C. L'ÉLABORATION D'UNE NOUVELLE DÉFINITION À LA FOIS LARGE ET PRÉCISE
L'abrogation par le Conseil constitutionnel de l'article 222-33 du code pénal relatif au délit de harcèlement sexuel a créé un vide juridique qu'il est nécessaire de combler au plus vite pour ne pas laisser les victimes sans recours devant le juge pénal et pour ne pas envoyer un message d'impunité aux harceleurs potentiels.
Aussi le Sénat a-t-il réagi très rapidement.
Sept propositions de loi émanant de diverses sensibilités politiques ont été déposées dans le mois qui a suivi cette abrogation, témoignant d'un sentiment très largement partagé de la nécessité de ne pas laisser perdurer cette situation.
En outre, les trois instances les plus directement concernées par le rétablissement de ce délit - la commission des Lois, celle des Affaires sociales et la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes - ont, à l'initiative de leurs présidents respectifs, Jean-Pierre Sueur, Annie David et Brigitte Gonthier-Maurin, constitué un groupe de travail dont ils ont alternativement dirigé les réunions.
Ce groupe de travail, constitué d'une vingtaine de membres, a été composé avec le souci d'assurer à la fois une représentation équilibrée des différents groupes politiques du Sénat, ainsi que des deux commissions et de la délégation concernées. En outre, afin de favoriser un échange de vues le plus large possible, l'ensemble des membres de ces trois instances ont été invités à prendre part à ses travaux.
Entre le 29 mai 2012 et le 7 juin 2012, le groupe de travail a auditionné une cinquantaine de personnes impliquées du fait de leurs fonctions, de leur profession ou de leur engagement dans la lutte contre le harcèlement sexuel : associations de défense des droits des femmes apportant leur aide aux victimes, syndicats du secteur privé et de la fonction publique, représentants du patronat, représentants des magistrats, représentants de la profession d'avocat, responsables des principales administrations concernées. Le groupe a également entendu le Défenseur des droits et le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris.
Ces auditions ont permis au groupe de travail, au cours des deux réunions qu'il a tenues les 7 et 12 juin 2012, de définir un certain nombre de points d'accord et d'identifier quelques difficultés.
1. Un rappel des deux définitions de référence
Les sept propositions de loi et le projet déposé par le Gouvernement s'inspirent, dans des proportions variables, des deux définitions du harcèlement sexuel données respectivement par une série de directives européennes et par l'article 222-33 du code pénal français, dans sa rédaction antérieure à la réforme de 2002.
• La définition du code pénal en 1998
Dans sa rédaction issue de la loi n° 98-468 du 17 juin 1998, l'article 222-33 du code pénal était ainsi rédigé : « Le fait de harceler autrui en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions graves dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F d'amende » .
• La définition communautaire
La directive 2002/73/CE, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelle, et les conditions de travail, a posé pour la première fois les définitions communautaires du « harcèlement » et du « harcèlement sexuel », définitions qui ont ensuite été reprises dans des textes ultérieurs et, en particulier, les directives 2004/113/CE et 2006/54/CE.
Le harcèlement y est défini comme « la situation dans laquelle un comportement non désiré lié au sexe d'une personne survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » .
Le harcèlement sexuel est décrit comme « la situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s'exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et, en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » .
Les directives précisent en outre que le harcèlement et le harcèlement sexuel « sont considérés comme une discrimination fondée sur le sexe » et sont dès lors interdits. Elles ajoutent que « le rejet de tels comportements par la personne concernée ou sa soumission à ceux-ci ne peuvent être utilisés pour fonder une décision affectant cette personne » .
Cette définition a fait l'objet d'une transposition par la loi n° 2008-496 du 17 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation du droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, dont il faut rappeler toutefois qu'elle n'avait aucune portée pénale.
Article 1 er .- « [...] la discrimination inclut :
1° [...] tout agissement à connotation sexuelle, subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant. »
2. Les éléments d'une définition du harcèlement sexuel
Le groupe de travail a considéré qu'il était nécessaire de donner du délit de harcèlement sexuel une définition à la fois suffisamment large pour couvrir les différentes situations qui se rencontrent dans la réalité, et suffisamment précise pour répondre aux exigences du principe de légalité des délits et des peines, et fournir au juge pénal une base légale claire. Une définition trop large, mais imprécise, ne permettrait pas au juge de caractériser les faits et gonflerait le nombre de classements sans suite, au détriment de l'intérêt des victimes.
La nouvelle définition du harcèlement sexuel devra comporter, de façon très classique :
- des éléments matériels : les actes susceptibles de constituer l'infraction ;
- un élément intentionnel : le but fautif poursuivi par l'auteur de l'infraction ;
- d'éventuelles circonstances aggravantes ;
- une peine.
a) Les éléments matériels de la définition
• La question de l'acte d'une particulière gravité
Un large consensus s'est dégagé pour considérer que la notion de « harcèlement » renvoie, dans le sens courant, à des agissements répétés et qu'adopter une solution de sens contraire dans la définition juridique du harcèlement sexuel donnée dans le code pénal et les autres textes juridiques risquerait d'être une source de confusion.
Les propositions de loi n° 556 (2011-2012) et n° 579 (2011-2012), respectivement déposées par Mmes Muguette Dini et Esther Benbassa, insistent d'ailleurs sur cette idée de répétition ou de réitération.
Pour autant, il est très largement considéré qu'on ne peut laisser impuni un acte unique d'une particulière gravité, comme par exemple un chantage à l'embauche, à l'obtention d'un stage ou d'un logement, car celui-ci peut avoir de graves conséquences pour la victime.
La proposition de loi n° 558 (2011-2012) de Mme Brigitte Gonthier-Maurin avait envisagé, dans un esprit de synthèse, que le délit de harcèlement sexuel soit constitué d'un comportement répété ou revêtant un caractère manifeste de gravité.
Le projet de loi gouvernemental envisage deux niveaux de répression :
- celui du harcèlement sexuel « simple », reposant sur la répétition des gestes, des propos ou d'actes à connotation sexuelle ;
- celui du harcèlement sexuel « aggravé » en quelque sorte, lorsque ces actes s'accompagnent d'ordres, de menaces, de contraintes, de pressions graves dans le but d'obtenir une relation sexuelle ; dans cette forme aggravée, le délit peut être constitué « même en l'absence de répétition » .
Le groupe de travail s'est également orienté vers une solution de synthèse. Il a souhaité que ces deux situations soient envisagées dans le nouvel article 222-33 du code pénal :
- dans un premier volet, celui-ci définirait le harcèlement sexuel constitué d'actes répétés ;
- dans un second volet, il traiterait de l'acte unique d'une particulière gravité en se référant, le cas échéant, à d'autres incriminations du code pénal relatives au chantage, à la corruption ou à la discrimination.
Votre délégation s'associe pleinement à cette analyse du groupe de travail à laquelle elle a contribué. Elle recommande que la définition du délit de harcèlement sexuel fasse référence, en les distinguant clairement, aux situations où le harcèlement sexuel, délit d'habitude, renvoie à des actes répétés, et aux situations où un seul acte grave, assimilable à une forme de chantage sexuel, suffit à le constituer .
• Ordres, menaces, contraintes et pressions graves
Dans sa définition donnée jusqu'en 1988 par le code pénal, le harcèlement sexuel était constitué d'ordres, de menaces, de contraintes ou de pressions graves.
Ces termes avaient le mérite de fournir aux tribunaux des éléments matériels clairs, permettant de caractériser le harcèlement sexuel.
La proposition de loi n° 539 (2011-2012) de M. Roland Courteau s'en est inspirée en supprimant les termes qui renvoyaient à l'ancienne exigence d'un abus d'autorité (« ordres ») et en lui substituant le terme « d'intimidation ».
Mais plusieurs personnes, au cours des auditions, ont craint que ces termes n'aboutissent à une définition trop restrictive qui laisserait de côté des comportements plus diffus relevant d'un harcèlement sexuel « d'ambiance », mieux pris en compte par la définition européenne.
Aussi le groupe de travail a-t-il envisagé que des éléments matériels du type « menaces, intimidations, contraintes » soient retenus dans la définition de la forme aggravée du harcèlement sexuel, susceptible d'être constitué le cas échéant, par un acte unique.
Le projet de loi gouvernemental va également dans ce sens et prévoit que dans le harcèlement sexuel « aggravé » , les actes s'accompagnent « d'ordres, de menaces, de contraintes ou de toutes formes de pressions graves » .
Votre délégation propose que le second volet du harcèlement sexuel retienne comme éléments constitutifs de l'infraction les « menaces, intimidations, contraintes » .
• Éléments matériels d'inspiration communautaire
Au cours des auditions et des échanges de vues du groupe de travail, un consensus assez large s'est dégagé pour considérer que la définition communautaire ne pouvait être reprise purement et simplement dans la formulation d'une incrimination pénale, mais que certains de ses éléments pouvaient être repris, à l'image de ce que font, suivant des modalités variables, plusieurs propositions de loi sénatoriales, ainsi que le projet de loi du Gouvernement.
Ainsi, la formule « la situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s'exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement » inspire pour partie :
- la proposition de loi n° 536 (2011-2012) de M. Philippe Kaltenbach (« tout propos, acte ou comportement non désiré, verbal ou non verbal, à connotation sexuelle » ) ;
- la proposition de loi n° 558 (2011-2012) de Mme Brigitte Gonthier-Maurin (« tout comportement à connotation sexuelle [...] s'exprimant verbalement ou non » ) ;
- la proposition de loi n° 565 (2011-2012) de Mme Chantal Jouanno (« tout propos, acte ou comportement non désiré, verbal ou non verbal, à connotation sexuelle » ) ;
- la proposition de loi n° 579 (2011-2012) de Mme Esther Benbassa (« des gestes ou des mots à caractère sexuel » ).
Le projet de loi gouvernemental évoque, pour sa part, les « gestes, propos ou tous actes à connotation sexuelle » .
Ces divers éléments ont alimenté une discussion.
La mention de la formule « à connotation sexuelle » a paru d'autant plus indispensable pour caractériser les faits de harcèlement sexuel que l'obtention de « faveurs » ou plutôt « d'actes sexuels » ne doit plus constituer l'unique élément intentionnel du délit. Les représentants des magistrats et ceux du ministère de la justice ont estimé que cette expression nouvelle ne devrait pas pour autant poser de difficultés aux juges chargés de l'appliquer.
En revanche, la précision « physiquement, verbalement ou non » ou sa déclinaison « verbal ou non verbal » ont été fréquemment critiquées, y compris par certains représentants des magistrats ou des associations, au cours des auditions. Le groupe de travail ne les a pas jugées indispensables, considérant que la formule « propos, actes ou comportements » permettait de bien couvrir le champ des faits incriminés.
L'expression « non désiré » a soulevé plusieurs critiques. Lors de leur audition, plusieurs personnes, et notamment les représentants de la Coordination française pour le lobby européen des femmes (CLEF) ont exprimé la gêne que leur inspirait cette expression face à la réalité du harcèlement sexuel qui leur paraît relever davantage du phénomène d'emprise que de la présence ou de l'absence de désir.
Plus techniquement, les juristes ont estimé qu'il était préférable d'axer une définition pénale sur le comportement (fautif) de l'auteur des actes, plutôt que sur le ressenti intime et subjectif de la victime. Aussi recommandaient-ils plutôt l'expression de comportements « imposés » . C'est l'expression que retiennent les propositions de loi n° 556 (2011-2012) et n° 579 (2011-2012), respectivement de Mme Muguette Dini et de Mme Esther Benbassa.
La notion de comportements « imposés » avait cependant soulevé des objections de la part de l'Association européenne de lutte contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Pour Mme Marilyn Baldeck, déléguée générale, apporter la preuve qu'un comportement est « imposé » pouvait s'avérer difficile dans un monde du travail où la contrainte peut résulter de la simple subordination hiérarchique.
Le groupe de travail s'est interrogé sur la meilleure façon de transcrire dans la loi l'absence de consentement de la victime. Il a d'emblée écarté l'expression « non désirés » dont le caractère trop subjectif lui a paru de nature à soulever des difficultés devant les tribunaux, sans se prononcer sur les expressions alternatives « imposés » , « subis » ou « non consentis » .
b) Les éléments intentionnels
La définition du délit de harcèlement sexuel doit comporter en outre un élément intentionnel puisque, comme le rappelle l'article 121-3 du code pénal, « il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre » .
• L'obtention de « faveurs de nature sexuelle » ou « d'actes sexuels »
Dans les définitions successives du harcèlement sexuel données en 1992, 1998 et 2002, celui-ci était défini par un élément intentionnel : « l'obtention de faveurs de nature sexuelle » .
Les propositions de loi n° 539 (2011-2012) et n° 540 (2011-2012), respectivement de M. Roland Courteau et de M. Alain Anziani, reprennent cet élément intentionnel, la proposition de loi n° 556 (2011-2012) de Mme Muguette Dini lui préférant l'expression « d'actes de nature sexuelle » , le projet de loi gouvernemental parlant plutôt « d'obtenir une relation sexuelle » .
Cet élément intentionnel a suscité de nombreux débats, tant lors des auditions que des échanges de vues au sein du groupe de travail.
La notion de « faveurs sexuelles » a fait l'objet de critiques convergentes et unanimes du fait de son caractère désuet et inadapté dans la mesure où elle renvoie à un vocabulaire galant, suranné, qui n'a rien à voir avec les phénomènes d'emprise dont relève le harcèlement sexuel. Les expressions d' « actes sexuels » ou de « relations sexuelles » permettent de remédier à cette critique.
Mais cet élément intentionnel a soulevé d'autres objections.
Celles-ci tiennent en premier lieu aux difficultés probatoires qu'il soulève. Les associations de défense des droits des femmes ont ainsi indiqué que, même lorsque les faits matériels étaient établis, il restait très difficile d'apporter la preuve que l'auteur des comportements fautifs cherchait effectivement à obtenir des « faveurs sexuelles » . Aussi cet élément intentionnel ouvrait-il à la défense une voie trop facile pour obtenir la relaxe.
En second lieu, cet élément intentionnel débouche sur une définition trop restrictive du harcèlement sexuel : bien souvent, l'auteur des faits ne cherche pas à obtenir un acte sexuel, mais plutôt à humilier, à rabaisser, à intimider la victime.
Les représentants des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenre ont expliqué que c'est essentiellement à ce second type de harcèlement sexuel qu'ils sont régulièrement confrontés.
Le groupe de travail a donc considéré qu'il convenait de retenir une définition plus large de l'élément intentionnel. Cependant, comme le « chantage sexuel » reste malgré tout une composante réelle et particulièrement odieuse du harcèlement sexuel, le groupe a estimé que l'on affaiblissait le texte en ôtant toute référence à l'intention d'obtenir une relation sexuelle, quand bien même la preuve serait difficile à apporter. Aussi a-t-il souhaité conserver à titre alternatif cet élément intentionnel, que l'auteur des actes ait eu pour but d'obtenir un « acte sexuel » à son profit ou à celui d'un tiers.
• Les éléments intentionnels de la définition européenne
La définition contenue dans la directive européenne renvoie à des comportements « ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et, en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » .
• « pour objet ou pour effet »
L'expression « pour objet » renvoie à l'intention de l'auteur du harcèlement, ce qui est conforme aux principes fondamentaux du droit pénal. Mais cela n'est pas nécessairement le cas, d'après plusieurs personnes auditionnées, pour l'expression « pour effet » qui renvoie aux conséquences pour la victime et, d'une certaine façon, à sa subjectivité.
Certes, l'expression figure dans la définition du harcèlement moral donnée par l'article 222-33-2 du code pénal, définition qui a été examinée et validée par le Conseil constitutionnel (décision du 12 janvier 2002) ainsi que dans celle du harcèlement sur un conjoint, donnée par l'article 222-33-2-1 du même code.
Le groupe de travail a préféré lui substituer les termes plus objectifs « qui porte atteinte » .
• L'atteinte à la dignité d'une personne
C'est l'élément intentionnel que privilégie le plus grand nombre de propositions de loi sénatoriales et, notamment, les propositions de loi n° 536 (2011-2012) de M. Philippe Kaltenbach, n°540 (2011-2012) de M. Alain Anziani, n° 558 (2011-2012) de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, n° 565 (2011-2012) de Mme Chantal Jouanno, n° 579 (2011-2012) de Mme Esther Benbassa. Il est également repris dans le projet de loi déposé par le Gouvernement.
Les auditions conduites par le groupe de travail ont mis en évidence que le harcèlement sexuel était souvent commis par son auteur, non pas dans le but d'obtenir une relation sexuelle, mais simplement pour humilier la victime. Les homosexuels et les transsexuels seraient particulièrement exposés à ce type de comportement.
Aussi la délégation considère-t-elle , avec le groupe de travail, que l'atteinte à la dignité doit constituer l'élément intentionnel principal du harcèlement sexuel, au même titre que la recherche d'une relation sexuelle.
• L'atteinte aux droits
Certaines propositions de loi ont complété l'atteinte à la dignité par « l'atteinte aux droits » .
Pour l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, l'atteinte à la dignité risque de demeurer trop abstraite, dans l'attente d'une confirmation jurisprudentielle ; aussi lui paraît-il nécessaire d'y ajouter l'atteinte aux droits, dont l'existence lui paraîtrait plus facile à démontrer quand un emploi, un logement, une formation sont refusés.
Certes, la notion d'atteinte aux droits figure dans la définition du harcèlement moral, mais lors de son adoption dans la loi du 17 janvier 2002, celle-ci a fait l'objet d'une réserve interprétative du Conseil constitutionnel dans sa décision 2001-455 du 12 janvier 2002.
Celui-ci a considéré que si la définition du harcèlement moral n'avait pas précisé les droits auxquels il était porté atteinte, elle devait être regardée comme « ayant visé les droits de la personne au travail » .
Mais, contrairement au harcèlement moral, qui s'inscrit par définition dans le cadre des relations au travail, le harcèlement sexuel dans l'acception large qu'il est envisagé de lui donner, ne se limitera pas nécessairement à la sphère professionnelle.
Le groupe de travail s'est ainsi demandé si l'exigence de clarté de la loi et le principe de légalité des délits et des peines ne devrait pas, alors, imposer au législateur la tâche délicate de préciser les droits auxquels il pourrait être porté atteinte.
• Création d'un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant
Cette formulation est reprise pour partie dans les propositions de loi n° 536 (2011-2012) de M. Philippe Kaltenbach, n° 540 (2011-2012) de M. Alain Anziani, n° 556 (2011-2012) de Mme Muguette Dini, n° 558 (2011-2012) de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, n° 565 (2011-2012) de Mme Chantal Jouanno et n° 579 (2011-2012) de Mme Esther Benbassa, ainsi que dans le projet de loi déposé par le Gouvernement.
L'intérêt d'intégrer cette formule dans la définition du harcèlement sexuel a fait l'objet de nombreux débats.
La représentante de la CLEF a rappelé que la référence à un environnement intimidant avait été introduite dans la définition communautaire à la demande du groupe de femmes des syndicats représentés au sein de l'Union européenne pour que l'entourage de la victime soit également pris en compte.
Les représentants des avocats ont en revanche jugé risquée l'introduction de la notion d'« environnement » dans une disposition pénale, craignant que le flou de la notion et la difficulté d'obtenir des témoignages univoques attestant de la dégradation du climat ne risquent de s'avérer contreproductifs et d'aboutir à des relaxes.
c) Circonstances aggravantes
L'ancien article 222-33 du code pénal ne prévoyait pas de circonstances aggravantes pour le délit de harcèlement sexuel.
Les propositions de loi n° 536 (2011-2012) de M. Philippe Kaltenbach, n° 539 (2011-2012) de M. Roland Courteau, n° 556 (2011-2012) de Mme Muguette Dini, n° 558 (2011-2012) de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, et n° 565 (2011-2012) de Mme Chantal Jouanno ont prévu des circonstances aggravantes ayant pour effet de relever les peines de 1 à 3 ans d'emprisonnement et de 15 000 à 45 000 euros d'amende.
La proposition de loi n° 579 (2011-2012) de Mme Esther Benbassa, et le projet de loi du Gouvernement prévoient un double dispositif de relèvement des peines qui les porte respectivement à 2 ans et 3 ans d'emprisonnement et à 30 000 et 45 000 euros d'amende.
Un large consensus s'est dégagé pour considérer que l'abus d'autorité, qui était jusqu'en 2002 l'un des éléments constitutifs de l'infraction devait dorénavant être considéré comme une circonstance aggravante.
Le groupe de travail a également retenu d'autres circonstances aggravantes : le fait que la victime soit mineure, sa vulnérabilité, le fait que le délit soit commis à plusieurs.
En revanche, il n'a pas retenu comme circonstance aggravante le fait que l'infraction soit commise sous la menace d'une arme ou d'un animal, considérant que les faits devaient alors relever d'une incrimination plus lourde : violences, atteintes ou agressions sexuelles.
La délégation recommande à son tour de retenir comme des circonstances aggravantes du délit de harcèlement sexuel l'abus d'autorité, la minorité de la victime ou son état de vulnérabilité physique, psychique, sociale ou économique et le fait que celui-ci soit commis à plusieurs personnes.
3. Un effort de coordination
Des divergences plus ou moins importantes ont longtemps subsisté entre les définitions du harcèlement sexuel respectivement données par le code pénal, le code du travail et l'article 6 ter de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
Dans un souci de clarté et d'intelligibilité de la loi, votre délégation juge indispensable, à l'occasion de l'élaboration de la nouvelle définition du délit de harcèlement sexuel, de procéder à un alignement des définitions figurant dans les différents codes et textes de référence et, en particulier, dans la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Cette coordination doit être effectuée par un renvoi à la définition donnée dans le code pénal.
L'ensemble des propositions de loi sénatoriales s'est attaché, suivant des modalités diverses, à cet effort de coordination mais le projet de loi gouvernemental, qui propose des modifications nécessaires dans le code pénal et le code du travail applicables à Mayotte, n'envisage aucune actualisation de la loi du 13 juillet 1983, faute d'avoir pu procéder aux consultations préalables nécessaires. Il va de soi, pour votre délégation, que l'administration et la sphère publique ne peuvent être laissées de côté dans cette réforme.