Audition de M. Jean-Yves GRALL, directeur général de la santé (mercredi 28 novembre 2012)
M. Alain Milon , président. - Nous accueillons M. Jean-Yves Grall, directeur général de la santé, dont relève le Groupe d'appui technique sur les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique (GAT) créé par l'arrêté du 3 février 2009. Il est accompagné de Mme Michèle Brian, médecin inspecteur de santé publique et de Mme Anne-Marie Gallot, chef du bureau Qualité des pratiques et recherches biomédicales.
Cette audition s'est imposée de manière évidente car nous avons constaté que l'expansion des pratiques thérapeutiques dites non conventionnelles faisait partie intégrante de notre sujet. L'expertise de ces pratiques en vue de leur éventuelle validation et de l'information du public, qui relève de la compétence du GAT, est essentielle à la lutte contre les dérives sectaires dans le domaine de la santé.
Cette audition n'est ouverte ni au public ni à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.
Je vais, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes auditionnées de prêter serment.
Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Monsieur Jean-Yves Grall, mesdames Michèle Brian et Anne-Marie Gallot, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».
Les trois personnes se lèvent et prêtent serment .
M. Alain Milon , président . - Vous avez la parole.
M. Jean-Yves Grall, directeur général de la santé. - Si les pratiques non conventionnelles et les dérives sectaires doivent être distinguées, elles sont parfois associées. Dans tous les cas, le rôle de la direction générale de la santé (DGS) est de protéger la santé de nos concitoyens.
Les pratiques non conventionnelles désignent sous un même vocable une large gamme de pratiques allant de l'ostéopathie à la biologie totale ou à la naturopathie. Certaines correspondent à des pratiques anciennes ou couramment appelées médecines douces ; d'autres sont utilisées dans le cadre de pratiques sectaires. Leurs objectifs sont divers.
Le recours à ces pratiques est probablement fréquent mais difficile à quantifier du fait de leur champ très large et de l'absence de déclaration des actes. Il est toutefois admis qu'environ la moitié de la population française a eu recours au moins une fois à une pratique complémentaire ou parallèle. L'augmentation du nombre de patients atteints de pathologies chroniques, devant supporter les effets secondaires de traitements lourds ou des douleurs rebelles, explique au moins en partie cet engouement.
Le développement de ces pratiques invite aussi à réfléchir aux modalités d'exercice de la médecine conventionnelle, dont le cloisonnement entre spécialités est difficile à comprendre pour les malades et où le temps consacré à la consultation est réduit. Cela peut les inciter à se tourner vers des pratiques qui paraissent mieux prendre en compte la totalité de leur personne et délivrent des explications simples à comprendre et à admettre. Dans la très grande majorité des cas, ces pratiques n'ont pas fait l'objet d'études scientifiques ou cliniques quant à leurs modalités d'action, leurs effets, leur efficacité ou leur non-dangerosité. Leur enseignement ne conduit pas à la délivrance de diplômes nationaux. Alors que la presse présente souvent ces méthodes sous un jour positif, sans danger ni effets secondaires, la médiatisation récente d'affaires de sécurité sanitaire peut amener une partie du public à douter de la médecine conventionnelle.
Face à cette situation a été créé en 2009 le Groupe d'appui technique sur les pratiques non conventionnelles (GAT), présidé par le directeur général de la santé et composé des représentants des organismes publics impliqués dans la protection de la sécurité et de la qualité des soins en France. Sa première mission est l'évaluation scientifique des pratiques non conventionnelles. Il est aussi chargé de l'information du public. Cette information objective et factuelle ne fait bien entendu aucune concession sur la sécurité sanitaire. Enfin, le GAT mène une réflexion sur les outils juridiques permettant de lutter contre les pratiques dangereuses.
Le programme pluriannuel d'évaluation est financé par la Direction générale de la santé depuis 2010. Il est défini en concertation avec le GAT en fonction des remontées de cas d'accidents ou du recours important du public à certaines techniques. Les évaluations ne pouvant être conduites avec les outils habituels, elles nécessitent des méthodologies adaptées peu répandues dans les équipes scientifiques, l'analyse de la littérature « grise » et les auditions de professionnels. Elles sont effectuées par des organismes publics reconnus car la qualité de ces études conditionne celle de l'information. Les évaluations et revues de littérature scientifique internationale sont confiées à l'Inserm ou à des sociétés savantes et un avis complémentaire est ensuite demandé à la Haute Autorité de santé (HAS) ou au Haut Conseil de la santé publique (HCSP). L'objectif est de repérer les pratiques prometteuses et celles potentiellement dangereuses. La DGS soutient aussi la réalisation d'études cliniques visant à explorer l'efficacité de pratiques non conventionnelles sur certains symptômes en complément des traitements conventionnels. C'est notamment le cas à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) s'agissant de l'effet de l'acupuncture et de l'ostéopathie sur des symptômes douloureux.
Dans le cadre de sa mission d'information du public, un dossier élaboré avec l'aide du GAT et mis en ligne sur le site internet du ministère a été ouvert le 7 janvier 2011. Il donne des informations factuelles dénuées de caractère promotionnel qui permettent aux patients de faire un choix éclairé. On ne peut en effet laisser les promoteurs de ces pratiques dispenser seuls, sans aucune limite, une information incertaine. Ce dossier internet va être enrichi de fiches par pratiques. D'ici la fin de l'année seront ainsi mises en ligne trois fiches sur la biologie totale, la mésothérapie et la lipolyse. Un lien internet avec les rapports d'évaluation de l'Inserm est prévu afin que le public puisse les consulter. D'autres autres fiches sont en cours d'élaboration notamment sur l'ostéopathie, la chiropraxie et la fishthérapie.
L'article L. 1151-3 du code de la santé publique interdit les actes à visée esthétique présentant un danger grave ou une suspicion de danger grave pour la santé. D'autres outils sont à l'étude pour une intégration dans la future loi de santé publique.
Il nous faut objectiver les risques par des études à la méthodologie solide. La lenteur de l'établissement de notre doctrine s'explique par cette volonté de prendre des mesures qui ne soient pas contestées, comme la décision récente du Conseil d'Etat sur la lipolyse nous y incite. L'Inserm fait beaucoup en ce sens au point de se voir reprocher par l'agence d'évaluation de la recherche scientifique qu'il ne s'agit pas d'études classiques. Au sein du ministère, les directions générales de l'offre de soins et de la cohésion sociale sont elles aussi concernées.
M. Alain Milon , président. - Sur les 400 pratiques non conventionnelles recensées, vous en avez évalué trois en trois ans. Faudra-t-il attendre 400 ans pour les autres ?
M. Jean-Yves Grall. - Il ne s'agit pas de lenteur mais du respect d'une procédure. Ne pas prendre le temps d'être rigoureux, c'est s'exposer à de nombreux risques. Certes, six en trois ans ce n'est pas beaucoup, mais nous avançons.
M. Alain Milon , président. - Des pratiques complémentaires telles que l'hypnose, la méditation, la sophrologie, le shiatsu, le tens, le Qi gong ou le toucher thérapeutique sont semble-t-il utilisées à l'AP-HP. Qu'en pensez-vous ?
Mme Anne-Marie Gallot, chef du bureau des pratiques et recherches biomoédicales. - Nous avons soutenu l'AP-HP dans la mise en place de dispositifs visant, dans le cadre d'études de recherche biomédicale, à apprécier la place et les limites de ces pratiques.
M. Stéphane Mazars . - Vous connaissez l'existence de ces pratiques complémentaires et vous les accompagnez ?
Mme Anne-Marie Gallot. - Oui, nous manquons d'études scientifiques fiables à leur sujet. Nous procédons à une véritable évaluation dans un cadre de recherche biomédicale, sans risque pour les patients.
M. Jean-Yves Grall. - Les programmes hospitaliers de recherches cliniques (PHRC) sont faits pour cela.
M. Stéphane Mazars . - Etes-vous informés des résultats ?
Mme Anne-Marie Gallot. - Oui, la responsable de ces études à l'AP-HP en rend compte au GAT.
M. Alain Milon , président. - Notre préoccupation est qu'une fois sorties de l'hôpital, les médecines complémentaires deviennent des médecines parallèles qui peuvent, en ville et sur internet, se prévaloir de leur application par l'AP-HP et de leur autorisation par la DGS.
M. Jean-Yves Grall. - Elles peuvent seulement dire qu'elles font l'objet d'une investigation dans le cadre d'un PHRC.
M. Alain Milon , président. - Ce n'est toutefois pas ainsi qu'elles présentent les choses. Cela nous préoccupe vraiment.
M. Stéphane Mazars . - Une fois que les associations concernées sont hors des murs de l'AP-HP, vous ne contrôlez plus rien.
Mme Anne-Marie Gallot. - C'est aussi pour responsabiliser l'usager que nous avons mis en place le site internet. Cela se pratique dans d'autres pays. Nos fiches apportent une autre parole, factuelle et objective, qui peut bien sûr évoluer dans le temps.
M. Stéphane Mazars . - Le risque nous est apparu que des personnes très vulnérables trouvent dans ces soins secondaires une source de bien-être qui les aveugle et les conduise, sous l'influence de personnes mal intentionnées, à déserter les thérapies conventionnelles. Certaines associations se prévalent de la caution de l'AP-HP et de la DGS ; n'y a-t-il pas là le risque de voir leurs thérapies validées ?
M. Jean-Yves Grall. - Ce risque est inhérent aux programmes hospitaliers de recherche clinique organisés par la DGOS consistant à évaluer dans les conditions réelles l'efficacité et l'innocuité des différentes pratiques. Quand bien même les études ont été engagées de façon appropriée et que l'on informe les patients, le risque d'utilisation malhonnête existe. Notre démarche consiste à fonder solidement et scientifiquement notre position vis-à-vis de ces méthodes en nous plaçant sous l'angle de la sécurité sanitaire. Il est vrai que cela prend du temps.
M. Stéphane Mazars . - Comment expliquez-vous la multiplication des médecines dites secondaires ?
M. Jean-Yves Grall. - On peut l'expliquer par l'opportunité pour certains d'en faire la promotion, que ce soit dans un cadre commercial ou sectaire, par le développement des affections chroniques lié à l'allongement de la durée de la vie et par une médiatisation très forte de ces pratiques.
M. Stéphane Mazars . - Comment le travail du GAT s'articule-t-il avec celui des ordres professionnels ?
Mme Anne-Marie Gallot. - L'Ordre de médecins participe activement aux travaux du GAT.
Mme Catherine Génisson . - Je suis très surprise par les expérimentations menées à l'AP-HP. Les patients en sont-ils préalablement informés ? Compte tenu de la difficulté à évaluer ces médecines parallèles, comment exercez-vous votre devoir d'alerte sur les 400 pratiques recensées ?
Mme Anne-Marie Gallot. - Les expérimentations ayant lieu dans le cadre d'un PHRC, les patients bénéficient des règles applicables aux recherches biomédicales. Nous définissons avec le groupe d'appui les pratiques à évaluer. Les fiches sur notre site sont régulièrement actualisées. Pour le reste, il s'agit, comme dans d'autres pays, d'un travail d'évaluation à long terme.
M. Jean-Yves Grall. - Ces techniques foisonnent et sont très évolutives. Pour en détecter de nouvelles, nous disposons du système de veille et de sécurité sanitaire qui s'appuie sur les agences ainsi que de celui des vigilances sanitaires. Les informations qui nous remontent peuvent nous conduire à mener des investigations.
Mme Catherine Génisson . - Je comprends votre volonté de trouver de la rationalité dans des propositions qui semblent en manquer. Mais on s'adresse ici à des personnes très vulnérables et à la santé précaire. Ces expérimentations cliniques m'interpellent dés lors que certains patients seraient conduits à abandonner les traitements conventionnels.
M. Jean-Yves Grall. - Il faut bien distinguer les techniques conventionnelles éprouvées par des données factuelles et les techniques complémentaires qui font l'objet de demandes d'évaluation clinique par les établissements. Le risque d'abandon des traitements classiques existe pour des raisons qui relèvent de l'intimité du malade. Sur ce point, l'information des patients et celle des professionnels sont essentielles.
Mme Catherine Deroche . - Comment s'articulent les dérives sectaires avec ces pratiques non conventionnelles ?
M. Jean-Yves Grall. - Parallèlement au travail du groupe, la Miviludes adresse des signalements à la DGS ou à la DGOS dans l'optique propre à cette mission. Les cas ainsi relevés peuvent être analysés par les directions centrales et les ARS ou par le GAT. Les analyses permettent de disposer d'un levier indispensable pour mettre éventuellement ces pratiques en cause. Pratiques non conventionnelles et dérives sectaires ne sont cependant pas toujours superposables.
Mme Hélène Lipietz . - En Suisse, les soins des magnétiseurs sont remboursés et certains « coupeurs de feu » seraient admis dans les hôpitaux pour grands brulés. Avez-vous des échanges avec vos homologues européens ?
M. Jean-Yves Grall. - Je ne peux vous répondre sur ce qui se pratique en Suisse...
Mme Anne-Marie Gallot. - Nous recherchons les études réalisées au niveau international ; il n'y en a guère de satisfaisante.
Mme Michèle Brian, médecin inspecteur de santé publique . - Nous consultons l'information au public délivrée par certains pays. En Suisse, il semble qu'il ait été décidé de rembourser certaines pratiques non conventionnelles pendant quelques années, à l'issue desquelles une évaluation permettra de décider de la poursuite éventuelle du remboursement. Cette posture est assez semblable à celle de la DGS.
M. Alain Milon , président . - A la différence qu'en Suisse, le remboursement intervient au-delà de 2 500 francs suisses de dépenses annuelles...
Mme Catherine Génisson . - L'AP-HP a-t-elle validé des pratiques non conventionnelles ?
Mme Anne-Marie Gallot. - Les études son en cours. Quand nous avons su que cette réflexion était menée à l'AP-HP, nous l'avons soutenue.
Mme Catherine Génisson . - Vous n'avez pas mandaté l'AP-HP ?
Mme Catherine Génisson . - C'est une information importante.
M. Jean-Yves Grall . - Les hôpitaux viennent vers la direction de l'organisation des soins et déposent des projets, qui sont ensuite analysés ; la DGOS octroie éventuellement un label et des financements pour réaliser l'évaluation clinique demandée. Nous ne sommes pas les promoteurs de ces actions.
M. Alain Milon , président . - Qui est le promoteur à l'AP-HP ?
M. Jean-Yves Grall . - Je ne saurais vous répondre. C'est l'AP-HP en tant qu'institution qui dépose un projet.
M. Alain Milon , président . - Avez-vous déjà eu des alertes liées à des pratiques non conventionnelles dans le cadre du système de vigilance et, le cas échéant, lesquelles ?
En tant qu'internaute, j'ai eu du mal à vous trouver sur internet. En tapant kinésiologie ou biomagnétisme, je ne suis jamais arrivé sur votre site. Il faut passer par l'adresse sante.gouv.fr et fouiller...
Enfin, M. Fenech, que nous avons auditionné, nous a fait part de la démission du GAT d'un praticien hospitalier, suite à un désaccord concernant la méthode de suivi et les délais. Qui est cette personne et quelles ont été les suites de cette démission ?
M. Jean-Yves Grall . - Nous avons eu un certain nombre d'alertes, parmi lesquelles un récent cas qui n'a sans doute pas été pour rien dans la position du Conseil d'Etat : il s'agissait de la lipolyse, qui a été à l'origine de quelques cas de septicémies. Nous essayons de muscler notre système de vigilance, en facilitant les déclarations et en les faisant remonter au plus vite.
Quant au site internet, nous avons un problème de référencement au ministère ; sans doute n'y sommes-nous pas suffisamment attentifs.
Enfin, je n'étais pas là lorsque ce praticien s'est retiré, mais je crois que les conditions de son départ ne sont pas tout à fait celles dont a fait état devant vous M. Fenech...
Mme Anne-Marie Gallot. - Cette personne est connue pour son excellence. Les mouvements sont fréquents au sein du GAT. D'autres institutions demandent à nous rejoindre. Le sujet sera à l'ordre du jour de notre prochaine réunion.
M. Jean-Yves Grall . - Je ne crois pas que les délais soient en cause dans ce départ. Bien sûr, nous aimerions aller plus vite. Je connais la position de M. Fenech et je la comprends, mais si on veut de la rigueur, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.
M. Stéphane Mazars . - Des moyens supplémentaires accélèreraient-ils le processus ?
M. Jean-Yves Grall . - Nous sommes les seuls à financer ces études. La contribution de la DGS est modeste, de l'ordre de 400 000 euros sur trois ans. L'Inserm est très volontariste, heureusement. Si nous avions la possibilité d'y consacrer exclusivement trois ou quatre personnes et des moyens supplémentaires, ce serait mieux évidemment. L'Inserm, lui aussi, travaillerait plus vite s'il était mieux doté ; mais il fait un travail considérable.
M. Alain Milon , président . - Avec quels pays travaillez-vous pour lutter contre les médecines non conventionnelles ? Comment s'organise ce travail ?
Mme Anne-Marie Gallot. - Nous faisons des recherches sur internet, sur les sites anglophones ou francophones.
M. Alain Milon , président . - Vous ne travaillez pas en coordination avec des services étrangers ?
M. Jean-Yves Grall . - Il n'y a pas de structure internationale ad hoc .
M. Alain Milon , président . - Il faudrait y penser. Vous nous avez dit travailler avec des sociétés dites savantes. Quelles sont-elles ?
M. Jean-Yves Grall . - La société française de cardiologie par exemple ou la société française de neurologie...
Mme Hélène Lipietz . - Vous avez dit que certains diplômes étaient délivrés par les universités sans que soit attestée la validité de la pratique enseignée. De quelles pratiques s'agit-il ? La sophrologie ? Cela ne vous gêne-t-il pas ?
M. Jean-Yves Grall . - Ce sont des diplômes d'universités qu'il appartient aux universités d'établir, à la différence des diplômes d'études spécialisées complémentaires dont la valeur est nationale. L'enseignement peut alors manquer d'un substrat clinique...
M. Alain Milon , président . - Je vous remercie.