Jeudi 31 mai 2012
Table ronde : associations de défense des droits des femmes

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Présidence de M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois -

Le groupe de travail entend Mme Brigitte Martel-Baussant, secrétaire générale de la Coordination pour le lobby européen des femmes ainsi que Mmes Nicole Crépeau, vice-présidente, et Mme Isabelle Steyer, avocate de la Fédération nationale « Solidarité femmes ».

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Faisant suite à la décision du Conseil constitutionnel qui a annulé la disposition du code pénal relative au harcèlement sexuel, la commission des lois, la commission des affaires sociales et la délégation aux droits des femmes ont décidé de créer un groupe de travail et se sont conjointement mises au travail. Nous avons déjà procédé à trois auditions avant-hier et nous en faisons de nouvelles aujourd'hui. La semaine prochaine, nous organiserons de nouvelles auditions puis nous aurons ensemble une réunion de travail pour tirer la substantifique moelle de ces auditions afin de proposer une nouvelle définition du harcèlement sexuel qui soit conforme à la décision du Conseil constitutionnel.

De son côté, le Gouvernement entend déposer un projet de loi dont j'ai eu plusieurs échos. Ce projet de loi serait adopté en conseil des ministres dès le 13 juin, ce qui nous laisserait le temps de l'examiner rapidement avant qu'il ne passe en séance publique. Mais j'ai également entendu dire que ce projet de loi pourrait ne pas être examiné avant septembre, ce qui ne me conviendrait pas. Il y a un vide juridique à combler d'urgence.

Je cède à présent la présidence de cette réunion à Mme Gonthier-Maurin.

Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes -

Mme Brigitte Martel-Baussant, secrétaire générale de la Coordination pour le lobby européen des femmes . - Après avoir été surprises par la décision du Conseil constitutionnel, nous avons compris ses raisons mais il n'en reste pas moins que nous sommes confrontés à un vide juridique. Nous avons examiné vos propositions de loi et la directive européenne de 2006.

Tout d'abord, il convient de profiter des circonstances pour unifier la notion de harcèlement, car nous craignons que la disposition relative au harcèlement moral soit, à son tour, déclarée inconstitutionnelle.

Pour le harcèlement moral, deux points sont importants : il faut que les agissements soient répétés et que leurs conséquences soient prises en compte. Si la notion d'agissements est relativement claire, celle de « comportement » est beaucoup plus difficile à prouver par la victime.

Concernant la législation européenne, nous nous sommes depuis longtemps battus pour que le harcèlement sexuel ne se définisse pas par référence à la notion anglo-saxonne de discrimination, qu'elle soit directe ou indirecte. La définition du harcèlement sexuel proposée par l'article 2 de la directive européenne est très intéressante, mais l'expression « non désirée » ne nous paraît pas appropriée. Le harcèlement sexuel est une emprise morale à connotation sexuelle, une référence au désir ou à l'absence de désir paraît inadaptée. Cette définition a servi de base à certaines de vos propositions de loi. Nous estimons important de proposer une définition généraliste du harcèlement sexuel qui s'applique au droit du travail, comme le prévoit la proposition de loi n°558 du groupe CRC. Néanmoins, il ne faut pas se borner au droit du travail car il y a des cas de harcèlement sexuel dans les milieux « associatifs » : je pense notamment aux mouvements sportifs ou aux syndicats. Plus la définition du harcèlement sera élargie et déconnectée du code du travail, plus elle répondra aux situations que nous rencontrons quotidiennement. Il ne sera pas non plus possible d'en revenir à la notion d'abus d'autorité, trop restrictive. Tous les comportements qui constituent du harcèlement sexuel doivent être pris en compte.

Nous ne pensons pas, enfin, que la définition de la directive puisse être frappée d'inconstitutionnalité ; la proposition de loi du CRC nous semble la plus aboutie.

Mme Nicole Crépeau, vice-présidente de la Fédération nationale « Solidarité femmes ». - Il est urgent qu'une nouvelle loi soit votée car nous recevons dans nos centres d'hébergement des femmes victimes de harcèlement sexuel. Il y a beaucoup de similitudes entre le harcèlement et les violences : répercussions psychologiques, peur de porter plainte et mise en doute de la parole des victimes. De plus, le harcèlement sexuel peut conduire à un licenciement ou à une mise à l'écart. Les personnes sont punies d'avoir voulu se défendre en portant plainte. Une loi est donc nécessaire pour leur permettre de se reconstruire.

Mme Isabelle Steyer, avocate de la Fédération nationale « Solidarité femmes » . - Le délit de harcèlement sexuel a été déclaré inconstitutionnel, mais il était peu utilisé et peu utilisable : moins d'une centaine de condamnations étaient en effet prononcées par an pour des faits de harcèlement sexuel, alors que ce délit existe depuis 1992. Ce dernier est en effet d'un maniement difficile car la notion de harcèlement sexuel est méconnue des juristes, comme des policiers et des gendarmes. Il faudra une définition claire pour que les juristes puissent s'y retrouver. Nous sommes passés d'une définition précise à la dernière définition qui était extrêmement large, avec le risque d'inconstitutionnalité qu'a sanctionné le Conseil constitutionnel. Une définition précise présente l'avantage d'être constitutionnelle et utilisable par les juristes, mais elle risque d'écarter certains comportements difficilement qualifiables sur le plan pénal. Une définition large risque d'être difficile à appliquer : elle ne serait donc pas très efficace.

Les faits sont très difficiles à caractériser ; ils se répètent dans le temps. Il va falloir viser des faits, des actes, des comportements que l'on ne peut définir à l'avance car, en la matière, l'imagination des agresseurs est très grande. Il va donc falloir faire des choix. La définition de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) est intéressante car elle utilise des mots que les juristes ont l'habitude de manier.

La définition proposée par la directive fait référence à la notion de « verbal » et de « non-verbal ». C'est un langage psychanalytique mais que les juristes ne connaissent pas. De même, la notion de « non désiré » n'est pas appropriée car elle n'existe pas en droit.

Comment définir ce qui ressort du sexuel et du non sexuel ? En matière de harcèlement, les comportements des agresseurs seront laissés à l'appréciation des juridictions. Mais peut-être aurions-nous intérêt à définir ce qui est de l'ordre du sexuel afin que ce qui ne l'est pas puisse être qualifié de harcèlement moral.

J'ai entendu dire qu'un recours contre la disposition relative au harcèlement moral avait été déposé devant la Cour de cassation. Je ne sais si elle va le transmettre au Conseil constitutionnel mais si tel est le cas et si ce dernier devait annuler le dispositif pénal relatif au harcèlement moral, nous en reviendrions à la case départ, d'autant que le délit de harcèlement sexuel était calqué sur celui de harcèlement moral.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente . - Le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé sur le harcèlement moral, mais il faut rester vigilants.

Mme Isabelle Steyer, avocate de la Fédération nationale « Solidarité femmes » . - Je crois donc que nous avons intérêt à être précis et à bien définir les notions de harcèlement et de sexuel, puis à intégrer les conséquences du délit. Le problème est que les conséquences d'un délit se traitent au civil et pas au pénal. De plus, les conséquences de l'état psychique des victimes peuvent être imputées par les juridictions à des faits étrangers au harcèlement sexuel, comme par exemple un divorce, d'où le risque de fragiliser les éléments constitutifs du délit.

En fait, c'est l'information des magistrats qui se révèlera déterminante pour la qualification de ces délits.

Le délit d'inceste a lui aussi été annulé par le Conseil constitutionnel car la loi ne donnait pas une définition claire des situations d'emprise, de domination, de dépendance ou d'assujettissement. Ces notions psychologiques sont toujours très difficiles à définir juridiquement.

Bref, la réconciliation entre les juristes et les psychologues n'est sûrement pas pour demain...

Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente . - Vous venez de confirmer que notre tâche est ardue.

M. François Pillet . - Je comprends vos réserves par rapport aux mots « non désiré ». Auriez-vous un autre terme à proposer pour qualifier le comportement « non acceptable » de l'agresseur ?

Mme Brigitte Martel-Baussant, secrétaire générale de la Coordination pour le lobby européen des femmes . - Un harcèlement sexuel n'a rien à voir avec un désir. Nous nous retrouvons ici sur un terrain sémantique qui n'est juridiquement pas adapté. C'est pourquoi nous avons demandé la suppression de ces mots qu'il ne nous paraît pas utile de remplacer. Par définition, le harcèlement sexuel n'est pas acceptable. Il relève de l'emprise, mais certainement pas du désir.

M. François Pillet . - A force de rayer des termes, on risque de se retrouver avec un délit dont l'appréciation sera purement morale.

Mme Brigitte Martel-Baussant, secrétaire générale de la Coordination pour le lobby européen des femmes . - La définition proposée par la directive nous convient car elle est claire. Nous proposons de rayer deux mots.

Mme Virginie Klès . - Une définition précise est nécessaire, qui intègre les conséquences du délit et qui pose aussi les limites du harcèlement sexuel, mais comment les fixer avec exactitude ?

Mme Esther Benbassa . - Je ne suis pas d'accord avec les mots « verbalement ou non verbalement ». La transposition de la directive ne me convient pas tout à fait.

Je vous propose la définition suivante : « Le harcèlement sexuel est le fait d'user, contre le gré d'une personne, de manière répétée ou non, d'intimidations, de pressions, de menaces ou de contraintes ayant pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un contexte intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle ».

M. François Pillet . - Je rejoins les remarques de Mme Klès. Il est toujours dangereux de définir un délit en tenant compte des conséquences, mais ce n'est pas très nouveau puisque pour les violences, c'est en fonction des conséquences que l'on passe d'une contravention à un délit.

Mme Isabelle Steyer, avocate de la Fédération nationale « Solidarité femmes » . - Pourquoi ne pas introduire la notion de « manoeuvre », déjà utilisée dans la définition de l'escroquerie ? Cela permettrait d'englober les comportements difficilement qualifiables pris individuellement mais qui, additionnés, permettraient de dire que l'on est en présence de harcèlement sexuel.

J'en viens à l'élément moral qui pourrait être intégré au délit : de nombreux délits ont intégré un dol spécial. Ici, ce dol serait plus facile à prouver et moins ambigu que les conséquences du harcèlement. La répétition pourrait ici constituer le délit, puisqu'il s'agirait d'une stratégie pour avoir une relation sexuelle. Pour certains délits, les conséquences sont prévues car elles ne sont pas sujettes à questionnement. En cas de violence, l'imputabilité est prouvée grâce aux incapacités totales de travail (ITT), fondées sur un constat médical. Ce n'est pas forcément le cas pour le harcèlement sexuel.

Mme Muguette Dini . - Dans certains cas, il peut y avoir une répétition de comportements machistes, humiliants, à caractère sexuel, sans que le harceleur ait pour objectif ultime d'obtenir un acte sexuel.

Mme Isabelle Steyer, avocate de la Fédération nationale « Solidarité femmes » . - Certes, mais la définition du délit implique de faire des choix.

Mme Muguette Dini . - Avez-vous connaissance de telles situations ?

Mme Isabelle Steyer, avocate de la Fédération nationale « Solidarité femmes » . - C'est rare.

Mme Brigitte Martel-Baussant, secrétaire générale de la Coordination pour le lobby européen des femmes . - C'est pour prendre en compte cet aspect du harcèlement sexuel que nous avons insisté sur la notion de « comportements ». Nous disposons d'un certain nombre d'études de sociologues qui nous permettent d'établir des curseurs en ce qui concerne le harcèlement. Nous travaillons beaucoup avec des fédérations sportives sur ces questions là.

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - Il faut être clair : tout d'abord, le harcèlement sexuel est un acte, mais c'est un acte qui se distingue des actes physiques qui constituent une agression sexuelle.

En second lieu, pour être caractérisé, le harcèlement doit-il être répétitif ? On peut mettre dans la loi que le harcèlement peut résulter d'un acte qui n'est pas répété, mais dans ce cas on se démarque de l'acception courante de la notion de harcèlement qui repose sur la pluralité d'actes. Lors d'une audition précédente, on nous a dit que lors d'un entretien d'embauche, une place avait été proposée à une jeune femme en échange de relations sexuelles. Faut-il qualifier cet acte de harcèlement ?

Le mot « faveur » ne convient pas : il est désuet. Il serait préférable d'employer les mots « acte sexuel ».

Enfin, le texte de la directive me semble par trop phraseur, notamment ce qui concerne les termes « non désiré », « connotation ». En outre, comment un comportement peut-il «survenir » ?

Mme Virginie Klès . - S'installer ?

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - Non plus. Le terme « survenir » semble indiquer que l'acte n'est pas voulu.

En revanche, l'expression « porter atteinte à la dignité d'une personne » me semble claire et suffisante. Mais l'« environnement intimidant... », je me demande ce que cela apporte. Après tout, quand on joue au football ou au rugby, on adopte un comportement intimidant à l'égard de l'équipe adverse.

Mme Laurence Cohen . - Sur ce point, je ne puis vous suivre : « environnement intimidant » désigne les pressions qui peuvent s'exercer sur l'entourage professionnel de la victime pour disssuader les témoignages.

Mme Esther Benbassa . - Il me paraît important que la définition précise que les faits de harcèlement sexuel vont « contre le gré d'une personne ».

Le mot « environnement » est la traduction inexacte de « contextual » qui figure dans la directive. C'est pour cela que je propose « créer un contexte intimidant ».

Pourquoi vous prononcer contre le mot « faveur », monsieur Sueur ?

M. Jean-Pierre Sueur , président de la commission des lois . - C'est un mot désuet.

Mme Michelle Meunier . - Ce qui importe, c'est le respect des droits des individus, des femmes.

Le mot environnement ne me choque pas. Il est important que la définition soit la plus large possible.

Mme Brigitte Martel-Baussant, secrétaire générale de la Coordination pour le lobby européen des femmes . - Le mot « environnement » a été inscrit à la demande du groupe femmes des syndicats représentés au sein de l'Union européenne qui voulait que l'entourage professionnel de la victime soit également pris en compte, mais effectivement, il s'agit de la traduction d'un terme anglo-saxon.

Le terme de « faveur » ne figure pas dans la directive, ce qui me convient.

M. François Pillet . - La commission des lois a déjà tranché la question de savoir s'il fallait, ou non, transcrire en droit interne la définition du harcèlement qui figure dans la directive : la transcription s'imposait en droit du travail mais pas dans le code pénal car elle risquait d'être frappée d'inconstitutionnalité, notamment au regard du principe de légalité des délits et des peines. Les mots « ayant pour effet » renvoient à une appréciation subjective et je crains la censure du Conseil constitutionnel. Le Sénat s'était prononcé contre une telle évolution et le Gouvernement et l'Assemblée nationale l'avaient suivi. Cette analyse juridique reste d'actualité. Evitons que la définition de harcèlement sexuel n'aboutisse à des résultats inverses à ceux que nous poursuivons.

M. Jean-Pierre Godefroy . - Je souhaite que le mot « environnement » soit conservé car des groupes de pression peuvent se constituer dans certaines entreprises. J'ajoute que des hommes peuvent aussi être concernés.

Mme Esther Benbassa . - Pourquoi ne pas parler de « bénéfice sexuel » ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente . - Que pensez-vous de la formule « ayant pour effet » ?

Mme Isabelle Steyer, avocate de la Fédération nationale « Solidarité femmes » . - Les juges anglo-saxons ont un pouvoir d'interprétation et de création bien plus important qu'en France. Chez nous, les magistrats appliquent strictement les textes pénaux et seront embarrassés pour appliquer une loi qui renverrait à cette expression.

En outre, le « et » me gêne car les conditions cumulatives réduisent le champ d'application de la loi. Je préfèrerais donc un « ou ». Ensuite, le harcèlement est un acte. Pourquoi préciser alors que cet acte est « non désiré » ? Pourquoi intégrer la position de la victime dans la qualification du délit ? On ne dit pas qu'un viol est « non désiré » !

Mme Brigitte Martel-Baussant, secrétaire générale de la Coordination pour le lobby européen des femmes . - Attention de ne pas vider la définition du harcèlement sexuel de sa substance en éliminant adjectifs et adverbes. Il faut conserver la référence au contexte pour ne pas banaliser un acte que des collègues de travail peuvent trouver anodin. Le harcèlement sexuel est une affaire complexe. Mettons le maximum d'éléments dans sa définition pour éviter une interprétation défavorable aux femmes.

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