M. Jean Varra, Directeur technique à la Direction des Collections de l'INA
Je vais vous parler un peu plus concrètement de la façon dont Anne Lefort et moi-même avons mené le projet de conservation et de numérisation.
Celui-ci a été mené en deux phases : la première phase a débuté en 2006 sur la base d'une expertise qui avait été demandée par RFO à l'INA, expertise centrée à ce moment-là sur les fonds anciens. Elle avait été menée dans les six stations les plus importantes en termes de volume de production. Pour Wallis et Futuna, Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, il n'y avait eu qu'une évaluation des volumes, et non une évaluation de l'état des supports.
Cette première mission de 2006 poursuivait trois objectifs : on connaissait alors peu les volumes des collections et notre objectif visait justement à mesurer les volumétries de ces fonds. En parallèle, une question se posait : dans quel état allions-nous trouver ces fonds ? Enfin, à partir de cette volumétrie, nous devions réaliser une estimation du coût de sauvegarde : quelles sommes devaient être avancées pour sauvegarder et numériser ces fonds ?
Les résultats de cette étude ont été connus en 2006 : au total, on avait estimé que l'ensemble des fonds des neuf stations du siège de Malakoff correspondait à peu près à 81 500 heures. Ces documents ont été regroupés sous l'appellation « fonds historique ». Il s'agit des fonds les plus anciens qui couvrent les années 1960 jusqu'à 1985. Ils se trouvaient être enregistrés sur pellicule film, mais également sur des supports vidéo de 1 pouce, 3/4 de pouce, des supports qui sont aujourd'hui totalement obsolètes, qui ne sont plus en usage et dont la technologie a disparu du marché.
Ce fonds historique correspondait en 2006 à près de 13 000 heures, soit 16 % du fonds total. Ce fonds regroupait les documents des chaînes dont les productions propres étaient faibles à leurs débuts, tandis que beaucoup d'autres documents ont disparu. Ainsi, si le volume de ce fonds représente finalement peu d'heures, cela ne lui en confère que plus de valeur. Les fonds les plus récents, qui couvrent la période de 1958 à aujourd'hui, sont enregistrés sur supports Betacam SP qui commencent à être eux aussi un peu obsolètes. Les DVCPRO, des formats numériques plus récents, correspondaient à 84 %.
Le chiffrage avait donné un montant de 7,5 millions d'euros, ce qui est une somme importante. Il faut savoir que la sauvegarde des fonds historiques, c'est-à-dire les fonds les plus anciens, correspond à près de 50 % de ce budget, tout simplement parce que ce sont des fonds beaucoup plus coûteux et difficiles à transférer. Les autres 50 % sont dévoués aux fonds plus récents. Voilà ce que nous enseignait cette étude sur les volumétries.
Deuxième objectif de cette étude : réaliser un constat de l'état physique des fonds. Au fur et à mesure des missions, nous avons trouvé des fonds historiques dans un état assez préoccupant : des moisissures, le syndrome du vinaigre (une dégradation fameuse de la pellicule film, dont on est averti grâce à l'odeur de l'acide acétique qui s'en dégage ; il y a alors urgence à sauvegarder, puisque cela signifie que le film se dégrade rapidement). Ces problèmes étaient liés à des conditions climatiques où l'humidité est très élevée, mais aussi aux conditions de conservation du passé : si aujourd'hui, ces conditions se sont sensiblement améliorées grâce aux politiques de conservation mises en oeuvre, cela n'a pas toujours été le cas par le passé. Ces fonds ont donc subi les outrages du climat, mais aussi ceux qui sont liés au vieillissement des supports et à l'obsolescence des technologies.
Cette étude a donc mis à jour un impératif : sauvegarder en priorité les fonds historiques. Mathieu Gallet - Président-directeur général de l'INA - l'a rappelé : les budgets n'étaient pas prévus dans le PSN initial (le plan de sauvegarde et de numérisation). Il fallait donc trouver des financements complémentaires. Néanmoins, l'INA a décidé - avec l'aval de RFO - de collecter les fonds et de commencer leur numérisation dès 2008. Une région-pilote avait été choisie : la Guyane. Ce processus a été lent à mettre en oeuvre, en fonction des financements évidemment, mais surtout compte tenu de l'état de dégradation des films. La collecte de ces fonds historiques, qui ont été rapatriés en métropole pour être traités, s'est poursuivie en 2009 et 2010. Et en 2012, 40 % des films collectés avaient été numérisés. 24 % des 1 pouce et 40 % des 3/4 ont été sauvegardés. Ainsi, nous en sommes aujourd'hui presque au milieu du gué.
Les besoins de financement complémentaires avaient pour objectif de poursuivre et accélérer la sauvegarde des fonds historiques, et de mettre en oeuvre la numérisation des fonds récents. Cela s'est fait à travers un dossier de financement qui a été déposé dans le cadre des investissements d'avenir. Cela a pris du temps, et en 2012 ce financement a été acquis. La deuxième phase du projet pouvait alors être amorcée et elle devrait se dérouler sur une période estimée à six ans.
Mme Anne Lefort, responsable de la sauvegarde des Collections de l'INA :
Deux hypothèses étaient alors envisageables. La première consistait à collecter les matériels, comme nous l'avions fait pour les matériels anciens, pour les numériser en métropole. Mais cela demandait une logistique très lourde. Nous avons collecté les 13 000 heures du fonds ancien, en trois ans. Aussi, pour collecter plus de 135 000 heures, nous nous interrogions sur le temps nécessaire. Cela exigeait également une logistique interne très lourde, puisqu'il aurait fallu inventorier ces matériels, les stocker, etc. L'argument décisif a été l'usage régulier et quotidien que faisaient les documentalistes de ces archives du fonds récent. Il était alors inimaginable de les immobiliser aussi longtemps.
L'autre hypothèse était donc de numériser ces archives sur place, directement dans les stations. Il était difficile de trouver une structure industrielle sur place parce que cela demande des investissements techniques énormes. Nous avons donc pris le parti de lancer un appel d'offres en métropole pour choisir un prestataire qui devra numériser les archives sur place, de manière itinérante sur une période de six ans. Ce prestataire apportera son matériel par fret d'avion ; il voyagera par tranches de trois à neuf mois, de station en station, de bassin en bassin. Puisque nous avons réalisé un appel d'offres en métropole, nous avons décidé de placer dans le cahier des charges une exigence : les techniciens doivent être employés localement. Et nous espérons vivement que ces techniciens de numérisation soient localement trouvés.
L'inconvénient de ces choix est d'imposer un délai de six ans. Le calendrier de cette mission - qui s'étend donc de 2013 à 2018 - n'a pas encore été arrêté. Mais le challenge s'avère d'ores et déjà difficile.
Pour préparer cet appel d'offres, il a fallu organiser des missions auprès de toutes les stations. Ces missions sont presque achevées. Par exemple, en partenariat avec le responsable des Thèques de Malakoff, Daniel Triplon, nous partons en mission depuis mars/avril 2012 pour estimer de nouveau les volumes de façon plus précise et réévaluer l'état des archives sur place. Il s'agit également de sensibiliser les personnels à la venue ultérieure d'une équipe de techniciens extérieurs à Outre-mer 1 ère .
Des conclusions s'imposent déjà : les volumes sont beaucoup plus importants que ceux qui avaient été estimés en 2006. En effet, les fonds représentent près de 135 000 heures, soit une augmentation de 50 % par rapport aux estimations de 2006. De même, l'état des supports diffère d'une station à l'autre, tout comme l'organisation des fonds, l'avancement de l'inventaire ou les conditions d'accueil. Ce sont des éléments qu'il s'agit de connaître avant que le prestataire sélectionné démarre sa mission.
Accueil chaleureux et disponibilités ont été les maîtres mots de ces missions INA. La mobilisation des personnels est totale dans l'ensemble des stations, et tous feront leur possible pour que cette opération soit un succès.
M. Jean Varra, Directeur technique à la Direction des Collections de l'INA :
Où en est aujourd'hui cette phase 2 du processus mis en place ? Tout d'abord, le financement total de 7,5 millions reste valable en dépit de l'augmentation des volumes. En effet, pour ces documents assez récents, le coût moyen de la prestation baisse en fonction du volume. La baisse est également liée à la mise en concurrence produite par l'appel d'offres. Elle s'explique également par des supports plus récents et, donc, plus facilement automatisables en matière de transfert. Il est ainsi important de savoir qu'avec un même budget, nous pouvons traiter un volume plus important de documents.
Bien évidemment, nous poursuivons notre mission dédiée aux fonds historiques dont la numérisation va se prolonger de 2013 à 2015.
L'appel d'offres a été lancé en avril 2012 pour le traitement des fonds Beta et DVCPro, à la fois en métropole et dans les différentes régions. Après analyse des candidatures, le soumissionnaire sera retenu lors d'une commission des marchés qui se tiendra fin novembre 2012. Les opérations techniques directement auprès des stations devraient commencer à la fin du premier trimestre 2013. C'est à peu près le temps qu'il faut aujourd'hui pour définir une structure technique, la mettre en oeuvre et la tester avant qu'elle ne réalise son parcours auprès des différentes stations ultramarines.
M. Pascal Blanchard, Historien, Chercheur associé au CNRS au laboratoire communication et politique, directeur du groupe de recherche Achac :
Anne Lefort et Jean Valla ont remporté leur challenge : présenter l'histoire des six dernières années et des six prochaines années de ces archives ultramarines en près de quinze minutes. Nous le constatons, il y a donc un long travail humain, technique et de préparation pour qu'un jour, nous puissions tous - chercheurs, réalisateurs, journalistes - disposer de ce patrimoine.
Nous allons maintenant découvrir quelques extraits audiovisuels des productions RFO de la génération des années 1980, au moment de la création de RFO, et plonger trente ans en arrière.