce sujet. Les kinésiologues n'appliquent aucunement leur système de croyance et n'imposent pas leur façon de penser. La charte du Gempi est affichée dans le cabinet de ceux qui l'ont signée.

En aucun cas les kinésiologues ne détournent leurs clients du parcours médical, en particulier si la personne consulte pour une séance de prévention du stress, dans le cadre de l'accompagnement d'un problème de santé. Nous sommes dans la prévention et non dans le soin, et nous considérons plus comme des éducateurs que comme des thérapeutes.

Je tiens à votre disposition la copie de plusieurs documents, dont plusieurs courriers rédigés depuis 2005, date du procès de Quimper, qui a bâti autour de la kinésiologie une réputation que je considère injustifiée ! Notre Fédération ne peut être derrière chaque personne. Nous essayons de faire respecter nos règles à travers les supervisions, les écrits, les pratiques, les mémoires et les contrôles que l'on peut effectuer.

M. Bernard Ophoven. - J'ai soixante et un ans, je suis kinésithérapeute depuis 1976, j'ai découvert l'ostéopathie depuis plus de quinze ans et, sur mon chemin, j'ai découvert aussi la kinésiologie, menant de front ces deux pratiques. Ceci m'a permis d'associer à la kinésithérapie certains éléments de la kinésiologie tout en faisant la différence entre l'aspect kinésithérapeutique et l'aspect kinésiologique de prévention de la personne.

Je représente aujourd'hui le Syndicat de la kinésiologie francophone spécialisée. Comme l'a dit Thierry Waymel, la kinésiologie est victime d'une désinformation relayée par les médias. En l'absence de toute vérification, nous n'avons jamais pu obtenir de droit de réponse !

Je n'étais pas encore dans cette Fédération, mais je voudrais revenir sur le triste fait divers qui a entraîné le décès d'un jeune enfant, suite à un traitement inapproprié, à l'issue duquel les époux Durand ont été condamnés en tant qu'« adeptes de la kinésiologie ». Faut-il condamner une profession parce que deux personnes - que je ne connais pas - n'ont pas respecté la règle, l'éthique ou la déontologie ? Non, on ne peut condamner une profession parce que deux individus n'ont pas été à la hauteur !

On a incriminé la kinésiologie. Un jugement a été rendu et nous ne pouvons nous y opposer, mais je le ressens toutefois personnellement comme une injustice ! On ne peut condamner une profession parce qu'elle comporte des « brebis galeuses » !

Notre profession cherche à faire en sorte que les gens qui ne suivent pas notre code éthique quittent nos rangs - mais ceci n'est pas simple : notre activité n'est pas réglementée. Nous avons donc besoin d'un cadre et souhaitons en quelque sorte recevoir l'aval du Gouvernement afin de cadrer les choses. De ce point de vue, il est fort utile que cette commission soit chargée d'auditionner des personnes évoluant dans le milieu des techniques non réglementées.

En conclusion, nous souhaitons sensibiliser la population au bien-être, dans le cadre de la prévention, hors du champ médical ou paramédical - cadre dans lequel je suis bien placé, étant moi-même kinésithérapeute. Nous souhaitons être une courroie de transmission auprès de personnes qui sortent de problèmes de santé, afin d'améliorer leur bien-être, et désirons permettre une meilleure gestion des mécanismes du stress dans tous les domaines de la vie. On sait que ce stress est à l'origine de nombreux problèmes dans les relations sociales, familiales ou professionnelles et qu'il peut déboucher sur des problèmes de santé très importants.

La population, on le sait, est très informée de ces phénomènes grâce aux nombreuses émissions de télévision, de radio, aux journaux. Nous souhaitons développer un partenariat avec les professionnels du sport, de l'éducation et de la santé, dans un esprit d'amélioration des compétences.

Comme l'a dit Thierry Waymel, nous désirons obtenir un droit de réponse et des débats contradictoires, afin de nous faire entendre démocratiquement. Nous voudrions que les représentants des associations - Centre contre les manipulations mentales (CCMM), Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu (Unadfi) ou même Gempi - et la Miviludes nous rencontrent dans un esprit d'ouverture, afin d'apparaître transparents dans notre pratique.

Aujourd'hui, 40 % de la population réclame des méthodes complémentaires pour assurer son mieux-être. Nous croyons que le Gouvernement doit prendre en compte toutes les méthodes alternatives et aide à les cadrer, afin que la population puisse y voir plus clair. De nouvelles techniques sortent presque tous les jours et il est difficile pour la population de pouvoir faire un choix.

Nous souhaitons pouvoir travailler en collaboration avec les membres de cette commission sénatoriale et étudier une possibilité de labellisation de cette profession, afin de faire avancer ce dossier.

A ma connaissance, il n'y a qu'en France que l'on associe la kinésiologie aux dérives sectaires. Je me trouvais ce week-end à l'étranger avec des concepteurs de kinésiologie, qui sont étonnés que nous parlions de dérives sectaires dans notre pays lorsqu'on évoque notre discipline. Certes, pour reprendre les mots de Thierry Waymel, il existe des « écarts professionnels », mais je n'ai jamais eu la sensation qu'il existait une dérive sectaire dans notre milieu. J'ai étudié la kinésiologie dans le monde entier. J'ai également appris le yoga et je sais qu'il faut être attentif à ces choses-là... Je m'insurge donc contre le fait que les médias reprennent en coeur ce terme de « dérives sectaires ».

Je souhaite que nous puissions répondre à vos éventuelles questions et vous remercions de nous avoir reçus.

M. Alain Milon , président. - La parole est à Mme Dini...

Mme Muguette Dini . - Vous nous dites que vous n'êtes jamais écoutés : vous avez ici une tribune et vous allez l'être !

En ce qui concerne les médias, nous n'y pouvons rien. Comme vous, nous aimerions de temps en temps pouvoir leur répondre. Il faudra donc vous arranger avec eux !

J'en viens à des questions très concrètes... Combien la Fédération compte-t-elle d'adhérents ?

M. Thierry Waymel. - Nous comptons actuellement 550 adhérents.

Mme Muguette Dini . - Combien existe-t-il, en France, de cabinets de kinésiologie ? Y en a-t-il davantage que d'adhérents ?

M. Thierry Waymel. - De mémoire, nous comptons 137 7 ( * ) professionnels inscrits. Les élèves sont également adhérents, ainsi que des sympathisants et d'autres personnes qui recourent à la kinésiologie.

137 1 personnes peuvent justifier de cotisation à l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) et sont déclarées dans les normes.

Mme Muguette Dini . - Ce chiffre est-il en augmentation ? Avez-vous une idée de l'augmentation annuelle ?

M. Thierry Waymel. - Oui, le chiffre augmente. La Fédération reçoit beaucoup de personnes qui voudraient porter plainte contre des émissions de télévision, etc.

Mme Muguette Dini . - Ce n'est pas tout à fait ce que je vous demande. Je voudrais savoir si le nombre de kinésiologues ou de cabinets de kinésiologie est en augmentation...

M. Thierry Waymel. - Il est en augmentation.

Mme Muguette Dini . - Quelles sont vos relations avec les autres catégories de médecines non conventionnelles - reiki, naturopathie, « médecine » chinoise, biomagnétisme, ondobiologie, etc. ?

M. Thierry Waymel. - Nous n'avons absolument pas de relations avec eux.

Mme Muguette Dini . - Que pensez-vous de l'appel de M. Jean-Claude Guyard, fondateur de l'Ecole de kinésiologie et méthode associées (Ekma), en faveur de la constitution d'une confédération des associations professionnelles de shiatsu, reiki, kinésiologie, yoga, sophrologie, qi gong, afin de faire face aux attaques subies par la kinésiologie, en particulier lors du fameux procès que vous évoquiez ?

M. Thierry Waymel. - Il a certainement ses motivations. M. Guyard était auparavant à la Fédération française de kinésiologie spécialisée et l'a quittée...

Mme Muguette Dini . - Pourquoi ?

M. Thierry Waymel. - On entend beaucoup de bruits de couloir. Je ne l'ai pas connu. A l'époque, je n'étais pas président, ni même dans cette Fédération.

D'après ce que j'ai pu comprendre, il s'agit d'une personne qui a des idées bien arrêtées sur la kinésiologie, qui a également fait beaucoup pour cette discipline. Aujourd'hui, M. Guyard a une école à faire vivre. Nous n'avons que très peu de contacts avec cette personne...

M. Bernard Ophoven. - Il existe des problèmes de pouvoirs et je pense que M. Guyard est dans ce registre. C'est une des raisons pour lesquelles il a quitté la Fédération...

Je n'avais pas connaissance de cette proposition. Personnellement, je suis contre. Nous voulons en effet faire de la kinésiologie une activité spécifique, avec des cartes professionnelles de kinésiologue, à l'exclusion d'autres techniques. Notre objectif est de progressivement créer une profession, en évitant tout amalgame.

Mme Muguette Dini . - Vos formations sont actuellement de 500 heures et vous souhaitez des cycles de 800 et de 1 500 heures. Quelles sont les conditions pour accéder à ces formations de 500 heures ?

M. Thierry Waymel. - Ce dossier est actuellement analysé par la commission d'enseignement de la Fédération.

Mme Muguette Dini . - Faut-il disposer de connaissances en anatomie ?

M. Thierry Waymel. - Un entretien prend actuellement en compte le parcours de l'individu mais le cursus prévoit cependant des cours d'anatomie. Au départ, il s'agissait de vingt et une heures. Nous voudrions aller au-delà de cent heures, afin d'enrichir les connaissances des futurs kinésiologues. Il paraît normal qu'un kinésiologue maîtrise l'anatomie, ne serait-ce que pour utiliser correctement le test musculaire.

M. Bernard Ophoven. - Je précise que pour entrer dans une école, il faut être majeur.

Mme Muguette Dini . - Combien coûte un cursus complet de 500 heures ?

M. Thierry Waymel. - Nous nous sommes référés aux prises en charge des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA). En moyenne, la journée de formation tourne entre 80 et 110 euros pour sept à huit heures.

Mme Muguette Dini . - Intervenez-vous dans le cadre la formation professionnelle ?

M. Thierry Waymel. - Oui, certaines écoles interviennent encore dans le cadre de la formation professionnelle.

M. Alain Milon , président. - Les cours de kinésithérapie comptent bien plus de vingt et une heures d'anatomie. Que les futurs kinésiologues ne reçoivent pas plus d'heures de formation me semble particulièrement insuffisant.

M. Thierry Waymel. - Nous sommes entièrement d'accord sur ce point. C'est pourquoi le nouveau cursus prévoit un minimum de cent heures d'anatomie, répertoriées en cycles sur les membres supérieurs, inférieurs, sur les viscères et sur la colonne vertébrale.

M. Alain Milon , président. - La kinésiologie, si j'ai bien compris, s'adresse aux masses musculaires...

M. Thierry Waymel. - Ce sont en effet des tests musculaires.

M. Alain Milon , président. - Il existe des masses musculaires un peu partout dans le corps : j'ai été assistant de faculté en anatomie...

M. Bernard Ophoven. - J'apprécie beaucoup la physiologie et l'anatomie, que j'enseigne d'ailleurs. Ces heures obligatoires seront en outre accompagnées, pendant tout le cursus, d'information en anatomie et en physiologie, qui vont de pair avec la kinésiologie.

Je vous rejoins tout à fait pour considérer que ce nombre d'heures ridicule doit être augmenté ; il va l'être, c'est indispensable.

Mme Muguette Dini . - Combien la formation coûte-t-elle ?

M. Thierry Waymel. - Une formation de 500 heures revient entre 5 000 à 5 500 euros sur deux ans.

M. Bernard Ophoven. - En ce qui me concerne, je dispense une formation à 3 200 euros par an, soit 6 400 euros sur deux ans. Il existe donc une fourchette. Les prix sont libres, mais il peut y avoir des abus. Nous allons donc mettre en place un système de regroupement des écoles, afin de mieux cadrer les prix.

Mme Muguette Dini . - Combien y a-t-il d'écoles ? Combien de kinésiologues forment-elles par an ?

M. Thierry Waymel. - On compte aujourd'hui cent étudiants sur tout le territoire français, répartis dans seize écoles.

Mme Muguette Dini . - Combien de temps une séance de kinésiologie dure-t-elle et combien coûte-t-elle ?

M. Thierry Waymel. - La séance dure entre quarante minutes et une heure, voire une heure et demie pour les kinésiologues débutants. Le tarif moyen va de 40 à 60 euros.

Mme Muguette Dini . - Ceux qui ont été formés jusqu'à présent continuent-ils à travailler ou enregistre-t-on des abandons ?

M. Thierry Waymel. - Les abandons s'expliquent pour les raisons que j'ai évoquées tout à l'heure. J'exerce dans le domaine sportif - centres de ressources, d'expertise et de performance sportives (Creps), structures fédérales : il faut bien reconnaître que nous n'avons pas bonne presse, les médias nous ayant quelque peu démolis...

Mme Muguette Dini . - Pourquoi ?

M. Thierry Waymel. - C'est à cause du procès de Quimper ! On trouve, dans les documents que je vous laisserai, cinquante-trois articles sur le procès dans les journaux.

Aujourd'hui, nous avons adressé un courrier à M6, à M. de Carolis, à Mme Carole Rousseau... Tout tourne toujours autour de ce procès !

Mme Muguette Dini . - Qu'est-ce qui a pu, dans votre enseignement et votre pratique, amener ces gens à avoir ce comportement qui a entraîné le décès de leur enfant ?

M. Thierry Waymel. - Je me pose encore sincèrement la question aujourd'hui !

Mme Muguette Dini . - Ne voyez-vous aucune raison à cela ?

M. Thierry Waymel. - Aucune qui pourrait amener des personnes à changer ainsi de comportement ! Pour moi, c'est de l'irresponsabilité parentale.

M. Bernard Ophoven. - Pour répondre clairement à votre question, je ne vois pas dans l'enseignement que nous dispensons ce qui pourrait créer ce type de comportement. J'ai entendu dire qu'il s'agissait d'une question nutritionnelle...

Mme Muguette Dini . - Evoquez-vous la nutrition dans votre enseignement ?

M. Bernard Ophoven. - Bien sûr ! Il est indispensable de parler des glucides, des protides, etc., mais nous ne sommes pas là pour donner des conseils. Si les gens ont des problèmes nutritionnels, ils doivent être dirigés vers des nutritionnistes. Le rôle d'un kinésiologue n'est pas de remplacer ces spécialistes.

Nous dispensons cependant des informations : il me semble important, alors que les médias diffusent sans arrêt des émissions de santé, de savoir ce que sont des minéraux, des oligo-éléments, des enzymes, des protides et des glucides ! Cela me paraît évident !

Mme Catherine Deroche . - Comment vous situez-vous par rapport à la fasciathérapie ?

M. Bernard Ophoven. - C'est une excellente question ! Je fais partie de l'Ordre des kinésithérapeutes. J'ai été très étonné d'apprendre qu'il pouvait exister des dérives en matière de fasciathérapie, technique qui existe depuis vingt ans. J'ai ressorti les livres que j'étudiais à l'époque : l'anatomie des fascias est très précise. Ceux-ci entourent les muscles et les organes. Il s'agit d'une écoute des tissus.

J'ai écrit à l'Ordre des kinésithérapeutes à ce sujet : comment l'Ordre peut-il laisser dire que la fasciathérapie devrait être interdite aux kinésithérapeutes, alors qu'elle existe depuis vingt ans ? L'un de mes anciens professeurs d'ostéopathie a écrit deux livres sur les fascias ! On ne peut interdire la fasciathérapie parce que des personnes mal intentionnées l'utilisent à mauvais escient ! C'est tout l'objet du débat de cette commission d'enquête, qui veut prévenir les risques que peuvent courir les populations.

La fasciathérapie n'appartient-elle qu'aux kinésithérapeutes ? Je me pose la question. Je ne sais si d'autres praticiens peuvent l'exercer...

Mme Catherine Deroche . - Sur le plan technique, quelle est la différence entre la kinésiologie et la fasciathérapie ?

Par ailleurs, vos patients viennent-ils vous voir spontanément ou vous sont-ils adressés ? Si oui, par qui ?

M. Bernard Ophoven. - Les kinésiologues ne reçoivent pas de patients, afin de rester en règle avec la loi. Nous recevons des clients et nous le précisons bien dans l'enseignement que nous dispensons, car certains élèves souhaitent aller vers le soin. Il faut donc leur rappeler que nous sommes dans un cadre de prévention et que nous ne nous occupons pas des malades...

Mme Catherine Deroche . - Par qui vous sont adressés vos clients ?

M. Bernard Ophoven. - Nous fonctionnons surtout par le bouche à oreille mais on peut trouver un certain nombre de kinésiologues sur Internet ou en s'adressant à la Fédération.

M. Thierry Waymel. - Personnellement, j'exerce en cabinet. Certains médecins sportifs m'envoient des clients pour faire le point sur la remise en route des systèmes.

Ils me sont parfois envoyés pour régler des difficultés relationnelles ou émotionnelles ou pour gérer le stress de la compétition. Ce sont d'excellents athlètes, mais ils peuvent perdre leurs moyens et le jour de la compétition. Nous travaillons donc avec eux sur ce plan.

A la différence de la fasciathérapie, la kinésiologie utilise un test musculaire. Ce test musculaire est véritablement un art. En état de stress, il existe un réel changement de tonicité du muscle. Il faut quelques années de pratique pour pouvoir ressentir qu'un muscle est sur le point de se déverrouiller. On ne s'improvise pas kinésiologue ! Enormément de professions utilisent le test musculaire sans le dire - dentistes, ostéopathes, kinésithérapeutes, orthopédistes, orthophonistes, naturopathes... Selon moi, ils en dénaturent complètement l'essence. L'homme de l'art doit être à l'écoute du sujet.

La Fédération demande que l'on affiche clairement les choses : si l'on associe une autre technique à la kinésiologie, il faut l'annoncer. Pratiquer un test musculaire, c'est utiliser la kinésiologie !

J'ai reçu aujourd'hui encore un mail d'un kinésiologue du Sud-Ouest à propos d'une personne qui encadre un stage et qui, sans être kinésiologue, utilise le test musculaire pour vendre des élixirs floraux. C'est anormal !

Mme Muguette Dini . - Comment se déroule ce test musculaire ?

M. Bernard Ophoven. - J'ai réalisé une démonstration pour France 5, il y a deux ans, encadré par le Gempi et Didier Pachoud. Celle-ci n'a pas été filmée parce qu'elle ne revêtait pas un aspect suffisamment sensationnel sur le plan médiatique. Je propose donc que nous n'en fassions pas aujourd'hui non plus - sauf si Thierry Waymel le souhaite...

Le test de kinésithérapie évalue la force d'un muscle à la suite de problèmes pathologiques d'origine traumatique, neurologique, voire rhumatologique. Le test de kinésiologie, lui, apporte une réponse à un stress que le cerveau gère ou ne gère pas. En d'autres termes, on agit davantage sur la sensibilité du muscle. Si j'appuie légèrement sur mon bras, le muscle qui permet à l'épaule de tenir une position résiste. Je pourrais ainsi, avec n'importe quel muscle du corps, demander au cerveau si cette information est stressante ou non et s'il gère ou non l'information.

Le kinésithérapeute teste la force de 0 à 5, de manière très codifiée. Le kinésiologue a quant à lui une façon d'approcher le muscle dans un cadre plus global, celui de l'énergie relative aux neurones et à leur capacité de réponse au stress.

En d'autres termes, quand j'appuie délicatement sur mon bras et que je pense à un sujet qui me perturbe, il existe deux possibilités : soit mon cerveau gère cette information et le bras tient, soit le bras lâche et la personne se trouve dans un stress qui crée chez elle un état émotionnel et une perte d'énergie. La kinésiologie vise à augmenter la vitalité et l'énergie des gens.

Il se peut que la personne consulte pour des pensées négatives : le rôle du kinésiologue est de mettre en oeuvre des techniques qui permettront ensuite à la personne de ne ressentir aucune faiblesse musculaire lorsqu'elle repensera à un sujet qui la perturbe. J'espère que vous saisissez la différence fondamentale : le kinésithérapeute teste les muscles par rapport à des pathologies, alors que le kinésiologue teste des muscles sains, qui vont répondre à un stress cérébral. Le test musculaire n'est qu'une information.

Mme Catherine Deroche . - Comment corrigez-vous cet état de stress ?

M. Bernard Ophoven. - Les techniques de kinésiologie m'ont particulièrement intéressé, parce que je ne trouvais alors ni dans la kinésithérapie, ni dans l'ostéopathie, les réponses que je cherchais. Je dis souvent à mes élèves que l'enseignement que je délivre ne figure ni dans le programme des kinésithérapeutes ni dans celui des ostéopathes.

Nous touchons certains points de la tête ou du corps et pratiquons des frictions légères. Nous brossons ou suivons les méridiens, la kinésiologie utilisant la médecine chinoise pour faire de la digitopressure, très différente de l'acupuncture. Nous avons une action sur le système émotionnel. Les émotions sont un facteur très important dans le cadre de la kinésiologie.

La fasciathérapie consiste à accompagner les tissus et à ressentir le sens dans lequel ils vont ou ne vont pas volontiers. On accompagne les tissus dans un sens, puis dans un autre, jusqu'à ce qu'ils aillent jusqu'où ils ne pouvaient plus aller. Il s'agit de redonner de la mobilité aux toiles qui entourent différentes parties du corps.

Mme Muguette Dini . - Si j'ai bien compris, vous déstressez les gens uniquement par le toucher. Il n'y a pas d'échanges de paroles...

M. Bernard Ophoven. - Nous sommes dans une écoute active et tolérante, dans le respect de la personne. Quand j'ai découvert la kinésiologie, je n'avais pas appris ce sens de la relation et de l'écoute de l'autre, cela ne faisant pas partie de l'enseignement de la kinésithérapie ou de l'ostéopathie. J'ai découvert qu'il était important de poser des questions et surtout d'écouter les réponses.

Nous avons donc bien un échange. Je précise toutefois que nous ne sommes pas des psychothérapeutes. Je n'ai personnellement jamais fait d'études de psychothérapie. Il s'agit d'un échange verbal, d'un entretien et d'une mise en confiance. Si certains kinésiologues pratiquent sans parler, je considère que c'est une erreur : la kinésiologie est une méthode éducative de mieux-être. Notre santé nous appartient, nous en sommes responsables et le praticien, quel qu'il soit, ne peut tout guérir. Cela me paraît difficile...

Mme Catherine Génisson . - Au-delà de la relation verbale avec la personne qui est en face de vous, il n'existe en fait aucune autre intervention que celle de la main et des doigts.

M. Bernard Ophoven. - Absolument...

Mme Catherine Génisson . - La fasciathérapie s'exerce-t-elle sur toutes les parties du corps, y compris la tête ?

M. Bernard Ophoven. - Je n'ai pas personnellement suivi de formation de fasciathérapeute, mais je me suis intéressé à la fasciathérapie ; en outre, nous échangeons des informations dans le cadre de nos relations interprofessionnelles.

Les textes interdisent de toucher le système crânien et le système caudal. Les deux extrémités du corps sont des extrémités parasympathiques, c'est-à-dire de détente. Il serait dommage de légiférer pour dire que les ostéopathes ne peuvent toucher la tête ou le bassin !

Un ostéopathe qui n'a pas appris la fasciathérapie va cependant la pratiquer en accompagnant les tissus. En plaçant la main sur le sacrum, il va accompagner celui-ci. En ostéopathie, on étudie les techniques crânio-sacrées : en posant simplement les mains sur les tissus, on accompagne une détente du système parasympathique. Les gens peuvent même s'endormir. Chez les enfants, c'est spectaculaire.

Mme Catherine Génisson . - Comment vous positionnez-vous par rapport à la description de l'anatomie ?

M. Bernard Ophoven. - On oublie l'anatomie et la physiologie et on écoute les tissus en posant la main dessus, on pratique. Tout ce que l'on a étudié débouche sur une technique.

Mme Catherine Deroche . - Comment un kinésiologue peut-il déceler une pathologie sous-jacente qui ferait que cela ne relève pas de cette pratique ?

M. Bernard Ophoven. - Nous n'avons pas à déceler quoi que ce soit de pathologique...

Mme Catherine Deroche . - Comment faites-vous dans ce cas pour ne pas faire courir à vos clients de risques de perte de chance ? Leur conseillez-vous de consulter un spécialiste ?

M. Bernard Ophoven. - Les gens ne consultent pas les kinésiologues uniquement parce qu'ils ont des douleurs, mais également dans d'autres cadres - sport, amélioration de l'apprentissage, confiance en soi. Il faut sortir du symptôme, du médical, de la rhumatologie, de la « bobologie ».

Le kinésiologue doit insister sur le fait qu'il n'est ni médecin, ni diplômé d'Etat. Si une personne consulte pour des maux de ventre, il faut lui demander si elle a déjà consulté un médecin. C'est ce que je fais aussi en tant que kinésithérapeute. Avant de recourir à certaines techniques, les gens ont généralement déjà consulté des médecins. Quand les choses ne sont pas satisfaisantes, ils vont voir ailleurs. Nous les renvoyons alors vers le milieu médical.

Nous agissons dans le cadre fonctionnel de l'homéostasie, qui permet de remettre en route des mécanismes du corps qui sont freinés du fait d'un stress engendré par divers facteurs - famille, travail, études. Il y a longtemps, aux Etats-Unis, la kinésiologie était pratiquée par des chiropracteurs. Elle est aujourd'hui pratiquée dans plus de cent pays. Les pratiques sont différentes selon les pays : en Suisse, les mutuelles prennent en charge les actes de kinésiologie, à condition que les kinésiologues puissent attester d'un certain nombre d'heures d'anatomie, etc. En Scandinavie, beaucoup de kinésiologues utilisent cette technique pour résoudre des problèmes d'apprentissage. Ce sont là les domaines dans lesquels on doit se situer, et non dans celui de la symptomatologie, de la médecine, du soin.

Je comprends que vous puissiez vous poser des questions. Beaucoup de personnes, qui souffrent énormément, recourent à ces techniques. François Mitterrand, en fin de vie, sollicitait le magnétiseur pour soulager ses douleurs...

M. Alain Milon , président. - Cela ne l'a pas empêché de mourir !

M. Bernard Ophoven. - Peut-être cela l'a-t-il détendu auparavant !

M. Alain Milon , président. - Comme beaucoup d'autres personnes que nous avons auditionnées, vous mettez en avant le remboursement par les mutuelles suisses des actes de kinésiologie.

Ce que vous dites est vrai, mais cette question avait été posée à la population sous forme de votation ; les Suisses ont voté favorablement. Il est certain que si l'on demande aux Français qu'on leur rembourse le reiki, la kinésiologie, la fasciathérapie, l'ondobiologie, ils accepteront.

En Suisse, cela a été adopté dans le cadre d'une expérimentation, afin de déterminer si ces pratiques avaient un effet bénéfique sur la santé, pour une durée de cinq ans.

M. Bernard Ophoven. - Je pensais qu'ils ne l'avaient fait que pour l'acupuncture...

M. Alain Milon , président. - Ils l'ont fait pour tous les systèmes ne relevant pas de la médecine traditionnelle. En l'absence de bénéfice, l'essai a été prolongé pour trois ans, durée au terme de laquelle les Suisses trancheront définitivement. Il s'agit donc d'une expérience et ces techniques ne seront définitivement prises en compte que si la preuve de leur bénéfice est faite.

J'ai retenu que vous intervenez plus en matière de mental que de physique. En matière de stress, quel est le bénéfice de la fasciathérapie et de toutes ces méthodes qui traitent du stress ? Le stress, n'est-ce pas la vie ? Dès lors que l'on vit, on connaît un stress permanent. Le jour où l'on n'éprouve plus de stress, c'est qu'on est mort ! A l'époque de la dernière guerre mondiale, les personnes étaient bien plus stressées qu'aujourd'hui ; cela ne les a pas empêchées de vivre et de surmonter leurs problèmes, grâce aux Trente Glorieuses. N'a-t-on finalement pas intérêt à vivre avec le stress si l'on veut se sortir de la crise économique dans laquelle nous nous trouvons ?

M. Bernard Ophoven. - Un médecin, Hans Selye, qui a beaucoup travaillé sur le stress, a montré que la résistance au stress sur un certain nombre d'années entraîne des pathologies graves.

M. Alain Milon , président. - Le vieillissement entraîne aussi obligatoirement des pathologies !

M. Bernard Ophoven. - Que dire des gens qui meurent dans leur lit sans pathologie ?

M. Alain Milon , président. - On nous a dit qu'ils avaient des maladies en « ose » !

M. Bernard Ophoven. - Ce sont des maladies dégénératives. Le stress est un sujet très intéressant. Nous pouvons aider les gens à mieux le vivre. Vous n'ignorez pas que l'on recense un certain nombre de suicides dans notre pays...

M. Alain Milon , président. - On compte près de 4 000 suicides par an sur le territoire national. Il y a à cela d'autres raisons que le stress. D'après les psychiatres, le nombre de suicides n'a pas évolué depuis près de trente ans qu'on les étudie. D'autres raisons que le stress doivent en être à l'origine. Si le stress était une explication, le chiffre aurait dû fortement augmenter ces derniers temps - en particulier pendant la guerre.

Je cède à présent la présidence à Mme Dini, devant impérativement vous quitter...

M. Bernard Ophoven. - Merci de nous avoir écoutés, monsieur le président.

Mme Muguette Dini . - Avez-vous le sentiment que votre métier pourrait être reconnu à moyen ou à long terme ?

M. Thierry Waymel. - Le dossier est déposé. Il va être analysé. Il s'agit d'un sujet très lourd. J'avais eu un premier contact avec Mme Beaumier, de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte), à Marseille, qui nous avait guidés dans notre demande.

Nous avons mis un an pour finaliser le second dossier et le lui remettre ; elle a considéré que le travail était pertinent. Nous espérons que cela passera...

Mme Catherine Deroche . - De quel ministère cela relève-t-il ?

M. Thierry Waymel. - On ne le sait pas. Le dossier doit au préalable être analysé par la CNCP.

Mme Catherine Génisson . - Je ne mets aucunement en doute votre intégrité professionnelle mais pouvez-vous comprendre que des reproches puissent vous être adressés - sans qu'il s'agisse nécessairement de dérives sectaires ?

M. Thierry Waymel. - J'interviens personnellement dans le domaine sportif, auprès d'athlètes qui connaissent des pertes d'amplitude dues au stress. J'ai travaillé durant sept ans avec l'Equipe de France de gymnastique. Dès que certaines fillettes arrivent sur la poutre, face au public, elles perdent leur équilibre et leur amplitude. On leur apprend à masser certains points ; l'amplitude revenant presque instantanément, elles reprennent alors confiance en elles !

Le test musculaire peut être appliqué à l'élasticité musculaire. J'admets qu'il existe des dérives, plusieurs personnes utilisant des techniques qui demandent sûrement à être encadrées. Au sein de notre conseil d'administration, c'est un débat permanent pour savoir comment remédier à cette situation ! Nous avons même proposé une seule carte de kinésiologue...

Mme Muguette Dini . - Pensez-vous que la certification préserve votre réputation ?

M. Thierry Waymel. - Absolument ! On aurait ainsi un moyen de contrôle plus important sur les écoles, qui seraient obligées de suivre la même pédagogie. La Fédération oeuvre déjà en ce sens, mais n'importe quelle école peut aujourd'hui ouvrir et dispenser n'importe quel enseignement, celui-ci n'étant pas réglementé ! C'est là notre souhait.

Mme Muguette Dini . - Je vous remercie.

Audition du Dr Robert KEMPENICH, président de l'Association pour la recherche et l'enseignement en médecine anthroposophique (mercredi 20 février 2013)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui le docteur Robert Kempenich, président de l'Association pour la recherche et l'enseignement de la médecine anthroposophique. Le docteur Kempenich a d'ailleurs pris l'initiative de demander à être reçu par la commission.

Notre réunion d'aujourd'hui n'est pas ouverte au public ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Monsieur, vous avez donné votre accord pour que cette audition fasse l'objet d'une captation vidéo. En revanche, vous subordonnez le fait que cette vidéo puisse être accessible sur le site Internet du Sénat au fait de la visionner préalablement.

M. Robert Kempenich. - En effet.

M. Alain Milon , président. - Il est pris acte de votre souhait.

Je précise à votre attention que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, qui est notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Kempenich, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Robert Kempenich. - Je le jure.

M. Alain Milon , président. - Monsieur, ainsi que vous en avez été informé, notre audition est prévue pour durer quarante-cinq minutes. Je vous invite donc à prononcer un court exposé introductif, puis mon collègue Jacques Mézard et les sénateurs membres de la commission vous poseront quelques questions. Vous avez la parole.

M. Robert Kempenich. - Je vous remercie de m'avoir invité à répondre à vos questions dans le cadre de la commission d'enquête du Sénat sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé.

Je voudrais tout d'abord faire part de mon étonnement de me retrouver ici : bien que nous ayons nous-mêmes demandé cette audition, nulle part ailleurs dans le monde -et surtout pas en Europe- la médecine anthroposophique n'est considérée comme une secte ! Cela semble une situation spécifiquement française.

Je suis président de l'Association pour la recherche et l'enseignement de la médecine anthroposophique (AREMA) mais aussi du Conseil national professionnel (CNP), section médecine anthroposophique, qui regroupe l'ensemble des associations de médecine anthroposophique en France, la société savante, le syndicat, les formations de base et la formation continue.

Nous avons eu la surprise de nous trouver cités parmi les pratiques à risques de dérives dangereuses dans le guide Santé et dérives sectaires de la Miviludes.

Par voie d'avocat, nous avons écrit par deux fois à la Miviludes, pour lui demander de nous transmettre le dossier sur lequel elle s'appuyait. Nous n'avons jamais eu de réponse ! Un Sénateur, M. Jean-Louis Lorrain, a posé une question écrite à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé, le 27 septembre 2012, pour lui demander sur quels documents s'appuie la Miviludes pour considérer la médecine anthroposophique comme une secte. Il n'a jamais eu de réponse...

La première question que vous allez me poser est : qu'est-ce que l'anthroposophie ? L'anthroposophie, en France, est surtout connue par l'intermédiaire du vin, ce qui peut sembler étonnant. Le vin biodynamique est au vin biologique ce que l'anthroposophie est à l'homéopathie. La médecine anthroposophique se situe en effet dans l'élargissement de l'homéopathie.

Après avoir été classé par la Miviludes comme une mouvance comportant des risques de dérives sectaires, sans avoir jamais avoir été entendus préalablement et sans que la mission interministérielle ne nous ait transmis le moindre dossier, je suis très heureux de me trouver ici pour répondre à vos questions.

La médecine anthroposophique est une médecine qui s'inscrit aujourd'hui dans ce que l'on appelle la « médecine intégrative ».

J'ai moi-même été Président, durant treize ans, de l' European council of doctors for plurality in medicine (ECPM) et ai travaillé dans le cadre de la CAMDOC Alliance, qui regroupe les fédérations européennes d'homéopathie, d'acupuncture, de médecine anthroposophique et de naturopathie.

La médecine intégrative est un concept qui ne considère plus les médecines non conventionnelles en dehors du champ de la médecine. Elle s'inscrit dans le champ de la médecine, pratique le même diagnostic que la médecine conventionnelle, emploie les thérapeutiques de la médecine conventionnelle, mais complète celle-ci par un élargissement. C'est en particulier le cas de la médecine anthroposophique, qui élargit ce que propose la médecine dite universitaire en matière de biologie, de physiologie et de thérapeutique.

En matière de biologie et de physiologie, la médecine anthroposophique propose une investigation du psychisme et de l'individualité. C'est en ce sens qu'elle tient compte de ces niveaux complémentaires à ceux de la seule biologie et de la seule physiologie. Elle met donc le patient au centre de sa démarche. On ne traite plus une maladie mais un individu, avec sa biologie, sa physiologie, son psychisme, son individualité particulière, sa biographie individuelle. Cela semble fondamental...

Elle est une médecine tant préventive que curative. Préventive, car elle a fait l'objet de nombreuses études qui ont démontré son utilité -mais aussi celle de l'acupuncture ou d'autres médecines- dans le domaine de l'enfance, du vieillissement, de l'obésité, du diabète, de la prévention des cancers, voire comme traitement de support en cancérologie. Le patient n'est plus un objet : il devient un sujet co-acteur de sa santé !

Ces médecines - en particulier la médecine anthroposophique - ne font pas que traiter des maladies, mais contribuent à promouvoir la santé. La promotion de la santé semble un concept d'avenir et consiste, pour chaque individu, à promouvoir ses capacités d'autoguérison. C'est ce que proposait déjà des auteurs comme Antonovsky, il y a une bonne trentaine d'années : la salutogénèse. Comment faire pour que chacun puisse manifester le mieux possible ses capacités d'autoguérison ? On sait qu'en France, nous sommes champions des antibiotiques, des benzodiazépines - donc des anxiolytiques - et des somnifères.

Ces médecines - en particulier la médecine anthroposophique - peuvent apporter des thérapeutiques qui rendent très souvent inutile le recours aux benzodiazépines, voire leur sevrage ou celui des somnifères ; elles peuvent, en particulier chez l'enfant, éviter par exemple le recours excessif aux antibiotiques. Elles permettent aussi de mieux vieillir. Dans une population qui vieillit de plus en plus, elle peut permettre à chacun de découvrir sa manière de mieux vieillir et de découvrir en lui-même un soutien thérapeutique.

Comment faire, par ailleurs, pour éviter les effets secondaires des médicaments dits lourds ? C'est un domaine où nous sommes également utiles.

La médecine anthroposophique, en Europe, compte près de 5 000 médecins formés qui ont suivi les formations de médecine anthroposophique, et 30 000 médecins prescripteurs des médicaments spécifiques à la médecine anthroposophique. Il existe vingt-cinq hôpitaux de médecine anthroposophique en Europe et trois structures universitaires - Berlin, Herdecke et Berne.

En Allemagne, par exemple, la médecine anthroposophique bénéficie d'un statut particulier dans le code social. Ses médicaments sont reconnus et bénéficient d'une place particulière dans la loi sur les médicaments. La commission C de l'Agence du médicament allemande s'intéresse spécifiquement aux médicaments anthroposophiques. L'Allemagne compte 3 500 médecins, on en compte 300 en France et entre 1 500 et 2 000 prescripteurs.

En Suisse, la confédération et les cantons ont inscrit dans la Constitution la reconnaissance des médecines complémentaires en proposant un système d'évaluation. La médecine anthroposophique a fait l'objet d'une étude particulière dans le cadre du Programme suisse d'évaluation des médecines complémentaires (PEK), qui étudie son efficacité, son utilité, son innocuité et son coût. Cette étude a été demandée en 2006 et a été publiée. Elle fait état de 188 études cliniques, dont dix-sept randomisées, ce qui est le « gold standard » en médecine.

Une large majorité - 180 études sur 188 - montre des résultats positifs, tant du point de vue de l'efficacité que du coût. Le coût est en effet aujourd'hui un aspect très important à prendre en compte... Ces études soulignent aussi le très faible nombre d'effets secondaires, de l'ordre de 0,05 %. Elles respectent les règles du format « Health technology assessement » (HTA), ce qui démontre un haut niveau scientifique.

L'anthroposophie, l'acupuncture, l'homéopathie, la naturopathie et les médecines manuelles sont donc reconnues à partir d'un programme d'évaluation.

Je vous ai transmis le « press release » du Réseau européen de recherche pour la médecine complémentaire et alternative (CAMbrella). J'ai en effet fait partie de l'« advisory board » de l'étude CAMbrella, financée par la Commission européenne, qui a été menée durant trois ans par seize universités européennes de douze pays, et qui a bénéficié de 3 millions d'euros de fonds.

La Commission européenne a constaté que 67 % de la population se tournaient vers les médecines complémentaires. Or, les connaissances officielles et les informations dont bénéficient les patients ne sont pas suffisantes pour pouvoir faire un choix éclairé.

Comme le montre cet article de presse, les médecines conventionnelles et alternatives (CAM) comprennent la médecine anthroposophique, l'acupuncture, la naturopathie, et l'homéopathie. L'anthroposophie est donc considérée comme l'une des cinq grandes médecines en Europe.

L'étude CAMbrella propose une feuille de route afin que, à l'horizon 2020, les patients européens puissent bénéficier d'informations claires sur l'étude des médecines complémentaires, afin de démêler le vrai du faux à propos de leur innocuité, de leur efficacité ainsi que de leur coût, et qu'un site de la Commission européenne informe les patients sur ces médecines.

En Europe, deux universités comptent une chaire de médecine anthroposophique, où ce concept est accepté à côté des autres médecines. On s'est rendu compte qu'il fallait proposer dans le cursus des études médicales un enseignement suffisant aux médecins pour les informer de manière cohérente et claire sur les médecines complémentaires, afin qu'ils puissent conseiller leurs patients. Ca me semble indispensable !

On trouve une chaire de médecine anthroposophique à Berne, à Berlin et aux Pays-Bas....

M. Alain Milon , président. - Avant de passer la parole au rapporteur, je vous rappelle que nous, nous vous auditionnons !

M. Robert Kempenich. - Je vous en ai d'ailleurs remercié...

M. Alain Milon , président. - Par ailleurs, vous avez regretté que la France soit le seul pays à ne pas reconnaître l'anthroposophie : je suis tenté de vous répondre que la France est le pays de Descartes !

M. Robert Kempenich. - L'Allemagne est celui de Goethe, dont l'épistémologie est le fondement de l'anthroposophie !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Nous n'allons pas faire la liste des personnalités qui ont marqué nos deux pays ! On y passerait trop de temps...

Comme l'a relevé M. le président, c'est vous qui avez demandé à être auditionné. J'ai dû trop lire Descartes, mais je n'ai pas compris le fonctionnement de la médecine anthroposophique. Que faites-vous lorsque vous recevez un patient ?

M. Robert Kempenich. - Je vais le chercher dans la salle d'attente ; je lui dis de s'asseoir ; je fais l'anamnèse scientifique habituelle, comme le ferait n'importe quel confrère ; je vais vers le diagnostic scientifique le plus clair possible ; je m'appuie sur des analyses biologiques, des examens complémentaires d'imagerie ; je demande l'avis de confrères, de spécialistes. Par exemple, en homéopathie, on se fonde sur le principe de similitude, en fonction d'une pathogénésie d'un médicament -Belladone, Apis ou Arnica.

En anthroposophie, au lieu de la pathogénésie, on se sert de l'image du remède constituée par ses données scientifiques, moléculaires, biologiques, toxicologiques, et par son comportement botanique. On en tire une image globale, que l'on met en relation avec son processus dans l'homme. L'homéopathie met en relation une pathogénésie, grâce au principe de similitude, avec les signes que le patient présente, bien évidemment en complément du diagnostic que l'on établit en médecine scientifique.

Nous-mêmes, à partir de l'image du remède, recherchons des processus qui correspondent dans l'homme. C'est la loi d'analogie. Le principe de similitude n'est qu'un cas particulier de la loi d'analogie.

Les remèdes sont issus du remède minéral, végétal et animal, à tel point que, sur le bulletin d'inscription du Syndicat national de la médecine homéopathique, figurent les cases mentionnant les termes « unicisme », « pluralisme » ou « anthroposophie ».

M. Jacques Mézard , rapporteur. - J'essaye de comprendre. N'y voyez pas malice : je ne suis pas médecin. Vous utilisez donc l'image du médicament ?

M. Robert Kempenich. - Oui.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Et que faites-vous de cette image ?

M. Robert Kempenich. - La pathogénésie de l'homéopathie fait partie de l'image du remède, qui repose sur l'ensemble de ces données botaniques et psychologiques...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Comment cela se traduit-il ?

M. Robert Kempenich. - Je prescris ces médicaments dans des dilutions homéopathiques qui vont de la D 1 à la D 30, en dilution, en trituration, en injectable homéopathique, en onguent. Ce sont des médicaments enregistrés légalement par l'Agence nationale du médicament et qui bénéficient de la directive européenne 2001/83/CE relative aux médicaments à usage humain.

Prenons le cas de deux personnes, l'une longiligne et mince, presque maigre, présentant un asthme ; l'autre obèse, rouge, hypertendue. En allopathie, je leur donnerais le même médicament. En médecine anthroposophique, je tiendrai compte de la structure de la personne, de sa stature physique, de sa manière de s'exprimer, du fait qu'elle est très émotive ou très retenue.

Je ne donnerai pas le même traitement complémentaire à une personne longiligne, mince, frileuse et à une personne asthmatique, débordante de chaleur, qui se dévêt facilement. Ceci est prouvé par des études cliniques ... Je ne traiterai pas l'asthme de la même manière chez une personne dépressive, anxieuse, insomniaque et chez une personne qui s'assoupit à tout moment et qui a du mal à se concentrer. Je tiens compte de l'ensemble de ces signes psychiques, structurels, de ces modes de vie, et les traduis dans un médicament.

A celle qui est pléthorique, qui signale des pulsations cérébrales, qui sent son coeur battre et a toujours trop chaud, je donnerai Belladona ; à l'autre qui est frileuse, maniaque à l'extrême, qui note tout, range tout, je donnerai un médicament particulier, Arsenicum album, en D 30, sous forme de gouttes ou, pour celle qui préfère ne recevoir que deux traitements par semaine, sous forme d'injections, plus efficaces et moins onéreuses...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Nous avons compris ! Vous dites que cela permet de promouvoir les capacités d'autoguérison. Qu'entendez-vous par cette expression ?

M. Robert Kempenich. - L'autoguérison est un concept très reconnu par Antonovsky...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Les auteurs sont une chose. Qu'est-ce que cela signifie concrètement ?

M. Robert Kempenich. - Antonovsky s'est rendu compte, dans les camps de concentration, que parmi les femmes d'une vingtaine d'années qui sortaient des camps de concentration, certaines au bout de deux à trois ans, étaient mères de famille, et d'autres jamais. Il s'est donc dit qu'il devait exister chez l'être humain des facultés particulières pour dépasser la pathologie et pour s'auto-guérir. Les mères ne parlaient plus de leur passé, n'étaient pas dépressives et détenaient en elle une capacité particulière de surmonter l'adversité, alors que d'autres, pour qui la maternité était impossible, subissaient une dépression définitive.

Il existe donc en chacun des capacités de surmonter la maladie. Ceci est tout à fait reconnu : certains sont capables, par exemple après une épreuve difficile comme un deuil, de retrouver des facultés immédiates, de retourner rapidement à leur emploi alors que d'autres vont subir une dépression de quelques mois.

Solliciter par des remèdes particuliers ce que l'individualité possède comme potentialité d'autoguérison me semble donc judicieux !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Si cela vous semble judicieux, ce n'est déjà pas si mal !

M. Robert Kempenich. - C'est pratiquement démontré !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Quelle est, par exemple, la part de l'autoguérison dans le domaine du cancer ?

M. Robert Kempenich. - Je dois tout d'abord vous indiquer que j'ai un diplôme de cancérologie... Un cancer, lorsqu'il est diagnostiqué, doit bénéficier des thérapeutiques les plus adaptées -chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie, hormonothérapie, anticorps monoclonaux...

Toutefois, des études américaines suffisamment étayées démontrent que l'épreuve n'est pas vécue de la même manière par touts les patients. Pour un même type de cancer, au même degré de gravité et d'expansion, la même chimiothérapie n'aura pas le même impact. Les forces d'autoguérison sont donc très différentes. Il revient à nos thérapeutiques d'aider les patients dans cette épreuve.

J'ai cofondé, à Strasbourg, l'Association pour la promotion des soins de support en oncologie et hématologie (APSSOH), qui s'inscrit dans le plan cancer lancé sous la présidence de Jacques Chirac. Il s'agit de promouvoir les traitements de support - « supportive care » en anglais : comment adapter et individualiser les thérapeutiques ? En cancérologie, on adapte de plus en plus les anticorps monoclonaux au cas particulier de tel patient et de tel type de cancer.

On traite la maladie cancéreuse : et si nous traitions le malade ? Un ouvrage récent du Pr Schwartz pose la question à ce sujet... Votre question est extrêmement judicieuse. L'acupuncture a fait son entrée dans les services de cancérologie de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP). En Allemagne, tous les services de cancérologie font appel aux médecines complémentaires, qui orientent les patients vers l'acupuncture, l'homéopathie, la phytothérapie et l'anthroposophie. Ce traitement complémentaire prend en charge le patient qui est atteint dans toute sa dimension. Un cancer arrête la vie familiale, conjugale, les projets. Redonner son dynamisme à un patient dans ce contexte peut être extraordinairement utile !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Je cherche la définition de l'anthroposophie...

M. Robert Kempenich. - Je puis vous citer celle de la Miviludes...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Nous ne sommes pas le bras armé de la Miviludes, mais une commission sénatoriale !

M. Robert Kempenich. - Cette définition est pourtant extraordinairement bonne, mais la Miviludes n'a malheureusement pas donné suite !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - « L'anthroposophie cherche à développer en l'homme les forces nécessaires pour appréhender ce qui existerait au-delà des sens : monde éthérique ou monde des forces formatrices, monde psychique ou astral, monde spirituel. Pour l'anthroposophie, l'homme peut développer en lui les facultés qui lui permettent de dépasser cette limite ». Cette définition est-elle la bonne ?

M. Robert Kempenich. - ... Sous un certain angle, oui. Tout le monde s'accorde à dire que l'homme est un être inachevé. C'est pourquoi on envoie les enfants à l'école. Un petit animal est terminé au bout de trois semaines. Tel n'est pas le cas de l'homme. On l'éduque, puis on le lâche dans la vie. Il s'éduque ensuite lui-même en développant sa pensée, son mode émotionnel et sa volonté : penser, sentir, vouloir. Cela me semble fondamental...

Les psychothérapeutes, depuis Freud, s'intéressent à l'inconscient. Il faut faire un travail particulier pour découvrir son inconscient. Ce qu'on appelle « force de vie » ou « corps éthérique » nous permet la croissance, la réparation, la cicatrisation.

Le corps astral, lui, est le lieu de l'expérience psychique. Rudolf Steiner l'appelait ainsi mais ce n'est pas pour autant qu'il faut se focaliser sur le mot « astral ». Nous, nous l'appelons « corps psychique », « psychisme ». C'est le lieu de l'expérience psychique, où vous expérimentez vous-même vos plaisirs ou vos déplaisirs. Vous pouvez apprendre à les percevoir en vous. C'est ce que l'on veut dire. Vos forces de vie, en l'absence de conscience, vous régénèrent la nuit. Si vous restez conscient la nuit, vous aurez une insomnie ! La nuit, la conscience cède le camp et les forces de vie reprennent leur place : au matin, vous êtes régénéré, réparé !

La conscience est ce qui permet de dire « je », ce que personne ne peut dire à votre place. « Je » est un mot très individuel : c'est ce qui permet à chacun se signer son chemin biographique. C'est pour cela qu'on écrit des biographies...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous avez parlé de prévention du cancer. Pour nos concitoyens, c'est fondamental.

M. Robert Kempenich. - Tout à fait.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Comment faites-vous ?

M. Robert Kempenich. - Un grand nombre d'études ont été faites à ce sujet...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Mais vous, comment faites-vous ?

M. Robert Kempenich. - Je parle des études qui nous concernent... Vous voulez savoir ce que je fais personnellement ?

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Oui, concrètement...

M. Robert Kempenich. - Je conseille à mes patients une hygiène de vie qui me semble fondamentale et l'alimentation la plus équilibrée possible. Cela ne fait pas si longtemps qu'on en parle -environ cinq à dix ans. Les cancers sont en explosion exponentielle à travers dans le monde. Ce sont des maladies d'aujourd'hui, qui touchent l'individualité, le système immunitaire, tout comme les maladies virales ou auto-immunes. Ce sont ces maladies qui sont à l'ordre du jour. La prévention passe donc aussi par la pédagogie du médecin, qui entre avec le malade dans un dialogue singulier, où patient et médecin sont co-acteurs. Le patient n'est plus un objet que l'on traite... Il pose des questions : « Docteur, ma mère a un cancer, j'ai des facteurs de risques importants. Ma soeur en a également un. Le fait que je prenne la pilule est-il une bonne chose ? » Je réponds alors que nous allons discuter du fait de savoir si c'est judicieux...

La pédagogie médicale trouve sa place dans un dialogue singulier fondamental. Il existe aussi des médicaments pour cela. On sait, selon des études cliniques, que les malades atteints du cancer n'ont fait que peu de maladies fébriles dans l'enfance lorsqu'on étudie leur biographie.

Donner des fébrifuges et des antibiotiques, au lieu de prescrire des thérapeutiques, permettrait de traverser les épreuves et de maturer le système immunitaire. Le système immunitaire est comme vous : il est inachevé ! Il s'éduque au travers des épreuves, et c'est au travers de celles-ci qu'il devient compétent. Un système immunitaire compétent est un système qui a pu traverser des maladies dans la chaleur !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous avez affirmé avoir 300 confrères formés et compter 2 000 médecins prescripteurs...

M. Robert Kempenich. - 1 500...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous disposez donc de cinq fois plus de prescripteurs que de médecins formés. Comment ces prescripteurs, qui n'ont jamais été formés, font-ils ?

M. Robert Kempenich. - Il existe un grand nombre de médicaments spécifiques, comme le Choléodoron. Cette spécialité bénéficie donc des indications pour les troubles de la vésicule biliaire par exemple. Vous n'avez pas besoin d'avoir fait trois ans de formation pour le prescrire ! Ce sont des médicaments type. Un médicament type n'est pas contre quelque chose. Il s'agit là d'un médicament typique de la salutogénèse, afin de conduire la vésicule biliaire à assurer de nouveau sa fonction.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - C'est un peu comme la prose de M. Jourdain !

M. Robert Kempenich. - Pas du tout ! Un médecin généraliste, plutôt que de prescrire un médicament, dans le cas de lithiase par exemple, prescrira du Choléodoron !

Mme Catherine Génisson . - Comment se présente cette molécule ?

M. Robert Kempenich. - Il s'agit d'une dilution de curcuma et de chelidonium.

Mme Catherine Génisson . - C'est un remède de grand-mère !

M. Robert Kempenich. - Non, ce sont des remèdes extraordinairement demandés. Il y aurait alors de plus en plus de grands-mères ! 67 % de la population européenne a recours aux médecines complémentaires, en particulier à la phytothérapie, à l'homéopathie, et à la médecine anthroposophique. C'est exponentiel. C'est parce qu'elles sont de plus en plus demandées que la Commission européenne s'est réellement penchée sur le problème.

Mme Catherine Deroche . - Il n'existe pas de formation universitaire à la médecine anthroposophique. Il s'agit donc d'une formation privée...

M. Robert Kempenich. - En France...

Mme Catherine Deroche . - Les médecins qui exercent votre discipline sont conventionnés au choix, en secteur 1 ou en secteur 2...

M. Robert Kempenich. - Comme tous les médecins !

Mme Catherine Deroche . - Vous situez-vous comme une médecine complémentaire ou alternative ?

M. Robert Kempenich. - Le mot de « Complementary and alternative medicine » (CAM) -médecines complémentaires et alternatives- est un mot consacré. L' European college of integrative medicine (ECIM), dont je fais partie, intègre dans une même démarche, pour le bien du patient, le meilleur des deux médecines. Comme le disait un professeur anglais : « Take the best of both » !

Lorsqu'on a fait le diagnostic complet de médecine universitaire et étudié la thérapeutique envisageable, on complète ou on remplace ce qui est possible par cette médecine moins toxique et moins coûteuse.

Mme Catherine Deroche . - Vous avez dit que les médicaments que vous utilisiez jouissaient d'une innocuité reconnue. Je vais être provocatrice, mais le plus important est surtout de savoir s'ils sont efficaces !

Enfin, selon vous à quoi tient le fait que la Miviludes ait parlé de vous dans son guide ? Est-ce par rapport à la sémantique que vous utilisez ? Comment, dans le cadre des formations que vous dispensez, votre association fait-elle pour qu'il n'y ait pas de confusion avec des risques de dérives sectaires, d'emprise mentale ou de perte de chance par abandon des traitements ?

M. Robert Kempenich. - L'étude PEK porte sur l'efficacité, l'utilité, le coût et l'innocuité de l'anthroposophie. L'innocuité est quasiment prouvée, car les effets secondaires ne s'élèvent qu'à 0,05 %. Sur les 188 études, 180 ont démontré des résultats positifs, tant du point de vue de l'efficacité, du coût, que de l'innocuité. L'efficacité est donc tout autant démontrée que l'innocuité !

Il existe par ailleurs dix-sept études randomisées sur le Viscum album. La Collaboration Cochrane, le plus haut niveau en cancérologie, a traité du Viscum album. Celle-ci ne se penche que sur les études randomisées, en double aveugle.

L'efficacité a également été démontrée, principalement, en ce qui concerne le cancer, en matière de qualité de vie, qui devient la préoccupation majeure des cancérologues. Il ne s'agit pas simplement là de l'efficacité de la réduction de la tumeur ou de la rémission...

D'autres études, comme celles des « Systematic Review », dans le cancer du sein et celui des ovaires, ont également montré un effet non négligeable sur la prolongation de la durée de vie. L'étude a également été menée sur le cancer du pancréas. Le traitement du cancer du pancréas par la gemcitabine comparé, au traitement associant la gemcitabine et la médecine anthroposophique, amène une prolongation de six mois de vie.

Le propre des enfants, vous le savez, est d'avoir des maladies en « ite » : bronchites, conjonctivites, otites, rhinites. Le propre des vieillards est de faire des maladies en « ose » : scléroses, artérioscléroses, etc. Chez l'enfant, notre démarche thérapeutique est d'une efficacité considérable !

The Lancet , le « must » en matière de revue scientifique, a présenté une étude sur l'atopie chez l'enfant, menée par le service de pédiatrie de l'université de Stockholm. Ces cas explosent d'année en année. L'étude, appelée « Life style », a comparé un lot courant de jeunes malades, traités pour de l'asthme et de l'eczéma, à un lot de jeunes malades traités par la médecine anthroposophique, en tenant compte du nombre de prises d'antibiotiques et de vaccinations. Les enfants traités par la médecine anthroposophique présentaient 30 % de cas d'atopie en moins !

Mme Catherine Génisson . - Quelle est votre position par rapport à la politique vaccinale ?

M. Robert Kempenich. - La politique vaccinale est tout à fait fondée en France : diphtérie, tétanos, poliomyélite. La vaccination contre le Bacille de Calmette et Guérin (BCG), quant à elle, n'est plus obligatoire.

Les autres vaccinations, comme dans tous les autres pays d'Europe, se discutent au cas par cas. Bien évidemment, lorsqu'un adolescent n'a pas eu les oreillons, il est justifié de lui administrer le vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR).

Mme Muguette Dini . - Vous avez certainement imaginé que l'ensemble des sénateurs ici étaient médecins. Ce n'est pas mon cas... Cela a donc été très difficile pour moi de vous suivre.

Les patients qui viennent vous consulter sont-ils malades ou viennent-ils pour prévenir la maladie ? C'est une question très sérieuse...

M. Robert Kempenich. - Je n'en doute pas ! Je la prends comme telle...

Mme Muguette Dini . - Ce que vous avez dit m'intéresse et je pense qu'il est bon de considérer le patient dans son ensemble, avec ce qu'il risque d'avoir, ce qu'il a déjà et sa capacité à faire avancer le soin...

Si seulement vous n'aviez pas fait référence au « corps astral », au « corps éthérique », à l'« organisation du moi », à l'autoguérison ! Je pense que l'autoguérison n'est pas le terme approprié. Cela signifie que l'on peut se guérir seul. Or, ce n'est pas ce que vous avez expliqué. Vous avez dit que certains étaient en mesure de mieux réagir -grâce sans doute à votre thérapeutique- et que vous les y aidiez. L'autoguérison laisse croire qu'un malade atteint d'un cancer peut aller voir un médecin et va guérir seul. Les ternes médicaux et ésotériques que vous avez employés font qu'il est difficile de vous entendre !

M. Robert Kempenich. - Je suis médecin traitant et non sous-traitant ! J'ai plusieurs centaines de médecins dont je suis le médecin traitant ; je les suis intégralement. Je pense que la médecine préventive a une place fondamentale en médecine traitante, en médecine de terrain, de cabinet. Un médecin de famille est d'abord un médecin qui sait prévenir, qui est là pour l'hygiène de vie, pour promouvoir la santé et éviter les maladies. Ce point de vue me semble fondamental.

En second lieu, je n'ai pas parlé de corps éthérique, ni de corps astral. On m'a posé la question ! Je vous ai remis un texte où je parle des niveaux biologiques, physiologiques, du psychisme et de l'esprit...

Le niveau biologique, chacun en dispose, tout comme du niveau physiologique. Je ne vais pas entrer là-dedans. Le mot « éthérique » signifie « forces de vie », c'est-à-dire biologiques et physiologiques ; quant au corps astral, je l'ai dit, il correspond au psychisme.

Mme Muguette Dini . - Il est tellement plus simple de parler de psychisme !

M. Robert Kempenich. - S'agissant de l'autoguérison, un grand nombre de patients disent qu'ils se guérissent seuls, qu'ils ne vont pas voir le médecin. Cependant, il existe une manière de promouvoir cette force d'autoguérison.

Une mère, qui vient vous consulter pour son enfant qui a déjà subi quinze otites, conseillée par son pédiatre, ou une patiente envoyée par son ORL, qui a eu une paracentèse et ne peut plus prendre d'antibiotiques, vous demandent d'agir. On prescrit un traitement de deux ou trois mois et ces patients ne récidivent plus - ou une ou deux fois seulement. Vous avez aidé ces patients à s'auto-guérir ! Comme le disent tous les homéopathes, les phytothérapeutes, les anthroposophes et les médecins chinois, vous avez traité le terrain.

M. Alain Milon , président. - Si je vous entends bien - je vais être également provocateur - si on empêche cet enfant de faire trop souvent des otites, on favorise des cancers par la suite...

M. Robert Kempenich. - L'inflammation chronique est une inflammation aiguë qui n'arrive pas à terme. Permettre à une inflammation aiguë de guérir, c'est faire qu'elle ne se chronicise pas !

M. Alain Milon , président. - On pourrait en discuter !

M. Yannick Vaugrenard . - Je ne suis pas médecin non plus mais j'ai écouté avec beaucoup d'attention votre intervention sur le fait qu'il est nécessaire de considérer la personne malade dans son ensemble, au-delà de sa maladie. Il me semble que la médecine généraliste prend aussi en compte cet aspect des choses. Il ne traite pas uniquement la maladie mais, dans le cas d'un cancer, la personne atteinte d'un cancer. Cela me paraît être dans la déontologie de tout médecin généraliste, quel qu'il soit. Qu'apporte donc, selon vous, le fait d'être un médecin anthroposophe ?

En second lieu, de quels laboratoires proviennent les médicaments prescrits dans le cadre de cette médecine ?

Enfin, la médecine anthroposophique rapporte-t-elle beaucoup ? Quels revenus supplémentaires génère-t-elle ?

M. Robert Kempenich. - C'est effectivement le fondement de la médecine de tenir compte du malade. Ce n'est malheureusement pas le cas, sans vouloir aucunement porter atteinte à la qualité souvent très profonde des médecins traitants, des oncologues ou des spécialistes.

La médecine actuelle a établi des conduites à tenir en matière de prescription de médicaments, de dose, de maladies, de typologies, face à telle ou telle réaction. Très souvent, en médecine conventionnelle, on ajoute des anxiolytiques ou des somnifères. C'est un fait.

Si la médecine conventionnelle tient compte des signes psychiques et individuels, la médecine anthroposophique tient également compte de ce que nous appelons - ainsi que les philosophes, à travers l'histoire - « l'esprit ». Seule la réponse concrète change.

Lorsqu'une patiente, le jour de l'annonce d'un cancer du sein, par exemple, ressent une boule à la gorge, souffre d'insomnies et ne peut reprendre son travail, le médecin anthroposophe lui établit un arrêt de travail, comme n'importe quel autre médecin, mais lui propose également un médicament particulier, sans effet secondaire, ni accoutumance ou dépendance, que la patiente va considérer comme efficace. On peut donc prendre concrètement en compte ces signes individuels grâce à un traitement sans benzodiazépine. Il s'agit ici d'une réponse matérialiste.

C'est le laboratoire Weleda qui, en France, produit ces médicaments, conformément à la directive européenne 2001/83/CE. Les médicaments anthroposophiques décrits dans une pharmacopée officielle, et préparés selon une méthode homéopathique, sont assimilables, au plan de l'enregistrement et de l'Autorisation de mise sur le marché (AMM), à des médicaments homéopathiques.

Combien la médecine anthroposophique rapporte-t-elle ? Il existe des médecins anthroposophes en secteur 1, en secteur 2, rarement en secteur 3 -je ne sais même pas s'il y en a- dans la même proportion que chez les autres médecins.

M. Alain Milon , président. - Certains de vos patients finissent-ils par se détourner de la médecine anthroposophique et consultent-ils ailleurs ? Que faites-vous dans ce cas ?

M. Robert Kempenich. - C'est rare ! C'est arrivé, par exemple dans une pathologie qui n'a été reconnue comme maladie qu'il y a une quinzaine d'années, la fibromyalgie et la fatigue chronique. De nos jours, cette affection est absolument codifiée. Ces malades ne sont nulle part pris en compte ! Ils quittent donc les médecins. Tout patient quitte un jour son médecin. Vous ne pouvez pas soigner tout le monde. Personne ne le peut. Tout le monde connaît des échecs...

M. Alain Milon , président. - Quand vous subissez des échecs, laissez-vous partir vos patients ? N'exercez-vous pas sur eux d'emprise morale ?

M. Robert Kempenich. - Aucune ! Je conseille à certains patients d'aller consulter un autre médecin. Après une dizaine ou une douzaine d'années, il est souhaitable de porter sur eux un autre regard. Il faut reconnaître ses propres limites...

M. Alain Milon , président. - Tous les médecins considèrent leurs patients dans leur globalité. A la faculté de médecine -au siècle dernier- on nous disait bien que l'on nous enseignait les maladies, mais qu'on nous demandait de soigner des malades !

M. Robert Kempenich. - Comment ?

M. Alain Milon , président. - En écoutant les patients, en discutant avec eux, en leur prescrivant des médicaments et en dosant ceux-ci en fonction de la physionomie, du poids, de la taille, et de l'âge des malades. Cela se faisait déjà !

C'est ainsi que j'ai pratiqué durant les années au cours desquelles j'ai exercé. Je ne mettais pas obligatoirement un gramme de ceci à un enfant de 12 ans ou à une personne de 90 ans. J'adaptais le traitement à la physiologie et à la physionomie de la personne. C'est ainsi qu'on me l'a appris la médecine, dans la même faculté que Mme Génisson, d'ailleurs...

M. Robert Kempenich. - Je conçois parfaitement ce que vous dites. Cela me semble justifié...

M. Alain Milon , président. - A l'époque, je ne prescrivais pas de la digitaline pour le plaisir ! Maintenant, elle ne se prescrit presque plus...

M. Robert Kempenich. - Le risque d'effets secondaires n'est pas négligeable...

M. Alain Milon , président. - Je n'en ai pas vu tant que cela. Je n'ai pas été particulièrement alarmé par des effets secondaires considérables.

M. Robert Kempenich. - Je voulais attirer l'attention sur ce point...

M. Alain Milon , président. - Une chose m'a étonné : vous affirmez qu'un cancer du pancréas, avec le traitement actuel associé à votre propre traitement, permet une espérance de vie de six mois supplémentaires...

M. Robert Kempenich. - Une étude clinique le démontre.

M. Alain Milon , président. - Laquelle ? Cela me surprend énormément...

M. Robert Kempenich. - Elle a été présentée à Lugano. Je puis vous la faire parvenir...

M. Alain Milon , président. - J'aimerais bien. On sait que les nouveaux traitements anticancéreux, en particulier pour ce qui est du pancréas, sont particulièrement efficaces, et permettent une espérance de vie un peu plus longue qu'auparavant, mais six mois me semblent une durée considérable dans ce type de cancer ! J'en doute...

M. Robert Kempenich. - Je vous transmettrai l'étude.

Audition de Mme Mylène ESCUDIER, présidente de la Commission des citoyens pour les droits de l'homme et M. Frédéric GROSSMANN, président d'honneur (mardi 26 février 2013)

M. Alain Milon , président . - Nous procédons à l'audition de Mme Mylène Escudier, présidente de la Commission des citoyens pour les droits de l'homme (CCDH), et de M. Frédéric Grossmann, président d'honneur. Pouvez-vous me confirmer que vous avez donné votre accord pour que cette audition fasse l'objet d'une captation vidéo et soit éventuellement accessible sur le site du Sénat ?

Mme Escudier et M. Grossmann le confirment.

Je précise à l'attention de Mme Mylène Escudier et M. Frédéric Grossmann que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, qui est notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à Mme Mylène Escudier et M. Frédéric Grossmann de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Madame Escudier et monsieur Grossmann, veuillez prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les deux personnes se lèvent et prêtent serment.

Ainsi que vous en avez été informés, notre audition est prévue pour durer 45 minutes. Je vous invite donc à prononcer un court exposé introductif, puis mon collègue Jacques Mézard et les sénateurs membres de la commission vous poseront quelques questions.

Madame Escudier, vous avez la parole.

Mme Mylène Escudier, présidente de la Commission des citoyens pour les droits de l'homme. - La CCDH a été créée par l'Eglise de Scientologie et le Docteur Thomas Szasz, en 1969 aux Etats-Unis et en 1974 en France, dans le but de faire respecter les droits de l'homme en psychiatrie et dénoncer leurs violations. En France, la CCDH est une association relevant du statut prévu par la loi de 1901. Notre combat est la défense des droits de l'homme en psychiatrie. Nous nous appuyons pour ce faire sur la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, sur la Convention européenne des droits de l'homme, sur la Convention internationale des droits de l'enfant ou sur des rapports d'experts et d'organismes officiels pour dénoncer les abus psychiatriques. Nous travaillons avec les victimes de ces abus. Nous avons constaté que le comportement de certains psychiatres pouvait revêtir parfois un caractère sectaire. Ainsi, dans certaines affaires d'abus sexuels et de viols, le psychiatre exerçait une emprise mentale sur ses patients pour abuser d'eux : en Loire-Atlantique, par exemple, un psychiatre a été condamné à huit ans de prison.

En France, selon la Cour des comptes, les prises en charge s'élèvent à un million ; les dépenses consacrées à la psychiatrie représentent 13 milliards d'euros dans le budget de l'assurance maladie ; on compte 13 000 psychiatres en métropole ; les remboursements de la sécurité sociale liés aux psychotropes représentent en un an plus d'un milliard d'euros, plus de 72 000 internements sous contrainte ont été prononcés selon les commissions départementales des soins psychiatriques ; nous sommes très attachés au strict encadrement des soins sous contrainte. La loi du 5 juillet 2011 a modifié la loi de 1990 sur les hospitalisations sous contrainte en prévoyant désormais un contrôle judiciaire dans les quinze jours qui suivent l'internement. Nous sommes très satisfaits de la judiciarisation des internements. Mais, selon le rapport de MM. Serge Blisko et Guy Lefrand, députés, cette loi n'est pas toujours appliquée. Dans certains départements, les patients ne rencontrent jamais de juge ; nous demandons que les visites de procureurs, préfets et présidents de tribunaux de grande instance (TGI) aient effectivement lieu dans les hôpitaux conformément à la loi. De même, nous souhaitons que les soins sous contrainte en ambulatoires dans ce cadre soient placés sous le contrôle d'un juge car, selon l'avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, ils correspondent aussi à une privation de liberté ; les contrôles doivent être plus fréquents en psychiatrie. L'article L. 3222-4 du code de la santé publique prévoit des visites de contrôle des procureurs, des préfets ou des présidents des TGI dans les établissements pour veiller à l'absence d'abus et à la dignité des patients. Or, selon les informations collectées par notre association auprès des hôpitaux, au cours des cinq dernières années, entre 36 % et 44 % des établissements n'ont reçu aucune visite d'un procureur, 73 % à 84 % ont reçu la visite d'un président de TGI, 87 % à 91 % celle d'un préfet. Nous recevons de multiples témoignages d'abus psychiatriques. Ainsi une mère de famille en instance de divorce nous a-t-elle contactés récemment : elle avait été internée d'office à la demande de son mari qui souhaitait obtenir la garde des enfants, sur la base d'un certificat médical établi par un médecin qui ne l'avait jamais rencontrée ! Cette dame a donc été internée à la demande d'un tiers de manière abusive... Finalement, elle a obtenu gain de cause en justice et le médecin et le mari ont été condamnés. J'en ai terminé avec la présentation de notre association.

M. Frédéric Grossmann, président d'honneur de la Commission des citoyens pour les droits de l'homme. - Je n'ai rien à ajouter.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous nous avez parlé de la création de votre association, aux Etats-Unis, par l'Eglise de la Scientologie. Quels sont les liens entre l'Eglise de la Scientologie et la lutte contre les abus psychiatriques ?

Mme Mylène Escudier. - Notre association compte de nombreux scientologues ainsi que des adeptes d'autres religions. Notre objectif est la dénonciation des violations des droits de l'homme en psychiatrie sur la base de témoignages concrets. Ce problème concerne tous les citoyens, scientologues ou non.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Ma question est plus précise : comment expliquez-vous que ce soit une création de l'Eglise de Scientologie ?

M. Frédéric Grossmann. -Il n'y a aucun rapport en termes de hiérarchie. Notre association est totalement indépendante. S'il y a un lien, c'est le souci de protéger les droits de l'homme ; peu d'acteurs s'en chargent dans ce secteur. Notre association a été créée en 1969, à une époque marquée par l'essor du mouvement antipsychiatrique, étranger d'ailleurs à la Scientologie. A cette époque, les établissements psychiatriques étaient encore de gigantesques établissements. Les électrochocs étaient pratiqués fréquemment, il y avait encore des lobotomies. Mais il n'y a aucune relation d'un point de vue religieux, spirituel ou philosophique.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Etes-vous scientologue ?

M. Frédéric Grossmann. - Il s'agit d'une question personnelle. Je ne suis pas tenu d'y répondre. Dans notre association, il y a des gens de toutes les confessions religieuses. Nous ne demandons pas à nos membres quelle est leur confession.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Madame, vous avez dit que vous dénonciez dans la psychiatrie des comportements sectaires, notamment l'emprise mentale exercée par des psychiatres sur leurs patients. Ainsi vous reconnaissez l'existence de comportements sectaires qui se traduisent par des phénomènes d'emprise mentale ?

Mme Mylène Escudier. - Gardons-nous de toute généralité mais nous connaissons la pratique des faux souvenirs induits et la presse se fait l'écho de dérives ou de certains traitements douteux...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Un de vos objectifs est bien de lutter contre des phénomènes d'emprise mentale ?

Mme Mylène Escudier. - Nous luttons contre les violations des droits de l'homme en psychiatrie. Si la loi était appliquée, elles seraient moins nombreuses.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Selon vous, la loi n'est pas suffisamment appliquée ?

Mme Mylène Escudier. - Nous avons édité une brochure développant nos propositions de réforme. L'Assemblée nationale a créé une mission d'information sur la santé mentale et l'avenir de la psychiatrie. Le Conseil constitutionnel ayant déclaré contraires à la Constitution certaines dispositions de la loi de 2011, celle-ci devra être modifiée. Nous réclamons le contrôle obligatoire du juge sur les soins ambulatoires comme c'est le cas pour les personnes hospitalisées.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Sur quels éléments vous fondez-vous pour dénoncer la collusion entre les psychiatres et l'industrie pharmaceutique ?

M. Frédéric Grossmann. - Là encore, nous ne procédons à aucune généralisation. Tous les psychiatres ne sont pas concernés, mais des scandales existent. Des questions se posent, notamment quant à la création du diagnostic. De plus en plus d'aspects de la vie, de plus en plus de comportements humains se voient redéfinis comme des troubles mentaux, sous l'égide des laboratoires qui cherchent à promouvoir de nouveaux médicaments. Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux dans sa version IV (DSM : Diagnostic and statistical manual of mental disorders , publié par l'association américaine de psychiatrie) recense déjà 380 troubles mentaux, contre 60 il y a trente ans, et le DSM V qui arrive en ajoute de nouveaux. C'est inquiétant. A ce régime, devrons-nous considérer que les femmes qui ont leurs règles, les personnes âgées, les chômeurs, les enfants agités ou les personnes en situation de deuil doivent prendre un traitement car ils sont victimes de troubles mentaux ?

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Pourquoi demandez-vous aux hôpitaux psychiatriques la communication des registres d'internement ?

Mme Mylène Escudier . - Nous sommes presque les seuls à demander qu'il y ait plus de contrôle en psychiatrie. Chaque semaine, nous recevons des témoignages d'internements abusifs. Nous souhaitons que les autorités aillent dans les hôpitaux.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Ce n'est pas la question. Pourquoi demandez-vous, vous, la communication des registres d'internement ? Des associations peuvent-elles avoir connaissance de listes nominatives ?

M. Frédéric Grossmann. - Nous demandons uniquement des informations sur les visites des autorités.

Mme Mylène Escudier. - En application de la loi sur la liberté d'accès aux documents administratifs, nous demandons uniquement la communication des dates de visites des autorités dans les établissements. Certains nous les envoient. Il est interdit de transmettre des informations nominatives.

M. Frédéric Grossmann. - Depuis dix ans nous n'avons pas demandé la moindre donnée privée. La Commission d'accès aux documents administratifs (Cada) a été saisie à de nombreuses reprises et nous a toujours donné raison.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Que pensez-vous de la réglementation du titre de psychothérapeute ?

Mme Mylène Escudier. - Cette réflexion n'entre pas dans notre mission limitée à la dénonciation des abus de la psychiatrie.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Il n'y a pas d'abus dans les autres secteurs du psychisme humain ?

M. Frédéric Grossmann. - Les abus sont nombreux. Nous nous limitons à la psychiatrie.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - La psychiatrie, comme toute activité humaine, est source d'abus. Mais d'autres acteurs interviennent en matière de psychisme. Pourquoi ne vous intéressent-ils pas ?

Mme Mylène Escudier. - On compte 72 000 internements psychiatriques par an, un million de prises en charge. La psychiatrie constitue le secteur le plus important en matière de santé mentale. Chaque membre de l'association a son histoire qui explique les raisons de son adhésion. Les abus psychiatriques sont nombreux. Nous aviserons quand ils cesseront.

M. Frédéric Grossmann. - Notre association se concentre sur la psychiatrie car lorsqu'elle a été créée son objet était de dénoncer les internements abusifs, de lutter contre l'emploi des électrochocs ou les lobotomies. Il reste du pain sur la planche !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Quelles techniques de soin préconisez-vous ?

Mme Mylène Escudier. - Aucune. N'étant pas médecins, nous orientons les personnes vers des médecins.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous inventez le robinet d'eau tiède, en somme !

M. Frédéric Grossmann. - Nous ne sommes pas compétents. Nous ne nous occupons pas de traitements. Si quelqu'un nous appelle parce que son traitement ne lui convient pas, nous lui disons de voir son médecin.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Avez-vous une opinion sur la liberté thérapeutique ?

M. Frédéric Grossmann. - Notre préoccupation est l'information dont disposent les personnes et le consentement des patients, souvent considérés comme incapables de le donner, alors que les traitements sont lourds, à base de neuroleptiques ou d'enfermement.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Justement ! Vous affirmez que vous ne vous prononcez pas sur la pertinence des traitements ; pourtant vous dénoncez un certain nombre de thérapies ... donc vous avez bien un avis !

M. Frédéric Grossmann. - Nous condamnons certaines pratiques comme les électrochocs, traitement très controversé. Nous souhaitons surtout nous assurer du consentement éclairé du patient et éviter les traitements punitifs.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Avez-vous un avis sur les pratiques non conventionnelles, complémentaires ou alternatives par exemple, dans le domaine de la santé ?

Mme Mylène Escudier. - Notre objet est la psychiatrie. Nous redirigeons les personnes qui nous contactent vers des médecins qu'ils choisissent eux-mêmes dans l'annuaire. Nous ne disposons d'aucun réseau.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Il s'agit de médecins généralistes, non de psychiatres ?

Mme Mylène Escudier. - Nous réclamons qu'un examen physique complet soit réalisé par des généralistes.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Pourtant les psychiatres ont une formation initiale de généraliste.

M. Frédéric Grossmann. - En dépit de progrès ces dernières années, les problèmes physiques sont souvent mal pris en charge dans les services psychiatriques. Les pratiques diffèrent selon les hôpitaux et les services. Beaucoup de progrès restent à faire.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - La dianétique est-elle une forme de soin psychique ?

Mme Mylène Escudier. - Vous devriez interroger un représentant de l'Eglise de Scientologie.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Avez-vous des liens avec la Coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience (CAPLC) ?

Mme Mylène Escudier. - Non.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Et avec le Collectif des médecins et des citoyens contre les traitements dégradants en psychiatrie ?

Mme Mylène Escudier. - Nous connaissons bien son président, M. Labrèze.

M. Frédéric Grossmann. - Mais c'est un homme très indépendant... Nous avons cependant de la sympathie pour lui.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Je ne saisis toujours pas les raisons qui ont poussé l'Eglise de Scientologie à créer cette association.

M. Frédéric Grossmann. - Nous n'avons rien à cacher. Notre seul objectif se résume au respect des droits de l'homme en psychiatrie, trop longtemps négligés. Des abus existent, tout le monde en convient.

Mme Catherine Deroche . - Vos réponses me laissent perplexes. Votre site instruit le procès de la psychiatrie et de ses traitements. Or vous indiquez que vous vous contentez de renvoyer les patients vers des médecins. Si tel est le cas, l'intérêt de votre association m'échappe. Soutenez-vous la recherche en psychiatrie ? L'apparition de nouveaux diagnostics ne constitue-t-elle pas un progrès même si certains médicaments font l'objet d'un usage abusif ? Des évaluations constantes sont nécessaires. Sans doute des dérèglements mentaux trouvent-ils leur source dans des causes organiques. Que pensez-vous des traitements médicamenteux de la schizophrénie ?

Mme Mylène Escudier. - N'étant pas médecins, il nous est difficile d'apprécier l'efficacité de tel ou tel médicament. Nous ne pouvons nous fonder que sur des études scientifiques.

M. Frédéric Grossmann. - Nous n'avons pas vocation à nous opposer à la recherche comme telle qui peut être source de progrès. De même nous ne jugeons pas les traitements, en revanche nous sommes hostiles à leur usage sans l'accord des patients.

Mme Catherine Deroche . - Combien de membres comporte votre association ?

Mme Mylène Escudier. - Un millier de membres.

Mme Catherine Deroche . - Comment être critiques à l'égard de certains traitements tout en refusant de se prononcer sur leur pertinence ? Les électrochocs ne constituent pas le traitement quotidien en psychiatrie ! Je comprends mal l'objet de votre association.

Mme Mylène Escudier. - On compte plus de 70 000 séances d'électrochocs en France par an. Nous nous appuyons sur des témoignages, à l'image de cette mère de famille, qui avait besoin de connaître ses droits et d'être mise en relation avec un avocat pour éviter de se voir cataloguée comme folle, au risque de perdre définitivement tout espoir de se voir attribuer la garde de ses enfants. Certains tentent également de faire interner leurs parents pour contrôler l'héritage et obtenir une mise sous tutelle...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Mais il y a aussi des mères de famille qui égorgent leurs enfants !

Mme Muguette Dini . - Vous avez évoqué le chiffre de 72 000 internements. Avez-vous des informations sur la durée moyenne des internements ?

M. Frédéric Grossmann. - Selon une étude que j'avais réalisée, mais elle n'est pas très récente, leur durée a baissé jusqu'au milieu des années 2000 puis s'est stabilisée ensuite. Elle ne baisse plus.

Mme Muguette Dini . - Dans l'esprit du public, internement rime avec internement à vie, or la durée moyenne actuelle est inférieure à trois semaines. La majorité des personnes qui vont en hôpital psychiatrique y restent pour une durée relativement courte.

Vous nous parlez des internements à la demande de tiers. A vous entendre, on se croirait au XIX e siècle ! On rêve ! Vous ignorez le rôle des préfets, des maires, des médecins, etc. Quand on connaît les difficultés qu'ont les familles à obtenir l'hospitalisation d'une personne dangereuse pour elle comme pour son entourage... A vous entendre, on se demande si on est dans le même pays !

Mme Mylène Escudier. - Les statistiques d'hospitalisation sous contrainte à la demande d'un tiers ou du préfet montrent, dans certains départements - pas tous -, une utilisation massive de la procédure d'urgence prévue par la loi seulement à titre exceptionnel et en cas de péril imminent car les garanties sont moindres - un seul certificat médical est exigé et non deux.

Mme Muguette Dini . - Certes mais elle s'effectue sous le contrôle du juge dans les quinze jours !

M. Frédéric Grossmann. - Je vous raconte une anecdote. Dans l'Yonne, le nombre d'hospitalisations à la demande d'un tiers était anormalement élevé par rapport au nombre d'habitants. Après enquête, nous avons découvert que nombre d'entre elles étaient réalisées à la demande de plusieurs maisons de retraite. Quand des personnes âgées étaient envoyées à l'hôpital, elles étaient placées en hospitalisation à la demande d'un tiers. C'était illégal.

Mme Muguette Dini . - En effet !

M. Frédéric Grossmann. - Certes, mais cette pratique n'est pas sanctionnée. Nous l'avons dénoncée. Le Conseil d'Etat a redéfini plus rigoureusement la notion de tiers et en un an, le nombre d'internements a baissé de 25 % à 30 %. Les élus locaux ont souvent du mal à trouver une solution pour des personnes au comportement dangereux, mais la psychiatrie n'est pas une solution.

D'autres cas se posent, en particulier celui des personnes âgées. Sans doute n'est-ce pas un hasard si le contrôleur général des lieux de privation de liberté envisage la possibilité de contrôler les établissements publics accueillant des personnes âgées dépendantes. Soyons vigilants. En théorie, le dispositif est encadré, en pratique, il en va parfois autrement.

Mme Muguette Dini . - Vous recevez de nombreux courriers. Qui vous dit que les personnes qui vous écrivent ne sont pas réellement malades ? La mère de famille que vous mentionniez a pu exercer ses droits et obtenir justice. Mais pour un cas comme celui-ci, il peut y avoir de vrais malades.

M. Frédéric Grossmann. - Nous avons conscience que des personnes vraiment perturbées peuvent nous consulter. Dépourvus de compétence médicale, nous ne pouvons que les renseigner sur leurs droits. Toute personne a le droit de les connaître. Mais ce sont rarement des personnes hospitalisées qui nous contactent.

Mme Muguette Dini . - La loi précise que les personnes hospitalisées sont informées de leurs droits.

M. Frédéric Grossmann. - En effet, sauf avis contraire du psychiatre.

Mme Muguette Dini . - Dans Rescapée de la scientologie dont vous avez certainement entendu parler, Jenna Miscavige, la nièce du dirigeant de la Scientologie, écrit que la Scientologie est une « organisation dangereuse dont les croyances autorisent à commettre des crimes contre l'Humanité et à violer les droits de l'homme fondamentaux. Avec ses groupes affiliés, telle la CCDH, elle représente un danger particulièrement insidieux. » Qu'en pensez-vous ?

Mme Mylène Escudier. - Notre association existe depuis plus de trente ans. Notre travail reçoit de plus en plus de soutiens.

M. Frédéric Grossmann. - Il est fréquent que les associations engagées en faveur des droits de l'homme soient l'objet de critiques.

Mme Muguette Dini . - Il s'agit d'une critique de l'intérieur.

M. Frédéric Grossmann. - Notre travail crée des fantasmes. Notre but peut être mal compris. Il ne s'agit pas de détruire le système mais de le réformer pour qu'il fonctionne de manière humaine.

M. Gérard Roche . - La France est-elle un Etat de droit ?

M. Frédéric Grossmann. - Oui, même si des progrès restent à faire dans le domaine de la psychiatrie.

M. Gérard Roche . - Pensez-vous qu'il existe des pathologies mentales ?

Mme Mylène Escudier. - Oui.

M. Gérard Roche . - Vous admettez l'existence d'états délirants ?

Mme Mylène Escudier. - Oui.

M. Gérard Roche . - Les patients que vous rencontrez sont-ils des individus isolés ou intervenez-vous parfois à la demande des familles ?

Mme Mylène Escudier. - Nous sommes souvent contactés par des membres des familles.

M. Gérard Roche . - Vos propos, qui ressemblent fort à ceux que nous avons entendus la semaine dernière, portent une vision presque moyenâgeuse du monde psychiatrique, fort déconnectée de la réalité. Les lobotomies ? Elles ont disparu ! La sismothérapie ? Elle relève d'un travail en équipe, pour des pathologies très précises, après avis de plusieurs médecins, dans des services spécialisés. Les électrochocs ? On n'en fait pratiquement plus. Quant aux hospitalisations d'office ou à la demande d'un tiers, elles sont soumises à un processus médical et administratif très encadré. On n'interne pas les gens pour les spolier d'un héritage ! J'ai exercé, comme plusieurs de mes collègues, la médecine pendant quarante-cinq ans. Je crois rêver en vous écoutant ! Quel intérêt, dès lors, pouvez-vous tirer à diaboliser la situation ?

Mme Mylène Escudier. - Nous dénonçons simplement les abus. L'an passé plus de 3 200 levées d'hospitalisations sous contrainte ont été décidées par la justice.

M. Frédéric Grossmann. - Les rapports annuels du contrôleur général des lieux de privation de liberté sont sans concession pour les établissements psychiatriques, sans mentionner ceux du Comité européen pour la prévention de la torture.

Votre vision est celle de praticiens. Notre regard, lui, se pose sur les abus, et nous collectons les témoignages des victimes. Il est normal que notre vision de la psychiatrie soit plus sombre.

M. Alain Milon , président . - C'est une vision catastrophiste ! Vous ne cessez d'évoquer la lobotomie. Les lobotomies sont un scandale. Mais voici bien longtemps qu'elles ont disparu. Lors de mes études de médecine, il y a quarante ans, elles n'étaient déjà plus pratiquées ! Pourquoi en parler ? Voulez-vous diaboliser la psychiatrie ?

M. Stéphane Mazars . - Quel est le budget de votre association ?

Mme Mylène Escudier. - Je vous enverrai notre rapport financier.

M. Frédéric Grossmann. - Les ressources proviennent des cotisations des membres. Certains sont membres d'honneur et peuvent donner davantage que d'autres.

M. Stéphane Mazars . - Avez-vous accompagné une personne lors d'un procès ?

Mme Mylène Escudier. - Nous avons rédigé une brochure d'information sur les droits des patients. Nous les orientons vers des juristes ou des avocats.

M. Frédéric Grossmann. - Il nous est arrivé autrefois de nous constituer partie civile.

M. Stéphane Mazars . - Votre constitution de partie civile a-t-elle déjà été jugée recevable ? Pourriez-vous nous transmettre les décisions ?

M. Frédéric Grossmann. - Oui.

M. Stéphane Mazars . - Pourquoi ne le faites-vous plus ?

M. Frédéric Grossmann. - Rien n'est exclu. Nous ne souhaitons pas mettre notre association en avant ni diaboliser la psychiatrie ; tout est fonction de l'enjeu. Ainsi, dans une affaire où un jeune homme était mort de soif dans un hôpital psychiatrique, à Bavilliers dans la région de Belfort, le psychiatre, mis en examen pour homicide involontaire, avait été relaxé en première instance, et la famille nous avait demandé de nous constituer partie civile en appel. Notre demande n'a pas été reçue mais nous avons pu nous exprimer devant le tribunal. Il ne s'agissait pas d'une question médicale mais du respect des droits de l'homme et de l'abandon des patients. On ne doit pas mourir de soif dans un hôpital psychiatrique. Le psychiatre a été condamné pour homicide involontaire.

Les internements abusifs font rarement l'objet d'un procès pénal. En outre, nous n'avons pas forcément d'avis sur toutes les affaires.

Mme Hélène Lipietz . - Qu'est-ce que cette notion de droit de l'homme en matière de santé mentale ? Sur quels fondements juridiques appuyez-vous votre corpus de référence ?

Mme Mylène Escudier . - Notamment sur la Déclaration universelle des droits de l'homme : il est dit à l'article 5 que « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » et à l'article 7 que « Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi ». Il est évident que cet article n'est pas respecté lorsque les patients ne passent pas devant un juge.

L'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales rappelle que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi ».

Mme Hélène Lipietz . - Ayant été membre du conseil d'administration d'un hôpital psychiatrique, je suis étonnée que vous estimiez qu'il y ait autant d'internements abusifs, alors que nous savons tous que ces internements sont de plus en plus courts, que des lits ferment et que la psychiatrie hors des murs se développe. Les hôpitaux psychiatriques sont des lieux où l'on soigne par la parole, qui coûte beaucoup plus cher que les médicaments.

Mme Mylène Escudier . - Nous ne disposons pas de statistiques précises mais nous savons que dans certains départements, le taux de procédures d'urgence est excessif : 95 % des internements à la demande d'un tiers dans les Alpes-Maritimes, alors que cette procédure ne devrait être utilisée qu'à titre exceptionnel et en cas de péril imminent. Si la loi était respectée, il y aurait sûrement moins d'abus.

Mme Hélène Lipietz . - Les hospitalisations en urgence sont sans doute dues à l'impossibilité d'hospitaliser ces patients plus tôt. Il est extrêmement difficile d'hospitaliser lorsqu'il n'y a pas urgence. J'ai vu le cas de médecins qui refusaient l'hospitalisation, ce qui a provoqué des drames.

Après la promulgation de la loi de 2011, j'ai été la première avocate à intervenir sur ce sujet en Seine-et-Marne et je suis étonnée par les chiffres que vous citez car je n'ai jamais vu une annulation par un juge. Or, vous avez parlé de 3 200 annulations d'une décision d'hospitalisation à la demande d'un tiers.

Mme Mylène Escudier . - Ces chiffres sont cités par le Syndicat de la magistrature.

M. Alain Milon , président . - Il s'agit de levées d'hospitalisation prononcées par le juge, sur certificat médical. Il ne s'agit pas d'annulations d'hospitalisation.

Mme Mylène Escudier . - C'est bien ce que j'avais dit.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Le juge prend une décision au vu des pièces transmises et de l'état du patient. Dans l'immense majorité des cas, le juge suit l'avis du corps médical.

Sur le terrain, nous constatons que lorsque des gens sortent trop tôt, ils peuvent commettre des crimes ou se suicider : des poursuites sont alors engagées contre les psychiatres ou les cliniques psychiatriques. Pourquoi voulez-vous donner une image totalement négative de la psychiatrie et des soins psychiatriques ? Pensez-vous que la notion d'emprise mentale est utile et correspond à une réalité ?

M. Frédéric Grossmann . - Parfois, des malades sortent trop tôt et commettent des crimes, mais cela ne doit pas nous empêcher de dénoncer les abus même si, bien sûr, tous les internements ne sont pas abusifs. D'ailleurs, vous ne nous avez pas demandé ce qu'était un internement abusif. Pourquoi y a-t-il en Grande-Bretagne des commissions qui se prononcent avant chaque internement ? Pourquoi les internements y sont-ils deux à trois fois moins nombreux qu'en France ? Ne pensez-vous pas que la société, que les médecins pourraient s'interroger ?

M. Alain Milon , président . - Vous vendez des DVD sur la psychiatrie.

Mme Mylène Escudier . - Nous les proposons gratuitement ; il s'agit de DVD sur les abus de la psychiatrie.

M. Alain Milon , président . - Vous proposez donc des DVD gratuits de propagande contre la psychiatrie et les psychotropes.

Mme Mylène Escudier . - Il s'agit de DVD d'information sur les abus de la psychiatrie.

M. Alain Milon , président . - Le message de ces DVD est que les psychiatres ont gagné le statut de véritables médecins par la prescription de médicaments, jusqu'alors réservée aux professionnels de la santé. Bref, vous considérez que les psychiatres ont gagné leur titre de docteur en médecine à partir du moment où ils ont eu le droit d'avoir des accords avec les laboratoires pharmaceutiques pour vendre des médicaments.

Mme Muguette Dini . - On ne devrait pas parler d'internement mais d'hospitalisation sous contrainte. Quelles sont vos relations avec les personnes qui vous écrivent ?

Mme Mylène Escudier . - Nous leur envoyons nos brochures sur la loi du 5 juillet 2011 afin qu'elles connaissent leurs voies de recours et les droits des patients. Si elles nous contactent à nouveau, nous poursuivons bien sûr le dialogue, mais nos brochures sont très complètes.

M. Stéphane Mazars . - Avez-vous compris pourquoi vous étiez convoqués ?

M. Frédéric Grossmann . - Nous voyons qu'il y a pas mal de malentendus à notre sujet. Vous pensez, semble-t-il, que nous essayons de détruire la psychiatrie et que nous voulons ramener tout le monde à l'Eglise de Scientologie. Pour notre part, nous essayons de rétablir la vérité. Notre association est indépendante et son objectif est de défendre les droits de l'homme. Nous essayons de réformer le système et non pas de le détruire.

M. Gérard Roche . - Vous noircissez le tableau de la psychiatrie.

M. Frédéric Grossmann . - Hélas non, le tableau est bien noir ! Venez dans notre association, je vous y invite tous. Vous verrez au bout d'un certain temps que votre vision de la psychiatrie évoluera.

M. Alain Milon , président . - Cela fait trois ans que je travaille sur la psychiatrie et je ne partage pas votre sentiment.

Confirmez-vous que vos DVD sont gratuits ?

Mme Mylène Escudier . - Tout à fait !

M. Alain Milon , président . - Pourtant, j'ai été obligé de les payer !

Mme Mylène Escudier . - Nous avons six DVD au total, ils sont gratuits pour les adhérents ; sinon, le premier DVD est gratuit.

Audition de M. Jean-Marie BATAILLE, directeur de l'Institut français d'application pour le corps et l'esprit (Iface) (mardi 26 février 2013)

M. Alain Milon , président . - Nous recevons M. Jean-Marie Bataille, de l'Institut français d'application pour le corps et l'esprit (Iface). Notre réunion n'est pas ouverte au public et un compte rendu en sera publié avec le rapport. Pouvez-vous me confirmer, monsieur Bataille, que vous n'avez pas donné votre accord pour que cette audition fasse l'objet d'une captation vidéo ?

M. Jean-Marie Bataille . - Je le confirme.

M. Alain Milon , président . - Je rappelle à l'attention de M. Jean-Marie Bataille que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base du droit de tirage annuel du groupe RDSE, dont M. Jacques Mézard, notre rapporteur, est président.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais maintenant demander à M. Bataille de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13,434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Jean-Marie Bataille, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Jean-Marie Bataille . - Je le jure.

M. Alain Milon , président . - Monsieur Bataille, vous avez la parole...

M. Jean-Marie Bataille . - Je vais vous transmettre deux dossiers, l'un sur le rapport d'activité de l'Iface et l'autre sur le syndicat des ondobiologues.

La société Iface a été créée le 24 octobre 1986. C'est une SARL. Je suis donc en activité depuis vingt-sept ans. Je vous remercie de m'avoir convoqué, chose que n'a jamais faite la Miviludes qui a pourtant décrété que nous étions peut-être bien une secte, ce qui a été gravement préjudiciable à notre activité. J'étais loin de me douter qu'il puisse y avoir dans notre République des services aussi nuisibles.

Du fait de la Miviludes, notre société s'est réduite à trois personnes et à trois praticiens installés qui se relaient pour assurer les formations, selon les besoins, en faisant profiter les stagiaires de leur expérience. Notre chiffre d'affaires est en constante régression depuis 2009 : il est passé de 1 560 000 euros à 993 000 euros l'année dernière tandis que notre marge passait de 269 000 euros à 103 000 euros, ce qui m'a conduit à ne pas percevoir mes dividendes à cause de ces problèmes de trésorerie.

Il y a eu des scandales médiatiques suite à l'émission Droit de réponse . Il y a eu un complot.

Alors que nous exercions notre activité depuis fort longtemps et que notre activité était déclarée, la Miviludes s'en est prise à nous en même temps que l'administration des impôts et nous avons dû nous acquitter de la TVA. Le service régional de la formation professionnelle a décidé que notre activité de formation n'était plus acceptable. C'est grave. On peut s'interroger sur l'utilité de tels services qui nous ont mis dans une situation délicate, alors que nous créions une centaine d'emplois par an.

A l'heure actuelle, nous dispensons quatre types de formations différentes : formation de base (cinq jours), formation supérieure (sur le même principe, par exemple la semaine suivante, selon la volonté de stagiaires), formation en drainolymphologie, formation en biochirurgie immatérielle. Au total, nous avons fait 1 669 formations : 384 en formation de base, 785 en formation supérieure, 341 en drainolymphologie et 159 en biochirurgie immatérielle. Je vous renvoie aux diverses pièces que contient la brochure de l'Iface. Au début, j'enseignais entre une et trois journées, mais pas sur quatre semaines comme maintenant. Cette évolution a été progressive. Je tiens néanmoins à attirer votre attention notamment sur la pièce 17 qui rappelle que la médaille du « mérite et dévouement français » m'a été remise au Sénat par le président de cette association, Jacques Hablot, qui est mort maintenant. La pièce 18 signale que la Cour de cassation estime que le terme de médecine n'est pas protégé du tout : on peut l'employer dès lors que l'on ne fait pas de diagnostic et qu'on ne prescrit pas. La pièce 20, modèle d'inscription à l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), nous classe dans les professions de santé humaine non répertoriées, ce qui nous a amené à créer notre syndicat pour éviter que des personnes se déclarent ondobiologues sans avoir été correctement formées. Notre syndicat vise donc à protéger le public. Notre code de déontologie a le même objet. La pièce 21 - à mon avis la plus importante - revient sur les dérives sectaires, ce qui ne nous concerne ni de près, ni de loin car nous ne commettons pas d'abus de faiblesse, de mise en danger.

M. Alain Milon , président . - Nous connaissons tout cela.

M. Jean-Marie Bataille . - Il est quand même utile de rappeler que nous ne sommes aucunement concernés : il n'y a pas abus de faiblesse ni mise en danger d'autrui à l'Iface.

M. Alain Milon , président . - Je passe la parole à M. Mézard.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Ce qui nous intéresse, c'est de savoir ce que vous faites : en quoi consiste l'ondobiologie ? Que soigne l'ondobiologie ? Qu'est-ce que la « biochirurgie immatérielle » ? Comment la pratiquez-vous ? Pourquoi faudrait-il, selon vous, former 6 000 ondobiologues ?

M. Jean-Marie Bataille . - Oui, un pour 10 000 habitants, pour remplacer les magnétiseurs surtout.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous êtes passé de l'ordre des biomagnétiseurs au syndicat des ondobiologues. Quelles sont vos pratiques ? Qu'est-ce que l'ondobiologie ?

M. Jean-Marie Bataille . - J'ai passé dix ans de ma vie professionnelle à faire des analyses biochimiques (urée, cholestérol...) dans des laboratoires médicaux et vétérinaires ; j'ai été obligé d'arrêter parce que j'ai eu les cordes vocales atteintes par les réactifs. J'ai voulu faire l'expérience du magnétisme pour comprendre ce phénomène. Je me suis rendu compte que nous fournissions nous-mêmes nos énergies électromagnétiques, mais qu'on ne pouvait les utiliser sur des gens sans les contrôler. Au cours d'une séance, j'ai donné trop d'énergies à une femme et j'ai pris en retour toutes les siennes, si bien que j'ai perdu la vue pendant une heure et que ma tension est montée en flèche. J'ai vraiment failli en mourir. Il me fallait donc être plus prudent et extraire les énergies usées de ces personnes avant d'en introduire de nouvelles.

J'ai donc mené une expérience sur une femme qui avait les jambes lourdes. J'ai extrait les énergies usées d'une de ses jambes et j'ai constaté ensuite qu'elle boitait. Elle ne sentait plus sa jambe mais l'autre était lourde. C'était donc ainsi qu'il fallait procéder : extraire les énergies usées - notamment du dos, de chaque côté de la colonne vertébrale - pour que les organes puissent se régénérer. Pour parfaire cette technique, je me suis un peu inspiré de la médecine chinoise. Effectivement, chaque organe correspond à une cuvette d'évacuation. L'ondobiologie part du principe qu'on ne vivait que d'ondes. Et d'ailleurs Luc Montagnier, prix Nobel, est parti en Chine car on lui faisait trop de misères en France : il estime que l'avenir réside dans les ondes électromagnétiques humaines. Maintenant, je peux vous parler de la drainolymphologie.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Je suis d'accord. Parlez-nous des « rénovations lymphatiques - méthode Bataille ». Vous écrivez que préalablement à toute rénovation lymphatique, il convient de nettoyer les égouts d'énergie et les cuvettes collectrices pour rétablir les fonctions lymphatiques. Je lis qu'il est indispensable de rénover les ganglions pour les débarrasser de toutes les incrustations de déchets qui les empêchent de fonctionner. Vous dites aussi que ces soins sont prodigués sans toucher les personnes et que « seule la méthode Bataille peut réaliser cette prouesse technique. » C'est quoi, la méthode Bataille ? Elle a un effet direct sur les ganglions ?

M. Jean-Marie Bataille . - Je peux le prouver tout de suite. Les drainages lymphatiques sont faits par des kinésithérapeutes qui engagent la responsabilité des médecins qui les prescrivent. Or, les kinés acquièrent leurs connaissances en dehors de la faculté puisque - ce n'est d'ailleurs pas de leur faute - seules sept heures de cours sont dispensées en trois ans sur les problèmes lymphatiques. Or, en enlevant les énergies usées qui les bloquent, les ganglions peuvent à nouveau fonctionner sans problème. Nous, nous enlevons les énergies usées et le ganglion refonctionne. Nous évitons ainsi des opérations, notamment des seins.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous dites que vous pouvez éliminer les nodules.

M. Jean-Marie Bataille . - Absolument. Pas cancéreux, attention !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Ne croyez-vous pas que vous n'utilisez pas un certain abus de faiblesse ?

M. Jean-Marie Bataille . - Absolument pas ! Vous n'avez qu'à lire tous les courriers de remerciement que je reçois. Où est l'abus de faiblesse alors que nous parvenons à désengorger des ganglions, ce qui évite à des femmes de se faire opérer de la chaîne de ganglions sous les aisselles ? Attention : les ganglions ne disparaissent pas, ils se dégorgent. Il faut le voir pour le croire.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Qu'est-ce que la biochirurgie immatérielle ?

M. Jean-Marie Bataille . - Il s'agit de l'aboutissement de toutes les recherches que j'ai pu mener. En cas par exemple de lombaires douloureuses, au lieu de se faire opérer, il est possible de les rénover en extrayant tout ce qu'il faut régénérer ; on crée une pièce que je pense être des cellules souches ; on la remet en place ; on reprogramme la génétique et après ça se rematérialise et ça se raccorde.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous estimez avoir une action dans le corps sans y toucher. D'après vous, vous dématérialisez ce qui doit être restauré en créant instantanément une pièce nouvelle en plasma énergétique immatérielle composée de cellules souches. Pour les lombaires, vous dématérialisez ces vertèbres et vous en remettez d'autres, sans intervention chirurgicale, sans toucher le patient et en décrivant de l'extérieur une opération biochirurgicale, en étant en blouse...

M. Jean-Marie Bataille . - Tout à fait. Je précise bien : biochirurgicale immatérielle. On n'est pas urgentiste.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Et je lis que vous pouvez éliminer un kyste sur un ovaire ? Vous faites comment, là ?

M. Jean-Marie Bataille . - On désagrège le kyste. C'est une opération qui peut être dangereuse d'ailleurs. Au moment où le kyste se désagrège, il faut le jeter dans une poubelle, mais il faut aller très très vite.

M. Alain Milon , président . - Et la poubelle, qu'est-ce que vous en faites ?

M. Jacques Mézard , rapporteur . - La poubelle est-elle immatérielle ?

M. Jean-Marie Bataille . - Non, et on la vide dans l'espace. A l'échographie, ça se voit immédiatement.

Mme Catherine Deroche . - Faites-vous des échographies avant et après vos interventions ?

M. Jean-Marie Bataille . - Les gens qui viennent nous voir ont les éléments. Ils nous disent : « j'ai un kyste, qu'est-ce que vous pouvez faire ? »

M. Alain Milon , président . - Qui pose le diagnostic ?

M. Jean-Marie Bataille . - Le médecin !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Si vous ne faites pas de diagnostic, comment réalisez-vous des opérations immatérielles ? Comment jugez-vous de ce qu'il faut faire en opérant ?

M. Jean-Marie Bataille . - Le diagnostic est une chose et l'opération une autre.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Comment faites-vous pour décider d'opérer quelqu'un par exemple d'une vertèbre sans diagnostic ?

M. Jean-Marie Bataille . - Il y a des douleurs, des dos bloqués... Lorsqu'il y a une bascule du bassin, le problème est facile à voir lorsque le patient est à plat ventre, s'il y a une jambe qui dépasse l'autre.

M. Alain Milon , président . - Vous parvenez à détecter une bascule du bassin à plat ventre ?

M. Jean-Marie Bataille . - Absolument ! Il faut réformer beaucoup de choses. A plat ventre, vous voyez tout de suite si une jambe dépasse l'autre.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Comment faites-vous pour les kystes sur l'ovaire ? Ne s'agit-il pas d'exercice de la médecine ?

M. Jean-Marie Bataille . - Absolument pas ! Les gens viennent avec une échographie. Je lis le compte rendu. Il n'y a pas de diagnostic et nous ne prescrivons rien.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Comment persuadez-vous les gens qui viennent vous voir que vous les avez soignés ?

M. Jean-Marie Bataille . - Je ne prétends pas soigner les gens, à part les stagiaires.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Est-il raisonnable de demander comme vous le faites dans vos publicités, comme celle qui est parue dans la revue Profession thérapeute , que 6 000 personnes soient formées à votre méthode, sans connaissances spéciales ? Pensez-vous qu'il soit possible de réaliser ces miracles grâce à votre formation ?

M. Jean-Marie Bataille . - Je n'emploie jamais ce mot !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Pensez-vous que des gens puissent enlever des kystes sur des ovaires sans connaissances spéciales ? Je termine. Je cite votre publicité. Vous vous adressez à « certains humanistes qui aimeraient partir dans le Tiers-monde pour aider les malades démunis, grâce aux moyens salutaires et providentiels de notre médecine à mains nues qui ne coûte rien ». Vous croyez que c'est bien de soutenir de telles thèses ?

M. Jean-Marie Bataille . - Parfaitement bien. Je serais honteux de ne pas l'avoir écrit.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Ne s'agit-il pas d'un super abus de faiblesse ?

M. Jean-Marie Bataille . - Mes portes sont ouvertes à tous les médecins et à tous les kinés. Lorsqu'un médecin vient se former, il n'est pas rare que dès le premier jour ou le deuxième, il se mette à pleurer et qu'il soit en colère parce qu'on lui a caché à la faculté l'existence des énergies. Les kinésithérapeutes, quant à eux, doivent oublier tout ce qu'ils ont appris afin de travailler de façon globale, avec l'« esprit intégral ».

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Qu'est-ce que c'est, l'« esprit intégral » ?

M. Jean-Marie Bataille . - On a le conscient et le subconscient. Le conscient veut tout mais ne peut rien tandis que le subconscient ne veut rien mais peut tout : il faut faire travailler les deux ensemble pour obtenir ce qu'on veut. On peut faire beaucoup de choses à partir des énergies.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Est-il raisonnable de faire croire à nos concitoyens que vous pouvez changer leurs vertèbres sans les toucher ?

M. Jean-Marie Bataille . - Pourquoi « faire croire » ? Mes stagiaires le vivent eux-mêmes ! Je ne peux que vous inviter à venir voir ce qu'il en est. Georges Fenech n'est jamais venu.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Combien votre syndicat compte-t-il d'adhérents ?

M. Jean-Marie Bataille . - Pas plus de 150 personnes.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Combien coûte une séance ?

M. Jean-Marie Bataille . - C'est libre. Il faut compter 60 euros pour une heure et 500 euros pour une heure d'opération. S'ils mettent une demi-heure, ils prennent 250 euros.

Nous nous adressons à ceux qui veulent soigner les autres et pour montrer l'efficacité de la méthode, nous faisons des démonstrations les vendredis sur les stagiaires qui souffrent de douleurs, notamment de vertèbres cervicales, de lombaires.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Maintenez-vous que l'on peut enlever un kyste sur un ovaire, un rein, un sein, en l'expulsant du corps ?

M. Jean-Marie Bataille . - Tout à fait.

M. Alain Milon , président . - Il est dit dans votre brochure que les infirmières qui suivent votre enseignement peuvent apprendre « une technique réellement instantanée qui permet de stopper une crise cardiaque dans l'instant, sans toucher la personne, laquelle revient à elle immédiatement sans aucune souffrance ni séquelle, avec un pouls normal, une bonne respiration, en se disant bien dégagée ».

M. Jean-Marie Bataille . - C'est la réalité. Moi-même, j'ai pratiqué cette technique un soir de Saint-Sylvestre et tout le village peut en témoigner : un homme âgé s'est évanoui - crise cardiaque - et, après mon intervention, il est revenu à lui et il s'est mis à danser.

M. Alain Milon , président . - C'était un malaise vagal, pas une crise cardiaque.

M. Jean-Marie Bataille . - Vous n'en savez rien du tout. Vous n'étiez pas là.

M. Alain Milon , président . - Donc ce soir-là, vous avez fait un diagnostic ?

M. Jean-Marie Bataille . - Il n'y avait pas de diagnostic à faire. Tout le monde était perdu. C'est très facile. Tout le monde devrait l'apprendre, cette technique.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - De par les photos que je vois, vous opérez en blouse blanche. A quoi sert d'opérer en blouse blanche alors qu'il s'agit d'opérations immatérielles ? Vous ne touchez pas le patient. Vous donnez l'impression que ça ressemble à de la médecine.

M. Jean-Marie Bataille . - Nos blouses ne sont pas blanches, mais jaunes. D'ailleurs, les médecins font une erreur avec leurs blouses blanches qui constituent un barrage à l'énergie. Le jaune absorbe les énergies. Je parle des énergies du soleil.

Mme Catherine Deroche . - Comment avez-vous appris la technique de l'ondobiologie ?

M. Jean-Marie Bataille . - Je ne l'ai pas apprise, je l'ai inventée. J'ai d'ailleurs passé ma vie à chercher, à inventer. Ainsi en a-t-il été d'un chauffage solaire que j'ai mis au point.

Ce sont les échecs qui m'ont permis de progresser : je ne tolérais pas de ne pas pouvoir soigner quelque chose - hormis les cancers dont je n'ai jamais voulu m'occuper. De fil en aiguille, ma technique s'est améliorée et je suis parvenu à l'ondobiologie que je vous invite à venir découvrir, mais sans l'aide de personne car aucun livre ne traite de l'énergie électromagnétique.

Mme Catherine Deroche . - En même temps, vous dites qu'à aucun moment vous ne vous substituez aux médecins et qu'il faut que la personne qui vient vers vous ait déjà un diagnostic. Mais que se passe-t-il lorsque vous avez affaire à un kyste, par exemple sur un ovaire, qui vous dit qu'il n'est pas de nature cancéreuse ?

M. Jean-Marie Bataille . - Nous essayons notre méthode et nous voyons le résultat. Il y a des kystes d'eau. On essaie et on voit. Si ça ne marche pas, il ne faut pas faire payer.

Mme Catherine Deroche . - Vous dites : je vide un ganglion. Mais un ganglion, ce peut être beaucoup de choses. Vous dites que cela fonctionne : très bien ! Comment être sûr que vous ne faites pas perdre au patient des chances, s'il avait un cancer, d'être traité par la médecine ?

M. Jean-Marie Bataille . - Absolument. Nous sommes prudents. Nous essayons de relancer l'activité du ganglion. Si nous n'y arrivons pas, nous suggérons au malade d'en parler à son médecin. Il faut être prudent car ce n'est plus de notre ressort : il n'y a pas de miracle !

Mme Hélène Lipietz . - Sur votre site, il est indiqué que vous soignez la stérilité féminine : et la stérilité masculine ?

M. Jean-Marie Bataille . - Ce n'est pas notre domaine. Je vais vous faire une confidence : j'ai exercé à Montargis, et c'est à cause de problèmes de stérilité féminine que j'en suis parti. Je recevais des couples - on voit de tout - qui essayaient depuis sept ou huit ans d'avoir un enfant. Or, j'ai remarqué, grâce à la biochirurgie, que la trompe de Fallope se spasmait, empêchant l'ovule de descendre.

M. Alain Milon , président . - Il était bloqué.

M. Jean-Marie Bataille . - Oui, et c'était dramatique ! J'ai mis au point une méthode qui consistait de façon immatérielle à envoyer une sonde avec un petit coussinet au bout que l'on gonflait avec une poire extérieure pour dilater la trompe. La personne le sentait d'ailleurs. Ça lui faisait mal. Après je leur disais d'avoir leur rapport - pas chez moi, chez eux ! Avec cette méthode, je n'ai pas connu un seul échec. Pourquoi ai-je quitté Montargis ? Et bien, je n'ai jamais eu le moindre coup de fil de remerciement. Avant qu'ils attendent l'enfant, ils me faisaient des promesses pharamineuses. Pas un merci. Le seul coup de fil que j'aie eu est celui d'une future grand-mère. Une fois seulement, une brave femme m'a déclaré « Grâce à vous, je suis enceinte » alors que c'est une ancienne stagiaire qui l'avait soignée et qui a tenu à ce qu'elle m'appelle. L'attitude de ces couples m'a écoeuré complètement. Ça m'a tellement marqué que je suis parti.

Mme Hélène Lipietz . - Sur votre site, un clic sur la biochirurgie immatérielle donne accès à une photo où vous figurez en blouse blanche, aux côtés d'une dame en blouse jaune. Il va falloir songer à changer de couleur de blouse !

M. Jean-Marie Bataille . - Cette blouse est beige. Vous avez un problème de chromatique. Ça se soigne aussi.

Mme Hélène Lipietz . - Le site est très intéressant, mais les tarifs ne sont jamais mentionnés. Stages, séances : combien cela coûte-t-il ? J'ai cherché dans la « liste des professionnels » les praticiens de Saint-Chaprais, dans les Hautes-Alpes, commune que je connais bien. L'un d'entre eux indique : « Le prix des consultations est variable. Téléphoner ». Si vous ne relevez pas de la médecine, ne relevez-vous pas comme tout prestataire de service du droit de la consommation et que vous devez annoncer vos prix ?

M. Jean-Marie Bataille . - Ils sont libres de demander le prix qu'ils veulent. Et dans tous les métiers, il y a des bons et des moins bons... Comment exclure les véreux ? Ce qu'écrit ce praticien ne me regarde pas. Il y en a qui mettent le prix, quand même.

Mme Hélène Lipietz . - Pourriez-vous nous renseigner sur la géobiologie ?

M. Jean-Marie Bataille . - Je ne suis pas géobiologue. La géobiologie s'intéresse aux énergies de la Terre ; les ondes telluriques peuvent être dangereuses pour l'homme. Ainsi, beaucoup pensent que la mort subite du nourrisson est liée au fait que l'enfant dort sur une ligne tellurique.

M. Alain Milon , président . - Comment vous sentez-vous après cette audition ?

M. Jean-Marie Bataille . - Je me sens libéré. Je vous en remercie. Je n'ai senti aucune agressivité de votre part, malgré quelques sourires : c'est normal, vous ne me connaissez pas ! Mais je vous invite à venir...

Audition de M. Daniel KIEFFER, directeur du Collège européen de naturopathie traditionnelle holistique (Cenatho) (mardi 26 février 2013)

Mme Muguette Dini , présidente . - Mes chers collègues, nous recevons M. Daniel Kieffer, directeur du Collège européen de naturopathie traditionnelle holistique (Cenatho). Notre réunion d'aujourd'hui n'est pas ouverte au public. M. Kieffer, me confirmez-vous que vous n'avez pas donné votre accord pour que cette audition fasse l'objet d'une captation vidéo ?

M. Daniel Kieffer . - En effet.

Mme Muguette Dini , présidente . - Je précise à l'attention de M. Daniel Kieffer que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, qui est notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Daniel Kieffer de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Kieffer, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Daniel Kieffer . - Je le jure.

Mme Muguette Dini , présidente . - Ainsi que vous en avez été informé, notre audition est prévue pour durer 45 minutes. Je vous invite donc à prononcer un court exposé introductif, puis mon collègue Jacques Mézard, et les sénateurs membres de la commission vous poseront quelques questions.

Je précise à l'attention de M. Kieffer que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, qui est notre rapporteur.

Ainsi que vous en avez été informé, notre audition est prévue pour durer quarante-cinq minutes. Je vous invite donc à prononcer un court exposé introductif, puis mon collègue Jacques Mézard, et les sénateurs membres de la commission vous poseront quelques questions.

Monsieur Daniel Kieffer, vous avez la parole.

M. Daniel Kieffer, directeur du Collège européen de naturopathie traditionnelle holistique (Cenatho) . - Je me réjouis d'avoir l'opportunité historique d'ouvrir un dialogue transparent avec les élus de la Nation, et vous en remercie chaleureusement, Mesdames et Messieurs les sénateurs. Je vais faire une présentation très simple de notre discipline, la naturopathie. Elle est née aux Etats-Unis, où le mot apparaît pour la première fois en 1896. En 1902 est fondée la première école, dans l'Oregon, et, à la veille de la crise de 1929, la naturopathie compte quelque milliers de professionnels et vingt écoles.

Ce courant hygiéniste se développe en Europe dans les années 1935-1940, où sont fondées les premières écoles, de façon informelle à l'époque et empirique. Il faut attendre 1985 pour voir naître la Fédération française de naturopathie (Fenahman), qui regroupe les principaux chefs d'école. Le niveau de compétence, l'éthique et la déontologie de la profession sont établis. En 1982 était née l'Omnes (Organisation de la médecine naturelle et de l'éducation sanitaire), l'association à vocation syndicale de la profession, qui donne accès à l'assurance professionnelle et qui assure également la formation continue.

Une autre date intéressante : à la suite du rapport Collins-Lannoye, la résolution européenne du 29 mai 1997 invite les Etats membres à considérer avec bienveillance l'intégration des médecines dites non conventionnelles dans les pays membres. En 2000, la naturopathie était intégrée dans dix Etats membres sur quinze, notamment en Allemagne et dans les pays scandinaves, en Grande-Bretagne, etc.

Elle se définit comme la synthèse des méthodes naturelles de santé, à vocation préventive, éducative et pédagogique. Elle promet également le rétablissement de la santé dans les troubles mineurs, lorsqu'un diagnostic préalable a été posé par le médecin, en améliorant la qualité et l'hygiène de vie. Le naturopathe est un éducateur de santé. Son champ d'action, comme le recommande l'OMS (Organisation mondiale de la santé), est la prévention active primaire, passant par l'hygiène et la qualité de vie, le bien-être au sens global, tel que l'entend la définition de la santé de l'OMS.

La naturopathie se situe davantage du côté des médecines naturelles que des médecines douces (homéopathie, mésothérapie, acupuncture, phytothérapie, aromathérapie...) dont l'exercice relève de la médecine. Ces disciplines ne sont pas enseignées en naturopathie. La naturopathie ne pose pas de diagnostic et ne propose pas de traitement de maladie : elle vise la prévention, la promotion de la santé et de la qualité de vie. Lorsque nous recevons des personnes atteintes de troubles mineurs, nous ne faisons jamais ingérence dans un traitement médical en cours : nous coachons , nous délivrons des conseils portant sur l'alimentation - en insistant sur les bénéfices de l'alimentation bio -, sur l'hygiène corporelle, la gestion du stress, le contact avec les éléments naturels, la qualité du sommeil ou de la respiration - et une conscience écologique, bien évidemment.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Très schématiquement, si vous deviez définir en peu de mots la « Naturopathie holistique », vous le feriez comment ?

M. Daniel Kieffer . - Synthèse des méthodes naturelles de santé préventive orientées sur la qualité de vie sur tous les plans de l'être. Le mot holistique appartient aujourd'hui aux sciences humaines et définit une approche globale sur les différents plans de l'être et surtout dans l'interrelation entre ces plans, notamment dans les relations entre l'être humain et l'environnement.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Quel est le sens d'un registre national des naturopathes pour une profession non-réglementée ?

M. Daniel Kieffer . - Nous déplorons justement ce vide juridique. Il s'agit d'un répertoire des professionnels ayant fréquenté les écoles affiliées à la Fenahman (Fédération française de naturopathie). Faute de cadre légal, la profession s'est auto-organisée, avec un cursus de 1 600 heures académiques et 4 400 heures de formation au total.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Pour être un bon praticien, les élèves doivent-ils posséder des connaissances spécifiques, notamment en anatomie ?

M. Daniel Kieffer . - Les élèves sont pour la plupart en reconversion professionnelle et issus de formations diverses. 10 % à 20 % viennent du secteur médical ou paramédical. Nous leur demandons d'avoir vingt-trois ans au minimum et le bac. La formation en anatomie, physiologie et pathologie correspond à celle des études d'infirmier. Je ne parle pas des soins, mais des sciences fondamentales.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Quelles sont les obligations du praticien envers le Cenatho ?

M. Daniel Kieffer . - Je ne peux répondre que pour les 500 affiliés au registre des naturopathes, car il existe environ 1 000 naturopathes travaillant hors cadre : ceux-là attendent que la loi évolue et en attendant, gardent un job à mi-temps, ce qui est prudent dans le contexte de crise actuelle. Nos affiliés assurent des heures de formation, ont obtenu un diplôme de fin d'études devant un jury, suivi un cours de droit et de déontologie donné par Me Isabelle Robard. Nous avons également un examen national, fondé sur un tronc commun aux six écoles affiliées. A cette occasion, nous vérifions que chaque école joue le jeu du niveau de la formation.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Quel sont les taux de réussite ?

M. Daniel Kieffer . - De l'ordre de 80 %. Nos affiliés disposent des assurances requises en matière professionnelle, civile et juridique. Nous leur demandons de faire un minimum de formation continue annuelle. Ils ont également prêté serment sur le code de déontologie.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Tout relève de votre structure.

M. Daniel Kieffer . - De la structure nationale dont je suis le président pour l'instant seulement.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vos adhérents s'engagent à respecter les règles. Payent-ils une cotisation ?

M. Daniel Kieffer . - Oui, équivalente à celle d'un syndicat professionnel.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Y a-t-il eu des exclusions ?

M. Daniel Kieffer . - De mémoire, je ne connais pas de cas d'exclusion pour faute grave, et nous n'avons enregistré aucune plainte émanant des assurances.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Votre formation est en rapport direct avec la santé. Vous vous situez davantage en amont qu'en aval. Ce qui nous interpelle, ce sont les dérives possibles. Votre site renvoie par exemple à l'association Alliance pour la santé. Vous êtes membre de son comité de pilotage. Cette association milite pour le respect du « libre choix thérapeutique ». Qu'entendez-vous par là ? Est-ce à dire qu'il n'y a pas de libre choix thérapeutique en France ?

M. Daniel Kieffer . - Il y a un libre choix partiel, mais l'information circule trop peu. Nous déplorons le manque de circulation de l'information. Les patients doivent s'informer eux-mêmes, sur Internet ou par le bouche à oreille, si par exemple, ils veulent consulter un sophrologue ou un ostéopathe. Ce sont des professions qui sont encore en marge. L'objectif de l'association Alliance pour la santé, c'est le rassemblement des médecines. Nous sommes les premiers en France à militer pour une « médecine intégrative » comme elle existe déjà dans douze Etats américains, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Canada britannique, en Inde et, en Europe, ce système commence à venir en Suisse, en Allemagne, en Grande-Bretagne et dans les pays scandinaves. Il s'agit de promouvoir un partenariat respectueux entre des médecins et des non-médecins, chacun dans le respect des différences et des compétences des uns et des autres ; on peut voir aujourd'hui en Grande-Bretagne, dans le même hôpital, un médecin poser le diagnostic, un naturopathe délivrer des conseils pour gérer le stress lié à la pathologie, et un acupuncteur chargé de soulager la douleur. Ce système serait la conciliation entre toutes professions pour arrêter de se faire la guerre ; cessons de nous méconnaître !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Qui fait la guerre à qui ?

M. Daniel Kieffer . - Certains médecins sont assez souvent inquiétés lorsqu'ils donnent l'apparence de l'exercice illégal. Les naturopathes n'encourent presque jamais ce reproche. On n'a pas eu ce souci depuis quasiment dix ans. J'ai su que quelqu'un qui se disait naturopathe, mais qui était autodidacte, il y a deux ans, en Bretagne, avait refusé des soins à son enfant : de telles personnes sont la honte de la profession. Cela n'existe pas chez nous. Si la profession était encadrée au même titre qu'une profession de santé - pas forcément paramédicale -, des études mesurant son efficacité et son innocuité seraient possibles. Vous savez que ces études sont sponsorisées par les laboratoires, en grande partie par les laboratoires pharmaceutiques. Or nous ne prônons pas l'automédication ou la surconsommation de médicaments. De ce fait, nous n'avons pas accès aux aides financières. En outre, la reconnaissance de notre profession aurait l'avantage de garantir que nous n'empiétons pas sur le territoire de la médecine.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous dénoncez l'absence de liberté thérapeutique... Je ne vois pas où est l'absence de liberté dans le système actuel !

M. Daniel Kieffer . - C'est plutôt le manque d'information que nous dénonçons.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - L'information pullule sur internet ! Vous nous indiquez que vous n'avez pas l'appui des laboratoires. Mais vous proposez dans votre école de l'eau « osmosée dynamisée Mélusine » et des « bols d'air Jacquier ». Vous dites que vous n'avez pas l'appui des laboratoires... Mais il y a bien des gens qui fabriquent ça ! Ce sont des boîtes qui ont un lien avec vous ?

M. Daniel Kieffer . - Non. Ce sont juste des produits de qualité de vie que j'offre aux étudiants. Par ailleurs, ce sont de très petites boîtes ! C'est une question de zéros...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Cette Alliance pour la santé - vous êtes membre de son comité de pilotage - tient semble-t-il des propos qui peuvent paraître inquiétants. Au sujet du dépistage du cancer du sein, il est écrit sur son site : « Malgré ces méthodes de très forte incitation, voire de coercition, les preuves scientifiques étayant ce dépistage sont de plus en plus controversées. Le bénéfice en terme de mortalité est constamment revu à la baisse, et tant le surdiagnostic que le surtraitement ont des conséquences néfastes de mieux en mieux connues et importantes. Avant de prendre la décision de pratiquer ce dépistage, mieux vaut avoir eu accès à une information sur ces points ». Je doute que ces propos soient raisonnables. Dans la version originale de cet article, le dépistage du cancer du sein est considéré comme « le plus inutile et plus dangereux des dépistages ». Il comporterait de nombreux risques selon l'auteur de l'article.

M. Daniel Kieffer . - Sans aucune hésitation, je cautionne votre indignation. Ces propos, que je découvre avec vous, sont intolérables sur le site de notre association et je m'engage à les faire disparaître dès demain. Je suis scandalisé.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous comprenez les difficultés que peuvent générer un certain nombre d'informations pour la santé de nos concitoyens. Incitez-vous les gens à se passer des soins traditionnels ?

M. Daniel Kieffer . - En aucun cas, et en aucune façon. Cela fait partie des bases de notre déontologie.

M. Jacques Mézard , rapporteur . -Vous êtes l'auteur d'un ouvrage de 302 pages intitulé Vaincre la grippe : avec ou sans vaccin .

M. Daniel Kieffer . - Ce livre, qui prône la prévention et le renforcement des défenses naturelles, a été un échec commercial complet. On a vendu à peine 500 livres. Nulle part vous n'y trouverez d'incitation à ne pas se faire vacciner. C'est un livre qui parle plutôt de « terrain », de prévention pour que chacun résiste mieux.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Nous ne voulons pas de dérives dans ce domaine par rapport aux politiques de vaccination qui ont une utilité très claire pour la santé de nos concitoyens.

M. Daniel Kieffer . - Il n'y a aucun cours sur la vaccination dans aucune des écoles relevant de la Fenahman. La vaccination est laissée au libre discernement de chacun.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Et de la loi ! Vos praticiens délivrent-ils des ordonnances ?

M. Daniel Kieffer . - Ils délivrent des conseils d'hygiène de vie, un programme d'hygiène vitale, au quotidien. Cela peut aller jusqu'à apprendre à faire ses courses dans des magasins « bio », lire les étiquettes. On apprend aux jeunes à avoir une conscience écologique...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - J'ai découvert récemment le système du « bol d'air Jacquier »...

M. Daniel Kieffer . - Jacquier était un ingénieur, il est décédé il y a deux ans. Il a inventé ce système dans lequel l'huile essentielle de pin des landes est traitée par un arc électrique particulier qui optimise l'oxygénation du corps. En respirant pendant trois minutes l'aérosol de pin des landes, le transport d'oxygène du poumon à la cellule peut être multiplié par six. Une étude toute récente montre que système aide aussi à perdre du poids.

Mme Hélène Lipietz . - L'huile de pin coûte très cher.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Quid de l'eau Mélusine ?

M. Daniel Kieffer . - Elle est obtenue par un procédé de purification de l'eau dite « osmose inverse ». La lumière la dynamise.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Que demandez-vous aux pouvoirs publics ?

M. Daniel Kieffer . - Nous voulons un cadre institutionnel, comme nos voisins européens. Le mois dernier, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a proposé une loi-cadre pour la Lombardie. La Suisse, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, les pays scandinaves et le Portugal ont une loi-cadre.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Ce sont des choix qui leur appartiennent. Tout le monde ne prône pas dans son pays la création d'une Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Que vous apporterait cette reconnaissance ?

M. Daniel Kieffer . - Elle nous garantirait la sécurité professionnelle, inciterait des écoles à ouvrir, des élèves à choisir ces formations. L'ostéopathie qui a obtenu ses lettres de noblesse en sait quelque chose. C'est un enjeu en termes de création d'emplois et de santé publique. Nos pratiques garantissent moins de coûts pour les maladies chroniques. La naturopathie est d'intérêt national : c'est le « chaînon manquant dans le panorama de la santé publique ».

M. Gérard Roche . - Votre description est bien sympathique : prévention, confort de vie, qualité de vie... Mais je crains que des personnes fragilisées, appréhendant la médecine, ne trouvent un refuge dans la naturopathie. Des sportifs compulsifs sont aussi tentés par la naturopathie, et en finissent par confondre alimentation et armoire à pharmacie...

Vous vous faites appeler naturopathes : vous êtes censés délivrer un soin, or, vous faites de la prévention. Ce que nous craignons, c'est que des personnes présentant des symptômes de maladies graves ne soient pas détectées. J'ai vu des cas de lymphomes plusieurs fois. Il est important que vous vous en teniez à la prévention sans entrer dans le soin. N'y aurait-il pas une troisième étiquette possible, qui ne soit ni soin ni prévention ?

M. Daniel Kieffer . - Il ne serait pas absurde d'introduire dans le code de la santé publique un chapitre sur les « professions de santé préventives ». Mais vous avez raison. Nous avons pris modèle sur les Allemands qui ont mis la barre assez haut en matière de pathologies d'exclusion. Nous apprenons à déceler les signes qui permettent d'orienter immédiatement les gens qui viennent nous voir vers le médecin si c'est nécessaire.

Sinon, quand le client vient, le diagnostic est déjà fait.

M. Gérard Roche . - Je connais quelques naturopathes : ils sont soit médecins, soit infirmiers. Sans cette formation, je doute qu'on puisse déceler les symptômes.

M. Daniel Kieffer . - C'est la raison pour laquelle, au risque d'être qualifié d'alarmistes, nous préférons prévenir, au moindre signe.

M. Gérard Roche . - J'ai moi-même été un « sportif compulsif » ; je pratiquais le vélo. Je connais ces dérives, de la naturopathie vers l'alimentation sportive, voire le dopage. Une autre dérive possible est le refus de consulter la médecine traditionnelle. Enfin, il y a ce risque de ne pas voir le symptôme.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - On connaît les dérives liées au jeûne.

M. Daniel Kieffer . - Nous ne le prônons pas : tout au plus conseillons-nous une diète de 24 heures après un excès.

Mme Muguette Dini, présidente . - Quelles relations entretenez-vous avec les autres médecines non conventionnelles ?

M. Daniel Kieffer . - Des relations occasionnelles, de personne à personne. Nous utilisons peu les autres techniques : kinésiologie, réflexologie... La kinésiologie et le reiki ne sont pas enseignés en naturopathie. Ce sont des techniques mineures pour nous.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Utilisez-vous des iridoscopes professionnels ? De quels autres matériels disposez-vous ?

M. Daniel Kieffer . - Oui. Nous enseignons l'iridologie, nous pratiquons la relaxation, des massages relaxants. En ce cas, nous travaillons bien sûr sur table de massage.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous possédez également des appareils de neutralisation des nuisances électromagnétiques et environnementales.

M. Daniel Kieffer . - Vous êtes bien renseigné ! Les gens sont en effet inquiets au sujet des portables et du wifi. J'ai acheté les trois appareils existant sur le marché pour rassurer les élèves. Nous avons un système agrée par l'Afssap (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé). Les autres sont peut-être des placebos mais ils font leur effet. Mais ce n'est pas pour ça que les élèves viennent au Cenatho.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Votre réponse a le mérite d'être sincère, mais elle pose problème. Une foule d'appareils de neutralisation des ondes sont sur le marché ; ils inondent les salons du bien-être et autres : vous l'avez vu vous-même : on y voit une collection d'objets charlatanesques incroyables. Or, aucun n'a fait ses preuves et financièrement, l'enjeu est lourd. Je ne peux être d'accord avec vous.

M. Daniel Kieffer . - Je vous suis sur les produits charlatanesques. Ça fait peur parfois. Nous avons choisi les appareils les plus sérieux au niveau européen. On parle bien, en école d'architecture, du Feng shui et de l'importance des prises de terre et de la neutralisation des nuisances de l'environnement.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Il ne faut pas encourager les élèves dans cette voie. En tant qu'élus locaux, nous connaissons les conséquences de ces alertes qui font peur sans raison à nos concitoyens. On utilise la protection de la santé pour faire peur.

Mme Muguette Dini , présidente . - Quel est le prix des consultations chez un naturopathe ? Quel est la durée des séances ? Est-elle fonction de la personne ?

M. Daniel Kieffer . - Une séance coûte de 50 à 100 euros et dure d'une heure à 1 heure 30. C'est la fourchette proposée par la Fédération.

Mme Muguette Dini , présidente . - Peut-on vivre de ce métier si on travaille à temps complet ?

M. Daniel Kieffer . - Il faut deux ans pour se créer une clientèle, avec beaucoup de communication, car les gens ne « tombent pas du ciel comme ça ». Les revenus sont de l'ordre d'un à deux Smic au bout de deux ans.

Mme Muguette Dini , présidente . - Quelles sont la durée du cursus et son coût ?

M. Daniel Kieffer . - Il dure quatre ans et coûte 10 000 euros, trois fois moins cher que celui d'ostéopathe. Nous délivrons aussi une formation continue, deux week-ends par an.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Ne craignez-vous pas que vos clients se coupent peu à peu de la médecine traditionnelle ? Qu'à force de manger tels légumes ou tels fruits, on se dise que les antibiotiques ne servent plus à rien ? Avez-vous constaté des dérives ? Comment lutter contre ?

M. Daniel Kieffer . - En France, c'est rare. Les dérives existent plus en psychologie, avec certaines techniques, notamment l'hypnose, le rebirth . Des dérives en naturopathie ont eu lieu au Québec. C'est peut-être une question de culture : dans ce pays, les manipulations mentales semblent plus fréquentes. Hormis ce prétendu naturopathe breton dont j'ai parlé plus tôt et qui a été à l'origine de la mort d'une petite fille, je ne vois pas de cas chez nous. Il faut dire que nous ne cautionnons pas le végétalisme, le jeûne long, ou le 100 % cru. Nous ne sommes ni caricaturaux, ni fanatiques. Mais bien sûr, nous ne sommes pas à l'abri d'un naturopathe autodidacte qui ferait n'importe quoi... C'est pourquoi nous réclamons un cadre institutionnel.

M. Gérard Roche . - Les malades ont deux catégories de peurs : peur des soins, et peur du diagnostic. Le danger, ce serait qu'ils se réfugient chez vous et se coupent de la médecine traditionnelle.

M. Daniel Kieffer . - Une fatigue, ou une perte de poids non expliquées, des douleurs, une fièvre et nous envoyons immédiatement la personne chez le médecin. Nous avons autant d'amis médecins que non-médecins.

Mme Dini, présidente. - Qu'est-ce que l'iridologie ?

M. Daniel Kieffer . - L'examen de la partie colorée de l'oeil renseigne sur la constitution et les prédispositions d'une personne.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Y-a-t-il des données scientifiques ?

M. Daniel Kieffer . - Elles nous viennent d'Allemagne, qui compte 22 000 praticiens, contre 500 en France. Attention toutefois à ne pas confondre ce que certains nomment à tort « iridodiagnostic » avec un diagnostic. L'iridologie décèle, par exemple, un faible potentiel digestif, une prédisposition au stress.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Je vous remercie.

Audition de M. Daniel CHAUVIN, président de l'association Invitation à la Vie (IVI), accompagné de Mmes Alberte GENTOU, Lorraine BOUNINE CABALÉ et Catherine CORDIER DE BARTHA (mercredi 27 février 2013)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Daniel Chauvin, président de l'association Invitation à la Vie (IVI), accompagné de Mmes Alberte Gentou, Lorraine Bounine Cabalé et Catherine Cordier De Bartha.

Notre réunion d'aujourd'hui n'est pas ouverte au public ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Monsieur Daniel Chauvin, me confirmez-vous que vous n'avez pas donné votre accord pour que cette audition fasse l'objet d'une captation vidéo ?

M. Daniel Chauvin . - Je le confirme.

M. Alain Milon , président . - Je vous donne acte de ce refus.

Je précise à l'attention de M. Daniel Chauvin et des personnes qui l'accompagnent que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, qui est notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Daniel Chauvin et à Mmes Alberte Gentou, Lorraine Bounine Cabalé et Catherine Cordier De Bartha de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Daniel Chauvin, mesdames Alberte Gentou, Lorraine Bounine Cabalé et Catherine Cordier De Bartha, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les quatre personnes se lèvent et prêtent serment.

Ainsi que vous en avez été informés, notre audition est prévue pour durer quarante-cinq minutes. Je vous invite donc à prononcer un court exposé introductif, puis mon collègue Jacques Mézard et les sénateurs membres de la commission vous poseront quelques questions.

Monsieur Daniel Chauvin, vous avez la parole.

M. Daniel Chauvin, président de l'association « Invitation à la vie ». - Je souhaiterais, avant de répondre à vos questions, faire une déclaration liminaire au nom de l'association Invitation à la vie , de ses membres et de son conseil d'administration.

Invitation à la Vie note qu'elle est convoquée en ma personne pour être entendue par votre commission, intitulée « Commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé ».

J'en déduis que :

- soit vous considérez que je suis une personne informée sur ces mouvements, et je vous déclare que je ne dispose d'aucune information sur des mouvements de cette nature ;

- soit que vous paraissez considérer qu' Invitation à la vie serait un « mouvement à caractère sectaire », et vous voudriez bien noter nos plus vives protestations contre cette opinion.

Tout d'abord parce qu'à prendre le terme « secte » en son sens classique et littéral, Invitation à la vie, qui est une association loi de 1901, et non une association cultuelle, n'est pas un courant ou une division doctrinale d'un mouvement religieux ou spirituel.

Ensuite, à s'en tenir au sens moderne du terme, IVI n'est pas isolée dans le monde et ses membres ne sont pas coupés de leurs environnements familiaux ou sociaux. Dans ces conditions, si Invitation à la vie et ses membres étaient par malheur « sectarisés », sachez que ce serait bien malgré eux. Ce serait exclusivement le fait de l'ostracisme et du regard de personnes mal informées sur ce qu'est notre association.

Enfin, à prendre le terme au sens juridique, ce serait un non-sens puisque votre commission sait bien que les sectes n'existent pas dans notre droit, et que défendre l'idée contraire constitue une atteinte aux principes de liberté de pensée, d'opinion, d'expression, d'association voire de conscience qui font partie de notre bloc de constitutionnalité.

Nous rejetons donc sans réserve l'idée que notre association aurait un caractère sectaire et nous formons toutes réserves utiles dès à présent à ce sujet.

Nous observons encore que l'objet de votre enquête serait l'influence que notre association pourrait avoir dans le domaine de la santé.

Ceci ne manque pas de nous intriguer puisqu'elle n'en a aucun, et nous sommes bien évidemment là pour vous en informer si jamais vous l'ignoriez.

Je vous remercie de l'attention que vous avez bien voulu porter à notre déclaration liminaire. Nous sommes prêts à répondre à toutes vos questions.

J'en viens à une rapide présentation de l'association. Fondée le 20 janvier 1983, Invitation à la vie est une association loi de 1901 à but non lucratif, laïque d'inspiration chrétienne, ouverte à tous, qui rassemble et accueille des personnes de tous âges, de tous horizons social et culturel, sans distinction de race, de nationalité, de religion, croyantes ou non. Chacun de ses membres et chacune des personnes qu'elle accueille restent libre de vivre selon les convictions religieuses, politiques, idéologiques et culturelles de leur choix.

L'association compte à ce jour dix-sept centres d'accueil sur le territoire national. Notre but est l'accueil, l'écoute et la consolation, par le biais des permanences téléphoniques de SOS-écoute et dans les centres d'IVI par l'écoute et l'harmonisation.

Les centres d'IVI sont tenus par des bénévoles qui s'y relaient afin que chaque visiteur soit reçu, écouté et réconforté.

(M. Chauvin donne lecture de l'objet de l'association figurant dans les statuts d'IVI, joints en annexe)

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Votre association a été fondée par Yvonne Trubert qui avait héritée d'un « don de guérison ». Ce don constituait un élément essentiel de son modèle. Dans ses écrits et selon d'autres documents, elle affirmait guérir la maladie par la prière. Vous avez mentionné un axe religieux, un axe humanitaire et social ; votre association a-t-elle également une vocation médicale ?

M. Daniel Chauvin. - Mme Trubert, décédée il y a trois ans et demi, était selon moi une sainte femme : elle priait beaucoup et était animée d'une grande foi. Les gens venaient à elle et elle les aidait, les réconfortait en leur donnant de l'espérance. C'est le maître mot de son héritage : avec de l'espérance, il devient plus facile de retrouver de l'énergie pour se soigner ou combattre les maladies.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - L'objectif de redonner l'espoir à nos concitoyens peut être partagé. Mais dans une conférence diffusée sur Antenne 2 en juillet 1988, elle ne se bornait pas à la prière, elle expliquait que le cancer des os se soignait par la simple absorption de magnésium et de fixateur de calcium. Dès lors, selon ses mots, « un miracle se produit » et la guérison intervient. De même dans Homme nouveau, nouvelle médecine , elle écrit : « Il n'y a pas de maladies inguérissables. » Cet enseignement est-il toujours d'actualité ?

M. Daniel Chauvin. - Il ne s'agit pas d'un enseignement. Quant à l'enregistrement que vous évoquez, les propos ont été sortis de leur contexte. Il est toujours facile de faire dire aux gens ce que l'on veut dans ces conditions.

Mme Catherine Cordier De Bartha. - L'affirmation selon laquelle il n'y a pas de maladies inguérissables l'engage elle, mais pas nous.

M. Alain Milon , président . - Ses patients aussi !

Mme Catherine Cordier De Bartha. - On peut reformuler sa pensée ainsi : il n'y a que des malades qui ne guérissent pas. Le but de son enseignement n'est pas de guérir les gens mais de les aider à aller mieux, pour les encourager à se soigner par les moyens de leur choix. Comme nous l'indiquons sur de grands panneaux dans nos centres, nous ne nous substituons pas à la médecine. Je suis médecin. L'enseignement de Mme Trubert vise au bien-être des membres de l'association et de ceux qui viennent se faire harmoniser dans nos centres, dont nous ne possédons pas les locaux ; nous les louons. Ses propos sont souvent tronqués. Elle disait souvent : « Si vous aviez la foi aussi grosse qu'un grain de sénevé, vous pourriez guérir. » Mais qui a la foi ? N'oublions pas ce préambule, qu'elle répétait maintes fois. Il éclaire ses propos.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - On peut toujours considérer que les propos ont été tronqués, mais est-il raisonnable de faire croire à des malades atteints de cancer qu'ils peuvent guérir de la sorte ?

Mme Catherine Cordier De Bartha. - La citation a été sortie de son contexte. Il ne s'agit que d'une goutte d'eau dans son enseignement, qui n'a pas de visée médicale. Si elle nous avait appris l'art de guérir, notre association compterait plus membres : sur 900 membres, nous sommes moins de 10 médecins.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Qu'est-ce que l'« harmonisation » ?

M. Daniel Chauvin. - Une personne ne peut être harmonisée qu'avec son consentement. Elle est allongée sur un lit, habillée, recouverte d'un drap, les yeux fermés. Nous nous agenouillons au bord du lit et procédons à une gestuelle sur le corps - pas un massage, plutôt une caresse - sans équivoque - tout en priant intérieurement, en silence, durant tout le protocole qui dure une vingtaine de minutes. Conformément à l'héritage de Mme Trubert, la prière est centrale dans cette action. Nous récitons des prières chrétiennes et faisons des rosaires. Nous prions pour l'humanité, pour la résolution des conflits, pour nos dirigeants, pour les chômeurs, pour ceux qui souffrent... Nous écoutons les gens. Ils en ont besoin. Puis nous harmonisons. Mme Trubert nous a transmis cette technique qu'elle a reçue de Dieu, mais chacun reste libre de le croire...

Nous avons rencontré des difficultés médiatiques : lorsque notre mouvement, d'inspiration chrétienne, s'est constitué, l'Eglise catholique nous a demandé de nous rattacher à des mouvements charismatiques. L'association a refusé car elle accueille des personnes de toutes croyances, chacun étant libre de pratiquer son culte, même si tous récitent les mêmes prières. Cela a fortement déplu à l'Eglise et les ennuis ont commencé. Un prêtre a répandu des rumeurs dont les médias se sont emparés, à une époque marquée par la lutte contre les sectes. Nous avons été pris dans cette tourmente. Les propos que Mme Trubert a prononcés lors d'un séminaire, où elle avait accepté la présence de caméras, ne cessent d'être répétés et tronqués. Elle ne s'adressait pas à des malades. Son seul souhait était de rendre aux personnes l'espérance, permettant de surmonter les maladies. De là, un amalgame est né qui nous empêche d'apporter aux autres du réconfort et de la consolation. Il suffit de venir dans nos centres pour vérifier nos pratiques. Rien n'est secret, ils sont ouverts au public. La commission d'enquête de l'Assemblée nationale nous a inclus dans sa liste de sectes. Celle-ci n'étant pas attaquable, nous en subissons les conséquences et de nombreuses personnes ont perdu leur emploi en raison de leur appartenance à l'association.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Dans votre brochure, vous indiquez que l'harmonisation, qui agit sur tous les plans de l'être, « ne se substitue à aucune thérapie, est dispensée à toute personne qui le désire dans les centres d'IVI ou sur demande à l'extérieur : domicile, hôpital, maison de retraite... » . Pourquoi cibler les hôpitaux ou les maisons de retraite ? Est-ce parce qu'ils accueillent des personnes qui souffrent ? Pourquoi ne pas le faire dans vos centres ?

Mme Catherine Cordier De Bartha. - Tous les gens ne sont pas en état de se déplacer.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - L'hôpital est-il le lieu adéquat pour ce genre de pratique ?

Mme Catherine Cordier De Bartha. - Nous n'y procédons que sur demande expresse des patients. C'est très rare, une dizaine de cas par an à Paris. Lorsque j'étais chef de clinique à l'hôpital, tous mes patrons acceptaient et me demandaient d'harmoniser des patients car ils avaient pu en constater les bienfaits, en complément des traitements, pour le bien-être des malades. Etant médecin de rééducation neurologique, je soignais des personnes tétraplégiques, paraplégiques, ou sortant du coma. L'harmonisation les aidait à accepter leur handicap et à retrouver une envie de vivre. Un jour je suis allé visiter un ami à l'hôpital ; il venait de se suicider et avait envie de recommencer. Il était allongé sur son lit d'hôpital, je l'ai harmonisé, sans le lui dire. Le lendemain, il m'a dit : « je ne sais pas ce que tu m'as fait, mais hier, je n'avais qu'une envie, c'était me suicider, et aujourd'hui je n'en ai plus du tout envie. » C'était il y a vingt ans, il est toujours en vie. Nous n'en avons jamais reparlé. Nous ne faisons pas de prosélytisme. Nous n'intervenons que si une personne le demande ou qu'elle en a besoin.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Et les « vibrations » ?

M. Daniel Chauvin. - Les vibrations constituent, avec la prière et l'harmonisation, la troisième clef de nos pratiques. Il s'agit d'émettre des sons en groupe, et de chanter. De tous temps, on a reconnu de grandes vertus aux chants.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Nous ne souhaitons pas vous empêcher de prier ni de chanter. Nous sommes attachés au respect de la liberté de conscience et à la liberté religieuse. Nous nous intéressons à ce qui touche à la santé. Peut-on affirmer, comme il était écrit sur votre ancien site, que « la liberté de guérir étant laissée à chaque individu, sa guérison totale lui appartient et ne peut se produire que lorsque l'âme l'a choisi » ? Vous faisiez référence à la physique quantique. Vous définissiez la maladie comme « une dérégulation des énergies cosmiques et universelles qui alimentent le corps, comme il l'a été prouvé scientifiquement » , et présentiez l'harmonisation comme une réponse. Quelles sont ces preuves scientifiques ? Il y a un lien direct avec la santé.

M. Daniel Chauvin. - Je n'ai pas connaissances de ces éléments. Nous n'avons eu qu'un site, ouvert depuis sept ou huit ans.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Est-ce la philosophie de votre mouvement ?

Mme Catherine Cordier De Bartha. - Peut-être s'agit-il d'un témoignage publié sur notre site. La mécanique quantique est étrangère à l'objet de notre mouvement.

Mme Hélène Lipietz . - Pourtant, sur votre site, on trouve une mention de la mécanique quantique dans une lettre adressée à M. Xavier Martin-Dupont, éditeur du site prevensectes le 13 janvier 2011. Vous citez même Einstein.

M. Daniel Chauvin. - Cette lettre répond à certaines rumeurs propagées sur notre compte mais ne résume pas notre philosophie.

Mme Alberte Gentou. - Nous vous avons apporté un livre Invités à vivre , recueil de témoignages d'une trentaine de membres de notre association, aux parcours très divers, de toutes les nations. Cet ouvrage est conçu pour présenter notre association au grand public et donne une image fidèle de notre mouvement aujourd'hui.

M. Alain Milon , président . - « Les vibrations constituent un travail avec les sons, destiné à redonner à la Terre l'énergie et la vie aujourd'hui très diminuées » .

M. Daniel Chauvin. - C'est juste .

M. Alain Milon , président . - Confirmez-vous qu'un de vos membres s'est félicité que les adeptes d'IVI sont parvenus à bloquer un incendie, à Marbella, en 2012, grâce à des vibrations ?

M. Daniel Chauvin. - Je ne sais pas. Il s'agit d'un témoignage ?

M. Alain Milon , président . - Je le vois dans un article paru dans Le Monde en janvier 2013.

Mme Alberte Gentou. - Nous sommes plusieurs centaines : il est difficile de contrôler les propos de chacun. Plus généralement notre enseignement nous conduit à replacer l'homme dans son environnement. Notre démarche est pure. Nous prions pour la Terre, pour l'environnement. La Terre est fatiguée, les océans pollués. Je prie de tout mon coeur pour une meilleure insertion de l'homme dans la nature.

M. Alain Milon , président . - L'argument du nombre ne tient pas. Il ne suffit pas de dire que vous ne pouvez pas contrôler toutes les déclarations de vos adhérents !

Mme Lorraine Bounine Cabalé . - Je m'étais renseignée sur cet article. La personne interrogée avait expliqué que, lors de l'incendie, les membres de l'association locale avaient récité des rosaires pour protéger la Terre et procéder à des séances de vibrations. Mais à aucun moment ils n'ont prétendu avoir arrêté le feu. C'est l'article qui le dit.

M. Alain Milon , président . - Il n'y a pas eu de démenti.

Mme Lorraine Bounine Cabalé . - Nous avons publié un démenti à l'occasion de la parution d'un article du Figaro , mais pour cet article du Monde , notre avocat ne l'a pas jugé utile.

Mme Catherine Génisson . - Les écrits que vous réfutez sont lourds de conséquences. Pourquoi ne pas les démentir clairement ? Pourquoi ne pas supprimer ces mentions de votre site, si elles sont erronées ? Quid d' Homme nouveau, nouvelle médecine ?

Mme Catherine Cordier De Bartha. - Ce livre n'est plus publié depuis vingt ans. Il s'agissait d'un petit livre à usage interne, une sorte de recueil de « remèdes de bonne femme ».

Mme Catherine Génisson . - Certes. Mais dans ce livre il est écrit : « On arrive totalement à irriguer et à détruire la maladie, le processus de la maladie. Les métastases s'envoleront sous vos doigts. Vous pensez bien qu'une chimiothérapie ne remettra pas d'ordre, au contraire, les rayons X pas davantage. Les cellules renaîtront si vous vous travaillez » . Il ne s'agit pas de « remèdes de bonne femme » !

Mme Catherine Cordier De Bartha. - A ma connaissance, ces propos ne figurent pas dans ce livre. Il s'agit de la transcription de propos tenus dans un séminaire. Ce livre a été retiré des ventes. Il a fait des remous.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous les comprenez ?

Mme Catherine Cordier De Bartha. - Oui .

Mme Catherine Génisson . - Pourquoi votre association ne condamne-t-elle pas ces écrits ? Si vous ne les cautionnez pas, il importe de le dire. Lors d'une séance d'harmonisation, les personnes sont-elles actives ou passives ?

Mme Catherine Cordier De Bartha. - Les personnes qui reçoivent une harmonisation le font à leur demande parce qu'elles ont déjà pratiqué cette méthode. Pour la première fois, elles peuvent en avoir entendu parler et souhaiter découvrir cette pratique. Mais si nous rencontrons une personne en grande détresse et que nous estimons pouvoir l'apaiser, nous l'aidons. L'apaiser signifie l'écouter ou l'harmoniser si le lieu s'y prête. La personne s'allonge habillée sur un lit, recouverte d'un drap pour éviter tout contact direct. Notre prière intérieure et notre amour pendant ce gestuel permettent de lui remettre de l'harmonie dans ses centres d'énergie. La personne n'a pas besoin de savoir ni de participer. Si elle le souhaite, nous lui expliquons la démarche.

Mme Catherine Génisson . - Sans toucher ?

Mme Catherine Cordier De Bartha. - Nous nous contentons d'effleurer la personne avec beaucoup de respect.

Mme Hélène Lipietz . - Cette pratique est-elle rémunérée ?

Mme Catherine Cordier De Bartha. - Non. Chaque patient est libre de donner ce qu'il veut.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Mais elle a aussi lieu dans des hôpitaux ?

Mme Catherine Cordier De Bartha. - Il s'agit de cas marginaux et, dans ce cas, l'harmonisation n'a lieu qu'à la demande du patient qui connaît déjà la procédure. Nous faisons en sorte, après consultation des équipes soignantes, de ne pas perturber la bonne administration des soins. Nous ne pratiquons pas le prosélytisme à l'hôpital. Nous ne sommes d'ailleurs pas assez nombreux pour cela.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - L'article du Monde du 18 janvier 2013 fait état de liens supposés entre votre association et le laboratoire Sevene Pharma .

M. Daniel Chauvin. - Je préside l'association depuis douze ans et suis président du Directoire de Sevene Pharma depuis cinq ans. Je dirige une entreprise de décoration et de peinture à Avignon ; l'association m'a demandé de me porter candidat à la présidence du conseil d'IVI en raison de mes compétences en gestion. J'ai d'abord été actionnaire de Sevene Pharma , comme d'autres membres d'IVI. On m'a demandé d'aider à la gestion. Nous faisons des cultures de plantes médicinales labellisées ECOCERT dans les Cévennes. Je suis entré au Directoire à titre provisoire dans une période de difficultés. Puis le provisoire a duré. Je m'occupe de la gestion, mais le laboratoire est dirigé par un pharmacien. Les liens s'arrêtent là. La politique de Sevene Pharma n'est pas dictée par IVI. Nous possédons neuf médicaments bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché. Le laboratoire développe des traitements homéopathiques.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Pourtant le siège d'IVI est situé à la même adresse que le service marketing de Sevene Pharma ?

M. Daniel Chauvin. - C'est une erreur médiatique. Sevene Pharma possédait des bureaux trop chers à Paris. Nous avons cherché à « réduire la voilure ». Un appartement s'est libéré à côté du siège d'IVI. Nous avons conclu un bail pour une durée d'un an, le temps de trouver un nouveau lieu pour nos bureaux. Comme prévu, fin janvier, les bureaux du laboratoire ont déménagé. Ce choix était dicté par des considérations de bon sens et de saine gestion d'entreprise. Nous avons saisi une opportunité. Le siège du laboratoire est situé dans les Cévennes. Malheureusement IVI est victime d'un amalgame orchestré pour nuire à M. Séralini dont les études sont contestées. Sevene Pharma a travaillé avec lui à l'occasion d'études sur l'action de médicaments sur les cellules humaines. Son laboratoire était plus adapté. Il n'est pas adhérent de notre association et ne lui est en rien associé. Mais comme une campagne pour lui nuire s'est mise en place, les vieux clichés resurgissent tels que nous les connaissons depuis vingt ans.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Votre site indique que Homme nouveau, nouvelle médecine était un livret interne à IVI édité pour la première et dernière foisen 1985 et qui ne circule plus depuis vingt ans. Vous ajoutez qu'en dépit de son titre, il ne s'agit pas d'un livre médical mais d'un ouvrage proposant une hygiène de vie à partir de médications naturelles et traditionnelles en vente dans les pharmacies et les maisons diététiques. Que vous considériez qu'il s'agit là d'une hygiène de vie, c'est pour le moins fâcheux.

Mme Catherine Cordier De Bartha . - C'est un livre qui n'existe plus. Il ne circule plus depuis vingt ans.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Soit vous cautionnez le contenu de ce livre, soit vous ne la cautionnez pas. Quoi qu'il en soit, il est extrêmement dangereux pour les malades.

M. Daniel Chauvin . - Cela fait vingt ans qu'il n'existe plus.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Dont acte, mais admettez que ces propos s'agissant d'un livre écrit par la fondatrice de votre association prêtent pour le moins à confusion.

M. Daniel Chauvin . - Ce n'est pas Yvonne Trubert qui l'a rédigé mais un collectif de médecins qui ont décidé très naïvement d'écrire un livre tel qu'il en existe beaucoup d'autres en librairie et qui ne correspond pas du tout à l'objet de l'association. Mais ils ont cru bien faire....

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Monsieur, comment pouvez-vous considérer que des médecins puissent écrire naïvement que l'on « peut arriver à irriguer totalement et à détruire la maladie » et que « les métastases s'envoleront sous vos doigts » ?

M. Daniel Chauvin . - Ces phrases ne viennent pas de ce livre. Il s'agit de propos repris à la volée dans les séminaires d'Yvonne Trubert et sur lesquelles toutes les campagnes médiatiques se sont fondées.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - « Les maladies organiques les plus graves comme le sida ou le cancer sont entièrement guérissables. Il est inutile de recourir à la médecine traditionnelle » ; nous prenons acte du fait que ces propos ne traduisent pas votre position actuelle mais admettez qu'ils sont dangereux.

Mme Catherine Deroche . - Lorsque vous intervenez dans les hôpitaux, arrive-t-il que le personnel soignant s'oppose aux harmonisations ?

M. Daniel Chauvin . - Je n'ai pas eu connaissance de tels cas. J'ai accompagné mon père à l'hôpital jusqu'à la fin, il y a deux ans, et je n'ai jamais eu de problème. Nous posons toujours la question au personnel de l'hôpital ; je ne sais pas s'il y a déjà eu des refus.

Mme Catherine Cordier De Bartha . - Cela arrive dans les services de réanimation, lorsque les malades ne sont pas en chambre isolée. Dans ces cas très exceptionnels, nous nous contentons de rester près du malade.

Mme Catherine Deroche . - Dans quels pays êtes-vous présents ?

M. Daniel Chauvin . - Nous sommes implantés dans une soixantaine de pays : en Amérique du Nord et du Sud, en Australie et en Nouvelle Zélande, et en Europe, notamment à l'Est. Nous sommes aussi un peu présents en Afrique - au Niger, au Cameroun, à Madagascar et en Ethiopie - mais pas en Asie, sauf aux Philippines.

Mme Catherine Deroche . - Combien d'adhérents avez-vous, pour combien de médecins ?

M. Daniel Chauvin . - Nous avons un millier d'adhérents en France pour sept ou huit médecins.

Mme Catherine Deroche . - Dans la mesure où vous ne facturez pas les harmonisations, comment financez-vous les centres ?

M. Daniel Chauvin . - Nous avons un budget de quelques centaines de milliers d'euros permettant d'employer un secrétaire à temps plein et une comptable à temps partiel. Près de 90 % des recettes proviennent des cotisations des adhérents.

Mme Catherine Deroche . - Quel est leur montant ?

M. Daniel Chauvin . - C'est environ 400 euros pour un adulte avec des tarifs plus avantageux pour les étudiants ou les personnes disposant de peu de moyens. Nous vendons aussi des livres et des cassettes d'Yvonne Trubert à concurrence de 60 000 euros, comme la loi l'autorise. Enfin, les personnes harmonisées peuvent effectuer des dons.

Mme Catherine Deroche . - Intervenez-vous sur des mineurs ?

M. Daniel Chauvin . - Des mineurs sont membres de l'association, souvent des enfants d'adhérents, mais les frais de cotisation liés à leur adhésion sont symboliques.

Mme Muguette Dini . - Ce ne sont pas toujours des enfants d'adhérents ?

M. Daniel Chauvin . - Si, ce sont exclusivement des enfants de membres. Je vous ferai passer nos tarifs, il y a un montant pour les adultes, un autre pour les quatre à douze ans, etc.

Mme Catherine Deroche . - Vous pensez que vos pratiques sont accessibles à des enfants de quatre ans ?

M. Daniel Chauvin . - L'adhésion des enfants est symbolique. La présence d'enfants s'explique par le fait qu'ils participent à nos fêtes et bien sûr, pas aux vibrations.

Mme Hélène Lipietz . - Je voudrai m'adresser à vous, Madame, qui êtes médecin : peut-on harmonier sans gestuelle ?

Mme Catherine Cordier De Bartha . - Une harmonisation sans gestuelle, c'est une prière.

Mme Hélène Lipietz . - J'ai du mal à comprendre. Sauf à dire que, comme dans la transmutation, les gestes transforment la prière en état de santé, pourquoi la prière seule ne suffit-elle pas ?

Mme Catherine Cordier De Bartha . - La prière seule fonctionne, comme en attestent des centaines d'articles publiés dans la presse médicale, mais la gestuelle est une pratique différente. Il ne s'agit pas, comme dans le magnétisme, d'apporter au malade notre propre énergie mais grâce aux gestes, de faire en sorte que la prière nourrisse les centres d'énergie présents dans le corps. On y croit ou l'on n'y croit pas. Nous, nous y croyons et en voyons les résultats.

Mme Catherine Génisson . - Vous nous indiquez que beaucoup des ouvrages cités ne sont plus d'actualité mais dans le même temps, Yvonne Trubert demeure votre référence. En 1988, Antenne 2 a diffusé un reportage dans lequel une mère racontait comment Mme Trubert avait harmonisé sa fille hydrocéphale et lui avait recommandé d'arrêter son traitement ; la jeune fille tomba dans le coma une semaine après. Connaissez-vous ce cas ? Le démentez-vous ? Encore une fois, dites-nous clairement ce que vous cautionnez et ce que ne cautionnez pas. Par ailleurs, pouvez-vous nous dire comment un patient devient pratiquant ? La gestuelle s'apprend-t-elle rapidement ?

Mme Alberte Gentou . - La diffusion de ce film a été interdite par la Cour de cassation.

Mme Lorraine Bounine Cabalé . - Il y a eu un procès et Antenne 2 a été déboutée.

M. Daniel Chauvin . - Comment devient-t-on pratiquant ? Avant de devenir membre actif, on fait partie d'un groupe de prière où l'on écoute notamment des cassettes reprenant des enseignements d'Yvonne Trubert sur des choses toutes simples de la vie. Six à neuf mois plus tard, il est possible de participer à un séminaire dans lequel on apprend la gestuelle, tout en continuant le travail dans son groupe. Au sein de nos structures, chacun peut aller, venir, nous quitter ou revenir ; c'est totalement libre.

M. Alain Milon , président . - Le bien-être supposé du patient après l'harmonisation tient-il à la gestuelle, à la prière, aux rayons magnétiques ou à tout cela à la fois ?

Mme Catherine Cordier De Bartha . - Nous ne procédons pas par magnétisme puisque nous ne transmettons pas notre propre énergie ; c'est uniquement par la prière que l'énergie est transmise à la personne.

Mme Muguette Dini . - Vous exercez en tant que médecin ?

Mme Catherine Cordier De Bartha . - Oui, j'exerce en cabinet médical.

ANNEXE

STATUTS

Article 1 : OBJET

Présentation de l'association

L'association, loi 1901, dénommée INVITATION A LA VIE (dont le sigle est IVI), a été fondée le 29 janvier 1983.

Son logo est :

Invitation à la Vie est une association laïque d'inspiration chrétienne, ouverte à tous, qui rassemble et accueille des personnes de tout âge, de tous horizons social et culturel, sans distinction de race, de nationalité, de religion, croyantes ou non.

Chacun de ses membres et chacune des personnes qu'elle accueille, restent libres de vivre selon les convictions religieuses, politiques, idéologiques et culturelles de leur choix.

L'association compte à ce jour seize centres d'accueil sur le territoire national.

Buts de l'association

Invitation à la Vie a pour but: - l'accueil, l'écoute et la consolation. Ses buts se réalisent -dans les centres d'Invitation à la vie par l'écoute et l'harmonisation

-à travers les permanences téléphoniques de SOS -Ecoute -par tous autres moyens, activités se rattachant aux buts indiqués ci-dessus

Moyens

• Les centres d'Invitation à la vie

L'association met à la disposition du public les centres d'Invitation à la Vie qui sont des lieux d'accueil et d'écoute ouverts à tous, adhérents et non-adhérents. Des bénévoles, membres adhérents de l'association s'y relaient afin que chaque visiteur soit reçu, écouté et réconforté.

L'écoute, à Invitation à la Vie, au cours d'un entretien individuel, c'est permettre à l'autre d'exprimer ce qu'il a sur le coeur. C'est l'accepter tel qu'il est, sans vouloir donner de conseil, sans analyse psychologique.

Ecouter c'est, par le non-jugement, la compassion, aider l'autre à se retrouver face à lui-même dans toute sa dimension, à recouvrer sa dignité.

Ecouter, c'est participer à redonner le goOt de la vie à ceux qui, comme les jeunes, s'inquiètent pour leur avenir et s'isolent dans la désespérance.

Les entretiens sont dispensés à toute personne qui en fait la demande dans les centres d'Invitation à la Vie.

L'harmonisation est un geste infiniment respectueux qui a pour but d'apaiser progressivement le corps. Elle contribue à libérer les tensions accumulées par le stress, les culpabilités ou les chagrins.

Au-delà de l'impression de détente et de légèreté qu'il procure, cet acte fraternel a un retentissement sur tous les plans de l'être.

Ce réconfort aide chacun à aborder ses engagements avec plus de sérénité.

L'harmonisation, qui ne se substitue à aucune thérapie, est dispensée à toute personne qui le désire dans les centres d'Invitation à la Vie.

• SOS -Ecoute

L'association Invitation à la Vie met à la disposition du public à travers SOS -Ecoute des permanences téléphoniques permettant à tous, adhérents et non adhérents d'appeler pour recevoir un soutien et un réconfort personnel à travers une écoute bienveillante et anonyme. SOS -Ecoute ouvre ses lignes tous les soirs de la semaine et le dimanche toute la journée.

ï Autres moyens

L'association Invitation à la Vie se réserve la possibilité de réaliser toutes activités destinées à développer et promOUVOir les buts ci-dessus : réunions, débats, colloques, rencontres, fêtes, événements, communication, etc.

Afin de préserver ses buts, l'association Invitation à la Vie se réserve d'assurer la défense des intérêts collectifs et moraux de l'association ainsi que ceux de ses membres fondateurs contre toute atteinte aux droits fondamentaux, et notamment toute diffamation, injure ou dénigrement relatifs à leur affiliation à Invitation à la Vie.

Article 2

Sa durée est illimitée.

Elle a son siège social à Boulogne-Billancourt (92100).

Il pourra être transféré par simple décision du conseil d'administration si ce transfert a lieu dans la région parisienne ou dans Paris.

L'accord de l'assemblée générale ordinaire sera nécessaire pour tout transfert en dehors des limites géographiques énoncées ci-dessus.

Article 3

L'association se compose :

-de Membres Fondateurs, qui ont créé l'association, en sont membres à vie, ont accès à toutes les activités de l'association, participent aux frais, et peuvent prendre des responsabilités opérationnelles semblables à celles des membres actifs ;

-de Membres d'Honneur, personnes physiques ou morales, qui peuvent utilement conseiller l'association, de par leurs fonctions, activités ou connaissances ou lui manifestent un intérêt particulier et sont susceptibles de lui rendre d'éminents services;

Le titre de Membre d'Honneur peut être décerné par le conseil d'administration aux personnes qui rendent ou qui ont rendu des services signalés à "association;

Ce titre confère aux personnes qui l'ont obtenu le droit de faire partie de l'assemblée générale sans être tenues de payer une cotisation, en ayant des voix consultatives, et sans pouvoir avoir de responsabilités opérationnelles;

-de Membres Bienfaiteurs, personnes physiques ou morales, qui apportent à l'association leur soutien, ont accès à toutes les activités de l'association et participent aux frais;

-Membres adhérents, qui participent à la vie de l'association selon leurs disponibilités, ont accès à toutes les activités de l'association, participent aux frais et peuvent prendre bénévolement des responsabilités opérationnelles.

-de Membres Affiliés, personnes physiques, qui sont membres d'une association Invitation à la Vie étrangère agréée par l'association Invitation à la Vie de France, qui ont voix consultatives aux assemblées, ont accès à toutes les activités de l'association et participent aux frais;

-de Membres Juniors, âgés de moins de 18 ans, qui ont accès à toutes les activités de l'association, et n'ont pas de voix délibérative aux assemblées.

Pour être membre, il faut être agréé par le conseil d'administration.

Les montants des cotisations annuelles sont les suivants :

- Pour le membre couple bienfaiteur :

4.000€

- Pour le membre individuel bienfaiteur :

2.200€

- Pour l'adhésion couple de soutien :

1.200 €

Audition de M. Christian FLÈCHE, formateur en décodage biologique (mercredi 27 février 2013)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Christian Flèche qui est notamment formateur en « décodage biologique ».

Notre réunion d'aujourd'hui n'est pas ouverte au public ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Monsieur Christian Flèche, me confirmez-vous que vous avez donné votre accord :

- pour que cette audition fasse l'objet d'une captation vidéo,

- et pour que cet enregistrement soit éventuellement par la suite accessible sur le site du Sénat ?

M. Christian Flèche . - Je le confirme.

M. Alain Milon , président . - Je précise à l'attention de M. Christian Flèche que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, qui est notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Christian Flèche, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Christian Flèche . - Je le jure.

M. Alain Milon , président . - Ainsi que vous en avez été informé, notre audition est prévue pour durer quarante-cinq minutes. Je vous invite donc à prononcer un court exposé introductif, puis mon collègue Jacques Mézard et les sénateurs membres de la commission vous poseront quelques questions.

Monsieur Flèche, vous avez la parole.

M. Christian Flèche, formateur en « décodage biologique ». - J'ai créé l'Ecole de décodage biologique d'Aix-en-Provence - j'ai forgé ce terme en 1993. Cette école est à mon nom ; son adresse postale est à mon domicile, les séminaires se tenant dans des salles que je loue à cet effet. Les stagiaires, informés par mon site, mes conférences, mes livres ou par le bouche-à-oreille, sont uniquement des adultes ; leur âge se situe autour de quarante-cinq ans ; ils peuvent être issus du monde médical mais pas seulement. Une journée de formation coûte 100 euros, des tarifs préférentiels existant toutefois pour les personnes rencontrant certaines difficultés. Les stages démarrent en général à 9 heures et finissent à 18 heures, puis les gens retournent chez eux. La formation peut s'étaler sur quatre ans. Une quinzaine de journées, sur différents thèmes, sont proposées chaque année. Dans cette formation « à la carte », chacun peut choisir les modules qui l'intéressent ; il ne s'agit donc pas d'une véritable formation continue comme cela existe par exemple pour les ostéopathes. Je propose également des validations de compétences.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Quelle est la relation de votre enseignement avec la santé ?

M. Christian Flèche. - Quand j'étais infirmier - j'effectuais des services de nuit -, je me suis rendu compte d'un manque dans la relation avec les patients et j'ai réalisé que lorsque je passais plus de temps à les écouter lors de ma visite du soir, ils dormaient mieux. Pour me consacrer davantage à ce travail d'écoute, j'ai ensuite fait partie de l'aumônerie catholique des malades d'Aix-en-Provence où j'ai été appris l'écoute rogérienne et des méthodes telles que la programmation neurolinguistique (PNL) et les thérapies brèves. Ecoutant plus intimement les patients, j'ai pu les aider à accepter les expériences agressives liées à la maladie. Mon travail vient donc en complément de celui de la médecine et de la pharmacopée.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous venez d'évoquer le recours à des thérapies brèves...

M. Christian Flèche. - En effet.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Qui dit thérapie, dit soigner.

M. Christian Flèche. - Cela signifie aussi accompagner, être présent...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Soyons précis sur les mots. Considérez-vous que vous soignez des patients ?

M. Christian Flèche . - Oui, je pense que l'écoute empathique est une forme de soin parmi d'autres.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Votre site indique que le biodécodage est « une nouvelle approche de la santé à visée pratique s'intéressant sans exception à tous les symptômes physiques - angines, cancers, scléroses en plaques, diabètes, allergies - et psychiques - dépression, phobie, obsession - qui s'appuie sur l'expérience de nombreux chercheurs et praticiens » que vous citez, dont Philippe Lévy. Vous ajoutez que d'autres auteurs ont « démontré que les maladies n'existent pas en tant que manifestation isolée d'une cause mais qu'il peut s'agir de programmes biologiques chargés de sens » . Nous sommes là complètement dans le domaine de la santé.

M. Christian Flèche. - Oui, j'interviens dans le domaine de la santé. Je rencontre essentiellement des malades...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous pensez que vous avez le droit de soigner des malades ?

M. Christian Flèche. - Je pense avoir le droit de rencontrer des malades. Les gens demandent à être rejoints dans leur souffrance.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - N'est-il pas excessif d'indiquer que votre système s'applique à tous les symptômes ?

M. Christian Flèche. - Dans la mesure où j'écoute le malade et non la maladie, il n'y a pas de limite, hormis mon incompétence pour travailler avec des personnes atteintes de maladies psychiatriques.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous vous adressez bien à des patients ?

M. Christian Flèche. - Ceux qui viennent avec une demande qu'ils m'adressent. Je leur donne l'occasion d'exprimer ce qui n'a pas été entendu ailleurs. Si un médecin ou un psychologue dans le service leur offre cette écoute, c'est très bien. En revanche, si quelque chose en eux n'a jamais pu être entendu ni verbalisé, il peut l'être auprès de moi ou de mes élèves. Les malades ne peuvent ensuite que s'en trouver mieux.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Dans la présentation de votre atelier de 2013 « émotion, histoire personnelle et créativité », vous écrivez : « Vous pourrez saisir les ressorts cachés de la mise en maladie et de la mise en guérison grâce à une grille simple qui va à l'origine de nos maladies ». Pouvez-vous nous l'expliquer ?

M. Christian Flèche. - Ce sont des hypothèses de travail ; comme je l'écris, je n'ai aucune certitude. Quand Freud évoque la conversion psychosomatique...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous venez de nous dire que vous n'étiez pas du tout compétent en matière de psychiatrie.

M. Christian Flèche. - C'est bien le cas.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - En revanche, vous l'êtes en matière de psychanalyse ?

M. Christian Flèche. - Pas du tout. Je parle de l'accompagnement des malades. Je n'ai pas fait de psychanalyse moi-même, je ne suis pas psychanalyste. Freud explique clairement qu'un drame se transforme en rêves, en cauchemars, en lapsus ou en maladies. C'est un fait acquis dont le docteur Sellier parlait déjà au début du siècle dernier. L'émotion exerçant une influence considérable sur notre système neurovégétatif, un soutien émotionnel aide à mieux affronter la maladie et à tirer meilleur profit des traitements médicaux. Par exemple, mon site évoque les travaux de Marc Fréchet, un ami et psychologue clinicien, qui a réalisé à Villejuif une étude statistique auprès des malades du cancer. Il s'est rendu compte que grâce au soutien et à l'écoute, ils réagissaient mieux à la chimiothérapie.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - J'essaye de comprendre votre rôle auprès des patients. Vous contentez-vous de les écouter ?

M. Christian Flèche. - Oui, il s'agit d'une écoute empathique, d'une écoute profonde. Tel que je l'ai pensé, le décodage biologique est un complément à la médecine et à la pharmacie consistant à créer un espace...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Concrètement, si je viens vous voir, allez-vous seulement m'écouter ?

M. Christian Flèche. - Oui, mais d'une manière émotionnelle, et pas seulement mentale ou intellectuelle. Le but est de rechercher ce qui se passe dans votre corps, quels sont vos symptômes et ce que vous vivez. Les gens commencent alors à livrer des secrets émotionnels et s'en trouvent mieux. Lorsque j'ai été opéré d'un décollement de rétine à l'oeil droit, je n'ai pas fait de décodage biologique ; dès que j'ai vu un voile noir, j'ai couru à l'hôpital. Tout en faisant confiance à la médecine, j'ai éprouvé le besoin de téléphoner à des amis pour leur dire ma peur d'être handicapé. Je m'en suis trouvé mieux. Il faut bien distinguer le vécu avant la maladie, le vécu de la maladie et le vécu du traitement.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous écoutez ceux qui viennent vous voir, vous ne leur dites rien ?

M. Christian Flèche. - C'est en eux-mêmes que se trouvent les réponses.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Donc votre enseignement consiste à écouter ?

M. Christian Flèche. - Une grande partie consiste effectivement à écouter et à émettre des hypothèses.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Donc, vous ne dites rien ?

M. Christian Flèche. - Le moins possible.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Ma question est précise.

M. Christian Flèche. - A ceux qui viennent me voir, je demande tout d'abord s'ils prennent un traitement et s'ils sont suivis par un médecin, puis quels sont exactement leurs symptômes. Je les interroge ensuite sur leur vécu de ces symptômes et sur leur vécu avant la maladie. Mon hypothèse de travail est qu'il faut partir de ce qu'ils vivaient dans leur couple ou dans leur famille avant l'apparition des symptômes. Cette hypothèse, que je n'impose à personne, repose sur l'idée, exposée par Freud ou Lacan, que quelque chose de pénible ou de douloureux peut se somatiser. Ecouter cette souffrance favorise une potentialisation de leur traitement.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Qu'entendez-vous par là ?

M. Christian Flèche. - Ils se sentent mieux. Marc Fréchet...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - C'est vous qui nous intéressez et non les auteurs qui sont aussi cités par d'autres intervenants. Qu'est-ce que la potentialisation du traitement ?

M. Christian Flèche. - Lors d'un cours au Costa Rica, j'ai rencontré une femme judoka de quarante-quatre ans. Dépressive, elle voulait se suicider à cause de douleurs au genou ressenties depuis dix-huit ans malgré plusieurs opérations. En me parlant du vécu de l'opération, elle m'a expliqué qu'elle éprouvait vis-à-vis de son chirurgien une colère proche de celle que sa mère avait suscitée. Je lui ai proposé une visualisation de son genou - mon écoute est active. Sans aucune suggestion de ma part, elle a revu des scènes de son enfance. Cette méthode consiste à faire quelque chose de nouveau pour obtenir un résultat différent. La séance n'a duré que quarante-cinq minutes et, depuis, la patiente n'a plus de douleurs, elle refait du vélo et n'est plus dépressive. Pourquoi et comment cela a-t-il marché ? Je n'en sais rien ; je ne suis pas un scientifique.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Ne pensez-vous pas que cela peut tout de même être dangereux pour la santé de ces personnes?

M. Christian Flèche. - Cette patiente vous dira que non. Elle ne s'en trouve que mieux.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Pour vous, de quoi les maladies sont-elles la conséquence ?

M. Christian Flèche. - Je n'ai aucune certitude ; si j'en avais, je ne sais pas où je serais...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Si vous vous bornez à écouter les gens, à ne rien dire et à n'avoir aucune certitude....

M. Christian Flèche. - Je n'en ai pas d'autre que celle-ci : quelque chose de nouveau peut produire un nouveau résultat.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Qu'est-ce qu'un « programme biologique chargé de sens » ?

M. Christian Flèche. - Cette expression est extraite d'une phrase plus longue. Pour cette femme du Costa Rica, l'hypothèse était de savoir à quoi sert le genou. De même, pour des personnes souffrant de problèmes de peau, la question sera : à quoi sert la peau ? Elle sert à toucher et à être touché : c'est son programme biologique chargé de sens. Lorsqu'un enfant vient avec de l'eczéma, l'écoute sera centrée sur la séparation et la perte de contact. Ce n'est qu'une hypothèse et non une certitude car avec des certitudes, on n'est plus dans l'écoute.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous ne prenez pas de risques...

M. Christian Flèche. - C'est en tous cas ce que j'enseigne à mes stagiaires au travers du conflit de Procuste.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous vous demandez à quoi sert la peau ou à quoi sert la rétine, nous nous demandons à quoi sert le décodage biologique.

Mme Catherine Génisson . - Pourriez-vous préciser ce qu'est le conflit de Procuste ?

M. Christian Flèche. - Personnage de la mythologie grecque, Procuste était convaincu que tous les humains devaient avoir la même taille. Quand un visiteur arrivait dans son auberge, il le droguait, le couchait dans un lit, coupait les pieds des plus grands et rallongeait les autres avec des élastiques. De même, le mauvais thérapeute impose sa croyance au malade au lieu d'entrer sur son territoire. C'est pourquoi le protocole que j'ai appelé « dans ma culture » fait parler la personne afin de savoir ce que tel ou tel organe représente pour elle. Encore une fois, je n'ai pas de certitude.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Lorsque vous affirmez dans vos documents que « toute maladie démarre en un instant suite à un bio-choc que l'on appelle un conflit déclenchant, réveillant une histoire conflictuelle passée ou conflit programmant » , c'est bien une certitude.

M. Christian Flèche. - C'est présenté avec les accents d'une certitude, mais je ne l'impose pas.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Ne tournons pas autour du pot. Vous savez bien que d'autres disent aussi que toute maladie découle de ce type de conflit - je pense à la méthode Hamer.

M. Christian Flèche. - Je n'impose rien à personne.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Je vous parle de ce que vous pensez et que vous pratiquez, comme en atteste l'histoire du genou. Nous connaissons les dérives de ce type de raisonnement. Bien sûr, vous êtes particulièrement prudent et faites bien attention d'expliquer sur votre site que le décodage biologique n'a rien à voir avec les méthodes des docteurs Hamer et Sabbagh. Vos raisonnements partent néanmoins des mêmes constatations.

M. Christian Flèche. - Il y a des points communs dans le contenu, mais ni sur le fond, ni sur la forme, ni dans l'esprit.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Etes-vous tout de même conscient des dangers que cela peut représenter pour la santé des personnes que vous recevez ? C'est la seule chose qui nous préoccupe. Ce n'est tout de même pas sans raison que vous adoptez un comportement plus que prudent, en indiquant qu'il n'y a pas de promesse de guérison, que le décodage biologique ne remplacera pas la consultation d'un médecin.

M. Christian Flèche. - Ce n'est pas par calcul que j'ai écrit tout cela. Lorsque j'ai appris que la Miviludes parlait de moi, j'ai été obligé de dire ce que je faisais mais ma pratique, elle, n'a pas changé. Mon objectif n'est pas de rendre le patient dépendant de moi, c'est qu'il soit autonome. Si je ne le faisais pas, je ne serais pas thérapeute.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Comment définissez-vous alors votre rôle de thérapeute ?

M. Christian Flèche. - Tout accompagnement, tout soin peut être qualifié de thérapie. Mes outils sont au service des patients, qui arrivent avec leur inconscient, leur « paquet ». Je les mets en face d'eux-mêmes pour stimuler les ressources qui sont en eux.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Considérez-vous que les entretiens que vous avez avec eux les aident à guérir ?

M. Christian Flèche. - Non, je n'ai pas de maîtrise de la guérison. Il y a une aide, un accompagnement, une thérapie. Si cela fonctionne depuis vingt ans et que je suis aujourd'hui contraint de refuser des malades, c'est que mon action procure un bénéfice. De même qu'il y a des déserts médicaux, l'écoute et la rencontre font aujourd'hui cruellement défaut à beaucoup de patients. Mon travail apporte bien quelque chose, même si l'on ne peut rien affirmer.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - On peut affirmer avec certitude que des thérapies conventionnelles guérissent nos concitoyens.

M. Christian Flèche. - Pour ma part, je ne prétends pas guérir. Je ne comprends pas très bien...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Justement...

Mme Catherine Deroche . - Votre site indique que selon le sein touché, la maladie renvoie à un conflit avec les enfants ou avec les ascendants. En quoi cela peut-il aider à la guérison ?

M. Christian Flèche. - Je ne prétends pas guérir la personne et je ne pratique pas de médecine alternative, mais des techniques complémentaires. Je suis favorable à la chimiothérapie et aux traitements conventionnels. En revanche, si une femme malade du sein gauche a réellement eu un conflit avec ses enfants, je vais lui donner l'occasion de lâcher enfin quelque chose : je ne lui apporte pas, je lui retire quelque chose. En vingt ans de pratique, j'ai confirmé certaines hypothèses liées à la fonction du sein : selon la zone, le ressenti est différent. Demain, je continuerai à apprendre avec ce que me dira une autre femme ; la consultation enrichit la somme d'expériences dont je me sers.

La femme qui vient me voir peut s'exprimer, elle peut pleurer. Il ne s'agit pas de prendre simplement conscience du conflit, car tout changement thérapeutique est un changement de la structure de l'expérience, idée développée dans mon livre Croyances et thérapies . Je suis en cela plus éricksonien que hamerien ; je n'ai plus de contact depuis treize ans avec le docteur Hamer dont je trouve certains propos dangereux. Pourquoi et comment le conflit en devient-il un ? Beaucoup de femmes ont des difficultés avec un enfant sans avoir de pathologie du sein gauche. Pour autant que cette hypothèse lui parle, la femme continuera à vivre la même expérience mais n'éprouvera plus d'émotion conflictuelle.

Mme Catherine Génisson . - Vous qui avez une formation d'infirmier, pourquoi n'avez-vous pas plutôt choisi le terme de « décodage physiologique » ? Exercez-vous toujours votre profession d'infirmier ? On peut vous suivre sur le caractère essentiel de la relation humaine du professionnel de santé avec le malade. En revanche, lorsque vous affirmez, avec prudence, que les problèmes au sein gauche sont liés à un conflit avec les enfants et que le sein droit concerne les ascendants, ou encore que les douleurs du côté droit tiennent à ce que l'autre refuse ce que je veux alors que celles du côté gauche renvoient à la culpabilité de ne pas accepter les demandes de l'autre, vous formulez des théories à la fois très précises et très surprenantes. Là, je ne peux vous suivre. Avez-vous élaboré ces théories de façon empirique ou en assimilant d'autres connaissances ? En outre, comment les enseignez-vous ?

M. Christian Flèche. - En 1993, j'aurais tout à fait pu en effet choisir le terme de « décodage physiologique » puisqu'il s'agissait de s'intéresser à la fonction concrète et non psychologique ou symbolique des différentes parties du corps.

Je n'exerce plus comme infirmier depuis 1995. Quant aux phrases que vous avez prononcées sur le côté droit ou sur la côté gauche, je ne les reconnais pas. Elles me semblent plus psychologiques que physiologiques. Sont-elles sur mon site ?

Mme Catherine Génisson . - En revanche, vous reconnaissez bien les citations de Catherine Deroche sur les cancers du sein droit et du sein gauche avec les ascendants ou les enfants ?

M. Christian Flèche. - Oui, tout à fait.

Mme Catherine Génisson . - Comprenez bien que l'on est très surpris de la précision avec laquelle vous rattachez tel problème à telle partie du corps.

M. Christian Flèche. - Il y a ce que l'on croit et ce que l'on fait de nos croyances. J'ai des hypothèses de travail sur la vessie, la cystite ou l'os, mais je n'impose rien. Si la personne ne les accepte pas, il n'y a pas de souci ; si elle me dit autre chose, alors je continue à apprendre. J'ai constaté que les femmes qui souffraient du sein gauche que j'ai reçues pendant vingt ans avaient une chose en commun et s'étaient trouvées mieux de l'avoir exprimée, en avaient éprouvé une satisfaction émotionnelle. Mon travail s'appuie sur la biologie ainsi que sur la symbolique. Par exemple, les personnes souffrant du colon, dont la fonction est de véhiculer des choses sales, ressentent souvent qu'il y a quelque chose de pourri dans leur vie. Les problèmes de colon ascendant peuvent encore être reliés à des conflits avec les ascendants, ceux du colon descendant à des conflits avec les descendants.

Mme Catherine Génisson . - Comment pouvez-vous enseigner si vous doutez à ce point ?

M. Christian Flèche. - En incluant en permanence le doute, parce que là où il y a des certitudes, il n'y a pas d'écoute. C'est la raison pour laquelle je me suis désolidarisé de Hamer qui parle de « lois biologiques » et que je me distingue de Sabbagh qui n'a commencé à enseigner qu'après moi et qui évoque des certitudes. Je répète à mes élèves qu'ils n'ont pas besoin de certitudes, ils ont besoin de relation. Je pense aussi à cette patiente qui souffrait d'acouphènes et qui m'a appris quelque chose. Je demande parfois à mes élèves : qu'est-ce qu'un sein représente pour vous ? Pour la plupart, c'est la maternité, mais pour telle femme, le sein incarnait la séduction.

Mme Hélène Lipietz . - Vous n'exercez plus comme infirmier. Gagnez-vous suffisamment votre vie ? Avez-vous eu des ennuis avec vos employeurs ?

M. Christian Flèche . - Je n'en ai jamais eu. J'ai arrêté d'exercer en 1995. Avec ma nouvelle activité, j'ai vite été débordé de consultations. J'ai voulu transmettre et me suis mis à former. Aujourd'hui, j'exerce sur quatre continents, j'ai quatre professeurs qui travaillent avec moi, j'ai écrit vingt et un livres...

M. Alain Milon , président . - Nous vous remercions.

M. Christian Flèche . - Je vous remercie également de votre disponibilité.

Audition de M. Hervé FLOIRAC, de la société Etioscan France (mercredi 27 février 2013)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous terminons cette série d'auditions avec M. Hervé Floirac, directeur de la société Etioscan France.

Notre réunion d'aujourd'hui n'est pas ouverte au public ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Monsieur Hervé Floirac, me confirmez-vous que vous avez donné votre accord :

- pour que cette audition fasse l'objet d'une captation vidéo ;

- et pour que cet enregistrement soit éventuellement par la suite accessible sur le site du Sénat ?

M. Hervé Floirac . - Oui

M. Alain Milon , président . - Je précise à l'attention de M. Hervé Floirac que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, qui est notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Hervé Floirac, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Hervé Floirac . - Je le jure.

M. Alain Milon , président . - Ainsi que vous en avez été informé, notre audition est prévue pour durer quarante-cinq minutes. Je vous invite donc à prononcer un court exposé introductif, puis les sénateurs membres de la commission vous poseront quelques questions.

Monsieur Floirac, vous avez la parole.

M. Hervé Floirac, directeur de la société Etioscan France. - Je suis kinésithérapeute et ostéopathe depuis 1981. Depuis 1994, j'ai un cabinet à Clapiers. Il y a six ans, j'ai découvert la thérapie de biorésonance, pour laquelle je me suis formé en Russie et en Ukraine. Je continue d'exercer en tant que kinésithérapeute et ostéopathe, et dispose d'une EURL pour l'activité de biorésonance. Mon site internet a été réalisé par des collaborateurs en Russie.

Mme Muguette Dini . - D'après annuaire-therapeutes.com, vous êtes à la fois ostéopathe et kinésithérapeute diplômé d'Etat, conseiller en fleurs de Bach et praticien en analyse et réinformation. En quoi la biorésonance consiste-telle ?

M. Hervé Floirac. - Les neurophysiciens russes qui ont découvert cette méthode avaient constaté que chacune de nos cellules vibrait à une fréquence spécifique et qu'un terrain en dysfonctionnement montrait un dysfonctionnement vibratoire. Avec les appareils, fabriqués en Russie, nous analysons le terrain pour comprendre comment telle ou telle pathologie s'est s'installée. Lorsqu'on trouve un dysfonctionnement, on écoute les tissus et on peut envoyer à la cellule sa fréquence physiologique qui, grâce au phénomène de biorésonance, retrouve sa fréquence physiologique.

Mme Muguette Dini . - Vous faites cela grâce à l'étioscan ?

M. Hervé Floirac. - En effet. Ses composants sont fabriqués en Allemagne et il est assemblé en Russie.

Mme Muguette Dini . - C'est votre EURL qui vend l'appareil ?

M. Hervé Floirac. - Oui.

Mme Muguette Dini . - L'utilisez-vous lors de vos consultations d'ostéopathie ?

M. Hervé Floirac. - Cela m'arrive, de même que pendant mes séances de kinésithérapie. Je n'ai jamais eu un appareil d'électrothérapie aussi efficace et performant. Je l'utilise au même titre que j'utilisais avant les ultrasons et la basse fréquence.

Mme Muguette Dini . - Concrètement, comment cela se passe-t-il ?

M. Hervé Floirac. - Nous avons un casque, un émetteur infrarouge, des manettes que l'on tient à la main et qui analysent le stress oxydatif, les réactions des tissus au passage d'un micro-courant électrique d'1,5 volt.

Mme Muguette Dini . - A quoi les fréquences vibratoires correspondent-elles et comment déterminez-vous ce que vous devez faire avec l'appareil ?

M. Hervé Floirac. - L'analyse du terrain produit des courbes et des logos de tel ou tel organe, qui renseignent sur l'état de cet organe. Je ne fais pas de diagnostic. Au contraire, je renseigne un logiciel sur le diagnostic posé par le médecin. J'analyse le terrain, puis je fais une réinformation du terrain pour lui redonner ses capacités d'homéostasie.

Mme Muguette Dini . - Et ça marche ?

M. Hervé Floirac. - Ca marche très, très bien.

Mme Muguette Dini . - Avez-vous des cas concrets à nous exposer ?

M. Hervé Floirac . - Je peux vous en donner beaucoup. Les résultats sont très positifs. Par exemple, parmi les derniers cas en date, il y a celui d'une dame qui est venue avec une épaule « gelée ». Elle avait une attelle et ne pouvait plus bouger l'épaule du tout. Elle était sous anti-inflammatoires et prenait même des suppositoires de Lamaline tellement elle souffrait. En une séance - je l'ai revue trois ou quatre jours après -, sur l'échelle de la douleur, elle était passée de 9 à 3. A la deuxième séance, elle n'avait plus son attelle, elle bougeait son épaule. Je me garde cependant d'attribuer ce succès à l'étioscan, y compris devant le patient. Mais on a vraiment une activité complémentaire à celle du médecin.

Mme Muguette Dini . - L'avez-vous revue depuis, cette cliente ?

M. Hervé Floirac. - Oui, elle m'a amené son fils qui souffrait d'énurésie.

Mme Muguette Dini . - Le prix des consultations est-il plus élevé lorsque vous utilisez l'étioscan ?

M. Hervé Floirac. - En kinésithérapie, je peux utiliser l'étioscan comme je ferais des ultrasons ou de la basse fréquence. Pour les patients qui viennent hors prescription, les séances d'étioscan ne sont pas remboursées par la sécurité sociale.

Mme Muguette Dini . - Les personnes que vous formez doivent-elles avoir des connaissances particulières, par exemple en anatomie ?

M. Hervé Floirac. - Je me refuse à vendre l'appareil à des gens sans formation. Je ne le vends qu'à des thérapeutes : kinésithérapeutes, ostéopathes, médecins ou naturopathes.

Mme Muguette Dini . - Il y a à la fois des thérapeutes reconnus et des thérapeutes non reconnus, comme les naturopathes. Ne formez-vous que des praticiens ?

M. Hervé Floirac. - Oui. Je ne forme pas de particuliers.

Mme Muguette Dini . - Comment vos clients s'adressent-ils à vous pour acheter l'étioscan ?

M. Hervé Floirac . - Pour l'achat de l'étioscan, ils me contactent grâce au site internet. Le fabriquant russe m'envoie aussi des clients qui l'ont contacté. Et le bouche à oreille fonctionne également.

Mme Muguette Dini . - Si les autres thérapeutes utilisent votre étioscan, vous n'aurez plus de clients...

M. Hervé Floirac. - Je ne suis pas dans cette dynamique-là.

Mme Muguette Dini . - Quelle est la durée de la formation à l'étioscan ?

M. Hervé Floirac. - Elle dure quatre jours.

Mme Catherine Génisson . - Quand vous utilisez l'étioscan dans le cadre de vos consultations de kinésithérapie, est-ce de votre propre chef ? Avertissez-vous le patient, le prescripteur ?

M. Hervé Floirac. - Les résultats que j'ai obtenus dès le départ étaient si spectaculaires que j'en ai parlé aux médecins autour de moi. Quand un jeune homme de dix-huit ans atteint de la maladie de Crohn a complètement guéri en trois séances, j'en ai fait part à un gastro-entérologue ; il ne m'a jamais envoyé personne. J'ai prévenu tous les médecins du village où j'exerce. Certains sont même venus voir l'appareil : cela n'a pas été plus loin. Certains médecins acceptent ma pratique, d'autres ne veulent pas en entendre parler ; en ce cas, je ne le fais pas pour les patients qu'ils m'envoient. Evidemment, avant d'utiliser l'étioscan, je le propose aux patients.

Mme Catherine Génisson . - Pouvez-vous aller au-delà de la prescription médicale ?

M. Hervé Floirac. - La patiente qui avait l'épaule « gelée » avait déjà eu une quinzaine de séances de kinésithérapie. Une séance d'étioscan a suffi pour une amélioration de 70 %. La deuxième séance a fait le reste.

Mme Catherine Génisson . - Pour quelles raisons préférez-vous l'étioscan aux ultra-sons ?

M. Hervé Floirac. - J'ai suivi une formation sur la nutrition à l'université de Monaco, où a été présenté un appareil similaire, l'introspect. La démonstration était intéressante, mais personne ne savait l'utiliser faute de formation adaptée. L'année suivante, j'ai rencontré à Montpellier un vendeur qui a pu me former à son cabinet. J'ai testé l'appareil sur moi-même, puis sur ma famille. J'ai contacté les fabricants en Ukraine, me suis renseigné sur internet. J'ai commencé à travailler avec et six mois plus tard, j'ai proposé à cette personne de mettre en place une formation. Cela a duré deux ans, puis nous nous sommes séparés, pour des problèmes d'éthique notamment. Comme cette personne me barrait l'accès à la Russie, je suis parti en Ukraine pour voir comment les médecins y travaillaient. Les fabricants cherchaient quelqu'un en France pour représenter leur marque. Je ne suis pas vendeur dans l'âme, mais je n'avais que deux appareils à vendre par an. On m'a également proposé de m'aider à réaliser mon site internet. J'ai pris l'offre comme un challenge : en vendant et en formant, je continuais de me former personnellement. Depuis trois ou quatre ans, je travaille avec l'étioscan et je vends l'appareil.

Mme Muguette Dini . - Combien en vendez-vous ?

M. Hervé Floirac. - Environ un appareil par mois. Je ne harcèle personne : nous sommes dans la thérapie quantique, les choses viennent le moment venu.

Mme Catherine Génisson . - En quoi l'étioscan est-il efficace ? Qu'est-ce que la théorie quantique ?

M. Hervé Floirac. - La physique quantique, dont Planck a été un des premiers théoriciens, repose sur la réinformation cellulaire vibratoire. Pour les physiciens quantiques, la pensée et la parole sont véhiculées par des particules atomiques. Par la parole ou la réinformation, on exerce une action directe sur la fréquence vibratoire de la cellule. Cette théorie est utilisée en Russie depuis vingt-cinq ans ; on se sert désormais d'appareils miniaturisés.

Je ne peux parler que de ce qui se passe dans mon cabinet et dans celui des thérapeutes que je connais. Nous essayons de créer des bases de données. Nous travaillons également avec les Russes afin d'établir des protocoles.

Il y a deux ans, en septembre 2011, lors de la journée mondiale de la maladie d'Alzheimer, j'ai entendu à la télévision un professeur de neurologie de la faculté de Montpellier, M. Touchon, se déclarer démuni sur le plan médicamenteux. Comme j'avais traité avec un certain succès des troubles de mémoire et de concentration, j'ai pris rendez-vous avec lui à l'hôpital à Montpellier pour lui proposer de travailler bénévolement quatre jours par mois, avec des grilles d'évaluation ; il m'a expliqué qu'il ne pouvait pas accepter.

Pour en revenir à mon travail, j'ai été le premier surpris par la rapidité des résultats de l'étioscan. En dehors de la maladie de Crohn, je peux citer le cas de cette patiente qui a échappé à l'opération parce que son adénome hypophysaire avait régressé en deux séances, généralement espacées de trois semaines à un mois. J'ai également résolu rapidement des cas d'énurésie. Dans le domaine ostéo-articulaire, j'ai obtenu des résultats surprenants en traitant un monsieur pour une addiction à l'alcool, qui souffrait également d'une sciatique chronique au point d'être arrêté une semaine par mois ; après le traitement, il n'a plus jamais souffert du dos. On parle parfois du « pouvoir de l'intention » du thérapeute. Or celui-ci a été tout à fait nul puisque je n'avais traité que le foie et la vésicule biliaire, pas le dos. En médecine chinoise, le foie et la vésicule biliaire sont liés aux tendons et aux ligaments ; or la conception de l'appareil tient également compte de la médecine chinoise. Je me sers donc de mes connaissances en médecine chinoise pendant les séances d'étioscan.

M. Alain Milon , président . - Y a-t-il d'autres réseaux que les réseaux français et russes ?

M. Hervé Floirac. - L'appareil est utilisé partout. Les russes vendent partout dans le monde.

M. Alain Milon , président . - A qui est-il vendu ? A des professionnels ?

M. Hervé Floirac. - Je ne connais pas la clientèle des Russes. Pour ma part, je ne vends qu'aux thérapeutes. J'explique aux particuliers que je ne peux leur vendre l'appareil. Il y a des gens qui veulent acheter l'appareil pour se soigner.

M. Alain Milon , président . - En dehors de la maladie de Crohn, avez-vous d'autres cas particulier à nous signaler ?

M. Hervé Floirac. - J'ai soigné une personne atteinte d'une bronchopneumopathie obstructive. Elle voyait un kinésithérapeute tous les jours pour se désencombrer. Au bout d'une séance d'étioscan, elle a réduit ses séances de kinésithérapie. A la deuxième séance, au bout d'une semaine, son kinésithérapeute lui trouvait des poumons secs. Il ne comprenait pas pourquoi.

J'obtiens également de bons résultats sur les bronchiolites. J'ai guéri en janvier un bébé de treize mois, sous kiné respiratoire depuis décembre. En ouvrant son carnet de santé, j'ai découvert que peu avant l'infection, l'enfant avait été vacciné par le prevenar ; les symptômes - notamment la fièvre - correspondaient aux effets secondaires du médicament tels qu'on les découvre sur internet. Je lui ai envoyé la fréquence inverse de ce vaccin ; en quarante-huit heures, sa fièvre est tombée, l'enfant a pu se réalimenter.

M. Alain Milon , président . - C'est quoi la fréquence inverse d'un vaccin ?

M. Hervé Floirac. - Tous les remèdes, même les fleurs de Bach, ont une fréquence vibratoire, que les Russes ont enregistrée dans une base de données. On peut envoyer la fréquence inverse. Dans le cas de cet enfant, j'ai mis un biberon d'eau dans la chambre de résonance et, comme en aromathérapie, j'y ai envoyé la fréquence inverse du vaccin.

M. Alain Milon , président . - L'enfant a bu le biberon après ?

M. Hervé Floirac. - Oui, une dizaine de gouttes d'eau. La maman m'a rappelé. Le surlendemain, c'était terminé.

M. Alain Milon , président . - Vos collègues ailleurs dans le monde obtiennent-ils les mêmes résultats que vous ?

M. Hervé Floirac. - Tous les thérapeutes qui l'utilisent en France essaient de communiquer pour échanger. Nous avons lancé avec les Russes un rapprochement de tous les thérapeutes dans le monde pour croiser les informations.

Mme Muguette Dini . - Combien de thérapeutes vous ont acheté le système ?

M. Hervé Floirac. - J'ai traduit le logiciel en français. A ce titre, les Russes souhaitaient me donner l'exclusivité en France et dans la francophonie. Je leur ai dit que je n'en avais pas besoin. Entre la Belgique, la Suisse et la France, il y a une trentaine d'appareils en service.

M. Alain Milon , président . - Je suis perplexe... Comment déterminer la fréquence d'un vaccin et établir la fréquence inverse ?

M. Hervé Floirac. - Les Russes enregistrent les fréquences des produits qu'ils ont. Nous avons par exemple rentré la fréquence des fleurs de Bach, que je leur avais apportées en Russie.

Mme Catherine Génisson . - Je suis ébahie. Je ne comprends pas.

M. Hervé Floirac . - Moi aussi je suis ébahi. Les Russes communiquent peu. Je suis parfois plus étonné que les patients. Les Russes m'ont indiqué qu'en mettant l'ampoule du vaccin dans la chambre de résonance, on peut enregistrer sa fréquence vibratoire et donc envoyer la fréquence inverse. Quel que soit le remède, deux courbes s'affichent sur l'écran, une courbe de structure et une courbe de fonction.

M. Alain Milon , président . - De quoi s'agit-il ? Qu'est-ce qu'une courbe de structure et une courbe de fonction ?

M. Hervé Floirac. - On a une chambre de résonnance sous laquelle on met l'ampoule. L'appareil analyse des fréquences vibratoires.

M. Alain Milon , président . - Comment détermine-t-il une fréquence quantique ? Comment fait-il ces analyses ?

M. Hervé Floirac. - L'étioscan est un boîtier qui transforme des informations lumineuses, électriques et auditives en données numériques. Toutes les questions que vous me posez, je les avais posées aux Russes. Ils ne veulent pas communiquer. Détenant l'exclusivité sur ces appareils, ils ne veulent pas dire comment les fréquences sont enregistrées. Nous travaillons de manière empirique, avec des résultats extraordinaires.

M. Alain Milon , président . - Les Russes meurent quand même !

M. Hervé Floirac . - Les Français aussi !

Mme Catherine Génisson . - S'agit-il d'une fréquence négative par rapport à une fréquence positive ?

M. Hervé Floirac. - C'est l'inversion des courbes entre la structure et la fréquence.

Mme Hélène Lipietz . - L'étioscan est apparemment un appareil complexe. Or il y a sur votre site d'autres éléments, comme « Les clefs de la guérison », qui ressemblent plus à des pratiques de vie ou à de l'autosuggestion.

M. Hervé Floirac . - « Les clefs de la guérison » sont un atelier que j'ai suivi il y a quatre ans, un atelier de développement personnel fondé sur les théories de Maslow et d'Henri Laborit et sur la pyramide des besoins. J'ai demandé à son concepteur, Jean-Jacques Crèvecoeur, qui ne voulait plus venir en France à cause de la vaccination H1N1, à laquelle il s'opposait, si je pouvais reprendre l'atelier pour mes patients, ce que je fais depuis trois ans à raison de deux fois par an environ.

M. Alain Milon , président . - Ces ateliers sont donc fondés sur les données que vous a fournies M. Crèvecoeur.

M. Hervé Floirac. - Oui.

M. Alain Milon , président . - Donc, c'est la méthode Hamer.

M. Hervé Floirac. - Pas du tout.

M. Alain Milon , président . - M. Crèvecoeur est un émule de Hamer.

M. Hervé Floirac. - Cet atelier n'a rien à voir avec la méthode Hamer.

M. Alain Milon , président . - Je n'ai pas compris grand-chose et ne suis pas convaincu.

Mme Hélène Lipietz . - Vous nous dites que vous ne savez pas comment l'appareil fonctionne...

M. Hervé Floirac. - Je ne sais pas davantage comment fonctionne mon téléviseur LCD. Je vais à tous les salons de médecine quantique pour m'informer ; je n'y expose pas. Je suis allé me former en Ukraine, en Russie. Je ne sais pas comment l'appareil marche : je ne suis pas physicien et j'ignore d'ailleurs aussi comment fonctionne la basse fréquence, avec laquelle j'ai beaucoup moins de résultats.

Mme Catherine Génisson . - Il y a une nuance. On sait pourquoi la basse fréquence est active.

M. Hervé Floirac. - Quand j'ai suivi une formation chez Zimmer, un grand fournisseur de matériel d'électrothérapie pour les kinésithérapeutes, ils m'ont parlé de dépolarisation membranaire au niveau cutané... En trente ans de pratique, j'ai eu beaucoup d'appareils, peu m'avaient donné satisfaction. J'insiste surtout sur le fait que je m'inscris en complémentarité avec les médecins, et non en remplacement.

M. Alain Milon , président . - Vous évoquez une méthode de réharmonisation complète de la personne, basée sur la lecture de la mémoire cellulaire individuelle.

M. Hervé Floirac. - C'est la traduction de ce que disent les Russes.

M. Alain Milon , président . - Nos milliards de cellules sont pour la plupart renouvelées...

M. Hervé Floirac. - Sur des maladies réputées irréversibles, lorsqu'on réinforme une cellule de sa fréquence physiologique, au moment de l'apoptose et de la recréation des cellules, les cellules neuves sont moins en dysfonctionnement que les anciennes.

M. Alain Milon , président . - C'est plus facile à dire qu'à prouver.

M. Hervé Floirac. - Les Russes travaillent ainsi depuis vingt-cinq ans.

M. Alain Milon , président . - Ce qui me paraît bizarre, c'est qu'il ne semble pas y avoir eu de communication dans des grandes revues internationales comme The Lancet .

Mme Muguette Dini . - Y a-t-il des recherches identiques ailleurs ?

M. Hervé Floirac. - Il y a des communications sur le site de mon fournisseur.

M. Alain Milon , président . - Je parle de communications scientifiques internationales.

M. Hervé Floirac. - Les machines ne sont vendues que depuis peu à l'étranger.

M. Alain Milon , président . - Il y a vingt-cinq ans : ce n'est pas si récent ! Les Russes, me semble-t-il, n'auraient pas manqué de communiquer sur une découverte aussi extraordinaire pour prouver l'efficacité de leur système. Vous avez parlé de l'énurésie : je veux bien. De toute façon, ça finit par disparaître. Vous avez parlé aussi de la maladie de Crohn...

M. Hervé Floirac. - Je vous ai parlé d'un cas.

M. Alain Milon , président . - La méthode a-t-elle été essayée sur des scléroses en plaque, des maladies de Parkinson ?

M. Hervé Floirac. - Je n'ai pas de sclérose en plaques à mon cabinet. Une patiente atteinte de la maladie de Parkinson avait des troubles du langage : elle a retrouvé l'usage de la parole ; ses tremblements ont également diminué. Elle m'a dit que l'étioscan lui avait apporté énormément de bienfaits.

M. Alain Milon , président . - L'avez-vous revue depuis ?

M. Hervé Floirac. - Je vis dans un petit village, je revois mes patients. Je ne prétends pas avoir de résultats systématiques sur tout, ce n'est pas la panacée. Mais j'ai eu des cas étonnants. Ne riez pas, ne me prenez pas pour Jésus, mais j'ai vu arriver un professeur de gymnastique de quarante ans avec deux cannes anglaises et deux hallux valgus très développés. D'après le chirurgien, c'était l'opération ou les cannes à vie. En une seule séance d'étioscan, les douleurs ont disparu - les hallux valgus étaient toujours là. Je suis aussi étonné que vous...

M. Alain Milon , président . - Tant mieux pour lui. Mais si l'hallux valgus est toujours là, cela reviendra.

M. Hervé Floirac. - Pendant les sept ans où j'ai habité en Guadeloupe, je vivais sans chaussures. A mon retour, j'ai souffert de ce problème, et c'est ainsi que je me suis soigné. Je n'ai plus de douleur du tout, et pourtant j'ai toujours des déformations.

M. Alain Milon , président . - Nous vous remercions.

Audition à huis clos (mardi 5 mars 2013)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous allons procéder aujourd'hui et demain à une nouvelle série d'auditions de victimes des sectes.

Ces auditions compléteront celles des responsables des principales associations de victimes avec lesquels nous avons commencé nos travaux en octobre-novembre derniers et des proches de victimes que nous avons reçus le 9 janvier.

Je veux une nouvelle fois insister devant vous sur le courage qu'il faut aux personnes auditionnées pour témoigner devant nous. Ce témoignage nous permettra d'informer le public, par le biais de notre rapport, sur les dangers que représentent les pratiques sectaires et d'éviter ainsi, espérons-le, à d'autres victimes d'être piégées à leur tour.

C'est pourquoi nous citerons dans notre rapport de larges extraits des compte rendus qui vont être établis de cette audition, tout en respectant la demande d'anonymat qui a été formulée par les témoins et acceptée par le rapporteur et par moi-même.

Cette réunion se déroule en effet à huis clos, conformément au souhait des personnes auditionnées qui ont demandé, à l'exception de l'une d'elles et de Me Picotin, que leurs noms n'apparaissent ni au Journal officiel ni dans le futur compte rendu. Je suis en revanche autorisé, dans nos échanges d'aujourd'hui, à faire état de leurs noms ; je vous demanderai néanmoins à cet égard, mes chers collègues, la plus stricte discrétion.

Notre séance d'aujourd'hui est un peu particulière car elle nous permettra d'écouter la voix des victimes et de mieux comprendre les difficultés auxquelles elles ont été confrontées grâce à l'éclairage que nous apporteront non seulement Me Picotin, dont nous connaissons l'inlassable engagement dans la lutte contre les dérives sectaires, mais aussi deux experts psychologues.

[...]

Je remercie les personnes présentes d'avoir bien voulu venir jusqu'à nous pour éclairer la réflexion de la commission. Il est en effet très important que nous puissions comprendre à la fois comment on devient une victime des sectes et comment on parvient à quitter cette emprise.

Je rappelle à l'attention de nos témoins que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative du groupe RDSE, dont M. Jacques Mézard, notre rapporteur, est président. M. Mézard a donc tout naturellement été désigné comme rapporteur de notre commission.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à chacun d'entre vous de prêter serment.

Je rappelle (pour la forme bien sûr) qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Veuillez à l'appel de votre nom prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les huit personnes se lèvent et prêtent serment.

Maître, voulez-vous prononcer un mot d'introduction ? Vous avez la parole.

Me Daniel Picotin, avocat. - Je vous remercie pour l'intérêt que vous portez à nouveau - après l'audition du 6 février dernier - à mon travail, qui ne concerne pas exclusivement les sectes. En 1995, en qualité de membre de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les sectes, j'avais recueilli les témoignages de gourous et de victimes. Aujourd'hui, à la lumière de l'expérience, je parle moins de mouvements sectaires que d'emprise mentale, dans laquelle le libre consentement a disparu, car là se situe le dénominateur commun de toutes les affaires. Je reste toutefois un modeste praticien du droit, auquel les familles de victimes trouvent à s'adresser, car le cadre juridique français est globalement impuissant à les aider. En tant que membre du Centre contre les manipulations mentales (CCMM), j'ai contribué à la production en octobre dernier d'un petit manifeste, à l'occasion du procès retentissant - au niveau international également - des « reclus de Monflanquin ». Ce manifeste présente des recommandations auxquelles le législateur pourrait s'intéresser. En tant qu'ancien parlementaire et rapporteur pour la commission des lois de la proposition de loi Cabanel portant création du bracelet électronique, je sais que l'initiative parlementaire peut être efficace !

Il est très important que vous ayez accès au témoignage des victimes. C'est indispensable. Les victimes ici présentes vont vous exposer trois histoires - dont il est également fait mention dans l'opuscule du CCMM. Ce sont des parcours incroyables. Comment des personnes intelligentes, sensées, cultivées, ont-elles pu passer autant d'années sous emprise ? Mme B. a vécu dix ans de tortures avant que son frère ne l'arrache des griffes de son gourou ; Mme de Védrines a traversé un enfer de neuf années sans que personne ne comprenne quoi que ce soit à ce qui lui arrivait ; et Mme L. [...] a vécu pendant vingt-deux ans et sept mois sous la férule de Tang, qui a fait cinquante victimes de toutes professions, et qui contrôle encore dix-huit personnes depuis sa prison sans que personne n'y fasse rien ! Les conséquences sont dramatiques ; des enfants grandissent également sous emprise.

La thèse de notre manifeste est la suivante : le monde juridique dans son ensemble - le législateur, le Parquet, les magistrats - ne comprend rien au phénomène de l'emprise car il n'a aucun contact avec les victimes. Je suis moi-même juriste, et il m'a fallu l'expertise de psychologues pour y voir plus clair, comme celle dont a fait preuve Mme I. L. pour arracher Mme B. de l'emprise de son mentor, ou pour conduire deux missions en novembre et décembre 2009 en Angleterre destinées à sortir Mme de Védrines et sa famille de leur état d'emprise mentale. Nous n'avons pu le faire que grâce à cette discipline importée des Etats-Unis qu'est l' exit counseling.

M. Alain Milon , président . - Nous allons commencer par le témoignage de Mme B.

Mme B. - Je vous prie d'excuser mes difficultés d'élocution : le traumatisme crânien que j'ai subi après douze ans d'emprise mentale a affecté mes capacités de réflexion et de raisonnement.

Je suis l'aînée d'une famille du Sud-ouest. C'est le dernier de mes quatre frères, ici présent, qui m'a aidée à sortir de la situation dans laquelle je me trouvais. Ma famille était quelque peu fragile : [...] mon père m'a proposé très tôt de pratiquer la méditation transcendantale, technique orientale destinée théoriquement à procurer un mieux-être physique et spirituel. Les maux de tête insupportables que neuf ans de pratique m'avaient infligés n'ont pas réussi à me détourner de la « quête spirituelle » dans laquelle mon père m'a engagée. Après mon baccalauréat et une licence d'anglais, sur le conseil de mon professeur de méditation, je suis montée à Paris suivre une école d'éducateurs de santé et rencontrer une kinésithérapeute de sa connaissance. C'est dans le centre de développement personnel où elle officiait que j'ai rencontré le thérapeute qui allait devenir mon gourou pendant douze ans.

Lui-même était fils unique, ancien enfant battu par des parents drogués, ballotté de famille d'accueil en famille d'accueil. La kinésithérapeute du centre, âgée de trente ans de plus que lui, était devenue sa maîtresse. Elle lui a accordé dans ce centre un statut de thérapeute auquel sa seule formation « Avatar » - reconnue depuis comme relevant d'une dérive sectaire - ne lui donnait pas droit. Au début, il y avait entre nous un échange, au cours des séances individuelles auxquelles je m'étais inscrite ; très vite, la communication est devenue à sens unique, il n'y avait place que pour ses mots d'ordre : j'étais sous emprise, j'obéissais. Les séances n'avaient en effet d'autre but que de recueillir des informations personnelles permettant de cibler les failles dans lesquelles il comptait s'introduire pour me manipuler. Au bout d'un an et demi, il m'a proposé de commencer un stage « Avatar ». Cela fut aussi le début de nos relations sexuelles. On ne peut parler de relations affectives, mais je me sentais captée par lui. Deux ans après notre rencontre, il m'a proposé le mariage, profitant du fait que mon éducation chrétienne en faisait pour moi un sacrement. Mais ce mariage n'avait rien d'un mariage catholique. Il [...] n'y avait pas de prêtre. Mon mentor m'a lu un texte qu'il avait préparé lui-même, puis passé une bague au doigt, qu'il a reprise ultérieurement ! L'absence de prêtre aurait dû me mettre la puce à l'oreille, mais je n'ai pas vu que c'était un simulacre. L'expertise psychiatrique a pourtant démontré par la suite que je n'étais pas, et ne suis pas folle !

Durant les années qui ont suivi, j'ai été constamment battue pour des raisons ésotériques - en application d'une technique « Shaoling » qui vise à renforcer les os -, et violée une à deux fois par jour. J'ai perdu l'appétit, maigri, et mes nuits de sommeil ne dépassaient jamais quatre heures en raison des multiples activités qu'il me faisait faire : courses, bricolage, rangement, ménage. Il disait venir de la planète Sirius, avoir été élu par la hiérarchie divine pour faire évoluer l'humanité. Il en était à la quatrième initiation - comme Jésus.

Me Daniel Picotin. - Il l'a confirmé devant le tribunal correctionnel en janvier 2012...

Mme B. - Il ne me restait alors que l'énergie de la survie. Les psychologues vous l'expliqueront mieux que moi. Tandis que je m'appliquais à lui obéir, lui me rabaissait sans cesse, physiquement - en critiquant mes yeux, ma taille, la longueur de mes bras - et moralement, en dénigrant les tâches que j'effectuais au centre de développement personnel. Aussi incroyable que cela puisse paraître, j'ai tout accepté. Il justifiait les coups par la nécessité de purifier mon karma. Dans son discours, la réalité s'était inversée : il disait être la victime et moi le bourreau.

Me Daniel Picotin. - Bien sûr ! L'effet miroir est un classique. Le gourou inverse le sens des choses.

Mme B. - Il avait un grand talent d'orateur, et ponctuait ses phrases de « systématique », « rationnel » et « objectif », pour leur donner plus de poids. Je ne m'appartenais plus. Je n'avais plus d'amis, plus de contacts avec ma famille, plus de relations avec quiconque, pas même avec lui puisque je lui obéissais passivement. Ma mémoire s'est affaiblie. Elle ne revient que progressivement. Je me suis en quelque sorte démise de moi, me suis désapproprié ma personne.

Il m'a ensuite contrainte à voler, moi qui n'aurais jamais dérobé un chewing-gum dans une épicerie. Je me suis retrouvée un jour avec l'équivalent de 13 000 francs dans mon caddie. Il ne s'intéressait qu'aux appareils haut-de-gamme. Il réunissait également tous les catalogues de vente, qu'il me faisait classer, découper, et archiver par centaines.

Je n'ai effectué que trois séjours chez mes parents en douze ans. Je ne leur disais rien et j'allais jusqu'à enregistrer des conversations pour les rapporter ensuite au gourou. Mes parents voyaient bien que j'étais différente, mais ne savaient pas quoi faire pour me sortir d'affaire.

Ne célébrant ni les anniversaires, ni les fêtes religieuses, j'ai perdu toute notion du temps. Je n'ai concrétisé aucun des projets que j'avais pu formuler par le passé. Renonçant à moi-même pour lui, j'ai perdu toute identité.

Je ne pouvais pas sortir de cette emprise. Je n'en ai jamais eu l'idée, bien que les moyens m'en aient parfois été donnés. J'étais persuadée d'être dans la meilleure position qu'il pouvait m'être donné de vivre. Les souffrances que j'endurais étaient censées purifier mon karma. Il disait avoir accès aux Archives akashiques et pouvoir ainsi connaître les noms de ceux lui ayant fait du mal dans une vie antérieure - et bien sûr j'en faisais partie.

Ma famille a tenté de maintenir le contact pendant dix ans, essentiellement par des lettres et des visites. Ils ont alerté le procureur de la République, mais cette démarche est demeurée sans effet, puisque j'étais majeure et a priori - théoriquement - consentante.

Dans cette horreur, un déclic s'est produit lorsqu'il m'a demandé de me prostituer pour nous procurer de l'argent. A partir de cet instant, je n'ai cessé de répéter à voix haute « j'en ai marre, je veux que ce soit fini ». Mon jeune frère recueillait alors des informations pour mettre en place une stratégie visant à m'extraire de cet enfer, avec succès puisqu'il m'a ensuite ramenée chez mes parents à Bayonne. Mais même de retour chez eux, il m'a fallu un an et demi pour renoncer à retourner rejoindre le gourou. La psychologue a beaucoup éclairé mes parents dans cette période difficile.

Si la loi avait été mieux adaptée à cette situation, il y a vingt ans, ma vie aurait été toute différente.

M. B. - Pendant toute cette période, nous avons naturellement envoyé du courrier à ma soeur. Elle n'y a jamais répondu, mais nous avons réalisé après-coup qu'elle le lisait et nous avons pu comprendre l'importance que cela revêtait. Devant l'échec d'un argumentaire rationnel par courrier, nous avons décidé de rencontrer un psychologue pour comprendre de quoi il retournait. A l'époque, nous ignorions absolument, depuis notre petite ville de province, en quoi consistait l'activité sectaire au-delà de ce qu'en disaient ponctuellement les journaux. Nous avons également consulté un avocat et déposé une plainte auprès du procureur de la République - mes parents craignant une réaction de rejet de notre soeur, mes frères et moi avons signé la plainte, pas nos parents. Rien n'a abouti.

J'ai ensuite débarqué à Paris pour ma première expérience professionnelle. J'ai décidé de comprendre ce que vivait ma soeur et pour cela de mener une véritable enquête, quitte à me faire passer parfois pour un militaire de la gendarmerie. J'ai lu les publications du CCMM. Puis j'ai employé une méthode basique et naïve consistant à aller chercher la victime là où elle se trouvait. Cela a fonctionné. Nous avons eu beaucoup de chance.

De retour à Bayonne, nous avions gagné une bataille mais nous étions en réalité plus démunis que jamais, face à une personne détruite, qui ne parlait ni ne marchait correctement, qui pesait 20 kilos de moins que la normale. Nous avons eu la chance de rencontrer Mme I. L. dont l'expertise dans ce domaine est bien connue. Dans une telle situation, la tentation est en effet grande de recréer une situation d'emprise mentale sous couvert de protéger la victime. Des trois pages d'argumentaires rationnels que nous avions préparés pour raisonner ma soeur, Mme I. L. nous a expliqué qu'il fallait ne garder qu'un argument : conseiller à notre soeur de prendre soin de sa santé. Dérisoire au regard des faits ! Mais le message a été reçu, l'instinct de survie a joué. Mme I. L. nous a demandé aussi de ne pas couper complètement le lien entre ma soeur avec le groupe parisien. Nous n'aurions pas adopté cette attitude spontanément : nous n'étions simplement pas compétents pour gérer cette situation.

Les séquelles sont importantes, le procès l'a montré. Le gourou a fait deux autres victimes : une est encore sous emprise, une autre est décédée. C'est un véritable combat de société. Avec un attirail juridique adapté, nous aurions pu sortir ma soeur d'affaire plus rapidement.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Ce monsieur travaillait dans un centre de développement personnel. En quoi consistait cet établissement ? Où était-il situé ? Avait-il des clients ?

Mme B. - Le centre [...] appartenait au frère de la kinésithérapeute. Il était situé [...] dans le X e arrondissement de Paris.

Me Daniel Picotin. - Ce centre est aujourd'hui fermé.

Mme B. - Son activité principale consistait à louer des salles, utilisées pour des stages de rebirth - renaissance en anglais -, des stages émotionnels, de la méditation de pleine lune, des bols tibétains.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Combien étiez-vous dans ce centre ?

Mme B. - Il y avait cinq ou six locataires, ou thérapeutes, qui louaient les salles pour exercer. Au début, je n'étais que patiente et étudiante dans ce centre. J'y ai ensuite travaillé, notamment en remplacement de la femme de ménage.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Ces autres locataires, leur parlait-on de Sirius et de toutes ces choses ?

Mme B. - Non, ils étaient de simples locataires qui avaient leurs propres groupes.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez parlé des sévices que votre gourou vous a infligés. Comment faisiez-vous pour ne dormir que quatre heures par nuit ?

Mme B. - Il me contraignait à faire du bricolage, du rangement. Je dactylographiais ce qu'il me dictait. J'envoyais du courrier. J'écrivais dans le moindre détail ce que je ferais la semaine suivante.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Comment faisait-il lui-même pour ne pas dormir ?

Mme B. - Je ne me suis pas posé la question. Sans-doute trouvait-il le temps de se reposer dans la journée.

Me Daniel Picotin. - Il était sans cesse sur votre dos, n'est-ce pas ? En outre, vous n'étiez pas toute seule, il y avait deux autres femmes, dont l'une est toujours sous emprise.

Mme B. - Oui, bien que lui soit toujours en prison.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez parlé d'un stage « Avatar », de quoi s'agissait-il au juste ?

Mme B . - C'est un stage de développement personnel issu des méthodes de la Scientologie et fondé sur l'idée que la croyance détermine les expériences. Durant la formation, on apprend à modifier sa façon de pensée pour réaliser les projets qu'on désire vraiment.

Me Daniel Picotin . - Le fondateur du cours « Avatar » est un Américain du nom de Harry Palmer, un renégat de l'Eglise de Scientologie.

Mme Muguette Dini . - Le groupe était constitué de trois personnes, n'est-ce pas ?

Me Daniel Picotin . - Le gourou et trois femmes sous son emprise. Une mini-entreprise, une « petite épicerie » de la manipulation mentale.

M. Stéphane Mazars . - Pouvez-vous en dire plus sur la comparution devant les juridictions ?

Me Daniel Picotin . - Ma cliente a été arrachée par son frère à son gourou en 2001, à Noël, la cour d'appel de Paris a rendu son jugement en janvier 2012 ; une histoire très longue, donc, à la mesure du temps qu'il a fallu à la victime pour se reconstruire. Lorsque je l'ai reçue la première fois, elle était totalement brisée physiquement et psychologiquement. Elle pleurait tout le temps, elle était incapable de monter un escalier, elle y voyait mal, elle n'entendait pas. Soit dit en passant, on lui a accordé des années après un taux de 17 % d'incapacité partielle permanente ; elle aurait mérité davantage. Quand je l'ai reçue au début, je ne comprenais rien à son histoire, je lui ai demandé de me l'écrire. Cela lui a pris deux ans et 120 séances de thérapie pour être capable de raconter l'enfer qu'elle a vécu ; un enfer à huis clos entre un fou et trois femmes sous emprise.

Muni de ce témoignage de plus de cent pages, j'ai déposé plainte auprès du tribunal de grande instance de Paris. Au début, on m'a répondu que ma cliente était masochiste, que la clé était sur la porte et qu'elle aurait pu à tout moment partir.

Avec l'aide de la famille B. [...], j'ai constitué un volumineux dossier médical. Il y avait de quoi dire : le gourou frappait ma cliente avec tous les objets contondants qui lui passaient sous la main, y compris le marteau. Il lui avait cassé des côtes, des dents ; elle avait des oreilles de boxeur ! Ce qui a fait la différence auprès de la justice, c'est l'avis de l'expert judiciaire qui a confirmé le diagnostic de mon experte privée : la manipulation, les violences, l'emprise mentale... Ensuite, tout s'est passé très vite : instruction, garde à vue et incarcération dès le délibéré en novembre 2011 - il comparaissait libre car il était primo-délinquant. L'arrêt de la cour d'appel, en janvier 2012, a confirmé cette condamnation. La motivation de l'arrêt est très éclairante sur l'emprise mentale ; les magistrats ont cité les propos du gourou qu'ils avaient fait parler à l'audience.

M. Bernard Saugey . - Quelle a été la peine ?

Me Daniel Picotin . - Le gourou a été condamné à quatre ans de détention. Outre ma cliente, les deux autres victimes sont la kinésithérapeute, qui est décédée, et une femme qui reste sous emprise. Ses frais d'avocat sont payés par celle-ci - c'est une caractéristique des prédateurs de vivre sur le dos des autres. Nous avons tenté une mission d'évaluation pour l' exit counseling afin de sauver cette femme, qui n'a pas été possible.

Mme I. L. - Cette femme qui est toujours sous emprise, est psychotique, avec une mère totalement démissionnaire, un père autoritaire, qui disent : « nous voulons bien la récupérer si elle se trouve un autre type ». Elle ne tient que par sa relation avec le gourou : on peut parler, comme Me Picotin, d'épicerie, mais on pourrait aussi dire que c'est un mini-hôpital psychiatrique.

Le succès de nos missions dépend beaucoup de la volonté de la famille de communiquer avec la victime et de prendre en charge le suivi psychiatrique et psychologique. Mme B. souffrait d'une névrose psychofamiliale importante que la relation avec le gourou est venue combler. Une mère non investie, un père qui avait attiré la seule fille de la fratrie vers la méditation transcendantale, lui faisant jouer un peu le rôle de sa conjointe.

[...]

Mme Catherine Deroche . - Madame B., avez-vous été la seule à subir des violences physiques et sexuelles ?

Mme B . - La femme qui vit encore sous l'emprise du gourou travaillait à l'extérieur, moi, non. J'avais tout lâché pour le suivre, je touchais le RMI. C'est moi qui ai tout pris.

Me Daniel Picotin . - Elle a tout de même eu droit à quelques gifles.

Mme I. L . - Et la première victime, celle qui est décédée, a subi d'innombrables violences.

Mme B . - Disons que j'ai pris le relais.

Mme I. L . - Nous avons clairement affaire à un homme violent.

Mme Hélène Lipietz . - Comment la famille B., qui est finalement à l'origine du malaise de cette femme, a-t-elle pu se reconstruire pour en venir à récupérer la victime ?

M. B . - Mon père a accompli un énorme travail sur lui-même. Entre le moment où ma soeur nous a quittés et celui où elle est revenue, plus de dix ans avaient passé ; le temps d'accomplir du chemin pour l'accueillir dans de bonnes conditions et la regarder avec la « neutralité bienveillante » dont parlent les experts.

Mme I. L . - Nous accompagnons les familles avant l'arrivée de la victime. Dans le cas de Mme B., l'équilibre était délicat à trouver : il fallait l'accompagner dans son retour au réel sans la priver de liberté, et lui trouver une place au sein de la famille. Durant les premiers mois, le père avait pour consigne de ne jamais intervenir directement auprès d'elle pour ne pas la faire fuir.

[...]

Mme Catherine Génisson . - Donc, la victime a tout le temps de retourner dans son groupe.

Mme I. L . - Mme B. ne l'a pas fait, malgré les appels de son gourou. Il lui envoyait, par l'intermédiaire d'adeptes, des clichés polaroïds où on le voyait pleurer ; ou encore, un grelot de montagne pour symboliser le retour à la bergerie.

Il nous faut donc travailler avec ces victimes par petites touches, on ne peut pas aborder les choses d'un bloc.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Madame B., vous êtes entrée dans cet enfer par le milieu du bien-être. Pourquoi ce stage aux Etats-Unis ?

Mme B. - J'y suis allée me former auprès de Harry Palmer pour devenir Avatar master et donner à mon tour ce séminaire de développement personnel.

Mme I. L . - Le centre [...] n'avait qu'un but : recruter le plus possible d'adeptes. Son gourou n'est pas parvenu à ses fins. Il a rencontré des problèmes financiers et fiscaux.

Mme Muguette Dini . - Maître Picotin, lors de votre précédente audition, j'avais fait un rapprochement avec l'emprise au sein du couple. Dans le cas de Mme B., nous sommes bien en présence d'un conjoint polygame...

Me Daniel Picotin . - Certes, mais avec un corpus théorique très fort ! A l'audience de confrontation, devant le juge d'instruction, le gourou ouvrait ses chakras en versant des larmes de rimmel...

M. Alain Milon , président . - Passons au cas suivant.

Me Daniel Picotin . - Il s'agit de l'affaire des reclus de Monflanquin où sont impliquées pas moins de onze victimes, âgées de seize à plus de quatre-vingts ans, coupées du monde depuis 2001. Pour les proches et pour l'avocat que je suis, ce fut un calvaire judiciaire. Nous devons au courage de Mme Christine de Védrines, qui a quitté le groupe en mars 2009 et déposé plainte à Bordeaux, le lancement d'un mandat d'arrêt européen à l'encontre de M. Thierry Tilly au mois d'octobre suivant. Grâce à elle, nous avons mené, en novembre et décembre 2009, deux missions de libération des huit personnes de sa famille qui étaient encore « otages » à Oxford, parmi lesquelles son mari, sa belle-mère...

Mme Christine de Védrines. - ... et mes trois enfants ! Je suis mariée depuis trente-huit ans. Nous n'étions pas une secte, nous étions une famille normale à laquelle il est arrivé quelque chose d'anormal. D'où l'incompréhension de notre entourage lorsque nous avons refusé tout à coup les invitations, les sorties, les activités. Mon mari, qui était accoucheur à Bordeaux, a dévissé sa plaque en une nuit. Seule ma meilleure amie a saisi que quelque chose n'allait pas après avoir reçu un coup de téléphone de mon mari, inhabituellement agressif.

Je n'adhérais pas vraiment à tout cela. Et pourtant j'ai suivi. Selon les experts, 80 % des personnes sont manipulables. Chacun ses failles, la mienne était d'avoir perdu à trente-huit ans ma mère, puis mon père deux ans après. Je me sentais orpheline et me suis raccrochée à ma belle-famille ; quand tous ont été embrigadés par Thierry Tilly, je les ai suivis.

Les actions menées par nos proches n'ont jamais abouti ; je les ai recensées, leur nombre s'élève à onze ! Le matriarcat était de mise dans ma belle-famille : au sommet, ma belle-mère, puis ma belle-soeur. Mes neveux, les enfants de mon beau-frère, ont tenté de placer ma belle-mère sous tutelle. Bien que manipulée, elle restait une forte personnalité : elle a parfaitement su répondre aux questions du médecin au point que c'était elle qui menait l'entretien ! Le mari de ma belle-soeur a porté plainte pour abus de confiance : sa femme avait reversé 185 000 francs à Thierry Tilly à partir du compte d'une association. Nouvel échec.

Si la loi About-Picard a permis de faire condamner Thierry Tilly, il faut l'amender et la renforcer. Dans notre cas, le désastre était programmé et personne n'a rien pu faire ! Tracfin enregistrait bien les mouvements financiers, les virements ordonnés par mon mari, la vente de nos biens immobiliers ; mais en l'état du droit, seule la plainte de la victime est recevable lorsqu'elle est majeure. L'Adfi de Lot-et-Garonne s'est mobilisée, le Parquet lui a rétorqué qu'il s'agissait d'une escroquerie. Une escroquerie, certes, mais menée par un grand manipulateur et un pervers narcissique.

Parce que j'étais en retrait, Thierry Tilly me diabolisait, me calomniait, afin que le groupe n'entende pas mon point de vue ; ma belle-soeur avait pour ordre de ne pas me transmettre tout mon courrier. Les gendarmes de Monflanquin ont été alertés par ma soeur à Paris, inquiète de ne pas avoir de mes nouvelles lors du premier Noël, en 2001. Ma belle-soeur s'est montrée charmante avec eux, elle a répondu à toutes leurs questions et ils sont repartis sans même demander à me voir ! Encore un rendez-vous raté. Je n'en veux pas aux gendarmes : lorsqu'on n'est pas formé à cela, on ne reconnaît pas la manipulation mentale, surtout lorsqu'elle est bien faite.

Dans mon entourage, certains ont tenté de placer ma fille de quinze ans sous tutelle ; cette démarche, non plus, n'a pas pu aboutir car ma fille était scolarisée et tout paraissait normal.

Tous ces rendez-vous ratés, et j'en passe, sont dramatiques parce que Thierry Tilly, cela apparaît nettement dans les pièces du dossier judiciaire, était un escroc notoire. Il n'a jamais travaillé ni payé d'impôts. Nous avions toujours payé les nôtres ; quand nous avons cessé subitement de le faire, la seule réaction a été celle du fisc, qui a saisi nos meubles et nos biens. Nous sommes aujourd'hui ruinés. En rentrant, j'ai dû vivre du RMI avant de reprendre une activité professionnelle, mon mari touche une très petite pension de retraite. Rendez-vous compte, maître Picotin avait tiré la sonnette d'alarme dès 2004...

Me Daniel Picotin . - ... J'étais intervenu auprès du Parquet d'Agen. La demeure familiale a été vendue en 2008 ; en tout, le préjudice s'élève à 5 millions d'euros.

Mme Christine de Védrines. - Puisque vous avez parlé de santé, mon mari établissait les ordonnances pour son frère diabétique et pour sa mère, qui n'a manqué de rien, ni de médicaments ni d'un fauteuil adapté aux personnes âgées. Mais moi et les enfants, nous avons perdu des dents, faute d'être soignés. Je n'ai pas vu un médecin durant presque dix ans avant que Thierry Tilly ne me mette au travail à Oxford. Une faute de sa part, il n'en a pas commis beaucoup, et une chance pour moi...

Me Daniel Picotin . - Une fois qu'il les avait dépouillés de leur fortune, il les a fait travailler : madame était cuisinière, son mari jardinier et ainsi de suite. Il leur prélevait 90 % de leur salaire.

Mme Christine de Védrines. - Il nous disait que notre fille, qui avait brillamment décroché son bac en France, irait étudier dans une grande université écossaise. L'argument portait dans une famille comme la nôtre. En attendant, elle travaillait 80 heures par semaine ! Je l'ignorais car il nous avait séparés de nos enfants. J'ai vraiment failli les perdre : il leur racontait que tout le mal venait de moi. Lorsque j'ai quitté Oxford en mars 2009, il a poussé ma fille à porter plainte pour attouchements sexuels ; ce fut l'épisode le plus douloureux.

« Nous gardons notre intelligence, mais elle est en jachère », a dit un expert. C'est vrai, mais il se produit parfois comme un déclic.

Thierry Tilly avait réussi à nous transformer en sous-hommes. Certains ont été séquestrés. Mon fils, qui est né en 1980, a vécu durant onze mois dans une pièce noire avec un sac de couchage pour seul lit, un repas par jour et la toilette à l'eau froide dans les WC de ce bâtiment de bureau. C'est qu'il a été considéré comme un traître pour avoir montré des signes de révolte. Il devait rédiger une espèce d'autocritique tous les jours durant sa séquestration...

Me Daniel Picotin . - ... qui dura onze mois !

Mme Christine de Védrines . - Thierry Tilly lui avait mis dans la tête qu'il était un être faible. Le pire, c'est d'avoir appris tout cela après, un peu avant le procès. Une fois, ma fille, m'apercevant par hasard à Oxford, a traversé la rue pour m'embrasser ; elle a été sévèrement réprimandée pour cet acte.

Concernant la santé, je n'ai pas eu de chance. On ne m'a reconnu aucune incapacité permanente partielle.

Me Daniel Picotin . - C'est une difficulté : la jurisprudence est très maigre, on ne reconnaît pas de droit à indemnisation dans ces cas-là.

Mme Christine de Védrines . - J'ai pourtant souffert d'une nécrose sévère de la hanche après avoir été séquestrée durant quinze jours, en permanence assise sur une chaise. Je n'avais ni le droit de me lever ni celui de m'allonger. Pour bénéficier de la reconnaissance en IPP et d'une indemnisation au civil, j'aurais dû faire établir un constat... le lendemain de ma séquestration ! Depuis, je vis avec deux prothèses de la hanche.

J'ai eu si peur de perdre mes enfants. Je me sens très coupable envers eux de n'avoir pas joué mon rôle de mère protectrice. Lorsque mon fils a commencé à s'éloigner du groupe, ce pervers de Thierry Tilly a lancé la horde contre lui - la horde, oui, c'est très exactement le mot qui convient - et pratiqué le harcèlement judiciaire. Idem pour moi : mon mari a demandé le divorce, ma fille s'est plainte d'attouchements sexuels. J'ai honte de le dire mais, dans mon groupe, certains ont pensé au suicide.

Vient un moment où trop, c'est trop. C'est ce qui m'a donné la force de quitter Oxford. Thierry Tilly nous calomniait, mon fils et moi ; il est allé jusqu'à déclarer que mon garçon était né d'un inceste avec mon père. Ma sortie s'est déroulée en deux temps. Une première fois, j'ai claqué la porte mais je suis revenue dans la cuisine où j'ai récupéré des numéros de téléphone. Je ne m'étais pas rendu compte que dix ans de ma vie s'étaient écoulés et que j'avais tout oublié, y compris le numéro de téléphone de ma soeur que j'appelais pourtant très souvent, avant.

Thierry Tilly m'avait mise au travail. C'est ainsi que j'ai récupéré ma carte d'identité. J'ai surtout eu la chance d'avoir un patron extraordinaire. Il me faisait des compliments sur mon travail quand j'étais accablée de reproches et de critiques à l'intérieur du groupe. Une amitié s'est nouée entre nous. Au bout d'un an, j'ai osé lui parler de ma situation, il n'a rien compris. Je lui ai alors dit de chercher des informations sur internet à propos des reclus de Monflanquin. Dès le lendemain, il m'a dit : « Christine, il faut que vous réagissiez. » Il a pris le téléphone et il a appelé ma soeur, j'en étais incapable. Le mari de ma soeur a décroché ; il s'est montré très gentil. J'entendais qu'il était ému. Cela m'a beaucoup touchée ; on m'avait tant seriné que tout le monde nous avait abandonnés. J'ai également pris contact avec mes cousins et avec maître Picotin, qui m'a conseillé de porter plainte en France, plutôt qu'en Grande-Bretagne. Durant trois jours, j'ai essayé d'amener mon mari à réfléchir sur notre situation. En vain. Le lundi matin, je suis partie comme une voleuse, comme si j'allais au travail. J'ai pris le train pour Londres où m'attendaient une cousine et ma meilleure amie. J'aurais peut-être eu le courage d'accomplir ce voyage seule, leur présence m'a néanmoins réconfortée. Je n'étais pas montée dans une voiture depuis quatre ans ! A Paris, ma soeur m'a très bien reçue. J'ai repris corps avec elle. Ce n'était pas évident non plus pour elle car Thierry Tilly m'avait poussée à lui écrire des lettres où je lui donnais du « chère madame »...

Trois jours après mon retour, j'ai porté plainte et, à partir de là, la justice de Bordeaux, il faut lui en rendre hommage, a travaillé extrêmement vite. Grâce à ma plainte - c'est ma seule fierté - Thierry Tilly a été placé sous écoutes et arrêté, ainsi que Jacques Gonzalez. Ma famille qui restait en otage à Oxford n'a pas réagi tout de suite. M. Tilly avait dû les prévenir qu'il pourrait un jour orchestrer une arrestation, entrant dans le cadre d'un plan...

Me Daniel Picotin . - L'homme avait toujours deux coups d'avance.

Mme Christine de Védrines . - Avec maître Picotin et son équipe, nous avons monté deux opérations pour aller les chercher. La première fois, seul mon fils aîné est rentré ; les autres nous ont suivis lors de la seconde, après que la psychologue a parlé à ma belle-soeur, qui tenait le groupe. Je dois dire que le consul français, à Londres, nous a écoutés, entendus et épaulés et que Scotland Yard était informé de cette opération privée.

Pour terminer, je voudrais insister sur la nécessité impérieuse d'apporter des soins aux victimes. Il n'existe aucune aide de l'Etat dans ce type de cas. Quand nous sommes sortis, nous n'avions plus la sécurité sociale. Les démarches pour obtenir le RSA sont difficiles à entreprendre lorsqu'on souffre de telles difficultés psychologiques. Or nous avions besoin d'un suivi, pour comprendre comment nous avions été manipulés. Si nous avons été aidés par l'équipe de maître Picotin, toutes les victimes n'ont pas cette chance.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - « Je n'adhérais pas vraiment », avez-vous dit. Mais à quoi ?

Mme Christine de Védrines . - A la personnalité de Thierry Tilly.

La donation-partage de la demeure familiale à mon mari, alors qu'il était le cadet, avait suscité des jalousies. Thierry Tilly s'est engouffré dans cette brèche, en se présentant comme l'homme qui allait régler nos difficultés. La manière dont il s'y est pris a d'autant plus fonctionné que nous sommes de tradition protestante, la mémoire des dragonnades lui a facilité la tâche.

Me Daniel Picotin . - Thierry Tilly avait un complice, Jacques Gonzalez. Il se présentait comme membre d'une organisation internationale ; il siégeait au Conseil d'Etat, il avait des relations avec Nicolas Sarkozy... Il se disait investi d'une mission, celle d'aider les familles aristocratiques menacées par un complot maçonnique et pédophile, qui étaient discrètement protégées par des gardes du corps et des agents secrets.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Nous sommes donc dans le cas d'une escroquerie.

Me Daniel Picotin . - Certes ! Thierry Tilly a pourtant accompli ce prodige de se gagner l'adhésion de pas moins de onze personnes intelligentes et cultivées. Nous sommes vraiment dans la manipulation mentale.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Il ne tenait pas de discours religieux...

Me Daniel Picotin . - Non, il ne pratiquait pas l'ésotérisme. En revanche, il avait convaincu les autres que Mme de Védrines était dépositaire d'un trésor confié par un roi à ses ancêtres...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Qu'en est-il exactement de ce transfert de fonds à M. Thierry Tilly depuis le compte d'une association ?

Mme Christine de Védrines . - Ma belle-soeur et son mari, chaque année, organisaient un festival de musique dans le village durant l'été. Un choeur, des musiciens et un chef d'orchestre ; chacun pouvait s'inscrire à un atelier et la fête se concluait par un concert. L'association recevait des subventions, entre autres du département. Ma belle-soeur a prélevé 185 000 francs sur son budget pour les verser à Thierry Tilly au titre de la prétendue aide qu'il lui aurait apportée dans le cadre d'un contrôle Urssaf ; c'est ainsi que tout a commencé.

Me Daniel Picotin . - Le Parquet d'Agen a refusé d'instruire la plainte.

Mme Catherine Deroche . - En somme, les plaintes n'ont pas abouti et les rendez-vous ont été ratés, à cause de la présence de votre belle-soeur. Si vous aviez été seule, en ces occasions, qu'auriez-vous fait ? Etiez-vous désireuse de parler ?

Mme Christine de Védrines . - Oui, d'autant que la rencontre avec les gendarmes a eu lieu au début ; à ce moment-là, je n'adhérais pas vraiment.

Mme Catherine Génisson . - Vous pouviez manifestement entrer et sortir, vous viviez donc dans un régime de semi-liberté. Outre l'emprise mentale, Thierry Tilly vous a-t-il administré des drogues ?

Mme Christine de Védrines . - C'est la première question que le juge d'instruction m'a posée... Nous avions le droit de sortir jusqu'en 2001 ; ensuite, non. Je n'avais ni argent ni le droit de conduire ma voiture. Un relais au sein de la demeure familiale noyautait tout. Vous savez, dans cette situation, on a l'esprit brouillé. Je ne voulais pas laisser mon mari et mes enfants.

Me Daniel Picotin . - Vous oubliez de parler de votre prétendue dépression...

Mme Christine de Védrines . - Au début, parce que je ruais dans les brancards, Thierry Tilly a demandé à mon mari de me prescrire du tranxène... Il disait que j'étais en dépression.

Mme Muguette Dini . - Votre fille était scolarisée : n'y a-t-il eu personne autour d'elle pour lancer l'alerte ?

Mme Christine de Védrines . - Elle était d'abord à Bordeaux, avec ses camarades de toujours, puis il l'a fait revenir à la campagne avant de l'envoyer en pension à Poitiers. Elle avait seulement quinze ans. Naturellement, ses amis étaient très troublés. Ils l'entourent aujourd'hui, une chance car personne ne peut se reconstruire seul.

M. Alain Milon , président . - Venons-en à l'affaire Robert Le Dinh.

Mme L . - Mon mari et moi-même avons passé vingt-deux ans et sept mois dans une secte. Nous, nous parlions plutôt de groupe car nous prétendions lutter contre les sectes.

J'avais dix-neuf ans. J'étais à la recherche d'une spiritualité et d'une famille. J'avais vécu une enfance difficile : mes parents, des gens aisés, ont divorcé, mon grand-père s'est livré à des attouchements sur moi. Ma mère nous a laissés, mon frère, ma soeur et moi, pour aller vivre avec un homme. J'avais 16 ou 17 ans. Nous nous sommes débrouillés tous les trois. Par rapport à ce que j'avais vécu enfant, j'étais persuadée que je ne serais jamais heureuse. Ce point est important : c'est ainsi que le gourou m'a happée et a obtenu que je reste dans la secte.

C'était en 1984, à l'époque où l'on parlait beaucoup des extraterrestres. J'avais un ami rosicrucien. J'ai moi-même frappé à la porte de nombreuses églises, sans y trouver d'écho. Ma mère m'avait toujours recommandé la vigilance à l'égard des groupes : cette fois-ci, la présence d'un médecin qui acquiesçait chaque propos du gourou m'a rassurée, j'ai baissé la garde. L'homme était charismatique, c'était exactement ce que je recherchais ; il parlait d'action humanitaire, son discours m'a immédiatement plu.

Il est venu me voir et m'a posé des questions sur ma famille et mon passé. Je me suis alors dévoilée : je lui ai raconté l'histoire de ma famille, de mon père, de mon grand-père... Il m'a dit que si je suivais son enseignement, je serais libérée. Ses paroles m'ont touchée. J'avais dix-neuf ans et on me promettait de me sauver de mon marasme intérieur...

Très vite, Il diffusa l'idée que tout ce qui nous arrive est de notre faute. Toute action entraîne une réaction, et nous devons accepter la souffrance et dépasser nos limites pour faire un travail, sinon nous ne serons jamais heureux. Tang enseignait sur son identité divine : troisième Messie, il remplacerait un jour le président du monde et éclipserait tous les autres...

Vint ensuite son enseignement. « Il faut faire périr le vieil homme », c'est-à-dire notre individualité, et lui appartenir de corps, d'esprit et d'âme. Nous prêtions serment en ce sens régulièrement. Nous étions les élus de Dieu, le monde extérieur était le mal et le groupe le bien.

Nous étions certes des élus de Dieu, mais Tang, pendant vingt-deux ans, nous dévalorisait quotidiennement. De ce fait, on perd totalement confiance en soi. Tout est soumis au consentement du gourou, à son acceptation. Il décidait des naissances, et choisissait les prénoms des enfants. Il unissait les couples.

Pourquoi reste-t-on ? Après la rencontre interviennent toutes les techniques de manipulations : nous dormions très peu, il était interdit de se reposer dans la journée, nous ne mangions et ne parlions que quand il le décidait. Les femmes n'avaient pas le droit de parler entre elles de choses autres que son enseignement. Il y avait aussi la peur, de Dieu et du gourou, qui avait droit de vie et de mort sur nous. Cela peut paraître incroyable, mais pour comprendre, il faut se souvenir que nous manquions de sommeil, subissions des réunions quotidiennes et tardives toute l'année, et ce rythme fait vite perdre le sens des réalités.

Lors des réunions, nous devions être assis sur une chaise, pieds à plat, mains sur les cuisses, sans bouger, et le fixer dans les yeux. Une sorte d'hypnose mentale se mettait en place. Nous nous autoconditionnions également en produisant des rêves qui confirmaient son rang de Saint-élu. Ces révélations dont nous lui faisions part le confortaient dans sa position. « Ce n'est pas seulement moi qui reçoit des révélations, vous aussi », affirmait-il. Nos problèmes quotidiens, maladie, souffrances morales ou physiques, étaient toujours dus au fait que nous n'avions pas bien mis en pratique l'enseignement du Saint-élu. J'ai fait deux fausses couches, il m'a dit que c'était ma faute... La souffrance est à la mesure du mal que l'on a à travailler.

J'ai subi des viols, des tortures, et il me faisait comprendre que c'était nécessaire à ma libération et je ne pouvais qu'accepter, puisqu'il était Dieu. Nous étions prêts à tuer pour lui. Aujourd'hui, il y a deux personnes en moi : la personne que je suis, qui vous parle, n'est pas celle qui était dans la secte.

J'ai subi de nombreux « positionnements », sortes d'exorcismes au cours desquels on vous « recadre » pendant des heures, voire des jours. Ces techniques de manipulations mentales, qui ont été employées également sous Hitler, vous laissent sans esprit critique. Vous ne pouvez plus réagir, seulement tenter de survivre.

En 1986, le gourou a fait de la prison. J'ai été témoin à décharge lors de son procès. On avait mis Dieu en prison ! J'étais prête à mentir pour lui. Le mensonge qui sert le Saint-élu est la vérité.

Quand il est sorti de prison, il a expliqué que pour ne plus être considérés comme une secte, nous devions avoir des métiers - des « travaux sociaux » -, il fallait que les enfants soient scolarisés et que chacun d'entre nous ait une maison. Il nous a alors dit de passer des concours administratifs, justice, impôts, armées, infirmière afin de devenir ses « cartes de visite », une « vitrine ». Quand il nous présentait, il disait aux personnes que l'on ne pouvait pas être une secte puisqu'il y avait des fonctionnaires auprès de lui ! Lors de nos contacts avec l'extérieur, nous devions être souriants, parler d'une certaine façon aux gens. Régulièrement, nous faisions l'objet de séances de « positionnement », car il estimait que nous avions mal présenté sa mission divine.

En réalité, nous étions en « mission ». Nous n'exercions pas un métier, mais des « travaux sociaux ». Nous n'avions pas le droit d'avoir des amis en dehors de ceux de la secte. Il m'est arrivé de faire des choses horribles à sa demande. Il me demandait de « positionner » telle personne en la faisant pleurer, jusqu'à la crise de nerfs. Et je le faisais ! Il a aussi simulé sur un enfant un meurtre rituel, « comme Abraham avec son fils dans la Bible », et nous l'avons laissé faire [...].

Les gens malades n'avaient pas le droit d'aller chez le médecin sans son autorisation. Si la maladie persistait et qu'ils finissaient par s'y rendre, c'est qu'ils avaient mal écouté et mal pratiqué l'enseignement du Saint-élu.

Comment ai-je réussi à partir ? A un moment, il a cessé de me demander des choses sexuelles, il est parti en Ariège, nous le voyions moins. Un phénomène étrange s'est alors produit : je ne rêvais plus de lui, je n'avais plus de révélations. Un jour, au téléphone, il m'a dit qu'il avait eu une révélation sur moi et m'a demandé de tout quitter pour le rejoindre en Ariège, pour des « missions particulières ». J'en étais incapable et j'ai décidé d'en parler à mon mari. J'avais décidé que si mon mari m'encourageait à partir, je me suiciderais, malgré mes trois enfants. Je lui ai alors raconté ce que j'avais subi, car il l'ignorait. Mais mon mari, quand il a compris de quoi il retournait, a dit « stop ».

Ensemble, nous avons décidé d'ouvrir les yeux aux autres. C'était impossible : immédiatement, nous étions passés du côté du diable. L'exit counseling est une notion importante. Une extraction de force est vouée à l'échec, car considérée par l'intéressé comme l'oeuvre du diable. Pour partir, il faut vraiment un déclic personnel... [...]

Le 18 février 2007, j'ai assisté à une dernière réunion. On nous a « positionnés », les menaces étaient de plus en plus fortes. « Tu as compris ? ». « Oui », répondais-je. « Tu ne recommenceras plus ? ». « Non ». « Viens me faire la bise ! ». En l'embrassant, je me suis dit intérieurement : « C'est la dernière fois que tu me vois ».

Une fois la décision prise, quelle peur panique m'a envahie, de m'être trompée ! Quelles « lois de retour » allions-nous subir pour avoir désobéi ? J'étais terrorisée. Les nuits blanches ont commencé...

Me Daniel Picotin . - A la cour d'assises de l'Ariège, ce témoignage a duré 4 heures sans interruption... Difficile de concentrer vingt-deux ans et sept mois en si peu de temps.

Mme L .- J'ai appris lors de la procédure ce qu'il avait fait aux enfants. Cela a été terrible : je n'avais rien vu, j'avais été incapable de les protéger. Le gourou a été condamné à une peine de quinze ans de prison en première instance - adultes et enfants ont été reconnus comme victimes. Finalement, en appel, il a écopé de dix ans de prison, pour les enfants uniquement. Le président du tribunal nous a expliqué que la loi About-Picard était floue et difficilement applicable... Qu'importe, j'avais fait mon devoir de citoyenne, de mère, d'épouse. Mais je n'ai pas su protéger les enfants. J'ai réussi à porter plainte en me disant : si moi, adulte, je ne peux le faire, comment un enfant le pourra-t-il ? Grâce à cette condamnation à dix années de prison, les enfants, qui ont eu gain de cause, vont pouvoir se reconstruire : car le gourou a été reconnu « coupable ».

M. Alain Milon , président . - Entendons votre mari, qui a vécu avec vous dans ce cadre de la secte.

M. L . - Un très grand nombre de personnes sont susceptibles d'entrer dans une secte : il suffit de rencontrer la mauvaise personne au mauvais moment. Moi-même, à dix-neuf ans, sortant de l'adolescence, d'une éducation chrétienne un peu pesante, je me sentais enfin libre, et j'étais peu disposé à rentrer dans une secte. Je n'étais donc pas très sensible à son discours sur la religion... Mais mon épouse était convaincue, aussi je me suis mis à l'écouter. L'enseignement était subtil, et reposait sur un principe simple : M. Le Dinh - ou Tang - dirige un groupe humanitaire et caritatif, qui lutte contre l'injustice. Il a reçu une révélation du Christ. Le fait que nous l'ayons rencontré n'est en rien dû au hasard, car le hasard n'existe pas : la rencontre devait se produire. Puisqu'elle a eu lieu, nous avons nous aussi une mission, nous sommes ses disciples.

A dix-neuf ans, ce discours ne me touchait guère. Cependant, j'ai continué à me rendre aux réunions. Six mois plus tard, j'étais un adepte. Je travaillais la journée, et le soir, je prenais mes repas en commun, j'écoutais l'enseignement spirituel et mystique jusqu'au petit matin. Notre mission était claire : il s'agissait de servir Dieu, et comme Tang en était l'intermédiaire, de le servir. Vingt-deux ans à ce régime m'ont convaincu que je vivais dans la vérité, que l'extérieur était le mal. Le soir, il nous demandait jusqu'où nous irions pour lui. « Me donnerais-tu ta maison ? Ton épouse ? Tes enfants ? »

Au gourou, on doit la vie. Par conséquent, si nous sommes malades, c'est que nous avons désobéi. Deux solutions s'offrent à nous : la foi en le maître, qui nous donnera la guérison, ou le recours au docteur, mais cette solution prouve la faiblesse de notre foi...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Quelles étaient les motivations des gens qu'il parvenait à convaincre ? Avaient-ils des problèmes de santé ?

Mme L . - En vingt-deux ans, j'ai vu toutes sortes de motivations. Il organisait des conférences, jusque dans des maisons de retraite. J'ai vu des gens rester, d'autres partir. Un noyau dur s'est créé, dont je faisais partie.

Un exemple sur la santé : une adepte de la secte avait une fille handicapée, et avait rejoint la secte en désespoir de cause. Il lui a promis la guérison. Dans cet espoir, elle a vécu les pires souffrances... Certains cherchent une famille, d'autres ont des problèmes de coeur, d'autres encore de santé. Ceux qui restent ont en commun une fragilité. Il y a aussi des personnes qui ont besoin qu'on dirige leur vie, qui sont incapables de prendre une décision. C'est une difficulté, quand on s'en sort : prendre des décisions soi-même !

M. L . - Il a été professeur d'arts martiaux et recrutait par ce biais également.

Mme L . - Il y a déjà cette notion de maître à élève dans les arts martiaux.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Les gens pensaient-ils être guéris ?

Mme L .- Pour ma part, j'y ai cru. J'ai eu des apparitions, des rêves. Je voyais l'armée céleste auprès de lui. Le manque de sommeil, les réunions quotidiennes avaient fait leur effet. Si je souffrais encore, c'était parce que j'avais encore des doutes.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Les malades étaient-ils soustraits à leur traitement ?

M. L . - Il mettait les gens face à leur foi. « Si tu es prêt à te donner à Dieu, tu peux abandonner ton traitement : Dieu te donnera la guérison». Certains l'ont fait ; ils allaient de mal en pis et finissaient à l'hôpital. Mais c'était parce qu'ils n'avaient pas la foi !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Et les maisons de retraite ?

Mme L . - Il passait des annonces dans des journaux ésotériques et proposait des conférences. Au début, il était question d'action humanitaire, de chrétienté...Mais très vite, au sein d'un groupe, il repérait quelques personnes, puis les isolait pour leur parler de ses révélations. Il avait aussi besoin d'argent !

Mme Catherine Deroche . - Tous les deux aviez un travail. Est-ce que vous participiez financièrement ? Vos enfants étaient-ils scolarisés ?

Je suis frappée par la clarté de votre analyse. Avez-vous fait un travail, avec des psychologues ?

M. Alain Milon , président . - A la différence de Mme Deroche, je suis un peu gêné par la connotation très psychanalytique ou psychologique de vos récits, qui me paraissent très dirigés. Il me semble que vous ne nous racontez pas comment vous êtes entrée dans la secte, mais ce que les psychologues vous ont expliqué de votre entrée dans la secte.

Mme L . - J'étais en recherche spirituelle, et je cherchais une famille. Quelques jours avant ma rencontre avec le gourou, j'avais été marquée par un film, Le cristal noir . Lors de la première réunion, il a parlé de cristal... Puis il m'a prise à part, me disant « Il a dû t'arriver quelque chose récemment, car notre rencontre ne doit rien au hasard ». Je lui ai parlé du film. Puis, il m'a présenté les adeptes comme ma famille : toutes ces personnes, je les avais déjà rencontrées, dans une vie antérieure. Il parlait de « retrouvailles ».

Il m'a prévenue : le mal allait tout faire pour se mettre entre nous. Je me suis dit : « si j'ai envie d'y revenir, qu'est ce qui pourrait m'en empêcher ?». Un soir, ma mère m'invite alors à dîner. Or, il y avait une réunion du groupe. Je ne voulais pas rater la réunion parce que je m'étais engagée. Aussi, nous y apparaissons tardivement, après le dîner. On nous entoure, on nous « positionne » : si nous sommes en retard, c'est que les forces du mal ont voulu nous empêcher de venir. Grâce au travail de Tang, nous avions réussi à échapper à ces forces maléfiques. C'était la deuxième réunion : le recrutement était achevé.

Me Daniel Picotin . - Une heure peut suffire...

M. Alain Milon , président . - Que pensent les psychiatres et psychologues des propos tenus par les victimes ?

Mme I. L . - Toutes ces personnes ont fait un travail personnel, indispensable pour se reconstruire, qui leur a permis de comprendre comment elles sont devenues victimes d'une emprise mentale. Des experts psychiatres mandatés par la justice établissent des rapports, que les intéressés peuvent lire. Ils ont pu y voir exposé ce que nous appelons le système d'accrochage. Mais ici j'ai surtout entendu du témoignage, peu d'interprétation !

En dehors du champ des dérives sectaires, j'interviens comme expert et je travaille avec des victimes, mais également avec des auteurs, qui ont eux aussi besoin de comprendre leur passage à l'acte.

Tout cela est très lié à l'histoire de chaque sujet. Chaque victime a une fragilité psychofamiliale qui lui est particulière. Pour moi, il existe des couples victime-auteur ou adepte-gourou, qui effectivement ne doivent rien au hasard.

Ces personnes arrivent cependant à se reconstruire. Pendant des années, elles ont diabolisé, le monde extérieur à la secte. Elles l'ont chargé de toute responsabilité. Notre travail consiste à les faire réfléchir sur leur responsabilité de victime.

Mme Catherine Génisson . - Une question à Mme L. : comment expliquez-vous que le gourou ait exercé une attractivité plus forte que les liens qui vous unissaient avec votre mari ?

Mme L . - Le gourou me disait que pour que mon mari reste, je devais en faire encore plus ! J'étais responsable. Il fallait accepter la souffrance et savoir dépasser ses limites.

M. L. - Au bout de six mois, elle avait totalement adhéré. Si je partais, je la perdais. Je ne le voulais pas... M. Le Dinh disait « Ne croyez pas tout ce que je vous dis. Appliquez-le et vous comprendrez ». Et je me suis auto-conditionné par la prière.

Mme I. L . - Le gourou consacre l'intégralité de son temps à la manipulation mentale. Constamment, il donne des ordres, il tire les ficelles. Son rythme est infernal ; il n'arrête jamais ! [...]

Ce ne sont pas des escrocs normaux, ce sont des sujets pathologiques, éminemment mythomanes et paranoïaques. Ils ont tous des pathologies mentales. Ils sont responsables pénalement, mais ont des egos surdimensionnés, une pathologie narcissique extrême. On retrouve la même litanie chez tous. Ces gens laissent aller leur imaginaire et il est impossible de les arrêter. Les entendre des heures durant produit presque une forme d'anesthésie psychique.

Mme Catherine Génisson . - Ce que vous dites m'inquiète, on est à la limite de l'irresponsabilité pénale. Qu'ils soient marginaux, soit, mais ne sont-ils pas plutôt machiavéliques ? Après tout, ils connaissent à fond les mécanismes psychologiques et les utilisent à 300 %.

Mme A. D .- Leur mode de relation à l'autre est fondé sur l'emprise. Ce ne sont pas des escrocs traditionnels.

M. Stéphane Mazars. - Sont-ils des gourous ou jouent-ils le rôle de gourou ?

Mme A. D . - Certains sont délirants ; d'autres poursuivent une stratégie. Gilbert Bourdin, le gourou du Mandarom, est mort psychotique : il a fini par décompenser. Raël, que j'appelle le VRP de la cause extra-terrestre, n'avait certes pas de pathologie avérée, en dehors d'un narcissisme disproportionné, mais il avait une addiction au sexe : il lui fallait vingt-sept rapports par jour. Par sa secte, il avait créé son cheptel. Ce qui ne fait pas de lui un irresponsable au sens de l'article 64-1 du code pénal.

Me Daniel Picotin . - Aucun des trois gourous, dans les cas exposés aujourd'hui, n'a été considéré comme irresponsable pénalement.

Mme I. L. - On ne peut parler de discernement aboli pendant vingt-deux ans... Ces êtres sont des prédateurs, des parasites : aucun ne travaille. Raël n'a jamais cru qu'il était le demi-frère de Jésus, mais il a récolté des fonds grâce à ce lien familial...

Mme Muguette Dini . - Une forte éducation religieuse prédispose-t-elle à être victime ? Les manipulateurs ont-ils un profil type ? Peut-on le définir, et les détecter en amont ?

Mme A. D . - L'éducation religieuse ne joue pas un rôle particulier. Il y a deux à trois profils de pervers manipulateurs. En 1986, Robert Le Dinh avait déjà été condamné, or il a poursuivi ses méfaits.

Mme Muguette Dini . - Y a-t-il beaucoup de manipulateurs dans la vie quotidienne ?

Mme I. L. - Non. Je n'adhère pas à la thèse qui est développée par exemple dans le livre Les manipulateurs sont parmi nous ... Dans les sectes, il y a création d'un monde imaginaire dans lequel le gourou va enclaver des personnes ordinaires. Cela n'a rien à voir avec les relations de la vie quotidienne.

Mme Hélène Lipietz . - Pourquoi ne pas avoir songé à aller voir un prêtre ?

[...]

Mme Christine de Védrines - Je suis catholique pratiquante. Nous habitions un petit village où la famille de mon mari était connue depuis 300 ans. Or ni le prêtre, ni le pasteur, ni même le maire ne sont venus nous voir. Nous avons fait peur.

Me Daniel Picotin . - Le maire était aussi un sénateur...

M. Stéphane Mazars . - Il est difficile de vous comprendre. Vous racontez votre entrée dans la secte, mais pour quelqu'un de rationnel, entendre parler d'« élu de Dieu » semble ubuesque ! A quel moment et pourquoi fait-on fi de la rationalité, de l'éducation chrétienne que l'on a reçue ?

Mme I. L. - On en revient à la fragilité personnelle, au besoin de croire. C'est une histoire d'assemblage : M. L. n'avait pas besoin de croire en l'« élu », mais il avait besoin de croire en l'amour. Mme Christine de Védrines a d'abord été réticente, mais son fils avait un destin à accomplir... Le piège est personnalisé et le système vous broie peu à peu.

[...]

Mme Catherine Génisson . - N'oublions pas la voracité du gourou pour l'argent. On ruine les gens psychologiquement, mais on les ruine aussi tout court !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Avez-vous travaillé sur de grandes organisations à caractère sectaire ? Nous parlons ici de gourous n'ayant pas bien réussi !

Mme I. L . - La taille de l'organisation ne change rien à notre travail : nous écoutons les familles, essayons de comprendre avec elles le système d'accrochage, comment leur proche a été harponné. Nous travaillons à opérer un décrochage des victimes de ce monde imaginaire, de la même façon dans les petites ou grandes organisations.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Comment réagissent les grandes organisations ?

Mme A.D . - Par des pressions : courrier, mails, téléphone...et même lettres de diffamation à l'entreprise si l'adepte travaille. C'est pourquoi il faut l'isoler.

[...]

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Comment analysez-vous les attaques de la Scientologie envers la psychiatrie ? Pourquoi a-t-elle concentré là ses tirs ?

Mme I. L. - Ron Hubbard était lui-même un grand paranoïaque et il a eu maille à partir avec la psychiatrie. Il en a gardé une rancune tenace, qui transparaît dans sa prose. Il est d'ailleurs facile, en lisant les écrits des gourous, leurs blogs, de repérer leurs points sensibles. Cela nous aide pour faire décrocher les adeptes.

Les démarches sont plus compliquées avec des petits groupes plus secrets [...].

Me Daniel Picotin .- Les gourous ne peuvent se réadapter, et recommenceront à leur sortie de prison. C'est pourquoi il faut prévoir des peines lourdes. Dans la salle d'audience du procès de Tang, il y avait seize adeptes. Nous l'avons signalé à la Miviludes. Les adeptes sont contrôlés par le gourou depuis sa prison. Pour certains spécialistes, l'espoir de réadaptation est nul : c'est leur structure qui est ainsi faite.

Mme I. L. - C'est ce qu'on appelle en psychopathologie clinique leur point de jouissance. Ils n'ont que ça... Pour qu'ils en sortent, il faudrait une injonction de soins sur le long terme. Et encore. Cela dit, on affirmait dans le passé que les pédophiles n'étaient pas réadaptables, or des progrès sont possibles, dès lors que la personne est demandeuse. En psychologie et en psychanalyse, on part en effet de la demande du patient. Nous avons créé des groupes de parole, pour faire émerger cette demande. Cela peut fonctionner, au bout de deux ou trois ans. Connaissant bien le cas Tilly, je crois que si je le voyais une fois par semaine, je pourrais obtenir quelques résultats avec lui.

Mme L . - Lors de son séjour en prison en 1986, M. Le Dinh a recruté de nouveaux adeptes...

Mme I. L. - Et ses adeptes payent ses trois avocats, dont deux très réputés. Ils cantinent pour lui : chaque mois il reçoit un mandat.

Me Daniel Picotin . - Je vous remercie de votre attention, et je place un certain espoir en vous. La manipulation et l'emprise mentales sont un véritable fléau social. Des familles sont brisées du jour au lendemain, comme si elles étaient touchées par le cancer ou le sida. Or cela est difficile à comprendre, on se demande « comment ils ont pu avaler de telles sornettes ». Les juristes ne comprennent pas non plus le phénomène. C'est une erreur totale d'en rester à la notion de libre-consentement. J'essaye de récupérer le château de la famille de Védrines, en invoquant le vice de consentement. La manipulation mentale n'est ni un crime ni un délit et il n'y a pas d'indemnisation du préjudice. Dans l'échelle des peines enfin, mieux vaut devenir gourou et faire de nombreuses victimes que de cambrioler un coffre-fort du Crédit Agricole... Il n'existe pas de centres de reconstruction pour les victimes. La semaine dernière, j'ai reçu la jeune veuve d'un homme qui s'est donné la mort après un stage de trois jours de coaching, employant la technique de la PNL.

Mme I. L. - Plusieurs procès vont s'ouvrir dans les semaines ou les mois qui viennent, impliquant des sectes - des affaires dans lesquelles nous sommes intervenus. Vous en entendrez parler dans la presse.

Audition de M. Roger GONNET, ancien cadre de l'Eglise de la Scientologie (mardi 5 mars 2013)

Mme Muguette Dini , vice-présidente . - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Roger Gonnet, ancien responsable de l'Eglise de la Scientologie à Lyon, qui a accepté de venir témoigner aujourd'hui devant nous de son expérience à la fois d'ancien adepte et de militant antisecte (c'est d'ailleurs le nom du site qu'il consacre depuis plusieurs années à la dénonciation des méfaits de la Scientologie).

Cette réunion est ouverte au public et à la presse ; son compte rendu sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Je rappelle à l'attention de M. Gonnet que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, qui est donc notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Gonnet de prêter serment.

Je précise pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Roger Gonnet, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Roger Gonnet . - Je le jure.

Mme Muguette Dini , vice-présidente . - Je donne la parole à M. Gonnet pour un rapide exposé introductif ; puis les membres de la commission d'enquête ici présents interviendront pour poser des questions.

M. Roger Gonnet . - Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir convié à expliquer l'expérience que j'ai pu accumuler sur les mouvements sectaires et leur influence, en particulier dans le domaine sanitaire.

Je commencerai mon propos par vous faire une citation de Ron Hubbard, fondateur de la Scientologie :

« La Scientologie héritera des hôpitaux, des cliniques, des asiles, des amphithéâtres, où on a abusé de l'humanité. La Scientologie va devoir hériter du devoir de signaler une meilleure route pour l'homme » 8 ( * ) .

Cette citation est éloquente de la prétention extraordinaire de Ron Hubbard par rapport à la santé.

J'ai entendu parler pour la première fois de la Scientologie par un de mes oncles en 1968. J'y suis entré en 1974 avec ma femme. Nous avions lu la Dianétique , de Ron Hubbard. Nous étions passionnés par la psychologie. Nous avons été très intéressés par la logique interne à cet ouvrage. Ron Hubbard prétendait avoir étudié avec un disciple de Freud, ce qui ne pouvait que nous attirer. La Dianétique permet aux gens de rechercher leurs traumas - en langage scientologue, leurs « engrammes », « secondaires » et « locks » - ou « verrous ». Les verrous vous rappellent dans le présent des ennuis que vous avez eus dans le passé. Avec la Dianétique , on devient un « clair », être sans maladie, doté d'une mémoire parfaite. On peut remonter dans sa vie intra-utérine.

Puis Ron Hubbard a publié La Science de la survie , où il est question de vies antérieures. En 1965, Ron Hubbard a révélé que - il faut dépenser 100 000 euros pour accéder à ce degré de connaissance considérée comme particulièrement secrète par les Scientologues - chaque être humain était constitué d'une multitude d'individus vivants « collés » ensemble il y a 75 millions d'années. Ces parasites qui habitent nos corps sont la plupart du temps endormis. Quand ils se réveillent, ils nous influencent et causent nos maladies ; ils sont la cause de toutes nos misères. Ces connaissances relèvent du niveau OT.III. A ce niveau, les Scientologues apprennent à parler par télépathie.

Grâce à la Scientologie, on est censé au bout d'un temps ne plus être malade... Je laisse à la commission d'enquête, pour son édification, une bande dessinée qui livre une histoire illustrée de la Scientologie et qui explique l'absurdité de ces « body-thétans ».

Pour en revenir au lien entre la Scientologie et la santé, dès la publication de la Dianétique , la Scientologie était supposée guérir le cancer. Comme une fois sur 200 ou 500, on peut constater une amélioration inexpliquée de l'état d'un malade, certains ont vraiment pu croire aux vertus guérisseuses de la Scientologie.

Mme Muguette Dini , vice-présidente . - Pouvez-vous évoquer les raisons de votre engagement dans la Scientologie ? Comment êtes-vous devenu « pasteur » ?

M. Roger Gonnet . - J'ai évoqué le fait que j'avais lu la Dianétique de Ron Hubbard. J'avais été attiré par l'immense succès de ce livre, en tête des ventes selon le palmarès du New-York Times , en 1950. Après cette lecture, ma femme et moi-même nous sommes « audités ». Au bout d'un quart d'heure, ma femme a déclaré avoir retrouvé un souvenir enfoui depuis l'âge de trois ans. La technique avait fonctionné ! Un premier pas était dès lors franchi. Nous avons pris un cours de communication. Ce type d'enseignement est destiné à débarrasser les gens d'une part de leur timidité. Par exemple, on apprend à parler en public. En contrepartie, on développe un égo hypertrophié !

J'ai trouvé intéressant de donner des cours en entreprise. J'ai donc ouvert un centre de Scientologie qui fonctionnait selon les principes de la franchise.

Le problème, une fois qu'on est entré dans ce processus, c'est qu'on se retrouve « coincé ». On vend des cours, des heures d'« audition » (une sorte de psychanalyse, à la manière de Ron Hubbard), on doit délivrer aux « clients » les cours qu'ils ont déjà payés.

A l'époque, je traduisais en outre les cours de Scientologie qui paraissaient les uns après les autres.

Est apparu un processus particulièrement dangereux à mon avis : c'est la « purification ». Un jour, une dame de soixante et onze ans a fait une syncope ; le processus comportait 4 h 30 de sauna tous les jours pendant des semaines. Pour la plupart des gens, la « purification » durait entre onze et vingt jours. Le record dont j'ai entendu parler a été de six mois.

Aux séances de sauna s'ajoute un surdosage de vitamines, comportant 250 fois la dose journalière conseillée. La niacine est une provitamine qui se transforme en vitamine par métabolisation. C'est un puissant vasodilatateur. Le traitement n'est pas sans danger : il y a eu des décès à cause de la « purification ».

Quand survient un malaise au sauna, on ne soigne pas nécessairement la personne. Une jeune femme a eu des problèmes un jour pendant une séance de sauna. Cela s'est terminé à la clinique, où je l'ai fait transporter. Par la suite, elle a atteint un niveau très élevé dans la hiérarchie de la Scientologie - OT.VIII. Elle est d'ailleurs morte d'un cancer alors qu'elle était traitée à la « Flag », en Floride.

Mme Muguette Dini , vice-présidente . - Comment êtes-vous sorti de la Scientologie ? Quand et pour quelles raisons ?

M. Roger Gonnet . - J'avais traduit de nombreuses oeuvres de Ron Hubbard en français. J'avais donc pu me rendre compte des insuffisances de la doctrine, notamment dans le domaine de la gestion d'entreprise que je connaissais bien. Ces défaillances m'ont paru petit à petit insupportables. Quand ma femme et moi avons demandé des explications, nous avons été considérés comme des indésirables. La Scientologie a pensé que nous renoncerions à partir face à ces tracasseries.

M. Jacques Mézard, rapporteur . - Pouvez-vous nous préciser comment la Scientologie considère la médecine allopathique ?

M. Roger Gonnet . - La Scientologie a tendance à rejeter en bloc la médecine, sauf les antibiotiques et l'homéopathie. Il faut demander la permission d'aller chez le médecin ou de prendre un médicament - c'est le superviseur qui donne l'autorisation. Cette réserve vis-à-vis de la médecine ne vaut toutefois pas pour les accidents, comme par exemple une fracture.

Avant de consulter un médecin, il faut faire ce qu'on appelle le « procédé d'assistance » ( touch assist en anglais). Cela consiste à effectuer des pressions avec le doigt sur différents points du corps.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Ce procédé, vous l'avez fait ? Vous l'avez subi ?

M. Roger Gonnet . - Absolument.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Aviez-vous le sentiment que cela servait à quelque chose ?

M. Roger Gonnet . - En partie. J'ai pu constater un jour que ce procédé avait servi à une jeune femme d'avoir la révélation qu'elle était enceinte...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - L'autorisation d'aller chez le médecin est-elle généralement accordée ?

M. Roger Gonnet . - Oui, quand ils sentaient qu'un refus pourrait causer des ennuis. Mais on peut laisser les gens mourir. Voyez l'exemple de Lizza Mac Pherson, décédée pendant sa séquestration qui a duré dix-sept jours...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Les scientologues demandent-ils à des médecins s'il convient d'envoyer un adepte à l'hôpital ?

M. Roger Gonnet. - Les médecins se bornent généralement, sous l'autorité du « superviseur des cas », à contrôler le processus de purification.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Ce processus est toujours en vigueur aujourd'hui ?

M. Roger Gonnet. - Vraisemblablement.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Que pouvez-vous nous dire des attaques systématiques des Scientologues contre la psychiatrie ?

M. Roger Gonnet. - Ron Hubbard avait, à l'origine, de graves problèmes psychologiques. Il a eu une très mauvaise expérience des psychiatres à titre personnel quand il a quitté l'armée après la guerre. La Dianétique a été très mal accueillie par les psychiatres qui ont beaucoup critiqué cet ouvrage. Pour toutes ces raisons, Ron Hubbard a par la suite toujours été très hostile aux psychiatres.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Pourquoi y a-t-il deux associations scientologues contre la psychiatrie (la CCDH et le Comité des médecins et des citoyens contre la psychiatrie) ?

M. Roger Gonnet. - La CCDH est une des nombreuses associations scientologues. Elle relève du « Département 20 » dédié à l'infiltration sociétale. L'idée est que toute technique non hubbardienne - dont la psychiatrie - est néfaste, d'autant que Ron Hubbard prétend être capable de tout soigner.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Y a-t-il des liens entre la Scientologie et le New Age ?

M. Roger Gonnet. - Je dirais que l'origine de la Scientologie réside dans les techniques de psychothérapie, dont Ron Hubbard s'est inspiré en les dotant d'un vocabulaire spécifique. A l'inverse, d'anciens adeptes de la Scientologie ont à leur tour inventé des techniques de soins en gardant certains aspects de la Scientologie, comme par exemple le recours à l'électromètre.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Pouvez-vous préciser comment fonctionne l'électromètre ?

M. Roger Gonnet. - L'électromètre agit à partir de différences de résistance du corps humain. Ces différences existent, mais il n'est pas pertinent d'un tirer les conséquences qu'y voit Ron Hubbard. Par exemple, les mouvements brutaux de l'aiguille prouveraient de mauvaises intentions de la personne. Or cela peut valoir à celle-ci d'être enfermée : cela traduit assez le danger de ces pratiques.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Quelles sont les relations entre la Scientologie et l'argent ? Combien vous a coûté personnellement votre appartenance à la Scientologie ?

M. Roger Gonnet. - Les frais étaient à mon époque dix fois moins élevés qu'aujourd'hui. Ma femme et moi avons versé environ 200 000 francs chacun. Il faut dire que nous avons effectué nous-mêmes certaines prestations : les dépenses que nous avons effectuées étaient donc moins élevées que ce que nous aurions dû payer normalement. En 1982, une heure d'« audition » coûtait 1 372 francs (environ 200 euros selon le référentiel de prix de l'époque). Aujourd'hui, le prix serait plus élevé : peut-être 600 euros ? A l'heure actuelle, on paye avec les réductions 99 000 dollars les 150 heures d'« audition ». Dans certains cas, on peut facturer 1 000 dollars l'heure.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Avez-vous lu le livre témoignage de Jenna Miscavige, Rescapée de la Scientologie , qui vient de paraître ? Qu'en pensez-vous ?

M. Roger Gonnet. - Ce témoignage est excellent. Il m'a permis d'apprendre des choses sur la manière dont les enfants sont traités. Pourtant, mes propres enfants n'ont pas été épargnés par la Scientologie. Mais cela n'avait pas atteint le degré d'aberration que décrit le livre. On y voit aussi quelque chose d'intéressant : c'est le népotisme pratiqué par le chef de la Scientologie.

Mme Muguette Dini , vice-présidente . - Rien dans ce livre ne vous a paru invraisemblable ?

M. Roger Gonnet. - Je suis pratiquement certain que tout ce que raconte l'auteur est exact. Certes, il peut y avoir des affabulations chez certains ex-adeptes, mais ce n'est généralement pas le cas.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Combien y a-t-il de scientologues en France actuellement ?

M. Roger Gonnet. - En tout, 1 500 personnes ; parmi celles-ci, 300 ont atteint un certain niveau de responsabilité. Il y avait 150 personnes à la grande réunion organisée à Montreuil en janvier 2013. C'est ce que comptait en 1975 la seule organisation parisienne.

Mme Muguette Dini , vice-présidente . - Il y a aurait donc un certain déclin ?

M. Roger Gonnet . - Je pense. Mais ce déclin n'a pas de conséquences, à mon avis, sur le plan financier.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous êtes resté scientologue pendant huit ans ?

M. Roger Gonnet. - C'est exact.

Mme Catherine Deroche . - Avez-vous subi des pressions quand vous avez quitté la Scientologie ?

M. Roger Gonnet. - J'ai fait l'objet de diffamations. Ma femme et moi sommes devenus des « bêtes à abattre ». J'ai participé à des émissions de télévision pour témoigner. Nous avons demandé à la Scientologie de nous rembourser une partie de l'argent que nous y avions dépensé. Cela nous a été refusé. J'ai même reçu la visite d'un huissier parce que j'avais contribué à la rédaction d'un article du Quid qui a été jugé diffamatoire par la Scientologie.

En 1996, j'ai créé le premier forum antisectes en France. Les tentatives de déstabilisation se sont alors accrues à mon encontre. J'ai été attaqué en justice ; je n'ai pas gagné tous mes procès (il y en a eu dix avec les procédures en appel). J'ai même subi des tentatives de déstabilisation par l'intermédiaire d'autres mouvements sectaires comme les Raëliens.

Mme Catherine Deroche . - Vous avez évoqué la purification et les vitamines associées à cette « procédure ». D'où viennent-elles ? Sont-elles produites dans des laboratoires dépendant de la Scientologie ?

M. Roger Gonnet. - A l'origine, j'avais demandé à une pharmacie de se charger de cette production. Ces vitamines ont par la suite été produites à l'étranger : Pays-Bas, Grande-Bretagne, États-Unis.

Mme Muguette Dini , vice-présidente . - Peut-on devenir Scientologue sans y entraîner sa famille ?

M. Roger Gonnet. - Le problème, quand on est Scientologue, c'est qu'on y passe ses week-ends, qu'on est conduit à renoncer à ses vacances, à assister à des conférences quand on vous le demande... De fait, on abandonne sa famille. Si on ajoute les dépenses considérables liées à l'appartenance à la Scientologie, les séparations et les divorces sont fréquents. La Scientologie détruit les familles.

Mme Muguette Dini , vice-présidente . - Avez-vous arrêté votre activité professionnelle quand vous étiez Scientologue ?

M. Roger Gonnet. - La première année, j'ai poursuivi mes activités. Mais après, je me suis consacré à la Scientologie. Il y avait une « clientèle » assez importante.

Mme Muguette Dini , vice-présidente . - Avez-vous retrouvé une activité professionnelle après votre départ de la Scientologie ?

M. Roger Gonnet. - J'ai eu la chance de bénéficier d'une opération immobilière qui m'a permis de redémarrer. La plupart des adeptes n'ont pas cette chance. Certains se sont lourdement endettés pour payer cours et auditions. Ils ont dépensé beaucoup d'argent et n'ont pas nécessairement pu avoir une situation professionnelle brillante, surtout s'ils sont entrés jeunes.

Mme Muguette Dini , vice-présidente . - Considérez-vous que vous avez été sous emprise ? Qu'est-ce qui selon vous aurait pu justifier votre adhésion ?

M. Roger Gonnet. - La Dianétique fait miroiter une vie meilleure, plus de confiance en soi... Le livre fait de nombreuses promesses.

Pour moi, le but était d'améliorer mes relations familiales, plus particulièrement conjugales.

Mme Muguette Dini , vice-présidente . - Avez-vous toujours des membres de votre famille dans la Scientologie ?

M. Roger Gonnet. - Mon frère. Nous ne nous voyons pas.

Mme Muguette Dini , vice-présidente . - Pourquoi n'en sort-il pas ?

M. Roger Gonnet. - Il a probablement l'espoir, comme de nombreux scientologues, d'accéder à un niveau supérieur de révélation des mystères de la Scientologie. On a l'impression que l'étape suivante va apporter quelque chose de plus.

Mme Muguette Dini , vice-présidente . - Quelle est la part d'une quête spirituelle dans l'adhésion à la Scientologie ? D'après ce que vous connaissez, les Scientologues sont-ils à l'origine déjà des croyants ?

M. Roger Gonnet. - A peu près trois quarts des adhésions sont motivées par des problèmes de couple, des deuils, des difficultés professionnelles. Ça ne veut pas dire que les adeptes sont fragiles. Ce qui se passe, c'est qu'on rencontre la mauvaise personne au mauvais moment...

Mme Hélène Lipietz . - Pourquoi à votre avis des gens connus, comme par exemple des acteurs, deviennent-ils Scientologues ? Qu'est-ce que ça peut leur apporter ?

M. Roger Gonnet. - Je pense que ces adeptes-là subissent leur propre vanité. Mais certains en tirent profit car leur adhésion les conduit à réfléchir. Il faut dire qu'à ce niveau de notoriété, les gens ne sont pas traités comme les autres adeptes. Moi par exemple, je reconnais que, quand j'exerçais des responsabilités à la Scientologie, j'ai probablement mieux traité des notables. Mais vous remarquerez entre parenthèses que si la Scientologie attire des acteurs et actrices, on ne compte pratiquement pas de scientifiques dans ses rangs.

Mme Catherine Deroche . - Vous dites que la Scientologie détruit la vie de famille, et que vos enfants ont eu à en souffrir. Pouvez-vous en parler ?

M. Roger Gonnet. - Les enfants scientologues doivent se mettre à travailler très tôt. Les miens tenaient des postes dans l'organisation le week-end dès l'âge de onze et treize ans. A seize ans, ils ont quitté l'école pour y travailler à plein temps. Ils comptaient sur la rémunération - faible d'ailleurs - que reçoivent les permanents. Je regrette beaucoup qu'ils aient subi cela. Par exemple, l'aîné souhaitait s'acheter une moto ; l'argent a été consacré au certificat de « clair ».

Mme Muguette Dini , vice-présidente . - A quel moment vos enfants ont-ils quitté la Scientologie ?

M. Roger Gonnet. - En même temps que nous.

Mme Muguette Dini , vice-présidente . - Vous parlez d'emploi à plein temps. Y a-t-il en France une organisation qui occupe à plein temps les adeptes de la Scientologie ?

M. Roger Gonnet. - Absolument.

Mme Muguette Dini , vice-présidente . - Où ?

M. Roger Gonnet. - A Paris, par exemple. La porte-parole de la Scientologie, Mme Gounord, pourrait être payée environ 200 euros par mois.

Les scientologues qui ont des enfants sont de plus parfois obligés d'occuper un emploi parallèlement à celui qu'ils tiennent à la Scientologie pour avoir de quoi vivre.

Mme Muguette Dini , vice-présidente . - L'organisation leur donne donc un petit pécule et garde l'argent correspondant au travail effectué ? Les gens sont bien naïfs d'accepter cela... Je vous remercie pour tout ce que vous nous avez appris et pour tous les documents que vous nous laissez.

Audition à huis clos - Témoin n° 4 (mercredi 6 mars 2013)

Mme Muguette Dini , présidente . - Mes chers collègues, nous procédons cet après-midi à des auditions de proches de victimes Trois témoignages de ce type seront ainsi entendus cet après-midi. Pour deux d'entre eux, nous travaillerons à huis clos, conformément à la demande des personnes.

Je veux insister devant vous sur le courage qu'il faut aux personnes auditionnées pour témoigner devant nous. Leur démarche relève du souhait d'informer le public, par le biais de notre rapport, sur les dangers des dérives sectaires dans le domaine de la santé et d'éviter ainsi à d'autres victimes d'être piégées à leur tour. C'est pourquoi nous citerons dans notre rapport de larges extraits des comptes rendus de ces auditions.

Je rappelle à l'attention de notre témoin que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative du groupe RDSE, dont M. Jacques Mézard est président. M. Mézard a été désigné comme rapporteur de notre commission.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander au témoin de prêter serment.

Je rappelle (pour la forme bien sûr) qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Témoin n° 4 . - Je le jure.

Mme Muguette Dini , présidente . -Je vous propose de lancer notre entretien par une courte présentation du cas dont vous venez témoigner, puis mon collègue Jacques Mézard, rapporteur, et les membres de la commission d'enquête, vous poseront quelques questions. Vous avez la parole.

Témoin n° 4 . - Je vous remercie de prendre mon témoignage en considération. J'interviens en tant que père d'une jeune fille de vingt ans, victime depuis deux ans et demi d'un mouvement à caractère sectaire. Tout d'abord, rien dans le contexte de notre famille ne nous a préparés à cela. Ma fille a évolué dans un milieu social protégé, mon épouse et moi avons une formation supérieure scientifique, nous sommes un couple stable. Nous avons un fils qui ne pose aucun problème. Ma fille a toujours été sérieuse, a eu de bons résultats scolaires. Nous avons toujours été ouverts aux discussions scientifiques, politiques, religieuses. Nous avons aussi fait de la prévention, par rapport à l'alcool, à la drogue, aux relations sexuelles non protégées et aux sectes. Notre fille manifestait même une certaine intolérance vis-à-vis des phénomènes religieux et paranormaux.

Juste avant sa rentrée de terminale, elle a rencontré un garçon un peu plus âgé qu'elle, gentil, poli, mais très discret. Quelque temps après le début de leur relation, j'ai découvert par hasard sur internet que les parents de ce garçon proposaient des soins que nous avons trouvés suspects : reprogrammation de l'ADN, reiki, hutte de sudation, désenvoûtement, auto-régénération, etc. Lorsque nous avons discuté avec notre fille de ces soins, elle nous a dit que son ami ne lui en avait jamais parlé, qu'elle avait passé plusieurs jours chez les parents de celui-ci et qu'elle n'avait pas entendu parler de cela. Nous l'avons mise en garde, et elle nous a même reproché de lui faire peur [...].

L'année suivante, notre fille s'est éloignée de nous et beaucoup rapprochée de son ami, nous avons même pensé à un moment à une sorte de dépendance affective. Un an après la rencontre avec son ami, elle nous a annoncé avec une certaine violence qu'elle partait de la maison : alors qu'elle était en weed-end chez les parents de son ami, elle nous a envoyé un mail où elle nous faisait les reproches classiques d'une adolescente à ses parents, sans réel fondement. Nous avons été très surpris.

[ Le témoin évoque alors des relations entre la jeune fille et une medium canadienne. ]

[...]

Nous avons décidé par la suite d'organiser deux rencontres, une avec l'ami de notre fille, une autre avec ses parents. Nous avons ainsi découvert que notre fille était sous emprise directe de son ami, qui l'initiait depuis plus d'un an, alors qu'elle était mineure, lui faisant écouter des enregistrements audio de cette medium québecoise et la faisant participer à des stages proposés par ses parents. Nous avons alors appris que lui et son frère avaient été initiés dès l'âge de treize ans par leur mère. Ils faisaient régulièrement des stages au Québec et en France depuis quelques années. Cette dernière leur a même demandé de payer leurs séances de psychothérapie dès qu'ils ont eu l'âge de subvenir à leurs besoins. Notre fille nous a dit que la mère de son copain avait une formation de psychologie, mais nous n'avons pas eu confirmation de cela. Selon son site internet, elle est psychothérapeute, elle propose des stages, des séminaires. Selon elle, elle fait payer ses fils et ma fille pour les motiver, pour que les séances soient « plus efficaces ». Elle utilise les soins énergétiques comme le reiki, qui est un préambule pour proposer des séances de développement personnel, puis elle expose ses théories spirituelles. Le but final de ses formations est de préparer les adeptes à un nouveau monde. Le changement vers ce nouveau monde aurait dû commencer le 21 décembre 2012, les deux tiers de la population mondiale étaient censés mourir de ce qu'ils appellent une maladie-suicide : les gens qui se sentent mal dans ce monde provoqueraient eux-mêmes cette maladie chez eux. On sait ce qu'il en est aujourd'hui du 21 décembre : évidemment la date du nouveau monde est sans cesse repoussée.

Il semble que la mouvance dont il s'agit soit une mouvance New Age, qui ressemble à l'ordre du Temple solaire, avec derrière un mélange de religion catholique, de chamanisme, de développement personnel, de psychothérapie, de rites amérindiens ancestraux...

Nous avons appris que les beaux-parents de notre fille avaient suivi les enseignements de la femme que nous avions entendue sur l'enregistrement vidéo. Cette femme est québecoise, elle se nomme Gabrielle Frechette. Elle aussi a impliqué toute sa famille. Elle propose de nombreux stages, dont le coût total peut aller jusque 30 000 dollars. Elle a un autre nom, sous lequel elle « exerce », c'est Séréna. Ma fille aussi a changé de nom. Dans ce groupe, elle se fait appeler différemment.

En juillet 2011, au Québec, une jeune femme est morte au cours d'un soin animé par Gabrielle Frechette. Les « beaux-parents » de ma fille étaient présents ce jour-là. Ils assistaient à une séance de sudation, dont le but est de purifier l'âme. Enveloppée dans un film plastique, avec un carton pour masquer la tête, elle est restée ainsi 9 heures. A la fin de la journée, trois personnes ont été admises aux urgences, et elle, elle en est morte, littéralement « cuite ».

[...]

Gabrielle Frechette doit très prochainement comparaître devant les tribunaux québecois.

Pour en revenir à ma fille, elle poursuit son initiation, et pour financer ses stages, elle a arrêté ses études. Elle vit aujourd'hui de l'aide sociale, de petits boulots, et habite un logement insalubre. Malgré ses faibles ressources, elle continue à participer à des stages animés par Gabrielle Frechette, dont un récemment en Tunisie qui pourrait avoir coûté 3 000 euros.

Ma fille et son ami font en outre du prosélytisme, ils veulent créer leur propre structure, en proposant des soins comme le reiki, qui semble être le point d'entrée dans cette mouvance.

[...]

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Êtes-vous allés chez ses « beaux-parents » ?

Témoin n 4 . - Non, mais nous les avons rencontrés. Nous avons eu affaire à une dame avenante, mais qui développait des théories étranges : elle nous a expliqué que pour elle l'Etat et la religion étaient des sectes, elle avait un comportement paranoïaque, elle se pensait surveillée, considérant qu'elle détenait la vérité et était menacée à cause de cela.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Les adeptes de cette mouvance sont-ils nombreux ?

Témoin n° 4 . - Cela semble fonctionner par petites cellules familiales, il semble qu'il y ait une vingtaine d'adeptes dans notre département. J'ai appris récemment qu'il y avait une autre structure dans un autre département. Selon les médias canadiens, il y aurait 2 000 adeptes, au Canada, en Suisse et en Belgique essentiellement.

[...]

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Sur le site du centre de développement que vous évoquez, il y a des développements sur l'autoguérison. Vous a-t-elle parlé de cela ?

Témoin n° 4 . - Très peu. Au tout début, elle nous a parlé d'une méthode d'autoguérison, qu'elle devait pratiquer pendant trois mois. Mais nous n'en avons pas su plus.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Il y a des choses assez inquiétantes dans ce domaine : la possibilité d'intervenir sur son propre fluide sanguin ou de vivre une reprogrammation ADN. Votre fille s'est engagée dans cette mouvance alors qu'elle était mineure ?

Témoin n° 4 . - Oui. Mais nous nous sommes rendus compte de cela trop tard, alors qu'elle avait déjà atteint ses dix-huit ans. Pour les autorités, elle est libre de croire ce qu'elle veut.

[...]

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Quelles dispositions législatives pourraient vous aider dans votre situation ?

Témoin n° 4 . - Nous avons avant tout besoin de soutien, car nous avons du mal à être entendus, ou mêmes crus... Il faudrait interdire à ses beaux-parents de continuer à exercer. J'ai envoyé un courriel à l'ARS, leur précisant notamment qu'une psychothérapeute devait être déclarée. L'ARS a répondu qu'elle avait constaté l'absence de déclaration et a dit qu'elle avait prévenu les instances compétentes en matière de santé, mais que pour aller plus loin, il fallait que je porte plainte. Mais on ne peut rien faire : rien n'interdit de pratiquer le Reikï, tant que les gens y croient.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Ceci est intéressant !

Mme Catherine Deroche . - On incite votre fille, au sein de ce mouvement, à couper les liens, or elle ne le fait pas, cela veut dire qu'elle n'est pas totalement sous emprise. Comment sont ses relations avec le reste de la famille ?

Témoin n° 4 . - Elles sont quasi-nulles avec son frère. Elle voit ses grands-parents à l'occasion. [...]

Mme Catherine Deroche . - Votre fille a-t-elle subi des violences ?

Témoin n° 4 . - Non, c'est vraiment insidieux, il n'y a pas de violence physique, de séquestration. Il s'agit en revanche d'un réel travail de sape.

[...]

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Avez-vous constaté des changements physiques chez votre fille ?

Témoin n° 4 . - Non. C'est ce qui est compliqué, car le constat est que physiquement elle se porte bien, mais mentalement, c'est autre chose. Un exemple dernièrement : elle a été très paniquée par la météorite qui est tombée en Russie. Nous avons alors dit que cela faisait deux ans et demi qu'elle payait des soins et qu'elle voyait sa belle-mère en psychothérapie, mais que pourtant ses angoisses ne disparaissent pas...

Mme Muguette Dini , présidente . - La sudation extrême n'affecte-t-elle pas la santé ?

Témoin n° 4 . - Je ne sais pas si ma fille l'a fait. Ses beaux-parents oui, en revanche.

Mme Muguette Dini , présidente . - La seule possibilité de les atteindre est peut-être par la mise en danger qu'impliquent ces séances de sudation.

Témoin n° 4 . - En tous cas, Gabrielle Frechette va rendre des comptes à la justice canadienne : il y a eu une enquête sérieuse de la police québécoise.

Mme Muguette Dini , présidente . - Nous vous remercions pour ce témoignage, qui nous impressionne, et qui nous met vraiment dans le vif du sujet.

Audition à huis clos - Témoin n° 5 (mercredi 6 mars 2013)

Mme Muguette Dini , présidente . - Mes chers collègues, Nous poursuivons nos auditions de cet après-midi, consacrées aux témoignages de proches de victimes.

Nous travaillons pour cette audition encore, comme pour la précédente, à huis clos, conformément à la demande du témoin.

Je veux insister une nouvelle fois devant vous sur le courage qu'il faut aux personnes auditionnées pour témoigner devant nous. Cette démarche relève du souhait d'informer le public, par le biais de notre rapport, sur les dangers des dérives sectaires et d'éviter ainsi, espérons-le, à d'autres victimes d'être piégées à leur tour.C'est pourquoi nous citerons dans notre rapport de larges extraits des comptes rendus qui vont être établis de ces auditions.

Je précise à l'attention de notre témoin que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative du groupe RDSE, dont M. Jacques Mézard, notre rapporteur, est président.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander au témoin de prêter serment.

Je rappelle (pour la forme bien sûr) qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Le témoin se lève et prête serment.

Je vous propose de lancer notre entretien par une courte présentation du cas dont vous venez témoigner, puis les membres de la commission d'enquête, vous poseront quelques questions.

Vous avez la parole.

Témoin n° 5. - Je vais vous parler de ma soeur, née en 1950, qui a adhéré à Invitation à la vie (IVI) au début des années 1990. Elle s'est suicidée en janvier 2011 en se jetant par la fenêtre de son appartement. Je ne sais pas ce que vous savez de cette secte...

Mme Muguette Dini , présidente . - Nous les avons reçus la semaine dernière.

Témoin n° 5 . - Ma soeur était enseignante. Nous avions eu pendant notre enfance une éducation religieuse, mais nous étions tous les deux « passés à autre chose ». J'ai le sentiment qu'elle ne croyait en rien. Elle devait avoir quarante ans au moment de son adhésion à IVI. Elle avait auparavant fait un détour par la Scientologie. Elle y a acquis la conviction que notre mère avait essayé d'avorter quand elle l'attendait. Elle assurait qu'elle avait vu l'aiguille à tricoter qui devait interrompre cette grossesse. Je suis convaincu que c'était faux. J'en ai parlé avec notre mère et je sais qu'elle disait la vérité quand elle niait avoir tenté d'avorter. Ce souvenir n'était pas réel, mais ma soeur était persuadée que ça s'était vraiment produit.

Nous avons alors commencé à perdre le contact. Ça devenait impossible de lui parler normalement.

J'ai entendu parler d'IVI plus tard, mais je pense que c'est à ce moment-là qu'elle est tombée sous leur coupe. Elle a alors coupé les ponts avec notre mère. Elle a aussi commencé à être très occupée.

Mme Catherine Deroche . - Continuait-elle à travailler, selon vous, à cette époque ?

Témoin n° 5 . - Elle a eu une sorte de dépression. Elle semblait confrontée à des difficultés professionnelles et sentimentales. Elle a enchaîné les congés maladie, puis elle a cessé son activité.

Mme Catherine Génisson . - Quel âge avait sa fille quand elle a adhéré à IVI ?

Témoin n° 5 . - Elle avait dix-huit ans. J'ai trouvé un bulletin d'adhésion à son nom datant de 1998. Ma nièce y est toujours. Elle s'est mariée par la suite avec un membre d'IVI.

Ma soeur a donc arrêté de travailler. On l'a perdue de vue pendant cinq ans. Elle ne voulait plus nous voir. C'était vraiment très dur. On ne se voyait même pas à Noël... Je ne sais pas ce qu'elle a vécu pendant ces cinq ans. J'imagine qu'elle faisait des pèlerinages (c'est une activité importante à IVI).

J'ai retrouvé des cartes postales qu'Yvonne Trubert, la fondatrice d'IVI, lui a écrites. Dans l'une d'elles, on lit « [...] Il ne faut pas que vous quittiez vos médicaments. [...] Le Malin ne nous attaque que lorsque nous sommes faibles. Mille tendresses. Je vous aime. »

Ces déclarations d'affection, ces références au Malin : je ne reconnais pas ma soeur. Elle avait complètement changé de personnalité.

Elle faisait ce qu'on appelle à IVI des « harmonisations ». Elle s'était trouvé grâce à ça un rôle de guérisseur, ce qui lui donnait le sentiment de pouvoir aider les autres : ça a joué un rôle déterminant dans son attachement à ce groupe.

Dans une autre lettre que j'ai retrouvée, on lui demande d'« harmoniser » une femme dans les locaux de l'association, et non pas à son domicile, en raison de l'opposition du mari à cette pratique.

Mme Muguette Dini , présidente . - Qu'est-ce qui vous fait penser qu'IVI a pu être responsable de son suicide ?

Témoin n° 5. - Ce n'est pas directement à cause d'IVI qu'elle s'est suicidée. Elle était malade. Elle entendait des voix. Mais IVI a eu, je le crois vraiment, une influence sur l'évolution de sa maladie.

Personne d'autre ne comptait. Personne n'avait d'influence sur elle. Elle a fait une première tentative de suicide en 2000. On avait repris contact en 1996 quand ma fille est née. Nos retrouvailles ont eu lieu dans un café. Elle m'a emmené rue des Peupliers, au siège d'IVI. Elle avait beaucoup changé, d'abord dans son allure. Elle qui avait toujours aimé s'habiller, elle portait des vêtements blancs, très larges. C'était très bizarre.

Elle m'a fait une « harmonisation ». Elle l'a fait aussi à nos parents. Elle disait que ça nous faisait du bien malgré nous.

Mme Catherine Génisson . - Comment ça se passe, l'« harmonisation » ?

Témoin n° 5 . - On est allongé : ça consiste à imposer les mains. On s'attarde sur les chakras.

Mme Catherine Deroche . - Vous avez assisté aux « vibrations » ?

Témoin n° 5 . - Non, jamais.

(Le témoin montre aux sénateurs des photos de sa soeur avec d'autres adeptes et avec la fondatrice d'IVI)

Mme Muguette Dini , présidente . - Vous évoquez les voix qu'elle entendait. Souffrait-elle de schizophrénie ? Pensez-vous qu'elle ne se soignait pas ?

Témoin n° 5 . - Elle ne se soignait pas, je le confirme. En 2000, après une tentative de suicide (elle a sauté d'un pont ; ce sont les pompiers qui l'ont sauvée), elle a été soignée à l'hôpital. Des médicaments ont permis de mettre fin à ces voix. J'aurais préféré qu'elle reste à l'hôpital, mais ils l'ont laissée sortir. Elle a fait une nouvelle tentative de suicide quelques semaines plus tard. Elle s'est alors retrouvée à l'hôpital Beaujon : elle a dû avoir peur, car elle a pris ses médicaments après ça.

A ce moment-là, ça a été une vraie débâcle socialement. Elle a perdu son appartement, ma mère a payé ses dettes et l'a prise chez elle. Elles ont vécu ensemble plusieurs années. Le comportement de ma soeur était bizarre et imprévisible. Elle m'appelait parfois en pleine nuit. Elle a passé des nuits à l'aéroport, dans l'espoir d'aller retrouver en Inde Mère Teresa. Elle avait une obsession : aller soigner les malades...

Puis elle a retrouvé un appartement à elle, elle s'est mise à peindre, avec beaucoup de talent. Elle est restée à IVI. Elle ne consultait pas de psychiatre. On se revoyait à Noël et aux anniversaires : nos relations étaient presque normales.

Mme Catherine Deroche . - Quand elle s'est suicidée, IVI s'est-elle manifestée ?

Témoin n° 5 . - J'ai téléphoné à certains membres pour leur annoncer sa mort. Ils ne sont pas venus à l'enterrement. Ils ont dû faire une cérémonie entre eux.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Tout cela vous a beaucoup perturbé personnellement ?

Témoin n° 5 . - Oui. Ma soeur et moi avions été très proches. Après, elle est devenue insupportable. Ce n'était plus vraiment elle. Je me sens coupable. Elle s'est suicidée en pleine nuit, en janvier. Il faisait un froid glacial.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Votre soeur passait-elle beaucoup de temps à IVI ?

Témoin n° 5 . - Il y avait son groupe de prières chaque semaine, elle faisait des pèlerinages : en Corse, en Roumanie, au Brésil... Elle y a consacré un argent fou ! Elle avait peu de ressources : elle devait recevoir 1 000 euros par mois. Malgré ça, elle dépensait beaucoup pour IVI. Regardez par exemple le montant de la cotisation annuelle : 500 euros. C'était énorme pour elle.

Mme Muguette Dini , présidente . - Tout son argent allait donc à IVI ?

Témoin n° 5 . - Quasiment.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Pouvez-vous nous décrire le siège d'IVI ?

Mme Muguette Dini , présidente . - Avez-vous eu le sentiment, quand vous l'y avez accompagnée, qu'elle s'y sentait chez elle ?

Témoin n° 5 . - C'était un bel immeuble. Il faut dire que les membres d'IVI ont beaucoup de moyens. Ça l'a peut-être fascinée. Chez nous, il n'y a jamais eu beaucoup d'argent.

A IVI, elle m'a donné l'impression de se sentir chez elle, en effet. Quand nous sommes arrivés ensemble, on a mis une salle à sa disposition. Pour moi, ces locaux ne ressemblaient pas à l'idée que je me faisais d'une secte.

Mme Muguette Dini , présidente . - Vous confirmez que, selon vous, IVI est bien une secte ?

Témoin n° 5 . - J'ai retrouvé des choses qu'elle avait écrites. Il y avait des listes de choses à faire, des ordres, des consignes : « refaire du yoga ; faire des saluts avant toute chose ; faire purifier la maison ; couper et purifier toute envie en moi, toute voix ; demander à Dieu de m'ouvrir l'esprit ; dire qu'il ne m'aura pas - en parlant du Malin... » Quand elle est morte, on l'a retrouvée un chapelet à la main. Il y avait encore un CD d'Yvonne Trubert sur sa chaîne hifi. Bien sûr, c'est une secte !

Sa fascination pour Yvonne Trubert était considérable. Parmi les consignes qu'elle avait écrites, il y avait aussi « Faire un salut le matin pour demander le soutien d'Yvonne Trubert pendant la journée ». Elle parle également dans ses écrits de ses obligations envers ses « maîtres »...

Mme Catherine Génisson . - [... La vie de votre soeur] s'est dégradée à partir du moment où elle a adhéré à IVI. Et les voix qu'elle entendait, vous en a-t-elle parlé ?

Témoin n° 5 . - Non. Elle en avait parlé à son groupe de prières, je l'ai appris par la suite. Ces voix lui disaient de se jeter par la fenêtre.

Mme Catherine Génisson . - Comment votre nièce peut-elle continuer à appartenir à IVI malgré le suicide de sa mère ?

Témoin n° 5 . - Sa fille fait partie d'IVI. Son mari et leurs enfants également. Ma soeur n'avait jamais manifesté de trouble psychiatrique par le passé. Elle était cartésienne, avec une formation scientifique. Elle n'a pas eu de problème dans son activité d'enseignante, même si elle n'était pas à l'aise dans ce métier.

[...] A partir de juillet 2010, elle a cessé de prendre ses médicaments. Les voix sont revenues. Elle téléphonait à notre mère pour lui dire qu'elle ne voulait plus la voir, puis la rappelait une heure plus tard pour s'excuser. Un jour, elle m'a demandé de l'emmener à l'hôpital, ce que j'ai fait ; le psychiatre ne m'a pas parlé : il s'est borné à renouveler son ordonnance et l'a laissée partir. Il faut dire qu'elle semblait aller mieux.

Mme Catherine Deroche . - A-t-elle repris alors ses médicaments ?

Témoin n° 5 . - Un jour sur deux peut-être.

Mme Catherine Génisson . - C'est en effet difficile d'hospitaliser quelqu'un contre son gré. Si la personne a un comportement rassurant, on ne peut pas la retenir.

Avez-vous porté plainte contre IVI ?

Témoin n° 5 . - Non. J'ai pris contact avec l'Unadfi et la Miviludes. C'était impossible de porter plainte : ce n'est pas IVI qui a poussé ma soeur dans le vide.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous dites que vous avez appelé des gens d'IVI. Pouvez-vous nous en parler ?

Témoin n° 5 . - Ils ont dit des choses très positives sur elle, qu'elle était toujours prête à aider... IVI peut être banalisée : il y a une chorale, l'« harmonisation » pourrait ne servir qu'à soulager les « petits bobos ». On peut y voir une association inoffensive.

Mme Catherine Génisson . - A-t-elle donné beaucoup d'argent à IVI ?

Témoin n° 5 . - Oui. Je considère qu'IVI a eu une influence énorme sur sa maladie. La place qu'occupait IVI était tellement grande qu'elle n'a pu recevoir d'autres influences, du reste elle ne voyait plus personne en dehors d'IVI : or ces influences lui auraient peut-être permis de se soigner...

Mme Catherine Génisson . - Nous confirmez-vous que votre soeur a bien rencontré IVI après sa dépression ?

Témoin n° 5 . - Elle s'est trouvé une place dans les sectes après sa dépression : d'abord la Scientologie, puis IVI.

Mme Muguette Dini , présidente . - Pourquoi, à votre avis, est-elle sortie de la Scientologie ?

Témoin n° 5 . - Ça ne lui convenait probablement pas. Elle était en recherche spirituelle... De toute manière, c'était devenu très vite difficile de parler avec elle.

Mme Muguette Dini , présidente . - Vous avez évoqué ce prétendu souvenir d'avortement. Ce faux souvenir est venu quand elle a adhéré à la Scientologie ?

Témoin n° 5 . - Absolument.

Mme Catherine Génisson . - Vous avez mentionné le fait que votre soeur était cartésienne et scientifique. On ne pouvait donc pas raisonner avec elle ? On ne peut pas se souvenir d'un avortement. Elle était déjà imprégnée de tout cela ?

Témoin n° 5 . - Elle m'a fait faire une séance de régression dans une vie antérieure... Pour ma part, je n'ai pas été convaincu. Mais elle, elle y croyait.

[...]

Mme Muguette Dini , présidente . - Merci pour votre témoignage.

Audition de Mme Juliette DUCHER (mercredi 6 mars 2013)

Mme Muguette Dini , présidente . - Mes chers collègues, contrairement aux autres auditions de proches de victimes auxquelles nous avons procédé depuis la rentrée de janvier, l'audition à laquelle nous allons procéder dans un instant ne se fait pas à huis clos. Mme Juliette Ducher a en effet souhaité témoigner, sans que son nom soit occulté, de dérives préoccupantes dont elle a été témoin alors qu'elle accompagnait son mari, atteint d'un cancer, en fin de vie. Elle est accompagnée par son fils, M. Philippe Berthier-Ducher.

Je rappelle maintenant à l'attention de notre témoin, dont je veux souligner le courage et que je veux remercier en notre nom à tous, que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative du groupe RDSE, dont M. Jacques Mézard, est président. M. Mézard a donc tout naturellement été désigné comme rapporteur de notre commission.

Cette dernière audition est donc ouverte au public ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à Mme Ducher de prêter serment.

Je rappelle (pour la forme bien sûr) qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Madame Juliette Ducher, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Mme Juliette Ducher . - Je le jure.

Mme Muguette Dini , présidente . -Monsieur Philippe Berthier-Ducher, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Philippe Berthier-Ducher . - Je le jure.

Mme Muguette Dini, présidente. - Je vous propose de lancer notre entretien par une présentation du cas dont vous venez témoigner, puis mon collègue Jacques Mézard, rapporteur, et les membres de la commission d'enquête, vous poseront quelques questions.

Madame, vous avez la parole.

Mme Juliette Ducher . - Je vous remercie de me permettre de témoigner dans ces circonstances difficiles. En janvier 2008, un cancer de la prostate a été diagnostiqué à mon mari. Les examens qui ont suivi ont révélé une tumeur au poumon pour laquelle il a été opéré à l'hôpital Tenon en avril 2008.

En 2009, nous avons déménagé mais malgré l'éloignement, mon mari a continué à se faire soigner à l'hôpital Tenon pour la chimiothérapie, car il avait totalement confiance en l'équipe qui le suivait.

En 2010, un problème à la thyroïde a été diagnostiqué. J'ai alors assuré moi-même de nombreux allers-retours à l'hôpital, pour éviter à mon mari des attentes longues et pénibles de l'ambulance, qui pouvaient aller jusqu'à une heure et demie.

En novembre 2010, après une nouvelle hospitalisation, cela a commencé à se dégrader... La pharmacienne a commis une erreur de sous-dosage dans la délivrance des antibiotiques que mon mari devait prendre. L'infirmière ne s'est rendu compte de l'erreur que huit jours plus tard, malgré les remarques de mon mari. J'ai téléphoné à l'hôpital, et le médecin de garde a attiré mon attention sur l'extrême gravité de la situation de mon mari. Je n'étais pas pleinement consciente de la situation et j'ai été très choquée par cette révélation.

En août 2011, pour un contrôle des poumons, nous avons vu un pneumologue. C'était les vacances, il n'y avait qu'un pneumologue pour quinze patients, qui devaient recevoir une injection avant l'examen. Le médecin, probablement fatigué et surchargé, a déclaré aux patients dans la salle d'attente : « Je vais faire comme à l'armée. Vous allez vous mettre en file et je vous piquerai les uns après les autres ». Bien sûr, mon mari a été choqué, et bien qu'il ait toujours eu une confiance totale en ce médecin, il a décidé de ne plus se faire soigner à l'hôpital Tenon, qui était d'ailleurs à une heure et demie de chez nous. C'est comme ça qu'il s'est fait suivre à l'hôpital de Quincy-sous-Sénart, beaucoup plus proche de notre domicile.

En août 2012, pour mettre en place l'hospitalisation à domicile, l'infirmière coordinatrice de l'hôpital a fait venir chez moi les infirmières chargées des soins afin de les former et de tester le nouveau modèle de pompe à nutrition. A ce moment-là, mon mari ne pouvait plus en effet se nourrir seul. L'infirmière coordinatrice a tenu à ce que j'assiste à cette formation de 2 heures. Les infirmières découvraient le nouveau matériel en même temps que moi. Elle a notamment dit que si l'alarme sonnait, il fallait « clamper », or ce vocabulaire n'est connu que du personnel soignant. Cette situation a inquiété mon mari, qui se reposait dans une pièce voisine. L'infirmière coordinatrice m'a en outre demandé de dormir avec mon portable allumé pour prévenir en cas d'urgence d'un éventuel dysfonctionnement du nouveau matériel...

Toujours en août 2012, après une séance de chimiothérapie dans la matinée, mon mari devait voir son médecin. Nous avions patienté deux heures pour le voir. Nous nous apprêtions à partir car mon mari était très fatigué, lorsque le médecin nous a enfin reçus. Il marchait difficilement, comme en titubant, avait des difficultés à s'exprimer et il ne répondait pas à nos questions. Il s'est assoupi à un moment devant son ordinateur. A la fin de l'entretien et devant mon mari, il m'a serré la main disant qu'on ne pouvait plus rien faire pour lui et m'a souhaité beaucoup de courage. Nous avons eu l'impression de recevoir ses condoléances... Et nous n'avons pas eu de réponses concernant la suite du traitement. Nous sommes ressortis de cet entretien scandalisés et angoissés. Mon mari, pourtant toujours déterminé à se battre contre la maladie, a déprimé pendant quinze jours après cette rencontre.

Il était clair que ce médecin était en état d'ébriété lors de ce rendez-vous, il empestait le pastis. Mon mari a décidé de ne plus le revoir, choqué par son comportement. Son assistante a alors accepté de prendre mon mari en charge. Pour l'aider sur le plan psychologique à surmonter tout cela, elle lui a proposé de rencontrer la psychologue coordinatrice de l'hôpital.

Au cours de la première séance, cette psychologue lui a demandé s'il aimait la nature. Comme il répondait que oui, elle lui a conseillé d'aller se promener dans la forêt, de choisir un arbre, de le prendre dans ses bras et de lui parler tout en prenant l'énergie de la terre... Il faut savoir qu'à ce moment-là, mon mari ne se déplaçait plus qu'en ambulance, et toujours soutenu par deux personnes.

A la deuxième séance, la psychologue lui a conseillé de consulter un ostéopathe, qu'elle ne connaissait pas, pour ses maux de tête. Cette personne exerce à Boussy-Saint-Antoine, juste à côté de l'hôpital. Etant donné son état, mon mari était prêt à accepter tout pour aller mieux.

La consultation chez l'ostéopathe a été carrément surréaliste. En arrivant, j'ai voulu prendre une carte de visite posée sur son bureau, il m'a dit : « Attendez la fin de la consultation, vous déciderez après ». Il s'est présenté comme un « gourou un peu fou mais qui s'en fout », « une sorte de magicien comme Harry Potter ». Après avoir écouté mon mari, il a dit que son cancer de la prostate provenait de problèmes sexuels, que son cancer des poumons était dû au fait qu'il ne disait pas ce qu'il avait sur le coeur, son cancer de la thyroïde au fait qu'il n'exprimait pas sa colère ; son cancer du cerveau résultait de l'ensemble de ces problèmes.

Selon son expérience personnelle, il a affirmé que si mon mari résolvait ces problèmes, la maladie disparaîtrait, et que d'ici trois semaines, il serait guéri ! Ensuite, il a préparé un mélange d'huiles essentielles dans un sachet, et a conseillé à mon mari de porter ce sachet autour du cou pendant trois semaines, et surtout d'arrêter tout traitement chimiothérapeutique s'il voulait s'en sortir !

Nous sommes sortis complètement abasourdis.

Au cours de l'hospitalisation à domicile, il n'y avait aucun suivi de l'hôpital, c'est moi qui donnais aux infirmières tous les renseignements que me transmettait l'hôpital. J'ai enfin été contactée par l'infirmière coordinatrice de l'hôpital, qui a joint le médecin, que je n'arrivais pas à contacter. Le 19 septembre 2012, ce dernier a fait hospitaliser à nouveau mon mari en urgence. Après trois jours, mon mari a dit ne pas vouloir rester dans l'hôpital, car il y a croisé le docteur dont l'état d'ébriété nous avait tant choqués, qui lui a dit ironiquement « Alors, toujours en colère ? », et aussi la psychologue, qui l'a complètement ignoré.

Il a été transféré à la clinique des Jardins de Brunoy. Nous ne savions pas que c'était une clinique de soins palliatifs. Personne ne nous en avait avertis. Nous nous en sommes aperçus après. Il a été très bien pris en charge dans cette clinique, le personnel était très à l'écoute.

Mon mari est décédé le 25 octobre 2012.

Je tenais à vous faire part de la réponse de l'Ordre des médecins quant au comportement du docteur aux problèmes d'alcool. Je vous lis la lettre : « Lors de la consultation avec le docteur Varette, peut-être auriez-vous pu vous enquérir auprès de lui de son état de santé, vous évitant ainsi le jugement hâtif que vous avez porté affirmant un « état d'ébriété avancé ». J'ai été complètement abasourdie par cette réponse. Ils ont ajouté : « Pour le reste, nous avons fait les observations qui s'imposaient à la psychologue concernant les conseils prodigués par l'ostéopathe ».

L'hôpital Galien m'a récemment écrit pour faire part de leurs regrets concernant les différents éléments que je leur avais signalés. Ils ont indiqué que, suite à mon courrier, la direction et la commission médicale d'établissement avaient pris les mesures nécessaires, et m'ont remercié de mon intervention « qui permet à l'établissement de progresser dans sa démarche qualité ».

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Nous avons compris ce qui vous était arrivé à vous et à votre mari, et ce que le milieu hospitalier ne vous a pas apporté.

La psychologue qui vous a envoyés chez cet ostéopathe vous a dit ne pas connaître ce dernier ?

Mme Juliette Ducher . - Oui.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous n'avez pas demandé ensuite comment elle pouvait être en relation avec cet homme ?

Mme Juliette Ducher . - Non. Nous étions tellement choqués, mon mari ne voulait plus voir cette femme.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Y avait-il une plaque d'ostéopathe devant son cabinet ?

Mme Juliette Ducher . - Oui.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Il y était inscrit « Ostéopathe » ? Rien d'autre.

Mme Juliette Ducher . - Oui, ostéopathe. Je ne me souviens plus s'il y avait autre chose d'inscrit.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Combien avez-vous payé ?

Mme Juliette Ducher . - 50 euros.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Avez-vous écrit à l'ARS ?

Mme Juliette Ducher . - Oui. Ils m'ont répondu que ma réclamation avait été adressée à la délégation territoriale de l'Essonne, et m'ont précisé que le traitement de la réclamation pouvait prendre du temps.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous n'avez pas eu de nouvelles depuis ?

Mme Juliette Ducher . - Non.

Mme Muguette Dini . - Ce courrier parlait-il de tous les dysfonctionnements de l'hôpital ou du fait qu'on vous avait adressé à un « gourou » ?

Mme Juliette Ducher . - C'était pour les deux. J'ai écrit trois courriers identiques à l'Ordre des médecins, à la commission régionale de conciliation, et à la commission médicale d'établissement de l'AP-HP.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Combien de temps a duré cette consultation chez l'osthéopathe ?

Mme Juliette Ducher . - 45 minutes. Mon mari a expliqué ses problèmes. L'ostéopathe lui a ensuite parlé des expériences qu'il avait vécues avec des personnes de sa famille, puis il l'a fait allonger, en lui disant qu'il ne le toucherait pas. Pendant que mon mari était allongé, il a préparé les huiles essentielles.

Mme Catherine Génisson . - A-t-il clairement indiqué qu'il fallait que votre mari arrête sa chimiothérapie ?

Mme Juliette Ducher . - Oui, il a été catégorique. On s'est demandé comment l'hôpital pouvait nous adresser à une personne disant cela.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Citez-vous le nom de cet ostéopathe dans vos courriers ?

Mme Juliette Ducher . - Oui.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - C'est bien la psychologue coordinatrice du service oncologie qui vous a adressé à ce monsieur ?

Mme Juliette Ducher . - Absolument.

Mme Catherine Génisson . - Cette personne est salariée à temps plein de cet hôpital ? C'est incroyable !

Quand vous avez vu le médecin qui suivait votre mari, vous n'avez pas évoqué la consultation chez la psychologue, et ses indications, concernant les arbres et la consultation de l'ostéopathe ?

Mme Juliette Ducher . - Non, je n'ai pas pu la joindre après qu'elle nous a indiqué les coordonnées de cette psychologue.

Mme Catherine Génisson . - Avez-vous eu recours à une commission de médiation ou de conciliation ?

Mme Juliette Ducher . - C'est ce qui m'a été indiqué. Mais j'attendais la réponse de l'hôpital, je n'ai pas donné suite pour le moment.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Votre témoignage est très éloquent.

Mme Juliette Ducher . - J'avoue que la réponse de l'Ordre des médecins m'a sidérée...

Mme Muguette Dini . - Vous avez été très complète. Nous vous remercions encore d'être venue.

Audition de M. Raphaël LE MÉHAUTÉ, secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance (CIPD) (mardi 12 mars 2013)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Raphaël Le Méhauté, secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance.

Notre réunion d'aujourd'hui n'est pas ouverte au public ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Je précise à l'attention de M. Le Méhauté que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, qui est notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Le Méhauté, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Raphaël Le Méhauté, secrétaire général du CIPD . - je le jure.

M. Alain Milon , président . - Je vous invite à prononcer un court exposé introductif, puis mon collègue Jacques Mézard, et les sénateurs membres de la commission vous poseront quelques questions.

Monsieur le secrétaire général, vous avez la parole.

M. Raphaël Le Méhauté, secrétaire général du CIPD . - Le CIPD a été créé par un décret du 17 janvier 2006. Le Premier ministre le préside - par délégation, le ministre de l'Intérieur - et son secrétaire général est placé sous l'autorité du ministre de l'intérieur. Il réunit le ministère de l'intérieur et ceux de la défense, de la cohésion sociale, de la santé, de l'éducation nationale, de la justice, des transports, de l'Outre-Mer, de la jeunesse, ainsi que le ministère chargé de la ville. Son rôle est de fixer les orientations de la politique gouvernementale en matière de prévention de la délinquance, de veiller à sa mise en oeuvre et à la coordination de l'action des différents ministères ainsi que de l'utilisation des moyens budgétaires. Le secrétaire général est entouré de chargés de missions représentant les principaux ministères concernés : affaires sociales, éducation nationale, intérieur, justice... Il gère le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), qui est doté de 55,6 millions d'euros pour 2013, dont 19,3 millions pour la vidéosurveillance et 37,2 millions pour les mesures sociales de prévention.

Le secrétaire général présente chaque année un rapport, qui est transmis au Parlement. Nous achevons le rapport pour 2012, qui est la dernière année d'exécution du Plan national de prévention de la délinquance et d'aide aux victimes conçu pour les années 2010 à 2012. J'ai été chargé par lettre de mission du ministre de l'intérieur de préparer la suite. Cela prendra la forme d'une stratégie nationale de prévention de la délinquance, sur laquelle des groupes de travail travaillent déjà d'arrache-pied, en vue de la préparation d'une réunion interministérielle de validation qui devrait se tenir au mois d'avril.

Le premier volet de notre action porte sur la prévention de la délinquance des jeunes, en particulier récidivistes, mais aussi sur le traitement de la prédélinquance, qui fait déjà l'objet de la circulaire d'utilisation du FIPD pour 2013 : je veux parler de ces jeunes qui sont au pied des tours dans les cités, en situation de décrochage scolaire, et à l'intention desquels nous allons conduire des actions de remobilisation pour les remettre sur le chemin de l'insertion professionnelle ou éducative, ou à tout le moins les faire revenir vers les missions locales qui les replaceront dans une orientation vertueuse. Le deuxième volet est l'aide aux victimes et la prévention des violences intrafamiliales et des violences faites aux femmes : il s'agit de répertorier et de rationaliser les nombreux dispositifs qui existent déjà et qui se sont sédimentés, et parfois superposés. Un troisième volet concerne la tranquillité publique : nous inviterons chaque maire à élaborer un schéma de tranquillité publique pour sa commune ou, dans le cas d'une grande agglomération, pour certains quartiers. Celui-ci devra partir d'un état des lieux et d'un diagnostic, prendre en compte les attentes des habitants ainsi que les résultats des marches exploratoires, pour faire des propositions concrètes comme la pose d'équipements de vidéo-protection, l'instauration de médiations, de correspondants de nuits aux abords des cités HLM, ou de médiateurs dans les lignes de transport en commun.

La prévention de la délinquance gagnerait à être prise plus largement en charge par les Conseils généraux, qui ont compétence en matière d'action sociale, ainsi que par la protection de l'enfance. Nous travaillons en ce sens avec l'Association des départements de France (ADF). Bien sûr, l'acteur principal reste le maire, mais il est proposé que l'Etat signe les contrats locaux de sécurité et de prévention de la délinquance. A l'échelon infra-communal, une organisation opérationnelle plus restreinte sera proposée.

Les conseils départementaux de prévention de la délinquance, d'aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes (CDPD), font l'objet, au niveau national, d'un triple pilotage : par le secrétaire général du CIPD en ce qui concerne la prévention de la délinquance, par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) et par la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), chacune en son domaine. Cette situation résulte d'un décret du 7 juin 2006 qui a simplifié les commissions départementales en les regroupant au sein des CDPD, sans unifier le pilotage national. Nous essayons de faire en sorte que ce pilotage à trois se fasse dans l'harmonie.

Nous avons adressé aux préfets, le 28 décembre dernier, un questionnaire reprenant les quatre interrogations, numérotées de 10 à 13, que vous aviez transmises au ministère de l'intérieur. Nous avons reçu les réponses de quatre-vingt-huit d'entre eux et nous les avons compilées dans un document écrit que je vous ai apporté.

La question n° 10 portait sur le fonctionnement des CDPD, sur leur composition et sur la fréquence de leurs réunions. Ces conseils sont tous composés à peu près de la même manière, avec quatre collèges représentant respectivement l'Etat, les collectivités territoriales, le ministère de la justice et les associations. Ils rassemblent entre cinquante et quatre-vingts personnes environ, ce qui en fait des organes voués à confier à des groupes de travail tout ce qui ne relève pas du pilotage. Les différences observables dans leur composition tiennent surtout à la représentation des associations, dont le nombre et l'importance sont variables d'un département à l'autre. Leur fréquence de réunion est, pour la majorité d'entre eux, annuelle : sur les quatre-vingt-huit réponses, cinquante-cinq font état d'une réunion annuelle, seize d'une réunion tous les deux ou trois ans, et deux (les Landes et le Tarn-et-Garonne) mentionnent deux réunions par an.

La question n° 10 porte aussi sur la présence d'objectifs en matière de lutte contre les dérives sectaires dans les plans départementaux de prévention de la délinquance. Onze départements, sur les quatre-vingt-huit qui ont répondu, ont indiqué avoir fixé de tels objectifs. La Charente-Maritime, par exemple, a inscrit la lutte contre les dérives sectaires parmi ses priorités d'action pour 2012 et 2013 : elles y sont particulièrement suivies sous l'angle de la santé, avec la lutte contre les pseudo-thérapeutes, la surveillance des mouvements apocalyptiques et le suivi des manifestations publiques. L'Ille-et-Vilaine évoque une action de mobilisation des services pour appréhender ces problématiques en bénéficiant de l'appui de la Miviludes. La Vendée cite également des objectifs de ce type. Trente-trois départements affirment exercer une vigilance quotidienne, quoique cet axe ne figure pas dans le plan départemental de prévention de la délinquance. L'Eure-et-Loir indique ainsi avoir identifié quatre associations ayant eu des pratiques déviantes. Le Pas-de-Calais a intégré cette thématique dans les actions de formation des chefs d'établissements scolaires ainsi que dans les actions de sensibilisation des élèves et du grand public. Huit départements affirment traiter cette thématique au sein d'un groupe spécifique. Dix-neuf départements indiquent que cette problématique est insuffisamment prégnante pour être retenue comme prioritaire dans le plan départemental. Dans le département du Rhône, le dossier est suivi directement par le directeur de cabinet du préfet - c'est souvent le cas - et un groupe de travail spécifique a été mis en place en juillet 2011, avec une journée de sensibilisation en préfecture à l'intention des jeunes. Les Vosges ont également mis en place un tel groupe de travail. Dix-sept départements, enfin, n'ont pas répondu à la question n° 10.

L'objet de la question n° 11 était d'estimer dans quelle mesure les associations d'aide aux victimes de dérives sectaires sont associées aux CDPD. Les réponses sont un peu plus floues. L'Association de défense des familles et individus victimes de sectes et le Centre contre les manipulations mentales sont clairement identifiés par un certain nombre de départements, mais il est rare que des associations spécifiques soient intégrées au CDPD. Vingt-neuf départements indiquent qu'ils font participer les associations spécialisées aux travaux du CDPD. D'autres, comme la Dordogne, envisagent de le faire. Dix départements précisent qu'ils font participer les associations d'aide aux victimes généralistes, faute d'associations plus spécialisées - il faut parfois, comme les Hautes-Alpes ou la Charente, orienter vers les associations d'un département voisin. Le Lot n'associe pas du tout d'association spécialisée à ces réunions car il n'en comporte pas. Sept départements expliquent associer plus volontiers les associations aux groupes de travail spécifiques. Quatorze départements n'ont pas répondu à cette question.

La question n° 12 traite spécifiquement des groupes de travail et interroge sur leur constitution, leur composition, la fréquence de leurs réunions et la portée de leur action. Il a été demandé dès 2008 aux préfets de mettre en place un groupe de travail dédié aux dérives sectaires, qui s'inspirerait du fonctionnement des groupements d'intervention régionaux. La circulaire du 10 février 2010 du ministère de l'intérieur indique que l'activation pleine et entière de cette cellule constitue une priorité absolue et qu'elle doit réunir les seuls services de l'Etat concernés par cette matière afin d'en affirmer le caractère pleinement opérationnel. Une nouvelle circulaire du 2 avril 2011 demande aux préfets de réunir au moins une fois par an le groupe de travail spécifique, sans supprimer pour autant les nécessaires relations avec les associations d'aide aux victimes, et tous les acteurs de la société civile concernés. La déclinaison locale de ces groupes de travail bénéficie donc d'un cadrage national assez précis. Cinquante-sept départements déclarent avoir constitué ces groupes de travail spécifiques. Leur format est assez large : il s'agit parfois de cellules de veille, de cellules départementales, de formations restreintes du Conseil. Ces groupes associent parfois les conseils généraux : c'est le cas dans quatre départements. La direction départementale de la cohésion sociale est assez régulièrement associée à ces groupes, de même que l'éducation nationale, les douanes, la protection judiciaire de la jeunesse et la Miviludes. Huit départements déclarent n'avoir pas constitué de groupe, deux renvoient au CDPD, six aux Etats-majors de sécurité ou aux services départementaux d'information générale. Quinze départements n'ont pas répondu à la question.

Certains départements se démarquent par une participation plus soutenue. La Charente-Maritime déclare réunir ce groupe une fois par trimestre. L'Aude indique que le sujet est évoqué chaque semaine en réunion de police. L'Isère tient deux réunions par an sur le sujet. La Marne annonce une réunion avec la Miviludes au premier trimestre 2013. La Nièvre, les Landes, disent avoir tenu deux réunions en 2012, les Pyrénées-Atlantiques, trois, en raison de la présence du groupe Thabita's Place . L'Ille-et-Vilaine, les Hautes-Pyrénées, la Haute-Saône et l'Yonne s'approchent d'un rythme annuel. Enfin, trente-trois départements indiquent avoir tenu jusqu'à trois réunions au cours des six dernières années. Vingt-sept départements n'ont pas répondu à cette question. Onze départements indiquent que la Miviludes est présente au sein du groupe de travail. Le bilan de ces groupes est variable : le Calvados indique avoir fait un panorama complet des dérives sectaires, la Haute-Corse a pu mettre en place des actions de sensibilisation dans toutes les administrations de l'Etat, le Rhône se félicite d'échanges efficaces aboutissant à une meilleure connaissance des acteurs. Le Vaucluse comme l'Yonne disent cependant être peu concernés par les phénomènes sectaires. La Charente-Maritime, la Côte d'Or, l'Isère, le Loir-et-Cher, les Pyrénées-Atlantiques, le Rhône, la Seine-Maritime et la Vendée apportent en revanche la preuve de l'efficacité de ces instances.

La question n° 13 vise à déterminer si le sujet est traité au sein des Etats-majors de sécurité des préfectures : vingt-six départements répondent par l'affirmative, vingt-sept indiquent y avoir déjà évoqué cette thématique, vingt et un départements se réservent le droit de le faire, et trente et un départements expliquent qu'ils n'y traitent pas de cette problématique. Dix départements n'ont pas répondu.

Pour conclure, l'analyse des réponses met en exergue un traitement différencié : en fonction de l'actualité des sujets, la réactivité est plus ou moins grande, mais le sujet des dérives sectaires n'est négligé nulle part. Le ministère de l'intérieur produit une circulaire chaque année, la dernière datant du 26 décembre 2012. Un groupe de travail spécifique a été mis en place par cinquante-sept départements.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Monsieur le Préfet, vous nous indiquez que cinquante-sept départements ont respecté leurs obligations. J'en conclus que le restant ne les a aucunement respectées. Je n'ai pas l'impression que l'Etat ait fait beaucoup d'efforts pour qu'elles le soient. Comment l'expliquez-vous ? Dès le 27 mai 2005, une circulaire du Premier ministre prévoyait la mise en place au sein de chaque CDPD d'un groupe de travail.

M. Raphaël Le Méhauté . - Quatre-vingt-huit départements ont répondu au questionnaire et indiquent que le sujet est traité au moins dans le cadre du CDPD, même s'il ne l'est pas prioritairement dans le cadre de groupes de travail spécifiques. En tant que secrétaire général du CIPD je ne me sens pas véritablement chargé d'animer cette thématique, puisque c'est le rôle de la Miviludes. Non que je veuille botter en touche, bien sûr...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Monsieur le Préfet, je ne peux pas vous suivre dans cette argumentation. Il existe des CDPD, des conseils communaux ou intercommunaux, qui sont d'ailleurs parfois difficile à faire fonctionner. C'est bien le rôle de l'Etat, et donc celui du CIPD, de faire appliquer ses directives par les conseils locaux. J'ai écrit au préfet dans mon département pour lui demander de créer un groupe de travail spécifique. Il semble l'avoir fait pour cette seule raison ! L'Etat ne manifeste pas une volonté suffisante de prendre ce problème à coeur. Ce n'est pas la compétence de la Miviludes que de se substituer au préfet pour créer ces groupes de travail !

M. Raphaël Le Méhauté . - J'entends parfaitement. Pour ma part, je vous apporte des éléments factuels, des statistiques. L'animation du réseau de lutte contre les dérives sectaires ne me semble pas relever de mes attributions. La Miviludes a des correspondants locaux, au moins un par région : ils sont les interlocuteurs du préfet sur ce dossier.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Monsieur le Préfet, considérez-vous normal que ce soit à un organisme comme la Miviludes de dire au préfet qu'il doit appliquer les textes ?

M. Raphaël Le Méhauté . - Je ne dis pas cela.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Nous pouvons tout de même souhaiter que ce groupe de travail soit mis en place dans chaque département, et que les CDPD, qui rassemblent beaucoup de monde et où l'on passe un temps important à écouter toutes sortes de rapports, parlent aussi des dangers que représentent pour la santé de nos concitoyens les dérives sectaires. J'ai l'impression que le recensement que vous nous présentez n'aurait pas été fait sans notre commission d'enquête.

M. Raphaël Le Méhauté . - En effet. Quand j'ai reçu votre questionnaire, je ne me suis pas senti concerné au premier chef. Mais si le CIPD décidait qu'il me revient de prendre en charge l'animation du réseau de lutte contre les dérives sectaires, vous pouvez me croire, je ferais avancer les choses. Au fond, tout est une question de tête de réseau. Si personne n'anime le réseau, cela ne fonctionne pas.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - C'est bien là une vision centralisatrice et jacobine !

M. Alain Milon , président . - C'est le président d'un groupe politique qui parle, plus vraiment notre rapporteur !

M. Raphaël Le Méhauté . - Je connais bien les quartiers Nord de Marseille : en matière de santé des pratiques d'évitement de la médecine classique, pour diverses raisons, me semblent poser un problème sans doute aussi important que celui des dérives sectaires.

M. Yannick Vaugrenard . - Vous n'êtes pas responsable de tout, bien sûr. L'objectif est d'abord de faire un état des lieux. En ce qui concerne le rôle de l'Etat dans les départements, le bilan est catastrophique : l'Etat ne prend pas suffisamment en considération les dérives sectaires, en particulier dans le domaine de la santé. Votre conclusion m'a paru surprenante : vous avez donné l'impression que le bilan était, pour reprendre une formule tristement célèbre, globalement positif. Je trouve qu'il est globalement négatif. Les groupes de travail ne se réunissent pas dans la majorité des départements. Quand ils le font, la fréquence de ces réunions est insuffisante, alors que trois circulaires au moins, émanant de gouvernements différents, ont demandé aux représentants de l'Etat de renforcer leur vigilance. Cela pose un problème. Faut-il qu'une personne prenne la tête du réseau ? S'il faut le faire à chaque fois qu'il est nécessaire d'appliquer une circulaire ministérielle pour que les préfets respectent les textes... Nous sommes perplexes. Vous avez mentionné certains départements qui semblent se distinguer, la Charente-Maritime par exemple. Dès que sont associés les services de l'Etat, la Miviludes, les associations et les assemblées départementales, l'efficacité est accrue. Ne pensez-vous pas qu'il soit nécessaire d'associer aussi l'ensemble des collectivités territoriales ?

M. Raphaël Le Méhauté . - Je n'ai pas dit que le bilan était globalement positif, mais que le sujet était, dans l'ensemble, pris en compte par l'ensemble des départements qui ont répondu. Il est vrai que seule une dizaine de départements prend vraiment le sujet à coeur. La mobilisation serait-elle plus grande si nous associions les collectivités territoriales ? Le département me semble la collectivité la plus compétente, de par son engagement dans l'action sociale, la protection de l'enfance, la prévention spécialisée : les travailleurs sociaux des conseils généraux connaissent toutes les familles en difficulté puisqu'ils instruisent le RSA, ou par la protection de l'enfance. Associer les collectivités territoriales accroîtrait donc certainement l'efficacité, oui. Les services sociaux des grandes agglomérations ont souvent une grande connaissance des milieux de la santé, leur participation apporterait une véritable plus-value.

M. Alain Néri . - Des sommes considérables circulent dans les milieux sectaires. Il semble qu'on n'ait pas toujours les moyens d'en identifier la provenance. Pourrait-on demander à Tracfin d'enquêter sur la composante internationale de ces financements ? Au niveau national, serait-il possible de croiser les fichiers dont on dispose ? On demande aux parlementaires des déclarations de patrimoine : comment se fait-il que d'aucuns puissent vivre en France sans qu'on leur demande de compte sur l'origine évidemment suspecte de leur train de vie ?

M. Raphaël Le Méhauté . - Je ne suis pas législateur. La Commission nationale informatique et liberté (Cnil) veille au grain : la simple tenue d'un fichier simple suppose une déclaration préalable, le croisement de fichiers est encore plus contrôlé. Mais il ne faut pas avoir peur de ces formalités, la Cnil vérifie simplement que l'usage des fichiers n'est pas contraire à la loi, notamment à celle de 1978.

Ces connections existent d'ores et déjà, comme les spécialistes de la police judiciaire, de la gendarmerie et de la direction générale de la police nationale (DGPN) ont pu vous le préciser. Au plan régional, les groupements d'intervention régionaux (GIR) constituent aussi un élément de réponse. Toutefois, leur plan de charge est lourd. J'observe en tous cas que les opérations coups de poing menées en collaboration entre différents services permettent d'obtenir de meilleurs résultats que les actions isolées.

Mme Muguette Dini . - Dans l'esprit des préfets, les dérives sectaires ne se limitent-elles pas aux grandes sectes telles que la Scientologie ou les Témoins de Jéhovah ? Pourtant, vous avez bien évoqué des faits concernant la santé qui se déroulent dans les garages de Marseille. Notre commission d'enquête a pu constater que beaucoup d'argent circulait du fait de l'exploitation de la crédulité de nos concitoyens, non pas tant par des sectes mais du fait de comportements sectaires de quelques individus, regroupés ou non. Dans les départements, est-on sensible à ce genre de dérives ? Sénatrice du Rhône, je participais au mois de janvier au groupe de travail réuni à la préfecture. J'ai été très frappée que, dans un département comme le nôtre, les représentants des procureurs généraux de Lyon et de Villefranche nous indiquent n'avoir reçu aucun signalement au cours de l'année. Au-delà des sectes - si elles existent - a-t-on la volonté de s'interroger sur les petits groupes sectaires ou sur certaines façons d'agir, non seulement illégales mais surtout dangereuses pour la santé de nos concitoyens ?

M. Raphaël Le Méhauté . - A titre personnel, je partage votre observation. Nous sommes un peu aveuglés par les grandes sectes, alors que les plus néfastes sont de petits groupes constitués derrière un gourou, voire des groupes religieux extrémistes ou intégristes. Ces derniers exercent une emprise, en particulier sur les femmes, dans les quartiers, pour les empêcher de se rendre chez un médecin libéral.

Je ne ferai pas de commentaire sur l'absence de signalement reçu par les procureurs généraux mais c'est parce qu'effectivement personne ne s'émeut de la situation.

Mme Muguette Dini . - Elle a pourtant des conséquences sur la santé !

M. Raphaël Le Méhauté . - Tout à fait.

Mme Muguette Dini . - Peut-être faudrait-il que les responsables de l'Etat y soient davantage sensibilisés. Peut-être que la notion de dérive sectaire permettrait d'agir contre certains comportements bien plus sectaires que religieux ...

M. Raphaël Le Méhauté . - Oui, ils sont sectaires.

Mme Muguette Dini . - Toutes les religions ont leur sectarisme.

Mme Gisèle Printz . - Votre rapport annuel au Parlement fait-il état de dérives sectaires ?

M. Raphaël Le Méhauté . - Non, madame la sénatrice, car cela n'entre pas dans le champ des attributions du SGCIPD tel que le décret le définit. Traiter de ces questions supposerait peut-être une fusion avec la Miviludes. Nous sommes chargés d'une mission interministérielle, tandis que la Miviludes agit dans un domaine spécifique et dispose, qui plus est, de correspondants régionaux.

M. Alain Milon , président . - Je vous remercie.

M. Raphaël Le Méhauté . - Je vous remercie également. Je me suis prêté à l'exercice dans la limite de mes compétences.

Audition de M. Gérard ATHIAS, du Collège international Gérard Athias (mardi 12 mars 2013)

M. Alain Milon , président . - Nous recevons aujourd'hui M. Gérard Athias, dont le Collège international Gérard Athias « guérir autrement » porte le nom. Il est aussi théoricien de la bio-psycho-généalogie et de la biologie totale des êtres vivants.

M. Gérard Athias. - Non Monsieur !

M. Alain Milon , président . - Si vous me le permettez, vous n'avez pas la parole pour le moment. Monsieur, confirmez-vous que vous ne donnez pas votre accord pour que cette audition fasse l'objet d'un enregistrement vidéo ?

M. Gérard Athias. - Je le confirme.

M. Alain Milon , président . - Notre réunion d'aujourd'hui n'est pas ouverte au public ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Je précise à l'attention de M. Gérard Athias que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, qui est notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Athias, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Gérard Athias . - Je le jure.

M. Alain Milon , président . - Ainsi que vous en avez été informé, notre audition est prévue pour durer quarante-cinq minutes. Je vous invite donc à prononcer un court exposé introductif, puis mon collègue Jacques Mézard et les sénateurs membres de la commission vous poseront quelques questions.

Monsieur Athias, vous avez la parole.

M. Gérard Athias. - Puisque nous devons tous dire la vérité, je tiens d'abord à démentir mon affiliation à la biologie totale.

M. Alain Milon , président. - Soit, nous vous écoutons.

M. Gérard Athias - Comme je vous l'ai écrit dans le courrier que je vous ai adressé, je tenais à vous fais part de mon étonnement quant à cette convocation, qui n'indique pas sur quelles activités je suis appelé à témoigner. Toutes mes activités sont déclarées aux ministères de l'intérieur et des finances et sont visibles au travers de mes livres, forums et groupes sociaux. De plus, elles sont publiques, laïques et ouvertes à tout majeur sans aucune discrimination. Le droit français reconnaît comme auteur toute personne physique qui crée une oeuvre de l'esprit, quels que soient son genre, sa forme d'expression orale ou écrite, son mérite ou sa finalité. Sont considérées comme oeuvres de l'esprit les livres, conférences, allocutions, plaidoiries et autres oeuvres de même nature. De plus, l'auteur bénéficie d'un droit d'exploitation comprenant le droit de représentation. Ce dernier, appelé également droit de communication, consiste dans la communication de l'oeuvre au public par un procédé quelconque et notamment la présentation publique.

Je considère mon travail comme une psychanalyse biologique après bilan, diagnostic médical et traitements effectués, interprétés et prescrits par le ou les médecins habituels du patient. J'essaie de faire des liens entre les problématiques du consultant et les mémoires généalogiques familiales. Je cherche à mettre en lien les évènements généalogiques avec les émotions du consultant. Je pense que la combinaison entre les traitements dits conventionnels et une compréhension du sens de la maladie est favorable à chacun, que les différentes approches sont complémentaires et qu'elles répondent à des questionnements différents des patients ou de la clientèle.

Dans le cadre de mes séminaires, chaque participant reconnaît avoir lu et accepté les conditions et précisions suivantes qui figurent aussi en avertissements sur mes livres : « Monsieur Athias, dans le cadre de ses séminaires, publications et conférences diverses expose que le fruit de ses analyses est fondé sur le résultat de ses recherches personnelles qui ne peuvent en aucun cas être assimilées à une analyse, une découverte, une pratique ou une méthode médicale. Monsieur Gérard Athias, parce que docteur en médecine, rappelle expressément qu'il est profondément attaché aux diagnostics et traitements médicaux en conformité avec les données actuelles de la science. Monsieur Gérard Athias précise au surplus que sa qualité de docteur en médecine n'entre nullement en cause dans les hypothèses thérapeutiques qu'il développe et qui ne peuvent en aucun cas être assimilées à des méthodes de soins. Le docteur Gérard Athias dégage toute responsabilité vis-à-vis de toute personne qui viendrait à faire application des hypothèses thérapeutiques qu'il développe comme étant des méthodes de soins pour elle-même ou toute autre personne qui lui serait liée de façon personnelle ou professionnelle et qui refuserait par là-même, en tout ou partie, de recourir à la médecine. »

Dans le cadre de mes séminaires, je n'effectue aucune démarche publicitaire, sous forme de mails répétitifs, de communications téléphoniques ou d'autres moyens visant à susciter de nouvelles inscriptions. Chaque personne s'inscrit de manière individuelle, spontanée et elle est libre de partir à tout moment.

Ma lettre ajoutait qu'après étude approfondie du fonctionnement du Collège international Gérard Athias, que je représente en tant qu'individu, et de ses différentes pratiques, je vous remercie de me signaler si le droit français autorise ces activités. Si tel n'était pas le cas, je les cesserais immédiatement car je ne veux en aucun cas m'opposer à la loi. J'y précisais en outre ne faire partie d'aucune association, congrégation religieuse ou organisation, ni même d'aucune société secrète ou initiatique, et ce depuis mon enfance.

M. Jacques Mézard , rapporteur - Vous nous avez parlé du docteur Athias ; exercez-vous encore la médecine ?

M. Gérard Athias - Non, mais je suis diplômé de la faculté de Marseille et le titre m'est, me semble-t-il, acquis.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Etes-vous toujours inscrit à l'Ordre des médecins ?

M. Gérard Athias. - Non Monsieur, je l'ai quitté il y treize ans. Néanmoins, comme d'autres sont docteurs en droit ou en lettres, il se trouve que je suis docteur en médecine. Dois-je m'excuser d'avoir fait ce type d'études ?

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Là n'est pas la question. Vous écrivez que des raisons de santé personnelle vous ont conduit à la biologie totale des êtres vivants...

M. Gérard Athias. - Tout à fait !

M. Jacques Mézard , rapporteur. - ... et que, dès votre premier contact avec cette « découverte révolutionnaire », vous vous êtes orienté vers cette nouvelle discipline. « Nourri des enseignements de Claude Sabbagh et d'Alejandro Jodorowsky » , vous dites avoir approfondi et enrichi la recherche en bio-psycho-généalogie.

M. Gérard Athias. - Puisque vous semblez connaître M. Sabbagh, je vous précise que M. Jodorowski est cinéaste et scénariste de bandes dessinées.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Et M. Sabbagh ?

M. Gérard Athias. - Cela fait deux ans que je ne l'ai pas vu. Mais il est vrai qu'il y a treize ans, je l'avais consulté personnellement pour une pathologie.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Pouvez-nous décrire ce qu'est la biologie totale des êtres vivants ?

M. Gérard Athias. - Non Monsieur, car je ne la pratique pas...

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Pourtant, vous indiquez sur votre site....

M. Gérard Athias. - Je suis allé voir le docteur Claude Sabbagh il y a dix-huit ans lorsque j'ai été malade, mais mes techniques sont différentes des siennes. J'ai suivi ses séminaires et ne suis, sur bien des plans, pas d'accord avec lui. Je ne veux donc pas être de quelque façon, sauf en tant que patient, assimilé à la biologie totale. Je sais ce que je fais et si vous voulez poser des questions sur mes pratiques, j'y répondrai.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - C'est ce que je fais, Monsieur.

M. Gérard Athias - Non Monsieur ! Libre à vous de considérer que c'est ce que je pratique, mais ce n'est pas le cas.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous indiquez avoir pour objectif une vision synthétique et la construction de ponts entre les outils aussi divers que la biologie totale, les mémoires cellulaires, la généalogie, les triades et les vingt-deux étincelles de la vie. Pouvez-vous nous expliquer cela ?

M. Gérard Athias. - J'essaie de travailler sur les émotions du consultant avec différents outils. J'utilise ce que j'appelle la biologie et le sens de la maladie, mais non la biologie totale, parce que certains de ses aspects fondamentalement m'agressent et que je ne les accepte pas. Je travaille avec la symbolique et la kabbale pour essayer d'accéder à l'émotionnel de l'individu.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Dans quel but ?

M. Gérard Athias. - Pour qu'il se libère, pour qu'on l'écoute au plan émotionnel.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous parlez de consultants ; dans quel but viennent-ils vous voir ?

M. Gérard Athias. - Je suis très étonné d'être convoqué puisque je ne consulte plus. J'écris des livres et je fais des séminaires. Mon site n'est pas à jour mais je ne consulte plus depuis treize ans.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous venez de nous parler de consultants.

M. Gérard Athias. - Si vous préférez, parlons de clients, des gens qui assistent à mes séminaires.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Soit. Quel est l'objet de ces séminaires ?

M. Gérard Athias. - J'y explique qu'il existe, à mes yeux, un lien entre des mémoires familiales, des difficultés familiales, des « secrets familiaux » et des douleurs individuelles que l'on peut retrouver sur plusieurs générations. Selon l'université de Genève, certains évènements seraient génétiquement visibles sur plusieurs générations ; c'est ce qui a été établi notamment à partir de la mémoire de l'agression sexuelle sur une grand-mère, retrouvée chez sa fille et chez sa petite-fille. J'essaie de travailler ainsi. Si ce n'est pas légal, dites-le moi et j'arrête dans la seconde. Je ne peux pas être plus clair ?

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Nous ne sommes pas un tribunal.

M. Gérard Athias. - Je ne me sens pas accusé, je veux juste agir dans un cadre légal.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Dans ces séminaires, vous formez des gens ?

M. Gérard Athias. - Non Monsieur, ce n'est pas une formation. J'y développe simplement ce que j'ai écrit dans mes livres. Je ne cache strictement rien.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Les gens viennent bien dans le but de consulter ou d'apprendre quelque chose ?

M. Gérard Athias. - Vous leur demanderez.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Combien de personnes assistent à ces séminaires ?

M. Gérard Athias. - J'ai actuellement un séminaire avec neuf personnes et je compte arrêter toutes les formations en France. Il y a eu une mode qui est aujourd'hui largement dépassée, ce qui n'est pas un problème pour moi.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Quelle était cette mode ?

M. Gérard Athias. - Celle de la biologie totale, dont je ne partage pas certains principes que je qualifierai de « médicaux ».

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous avez tout de même créé un certificat ?

M. Gérard Athias. - C'est indiqué sur le site mais je n'en ai jamais délivré aucun ; personne ne m'en a demandé.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Si vous en aviez délivré, à quoi auraient-ils donné accès ?

M. Gérard Athias. - Il s'agit juste d'un certificat de participation à mon séminaire.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Il aurait pu donner accès à la pratique en cabinet de la bio-psycho-généalogie.

M. Gérard Athias. - Vous parlez au conditionnel ! Comme je l'ai juré, je n'en ai délivré aucun.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous pouvez tout de même nous indiquer en quoi consistent vos enseignements ?

M. Gérard Athias. - Ils reprennent les dix livres dans lesquels j'essaie d'expliquer les liens entre des difficultés de vie et les émotions ressenties pour certaines personnes. J'essaie de les accompagner dans l'expression de ces émotions.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Votre site se réfère aux vingt-deux étincelles de vie : qu'est-ce ?

M. Gérard Athias. - Il s'agit des vingt-deux lettres de l'alphabet hébreu.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - L'un des titres de votre site est « La maladie en kabbale ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Gérard Athias. - La structure très particulière de l'hébreu permet de procéder à des rotations des lettres qui ouvrent les mots car ces derniers ont plusieurs sens. Par exemple, comme le même mot signifie à la fois le foie et le respect, je relie les problématiques de foie à l'irrespect, afin de permettre à ceux qui l'ont subi de se libérer de ces émotions douloureuses. Je ne dis pas avoir raison mais, dans ma logique, il existe un lien entre l'organe et l'émotion.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous écrivez que « la maladie dans l'union de la biologie et de la kabbale est un vide de conscience, un renoncement à l'unité ». Que cela signifie-t-il ?

M. Gérard Athias. - Tous les médecins n'ont malheureusement pas le temps de passer des heures à écouter émotionnellement les patients. Je pense qu'une telle écoute ne s'oppose pas à un traitement traditionnel. Mais, je le répète, si je n'ai pas le droit de le faire, vous me le dites et j'arrête instantanément.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Votre site renvoie vers celui d'une astrologue thérapeute qui se présente comme votre élève. Vous croyez à la biologie des étoiles ?

M. Gérard Athias. - C'est un long débat. A une certaine époque, tous les médecins étaient astrologues ; ça ne me parait pas bizarre même si je ne le suis pas.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Molière est passé par là ?

M. Gérard Athias. - Oui, et j'espère que cette évolution va se poursuivre, que d'autres découvreurs ouvriront de nouveaux horizons thérapeutiques.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Le titre de votre séminaire est « Biologie et sens de la maladie ». Pouvez-vous nous l'expliquer ?

M. Gérard Athias. - Comme je viens de vous le dire, j'essaie d'apporter du sens. Par exemple, à travers la kabbale, j'essaye de trouver le lien entre les souffrances liées à des manques de respect, vécus dans l'histoire personnelle ou familiale, et le foie.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Combien coûte un séminaire ?

M. Gérard Athias. - Le tarif est assez classique, soit environ 100 euros par jour comme cela apparaît sur mon site ; tout est public. Avant un certain ministre de l'intérieur, ces stages étaient même reconnus comme de la formation continue.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Selon les témoignages que nous avons reçus, certains de vos adeptes encouragent des malades atteins d'un cancer en phase terminale à entreprendre une psychothérapie pour donner du sens à leur maladie. Qu'en pensez-vous ?

M. Gérard Athias. - Tout d'abord, ce ne sont pas des adeptes. Ensuite, s'ils excluent la médecine traditionnelle, ils ont tort. Ce qu'il faut, c'est apporter une aide émotionnelle en complément. Quant au point de savoir si ces personnes possèdent ou non un diplôme de psychologie, je ne connais pas tout le monde. M. Milon et les médecins parmi vous savent bien que la guérison est extrêmement complexe car la maladie présente de multiples facettes. Mais si je suis hors la loi, j'arrête immédiatement.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Cela fait quatre fois que vous nous le dites...

M. Gérard Athias. - Parce que c'est très important pour moi.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Ce qui compte pour nous, c'est de connaître le fondement de votre enseignement. Nous nous inquiétons du fait que des personnes qui l'ont suivi conseillent malheureusement à des malades d'arrêter leurs traitements.

M. Gérard Athias. - Je ne peux pas être d'accord avec elles. Ce n'est absolument pas ce que je leur dit en cours.

M. Jacques Mézard , rapporteur. - Vous avez conscience de cela ?

M. Gérard Athias. - En cours, j'insiste sur le fait que la première chose à faire, ce sont des diagnostics, des diagnostics et des diagnostics ! Il y a peut-être des dérives, mais je ne peux pas être derrière tout le monde.

Les médecins savent bien qu'il est très important que la maladie bénéficie d'une prise en charge multiple. Que vous mettiez des cadres, c'est tout à fait légitime. Je peux vous parler de ma pratique et vous dire pourquoi je suis contre la biologie totale, alors que vous m'y associez. En revanche, je ne peux pas vous expliquer ce que font mes élèves.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Ce n'est pas nous qui vous associons à la biologie totale. Vous dites que vous êtes nourri des enseignements de Claude Sabbagh.

M. Gérard Athias . - Oui Monsieur, c'est la vérité. Mais je ne suis pas pour autant d'accord avec tout ce qu'il a dit.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Ce n'est pas ce qu'indique votre site.

M. Gérard Athias . - Le docteur Sabbagh a pu écrire que les métastases n'existaient pas, alors que dans mes livres, je confirme qu'elles existent. C'est le jour et la nuit !

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Entendu, mais dire que l'on se nourrit des enseignements de quelqu'un qui écrit ce genre de chose, cela pose tout de même problème.

M. Gérard Athias . - Je retirerai cette phrase dès que j'aurai pu contacter mon webmaster . Si c'est ce qui vous gêne, ce sera fait dans les quinze jours !

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Ce qui nous gêne le plus, c'est que des gens qui suivent votre séminaire en arrivent à conseiller à des malades d'arrêter tout traitement.

M. Gérard Athias. - Donnez-moi des noms !

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous les connaissez parfaitement !

M. Gérard Athias . - Non Monsieur. Il n'y a que moi qui jure ici ? Dites-moi de qui il s'agit : je n'ai rien à me reprocher ! J'ai écrit des livres et je vous raconte ce que je fais. Je vous demande de me donner des noms et vous ne voulez pas le faire. Dans ce cas, ce sont eux que vous devriez convoquer et pas moi !

M. Jacques Mézard, rapporteur. - On trouve sur votre site une interview dans laquelle vous dites avoir été guéri, deux jours après le diagnostic, d'une maladie incurable...

M. Gérard Athias . - Tout à fait !

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Gérard Athias : Je le dis à M. Milon et à tous les médecins présents, j'ai eu un psoriasis diagnostiqué par deux dermatologues après biopsies. Aujourd'hui je ne l'ai plus. Si vous demandiez comment j'ai fait, je vous répondrais que je n'en sais rien. Merci pour moi, c'est tout !

Personne ne sait comment les gens guérissent. Si je le savais, ce serait formidable ! J'aurais pu en faire bénéficier mon père, décédé en cinq jours, alors que je travaillais déjà de cette façon.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous n'avez donc pas de méthode ?

M. Gérard Athias . - Bien sûr que non ! S'il existait une méthode, efficace à 100 %, ce serait révolutionnaire !

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Quel est alors l'intérêt de votre enseignement ?

M. Gérard Athias. - C'est d'essayer d'accompagner les personnes dans une démarche émotionnelle. Les gens ont mal dans leur maladie mais aussi dans quelque chose qu'on pourrait qualifier « d'âme ». Je ne sais pas ce qu'est l'âme, comme je ne sais pas vraiment quel était le sens du serment que j'ai prêté devant vous. Ayant un père juif et une mère catholique, j'ai accepté de jurer sur la République. Mais cette double origine a créé chez moi des difficultés depuis l'enfance. Je les ai exprimées comme j'ai pu, par des maladies, des malaises ou des mal-être. Je n'ai cessé de consulter des médecins. Un allergologue m'a dit que l'asthme était psychosomatique. En revanche, lorsque je dis qu'il existe un lien entre le soma et l'âme, je suis convoqué par votre commission ! Comme vous le savez, j'ai aussi été convoqué par le Conseil de l'Ordre de Toulon il y a treize ans. Je leur ai demandé quelles étaient les différences entre eux et moi, et je suis parti. Que les médecins prennent davantage en charge les patients, je serais heureux de pouvoir me retirer et il n'y aura plus de problèmes de dérives avec certains de mes élèves.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous nous parlez de complémentarité avec la médecine traditionnelle...

M. Gérard Athias . - Je le pense, Monsieur !

M. Jacques Mézard, rapporteur . - Dans la mesure où vous indiquez n'apporter que des explications personnelles, quel est alors l'objet de vos séminaires ?

M. Gérard Athias. - C'est d'établir des liens symboliques.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Des liens symboliques ?

M. Gérard Athias . - J'ai écrit des livres qui ont été publiés par un éditeur officiel et sont envoyés au ministère de l'intérieur. Lorsque je suis face à des personnes en difficulté, comme mon amie astrologue, je fais comme tout le monde : je relève les manches pour essayer de leur remonter le moral et leur apporter une autre vision des causes et du sens de leur maladie. Je le fais honnêtement.

M. Yannick Vaugrenard . - Tout le monde a bien conscience que, dans une maladie, les aspects psychiques, psychologiques ou affectifs sont extrêmement importants. Aucune personne auditionnée ne nous a dit ne pas respecter la loi...

M. Gérard Athias . - Je n'ai pas affirmé respecter la loi et pour cause, il est très difficile de la connaître dans sa complexité. J'ai dit que si je ne la respectais pas, vous pouviez m'en informer et j'arrêterais immédiatement.

M. Yannick Vaugrenard . - Je vous remercie de ce doute exprimé. La loi n'étant pas toujours parfaite, quelqu'un qui a été radié par le Conseil de l'Ordre...

M. Gérard Athias . - Je n'ai pas été radié, Monsieur ! Je suis sorti du Conseil de l'Ordre, c'est une erreur de votre part.

M. Yannick Vaugrenard . - Vous n'exercez donc plus la médecine ?

M. Gérard Athias . - Je suis sorti du Conseil de l'Ordre. Mon travail consiste aujourd'hui à faire des séminaires.

M. Yannick Vaugrenard . - En fait, vous êtes parti de vous-même en sachant que vous alliez être radié.

M. Gérard Athias . - Je suis effectivement parti avant d'être exclu. Lorsque l'on m'a convoqué, on m'a indiqué que certaines de mes pratiques n'était pas compatibles avec les règles, alors je suis sorti.

M. Alain Milon, président. - Qu'est-ce que l'Ordre vous reprochait ?

M. Gérard Athias. - J'étais sous le coup de cinq chefs d'accusation à la suite à une plainte d'une dame, membre des Témoins de Jéhovah qui m'accusait... d'être sectaire. Le Conseil m'a demandé comment je connaissais son appartenance. Cette personne était atteinte d'une polyarthrite rhumatoïde qui rendait son écriture tout à fait reconnaissable : ils m'ont montré la lettre, j'ai reconnu l'écriture. Je leur ai dit ce que je faisais ; le Conseil a reconnu que je disais la vérité puisqu'il m'avait mis sous écoute pendant neuf mois. Vous en doutez ? Malheureusement, le président du Conseil est aujourd'hui décédé.

M. Yannick Vaugrenard - Dès lors que vous avez anticipé le fait d'être radié, ne pensez-vous pas qu'indiquer, dans le cadre de vos activités, que vous êtes docteur en médecine relève d'une forme de publicité mensongère ?

M. Gérard Athias . - Pas du tout !

M. Yannick Vaugrenard . - Dans une entrevue avec Marjolaine Vatelle sur les stages karmiques, vous avez déclaré : « Je travaille avec Liliane qui, elle, a cet accès que je n'ai pas. Elle donne la vie karmique avec tous les éléments ». Vous citez ensuite l'exemple d'une patiente qui avait comme mémoire héritée le fait d'avoir été brûlée pour sorcellerie. Vous précisez que « dans sa vie actuelle, son grand-père vendait du fioul, son mari vend du bois de chauffage et ses grands-parents ont eu une maison brûlée. On a retrouvé dans sa généalogie un bout de son histoire karmique » . Pensez-vous que cela puisse réellement aider et ne considérez-vous pas que vous abusez de la faiblesse passagère de ceux qui vous écoutent ? Vous indiquez par ailleurs que la maladie est une adaptation physiologique au stress. Certes, mais vous ajoutez que « dans une réaction d'alerte, deux attitudes sont possibles. La lutte et l'affrontement - dans un type de comportement masculin - ou la fuite et le mutisme dans un système de défense féminin. » Est-ce à considérer que les genres masculin et féminin se réduisent à ces attitudes ? Je suis surpris par la systématisation de cette opposition. Enfin, combien vous ont rapporté vos activités d'enseignement en 2012 ?

M. Gérard Athias. - Je suis docteur : c'est un titre universitaire ! D'aucuns le sont en droit, d'autres en lettres... moi en médecine. Il n'y a rien d'extraordinaire à indiquer ses diplômes.

J'ai travaillé avec la personne que vous mentionnez. Par mémoires karmiques, j'entends mémoires généalogiques. Dernièrement, un historien s'est penché sur la généalogie de Dominique Strauss-Kahn, pour découvrir que son arrière-arrière-grand-père était tenancier d'une maison close, et avait fait de la prison pour avoir frappé quelqu'un. Ces informations sont publiques ! Je trouve ces liens passionnants. Karmique ou généalogique, peu importe - j'ignore si le karmique existe - mais de fait, il est souvent utile de remonter au moins jusqu'aux grands-parents. Dans le cas de Dominique Strauss-Kahn, c'est tout de même révélateur, qu'il s'agisse de mémoire ou non - il n'est pas venu me consulter.

M. Alain Milon , président . - Je croyais que vous ne consultiez plus.

M. Gérard Athias. - En effet, mais je pourrais faire une exception !

M. Alain Milon , président . - Vous en faites souvent ?

M. Gérard Athias. - Non, mais en l'occurrence, cela pourrait m'aider !

Le masculin et le féminin sont des archétypes. Chacun de nous a des fonctions différentes dans les hémisphères droit et gauche de son cerveau. Je peux ainsi avoir des attitudes de type masculin, ou féminin, les femmes pouvant également avoir des attitudes des deux types. Dans nos cerveaux, l'appréhension du temps - présent, passé - diffère. La résonance magnétique nucléaire permettra de faire de nouvelles découvertes dans ce domaine. Mais je conviens que j'ai employé une formulation trop simplificatrice.

En 2012, j'ai gagné environ 3 500 euros par mois. Pour plus de détails, voyez avec le fisc, avec qui je suis encore en procès. Ne riez pas, c'est douloureux. Ils ne savent toujours pas me dire combien je leur dois au titre de la TVA.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Quelle est votre profession déclarée ?

M. Gérard Athias. - Écrivain, formateur... Je perçois des droits d'auteur. J'ai eu en huit mois deux contrôles fiscaux, l'un personnel, l'autre professionnel. Tout est sur la table, le ministère des finances sait parfaitement combien je gagne.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous vous déclarez fiscalement comme formateur ?

M. Gérard Athias. - Je savais que vous essaieriez de me coincer ! Mes amis me l'ont dit. Vous voulez me coincer pour un mot ? Pas de problème ! Je suis écrivain !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Un écrivain qui fait des séminaires ?

M. Gérard Athias. - Comme je le disais tout à l'heure, « la représentation consiste dans la communication de l'oeuvre au public par un procédé quelconque, et notamment » la représentation publique. Je joue le jeu franchement ; si vous essayez de me coincer avec un mot, ce n'est pas correct.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Ce qui n'est pas correct, c'est de jouer avec les mots.

M. Gérard Athias. - Non, je suis correct. Si je fais quoi que ce soit d'illégal, dites-le moi, et j'arrêterai.

Mme Muguette Dini . - Vous considérez-vous comme un chercheur ? Ma question n'est pas un piège !

M. Gérard Athias. - Oui. Je cherche en premier lieu sur moi-même. J'essaie de m'améliorer au quotidien.

M. Yannick Vaugrenard . - Moi aussi, comme tout le monde !

M. Gérard Athias. - Tant mieux, j'en suis ravi ! J'essaie de ne pas me laisser influencer par mes propres mémoires généalogiques, et croyez-moi, j'en ai quelques-unes peu agréables.

Mme Muguette Dini . - Vous avez guéri après une prise de conscience, dites-vous. Vous n'enseignez pas seulement aux gens à chercher sur eux-mêmes, vos élèves ont vocation à enseigner à leur tour. En faisant votre travail généalogique, ceux-ci guérissent-ils ? Et du coup, à quel moment est-il nécessaire de faire appel au médecin ?

M. Gérard Athias. - Merci pour cette question, qui ne m'accuse en rien. Je ne peux parler qu'en mon nom propre. J'ai guéri grâce à une phrase prononcée à plusieurs reprises par Claude Sabbagh : « chapeau ou pas chapeau » ? La douleur que j'ai alors ressentie dans ma tête a mis en lumière le problème qui me taraudait : suis-je chrétien ou juif ? La pertinence de cette phrase a brisé mes chaînes.

Je peux toutefois témoigner d'autres cas de guérison. Elles sont généralement multifactorielles. En toute hypothèse, la prise de conscience personnelle ou généalogique ne peut pas être nocive. J'ignore toutefois à quel point moi-même ou mes confrères avons contribué à la guérison des patients que nous avons soignés.

Mme Muguette Dini . - Pensez-vous pratiquer une thérapie complémentaire ou alternative ?

M. Gérard Athias. - Complémentaire, bien évidemment. Ce ne peut être exclusivement l'un ou l'autre. Je crois même plus judicieux d'intercaler à l'université, entre psychologues et psychiatres, certains spécialistes de ces thérapies, plutôt que de faire enseigner de mauvais thérapeutes. Ces types d'écoutes sont toujours favorables aux patients.

M. Alain Milon , président . - L'écoute est plus que nécessaire. Il n'est toutefois pas certain qu'elle guérisse. Votre raisonnement pose en outre deux problèmes. Vous avez fait dix ans d'études de médecine. Vous avez ensuite exercé pendant dix autres années, en complément de quoi vous avez développé d'autres pratiques...

M. Gérard Athias. - Non, j'ai exercé exclusivement la médecine traditionnelle pendant dix ans, avant de basculer du jour au lendemain.

M. Alain Milon , président . - Vous vous êtes battu pour être médecin ; mais quand vous avez été exclu de l'Ordre des médecins, vous ne vous êtes pas battu !

M. Gérard Athias. - Non, en effet.

M. Alain Milon , président . - Dès lors, pourquoi utiliser votre titre ?

M. Gérard Athias. - Car je suis docteur, c'est la réalité !

M. Alain Milon , président . - Oui, mais vous le savez, les gens ignorent ce qu'est un docteur, ou bien ils pensent que c'est quelqu'un qui exerce la médecine.

M. Gérard Athias. - J'ai prêté serment ! La médecine est au fond de moi !

M. Alain Milon , président . - A la première difficulté, vous renoncez à votre métier, c'est dommage. De surcroît, utiliser le titre de docteur est une forme de tromperie.

Vous dites avoir guéri d'une maladie incurable. Or vous êtes intelligent, vous savez bien que le psoriasis fait partie des maladies incurables d'un point de vue médical mais pas pour l'ensemble de la population, qui y rangerait plutôt les cancers ou infarctus. C'est une seconde tromperie.

M. Gérard Athias. - Dans ce cas, je l'enlèverai au plus vite. Je fermerai le forum de mon site si nécessaire.

Vous êtes bien paternaliste ! D'ailleurs, lorsque j'ai quitté l'Ordre des médecins, mon père a déploré également que je perde un titre socialement valorisé. Ma philosophie personnelle est celle-ci : ni fuir - je suis ici aujourd'hui - ni affronter. Je n'ai pas voulu m'opposer au Conseil de l'Ordre.

Je le redis : je ne veux tromper personne. Signalez-moi ce qui ne va pas, et je me mettrai en règle. Au fond de moi, je resterai toujours un médecin. Utiliser les outils classiques de la médecine - comme je l'ai fait pendant dix ans - ou d'autres n'y changera rien.

M. Alain Milon , président. - Je croyais que vous n'utilisiez plus les outils moins classiques ?

M. Gérard Athias. - Je les utilise pour moi ! Je n'ai pas de patients, mais j'ai de nombreuses activités. Je fais également des consultations de tarologie. J'ai en outre écrit un livre, « 22 étincelles de vie », disponible à la Fnac. Je sais que cela peut paraître déroutant.

Mme Muguette Dini . - Ce n'est pas vous qui nous inquiétez, c'est le fait que vous puissiez faire des émules plus ou moins bien intentionnés.

M. Gérard Athias. - C'est pourquoi je suis venu aujourd'hui : pour qu'il n'y ait pas d'amalgame entre eux et moi. Dans mes enseignements, je ne cesse de dire « limitez-vous au diagnostic ! » Je ne suis d'ailleurs pas aimé de mes élèves, car je ne prétends pas faire de miracles. Certains restent des imbéciles toute leur vie, se disent coach mais n'ont aucune base. Moi, je suis docteur en médecine, donc j'ai les bases. Je me replonge d'ailleurs souvent dans la documentation médicale, en physiopathologie par exemple, pour préparer mes activités. En revanche, j'ai refusé d'emblée de m'associer avec la biologie totale du Dr Hamer, qui par ailleurs a tenu dans certains lieux publics des propos antisémites.

Bref, je suis entre deux positions, comme en matière religieuse. A propos, j'ignore sur quoi j'ai juré au commencement de cette audition, c'est pourquoi j'ai invoqué la République !

M. Alain Milon , président . - Personne ne jure sur la Bible ici. Merci de votre témoignage. J'espère que l'angoisse de vous exprimer ici ne fera pas réapparaître votre psoriasis...

M. Gérard Athias. - C'est très gentil ! Je contacterai mon webmestre pour retirer de mon site ce qui ne vous plaît pas.

Mme Muguette Dini . - A nouveau, ce n'est pas la question. Vos formulations peuvent induire les gens en erreur !

Audition de M. Hervé RAMIREZ, secrétaire général de l'Association des comités de liaisons hospitaliers des Témoins de Jéhovah, M. Guy CANONICI, président de la Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah de France, (mardi 12 mars 2013)

M. Alain Milon, président . - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Hervé Ramirez, secrétaire général de l'Association des comités de liaisons hospitaliers, M. Guy Canonici, président de la Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah de France, accompagnés par Me André Carbonneau, avocat au barreau de Paris.

Notre réunion d'aujourd'hui n'est pas ouverte au public ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Messieurs, me confirmez-vous que vous avez donné votre accord pour que cette audition fasse l'objet d'une captation vidéo et pour que cet enregistrement soit éventuellement par la suite accessible sur le site du Sénat ?

Les personnes confirment.

M. Alain Milon, président . - Je précise à l'attention de MM. Ramirez, Canonici et Carbonneau que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, qui est notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Messieurs, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Les personnes auditionnées se lèvent et prêtent serment.

Ainsi que vous en avez été informé, notre audition est prévue pour durer quarante-cinq minutes. Je vous invite donc à prononcer un court exposé introductif, puis mon collègue Jacques Mézard, et les sénateurs membres de la commission vous poseront quelques questions.

Messieurs, vous avez la parole.

M. Hervé Ramirez. - Merci de nous fournir l'occasion de cet échange.

Les Témoins de Jéhovah forment une religion chrétienne présente en France depuis la fin du 19 e siècle. Ils sont regroupés dans un millier d'associations locales de nature cultuelle. On compte 270 000 fidèles en France, et plus de 2 millions en Europe.

Les Témoins de Jéhovah font naturellement des demandes de soins : 97 % ont un médecin traitant et 78 % se sont déjà fait hospitaliser. Leur particularité est de refuser la transfusion sanguine, pour des motifs bibliques. Le verset 29 du chapitre XV des Actes des Apôtres précise que le sang est sacré et donc impropre à tout usage. La demande de soins nous conduit donc à privilégier des stratégies d'épargne sanguine.

En tant que bénévole des comités de liaison hospitaliers depuis plus de vingt ans, j'aide les patients et contribue à fournir un appui aux médecins qui en ont besoin. J'ai donc été profondément choqué d'apprendre que, comme l'écrit la Miviludes dans son rapport « Santé et dérives sectaires », nous perturberions la relation entre le médecin et les malades, et ferions courir le risque d'un trouble à l'ordre public. Ce n'est absolument pas le cas ! Nous avons répondu à ces accusations par un courrier adressé au Premier ministre, dans lequel nous déclarons ne fournir que des informations. Nous ne nous immisçons pas dans la relation entre le patient et le médecin. Le chef du bureau central des cultes a depuis admis que le trouble à l'ordre public était en effet inexistant.

Les comités de liaison hospitaliers sont des associations à disposition des patients Témoins de Jéhovah. Ils n'interviennent qu'en cas de demande expresse du patient, dans certains cas du médecin. Ils ne s'autosaisissent jamais. Il m'arrive d'être sollicité la nuit, ou pendant mes vacances, et je crois faire preuve de suffisamment de dévouement pour que les propos de la Miviludes me choquent, très éloignés qu'ils sont de la gratitude et de la reconnaissance que nous témoignent les gens qui font appel à nous. Nous réalisons en outre une veille scientifique des avancées médicales en matière d'épargne sanguine. Nous en mettons les résultats à la disposition des patients.

Il existe des comités de liaison hospitaliers dans presque tous les pays du monde. La littérature médicale a fait de nombreux commentaires élogieux à leur égard, et nous entretenons des relations de confiance avec les autorités sanitaires de nombreux pays. La prestigieuse Association des anesthésistes de Grande-Bretagne - en quelque sorte l'équivalent de notre Société française d'anesthésie et réanimation - incite les médecins à prendre contact avec les comités de liaison hospitaliers. Si nous étions réellement tels que la Miviludes nous dépeint, je doute que ces associations professionnelles formuleraient de telles incitations.

Les stratégies d'épargne sanguine existent depuis les années 1960 et les premières opérations à coeur ouvert sans transfusion sanguine. Elles ont connu leur essor après la crise du sang contaminé dans les années 1990. Depuis, de nombreuses conférences de consensus se sont tenues dans l'objectif de limiter le nombre de transfusions.

N'étant pas médecin, je ne vous exposerai que brièvement le principe des stratégies d'épargne sanguine. Celles-ci ne reposent pas sur un médicament ou produit unique de nature à remplacer le sang, car une telle substance n'existe pas encore. Elles s'appuient en revanche sur un ensemble de mesures qui, combinées, permettent de limiter le recours à la transfusion sanguine. Aucune ne suffit par elle-même. Toutes ont fait l'objet d'études et de commentaires dans la littérature médicale internationale : nous avons recensé plus de 2 500 articles publiés à leur sujet dans des revues à comité de lecture et à comité scientifique. Ces stratégies ont donc été validées, tant dans leurs protocoles que dans leurs résultats en termes de mortalité et de morbidité. Elles ne sont pas conduites au seul bénéfice des Témoins de Jéhovah, mais plus largement de l'ensemble des patients.

Les traitements sont aujourd'hui disponibles en grand nombre. Néanmoins, la pratique transfusionnelle reste variable selon les établissements. Le patient Témoin de Jéhovah peut, grâce aux comités de liaison hospitaliers, entrer en contact avec celles des équipes qui recourent le moins aux transfusions. Tous les domaines sont concernés par leur application : chirurgie digestive, cardiaque, traumatologie, greffe de foie, de coeur, de pancréas, etc.

Le droit positif encadre ces questions au moyen de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, que vous connaissez bien. J'ajoute que le Conseil d'Etat a rendu le 16 août 2002 une ordonnance de référé dans laquelle il précise que le refus de traitement médical revêt, pour le patient majeur, le caractère d'une liberté fondamentale - dont souhaitent jouir les Témoins de Jéhovah.

Certes, un défi éthique se pose au médecin. Les comités de liaison hospitaliers ont justement pour vocation de faciliter leurs relations avec les patients. M. Didier Houssin, directeur général de la santé, a déclaré le 24 octobre 2006 à l'Assemblée nationale qui l'auditionnait : « j'ignorais l'existence de ces comités. On peut concevoir qu'ils servent de lien entre les professionnels de santé et les adeptes de cette Eglise. J'aurais tendance à dire : pourquoi pas ? Je pense que l'un des aspects essentiels, en ce qui concerne la transfusion sanguine pour les Témoins de Jéhovah, est la question de l'information et de l'explication. Les croyances sont d'intensité variable, elles peuvent être ferventes ou tièdes. Il y a une place importante pour le dialogue. Et après tout, il est possible que ces comités de liaison aient pu faciliter les choses plutôt que les aggraver ». C'est précisément notre but.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Merci pour cet exposé synthétique et clair. Notre objet n'est évidemment pas de mettre en cause la liberté de conscience ou la liberté religieuse, mais de protéger la santé de nos concitoyens. J'ai lu les écrits de votre Eglise et les déclarations du Consistoire national des Témoins de Jéhovah sur les questions de santé.

Les cas de figure peuvent être très différents. Vos comités interviennent-ils pour aider les patients à refuser une transfusion sanguine ? Pour chercher une autre solution ? Une autre équipe ?

M. Hervé Ramirez. - Dans 99 % des cas, nous communiquons des informations sur les équipes capables d'apporter les soins nécessaires dans le respect des demandes du patient. Refuser ou non la transfusion sanguine n'est pas de notre ressort. Cette décision est prise par le patient avec son médecin : nous n'en sommes pas informés et ne souhaitons pas l'être. Nous facilitons simplement les relations entre ces deux acteurs.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Cela suppose de pouvoir programmer les choses, d'avoir un certain délai devant soi. Comment faites-vous en cas d'urgence, si le patient est victime d'un accident ou subit une évolution brutale de sa pathologie ?

M. Hervé Ramirez. - Nous avons deux objectifs : d'abord, identifier dans la littérature scientifique les données utiles au médecin ; ensuite, entrer en contact avec des équipes soignantes complémentaires susceptibles de mettre en oeuvre des stratégies alternatives.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Ne tournons pas autour du pot : si la vie du patient est en jeu, le recours à la transfusion sanguine est-il freiné, au risque de provoquer sa mort ?

M. Hervé Ramirez. - Si frein il y a, c'est le patient qui l'aura actionné, en exprimant ses convictions. Nous ne faisons que faciliter le dialogue sur le plan technique.

Mme Muguette Dini . - Et si le patient est inconscient ?

M. Hervé Ramirez. - C'est un cas compliqué.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - La famille intervient.

M. Hervé Ramirez. - Oui, si elle dispose des volontés du patient à cet égard. La législation varie selon les pays. En France, les directives du patient ne s'imposent pas au médecin.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Il n'y a jamais d'intervention de votre part dans l'établissement hospitalier autre que celle du conseil pour aller consulter une autre équipe?

M. Hervé Ramirez. - Nous intervenons dans l'hôpital à la demande du patient. Nous établissons un contact avec le médecin. Nous proposons des solutions, puis nous nous retirons.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Si le médecin refuse vos solutions, vous n'insistez donc pas ?

M. Hervé Ramirez. - Non. Nous informons simplement le patient et sa famille. Mais il est souvent plus facile de dialoguer simultanément avec les deux, car il peut être délicat pour le patient de faire valoir à son médecin l'existence d'autres équipes médicales à même de le soigner.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - En matière de santé, les Témoins de Jéhovah ne sont-ils hostiles qu'aux seules transfusions sanguines ?

M. Guy Canonici. - Oui. Les Témoins de Jéhovah se soignent, ils ne croient pas aux guérisons miraculeuses ni aux thérapies ésotériques. Seul le sang pose problème, pour des motifs religieux que je peux vous exposer brièvement.

Le mot « sang » revient près de 500 fois dans la Bible. Sa première occurrence se trouve dans la Genèse IV-10 : « le sang de ton frère crie vers moi ». Le sang qui crie est le symbole de la vie. C'est la raison pour laquelle les Témoins de Jéhovah ne commettent pas d'actes de violence ni ne prennent part aux guerres. La deuxième occurrence du mot interdit la consommation de sang ( Genèse , IX-4), interdiction qui revient de nombreuses fois. Dans les Actes des Apôtres , il est question enfin de « s'abstenir du sang » (XV-20), de « se garder du sang » (XXI-25). Cette idée a été élargie aux pratiques mêmes postérieures, comme la transfusion sanguine.

Est seul admis l'usage rédempteur et propitiatoire du sang. Chez les Juifs, le Grand Pardon en est l'illustration. Cette notion trouve son épanouissement dans le fait que le Christ a versé son sang pour racheter les péchés de l'Humanité. Le sang entre par ce biais dans le champ du sacré. Je rappelle que nous sommes chrétiens, croyons à la Bible, texte d'essence divine. Le sang n'est pas un liquide anodin, c'est le liquide vital par excellence.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Qu'en est-il de la vaccination et des soins palliatifs ?

M. Guy Canonici. - Les Témoins de Jéhovah se font bien sûr vacciner. J'ajoute que les Témoins de Jéhovah qui le souhaitent peuvent subir une transplantation. J'en connais personnellement. Ils n'ont simplement pas subi de transfusion sanguine.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Et les prises de sang ?

M. Guy Canonici. - J'en fais une dans deux jours.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Il est parfois dit que les enfants qui ont recours à une transfusion sanguine sont rejetés.

M. Guy Canonici. - C'est du délire. Nul n'a le monopole de l'affection parentale. Les Témoins de Jéhovah aiment leurs enfants, en prennent soin et souffrent de les voir malades. Lorsqu'une transfusion sanguine se révèle indispensable, ils sont sans doute perturbés. Mais dire qu'ils en concevraient un rejet de leurs enfants, c'est absurde !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Votre position pose un problème de santé publique. Les transfusions sanguines peuvent sauver des vies : la perte de chance thérapeutique ne vous trouble pas outre mesure ?

M. Hervé Ramirez. - D'un point de vue médical, c'est plus compliqué. La transfusion sanguine sauve des vies mais en fait perdre également. La médecine repose toujours sur un rapport bénéfices - risques. Par exemple, les anti-inflammatoires sont des médicaments d'usage très courant, bien qu'on les sache de nature à provoquer des ulcères parfois hémorragiques, mais le bénéfice de leur consommation est supérieur au risque qu'ils font encourir. Les stratégies d'épargne sanguine ont aussi un rapport bénéfices - risques positif. Il est des cas où le risque dépasse le bénéfice attendu, mais ils sont rares. C'est alors à l'éthique de prendre le relai, c'est-à-dire au patient de choisir. Reste que les études générales comparant ces stratégies d'épargne sanguine aux transfusions sanguines font état de taux de mortalité et de morbidité similaires, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'effets secondaires, quelle que soit la stratégie à laquelle on a recours.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Je conçois que l'on ait des convictions et comprends votre approche, mais nous touchons là aux limites de votre propos. Les vaccins, par exemple, présentent un bénéfice infiniment supérieur aux risques qu'ils font encourir. Ne pas s'en servir constitue indiscutablement une perte de chance thérapeutique. Le choix du patient pose déjà problème au patient lui-même et au médecin ; si on le contraint en plus par des considérations religieuses, on met en cause tout le système de santé.

M. Hervé Ramirez. - Je serais plus nuancé sur le problème de santé publique. Les stratégies d'épargne sanguine ont été validées. Le taux de mortalité est similaire à celui observé en cas de transfusion sanguine. Au cas par cas, j'admets que la situation est plus difficile dans certains cas extrême, et que la question est alors davantage éthique.

M. Alain Néri . - J'étais rapporteur, à l'Assemblée nationale, de la loi contre le dopage. Je me souviens que le conseiller d'Etat Guy Braibant considérait les contrôles sanguins impossibles à réaliser au motif que le sang était une substance intime, presque sacrée. Les choses ont évolué...

J'ai en outre été formateur dans une section d'études spécialisées. J'encadrais notamment des enfants de Témoins de Jéhovah dans des activités de menuiserie. Je respecte toutes les croyances - et demande en retour le même respect pour l'athéisme - mais des questions morales m'assaillaient. En cas d'accident par exemple, il aurait pu m'incomber la responsabilité de demander une transfusion sanguine pour la victime... Convenez que de tels cas de figure remettent en question les relations de la vie en société !

Vous dites n'être pas opposés aux greffes. Il y a toutefois de nombreux actes qui nécessitent du sang. Les médecins sont là pour sauver des vies...

M. Alain Milon , président . - Vous êtes donc contre l'euthanasie !

M. Alain Néri . - C'est différent, je défends le droit de partir dans la dignité. Bref, confrontés à une opération nécessitant une transfusion sanguine, vous êtes face à un dilemme. Certes, les transfusions sanguines sont parfois des échecs, comme les vaccins, mais les bénéfices que l'on en retire sont généralement bien supérieurs aux risques qu'ils présentent. Ne peut-on aller au-delà de ces restrictions, au motif que sauver une vie prime tout ?

M. Guy Canonici. - Ce n'est pas au professeur ou à l'encadrant de dire si l'enfant doit être hospitalisé ou non. C'est le rôle du médecin, qui contactera les parents.

M. Alain Néri . - Et s'il y a urgence ?

M. Guy Canonici. - De quel droit interviendrait-il ? Quelle compétence a-t-il pour dire s'il faut une transfusion sanguine ou non ?

M. Alain Néri . - Imaginez le cas où l'on doive, en urgence, confier un enfant au médecin.

M. Guy Canonici. - C'est très simple dans un tel cas. Voyons les choses clairement et simplement. L'enfant est amené, par le Samu imaginons, à l'hôpital. Il y a là un médecin qui s'occupe de lui, et immédiatement les médecins appellent les parents. Donc, ensuite, c'est l'affaire des parents avec le médecin. Il arrive que des médecins décident de transfuser l'enfant dans des situations d'urgence, la loi les y autorise, il n'y a rien à dire à cette situation.

La transplantation cardiaque exige en effet du sang. Mais certaines équipes utilisent des techniques qui permettent de s'en dispenser. Je connais des Témoins de Jéhovah qui ont subi de telles interventions sans transfusion. Récemment, une greffe de poumon a même été réalisée de cette façon.

Mme Muguette Dini . - Certains Témoins de Jéhovah refusent-ils une transplantation au motif qu'elle ne peut se faire sans transfusion sanguine ?

M. Hervé Ramirez. - Cela peut arriver. On s'adresse alors à d'autres équipes et une autre solution est proposée. Mais d'autres paramètres sont parfois en jeu dans la décision.

Mme Muguette Dini . - Vous en ajoutez un nouveau !

Si le Témoin de Jéhovah accepte une transfusion sanguine, quelles conséquences doit-il en attendre au sein de la communauté ?

M. Guy Canonici. - Vous sous-entendez que sa décision soit connue de sa communauté.

Mme Muguette Dini . - Elle peut ne pas l'être, en effet. Mais si elle l'est, par sa famille, ou de son propre aveu ?

M. Guy Canonici. - Cela fait de nombreuses suppositions. Si sa décision s'accompagne d'un refus de rester dans la communauté, celle-ci en prendra acte. Si la personne souffre de sa décision et s'en ouvre à la communauté, alors les ministres du culte locaux prieront avec lui pour l'aider à retrouver la paix de l'âme.

Mme Muguette Dini . - Les Témoins de Jéhovah se réunissent beaucoup ; les enfants sont souvent associés à leurs réunions. Outre l'ennui qu'ils peuvent éprouver dans de telles réunions, cela ne risque-t-il pas de causer un trouble à leur santé, par le manque de sommeil ?

M. Guy Canonici . - J'ai déjà entendu ce discours chez certains de nos détracteurs. Les Témoins de Jéhovah se réunissent deux fois par semaine au maximum. Les parents amènent parfois leurs enfants avec eux. Pour ceux-ci, ces réunions ne sont pas nécessairement ennuyeuses.

Mme Muguette Dini . - Mais elles peuvent l'être !

M. Guy Canonici . - Comme peut l'être la messe. Mais ces réunions, elles, sont pleines de vie et d'intérêt. Cela représente au plus trois heures, trois heures et demie par semaine : les enfants y font plus de progrès, à mon avis, que ceux qui passent ce temps devant la télévision.

Mme Muguette Dini . - Ce n'est pas exclu.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Cela dépend de ce qu'ils regardent !

M. Guy Canonici . - Dans ces réunions, les enfants entendent des paroles et une réflexion sur les grandes questions de la vie, sur la vie en société, qui implique sens du devoir, travail, effort, persévérance... Cela ne peut que les aider à l'école et, plus tard, dans leur vie professionnelle. Ces valeurs, je crois, font défaut à beaucoup de jeunes de nos jours, qu'on voit désoeuvrés et inactifs. Nous voulons des enfants éduqués. Bien sûr, les enfants peuvent s'ennuyer.

M. Alain Milon , président . - Heureusement !

M. Guy Canonici . - Je vous l'accorde. L'ennui peut être une échappatoire tout à fait nécessaire à leur psychologie. Mais nous sommes loin des CLH...

Mme Muguette Dini . - Mais près de la santé !

Autre question : la loi française prévoit que chaque famille est libre de donner à ses enfants l'éducation religieuse de son choix. Les Témoins de Jéhovah me semblent toutefois avoir tendance à isoler leurs enfants de ceux des autres, ce qui pourrait presque faire penser à du lavage de cerveau...

M. Guy Canonici . - Cette expression me rappelle les débats que j'ai pu avoir dans ma jeunesse sur ce qui se passait en Corée : pouvait-on résister à un lavage de cerveau ? Rien de tel chez nous. Nous éduquons nos enfants, afin qu'ils ne manquent pas de valeurs et de repères comme c'est souvent le cas dans notre société. Mais un enfant est un être humain libre, qui peut, à un certain moment, décider d'accepter ou de ne pas accepter de vivre comme ses parents. Les Témoins de Jéhovah, comme les Israélites, les Catholiques, les Protestants...ou les athées, ont des enfants qui, après l'adolescence, orientent leur vie différemment. C'est bien la preuve qu'il n'y a pas lavage de cerveau !

Mme Muguette Dini . - Mais ne peut-on parler d'une emprise excessive ?

M. Guy Canonici . - Combien de mères castratrices dans la société française ? Combien de mères possessives qui étouffent leurs fils ? Cela n'a pourtant rien à voir avec la religion, et n'est pas traité par la justice...

M. Alain Milon , président . - Une remarque, à propos des anti-inflammatoires : le danger, s'il y en a, se manifeste immédiatement.

L'épargne sanguine est le résultat du progrès médical, et de nulle autre chose. Par exemple, les opérations de chirurgie digestive, qui nécessitaient autrefois d'ouvrir le ventre, se font désormais à 90 % par voie intérieure. Les greffes, comme la majorité des opérations chirurgicales programmées, peuvent se faire quasiment sans apport de sang. Que cela bénéficie aux Témoins de Jehovah, tant mieux, mais ils n'ont pas été le moteur de ce progrès.

Deux cas me semblent poser vraiment problème : les accidents sur la voie publique, qui donnent souvent lieu à des hémorragies considérables, et les hémorragies utérines lors d'accouchements, qui sont gravissimes et réclament une réponse urgente, ce qui ne laisse pas le temps de consulter ou de demander l'avis du patient.

Quelle est votre position sur l'autotransfusion ? Et, de manière corollaire, que pensez-vous de l'isolation et du stockage de cellules souches issues du sang du cordon ombilical à des fins d'utilisation personnelle, telle qu'elle est prévue par la loi que nous avons votée au Sénat à l'instigation de notre ancienne collègue Marie-Thérèse Hermange ?

M. Hervé Ramirez . - Il faut distinguer entre l'autotransfusion avant l'opération, que nous refusons, et pendant celle-ci, que nous pouvons accepter.

M. Alain Milon , président . - Dans les chirurgies programmées très hémorragiques, refusez-vous l'autotransfusion ?

M. Hervé Ramirez . - Cette technique est refusée, mais les équipes peuvent optimiser la masse érythrocytaire, par exemple avec de l'érythropoïétine ou du fer intraveineux, pour être sûres que le jour de l'intervention la masse sanguine du patient sera conséquente. Les transfusions autologues per opératoires peuvent être pratiquées. En ce qui concerne les cellules souches du sang de cordon, c'est à chaque patient de décider s'il accepte ou non. Il y a eu des greffes de cellules souches chez des patients Témoins de Jéhovah.

L'obstétrique pose des problèmes complexes. Les techniques de récupération du sang supposent une préparation adéquate. Certaines équipes les pratiquent quand elles anticipent un accouchement difficile, même si cela suscite des controverses.

M. Alain Milon , président . - Vous savez bien qu'on n'a pas le temps de chercher dans ces cas-là l'équipe adéquate : une hémorragie utérine ne vous laisse que quelques minutes avant la mort.

M. Hervé Ramirez . - Oui. En cas d'hémorragie massive, il y a aussi l'embolisation, l'utilisation du facteur VII... J'ai assisté à plusieurs conférences : les connaissances évoluent.

Mme Muguette Dini . - Les femmes qui partagent vos croyances accouchent-elles de préférence dans certaines maternités, ou choisissent-elles les maternités les plus proches ?

M. Hervé Ramirez . - En général, elles s'efforcent d'accoucher dans une maternité qui a une expérience suffisante pour mettre en oeuvre ces stratégies.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous ne donnez pas votre sang ? Même au cas où un accident très grave créerait un besoin massif ? Je ne parle même pas des périodes de guerre.

M. Guy Canonici . - Les Témoins de Jéhovah sont cohérents : ils n'acceptent pas de sang, ils n'en donnent pas. Ils n'interdisent pas aux autres d'en donner...

M. Alain Néri . - Il ne manquerait plus que ça !

M. Guy Canonici . - Nous ne cherchons pas à convaincre les autres de ne pas donner leur sang.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Nous savons tous qu'on a besoin de sang pour sauver des vies. Le refuser systématiquement me paraît problématique.

M. Guy Canonici . - La situation dramatique que vous évoquez est un cas théorique...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - L'insuffisance des dons de sang est une situation dramatique bien réelle.

M. Guy Canonici . - C'est pourquoi l'avènement de techniques permettant de soigner en limitant le besoin de sang est un grand progrès.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Certes, mais il ne ressuscitera pas celles et ceux qui ont perdu la vie faute de sang disponible.

M. Alain Néri . - Vous vous reportez beaucoup à la Bible. Un de ses versets dit : « tu ne tueras point ». Quid de la non-assistance à personne en danger que représenterait un refus de donner son sang au cas où celui-ci serait immédiatement nécessaire pour sauver quelqu'un ?

M. Guy Canonici . - C'est une question de juriste, qui à mon avis ne se pose pas.

M. Alain Milon , président . - Merci.

Audition de de M. Eric ROUX, porte-parole de l'Eglise de Scientologie (mercredi 20 mars 2013)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui le Révérend Éric Roux, porte-parole de l'Eglise de Scientologie.

Notre réunion d'aujourd'hui n'est pas ouverte au public ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

Révérend Éric Roux, me confirmez-vous que vous avez donné votre accord pour que cette audition fasse l'objet d'une captation vidéo et pour que cet enregistrement soit éventuellement par la suite accessible sur le site du Sénat ?

M. Eric Roux. - Je le confirme.

M. Alain Milon , président . - Je précise à l'attention du Révérend Éric Roux que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, qui est notre rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Éric Roux de prêter serment.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Révérend Éric Roux, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Eric Roux. - Je le jure.

M. Alain Milon, président . - Je vous invite donc à prononcer un exposé introductif, puis mon collègue Jacques Mézard, et les sénateurs présents membres de la commission vous poseront quelques questions.

Révérend Éric Roux, vous avez la parole.

M. Eric Roux. - Mon exposé introductif durera à peu-près 12-13 minutes, puis je me prêterai volontiers à vos questions.

Par mon profond respect pour le Sénat, ainsi que pour votre fonction, je suis venu, comme vous me l'avez demandé, témoigner sous serment devant votre commission d'enquête, afin de pouvoir vous éclairer sur les points qui vous intéressent. Ce sera, je l'espère, l'occasion de corriger de nombreux préjugés qui circulent dans notre pays concernant la Scientologie.

Vous avez compris mon profond désaccord avec le fait que malgré mon insistance pour que cette audition soit ouverte au public et la presse, afin que les Français puissent partager les échanges qui s'y dérouleront dans la plus grande transparence, vous avez choisi d'imposer l'obscurité en fermant cette audition au public et à la presse.

C'est contraire à la règle depuis la loi n° 91-698 du 20 juillet 1991 et à la coutume qui s'est instaurée de donner « la publicité la plus large possible aux débats ». C'est aussi contraire aux nombreuses auditions qui se sont déjà déroulées devant votre commission auparavant. La publicité des auditions participe du débat démocratique, et je ne vois pas pourquoi la presse et les Français ne pourraient pas être au courant de ce qui se dit lors de mon audition, dans le cadre d'une commission d'enquête qui, d'après vous, concerne tous les Français.

Cela m'a conduit à m'interroger sur les raisons qui incitent votre commission à soumettre le témoignage de l'Eglise de Scientologie au secret ou à une publicité « éventuelle » par vidéo. J'ai constaté par ailleurs que lorsque vous interrogez un apostat de l'Eglise, exclu depuis trente ans et connu pour être un détracteur obsessionnel de la Scientologie, son audition est ouverte à la presse et au public. De même, lorsque vous interrogez Serge Blisko, Georges Fenech, le CCMM, l'Unadfi, Catherine Picard, etc., les auditions sont ouvertes à la presse et au public, en plus d'être filmées et diffusées sur le site du Sénat.

Il y a donc, de facto , une différence de traitement entre l'Eglise de Scientologie et ses détracteurs.

Vous l'avez compris, je n'approuve pas un tel manque de transparence, une telle discrimination dans le traitement des personnes auditionnées, un tel arbitraire à l'opposé de tout ce qui fait notre démocratie.

La Scientologie est une religion, reconnue comme telle en Europe et dans les pays qui ont un système de reconnaissance légale des religions, et cette religion existe en France depuis plus de cinquante ans. Elle compte des dizaines de milliers de fidèles et de sympathisants dans l'hexagone, pour plusieurs millions dans le monde.

Votre courriel initial de convocation mentionnait la volonté que l'audition d'un « responsable de l'Eglise de Scientologie » par les sénateurs, porte « essentiellement sur les conceptions de la santé et de la médecine défendues par les Scientologues ». Or, l'Eglise ne défend aucune conception de la santé qui empièterait sur le domaine médical, ni ne prend aucune position concernant ce qui est médical ou de l'ordre de la médecine. L'Eglise dispense un enseignement et des services religieux et uniquement religieux. Elle aide les personnes qui le souhaitent en créant un espace de liberté spirituelle au sein de ses églises.

Les Scientologues sont, comme l'ensemble des citoyens, libres en ce qui concerne leurs choix thérapeutiques. J'imagine qu'il existe parmi eux le même pourcentage que dans le reste de la population de personnes qui se soignent principalement avec la médecine allopathique, tandis que d'autres choisissent en priorité l'homéopathie, ou d'autres thérapies selon leurs choix.

Les principales recommandations que pourrait faire une Eglise de Scientologie si un de ses paroissiens venait à tomber malade, serait d'insister pour qu'il se soigne, en application d'un des préceptes contenus dans le Chemin du bonheur , qui est un code moral non religieux écrit par M. Hubbard, fondateur de la Scientologie. Ce précepte, qui est inclut dans le chapitre « Prenez soin de vous-même », s'intitule : « Recevez des soins quand vous êtes malades ». Bien entendu, cela n'empêche pas les Scientologues de penser, à l'instar de nombreux autres courants religieux plus anciens, que la foi, la connaissance, la connaissance de soi et la plénitude spirituelle peuvent avoir un impact sur la santé de l'individu. Mais ici nous sommes dans le domaine des croyances, des convictions religieuses. Et si les Scientologues croient cela (j'en profite pour vous rappeler que les catholiques croient que le Christ peut guérir des aveugles par apposition des mains, faire disparaître la fièvre par la parole, voire ressusciter des morts, c'est dans les évangiles), si les Scientologues croient cela, donc, la pratique de la Scientologie a pour objectif la liberté spirituelle, la liberté de l'esprit par la connaissance et non la guérison du corps. La Scientologie est une religion nouvelle, certes, mais elle s'inscrit dans une tradition de courants philosophiques et religieux qui remonte loin dans le temps. On peut y trouver de grands points communs par exemple avec la théologie de Maitre Eckhart, l'un des plus grands mystiques chrétiens, qui considérait que l'âme avait une existence distincte du corps, et que seule la connaissance directe de sa nature spirituelle et divine pouvait apporter le salut à l'individu. Sans rentrer dans trop de considérations philosophiques et religieuses, les points de vue de la Scientologie sur les relations entre le corps et l'âme, sont assez proches de nombreuses philosophies religieuses antérieures, même si bien entendu des différences existent.

Votre commission s'intitule « Commission d'Enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé ». Outre le fait qu'il n'existe aucune définition juridique de « secte » ou de « mouvement à caractère sectaire », et que ce terme est un prétexte à de nombreuses discriminations, destructions et stigmatisations en violation des engagements internationaux de la France en matière de liberté de conscience, je ne vois pas en quoi l'Eglise de Scientologie peut être concernée.

Comme je l'ai écrit, la Scientologie est une religion, au même titre que les autres religions présentes dans notre pays (qu'elles soient catholique, protestante, juive, musulmane, hindouiste, bouddhiste). Elle n'a donc aucun rapport avec les prétendus « mouvements à caractère sectaires » de l'intitulé de la commission d'enquête. Qui plus est, l'Eglise ne prend aucune position dans le domaine médical. C'est donc à double titre que nous ne sommes pas concernés.

A ma connaissance, la commission n'a pas auditionné de responsables d'autres religions tels que des dignitaires de l'Eglise catholique, du Consistoire, du Culte musulman ou de la Fédération protestante de France, etc.

Les positions sociales que nous soutenons et les programmes laïcs dans lesquels nous sommes engagés dans la société sont connus et reconnus dans le monde entier. Il s'agit entre autres de la prévention et d'information sur les dangers des drogues, la promotion des droits de l'homme et l'éducation des citoyens à leur sujet, la lutte contre l'illettrisme, le réhabilitation des délinquants, la promotion des valeurs morales contenues dans les préceptes du Chemin du Bonheur, etc.

Vous avez évoqué la Commission des Citoyens et des Droits de l'Homme (CCDH). Elle a été auditionnée. Elle a une existence absolument distincte de l'Eglise, mais elle a été cofondée par l'Eglise de Scientologie et le psychiatre émérite Thomas Szasz en 1969. Encore une fois, il ne s'agissait ici absolument pas d'une prise de position concernant la santé, mais d'un engagement concernant la défense des droits de l'Homme face aux abus existant dans la psychiatrie (et nous parlons ici d'abus lorsqu'il y a violation et destruction de la dignité et de l'intégrité physique et morale des personnes, et je vous renvoie à ce sujet au rapport 2012 de l'Agence pour les droits fondamentaux de l'Union européenne, rapport sur le placement involontaire et traitement involontaire de personnes souffrant de troubles mentaux, qui associe certains traitements psychiatriques à de la torture). Les droits de l'homme tels qu'ils ont été exprimés dans la Déclaration Universelle de 1948 tiennent à coeur aux Scientologues et ceux-ci sont très engagés dans leur défense et leur promotion.

Il convient d'aborder cette commission sous l'angle de son intitulé même. Il me semble qu'il y a un paradoxe anachronique à avoir intitulé cette commission « Commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé ». Depuis dix ans maintenant, la France a prétendu sortir de la stigmatisation de certains mouvements particuliers pour se consacrer aux dérives. J'ai déjà évoqué le fait que « sectes » et « mouvements à caractère sectaire », n'ont aucune définition juridique, et étaient des prétextes à l'arbitraire d'une chasse aux sorcières motivée par des intérêts privés. Je dois aussi ajouter qu'il semble que n'avez pas remarqué que nous sommes passés à l'ère de la « dérive sectaire », ère dans laquelle aucun mouvement ne peut être ciblé en particulier, seuls les actes étant importants. La dérive sectaire, par définition (non juridique d'ailleurs), peut être commise par n'importe qui. Par n'importe quel parti politique, par n'importe quelle religion, n'importe quel individu, n'importe quelle institution. Ainsi, en persistant à vouloir vous en prendre aux « mouvements sectaires », vous persistez dans l'attitude qui consiste à établir des listes de ces mouvements, et à les stigmatiser comme mouvements de pensée, au lieu de vous en tenir aux dérives telles qu'elles peuvent se produire dans l'intégralité de la société, civile ou publique.

Maintenant, concernant le déroulement des auditions qui précèdent la mienne et que je suis obligé de prendre en compte pour comprendre pourquoi vous avez décidé de m'auditionner, j'ai plusieurs remarques à faire.

La première concerne le fait que vous ayez choisi d'auditionner un apostat de l'Eglise de Scientologie, exclu depuis plus de trente ans, donc ne connaissant rien à la vie de l'Eglise depuis tout ce temps, multirécidiviste plusieurs fois condamné de manière définitive par la justice française pour des actes commis dans le cadre de son activité anti Scientologue, pour qu'il puisse répandre mensonges et calomnies sur la Scientologie, ce qui, soit dit en passant, est son gagne-pain depuis trente ans. Un détracteur professionnel qui encore une fois a été condamné quelques jours avant son audition par votre commission par la cour d'appel de Lyon pour diffamation et injures publiques envers l'un de ses anciens compagnons de route. C'est un peu comme si vous interrogiez un antisémite notoire sur les pratiques du judaïsme. Quel crédit y apporteriez-vous?

J'ai aussi découvert, en lisant la presse, que vous aviez interrogé cet opposant sur des éléments actuellement en cours de procédure devant la Cour de cassation. Il est impératif que la justice française puisse faire son travail sans que l'on ne cherche à l'influencer, que ce soit en provenance du pouvoir exécutif ou du pouvoir législatif. La séparation des pouvoirs doit être respectée. C'est une exigence de la Déclaration des droits de l'homme et du Citoyen du 26 août 1789. Toute ingérence, même indirecte, dans un procès pénal en cours est inadmissible. J'insiste là-dessus parce que je suis parfaitement disposé à répondre à toutes les questions dans le périmètre du sujet dans lequel votre commission a été créée, puisqu'une commission d'enquête ne peut enquêter que dans le périmètre défini par les éléments qui ont présidé à sa création, je suis parfaitement disposé à vous éclairer du mieux que je peux, mais je ne pourrai absolument pas répondre aux questions qui ont trait à une procédure en cours.

Je trouve aussi malheureux le fait que vous ayez soumis la publication des vidéos des auditions à l'arbitraire le plus inquiétant. Tant que vous avez auditionné des personnes ouvertement hostiles aux mouvements religieux minoritaires, les vidéos de ces auditions étaient publiées sur le site du Sénat dans leur intégralité. Mais lorsque vous avez auditionné des acteurs associatifs qui auraient pu apporter la contradiction à leur propos, les vidéos de ces auditions ne sont mystérieusement jamais apparues sur le site du Sénat. Une pratique qui selon moi manque cruellement de transparence.

Je remarque aussi qu'après avoir mené douze auditions de personnes connues pour leur acharnement à l'encontre des minorités spirituelles, vous n'avez mené que trois auditions d'acteurs associatifs susceptibles d'apporter la contradiction. Comme je l'ai dit, les premières sont toutes disponibles sur le site du Sénat, les trois dernières n'y sont pas.

C'est aussi un membre de votre commission qui, alors que la commission venait d'entendre Georges Fenech, ancien président de la Miviludes, a déposé le 18 décembre 2012 sur le bureau du Sénat une proposition de loi visant à accorder l'immunité aux membres de la Miviludes. Il n'a échappé à personne que M. Fenech, étant actuellement condamné en première instance par le tribunal correctionnel de Paris pour avoir diffamé une association chrétienne dans le cadre de ses fonctions de Président de la Miviludes, aurait été l'immédiat bénéficiaire d'une telle loi dans le cadre de son appel, l'adoption de ladite loi mettant fin de manière parfaitement contraire à la séparation des pouvoirs, aux poursuites dont il fait l'objet.

D'ailleurs, vous avez nécessairement constaté la fausseté de la déposition sous serment de M. Fenech en ce qu'il prétend avoir gagné toutes ses procédures car la proposition de loi en question mentionne la condamnation de l'ancien président de la Miviludes, c'est-à-dire du témoin auditionné.

Il m'appartient également d'appeler votre attention sur la ratification par la France du Pacte international sur les droits civils et politiques de l'ONU, qui affirme le droit à la liberté de conscience et de religion. Dans son observation générale n° 22 sur l'interprétation à donner à l'article 18 du Pacte, le Comité des Nations Unies des Droits de l'Homme a déclaré :

« L'article 18 protège les convictions théistes, non théistes et athées, ainsi que le droit de ne professer aucune religion ou croyance. Les termes " croyance " et " religion " doivent être interprétés au sens large. L'article 18 n'est pas limité dans son application aux religions traditionnelles ou aux religions et croyances comportant des caractéristiques ou des pratiques institutionnelles analogues à celles des religions traditionnelles. Le Comité est donc préoccupé par toute tendance à la discrimination envers une religion ou une conviction pour une raison quelconque, y compris le fait qu'elle soit nouvellement créée, ou représente des minorités religieuses qui peuvent faire l'objet d'hostilité de la part d'une communauté religieuse dominante ».

En 1996, dans son rapport annuel, le rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté religieuse avait déjà noté l'inadéquation de l'étiquetage de certains groupes en tant que « sectes » (je cite) :

« Le terme « secte » semble avoir une connotation péjorative. Une secte est considérée comme différente d'une religion, et n'a donc pas droit à la même protection. Ce type d'approche est révélateur d'une tendance à amalgamer les choses, à discriminer et à exclure, ce qui est difficile à justifier et encore plus difficile à excuser, tellement c'est nuisible à la liberté religieuse ».

Inutile de dire que la nouvelle terminologie adoptée pour tenter de contourner ce reproche, « mouvements sectaires », équivaut à l'étiquette « sectes » et est soumis à la même critique.

Le pacte susmentionné, comme la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme à laquelle la France est aussi soumise, garantissent tous deux le droit à la liberté de conscience, de croyance et de religion, quelles que soient lesdites croyances, pour lesquelles il ne peut y avoir ingérence de l'État.

C'est donc sous l'auspice de ces grands textes protecteurs des libertés fondamentales que je vais répondre à vos questions, non sans vous rappeler une dernière fois, Messieurs les sénateurs, Mesdames les sénatrices, qu'il n'est pas question ici d'aborder des sujets qui pourraient porter atteinte au principe de la séparation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs en empiétant sur des questions qui sont actuellement traitées dans le cadre d'un procès pénal. Je vous remercie.

M. Alain Milon , président . - Je voudrais faire une petite mise au point.

Votre présence ici aujourd'hui est un évènement sans précédent pour les commissions d'enquête qui, depuis 1995-1996, ont porté sur les mouvements et les pratiques sectaires.

Votre présence au Sénat résulte d'abord de la volonté de notre commission de respecter le principe du contradictoire.

Elle résulte aussi d'un souci de transparence, puisqu'il a été décidé que toutes les auditions feraient l'objet d'un compte rendu annexé au rapport, tant dans sa version papier que dans sa version en ligne. Cet élément est très important.

Je rappelle que les deux premières commissions d'enquête de l'Assemblée nationale (de 1996 et de 1999) ont délibéré selon la règle du secret : aucun compte rendu des auditions ne figure donc dans ces rapports. La commission de 1999 a bien reçu « quelques dirigeants de mouvements sectaires » (page 11 du rapport), mais le compte rendu de ces auditions n'a pas été publié avec le rapport.

En 2006, l'Assemblée nationale s'est affranchie de la règle du secret en ouvrant certaines auditions à la presse. En revanche, l'application du principe du contradictoire s'est limitée à l'envoi de questionnaires à de « nombreuses organisations entrant dans le champ de ses investigations ». Or, comme le relève le rapport de l'Assemblée nationale page 11, l'Eglise de Scientologie n'y a pas répondu.

Notre réunion d'aujourd'hui est la première occasion donnée à votre organisation d'exposer devant des parlementaires un point de vue qui va figurer dans un rapport parlementaire public.

Je pense donc que les aspects formels de cette audition sont d'un intérêt bien inférieur à l'échange sans précédent que nous devrions avoir actuellement sur le sujet qui nous intéresse : le point de vue de l'Eglise de la Scientologie sur la santé.

Par ailleurs, je vous remercie d'avoir dit dans la lettre que vous m'avez adressée que vous veniez par respect pour le Sénat.

M. Eric Roux . - Absolument.

M. Alain Milon , président . - Je vous fais toutefois observer que vous êtes ici non pas en raison de vos sentiments pour le Sénat, mais en vertu d'une obligation forte créée par l'article 6 de l'ordonnance de 1958 dont vous avez d'ailleurs une connaissance très précise :

« Toute personne dont une commission d'enquête a jugé l'audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée, si besoin est, par un huissier ou un agent de la force publique, à la requête du président de la commission. A l'exception des mineurs de seize ans, elle est entendue sous serment. Elle est, en outre, tenue de déposer, sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal.

« La personne qui ne comparaît pas ou refuse de déposer ou de prêter serment devant une commission d'enquête est passible de deux ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. (...)

« Dans les cas visés aux deux précédents alinéas, le tribunal peut en outre prononcer l'interdiction, en tout ou partie, de l'exercice des droits civiques mentionnés à l'article 131-26 du code pénal, pour une durée maximale de deux ans à compter du jour où la personne condamnée a subi sa peine. »

Par ailleurs, pour en finir avec vos remarques sur l'organisation de notre réunion d'aujourd'hui, je vous fais observer que l'ordonnance de 1958 est très claire sur le sujet :

« Les auditions auxquelles procèdent les commissions d'enquête sont publiques. Les commissions organisent cette publicité par les moyens de leur choix. »

Dans certains cas, la publicité des auditions peut se limiter au compte rendu écrit joint au rapport. Cela a été le cas pour de nombreuses réunions organisées depuis le début de cette commission d'enquête. Nous n'avons aucunement à nous justifier des modalités d'audition que nous avons décidées.

Je donne la parole à notre rapporteur, M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Merci de cette mise au point, monsieur le président. Monsieur Roux, vous avez utilisé un processus de victimisation qui me paraît déplacé. Le fonctionnement de notre commission est conforme aux dispositions légales et au fonctionnement démocratique du Sénat de la République. Je m'en tiendrai dans mes questions à l'objet de cette commission d'enquête : les dérives sectaires dans le domaine de la santé. Il ne s'agit pas pour notre commission de dresser une liste des mouvements sectaires, mais d'étudier les dérives sectaires en matière de santé. Vous ne nierez pas leur existence : lors de son audition, la présidente de la Commission des citoyens pour les droits de l'homme a dénoncé les comportements sectaires en psychiatrie, notamment l'emprise mentale exercée par les psychiatres sur leurs patients... Donc nous ne sommes pas les seuls à considérer que ça existe !

Pourquoi un tel acharnement de l'Eglise de Scientologie à l'égard de la psychiatrie ?

M. Eric Roux . - Je pense qu'il n'y a pas d'acharnement de la part de l'Eglise de Scientologie à l'égard de la psychiatrie. Ce qui intéresse les Scientologues dans ce domaine, ce sont les droits de l'homme. Je vous rappelle que la CCDH regroupe des personnes de toutes confessions : il n'y a pas que des Scientologues à la CCDH. En 1969, quand elle a été fondée, on pratiquait encore des lobotomies ou des électrochocs, autant de violations des droits de l'homme. La Scientologie n'est pas là sur un terrain de médecine, mais sur un terrain de droits de l'homme. Or il y eu des violations des droits de l'homme qui ont été constatés. L'Eglise de la Scientologie s'est toujours s'est toujours positionnée en faveur d'un combat pour les droits de l'homme. On n'aurait pas cofondé cette commission avec le psychiatre Thomas Szasz s'il y avait eu un acharnement de l'Eglise de Scientologie à l'égard de la psychiatrie. De plus, des psychiatres travaillent à la CCDH, preuve qu'il n'y a aucun acharnement à l'égard de leur profession.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Nous ne sommes plus en 1969 mais en 2013. Or la CCDH continue de multiplier les interventions sur les prétendus problèmes posés par la psychiatrie.

M. Eric Roux . - J'ai du mal à comprendre pourquoi vous n'avez pas posé cette commission à la CCDH...

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Nous l'avons fait, Monsieur.

M. Eric Roux . - C'est à eux qu'il faut poser la question !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Pourquoi refuser de répondre ?

M. Eric Roux . - Je ne refuse pas de répondre. Je ne suis pas la CCDH. Je suis le porte parole de l'Eglise de Scientologie.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - C'est quend même un des combats de l'Eglise de Scientologie.

M. Eric Roux . - Je vous ai répondu : ce n'est pas le combat de l'Eglise de Scientologie, c'est un combat individuel : le terrain des droits de l'homme. Que les Scientologues s'investissent dans le domaine des droits de l'homme, c'est leur choix, et s'ils le font, ils le font avec la CCDH. Elle a été auditionnée ! Je ne peux pas répondre à sa place !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Ne biaisez pas. Il y a une focalisation des Scientologues - puisque vous ne voulez pas parler de l'Eglise de Scientologie - sur la psychiatrie. Nous cherchons à en comprendre les raisons !

M. Eric Roux . - Je vous ai répondu, je crois. Il y une volonté de défendre les droits de l'homme dans des domaines où ils sont violés. C'est le droit des Scientologues de le faire. Il n'y a pas grand-chose de plus à en dire. On n'est pas dans le domaine de la médecine, ni dans le domaine de la santé, on est dans le domaine de droits de l'homme violés, d'atteintes à l'intégrité physique, et c'est ça qui est dénoncé par les Scientologues qui prennent part à ce combat. Vous dites qu'il y a une focalisation : ce n'est pas vrai. Il y a énormément de programmes dans lesquels on travaille qui sont de tout autre type : dans le domaine de l'éducation, de la lutte contre l'illettrisme ou dans le domaine de la prévention et de l'information sur les dangers des drogues, dans des aspects de moralité, de réhabilitation des délinquants. Nous avons beaucoup de domaines d'intervention. L'un de ces domaines est le combat pour les droits de l'homme. Je n'ai pas grand-chose de plus à vous dire là-dessus, je suis désolé.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Ce combat pour les droits de l'homme a pour vecteur principal la psychiatrie. Nous avons aussi auditionné le Collectif des médecins et des citoyens contre les traitements dégradants de la psychiatrie : cela a bien un rapport direct avec la santé !

M. Eric Roux . - Je n'ai rien à voir avec ce collectif ! Je ne vois pas pourquoi vous me posez cette question !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Son président a indiqué sa qualité de scientologue. Pourquoi cette focalisation ?

M. Eric Roux . - Si le président d'une association est catholique, vous n'appelez pas l'Eglise catholique !

M. Jacques Mézard , rapporteur . - la question que je pose est simple. Y a-t-il une raison particulière pour les Scientologues de s'en prendre à la psychiatrie ?

M. Eric Roux . - Je vous l'ai déjà dit, il y a une raison : les Scientologues luttent pour le respect des droits de l'homme, contre les violations des droits des patients, des droits des gens, de leur intégrité physique et morale. Certains Scientologues choisissent ce terrain des droits de l'homme, et je pense que c'est tout à fait louable.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - En ce qui concerne la santé, il est écrit dans La Dianétique qu'elle guérirait « tous les types de maladies mentales non organiques et tous les types de maladies psychosomatiques organiques ». Pouvez-vous nous expliquer ce qu'il en est ?

M. Eric Roux . - Eh bien non ! Je vais vous dire pourquoi. Vous citez des écrits du fondateur de notre Eglise, qui constituent pour nous l'équivalent des textes sacrés : la Torah dans le judaïsme, la Bible, etc. Je ne pense pas que cela entre dans le sujet de votre commission d'examiner les textes sacrés d'une religion pour en tirer des conclusions. Il faut séparer les écrits du fondateur de la Scientologie qui a écrit, je vous le rappelle, plus d'une centaine de millions de mots, sur de multiples sujets - et ses propos n'engagent que lui - de la pratique de l'Eglise. Ce sont deux choses différentes. Si vous interrogez le Consistoire, l'Eglise catholique, etc..., vous n'allez pas les interroger sur les textes sacrés, vous allez les interroger sur ce qu'ils font.

Mme Catherine Génisson . - Bien sûr que si !

M. Eric Roux . - Je ne pense pas ! Je vais vous lire quelques passages de l'Evangile selon Saint-Jean : « Il retourna donc à Cana en Galilée où il avait changé l'eau en vin. Il y avait à Capernaüm un officier du roi, dont le fils était malade. Ayant appris que Jésus était venu de Judée en Galilée, il alla vers lui, et le pria de descendre et de guérir son fils, qui était près de mourir. Jésus lui dit : Si vous ne voyez pas des miracles et des prodiges, vous ne croyez point. L'officier du roi lui dit : Seigneur, descends avant que mon enfant meure. Va, lui dit Jésus, ton fils vit. Et cet homme crut à la parole que Jésus lui avait dite, il s'en alla. Comme il descendait, ses serviteurs venant à sa rencontre lui apportèrent cette nouvelle : ton enfant vit. ». Je pourrais vous citer de nombreux passages des Évangiles où Jésus guérit par apposition des mains ou de diverses manières.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Quel rapport avec la question ?

M. Eric Roux . - C'est la question. La Dianétique est un texte sacré qui date de 1950 et qui n'engage que son auteur.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Pouvez-vous nous décrire la procédure de « purification » ?

M. Eric Roux . - Eh bien, pas vraiment. Je vais vous dire pourquoi. Je sais que vous avez interrogé M. Roger Gonnet sur le sujet, or vous le savez très bien, un procès pénal à l'heure actuelle est en cours devant la Cour de cassation. Une commission d'enquête parlementaire doit en tirer la conclusion qu'il lui faut arrêter ses débats immédiatement car elle se saisit d'un sujet qui est actuellement devant une juridiction judiciaire.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Merci pour cette leçon de droit. Il n'y a aucun lien entre la purification et une procédure judiciaire. Nous sommes là pour poser des questions. Ma question était précise, elle n'avait rien à voir avec une procédure en cours. Vous voulez répondre ou non, ne tournez pas autour du pot.

M. Eric Roux . - Je ne tourne pas autour du pot. Je vous ai répondu ce que j'avais à vous répondre. Je ne vois pas le rapport entre le programme de purification, qui est un programme religieux, qui n'a rien à voir avec un acte médical, et le thème de la commission d'enquête qui porte sur - je me réfère à votre proposition de résolution - le développement de pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique. Quel rapport ? Ou encore : la prise en charge psychologique hors du cadre psychothérapeutique. Encore une fois, pas de rapport. Autre thème : l'infiltration des professions médicales et paramédicales par des mouvements sectaires en dépit de la vigilance des autorités. Je ne vois pas le rapport.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Pouvez-vous nous parler de la niacine et des vitamines nécessaires à la purification, ou pas ?

M. Eric Roux . - Non, absolument pas, et je vous ai dit pourquoi : c'est le respect du principe de séparation des pouvoirs, vous comprenez ?

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Non, Monsieur. La séparation des pouvoirs n'est pas en cause. Vous êtes suffisamment averti juridiquement pour savoir que votre réponse ne convient pas : dites simplement que vous ne souhaitez pas répondre.

M. Eric Roux . - Pour moi, cela a tout à voir. Je vous explique pourquoi je ne peux pas répondre.

Mme Catherine Génisson . - Je crains que mes questions restent sans réponse, mais je vais néanmoins les poser. Ron Hubbard est le fondateur de la Scientologie. Comment se référer à ses écrits pour poser des questions sur La Dianétique ?

M. Eric Roux . - Ses écrits constituent l'équivalent des grands textes sacrés pour les autres religions.

Mme Catherine Génisson . - Ils ont pourtant été écrits au XX e siècle, dans un style dépourvu de symbolisme, contrairement aux textes fondateurs qui peuvent remonter à quelque 2 000 ans. Que pensez-vous des citations suivantes : « La dianétique guérit et elle guérit à chaque fois », ou encore « C'est de la barbarie pure et simple que de vouloir guérir des maladies psychosomatiques (ça, ce n'est pas un discours d'il y a vingt siècles, c'est un discours du XXe siècle) , en recourant à des pratiques aussi brutales que la chirurgie dentaire ou la chirurgie tout court . Il faut absolument s'abstenir de tenter la moindre opération chirurgicale tant qu'il n'existe aucune certitude quant à la nature réelle du mal et tant qu'il n'a pas été établi que le mal se résorberait de lui-même si l'on réduisait le pouvoir du mental réactif ».

Nous sommes au coeur de la problématique de notre commission d'enquête : santé et dérives sectaires. Je me réfère aux écrits du fondateur de l'Eglise de Scientologie, qui utilise un langage qui fait référence au sujet de la santé et emprunte au langage médical. Il ne s'agit pas de textes ésotériques vieux de vingt siècles ! Enfin, une question plus génerale : quelle est la position de la Scientologie sur la vaccination ?

M. Eric Roux . - En 1950, quand La Dianétique a été écrite, la Scientologie n'existait pas encore. Je comprends bien que cela crée un petit peu de remous, mais je n'ai pas envie de commenter les textes sacrés ; il y a une différence à faire entre l'ensemble des écrits des fondateurs, dont il est facile d'extraire des phrases, qui peuvent être comprises de telle ou telle manière à telle époque, mais ces phrases n'engagent que leur auteur. Depuis, la Scientologie est entrée dans un autre domaine que celui de la Dianétique de 1950. Même si le livre est toujours là, qu'on peut le lire, parce que c'est la liberté d'expression, ce ne sont pas les pratiques de l'Eglise de Scientologie. Un malade ne sera pas traité selon La Dianétique ; il ne recevra pas l'audition de Dianétique. Il sera orienté vers un médecin, parce qu'il faut être en bonne santé. Il n'y a aucune volonté thérapeutique dans la pratique de la Scientologie. On ne recherche qu'une amélioration spirituelle qui va vers le divin. C'est une question de but. Même si le fondateur a écrit tout ce qu'il voulait, cela correspondait à sa pensée, mais ce ne sont pas les pratiques de l'Eglise de Scientologie. Si on commence à extraire des petits bouts de texte, on va en avoir pour très longtemps et je vais vous répéter toujours la même chose. Nous n'avons aucune pratique de ce genre là et nous ne cherchons absolument pas à guérir. L'unique but est une élévation spirituelle, une meilleure connaissance de soi, mais aucunement une visée thérapeutique. Pour répondre à votre autre question, la Scientologie n'a pas de position sur les vaccinations. Chaque Scientologue décide de ce qu'il fait.

Mme Catherine Génisson . - Vous allez sans doute encore me renvoyer dans mes cordes, sur le fait qu'il s'agit d'un texte sacré, à différencier de la pratique, mais nous avons lu les uns et les autres des témoignages récents d'anciens Scientologues qui attestent de l'existence de pratiques fondées sur la Dianétique.

M. Eric Roux . - Que la Dianétique soit utilisée, je ne dis pas le contraire. Qu'elle le soit dans un but de santé, je dis non. Ceux qui prétendent le contraire mentent. Je ne sais pas de quels livres vous parlez. En ce moment, il y a un peu de remous, notamment dans la presse « people », c'est sans doute pourquoi je suis là. Et je vous réponds : il n'y a aucune pratique de la Scientologie à visée thérapeutique. Ça ne veut pas dire que le fondateur n'a pas pu écrire son opinion, et les choses qu'il pensait, à un moment donné dans le temps.

Mme Catherine Deroche . - Combien de membres la Scientologie compte-t-elle ?

M. Eric Roux . - Entre 40 000 et 50 000 en France au sens large, 5 000 si on ne retient que les membres qui pratiquent régulièrement.

Mme Catherine Deroche . - Les médecins vers lesquels vous orientez les malades sont-ils scientologues ? Au sein de ce « noyau dur » de 5 000 parsonnes, y a-t-il des médecins ? Leurs pratiques diffèrent-elles des pratiques de leurs confrères ? Autre question : nous avons évoqué avec vous la psychiatrie. Est-il vrai que la Scientologie possèderait aux États-Unis des lieux de vie pour schizophrènes qui fonctionnent selon des principes différents de ce que l'on peut trouver en France ?

M. Eric Roux . - Je ne connais pas précisément la situation aux États-Unis. Si de tels établissements existent, je ne pense pas que ce soit des endroits ayant un lien quelconque avec l'Eglise de la Scientologie. Cela me semble tellement contraire à ce que nous croyons devoir faire. Nous n'avons, à mon avis, aucune doctrine sur la schizophrénie.

En ce qui concerne les médecins, on n'oriente les malades vers aucun médecin en particulier, scientologue ou pas scientologue. Les personnes qui doivent se soigner vont voir leur médecin traitant, qui en général n'est pas scientologue. Il y a des médecins scientologues : à ma connaissance, aucune règle ne les oblige à une démarche particulière vis-à-vis de la médecine. J'en connais qui pratiquent l'allopathie comme les autres ; ils soignent comme n'importe quel autre médecin, selon les règles de l'art.

Mme Muguette Dini . - Votre exposé liminaire a consisté en une leçon de droit, de transparence, de démocratie, de respect de la justice, de séparation des pouvoirs, etc. Cela ne nous apporte rien. Nous cherchons à savoir quelles sont, dans votre mouvement - et je ne le qualifierai ni de secte, ni d'Eglise, parce que je n'en sais rien -, les pratiques qui peuvent avoir une incidence sur la santé : santé physique, santé mentale, santé des enfants. Nous avons certes auditionné une personne exclue voilà trente ans.

M. Eric Roux . - Oui, en 1982.

Mme Muguette Dini . - Mais Jenna Miscavige, dans son livre, tout à fait récent, dit exactement la même chose. Sans doute me direz-vous que ce qui se passe aux États-Unis n'est pas transposable à ce qui se passe chez nous... Jenna Miscavige évoque la purification : purification spirituelle, avez-vous dit. Respectable. Sauf que j'ai cru comprendre que cette purification spirituelle se faisait selon des modalités qui n'étaient pas toujours sans conséquence sur la santé. Nous avons compris que l'on pouvait être très mal après.

M. Eric Roux . - Comment l'avez-vous compris ?

Mme Muguette Dini . - Pas par ce que vous nous avez dit, puisque vous n'avez rien dit ! Par ce que j'ai lu ! Donc je pose la question : y a-t-il, dans votre purification spirituelle, des contraintes physiques ?

Il y aussi une autre pratique : celle des auditions, qui, selon les témoignages, ressemblent beaucoup à du lavage de cerveau, à de l'emprise mentale. D'où notre scepticisme lorsque vous prétendez défendre les droits de l'homme bafoués par la psychiatrie en France. La plupart d'entre nous ici, sans être psychiatres, ont par le passé présidé des hôpitaux psychiatriques : je n'ai jamais constaté d'hôpital où l'on bafouait systématiquement - même s'il a pu y avoir des dérives - les droits de l'homme.

Certains psychiatres, dites-vous, travaillent à vos côtés ? Il y a, comme dans toutes les professions, des personnes qui vont mal chez les psychiatres.

M. Eric Roux . - Je pense que votre source ment dans 50 % de ce qu'elle raconte, et du début à la fin même si, étant la nièce du leader ecclésiastique de l'Eglise, ses propos ont pu être relayés par une presse à grand tirage. C'est très « people ». En France des dizaines de milliers de personnes ont suivi le programme de purification, il n'y a jamais eu un seul souci. Dans toutes les religions, il y a parfois des contraintes physiques. Je ne parle pas de contraintes dangereuses, je parle de choix personnels : le jeûne, le ramadan, les restrictions alimentaires de l'hindouisme, le sauna des Indiens d'Amérique... Il s'agit d'un choix religieux fait par des personnes en bonne santé.

Mme Muguette Dini . - Donc vous êtes en bonne santé.

M. Eric Roux . - Bien sûr, nous sommes en bonne santé, et une personne qui va faire un programme de purification va d'abord voir un médecin pour s'assurer qu'elle est apte à le faire. Nous sommes dans une situation de bonne santé pour éviter les complications, sinon même la course peut être dangereuse... Donc on fait attention à ces choses là.

Mme Catherine Deroche . - Un certificat médical est-il nécessaire ?

M. Eric Roux . - Oui, il s'agit de personnes en bonne santé. Nous n'avons pas de visée thérapeutique, pour reprendre un des thèmes de votre commission.

Mme Muguette Dini . - Notre commission a pour objet les dérives sectaires en matière de santé, non les visées thérapeutiques.

M. Eric Roux . - Elle a été constitué sur les faits suivants : le développement de pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique sans fondement scientifique. Le libellé en fait mention.

Mme Muguette Dini . - Pas le titre !

M. Eric Roux . - Je ne parle pas du titre. Je ne vais pas discuter de ça, mais en tout cas il y a une différence entre visée spirituelle et visée thérapeutique. Lorsque les juifs pratiquent la circoncision, il y a une contrainte physique. Oui, les personnes peuvent prendre des vitamines ou se rendre au sauna ; elles le font en toute liberté, sans visée thérapeutique. Je puis vous assurer qu'il n'y a jamais eu de problème. Cela fait vingt ans que je suis scientologue. Je n'ai jamais vu un problème, ni une personne se sentir mal après. Au contraire, je pourrais vous présenter de milliers de Scientologues qui viendraient vous dire à quel point cela leur a fait du bien.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Si c'est aussi simple et si ça ne pose pas de problème, vous pouvez bien nous dire ce que c'est que la purification ?

Mme Catherine Deroche . - Comment le médecin peut-il établir un certificat médical ?

M. Eric Roux . - Le médecin peut établir un certificat médical, en sachant ce qu'est le programme. C'est à la personne de l'en informer. La personne le fait en général de manière parfaitement honnête, parce qu'on n'est pas des idiots non plus, et la raison pour laquelle il n'y a jamais eu un problème, c'est justement parce que c'est bien fait.

Le programme de purification, c'est très simple. Vous avez une certaine alimentation. Ça se passe pendant quinze jours de la vie d'un Scientologue. Il va faire du sauna, il va prendre des compléments alimentaires, il va se nourrir convenablement, dormir convenablement, et parvient à un résultat spirituel et non pas médical ou thérapeutique. C'est aussi simple que ça. Après, je ne pense pas que l'objet de votre commission soit la théologie scientologue, ni la pratique de l'ensemble de la Scientologie. Je pense que j'ai bien répondu à cette partie de la question.

L'autre partie de la question concernait les auditions. Vous dites : c'est de l'emprise mentale. Voyez-vous, je pratique la religion de Scientologie depuis vingt ans, je suis moi-même un responsable, vous l'avez dit : je suis porte parole. Je pratique l'audition depuis vingt ans - à la fois comme auditionné et comme auditeur, comme nous tous. Vous avez des milliers de Scientologues en France qui peuvent venir vous parler des bienfaits de l'audition. Vous en avez quelques uns qui se plaignent. J'entends bien : on ne peut pas, dans chaque groupe de personne, contenter tout le monde. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? C'est la pratique des Scientologues. Prenez la confession. C'est une pratique qui pourrait être proche de certaines auditions dont vous parlez. Pourrait-on dire que c'est de l'emprise mentale ?

Mme Hélène Lipietz . - Oui !

M. Éric Roux. - Peut-être que vous, vous pensez que c'est de l'emprise mentale, mais c'est le choix de la personne qui va faire sa confession, le choix de la personne qui est catholique. Si elle estime que ça lui fait du bien, je ne pense pas que l'on peut s'ingérer là-dedans.

Beaucoup de Scientologues pourraient vous dire à quel point les auditions leur font du bien. Mais à la limite, en quoi ça vous intéresserait ? C'est leur vie privée, c'est leur manière de faire, comme c'est la mienne...

Mme Muguette Dini . - Sauf si cette pratique a des effets sur la santé mentale.

M. Eric Roux . - Ça n'a pas d'impact sur la santé mentale dans le sens où, quand vous parlez de santé mentale, vous parlez de gens qui ont des problèmes de santé mentale. Après, on peut jouer sur le terme. A priori, vous êtes une dame avec une santé mentale correcte, normale. Vous voyez ce que je veux dire. Donc on n'est pas dans le domaine médical. Mais on pourrait se dire, vous comme moi, qu'on pourrait avoir une santé mentale encore meilleure. Qu'est-ce que la santé mentale ? Moi, j'estime que la Scientologie spirituellement, mentalement, m'apporte beaucoup mais je ne pense pas qu'on soit dans le domaine de la santé mentale. Vous comprenez ? L'audition n'a rien à faire dans cette enceinte, c'est une pratique spirituelle de la Scientologie, comme la confession, la prière, la méditation, etc., pour d'autres religions.

Mme Catherine Génisson . - L'audition est-elle gratuite ?

M. Eric Roux . - Non, elle n'est pas gratuite. J'ai fait une longue étude sur le financement des religions. D'abord, je ne pense pas que l'aspect financier entre dans le cadre de cette commission. Vous vous rendrez compte que toutes les religions ont des systèmes de financement et qui sont payants. Vous allez vous former comme ministre du culte dans un institut biblique : c'est beaucoup plus cher. Vous allez faire des stages de méditation bouddhistes, hindouistes, etc... c'est payant. Dans la religion catholique, lorsqu'un prêtre va suivre sa formation, c'est payant, par les fidèles, mais ça revient à 21 000 € l'année, et ça dure sept ans ! On trouve ça cher, on ne trouve pas ça cher, c'est un choix, mais c'est un système de financement. Celui de l'Eglise est parfaitement transparent, avec des prix qui correspondent à quelque chose qui est connu, et ça ne sort pas, finalement, quoi qu'on en dise, du cadre normal de la religion dans notre pays ou dans d'autres pays.

M. Stéphane Mazars . - Pouvez-vous nous dire quelques mots de l'électromètre ? A quoi sert-il ?

M. Eric Roux . - Là encore, je suis absolument désolé, vous allez dire que je fais tout le temps la même chose, mais ce sont des éléments qui ont été traités dans le procès pénal actuellement en cours.

M. Stéphane Mazars . - Peut-être l'utilisation de l'électromètre est-elle abordée dans le procès, mais le principe même de l'électromètre, je ne pense pas !

M. Eric Roux . - D'accord, je vais vous expliquer. Nous croyons que l'on ne vit pas qu'une fois. Nous pensons que la personne, c'est-à-dire vous, l'individu, vous êtes votre propre âme, que cette propre âme est immortelle, et qu'elle passe de vie en vie. Et nous pensons que l'esprit a une influence sur la matière, ce qui ressemble à beaucoup d'autres religions plus anciennes. Les Scientologues utilisent l'électromètre depuis le début de la Scientologie, en pensant que l'influence de l'esprit sur la matière va avoir une influence sur le courant électrique. L'électromètre fait passer un très faible courant électrique, que vous ne sentez pas, à travers le corps, c'est moins qu'une pile de 1,5 w... Et selon les changements spirituels qui se produisent, cela permet de détecter les zones de détresse spirituelle qui correspondent à ces choses qui ont pu se passer, peut-être, dans d'autres vies. Peut-être parmi vous y en a-t-il qui diront que c'est ridicule, en tout cas, mais encore une fois on est dans le domaine des croyances. Je vous réponds sur l'électromètre : il n'a rien à voir avec la santé.

M. Stéphane Mazars . - Quel est l'objet du diagnostic posé par l'électromètre ?

M. Eric Roux . - Il n'y a aucun diagnostic.

M. Stéphane Mazars . - Quel est l'intérêt, alors ?

M. Eric Roux . - Il s'agit de localiser des zones de détresse spirituelle qui se sont produites dans d'autres vies, peut-être, ou dans cette vie-ci, et ensuite de travailler avec la personne qui vous aide.

M. Stéphane Mazars . - Il y a bien un diagnostic, un constat. Et à partir de là, donc, on travaille ?

M. Eric Roux . - Oui, absolument, on travaille. C'est un travail personnel, qui entre dans le domaine religieux, comme je vous l'ai dit.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous ne pensez pas qu'on est dans le domaine du soin psychique ? Je n'ai pas bien compris.

M. Eric Roux . - Comprenez bien. Vous êtes malade mental. Pardonnez-moi, je ne voulais absolument pas faire de mauvais jeu de mot. Une personne est malade mentale, elle a besoin de soins psychiques. Mais on ne parle pas de ça. C'est exactement comme si vous me disiez qu'un prêtre catholique qui écoute un paroissien dispense un soin psychique. C'est exactement comme si vous me disiez qu'un bouddhiste, en pratiquant la méditation, fait du soin psychique. Je ne crois pas qu'on puisse mélanger les choses. Et c'est de cet ordre là.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous utilisez les résultats d'un appareil que vous appelez l'électromètre, vous faites passer un courant de très faible puissance, et ça vous permet de localiser des zones de stress, si j'ai bien compris.

M. Alain Milon . - De détresse spirituelle.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - De détresse spirituelle. Donc par rapport à ça, vous prenez des dispositions pour remédier à ces constats, si je puis exprimer cela sous cette forme ?

M. Eric Roux . - Je pense que j'ai été clair. Je vais vous lire un tout petit texte qui a été écrit par un pasteur luthérien qui s'appelle Ernst Jahn, dans les années 1930, et qui parlait de la notion de « charge d'âme ». Parce qu'aujourd'hui, dès qu'on commence à parler de « charge d'âme », dès qu'on commence à dire qu'on peut aider quelqu'un d'un point de vue spirituel, avec ce que j'entends ici, j'ai l'impression que ça entre dans le domaine psychiatrique ou psychologique. Mais non ! C'est la vie ! C'est l'essence de la religion. L'essence de la religion, c'est de prendre soin de l'âme. Je vous rappelle que le mot psychologie, c'est psychè : psychè, c'est l'âme. Originellement, l'âme, la psychè, ça appartient au domaine philosophique, au domaine religieux.

Mme Catherine Génisson . - C'est différent !

M. Eric Roux . - Ça appartient aux deux. Quand vous regardez les philosophes grecs, à la fois ils étaient philosophes et à la fois ils avaient un point de vue sur l'esprit, sur la religion, sur la divinité, sur l'Un, donc je pense qu'il y a une racine commune aux deux.

Je vous lis, donc (Alfred Adler, en fait. Alfred Adler et Ernst Jahn ont coécrit, c'est Alfred Adler qu'on nomme le « père de la psychologie ») : « La notion de charge d'âme est la fois si vaste et si proche de la vie qu'elle ne se laisse pas définir avec une exactitude mathématique. A partir du moment où un sujet de structure psychique plus forte agit sur un autre psychiquement plus faible, ou plus exactement à partir du moment où le sujet plus mûri agit sur celui qui l'est moins, on peut invoquer la notion de charge d'âme. Dans ce sens, tout le processus éducatif peut être considéré comme étant une cure d'âme. Cette notion peut également ressortir d'une idée donnée, dans la mesure où cette idée possède la faculté de renforcer les liens de la société. La faculté de renforcer les liens de la société : rappelons à ce sujet, avant tout, l'idée nationale. Le croyant se sent en présence de Dieu, il se sait guidé par lui. Le point culminant de toute cure d'âme est la prise de conscience d'être responsable devant Dieu et conduit par lui. Les différentes formes de la direction spirituelle se manifesteront dans la pratique de diverses façons. »

Voilà pourquoi il est impossible de définir mathématiquement la notion de cure d'âme. L'Eglise parle de cure d'âme, mais nous venons de dire qu'en dehors de la cure d'âme chrétienne, il s'en est développé une autre, laïque, et originellement, la cure d'âme appartenait à l'Eglise chrétienne. Et on est dans ce domaine là. Comprenez bien qu'on n'est pas dans le domaine de gens qui souffrent, de problèmes mentaux - les malades mentaux appartiennent au domaine de la psychiatrie, j'en conviens - on est dans le domaine de gens qui sont bien portants, qui vont bien, qui font un travail spirituel sur eux-mêmes, et qui cherchent à s'améliorer eux-mêmes. Donc je ne vois pas, je suis désolé de vous le dire, le rapport avec ce que vous appelez un travail psychiatrique ou psychologique, à part si vous voulez rattacher cela à l'origine et à l'étymologie du mot qui est un travail sur l'âme.

Mme Hélène Lipietz . - Je voudrais faire deux remarques et, après, vous poser une question. Vos formations sont facturées selon un barème. Dans la religion catholique, c'est un peu l'inverse : jamais un séminariste ne va payer pour ses études. La formation des séminaristes est prise en charge par les fidèles, dont je suis. C'est une autre vision de la religion.

Deuxième remarque : ce qui m'a choquée, ce n'est pas votre attaque contre le fait que nous vous ayons invité, alors que nous avons fait cet effort. Ce qui m'a choquée, c'est que vous nous ayez relu textuellement votre lettre, comme si vous partiez du principe nous n'avions pas pris le temps de la lire. C'est choquant, nous sommes ici entre honnêtes gens. J'ai retrouvé dans votre propos, mot pour mot, ce que vous aviez écrit.

Une question : Nous avons entendu beaucoup d'associations. Des associations de victimes, des associations qui se présentent comme des associations de lutte antisectes... Qu'est-ce qui vous fait penser aujourd'hui que le fait de vous entendre signifie que nous vous classons dans une secte ? Nous vous entendons peut-être comme nous avons entendu n'importe quelle autre association parmi celles qui sont régulièrement pointées du doigt. Vous n'êtes pas la seule association à être pointée du doigt dans un sens ou dans un autre. En quoi pensez-vous que le fait de vous interroger aujourd'hui prouve que nous vous considérons comme une secte ? Peut-être que, parmi nous, et je n'en sais rien, il y a des membres de votre Eglise, ou de votre association, comme on veut... Qu'est-ce qui vous choque dans l'idée que vous seriez peut-être vus par nous comme étant une secte ? Et pourquoi n'auriez-vous pas envie, justement si vous vous sentez visé, de nous prouver que vous ne l'êtes pas ? J'avoue que je n'ai pas compris votre démarche.

M. Eric Roux . - Je n'ai pas du tout pensé que vous n'auriez pas lu le courrier, cela n'a rien à voir. Mais comme il s'agit d'une audition formelle, filmée (j'ai cru comprendre que sa diffusion serait éventuelle), donc j'ai voulu répéter ces divers points - avec quelques petits changements, comme vous avez pu le remarquer, par rapport à la lettre écrite - mais ce n'était pas du tout pour vous imposer une deuxième lecture, j'en suis désolé. Ce point est donc clarifié.

Ensuite, je ne suis pas né de la dernière pluie, M. le président l'a dit au début : en 1999, un questionnaire a été envoyé aux mouvements sectaires et vous n'avez pas répondu : j'en déduis, parce que je ne suis pas très idiot, qu'il considère que nous sommes un mouvement sectaire puisque la liaison est faite. Ensuite il dit : c'est la première fois qu'un mouvement sectaire est invité. Voilà ! Il ne faut pas non plus penser que je suis né de la dernière pluie, je suis venu. J'espère bien que tous, vous n'êtes pas du même avis, et que certainement, il y en a qui ont une vision plus libérale, il y en a certainement qui ont des a priori, des préjugés... Je suis venu quand même. On me dit que j'étais obligé de venir. Peut-être, d'après la loi, bien qu'il n'y ait jamais eu une seule condamnation sous la V e République. C'est vrai, je suis obligé. Mais quand je dis que j'ai un profond respect pour le Sénat et pour le travail que vous faites, je le pense. Je le pense vraiment. Et ce sur quoi j'ai protesté, ce n'est pas sur le fait que vous m'invitiez : vous avez invité un opposant de l'Eglise, donc je trouve ça bien que vous m'invitiez. Je suis étonné que vous ayez invité celui-là, mais bon... Soit ! Vous faites ce que vous voulez !

Ce n'est pas sur ça que je proteste, c'est tout simplement sur ce que je vous ai dit : je pense qu'au-delà du fait que c'est vrai que la commission a la liberté d'organiser la publicité des débats, je pense que l'esprit de la loi, au-delà du texte, c'est la publicité la plus large des débats. Et j'ai protesté sur le fait qu'il y avait une publicité très large pour certaines personnes qui ont été auditionnées, en tous cas celles que j'ai dites, c'est-à-dire ouverture au public et à la presse, et que moi, quand je dis : j'aimerais bien que ce soit ouvert au public et à la presse, on me dit non. De quoi on a peur ? Ce n'est pas pour me protéger moi que vous faites ça, parce que moi, j'ai demandé à ce que la presse soit là. Ils seraient venus ou ils ne seraient pas venus, je n'en sais rien, mais j'ai demandé à ce que, au moins, ce soit ouvert. Donc c'est sur ce point là que j'ai protesté. Pas sur le fait d'avoir été invité.

Mme Gisèle Printz . - Faut-il acquitter une cotisation pour être membre de l'Eglise de Scientologie ?

M. Eric Roux. - Non, ce n'est pas obligé.

Mme Gisèle Printz . - Comment alors dénombrez-vous les membres ?

M. Eric Roux. - C'est un comptage interne, dans lequel on a par exemple des abonnés à des revues. Ce sont des estimations, je ne peux vous donner un chiffre exact. Surtout que je ne m'occupe pas de toutes les églises de France, donc j'ai une estimation globale, en regardant sur une dizaine d'années combien de personnes ont fréquenté les églises, combien de personnes on a d'abonnées à nos revues, et ensuite, quand je vous donne le chiffre de 5 000, c'est plus facile car je regarde sur un ou deux ans combien de personnes sont venues sur des services religieux dans l'Eglise.

Mme Gisèle Printz . - Comment devient-on révérend ? Est-ce un sacrement, comme dans les autres Eglises ?

M. Eric Roux. - Absolument, c'est un sacrement, c'est-à-dire qu'il y a une ordination de ministres du culte qui existe, comme dans les autres Eglises, et ça demande une certaine étude, une certaine connaissance. On devient ministre du culte après une formation.

Mme Catherine Deroche . - Une question concernant les mineurs. Toutes les pratiques dont nous avons parlé : électromètre, purification, audition, est-ce fait sur des adolescents, des mineurs ?

M. Eric Roux. - Sans l'autorisation des deux parents, non. Si les parents sont pratiquants, il peut arriver qu'un enfant - plutôt un adolescent -, souhaite pratiquer une audition, c'est un choix personnel. Je vais vous parler du baptême, que j'aime bien parce que quand on baptise un enfant, qui vient de parents scientologues - je n'ai pas encore de parents non scientologues qui viennent me voir pour baptiser leurs enfants... On dit clairement que si l'enfant choisit une autre voie que celle de ses parents aujourd'hui, ce sera son choix et en aucun cas on ne pourra le lui reprocher. Il y a un point très important dans la Scientologie : on ne peut pas pratiquer la Scientologie de manière imposée. Lorsque les jeunes viennent, ils viennent parce qu'ils ont envie de le faire et parce que c'est leur choix. En général, ils font beaucoup de cours, mais s'ils décident de faire une audition, ils peuvent le faire.

Mme Catherine Deroche . - Peut-on être baptisé à tout âge ?

M. Eric Roux. - En général, c'est plus pratique, comme on tient l'enfant dans ses bras, de le faire jeune. Je vous avoue que j'ai baptisé des enfants de deux ans, c'était très fatigant. On le fait en général un peu après la naissance : c'est ce qu'on appelle la cérémonie d'attribution du nom.

Mme Catherine Génisson . - Vous allez sans doute considérer que ma question est inopportune, mais nous avons fait les uns et les autres allusion à un best seller qui est écrit par la nièce du fondateur...

M. Eric Roux. - Pas du fondateur, du leader ecclésiastique.

Mme Catherine Génisson . - Oui, pardonnez-moi. Vous avez dit que les écrits de cette personne étaient à 50 % faux, j'en conclus donc qu'ils sont vrais à 50 %. Qu'y a-t-il de faux, qu'y a-t-il de vrai ? Cela rejoint la question de ma collègue, dès lors que dans ce livre il est écrit que toutes les techniques que vous avez décrites sont très largement appliquées aux mineurs, et, semble-t-il, sans leur consentement... En tout cas, sans leur consentement éclairé.

M. Eric Roux. - Déjà, je vais être obligé de vous avouer quelque chose : je n'ai pas lu ce livre, tout simplement parce que je n'en ai pas eu le temps. Je l'ai découvert dans la presse, dans laquelle j'en ai lu de larges extraits. Dans ce que j'ai lu, il y a des choses absolument fausses, quand elle parle de son oncle. On est dans un contexte complètement américain, il n'y a qu'en France que ce livre a été traduit. Même aux Etats-Unis, il n'a pas le succès qu'il a en France. L'Eglise américaine a publié une réponse dans laquelle on a vu trente jeunes, qui ne sont pas des membres du clergé scientologue, qui sont certainement encore pour la plupart des Scientologues - encore que, pas tous, je crois - qui ont été éduqués dans les mêmes conditions qu'elle - sa famille fait partie du haut clergé de la Scientologie, c'est comme si elle vivait au Vatican, sauf que c'était aux Etats-Unis. Et donc, ces trente jeunes, éduqués dans les mêmes conditions, disent : « Nous, on a une vision complètement différente de notre époque passée au Ranch, ce dont elle parle. Et pour nous, cette époque, ça a été une des meilleures époques de notre vie, on a appris énormément de choses, ça nous a donné la possibilité de réussir aujourd'hui dans la vie comme on réussit, et on ne fait pas partie de l'Eglise ». Donc ils ont un témoignage très différent. Je pense que le témoignage de cette fille est très subjectif, qu'il a à voir aussi avec le fait qu'étant la nièce du leader ecclésiastique, elle a un nom qui lui permet de faire beaucoup de « buzz » et d'en parler, et je ne lui accorde pas foi. Peut-être que vous lui accordez foi, mais c'est difficile pour moi de dire ce qui est vrai et ce qui est faux, parce que je n'ai lu que des extraits.

Mme Muguette Dini . - Vous nous avez dit que l'électromètre permettait de faire un constat de moments de détresse spirituelle. Y a-t-il des gens qui utilisent l'électromètre - je ne vais pas dire qu'on soumet à l'électromètre, ce n'est pas un instrument de torture - mais pour qui finalement on sent qu'ils vont très bien ?

M. Eric Roux. - Normalement, les Scientologues vont bien. Je vais vous dire pourquoi : on n'est pas avec des gens qui ne vont pas bien. Moi, personnellement, je me sens bien dans la vie. Les Scientologues en général sont plutôt comme moi. Lorsque je parle de détresse spirituelle, je ne parle pas d'une personne qui irait très mal. On a chacun dans notre vie, des moments, sans remonter dans les vies passées - parce que je ne vous infligerai pas ce voyage - des moments qui peuvent être des moments de détresse spirituelle.

Mme Catherine Génisson . - Seulement comme être humain ?

Mme Muguette Dini . - On ne se réincarne pas en animal ?

M. Eric Roux. - Il n'y a pas, comme dans l'hindouisme, cette réincarnation en animal. Même si vous allez très bien, même si vous êtes en pleine forme, il peut y avoir des moments de détresse spirituelle, vous comprenez ? Et les Scientologues considèrent qu'à ces moments-là peuvent se produire des choses qui ont une influence après, dans votre vie, et sur votre connaissance de vous-mêmes. Mais comprenons-nous bien : je ne parle pas de gens qui vont mal, je parle de gens qui vont bien. Et j'espère que la majorité des Scientologues vont bien, même s'ils sont sujets aux caprices de la vie, comme tout le monde.

Mme Muguette Dini . - Quand vous sentez que quelqu'un est en détresse spirituelle, comment l'aidez-vous à en sortir ?

M. Eric Roux. - Comme n'importe qui. Si un Scientologue est en détresse spirituelle, il faut regarder d'où ça vient. Mais là, on est dans le domaine de l'aide, pas dans le domaine de la Scientologie.

Mme Muguette Dini . - Après, vous revérifiez que ça va mieux ? Avec l'électromètre ?

M. Eric Roux. - Non, pas du tout, tout le monde se sert de l'électromètre à la Scientologie. Moi, je suis en pleine forme. J'arrive à la Scientologie, nous avons une progression spirituelle qui va amener la personne vers une liberté spirituelle totale. Ce sont nos croyances, je vous remercie de les respecter. On utilise l'électromètre pour progresser. Il ne s'agit pas de dire : tu vas bien ou tu ne vas pas bien. On progresse de cette manière.

Mme Muguette Dini . - Dernière question. Quand on utilise l'électromètre, est-ce qu'on paye à chaque fois ?

M. Eric Roux. - Pas forcément. Par exemple, comme je vous le disais, la manière la plus simple de progresser, sur ce que nous appelons le pont vers la liberté spirituelle totale, c'est de vous-même vous former, en tant qu'auditeur, et en tant que ministre du culte. Ensuite avec quelqu'un, qui fait la même formation que vous, vous faites ce que l'on appelle de la co-audition : c'est complètement gratuit, et vous progressez en utilisant l'électromètre. Vous aidez l'autre ; l'autre vous aide. Cela se fait à deux. Ce n'est donc pas payant à chaque fois.

M. Alain Milon , président . - Vous nous avez reproché de ne pas avoir fait cette audition en public. Or vous n'aviez pas besoin de nous pour diffuser vos messages : vous avez procédé à votre propre audition à l'Hôtel Lutetia tout à l'heure.

M. Eric Roux. - J'ai fait ce que j'ai pu.


* 1 La DGCN a souhaité apporter la précision suivante : ce réseau compte 350 enquêteurs spécialisés.

* 2 Selon les informations transmises par la suite à la commission d'enquête par la DGDDI, une rencontre s'est tenue depuis cette audition entre la Miviludes, la Direction du renseignement douanier (DRD) et le Service nationale de douane judiciaire.

* 3 Les parents étaient végétaliens.

* 4 M. Malbreil présente à la commission pendant son exposé introductif un document power point.

* 5 Rectification matérielle de l'orateur : entre 1990 et 2000.

* 6 Heures de face à face pédagogique.

* 7 Le président de la Fédération française des kinésiologues spécialisés a par la suite souhaité rectifier ce chiffre : le nombre de professionnels inscrits est de 347.

* 8 Magazine scientologue Certainty , Volume 8, numéro 4, 1961.

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