B. L'ABROGATION PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DU DÉLIT DE HARCÈLEMENT SEXUEL
Saisi dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a, dans une décision rendue le 4 mai 2012, jugé l'article 222-33 du code pénal relatif au harcèlement sexuel contraire à la Constitution entraînant son abrogation immédiate, avec des conséquences douloureuses pour les victimes - des femmes essentiellement - qui avaient eu le courage de dénoncer ces agissements devant la justice.
1. La décision 2012-240 QPC du 4 mai 2012
Dans sa décision n° 2012-240 QPC, le Conseil constitutionnel a jugé que « l'article 222-33 du code pénal permet que le délit de harcèlement sexuel soit poursuivable sans que les éléments constitutifs de l'infraction soient suffisamment définis ; qu'ainsi ces dispositions méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines et doivent être déclarés contraires à la Constitution » .
Le sens de cette décision, d'une extrême concision, peut être éclairé par les plaidoiries tenues à l'audience et par le commentaire de la décision publié sur le site du Conseil constitutionnel.
• L'audience du 17 avril 2012
Lors de l'audience tenue devant le Conseil constitutionnel le 17 avril 2012, le représentant du Gouvernement , qui défendait la disposition devant le juge constitutionnel, a estimé que l'énumération des moyens du harcèlement figurant dans la rédaction antérieure à 2002 (« ordres », « menaces », « contraintes », « pressions graves ») était liée au caractère plus restreint de l'ancien délit de harcèlement sexuel qui ne pouvait être commis que dans le cadre d'un abus d'autorité. Il a considéré qu'en s'abstenant, dans la nouvelle rédaction, d'énoncer les moyens du harcèlement, le législateur a voulu réprimer « l'ensemble des comportements ayant pour objet, par leur caractère ou leur gravité, de soumettre une personne à des pressions en vue de faire céder sa volonté pour obtenir des faveurs de nature sexuelle dans des conditions qui ne respectent pas son libre consentement » , et que « eu égard au caractère diffus et varié que sont susceptibles de présenter de tels comportements » , la définition retenue par le législateur était suffisamment claire et précise.
L'avocate de la personne poursuivie a rappelé que la rédaction de l'article 222-33 avait fait l'objet de fortes critiques doctrinales pour son imprécision. Elle a considéré que la définition alors en vigueur, qui ne désignait le harcèlement sexuel que par sa finalité (l'obtention de faveurs sexuelles) sans donner de précisions sur les actes incriminés, n'était pas de nature à permettre au juge de tracer la frontière entre la « drague admissible » et le « harcèlement sexuel » proprement dit. A ce titre, elle a estimé que ce texte ouvrait la voie à un risque d'arbitraire et pouvait autoriser tous les débordements. De ce fait, il ne répondait pas aux exigences de précision qui s'imposent au législateur dans la définition des délits et des peines.
L'AVFT, qui défend les femmes victimes de violences au travail, a déclaré, lors de l'audience, partager ces critiques du point de vue juridique, tout en estimant que ce n'était pas les droits de la défense mais les droits des victimes qui étaient lésés par l'imprécision de la loi , en raison des difficultés auxquelles peuvent être confrontées les victimes pour rapporter la preuve de l'intention de l'auteur d'obtenir des faveurs de nature sexuelle.
• Les commentaires du Conseil constitutionnel
Le commentaire de la décision publié sur le site du Conseil constitutionnel comporte les précisions suivantes qui sont susceptibles d'orienter le législateur : « La définition du harcèlement sexuel n'est pas subordonnée à l'insertion de précisions relatives à la fois à la nature, aux modalités, aux circonstances des agissements réprimés. Mais, à tout le moins, une de ces précisions serait nécessaire pour que la définition de ce délit satisfasse à l'exigence de précision de la loi pénale. Le Conseil constitutionnel n'a ainsi pas imposé un retour à la définition du harcèlement sexuel résultant de la loi du 29 juillet 1992 » .
2. La portée de la décision du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel a déclaré l'article 222-33 du code pénal contraire à la Constitution précisant, dans son septième considérant, que son abrogation prenait effet à compter de la publication de la décision et qu'elle était applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.
L'abrogation de l'article 222-33 du code pénal n'emporte cependant pas par elle-même l'abrogation des autres dispositions relatives à l'interdiction du harcèlement sexuel en droit français et, en particulier, celles de l'article L.1153-1 du code du travail qui, couplées avec l'article L.1155-2 du même code, sont assorties de sanctions pénales.
Dans une dépêche adressée le 10 mai 2012 aux juridictions, la directrice des affaires criminelles et des grâces a analysé les conséquences de cette décision.
a) L'article 222-33 du code pénal
L'abrogation de l'article 222-33 du code pénal qui a pris effet le jour de la décision du Conseil constitutionnel, le 5 mai 2012, est applicable à toutes les procédures engagées sur son fondement et non définitivement jugées à cette date.
La Chancellerie recommande aux parquets lorsque les affaires en sont au stade des poursuites, avant saisine de la juridiction répressive, d'examiner si les faits initialement qualifiés de harcèlement sexuel peuvent être poursuivis sous d'autres qualifications (violences volontaires, harcèlement moral si les faits ont eu lieu dans un cadre professionnel, voire le cas échéant, agressions sexuelles).
En revanche, lorsque la juridiction correctionnelle est déjà saisie et que les poursuites sont diligentées sur le fondement de l'article 222-33 du code pénal, la Chancellerie recommande aux parquets de requérir la nullité de la qualification juridique retenue, la poursuite étant désormais dépourvue de base légale.
Toutefois, comme l'a rappelé le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, au cours de son audition devant le groupe de travail, « même si les faits sont poursuivis sous la seule qualification de harcèlement sexuel, le juge pénal, saisi in rem , n'est jamais lié par la qualification retenue par le ministère public. Il a seulement l'obligation de respecter le principe du contradictoire : toutes les parties doivent être en mesure de livrer leurs observations sur la nouvelle qualification. Des faits de harcèlement sexuel peuvent ainsi être requalifiés en tant que violences volontaires, notamment psychologiques » .
Dans sa dépêche du 10 mai 2012, la directrice des affaires criminelles et des grâces rappelle les procédures à suivre dès lors qu'une requalification des faits est envisageable, suivant que le prévenu est ou non présent.
Quant aux décisions rendues et ayant acquis un caractère définitif à la date de l'abrogation, elles ne sont pas remises en cause tant en ce qui concerne leur exécution que leur inscription au casier judiciaire.
b) Les autres dispositions relatives au harcèlement sexuel
Les autres dispositions législatives relatives au harcèlement sexuel qui figurent dans le code du travail, dans la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et dans la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations demeurent en vigueur.
La décision du Conseil constitutionnel n'a aucune incidence sur la portée non pénale de ces dispositions : le principe de la prohibition du harcèlement sexuel, l'interdiction de licencier ou de sanctionner un salarié pour avoir subi, refusé de subir ces agissements, ou d'en avoir témoigné, les sanctions disciplinaires, la responsabilité de l'employeur..., tout cela demeure en vigueur.
La Chancellerie recommande en revanche aux parquets une approche prudente sur les sanctions pénales existant dans le code du travail . Certes, le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur l'article L.1153-1 dudit code qui dispose que « les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers sont interdits » - soit une formulation très proche de celle de l'ancien article 222-33 du code pénal - et qui est combiné à l'article L.1155-2 du même code qui dispose que « les faits de harcèlement moral et sexuel, définis aux articles L.1152-1 et L.1153-1, sont punis d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 15 000 € » .
Cette infraction demeure donc formellement en vigueur. Mais dans la mesure où sa rédaction n'est pas plus précise que celle de l'article du code pénal abrogé, la Chancellerie recommande aux parquets, dans un souci de sécurité juridique, de privilégier les poursuites sous une autre qualification que celle de harcèlement sexuel.