M. Gilles Manceron,
Historien, Ligue des Droits de l'Homme
Invité-témoin sur les
mémoires de la guerre d'Algérie
Mme Françoise Vergès . - La proposition de M. Benjamin Stora est très critiquée ! Je reçois davantage de propositions sur un manuel général qui montrerait la place de la colonisation française dans l'histoire de France. Je donne la parole à M. Gilles Manceron, historien, qui a beaucoup travaillé sur la mémoire du 17 octobre 1961.
M. Gilles Manceron . - Je ne suis porteur d'aucune mémoire, n'étant pas né dans les DOM. D'où vient mon intérêt pour cette histoire ? Le 17 octobre 1961, j'étais lycéen à Paris, l'OAS se déchaînait en Algérie : comment une telle violence était-elle possible dans le pays de la liberté et de la fraternité ? C'est ce que j'ai voulu comprendre.
La guerre d'Algérie a été l'épisode le plus marquant de l'histoire contemporaine française de la colonisation, une histoire qui commence bien avant, mais dont l'étape essentielle, au XIX e et au XX e siècle, est liée à ce territoire. La conquête elle-même s'est faite lorsque la France a dû reconnaître la perte de Saint-Domingue, la grande colonie de la première étape coloniale, qui a été considérée comme perdue sous la Restauration : immédiatement, on a cherché à conquérir un nouveau territoire.
J'étais hier en Algérie, à l'université de Guelma, pour la commémoration d'un autre 8 mai 1945, celui du massacre perpétré dans cette ville à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il faut faire connaître ces événements, via la diffusion de la recherche et, nous attendons et espérons, des institutions de la République - nous sommes ici dans une enceinte républicaine - des gestes forts en faveur de leur reconnaissance. Comme le rappelait Françoise Vergès, la pénalisation est impossible : lorsque les responsables des crimes ne sont plus vivants, on ne peut recourir à la justice ; il n'y aura pas de ces procès qui ont pu aider, pour d'autres périodes, à la diffusion des connaissances.
Ne pouvant passer par la justice, nous devons trouver un autre biais pour promouvoir la reconnaissance de la réalité historique. Le concept de commission « vérité et réconciliation » mérite d'être étudié, même si l'on ne peut décalquer le processus sud-africain où, sous condition d'aveu, les personnes étaient dispensées de poursuites. Aujourd'hui, les condamnations sont exclues et c'est la reconnaissance qui fait défaut. Sans l'outil de la judiciarisation, quelle voie pouvons-nous trouver ? Il faut des gestes forts pour arriver à la connaissance d'une histoire complexe, qui ne peut être abordée de façon unilatérale, et qui implique de lever aussi quelques tabous dans l'histoire officielle algérienne. Dans le cadre du cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie, sollicité pour intervenir dans une université de ce pays, j'ai abordé la nécessité d'en finir avec toutes les histoires officielles, en employant l'image d'« une serrure à deux clés » : pour lever les tabous et les mythes de l'histoire coloniale française, mais aussi soulever les « questions qui fâchent » dans l'histoire de ce pays.
Je ne crois pas beaucoup à l'idée d'un manuel franco-algérien, sauf à en faire un objectif à long terme. Mais les pouvoirs publics devraient encourager davantage les échanges entre historiens et témoins des deux pays. Des débats entre historiens ne doivent pas être éludés. L'idée de montrer des images ne peut être une panacée. Doit-on se limiter à l'histoire de la colonisation républicaine, à partir du début de la Troisième République, ou remonter plus haut ? De tels débats ne peuvent être ignorés. ( Applaudissements .)