Audition de M. Xavier RONSIN, directeur de l'Ecole nationale de la magistrature, et de Mme Isabelle BIGNALET, sous-directrice de l'Ecole nationale de la magistrature, responsable de la formation continue (mercredi 9 janvier 2013)
M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous poursuivons notre travail avec l'audition de M. Xavier Ronsin, directeur de l'Ecole nationale de la magistrature, l'ENM. Il est accompagné de Mme Isabelle Bignalet, sous-directrice de l'ENM, responsable de la formation continue.
La sensibilisation des futurs magistrats aux enjeux de la vigilance sectaire de même que la formation continue des magistrats et des professionnels de la justice nous semblent devoir faire partie de notre enquête. Je souligne donc l'intérêt de cette audition.
La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.
J'attire l'attention du public sur le fait qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence, et que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ.
Je précise que notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe RDSE, dont M. Jacques Mézard, notre rapporteur, est le président. Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous faire prêter serment. Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Madame Isabelle Bignalet et monsieur Xavier Ronsin, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».
Les deux personnes se lèvent et prêtent serment.
M. Alain Milon , président . - Je vous propose, monsieur le directeur, de lancer nos débats par un court exposé introductif, puis M. le rapporteur et nos collègues vous poseront les questions qui les intéressent.
M. Xavier Ronsin , directeur de l'Ecole nationale de la magistrature . - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord dire quelques mots de présentation.
Je suis directeur de l'Ecole nationale de la magistrature depuis un peu moins d'un an. Comme vous le savez sans doute, l'ENM a plusieurs missions.
Elle a une mission de formation initiale pour les futurs magistrats. L'école accueille les étudiants, recrutés par concours ou sur titre, et leur dispense une formation initiale d'une durée de trente et un mois avant qu'ils ne deviennent magistrats.
L'ENM est également l'opérateur quasi exclusif de la formation continue des magistrats français. Il s'agit d'une offre de formation extrêmement riche qui a un contenu réglementaire, je crois utile de le préciser, car tout magistrat doit suivre une formation d'une durée minimum de cinq jours par an, en formation nationale ou régionale et déconcentrée.
Si je vous apporte ces précisions, c'est pour indiquer que nous produisons un catalogue de formation continue diffusé à l'automne. Le principe, qui souffre assez peu d'exceptions, est que les magistrats s'inscrivent à nos actions de formation continue sur la base du volontariat, en indiquant plusieurs choix. En général, nous leur accordons soit leur premier choix de formation, soit leur deuxième.
Il n'y a donc pas de principe de contenus de formation imposés. Cela signifie que certaines formations sont suivies par beaucoup de magistrats, d'autres par moins, puisque, pour susciter l'adhésion des magistrats, le choix se fait sur la base du volontariat.
Je me propose, puisque je vous ai envoyé des documents que j'espère suffisamment complets, de vous présenter simplement les grandes lignes.
La formation des futurs magistrats ou des magistrats en exercice afin de leur permettre de bien appréhender les phénomènes de dérives sectaires est naturellement au coeur du métier de l'ENM et de ses équipes. L'ENM, en tant qu'opérateur de formation initiale, n'est pas une « super faculté de droit ». Nous enseignons les différents métiers de base de la magistrature, notamment les fonctions de juge des enfants, de juge aux affaires familiales ou de substitut du procureur.
Comme je l'ai détaillé dans la note que je vous ai fait parvenir, nous sensibilisons les futurs magistrats aux thèmes de la maltraitance, de la vulnérabilité et de la dépendance, aussi bien dans les phases de formation initiale que dans les phases de spécialisation. C'est notamment le cas pour les futurs juges des enfants ou les futurs parquetiers. Entre ces deux phases, les futurs magistrats, que nous appelons auditeurs de justice, partent durant un peu moins d'une année dans une juridiction où ils font un stage de plein exercice avec des magistrats. Ils exercent toutes les fonctions et naturellement, à cette occasion, sont sensibilisés aux dossiers que les magistrats du tribunal d'affectation peuvent leur présenter.
Cette sensibilisation à ces problématiques se quantifie également par des volumes d'heures. Je vous ai ainsi envoyé des exemples de formations sur les sectes et les mineurs ou sur des problématiques particulières destinées aux juges des enfants. Bien sûr, nous avons eu à plusieurs reprises des contacts avec le président de la Miviludes, parce qu'il nous paraissait important de disposer de son expertise.
Je vais évoquer rapidement le deuxième point, la formation continue, ce qui me permettra de répondre plus facilement à vos questions. La formation continue aborde le thème des sectes ou les questions qui émergent autour des sectes. La formation dédiée à cette question a eu par le passé pour titre « l'enfant et les sectes », « les sectes », et s'intitule aujourd'hui « les dérives sectaires ». Il s'agit donc d'une formation ancienne dont nous avons pu faire bénéficier depuis plusieurs années environ 400 magistrats. Les bénéficiaires sont des magistrats en poste, en exercice, qui ont entre un an et trente-cinq ans d'ancienneté, qui ont montré un intérêt patent pour ces problématiques et qui se sont inscrits. L'ENM, en tant qu'opérateur - je suis d'ailleurs accompagné, comme vous l'avez rappelé, d'Isabelle Bignalet qui est magistrat comme moi et sous-directrice en charge de la formation continue -, a mis en place des sessions de formation continue sur ces problématiques, qui ont eu toujours beaucoup de succès.
Quel est notre but dans ces sessions ? Non pas de privilégier une approche purement théorique du sujet des dérives sectaires. Les magistrats qui y assistent ont souvent été confrontés dans leur pratique à des cas concrets et ont besoin d'un appareil critique, d'échanges avec des collègues pour savoir quelles clés de lecture privilégier, quels choix procéduraux faire. Nous essayons de leur donner ces compétences dans un esprit opérationnel. La richesse de la formation est de permettre ces échanges et de ne pas fonctionner simplement par une information descendante, du sachant vers celui qui apprend.
Nous y enseignons à la fois les éléments fondamentaux - qu'est-ce que la notion de dérives sectaires, quels sont les textes juridiques, quels sont les acteurs de la prévention -, nous faisons appel à des experts, psychiatres ou psychologues, nous définissons les grands contentieux les plus fréquemment rencontrés sur notre territoire et nous développons éventuellement des thèmes d'actualité. L'important, c'est de susciter des débats et des échanges.
Notre politique est de semer du grain. Un collègue qui a bénéficié d'une telle formation, de retour dans son tribunal, dans sa chambre, dans son service, qu'il soit parquetier ou juge des enfants, essaime et fait bénéficier son entourage professionnel de ce qu'il a pu apprendre.
Concernant le thème qui est l'objet de votre commission d'enquête, notons que le sujet de l'année 2012, comme le sujet programmé de l'année 2013, porte sur les dérives sectaires et la santé.
Il est important aussi de préciser que nous ne sommes pas uniquement endogamiques, ce n'est pas « des magistrats parlent à des magistrats ». Dans ces formations, nous accueillons également d'autres publics. La session de 2012, par exemple, accueillait près de quatre-vingt-dix participants, parmi lesquels une quarantaine de magistrats mais aussi des greffiers, des membres de l'administration pénitentiaire, des policiers, en particulier des officiers et des fonctionnaires de police de la cellule d'assistance et d'intervention en matière de dérives sectaires, la Caimades, des officiers de gendarmerie et des administrateurs de l'Assemblée nationale. Ceux-ci s'étaient inscrits, car nous leur avons ouvert nos programmes. Je le dis parce que je suis au Sénat, bien sûr, et sans vouloir vous taquiner, mais des administrateurs de l'Assemblée nationale ont participé à cette session.
En 2013, nous prévoyons de passer de 90 participants à 115 participants - cela montre le succès de ces formations -, avec plus de 60 magistrats français, des magistrats étrangers - nous sommes en partenariat avec d'autres écoles de formation judiciaire et nous avons donc mis cette formation au catalogue des actions de formation que nous ouvrons à des magistrats étrangers - et, de nouveau, des policiers et des administrateurs du Parlement.
La formation durait trois jours en 2012 ; nous l'avons porté à quatre jours pour 2013. C'est sans doute une très bonne détection de l'actualité relative aux dérives sectaires qui nous a fait choisir, à la suite des travaux de la Miviludes, le thème de la santé comme thème d'actualité transversale à cette session de formation. Nous travaillons en lien étroit avec la Miviludes, dont le guide Santé et dérives sectaires a été distribué à l'ensemble des participants.
Enfin, et c'est mon dernier point, nous proposons également dans notre catalogue de formations un diplôme universitaire intitulé « emprise sectaire, processus de vulnérabilité et enjeux éthiques », organisé par l'Université Paris V, en lien avec la Miviludes. C'est un peu marginal par rapport à nos offres de formation, mais deux magistrats se sont inscrits à ce cursus de formation exigeant. Ils vont donc suivre huit modules de trois jours chacun, de novembre à juin. Certains de ces modules portent sur les aspects médicaux et sociaux, la psychologique, la psychiatrie, etc.
Je crois donc pouvoir dire que le dispositif de formation des magistrats proposé par l'ENM prend bien en compte ces thématiques. Le chiffre de 400 magistrats touchés depuis cinq ou six ans par ces formations, sur un peu plus de 8 000 magistrats en France, montre l'intérêt porté à ces formations et leur succès, qui est le signe de leur qualité. Nous nous efforçons de suivre l'actualité et les travaux récents, et d'enrichir d'année en année le contenu de cette formation. Nous évaluons régulièrement la pertinence de nos actions de formation et nous remettons sur le métier les canevas de formation. C'est d'ailleurs pour cela que nous avons augmenté la densité de la session de cette année.
Voilà donc dans les grandes lignes ce que je souhaitais communiquer. Nous mettons en oeuvre en formation initiale une sensibilisation par une approche métier et par une approche déontologie et réflexes professionnels et en formation continue un module disponible depuis plusieurs années et dont le succès va grandissant ; nous mettons enfin à disposition des magistrats un diplôme universitaire.
M. Alain Milon , président . - La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Mézard , rapporteur . - Je vous remercie, monsieur le directeur, de cet exposé synthétique qui nous rassure et nous confirme dans l'idée que la question des dérives sectaires dans la santé est une des préoccupations de la magistrature. C'est une satisfaction pour nous.
Je souhaite vous poser quelques questions. Manifestement, d'après les chiffres que vous nous donnez, la formation continue fonctionne de mieux en mieux. Mais, en ce qui concerne la formation initiale, on a un peu le sentiment, et mon terme n'est pas provocateur, que la question des dérives sectaires est approchée de manière un peu homéopathique, c'est-à-dire très diluée. Les informations sur cette question n'émergent qu'à l'occasion du cursus général. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait prévoir, durant la formation initiale, un module, même court, vraiment centré sur cette question ?
Ensuite, ayant mis en oeuvre cette formation, vous disposez d'une certaine expérience. Que tirez-vous des informations que vous avez pu recueillir quant à l'évolution de ces dérives et la manière dont on peut les contrer ?
M. Xavier Ronsin . - Le mot « dilution » m'amène à réagir, mais je ne veux pas me lancer dans une analyse des mérites ou non de l'homéopathie et des dilutions successives ... (Sourires.)
M. Jacques Mézard , rapporteur . - C'était un peu provocateur.
M. Xavier Ronsin . - Je ne parlerais donc pas de dilution. Comme cela figure plus complètement dans la note que je vous ai adressée, nous disposons d'une séquence de trois heures sur ce sujet devant un public très ciblé. Cela peut apparaître comme « dilué » au regard des 31 mois de formation, mais c'est extrêmement précis et nous sensibilisons les étudiants.
On pourrait caricaturer certaines formations de l'ENM en disant « sur deux ans et demi vous ne faites que cela sur la déontologie ou sur l'expertise comptable », mais il faut voir plus loin, c'est en tout cas ce que je défends. L'important n'est pas tant le volume horaire que la pertinence du public et du moment. Nous sommes face à des étudiants, voire à des jeunes professionnels, parfois un peu plus anciens, et nous devons les amener vers des métiers. Nous devons leur apprendre à rédiger des jugements. C'est la première phase : quels sont les réflexes du magistrat, quelle est sa déontologie, etc.
J'entends donc le mot « dilution », mais pas dans le sens d'une inefficacité, parce que, réellement, cette question est un sujet à part entière, parce que nous vivons dans la cité, parce que nous sommes informés par nos expériences professionnelles. Vous savez que le corps enseignant de l'ENM n'est pas exclusivement dédié à la formation ; il est composé de magistrats, pour l'essentiel. C'est un petit corps enseignant de 18 personnes venant de juridictions, qui restent trois ou six ans au plus à l'ENM et qui retournent ensuite en juridiction. Il ne s'agit donc pas de personnes complètement déconnectées des réalités.
Notre système de formation fait appel, par ailleurs, à beaucoup d'experts venant de juridictions ou d'organisations en charge de ces problématiques. Notre approche est donc très sérieuse.
Le thème est introduit, simplement, à un moment d'initiation durant la première phase, puis fait réellement partie des sujets auxquels les étudiants sont confrontés dans leur tribunal lorsqu'ils font ce stage probatoire évalué, lorsqu'ils passent concrètement dans des cabinets de juges des enfants. Enfin, nous revenons sur ce sujet au moment de ce que nous appelons la pré-affectation, la préparation aux prises de fonction, dans les derniers mois précédant leur première prise de poste.
La formation est donc ciblée d'une manière que je pense efficace. Je ne veux pas dire que l'on ne peut pas faire mieux, votre regard pourrait éventuellement nous conduire à aller au-delà de ce qui est actuellement prévu.
Concernant la formation continue, je vous ai fourni le déroulé exact de la formation qui m'apparaît comme quelque chose de tout à fait sérieux.
Au sujet de votre deuxième question sur les leçons de l'expérience, Isabelle Bignalet complétera mon propos. Nous avons des directeurs de session, des magistrats qui suivent particulièrement ces phénomènes et qui participent à la conception du programme. Nous l'enrichissons année après année, et les retours des participants, des magistrats, des experts nous donnent de nouvelles idées pour cela.
Nous ne sommes pas, et ne prétendons pas être, un observatoire de l'ensemble des procédures susceptible de se dérouler durant une année. C'est là le rôle de la Direction des affaires criminelles et des grâces dont vous avez entendu la directrice. L'observatoire des affaires en cours relève de son expertise. En revanche, elle-même ou des magistrats de ses services peuvent être conviés à présenter des exposés à nos magistrats sur les évolutions de ces phénomènes.
Mme Isabelle Bignalet , sous-directrice de l'Ecole nationale de la magistrature, responsable de la formation continue . - Nos formations, comme on vous l'a indiqué, sont des lieux de parole et d'échange. Leur objectif est de susciter des questionnements. L'information sur l'évolution de ces dérives peut donc être l'objet d'échanges au cours de ces formations.
Comme vous l'indiquait M. Ronsin, ces formations sont mises en oeuvre par des directeurs de session qui y assistent. Ils peuvent disposer de retours beaucoup plus précis sur les échanges qui ont lieu, puisqu'ils choisissent les intervenants et assistent à l'ensemble de la formation, en lien avec un de nos magistrats, Mme Meryil Dubois ici présente, qui coordonne la formation.
C'est d'ailleurs un collègue magistrat du bureau de l'action publique générale de la Direction des affaires criminelles et des grâces, M. Julien Quéré, qui est en charge de cette formation sur les dérives sectaires à l'ENM. Il dispose sans doute de plus d'éléments que moi, qui ne suis pas présente à ces sessions, sur l'évolution de ces dérives. Ceux-ci sont en effet pris en compte pour enrichir nos formations, puisque les thèmes évoluent d'une année sur l'autre.
M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez choisi, pour la formation qui va se dérouler, le thème de la santé. Ce choix est-il inspiré par la Miviludes ou correspond-il à une actualité repérée dans le cadre de formations antérieures ?
M. Xavier Ronsin . - Nous l'avions repéré, parce que notre pratique de magistrat est de détecter ces problèmes, notamment pour les mineurs. C'est souvent dans les cabinets des juges des enfants que le problème émerge, parce que nous recevons des signalements de l'aide sociale à l'enfance, l'ASE. C'est évidemment tout le problème du secret, cette zone grise qui échappe au regard public.
C'est donc un thème qui nous avait déjà alertés.
Naturellement, le rapport de la Mission, les débats, la lecture de la presse spécialisée nous ont montré que c'était un thème d'actualité. Nous l'avions donc retenu en 2011 pour la session de 2012, puisque les thèmes sont anticipés d'une année sur l'autre.
Au-delà, ce que l'on peut lire dans le rapport de la Miviludes concernant les pratiques des charlatans, par exemple sur la lutte contre le cancer, qui donnent lieu à des témoignages absolument poignants, ce sont des sujets auxquels on peut être confronté lorsque, pour les personnes les plus vulnérables, quelqu'un saisit la justice pour contester ou demander une mesure de protection. C'est donc le deuxième angle, assez classique pour les magistrats et les juges des tutelles. Le troisième, cela peut être l'angle pénal, bien sûr, avec les procédures pour mise en danger de la vie d'autrui par des comportements fautifs, par lesquelles les parquets peuvent disposer d'un certain nombre de signalements.
Je ne sais pas si Mme Marie-Suzanne Le Queau, avec qui je ne me suis pas concerté, a pu vous dire si les procédures sur ces thèmes augmentaient, mais je retire de l'exercice de mes fonctions précédentes de procureur à Nantes pendant quatre années le sentiment que, comme autrefois les incestes, il y a une large part de faits qui restent méconnus, qui ne sont malheureusement pas portés à la connaissance de la justice. Je pense donc qu'il faut une extrême vigilance de la part des magistrats pour détecter que, dans telle situation, il y a peut-être un sujet d'emprise ou de dérive sectaire, parce que cela n'émerge pas spontanément sous forme de plainte dans des locaux de police ou de gendarmerie.
C'est donc plutôt dans les contentieux concernant des personnes vulnérables - enfants, personnes sous tutelle ou susceptibles d'être placées sous tutelle - que la problématique émerge.
M. Jacques Mézard , rapporteur . - Je vous remercie de votre réponse. Vous parlez à juste titre du volet pénal, que l'on connaît, avec les infractions répertoriées, dont l'abus de faiblesse. On voit tout de suite les difficultés qui peuvent apparaître dans un cabinet de juge des enfants concernant certaines dérives sectaires, certaines pratiques, ou un embrigadement des parents. Vous nous parlez moins de ce qui se passe au niveau du juge aux affaires familiales. Est-ce parce que cette dimension est peut-être plus difficile à identifier lorsqu'il y a un débat entre époux ?
M. Xavier Ronsin . - Je crois que j'avais cité les cabinets de juge aux affaires familiales. Pour simplifier, c'est souvent le débat sur la garde des enfants et l'autorité parentale qui fait émerger des accusations de dérives sectaires à l'encontre, évidemment, de l'autre époux.
C'est donc quelque chose qui fait partie sinon du quotidien, en tout cas de la réalité du travail des juges aux affaires familiales. Ces questions sont ensuite résolues sur le terrain de la charge de la preuve, quand un époux parvient à apporter suffisamment d'éléments, ou débouchent sur une demande d'expertise sollicitée par le juge aux affaires familiales, ou sur une enquête sociale. Dans ce cadre, il est souvent difficile de vaincre une forme d'omerta ou de percer à jour un discours un peu lénifiant visant simplement à se présenter comme peut-être un peu atypique par rapport à d'autres modes de comportement.
Ces sujets peuvent donc effectivement tout à fait émerger à l'occasion d'un conflit de couple et de l'attribution de la résidence des enfants.
M. Jacques Mézard , rapporteur . - La formation que vous proposez a, semble-t-il, suscité des réactions, voire des manifestations. Avez-vous rencontré les manifestants ? Les organisations concernées se sont-elles adressées à vous pour critiquer votre démarche ?
M. Xavier Ronsin . - Vous êtes extrêmement bien renseigné, monsieur le rapporteur ! (Sourires.)
Je vous le confirme, nous sommes obligés, lors des sessions de formation, de faire appel aux services de police pour filtrer les entrées et éviter toute intrusion dans nos locaux situés Quai aux fleurs. L'Eglise de Scientologie n'avait notamment pas apprécié de faire l'objet d'une de nos formations. Mme Bignalet pourra en témoigner, une petite manifestation a eu lieu devant nos locaux en 2012.
Par ailleurs, l'Eglise de Scientologie a engagé un contentieux à notre encontre afin d'avoir accès aux fichiers des magistrats qui suivaient ces formations, au contenu des documents que nous avons distribués, etc. Nous sommes allés plusieurs fois devant la Cada, la commission d'accès aux documents administratifs, et le tribunal administratif, où une affaire est encore pendante. Nous n'avons pas répondu : « Circulez, il n'y a rien à voir ! », mais nous avons protégé ce qui nous semblait nécessaire, à savoir l'anonymat des magistrats qui avaient suivi ces formations.
Nous savons que l'Eglise de Scientologie est extrêmement vigilante. J'y vois là le signe que nous dérangeons et le gage que nos formations ne sont pas homéopathiques.
M. Jacques Mézard , rapporteur . - Tout à fait !
M. Xavier Ronsin . - Elles ont un intérêt et elles peuvent être jugées dangereuses par certains.
Si vous le souhaitez, je pourrais vous transmettre le texte de la requête, voire l'argumentaire que nous avons préparé avec le ministère de la justice. Je n'ai pas avec moi tous les éléments concernant cette affaire, car je ne savais pas que vous alliez m'interroger sur ce point.
Nous avons rappelé plusieurs éléments à la Cada : nos sessions de formation ne sont pas publiques, elles sont réservées aux magistrats ; délivrer à un tiers la liste des participants à l'une de ces formations porterait atteinte à la protection de leur vie privée dans la mesure où la liste comporte les nom et prénom, voire l'adresse des participants.
Nous avons également indiqué que nous n'entendons pas communiquer à l'association spirituelle de l'Eglise de Scientologie la liste de l'ensemble des participants ayant suivi les formations relatives aux dérives sectaires, une demande qui nous avait été faite pour les années 1998 à 2012. Nous avons aussi refusé de leur communiquer nos archives, la documentation utilisée, ainsi que les courriers que nous avons échangés avec la Miviludes.
Nous avons fourni à l'Eglise de Scientologie quelques pièces du dossier documentaire, tout en lui faisant remarquer qu'elle n'avait qu'à acheter les ouvrages de la Miviludes, parce que nous n'allions pas le faire à sa place. Nous avons adressé la copie de notre programme, mais en occultant le nom et la qualité des intervenants. Nous avons refusé de communiquer les correspondances entre l'ENM, la Miviludes et le ministère de la justice au motif qu'elles faisaient partie de l'ingénierie pédagogique et, surtout, qu'il s'agit d'une question de principe.
A l'évidence, les formations que nous proposons dérangent ou suscitent l'intérêt de ceux qui, à un titre ou à un autre, peuvent y être cités.
M. Alain Milon , président . - La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard . - Monsieur le directeur, continuez à déranger le plus possible ! Cela nous donne toute satisfaction.
Le comble, c'est que l'on a le sentiment que la démocratie est sur la défensive,...
Mme Gisèle Printz . - Tout à fait !
M. Yannick Vaugrenard . - ... alors qu'elle devrait être à l'offensive en matière de dérives sectaires, notamment dans le domaine de la santé.
Il reste un point de clivage qui, me semble-t-il, n'est pas tranché, et que je n'ai d'ailleurs pas tranché moi-même : selon vous, est-il plus intéressant de disposer d'une liste bien établie de sectes afin de lutter plus facilement contre elles ou est-ce un inconvénient ?
M. Xavier Ronsin . - Je sors peut-être de ma fonction de directeur, qui n'est pas de dire si ce que l'on a appelé autrefois la liste des RG, qui n'existe plus, était pertinente ou non.
La justice doit trancher sur des situations concrètes. Dès lors qu'il ne s'agit pas d'une organisation interdite, ce n'est pas l'appartenance en tant que telle à une association ou à un groupuscule qui pose problème.
En revanche, des approches thématiques sont nécessaires pour ne pas mélanger telle formation avec telle autre et pour bien comprendre l'espèce de fiche descriptive faite par autrui et, le cas échéant, les techniques de lavage de cerveau, de conditionnement psychologique. Ce sont des éléments d'information pour le magistrat.
Le fait qu'un tel ou un tel figure sur une liste suspecte relève éventuellement de l'autorité administrative, voire d'un organisme tel que la Miviludes ; c'est un élément d'appréciation parmi d'autres pour le magistrat. Il s'agira très concrètement pour lui de savoir si ce point est névralgique ou pas dans une situation de divorce et d'attribution d'autorité parentale ou lors d'un différend concernant des soins à apporter à un enfant et si les éléments matériels d'une infraction pénale sont alors réunis.
Je ne répondrai pas de manière binaire : la liste telle qu'elle existait comportait plusieurs centaines de noms et pouvait vite devenir obsolète dans la mesure où les organisations pouvaient changer de nom très rapidement. Dès lors qu'il y a consensus pour reconnaître qu'il n'y a pas d'erreur de noms sur la liste, celle-ci est plutôt, à mon avis, une alerte ou un appel à la vigilance des magistrats.
Je ne sais pas si ma réponse vous satisfait, mais telle est l'approche non pas du directeur de l'ENM, mais du magistrat sur ce sujet.
M. Jacques Mézard , rapporteur . - Pour avoir participé plusieurs fois dans une vie antérieure à des conférences sur la défense des libertés à l'ENM, j'ai eu le sentiment que certains de vos étudiants étaient plutôt pétris de certitudes. Concernant les mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, ont-ils déjà des connaissances ou une opinion sur ce sujet lorsqu'ils arrivent à l'ENM ?
M. Xavier Ronsin . - Eu égard à certains événements ou aux lectures politiques qui ont pu être faites du comportement de certains magistrats, comme dans l'affaire dite « Outreau », une réforme en profondeur de la scolarité a eu lieu à l'ENM en 2008 : la formation en trente et un mois vise précisément à éviter que les élèves n'aient des certitudes. Nous insistons sur l'humilité nécessaire par rapport aux apprentissages et évoquons la déontologie ainsi que le respect, notamment, du rôle des avocats.
Je ne dis pas pour autant que, avant cette réforme, tout était horrible et que, depuis, tout serait extraordinaire, mais nous avons entendu le message politique, et cet aspect des choses est l'une de nos préoccupations. Mes prédécesseurs ont mis en place une réforme très importante en particulier pour ce qui concerne les procédures de sélection des magistrats, avec des tests psychologiques ou encore, par exemple, la présence d'un psychologue afin d'éviter la psychorigidité prêtée à certains magistrats. Je puis vous assurer que la psychorigidité n'était pas le lot commun de tous ceux qui étaient recrutés.
Par ailleurs, certains, parce qu'ils étaient policiers ou gendarmes, ou parce qu'ils travaillaient dans des services administratifs traitant de ces questions ou encore parce qu'ils s'y étaient intéressés, ont des connaissances sur ce sujet, tandis que d'autres ont une vision très théorique de la question, au travers des articles qu'ils ont lus dans Le Monde ou Le Figaro .
Nous ne proposons surtout pas avec notre formation de trente et un mois des cours quelque peu éthérés, un niveau bac+n déconnecté de la vie réelle et de la vie sociale.
Au contraire, nous nous efforçons le plus possible de plonger nos étudiants, nos auditeurs de justice, dans les réalités économiques, politiques et sociales en les confrontant aux phénomènes de vulnérabilité, d'abus de personnes en situation d'échec dans leur vie affective ou dans leur vie sociale susceptibles d'être des proies, ou aux comportements de personnes très psychorigides qui vont avoir sur leur famille la même emprise qu'un gourou. Lorsque les auditeurs sortent des beaux quartiers, ils n'ont naturellement pas cette vision de la vie.
Pardonnez-moi cette expression un peu triviale, les magistrats ont vraiment les « mains dans le cambouis » quand ils sont dans les juridictions. Notre travail à l'ENM consiste à les préparer à cette réalité et à les suivre dans leur activité.
Parfois, nous sommes confrontés à un autre excès : les auditeurs doutent beaucoup d'eux-mêmes, sont très inquiets des immenses responsabilités qui leur sont confiées. Nous sommes là pour entretenir ce doute intellectuel et pour les conforter dans leurs pratiques, en ayant de bons réflexes professionnels. Telle est en tout cas notre ambition.
M. Jacques Mézard , rapporteur . - A cette fin, recourez-vous à des cas pratiques ?
M. Xavier Ronsin . - Bien sûr ! C'est le principe même de notre formation.
Depuis très longtemps, nous partons de situations concrètes, avec des appareils documentaires et l'intervention de sachants. Nous ne proposons pas aux magistrats des cas purement théoriques, dont ils pourraient dire qu'ils ne les rencontreront jamais dans la réalité.
Dans le cadre de la formation continue, tous les magistrats exposent à leurs collègues les situations auxquelles ils ont été confrontés dans leur cabinet, la manière dont cela s'est passé, les difficultés auxquelles ils se sont heurtés et les résultats fructueux auxquels ils sont parvenus.
Il s'agit vraiment d'un échange entre pairs avec, bien sûr, un regard extérieur pour susciter le désir de progresser.
M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous l'aurez compris, la commission d'enquête n'est pas un exercice strictement intellectuel. Nous voulons voir si les questions posées par les dérives sectaires dans le domaine de la santé sont importantes pour notre société. Il ne s'agit pas de remettre en cause la liberté de conscience. Nous voulons faire en sorte que notre société lutte contre les pratiques consistant à pousser certaines personnes à ne plus se soigner et aussi, dans certains cas, à piller purement et simplement les économies d'autrui. Ces comportements sont tout à fait inacceptables.
M. Xavier Ronsin . - Naturellement !
Si une personne adulte connaît une sorte de dérive mentale, reposant sur un salmigondis idéologique, ce cas échappera à la justice si personne ne le signale. Si quelqu'un en a connaissance et que rien n'est fait, c'est un cas de non-assistance à personne en danger.
Toutefois, dès lors que des enfants ou quelqu'un qui a la capacité de faire émerger le problème sont concernés, la justice sera au courant et nous serons bien sûr dans le même champ de protection.
En effet, le magistrat est le gardien des libertés, et la liberté, c'est aussi celle de ne pas se laisser abuser par autrui. En ce sens, la magistrature est pleinement solidaire de la représentation nationale lorsqu'elle exerce son rôle de protection. La formation est, selon moi, un levier pour faire progresser les choses.
M. Alain Milon , président . - Monsieur le directeur, en prévoyant dans votre formation des cours sur les dérives sectaires en matière de santé, vous avez constaté, comme nous qui travaillons sur le sujet depuis quelques semaines, qu'il devient vraiment urgent d'agir pour protéger nos concitoyens.
Dans le cadre des propositions que nous allons formuler dans notre rapport, pensez-vous que l'on doive améliorer l'arsenal législatif qui est à votre disposition ou vous paraît-il suffisant ?
M. Xavier Ronsin . - Tout magistrat a tendance à croire sur parole les parlementaires quand ils affirment que trop de lois tuent la loi et que l'arsenal législatif existant est suffisant.
Ma propre expertise ne me permet pas de dire que le dispositif législatif présente des défaillances. Mais, je le répète avec humilité, je ne prétends pas être le sachant, la personne ayant expertisé l'ensemble des procédures civiles et pénales en France et qui aurait décelé telle ou telle lacune. Je pense que la directrice des affaires criminelles ou le directeur des affaires civiles pourraient vous dire qu'il y a éventuellement béance sur tel ou tel point.
Si j'en crois mon expérience de trente ans de magistrat, en règle générale, les textes existent, qui demandent à être appliqués à des situations qui doivent émerger. Car le vrai problème est souvent là. La situation est-elle connue ? Pourquoi ne l'est-elle pas ?
J'ai beaucoup travaillé sur la problématique de l'enfance en danger, y compris dans des dossiers célèbres, et on constate que certains - telle assistante sociale, tel bailleur social - ont des petits éléments de vérité, mais le problème est de réunir les informations, de leur donner du sens et de porter le dossier à la connaissance de la justice. C'est en ce sens qu'il faut travailler plutôt que de prévoir une énième loi qui accroîtrait les peines.
Je suis prudent sur ce terrain, ma réponse se fonde sur les constats que j'ai dressés lorsque j'ai dirigé un tribunal : on semble avoir les instruments suffisants. En revanche, peuvent se poser des questions de moyens. Eu égard à toutes les situations, les juges des enfants sont-ils assez nombreux ? L'examen de la situation de mise sous tutelle est-il réalisé avec une périodicité suffisante ?
Ce sont là des sujets transversaux, qui peuvent éventuellement avoir un impact sur la célérité des procédures. On n'a pas forcément besoin de modifier beaucoup la loi, même si ce sont les lois de finances qui donnent ou pas des moyens à la justice.
M. Alain Milon , président. Je vous remercie d'avoir témoigné devant nous.