Mme Odile Barral et M. Xavier Gadrat, secrétaires nationaux du Syndicat de la magistrature (SM)
_______
Mme Odile Barral, secrétaire national du Syndicat de la magistrature . - Notre contribution au débat sera modeste, n'ayant pas eu le temps d'approfondir notre réflexion. Le Syndicat de la magistrature est consterné par le vide juridique créé par l'abrogation de l'article 222-33 du code pénal parce que, dès son congrès de 2004, il avait souligné la difficulté à caractériser le harcèlement sexuel et « l'aléa jurisprudentiel porté à l'extrême » qui en découlait. Le principe de légalité des délits et des peines impose de mettre fin à cette situation, concluait-il. Les textes de circonstances, trop souvent, se retournent contre les victimes ; la censure du Conseil constitutionnel en fournit un exemple. On a besoin de textes pénaux précis.
M. Xavier Gadrat, secrétaire national du Syndicat de la magistrature . - Faut-il reprendre le texte de 1998 ou la définition communautaire ? Voilà les termes du débat, étant entendu que l'annulation du Conseil constitutionnel était justifiée. L'infraction était seulement caractérisée par l'intention recherchée, celle d'obtenir des faveurs sexuelles, ce qui est insuffisant au regard du principe de légalité des délits et des peines.
La définition de 1998 pose d'une façon générale trois difficultés ; en premier lieu, le comportement du harceleur est défini de façon trop restrictive : à s'en tenir à des formes de menace, de contrainte, d'intimidation ou à l'exercice de pressions de toute nature, on risque de passer à côté de comportements indirects. Par exemple, la création d'un climat de nature à ostraciser la personne sans pour autant recourir à la menace.
Ensuite, le fait de chercher à obtenir des faveurs sexuelles constitue-t-il une bonne façon de caractériser le harcèlement sexuel ? A notre sens, c'est plutôt le comportement à connotation sexuelle du harceleur qui devrait être pris en compte. Car sinon les victimes devront rapporter la preuve que les actes du harceleur étaient dictés par ce but précis, et ce n'est pas facile. En revanche, il faut conserver un élément intentionnel dans la définition.
Enfin, l'exigence d'un lien d'autorité entre l'auteur et la victime restreint le champ des poursuites, alors que le harcèlement sexuel a souvent lieu entre collègues. Mieux vaut faire de l'abus d'autorité une circonstance aggravante.
La définition communautaire est donc manifestement meilleure. Sur la forme, la précision « verbalement ou non verbalement » est inutile. Quant à écrire « pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité de la personne », cela pose problème. Il faudrait supprimer « pour effet », car sans élément intentionnel,...
Mme Odile Barral, secrétaire national du Syndicat de la magistrature . - Il n'y a pas d'infraction pénale !
M. Xavier Gadrat, secrétaire national du Syndicat de la magistrature . - Dans une proposition de loi, il est question « d'acte unique grave ». Or le harcèlement suppose une répétition de l'acte.
Mme Odile Barral, secrétaire national du Syndicat de la magistrature . - Si ce n'est pas le cas, il existe d'autres qualifications pénales. Evitons le flou, de même qu'il faut conserver l'élément intentionnel, qui ne se réduit pas forcément à la volonté d'obtenir une faveur sexuelle mais peut répondre à la volonté d'humilier.
Mme Virginie Klès . - Le harcèlement sexuel peut être le moyen d'obtenir une relation sexuelle qui s'assimile à une agression sexuelle ou à un viol.
M. Xavier Gadrat, secrétaire national du Syndicat de la magistrature . - Ces délits se caractérisent par une atteinte à l'intégrité physique. Ce n'est pas le cas du harcèlement qui peut consister en des propos ayant une connotation sexuelle proférés dans l'intention d'attenter à la dignité de la personne.
Mme Virginie Klès . - Quelle est la frontière entre agression sexuelle et harcèlement sexuel ?
M. Xavier Gadrat, secrétaire national du Syndicat de la magistrature . - Pour nous, le harcèlement sexuel se caractérise par un comportement, des propos ou des gestes ayant une connotation sexuelle.
Mme Muguette Dini . - Nombreux sont ceux qui n'ont pas le sentiment d'avoir commis un acte de harcèlement sexuel. Les manipulateurs, dont on parle beaucoup ces temps-ci, ne sont pas toujours conscients de leurs gestes. C'était une blague, a affirmé l'un d'entre eux, qui ne voulait rien obtenir, mais cela a rendu la victime malade ! Il faut donc conserver, dans la rédaction, le terme d'effet.
M. Philippe Kaltenbach . - Il faut se rapprocher de la directive en améliorant sa rédaction. Il ne faut pas s'en tenir au but d'obtenir des faveurs sexuelles mais élargir la définition aux comportements qui avilissent et déstabilisent les victimes. Comment mieux protéger les victimes en faisant tomber les pervers narcissiques sous le coup de la loi ?
Mme Laurence Cohen . - Je partage les propos de Mme Dini : on ne peut pas ne pas prendre en compte les conséquences psychologiques du harcèlement sexuel sur la victime dans une société où les dérives sont de plus en plus nombreuses, et parfois commises par des personnes très en vue.
L'acte unique grave vise le harcèlement sexuel lors d'un entretien d'embauche. Une seule fois peut-être, mais les conséquences sont graves.
Enfin, que prévoir pour les femmes qui ne peuvent pas porter plainte en raison du vide juridique actuel ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente . - L'alternative serait la suivante : une définition la plus large possible pour protéger les victimes, ou une définition plus stricte pour faciliter le travail des tribunaux. Qu'en pensez-vous ?
Mme Odile Barral, secrétaire national du Syndicat de la magistrature . - En tant que magistrat, nous jugeons les actes, non les propos tenus sur les actes. Tout individu adulte et responsable est censé savoir comment l'on se comporte en société. Surtout, l'élément intentionnel est constitutif de l'infraction. Qu'un manipulateur soit inconscient de la portée de son comportement me paraît comporter une contradiction dans les termes ...
Si la définition est trop large, le texte sera de nouveau contesté et laissera place à de trop grandes variations dans l'interprétation des tribunaux. Cela serait contraire au principe d'égalité devant la loi. Les professionnels ont besoin d'un texte définissant l'infraction de façon précise.
Mme Esther Benbassa . - Des magistrats, hier, nous ont beaucoup parlé du problème de la preuve. On ne peut poursuivre quelqu'un pour un simple regard. Comment intégrer cette question de la preuve dans la définition du harcèlement sexuel afin d'éviter de possibles dérives ?
M. Xavier Gadrat, secrétaire national du Syndicat de la magistrature . - Une infraction pénale se caractérise par un élément légal, c'est-à-dire un texte, un élément intentionnel et un élément matériel, soit un comportement répréhensible. Les deux derniers doivent être étayés par des preuves. Celles-ci peuvent être rapportées par des collègues de travail, qui témoigneraient du comportement déplacé, des SMS ou des e-mails par exemple.
Quant à l'élément intentionnel, le déni en soi ne va pas à l'encontre de l'existence d'une volonté d'atteinte à la personne. Nous, nous jugeons, sous réserve qu'un trouble psychologique n'altère pas le jugement, en fonction de ce qu'un individu normal est censé savoir du comportement à tenir en société.
M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - Le Conseil constitutionnel a décidé de censurer le texte. Y avait-il une meilleure solution ? A dire vrai, j'en doute. S'il avait ménagé un délai jusqu'à l'adoption d'une nouvelle loi, les avocats n'auraient pas manqué de se prévaloir de l'inconstitutionnalité des dispositions en vigueur.
Si précise notre définition soit-elle, il reviendra au juge de trancher. Où s'arrête le harcèlement ? Où commence-t-il ? Je songe aux personnages de Racine pris dans une sorte de folie amoureuse. La séduction, et nous savons les ressources de l'imagination en ce domaine, ne porte pas atteinte à la dignité de la personne ; le harcèlement, si. L'atteinte à la dignité : voilà le mot-clé de la directive européenne.
Mme Odile Barral, secrétaire national du Syndicat de la magistrature . - Dans la mesure où il s'agissait de la définition légale d'une infraction, et non d'un texte de procédure, le Conseil ne pouvait pas différer dans le temps l'invalidation.
M. Xavier Gadrat, secrétaire national du Syndicat de la magistrature . - Dès lors qu'il avait constaté l'absence de conformité de l'infraction aux principes constitutionnels, le Conseil n'avait pas d'autre choix que l'abrogation immédiate. L'atteinte à la dignité est effectivement fondamentale dans la définition. D'où notre proposition de ne pas limiter la définition du harcèlement sexuel à la seule obtention de faveurs sexuelles.
La question de la preuve ne se pose pas seulement pour le harcèlement sexuel. L'allongement des délais de prescription en matière de crimes sexuels ne facilite pas nécessairement la tache des victimes : encore faut-il pouvoir établir les faits qu'elles invoquent, car dans nos démocraties, c'est à l'accusation d'apporter la preuve de la culpabilité et non à l'accusé de prouver son innocence. Plus le temps de prouver son innocence passe, plus les faits sont difficiles à prouver. Il faut, comme on l'a fait pour le harcèlement moral, aider les personnes à étayer leur dossier, leur apprendre à conserver des traces précises des faits.
Mme Catherine Tasca . - Je suis favorable à une définition large mais stricte. Il faut respecter les principes fondamentaux du droit pénal. L'élément intentionnel du délit est essentiel. La clé n'est-elle pas à trouver dans le comportement de l'auteur plutôt que dans le ressenti de la victime ? Prenons le cas de l'acte unique, l'entretien d'embauche. Vraisemblablement, l'auteur n'en est pas à son coup d'essai. Il faudrait donc pouvoir considérer qu'il y a répétition dans le comportement, quand bien même la victime serait chaque fois différente.
Mme Laurence Cohen . - La loi du 10 juillet 1989 sur l'enfance maltraitée prévoit un article permettant la réouverture du délai de prescription lorsque la victime atteint sa majorité. Ne peut-on pas imaginer un mécanisme similaire pour les femmes que l'abrogation du délit de harcèlement sexuel aurait empêchées de porter plainte ?
M. Xavier Gadrat, secrétaire national du Syndicat de la magistrature . - Cela ne me paraît pas évident et mérite réflexion. En pratique, cela poserait la question de la preuve sur des faits anciens.
La définition commune du harcèlement sexuel renvoie à une répétition des faits. Pour un acte isolé, il faudrait imaginer d'autres réponses pénales que le fondement de la discrimination à l'embauche par exemple.