M. Jean-Étienne Antoinette, Sénateur de la Guyane, Vice-président de la Commission de la Culture, de l'éducation et de la communication et membre de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer
Mesdames,
Messieurs,
Partager le questionnement du patrimoine audiovisuel de l'outre-mer et des enjeux de mémoire qui y sont rattachés, cela présente l'intérêt de faire le rappel d'une véritable situation d'urgence.
Au-delà de missions anthropologiques et d'initiatives individuelles visionnaires qui, dès le début du 20 e siècle, ont pu saisir des sources conservées au Musée de l'homme ou à l'INA, des freins économiques et technologiques ont réduit à la portion congrue la captation audiovisuelle des dynamiques sociales de nos territoires et de la Guyane.
Le service public audiovisuel qui a de ce fait occupé une part déterminante dans les captations au jour le jour, mais à la portée historiographique, sociologique et esthétique avérée, avait bénéficié à l'orée des années 2000 pour le réseau de Radio France outre-mer d'un projet de numérisation de ses archives, semble-t-il non abouti et à propos duquel quelques éléments d'information seraient intéressants.
En effet, l'enjeu de solution urgente porte tout de même sur 60 années de sauvegarde de mémoire pour l'ensemble des outre-mer, avec les problématiques élargies de valorisation grâce aux outils technologiques de dernière génération et de mise en réseau partagé avec des partenaires ou utilisateurs déterminés.
De façon plus générale, les enjeux patrimoniaux me rassurent lorsqu'ils montrent que les hommes sont assez semblables, autour des objectifs de collecte et valorisation de la mémoire orale, des traces de la création matérielle des humanismes et civilisations et aussi des représentations, sublimations et transformations, symboliques mais aussi biologiques de notre environnement et cadre de vie.
Par ailleurs, au-delà de l'intérêt connu des archives pour la recherche et l'histoire, le patrimoine audiovisuel de l'outre-mer revêt un enjeu capital du fait que nos sociétés sont jeunes, que la Guyane, notamment, a une histoire récente très riche et pas encore « digérée » par la population.
Je vois ainsi l'intérêt de conservation mais aussi de valorisation, de diffusion au grand public pour favoriser la connaissance, la compréhension et l'appropriation de cette histoire, mémoire par ceux qui la vivent autant que par ceux qui la découvrent.
Il y a double intérêt :
- la médiation, l'éducation, le partage de ces éléments de mémoire pour la construction d'une identité partagée dans la population, et donc de la cohésion sociale,
- le développement des programmes de recherche pour exploiter ces documents dans le but d'aider la société à se comprendre elle-même.
En Guyane, plusieurs histoires se croisent et sont saisies sur le vif par les médias. Ce sont souvent les seuls témoignages, les seules analyses, car la recherche en sciences sociales est peu développée, surtout la sociologie qui permettrait d'analyser les faits et les évolutions au fur et à mesure.
La conservation de ces archives doit donc s'accompagner du développement de programmes de recherche sur la société actuelle, les dynamiques sociales, et pas seulement des travaux d'ethnologues et d'anthropologues sur les questions de culture, de mémoire et de patrimoine.
Ce que je veux dire c'est que l'enjeu de mémoire n'est pas seulement la patrimonialisation de ces archives, mais aussi leur utilisation concrète et actuelle par les scientifiques pour la compréhension des sociétés ultramarines contemporaines, la confrontation avec d'autres sources d'information, la mise en perspective de leur intérêt informatif, pour produire autant de la connaissance objective sur nos territoires, que le partage et la diffusion de cette connaissance, et l'appropriation de celle-ci à travers le regard de nos sociétés sur elles-mêmes.
Pour finir, les questions de méthodes et d'outils annexés à ces enjeux de mémoire prennent justement tout leur sens sur nos territoires ultramarins, qui en parallèle du péril évoqué pour RFO, notre source principale d'archives, ont manqué assurément ces dernières années de centres ressources, travaillant sur la durée afin de collecter, valoriser et diffuser cette mémoire audiovisuelle.
À titre d'information, prêchant dans un contexte régional difficile notamment sur le sujet, j'ai concrètement articulé l'ossature de ma politique culturelle en tant qu'élu local autour du travail de mémoire et de la mise en réseau des collecteurs.
Il s'agit de préparer de façon concrète toutes les vocations possibles, à des métiers diversifiés qui y sont rattachés, ainsi qu'aux innovations apportées par la recherche et les évolutions technologiques comme l'actuelle numérisation des systèmes de l'information.
Il me semblait important de pouvoir échanger autour de cela avec vous.
M. Pascal Blanchard, Historien, Chercheur associé au CNRS au laboratoire communication et politique, directeur du groupe de recherche Achac :
Merci monsieur le sénateur. David Assouline, vous qui êtes sénateur, mais aussi historien, comment jugez-vous les priorités de ce programme de sauvegarde et de numérisation en qualité de sénateur et en qualité d'historien qui connaît l'importance des archives et du patrimoine ?