Mme
Camille Mauduech, Cinéaste, dernier film
« La Martinique
aux Martiniquais »
Invitée-témoin sur les non-dits
de l'histoire contemporaine des Antilles
Mme Françoise Vergès . - Les histoires croisées existent : quelque chose se passe en Indochine et se répercute ailleurs... Je suis également favorable au débat, c'est pourquoi nous discutons d'une commission vérité et justice : nous ne sommes pas un tribunal ! Ici, nous souhaitons retisser cette histoire segmentée et mise en rivalité.
Je donne à présent la parole à Camille Mauduech, cinéaste, dont le dernier film vient de sortir, « La Martinique aux Martiniquais ». Camille Mauduech travaille sur les non-dits de l'histoire contemporaine aux Antilles : elle montre le difficile rapport à l'histoire en outre-mer, qu'elle rapporte à son opacité.
Mme Camille Mauduech . - Cinéaste-documentaire, je ne suis ni historienne, ni journaliste. J'ai même souvent pensé que l'histoire de l'esclavage ne m'intéressait pas ! Peut-être n'osais-je pas aborder le sujet ? J'ai choisi d'ailleurs de m'intéresser à l'histoire contemporaine, car je voulais avant tout comprendre le présent, aux Antilles, et les paradoxes que j'y relève. Mon premier film, « Les 16 de Basse Pointe », raconte le meurtre d'un béké, pour lequel les 16 accusés, ouvriers syndiqués, sont acquittés à Bordeaux en 1951 dans le premier grand procès du colonialisme aux Antilles.
Lorsque j'ai voulu interroger des témoins pour faire ce film, personne ne voulait parler : j'ai dû montrer patte noire moi qui suis, comme on dit, métisse ! Alors qu'une journaliste, dernièrement, m'a proposé de me présenter comme franco-martiniquaise ! « Qu'est-ce que cela veut bien dire ? » me suis-je demandé. Qui sommes-nous vraiment ? Quel regard porte-on sur nous ?
Mon expérience immédiate, c'est la sortie de mon dernier film, sur l'affaire de l'OJAM (Organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique), qui porte sur les prémices de la revendication indépendantiste en Martinique.
J'ai vite constaté que ce film ne pouvait vivre dans les salles de cinéma sans débat : il y a un vrai besoin de parole. Je constate aussi une fracture extrêmement forte entre les Antillais vivant aux Antilles et ceux de la métropole. Cette question doit être travaillée, car j'ai le sentiment que nous sommes en train de nous fragmenter.
Je ne crois pas au récit national à proprement parler, l'englobement et la globalisation m'effraient : nous avons avant cela et avant tout besoin de redéfinir les codes et les grilles d'analyse de notre histoire, une grille de lecture endogène qui nous définit en tant que peuple (histoire, culture, identité forte).
Quant à un manuel scolaire, doit-il être global - un seul ouvrage qui englobe dans le récit national celui de la colonisation et de la décolonisation - ou séparé - un manuel spécifique pour traiter la question de l'histoire coloniale ?
De quel(s) point(s) de vue regarde-t-on l'histoire ? Qui l'analyse ? Qui en détermine les grandes et les petites histoires ? Ce sont, à mes yeux, les problématiques à poser avant tout. Je suis partisane d'entendre les témoignages historiques, de collecter les mémoires, de renverser les non-dits de l'histoire contemporaine, c'est déjà un grand travail, et nous avons besoin de beaucoup de temps : cette thérapie sera longue, mais nous en avons tous besoin. ( Applaudissements .)