Table ronde 1 : Patrimoine audiovisuel des outre-mer et enjeux de mémoire
M. Pascal Blanchard, Historien, Chercheur associé au CNRS au laboratoire communication et politique, directeur du groupe de recherche Achac :
À travers le panorama intéressant que composent ces archives audiovisuelles : on se rend en effet compte qu'elles nous racontent la vie locale, la vie culturelle, la vie politique, la vie sociale. Regarder aujourd'hui ces images, c'est plonger dans un matériau brut qui permet de regarder la vie de ces régions.
Le principe de la table ronde est simple : il y a neuf invités et chacun va pouvoir réagir à tout ce qui a été dit jusqu'à maintenant, puis débattre et répondre aux questions de la salle.
Nous sommes très honorés d'accueillir aujourd'hui, madame la ministre déléguée auprès du ministre de l'Éducation nationale, chargée de la réussite éducative, George Pau-Langevin ; le sénateur de Guyane, Jean-Etienne Antoinette ; le sénateur de Paris et historien David Assouline ; Olivier Pulvar qui vient spécialement des Antilles et qui est chercheur sur ces questions ; Jean-Michel Rodes, directeur délégué aux collections de l'INA ; Françoise Vergès, politologue et présidente du Comité pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage ; Isabelle Veyrat-Masson, historienne de la télévision et directrice de recherche au CNRS ; Estelle Youssouffa, journaliste à TV5 Monde ; et enfin Luc Laventure, directeur de la Collection Outre-mer de France Télévisions, qui a vécu cette aventure de l'intérieur pendant de nombreuses années, comme journaliste et réalisateur à RFO, puis comme directeur des antennes de France Ô et Outre-mer 1 ère de 1998 à 2011.
Je veux demander à madame la ministre, si elle est d'accord, de bien vouloir ouvrir la table ronde sur les programmes de numérisation mis en oeuvre, et leur importance pour nos cultures partagées.
Mme George Pau-Langevin, Ministre déléguée auprès du ministre de l'Éducation nationale, chargée de la Réussite éducative
Cher Pascal Blanchard, tout d'abord bravo pour cette initiative. Je sais bien l'intérêt que tu portes aux questions liées à la colonisation et aux mondes de l'outre-mer. Et nous sommes aujourd'hui à une étape particulière et significative.
Pendant longtemps, l'outre-mer n'a pas totalement été présent dans la conscience de la France hexagonale, même si nous faisions partie de l'ensemble national depuis des siècles. Il me semble particulièrement important que les images qui ont été celles de RFO puissent être sauvegardées : en effet, au moment où parfois les grandes métropoles s'interrogent sur la diversité de leur population, au moment où il nous faut comprendre cette société plurielle dans laquelle nous vivons, il est essentiel de pouvoir rappeler - par les images - qu'il s'agit d'un amour-répulsion qui dure depuis longtemps. Pour le Français de métropole, l'outre-mer peut sembler une réalité neuve, une idée originale, mais il s'agit en fait d'une histoire déjà ancienne. Les images et le souvenir en constituent donc une composante essentielle.
Deuxièmement, il existe des dates qui ont compté. Pour constituer une société fraternelle et égalitaire, il importe de réintégrer les mémoires particulières. Nous avons évoqué Napoléon Bonaparte, et je me rappelle la lutte que nous avions lancée avec le Maire de Paris contre le Général Richepanse alors que, pour beaucoup, il ne s'agissait que d'une histoire lointaine. En définitive, lorsque nous avons réussi à faire comprendre que l'abolition de l'esclavage était une lutte qui avait été menée par des intellectuels français ou des défenseurs des droits humains contre d'autres personnages bornés ou butés, nous avons alors réintégré cette mémoire particulière dans la mémoire collective. On dit souvent qu'aujourd'hui notre société est en train « d'exploser », de se « diffracter ». Mais pour « faire société », pour arriver à une meilleure cohésion de notre monde, réintégrer les mémoires particulières est un aspect tout à fait important.
Au moment où certains parlent souvent des droits et des devoirs, évoquent sans cesse ce que les jeunes gens devraient faire pour pouvoir mériter leur qualité de Français, plonger dans ces événements du passé est une manière de rappeler que les habitants des anciennes colonies n'ont pas fui leurs devoirs. De nombreux documents produits par RFO, par exemple ce magnifique reportage sur les dissidents, rappellent que, depuis longtemps, dans le cadre de la communauté nationale, les devoirs ont été accomplis. Par conséquent, il est aussi normal de réclamer les droits afférents.
Dernier point, qui me semble essentiel quant à la préservation des images des différentes stations d'outre-mer de RFO : aujourd'hui, nous parlons beaucoup de tout ce qui est de l'ordre du patrimoine immatériel. Il est indiscutable que les stations de RFO, en recueillant les images des rites et des cérémonies à travers tout l'outre-mer, ont contribué à sauvegarder un patrimoine immatériel qui, sinon, aurait disparu pour nous tous.
Lorsque j'étais Déléguée à l'outre-mer à la Ville de Paris, nous avions voulu rappeler les souvenirs des Antillais lorsqu'ils étaient massivement arrivés en métropole. Ceux d'entre vous qui ont connu cette époque se souviennent peut-être que tous ceux qui arrivaient des Antilles passaient par Le Havre, où ils prenaient le train pour la gare Saint-Lazare de Paris. C'était un processus évident et connu par tout le monde à cette époque. Aujourd'hui, ce parcours d'arrivée a disparu car les voyageurs prennent l'avion et plus personne ne s'en souvient. Lorsque nous avons réalisé avec Mehdi Lallaoui une exposition remarquée sur les migrants antillais des années 1960, nous avons cherché des images, notamment des Antillais à la gare Saint-Lazare, mais nous n'avons pratiquement rien trouvé alors que ce parcours était inscrit dans l'imaginaire de tous.
Aussi, recueillir ces images, les préserver et les porter à la connaissance, tant des jeunes générations que du peuple français en général, constitue une tâche importante pour la cohésion nationale. À ce titre, cette mission en cours de conservation et de numérisation des archives de RFO m'apparaît essentielle.
M. Pascal Blanchard, Historien, Chercheur associé au CNRS au laboratoire communication et politique, directeur du groupe de recherche Achac :
Merci beaucoup Madame la ministre pour votre intervention qui ouvre cette table ronde. Monsieur le sénateur, quelle importance revêt pour les populations régionales, pour la Guyane, par exemple, le premier territoire test en 2006, ce programme de sauvegarde et de numérisation ?