Tour de table
Mme Sandrine Lemaire, Agrégée et docteur en
histoire de l'Institut Universitaire
Européen
Invitée-témoin sur les manuels scolaires et
l'histoire coloniale
Mme Françoise Vergès . - Je laisse la parole à Mme Sandrine Lemaire, agrégée et docteur en histoire de l'institut Universitaire Européen, qui a notamment travaillé sur les manuels scolaires.
Mme Sandrine Lemaire . - J'interviens ici comme chercheuse, enseignante, auteure de manuels scolaires et directrice de collection. Ce débat nous a incités à consulter une enquête réalisée en 2003 à Toulouse par l'ACHAC (Association Connaissance de l'Histoire de l'Afrique Contemporaine) pour la délégation interministérielle à la ville. Elle démontrait à la fois une méconnaissance profonde du fait colonial, malgré l'enseignement dispensé dans le secondaire, et une réelle volonté de mieux l'appréhender.
Si l'histoire de l'immigration n'est absolument pas étudiée, la colonisation et la décolonisation sont au programme des manuels scolaires, surtout depuis les années 80. Dès lors, comment expliquer ce sentiment de déficit d'enseignement et les frustrations qu'il engendre ?
Quand on regarde les manuels scolaires, on constate une césure très nette entre l'histoire nationale et l'histoire coloniale, alors que, jadis, l'histoire coloniale, de l'Empire, faisait partie de l'histoire nationale. Ce véritable schisme ne peut pas contribuer à la compréhension de tous les Français de leur histoire. Lorsque cette dernière est abordée, c'est souvent sur le mode traumatique : sont essentiellement abordés les conflits mondiaux et la guerre d'Algérie. Les interactions culturelles sont éludées, on est toujours sur le mode conflictuel : ce prisme ne permet pas de prendre en compte la dimension nationale du fait colonial.
Pour avancer, il faut aussi combattre l'argument du communautarisme, souvent avancé contre l'intégration de l'histoire coloniale à l'histoire de France.
Autre caractéristique des manuels, leur traitement est largement déshumanisé. Hormis quelques grandes figures, conquérantes ou résistantes, les colonisés n'apparaissent pas. Rien n'est dit de l'impact de la colonisation sur l'opinion publique, sur les cultures produites, et induites, en métropole - nourriture, vocabulaire, histoire culturelle, même vie parlementaire ....
La focalisation sur les épisodes traumatiques comme la guerre d'Algérie permet d'occulter la complexité de l'histoire qui la précède : les étudiants entendent une équation simpliste entre les colons, les pieds-noirs, les harkis, les tortures, l'indépendance. L'histoire leur apparaît conflictuelle mais on ne leur en montre pas les enjeux, ce qui contribue à la radicalisation des positions.
Je ne suis pas favorable à la proposition de Benjamin Stora d'un manuel à part entière sur cette histoire, à moins qu'il ne soit destiné qu'aux enseignants, et leur offre un outil intéressant exposant les grandes lignes de cette histoire.
En ce qui concerne le primaire, un vrai travail de formation est à effectuer auprès de nos collègues.
Il est absolument fondamental d'intégrer aux programmes scolaires l'histoire de l'immigration. J'invite donc les inspecteurs généraux et toutes les personnes concernées à travailler ensemble pour une redéfinition des programmes, qui sont aujourd'hui élaborés dans l'anonymat de commissions dont on ne connaît pas la totalité de la composition. ( Applaudissements .)