Audition de MM. Karim MAMERI, secrétaire général, et Yann de KERGUENEC, directeur juridique, de l'Ordre national des infirmiers (mercredi 5 décembre 2012)
M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous poursuivons cet après-midi notre série d'auditions des ordres professionnels en recevant l'Ordre des infirmiers, représenté par MM. Karim Mameri, secrétaire général, et Yann de Kerguenec, directeur juridique.
La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.
Je précise à l'attention de MM. Karim Mameri et Yann de Kerguenec que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base d'une initiative de notre collègue Jacques Mézard, président du groupe RDSE. M. Mézard a donc tout naturellement été chargé du rapport de cette commission, qui sera remis début avril 2013.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes auditionnées de prêter serment.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Messieurs Karim Mameri et Yann de Kerguenec, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».
Les deux personnes se lèvent et prêtent serment.
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Le Sénat a décidé de mener une commission d'enquête sur les dérives sectaires dans le domaine de la santé. Nous souhaitons ainsi voir ce qu'il en est de certaines dérives dans le domaine de la santé et des thérapies dites alternatives, complémentaires ou non conventionnelles. Notre objectif n'est pas de tout interdire mais de faire le point sur ce qui peut mettre en danger la santé de nos concitoyens mais aussi leurs finances et éviter les abus de faiblesse.
Nous sommes par ailleurs tous ici très attachés à la liberté de conscience et à la liberté d'expression, et le cadre de cette commission d'enquête est très largement défini par son titre...
L'Ordre des infirmiers a-t-il eu connaissance de thérapies alternatives pratiquées par des infirmiers ? De quelle manière ? Dans l'affirmative, quelles pratiques non conventionnelles avez-vous pu constater ? Quel est le profil des infirmiers qui les réalisent ?
M. Karim Mameri. - Nous tenons tout d'abord à vous remercier de nous recevoir pour recueillir l'avis des représentants des professionnels de santé que constituent les 400 à 500 000 infirmiers libéraux ou salariés exerçant à travers toute la France.
Les infirmiers représentent une profession qui peut en effet être concernée par les dérives sectaires du fait de sa proximité avec les personnes malades ou en état de faiblesse.
Leurs compétences en matière de soins confèrent aux infirmiers un rôle primordial dans la relation avec le malade. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les mouvements à caractère sectaire peuvent rechercher des adeptes parmi les infirmiers. Nous devons donc rester vigilants et professionnels dans la relation d'empathie que nous pouvons développer avec les personnes soignées.
La formation initiale se révèle à cet égard un domaine propice aux tentatives de prosélytisme qu'exercent les mouvements sectaires. L'Ordre des infirmiers n'a pas de compétence directe en matière de formation initiale et n'exerce pas non plus la tutelle des instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi). Il n'a donc pas connaissance de telles tentatives, mais la Miviludes en cite dans son guide « Santé et dérives sectaires », notamment page 81, indiquant qu'elle a reçu des signalements concernant de pseudo-praticiens qui ont réussi à se faire recruter comme psychothérapeutes, enseignants ou intervenants extérieurs dans un institut de formation aux soins infirmiers...
La Miviludes a notamment constaté que des méthodes comme celle du docteur Hamer étaient enseignées dans certains Ifsi, plus précisément dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca).
L'Ordre des infirmiers compte bien évidemment parmi ses membres les directeurs et les formateurs des IFSI qui sont, de par la loi, tenus de s'inscrire à l'Ordre des infirmiers et de respecter nos règles professionnelles. L'Ordre peut ainsi communiquer - et nous souhaitons bien évidemment contribuer à cette action de santé publique - pour appeler à la vigilance sur ces risques d'infiltration.
La profession d'infirmier est particulièrement exposée aux dérives sectaires, du fait de la variété même de ses modes d'exercice. Les infirmiers libéraux interviennent en effet essentiellement au domicile des patients, majoritairement âgés et poly-pathologiques. Ils sont, dans de nombreux cas, les seuls professionnels de santé à se rendre à leur domicile et peuvent donc être témoins de situations dans lesquelles un patient est victime d'un mouvement à caractère sectaire ou de l'influence néfastes de personnes étrangères. Les infirmiers libéraux peuvent détecter assez tôt ce type de situation.
Les infirmières puéricultrices qui exercent dans le domaine de la protection maternelle et infantile (PMI) ou les infirmières scolaires sont également susceptibles de détecter, chez les familles ou parmi les enfants, des signes d'emprise sectaire.
Dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les infirmiers peuvent également jouer un rôle de « sentinelles », ce terrain restant propice au prosélytisme de mouvements sectaires.
Les infirmiers libéraux peuvent aussi constituer des cibles privilégiées de ces mouvements, compte tenu de leur proximité avec cette population fragile et vulnérable. C'est pourquoi un certain nombre de textes réglementaires du code de la santé confortent les règles professionnelles qui permettent d'encadrer l'exercice de ce métier.
En premier lieu, les infirmiers sont tenus de respecter l'intimité, les choix du patient, le secret professionnel. Comme tout professionnel de santé, ils ont un devoir de protection de la santé d'autrui. Ce rôle est majeur. L'article R 43-12 alinéa 6 du code de la santé publique précise que les infirmiers sont tenus de porter assistance aux malades ou aux blessés en péril et plus particulièrement aux mineurs. Les infirmiers doivent, en toutes circonstances, agir dans l'intérêt du patient.
Les infirmiers doivent se tenir éloignés de techniques de soins non éprouvées scientifiquement ou qui feraient courir aux patients un risque injustifié, ainsi que le rappelle le code de la santé publique. Les infirmiers ne peuvent pas non plus aliéner leur indépendance professionnelle, sous quelque forme que ce soit.
Les infirmiers ne doivent pas user de leur situation professionnelle pour tenter d'obtenir pour eux-mêmes ou autrui un avantage ou un profit injustifié ou pour commettre un acte contraire à la probité. Ils ne doivent pas proposer aux patients ou à leur entourage un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé.
Ces règles sont en vigueur depuis 1993 mais sont malheureusement très souvent méconnues des infirmiers. Elles sont donc destinées à être remplacées par le code de déontologie édicté par le Conseil national de l'Ordre des infirmiers, qui doit être publié par décret en Conseil d'état. Sa diffusion, prévue par les textes, implique que chaque infirmier membre de l'Ordre s'engage à en prendre connaissance. Ce sera un outil majeur de sensibilisation des infirmiers à leurs obligations déontologiques.
L'Ordre a donc vocation à élaborer ce code de déontologie, qui modernisera les règles professionnelles actuellement en vigueur. Il sera aussi bien évidemment amené à les réactualiser aussi souvent que nécessaire. Ce code pourra notamment mieux prendre en compte le risque de dérive sectaire, en prévoyant la possibilité, pour l'infirmier, de le signaler aux autorités compétentes en cas de suspicion sérieuse.
L'Ordre rappelle régulièrement la déontologie aux infirmiers qui interrogent les conseils départementaux et la direction juridique. A cette occasion, une information pourrait être utilement donnée sur les risques sectaires. L'ordre est une juridiction qui assure une justice qui se veut disciplinaire mais constitue avant tout un service public visant à poursuivre les infirmiers manquant à leur devoir professionnel. Aujourd'hui, force est de constater que des infirmiers non inscrits au tableau peuvent échapper à la justice ordinale, ce qui est particulièrement préjudiciable à l'exercice de cette mission de service public.
Le Conseil de l'Ordre a également un rôle de conseil et d'assistance des autorités judiciaires ; il peut intervenir utilement dans le conseil et l'assistance aux services de justice et de police dans des affaires impliquant des infirmiers pour lesquels une expertise est nécessaire en matière de soins infirmiers. Dans l'Aude, récemment, l'Ordre a été entendu dans le cadre d'une enquête préliminaire concernant un centre de « reiki » créé par une infirmière non inscrite au tableau. Or ce centre proposait des « irrigations coloniques », acte qui ne peut être effectué que sur prescription, ce qui n'était manifestement pas le cas et constituait donc un exercice illégal de la médecine.
Le Conseil de l'Ordre peut également se constituer partie civile. Il peut, devant toutes les juridictions, exercer les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession, y compris en cas de menaces ou de violations commises en raison de l'appartenance à cette profession.
L'Ordre peut se porter partie civile en soutien d'un infirmier victime d'un mouvement sectaire ; ce pourrait également être le cas pour des poursuites pénales contre un infirmier s'étant adonné à des pratiques dangereuses non éprouvées qui pourraient porter atteinte à l'honneur de la profession et mettre en danger notre population.
L'Ordre a pu établir certains constats en matière de dérives sectaires ou de suspicions de dérives sectaires à partir de remontées émanant des conseils départementaux ; ces cas ne sont toutefois pas encore significatifs et ne reflètent peut-être pas toute la réalité. Ce défaut de signalement peut être lié à un défaut d'information : le guide de la Miviludes est encore récent et malheureusement peu diffusé aux professionnels, et l'Ordre infirmier peu ancien...
Nous constatons surtout, sur le terrain, la tentation de certains professionnels infirmiers, libéraux notamment, de diversifier leur activité en s'adonnant à des pratiques non éprouvées, qui peuvent avoir un caractère sectaire. Des demandes de cumul d'activités en ce sens sont adressées à l'Ordre. Les pratiques le plus souvent relevées par notre direction juridique sont le reiki, l'irrigation colonique, la magnétologie. Il y a là, selon les documents que nous avons vus et que nous vous laisserons, un danger évident... Des activités comme la télépathie, certains massages ou la sophrologie, qui ne présentent pas par ailleurs de danger manifeste, doivent également éveiller la vigilance, tout comme la vente, lors des tournées, de compléments alimentaires offrant des vertus particulières...
La crainte de rompre le secret professionnel et de commettre une faute pourrait expliquer que les professionnels s'abstiennent de signaler de telles dérives. Le Conseil de l'Ordre peut d'ores et déjà proposer de sensibiliser régulièrement les instituts de formation aux soins infirmiers, les formateurs et les étudiants eux-mêmes. Il faut également, dans le cadre de la formation initiale et de la formation continue, en lien avec la déontologie, détecter les risques sectaires grâce à la connaissance des pratiques thérapeutiques non conventionnelles, afin de donner aux infirmiers les moyens de protéger leurs patients et de se protéger eux-mêmes.
Il convient aussi de communiquer auprès des employeurs sur les risques de dérives sectaires dans les programmes de formation et de développement professionnel continu, qui constituent une voie d'entrée pour certaines personnes mal intentionnées.
Peut-être faut-il aussi prévoir une exception au secret professionnel en cas de suspicion de dérive sectaire pour faciliter la révélation des faits...
Enfin, il est nécessaire de veiller à l'application de la loi exigeant l'inscription à l'Ordre des infirmiers afin que sa mission de service public soit clairement effective, tant en matière d'accès à la profession que tout au long de la carrière professionnelle, en prévoyant des possibilités de poursuite ordinale en cas de dérive sectaire entraînant un manquement aux règles professionnelles mais surtout une information et une sensibilisation des professionnels de santé qui, tous les jours, peuvent être approchés par des sectes.
L'ordre peut enfin mettre en place un observatoire des dérives sectaires, comme il l'a fait assez récemment en matière de violences faites aux infirmiers.
M. Alain Milon , président. - La parole est au rapporteur.
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Le but de cette audition n'est pas la défense et l'illustration de l'Ordre des infirmiers, mais que vous nous disiez si l'Ordre est saisi de dérives sectaires en matière de santé ! Si tel est le cas, pouvez-vous nous donner des exemples ? Lorsque vous vous rendez compte de telles situations, que faites-vous ?
Vous avez évoqué des pratiques peu éprouvées : reiki, irrigation colonique, bulles d'énergie, télépathie, compléments alimentaires aux vertus particulières. Réagissez-vous avant d'être officiellement saisis par une plainte ? Que faîtes-vous pratiquement ? Nous connaissons les dispositions législatives et réglementaires concernant l'Ordre des infirmiers : ce n'est pas la peine de nous les répéter !
M. Yann de Kerguenec. - Les conseils départementaux de l'Ordre peuvent être saisis par des signalements de la part des infirmiers eux-mêmes ou des patients. Nous en recevons quotidiennement pour divers manquements déontologiques, sans qu'ils soient systématiquement liés à une dérive sectaire.
Nous pouvons également être saisis de véritables plaintes. Notre code de déontologie permet de traiter un certain nombre de manquements qui peuvent être liés aux dérives sectaires ou avoir une acception plus large.
Dans ce cas, l'Ordre a la possibilité d'effectuer des rappels à la loi - par exemple lorsqu'il reçoit des signalements de cumuls d'activités illicites concernant des infirmiers inscrits à son tableau - après enquête et prise de contact. C'est le rôle des élus ordinaux qui représentent les différents modes d'exercice...
M. Jacques Mézard , rapporteur. - On l'a bien compris mais êtes-vous saisis de problèmes concernant les dérives sectaires dans la santé ? Quelle est la fréquence de ces saisines et que vous faîtes-vous ? La démarche, nous la connaissons !
M. Yann de Kerguenec. - Ce que nous faisons, c'est un rappel à la loi...
Sommes-nous saisis ? Oui, nous le sommes. Nous avons des exemples. Le sommes-nous dans une proportion importante ? Non. Il faut d'abord que nous ayons suffisamment d'éléments pour indiquer que le phénomène se rapporte à une dérive sectaire. Nous n'avons pas de pouvoir d'enquête sur le terrain, ni la possibilité d'entrer dans un cabinet infirmier ou de réquisitionner. Nous ne pouvons donc pas enquêter en dehors du contact confraternel que les membres de l'Ordre peuvent établir avec les infirmiers ou avec les patients à l'origine de signalements.
J'ai du mal à donner des éléments statistiques précis. Nous n'avons pas de système de remontée spécifique pour ce type de manquement déontologique directement lié à la dérive sectaire. Nous pensons que c'est assez résiduel... Probablement la sensibilisation des infirmiers est-elle insuffisante. Toujours est-il qu'ils font eux-mêmes remonter ce type de problème dans des proportions assez limitées.
S'agissant des actions, la première est le rappel à la loi, lorsqu'un infirmier est mis en cause. En second lieu, l'Ordre peut être directement saisi d'une plainte. Celle-ci est obligatoirement traitée par le conseil départemental de l'Ordre sous forme d'une réunion de conciliation. Si, au détour de cette réunion, la dérive sectaire apparaît de manière encore plus évidente, la plainte peut être transmise à la chambre disciplinaire. C'est ce tribunal qui juge les manquements professionnels. Nous allons dans ce cas agir et sanctionner.
Il n'existe aucun cas, à ce jour, dans notre jurisprudence. Nous avons, depuis que l'Ordre existe, prononcé plus de 135 décisions de justice disciplinaires. Aucun cas n'était lié à une dérive sectaire.
M. Jacques Mézard , rapporteur. - C'est le fonctionnement normal d'un Ordre ! Vous nous avez parlé d'une situation où la justice vous a entendus à propos d'un cas d'irrigation colonique. Avez-vous fait quelque chose sur le plan ordinal ?
M. Yann de Kerguenec. - Impossible, l'infirmière n'était pas inscrite au tableau ! Elle est cependant poursuivie pour exercice illégal de la médecine. Nous avons également déposé plainte pour exercice illégal de la profession d'infirmier.
Cela arrive chez les médecins eux-mêmes, certains préférant demander leur radiation pour échapper à la justice disciplinaire lorsqu'ils ont recours à des pratiques jugées illicites.
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Pouvez-vous nous donner davantage d'exemples ?
M. Yann de Kerguenec. - Dans ce cas précis, il s'agit d'un centre de « reiki » et d'irrigation colonique, qui se dénomme comme tel. Je vous remettrai une capture d'écran de son site Internet. Je pense qu'il en existe d'autres en France... Celle qui le dirige avec son mari - qui a manifestement eu une formation aux pratiques de reiki - fait valoir sa qualité d'infirmière sur son site Internet et dans d'autres documents. Elle utilise son statut de soignante - ce qui est une faute disciplinaire - et se prétend « infirmière spécialisée en irrigation colonique ». Il s'agit en fait de lavements soi-disant destinés à purifier le corps.
Le conseil départemental a convoqué cette personne, même si elle n'était pas inscrite au tableau. Elle a bien entendu refusé de rencontrer la Présidente du conseil de l'Ordre des infirmiers de l'Aube. Une lettre de rappel à la loi lui a été envoyée ; elle n'a bien évidemment été suivie d'aucun effet. Dès lors, l'Ordre des médecins et celui des infirmiers ont signalé ces pratiques au Procureur de la République. Une enquête préliminaire est en cours...
M. Alain Milon , président. - Le problème est de savoir comment l'infirmière présentait ce traitement. S'agissait-il d'un traitement complémentaire à des traitements médicaux ou d'un traitement nécessitant la suppression de ces derniers ? Dans ce cas, on se trouve soit en présence d'une médecine parallèle, soit dans un cas de dérive thérapeutique, compliquée si on demande l'interruption du traitement médicamenteux. Il y a là un danger majeur ! S'il existe en outre une emprise mentale ou financière, on se retrouve alors dans le cadre d'une dérive sectaire.
Au fur et à mesure de nos auditions, on s'aperçoit qu'il peut exister des dérives thérapeutiques - graves ou non - ou des dérives sectaires mais ces dernières ne constituent finalement pas la majeure partie des cas...
M. Yann de Kerguenec. - Nous ne sommes pas spécialistes de la qualification de la dérive sectaire mais ce centre de « reiki » utilise quand même la qualification professionnelle de l'infirmière pour lui donner une consistance sanitaire !
Les dirigeants de ce centre ont écrit aux équipes municipales et aux maires des communes alentours pour les inviter à l'occasion de l'ouverture. Le mari de l'infirmière se présente comme un « maître enseignant du reiki traditionnel, initié au centre reiki de Nice - La lumière bleue ». Cette infirmière n'est pas une infirmière traditionnelle qui veut arrondir ses fins de mois en faisant des massages, ce qui est courant... Cela crée d'ailleurs quelques problèmes avec les masseurs-kinésithérapeutes, avec qui nous nous entendons bien par ailleurs et avec lesquels nous arrivons à nous entendre.
La connotation cosmologique du langage évoque une forme de dérive sectaire mais je ne puis garantir que ce soit le cas. Je ne connais pas les critères destinés à établir ce qu'est une dérive sectaire par rapport à des pratiques de soins non conventionnels.
M. Alain Milon , président. - On m'a informé d'un traitement du cancer du pancréas par des lavements à base d'arabica bio. Il s'agit là d'une dérive thérapeutique sectaire et, en outre, assassine ! Pour les autres, il s'agit peut-être de dérives sectaires mais peut-être ne risquent-elles pas de tuer les malades...
Mme Gisèle Printz . - On ne parle jamais du coût que cela représente : je vois ici que ce genre de séance revient à 110 euros !
M. Alain Milon , président. - Il faut peut-être définir le profil de celui qui est à l'origine de la dérive et le profil de la victime... Comment des personnes qui paient le médecin qui les soigne 23 euros et qui rechignent à mettre un euro de plus parviennent-elles à donner sans rien à redire 110 euros à quelqu'un qui ne les soigne pas !
M. Yann de Kerguenec. - Il existe probablement une augmentation de la défiance à l'égard des soins conventionnels. Or les infirmières jouissent d'une certaine aura et peuvent, dans le contexte de la fin de vie et de la perte de confiance dans les traitements traditionnels, user de leur statut pour promouvoir des pratiques dangereuses.
Nous avons un signalement qui concerne la télépathie en Seine-Maritime émanant d'infirmières membres d'un cabinet de groupe qui compte trois professionnelles. L'une d'elles, après une procédure de divorce, est entrée dans une grave dépression ; après plusieurs tentatives de suicide, elle a été hospitalisée dans un centre spécialisé, soignée par un psychiatre et traitée par psychotropes. Elle a bénéficié d'un arrêt de travail lié à ces difficultés. En reprenant son activité dans le cabinet de groupe, elle souhaitait promouvoir de nouvelles techniques de soins, qu'elle qualifiait de « magnétologie ». Les patients étant en grande majorité des personnes âgées et fragiles, ses deux collègues se sont inquiétées de l'état psychique de la troisième, de son prosélytisme et de sa volonté d'utiliser ces nouvelles pratiques. Elle leur a expliqué qu'elle avait suivi une formation et leur en a donné le programme.
Ses collègues ont estimé qu'il y avait manifestement un doute sur le caractère sectaire de cette formation et nous l'ont signalé, nous demandant de juger du degré de gravité et d'intervenir éventuellement par une action disciplinaire visant à interdire à cette personne d'exercer.
Le séminaire qu'elle a suivi fait état de différents éléments que nous ne connaissions pas très bien. Le séminaire commençait par une photographie « Kirlian » de l'énergie des mains et des pieds, censée permettre, par comparaison avec celle faite à la fin du cours, de comparer la progression de l'élève sur le plan énergétique, une différence de rayonnement des mains et des pieds devant soi-disant être constatée.
Les cours portaient sur l'énergie et la prise de conscience de la réalité de celle-ci, sur le rétablissement de l'allure énergétique et sur les effets de pollution énergétique.
Dans la seconde partie du séminaire, on incitait les élèves à découvrir leurs capacités d'auto-guérison dans le cadre de séances de dépollution collective et de magnétisme collectif ; ils apprenaient à maîtriser l'« arbre de vie », c'est-à-dire à connaître la colonne vertébrale et les vertèbres, les relations entre les glandes endocrines et les problèmes de santé, les problèmes de métabolisme et de digestion des aliments.
Enfin, les cours s'achevaient par l'apprentissage de la fabrication de sa « bulle » d'énergie et la façon d'utiliser cette technique dans la vie de tous les jours, pour soi-même et en vue de « soigner » les autres.
Je ne sais si l'on peut qualifier ceci de dérive sectaire. Nous ne savons pas non plus si cette personne était sous l'emprise d'un gourou ou d'une quelconque organisation, mais on constate néanmoins un changement dans la pratique professionnelle de cette infirmière qui porte atteinte à un certain nombre de nos règles professionnelles et nécessite inévitablement que l'Ordre intervienne par la voie de sanctions disciplinaires...
M. Alain Milon , président. - La parole est aux commissaires...
M. Yannick Vaugrenard. - Dans le domaine des services pédiatriques, avez-vous constaté des offres de médecine parallèle, voire de dérives sectaires, les parents d'un enfant en difficulté majeure étant toujours en état de faiblisse psychologique...
Par ailleurs, ne pensez-vous pas que le guide de la Miviludes devrait être obligatoirement distribué par l'Ordre des infirmiers ou par celui des médecins à tous les professionnels de santé ?
Enfin, ne pensez-vous pas que votre Ordre, comme d'autres, devrait s'autosaisir du sujet dès lors qu'est constaté soit une dérive sectaire, soit le recours à des médecines parallèles dont l'efficacité n'a pas été démontrée ?
M. Karim Mameri. - En matière de pédiatrie, rien n'est remonté jusqu'au conseil de l'Ordre. Je suis moi-même infirmier-cadre de santé dans un service de pédiatrie. A ma connaissance, il n'y a pas à ce jour de danger. Des formations à de nouvelles thérapeutiques sont mises en place en pédiatrie, notamment l'hypno-analgésie, qui recourt à un certain nombre de techniques hypnotiques. Certaines fonctionnent très bien chez les enfants et permettent d'atténuer la douleur. D'autres formations certifiées sont aujourd'hui dispensées. Je ne les qualifierais pas de médecines parallèles mais de techniques non médicamenteuses...
Pour ce qui est du guide de la Miviludes, des outils d'une telle qualité doivent pouvoir être distribués aux infirmiers de terrain et ne pas rester cantonnés aux cadres des services hospitaliers. Je crois d'ailleurs que le conseil de l'Ordre des infirmiers a diffusé aux professionnels inscrits au tableau une version électronique de ce guide dans une info lettre...
M. Yann de Kerguenec. - Il est difficile aux infirmiers d'assimiler une telle somme d'informations ; ce guide compte 150 pages... Même s'il existe un chapitre plutôt bien fait concernant spécifiquement les infirmiers, il ne faut pas se faire trop d'illusions sur la connaissance qu'ont les infirmiers du contenu de ce guide...
Les infirmiers sont plus sensibles aux informations verbales ; une intervention, soit dans le cadre des organismes de formation continue, soit au moment de la formation initiale, peut avoir plus d'impact que la diffusion d'un ouvrage.
Quant à l'autosaisine de l'Ordre, nous n'avons à ce jour reçu aucune plainte. Les conseils départementaux ou le Conseil national peuvent toujours saisir la chambre disciplinaire régionale.
Peut-être n'y aura-t-il pas beaucoup de saisines directes d'infirmiers ou de patients sur un sujet quelque peu sensible. Peut-être préféreront-ils que ce soit le conseil de l'Ordre qui se saisisse - mais cela n'a pas encore eu lieu. Comme je l'ai déjà dit, il n'existe à ce jour aucune jurisprudence disciplinaire sur ces questions de dérives sectaires.
Mme Hélène Lipietz . - Avez-vous eu connaissance de dérives posant problèmes en matière psychiatrique ?
M. Yann de Kerguenec. - Jamais, mais c'est peut-être plus difficile en établissement. La majorité de nos signalements viennent du monde libéral ou de plus petites structures de type Ephad, ou encore des services de santé scolaire.
L'infirmière scolaire a en effet un rôle déterminant de « sentinelle ». Elle peut détecter des insuffisances alimentaires, poser des questions et soupçonner certains faits ; nous n'avons toutefois pas de capacités d'intervention, encore moins vis-à-vis des enfants que des familles.
En tout état de cause, nous n'avons jamais eu de remontées de la part des grands établissements hospitaliers, qui n'ont peut-être pas le réflexe de passer par l'institution ordinale.