Jeudi 7 juin 2012
Echanges de vues
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Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois -
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Nous avons procédé à un grand nombre d'auditions intéressantes et nous devons maintenant voir les points sur lesquels nous sommes d'accord et ceux sur lesquels nous divergeons encore.
M. le Premier ministre a souhaité qu'il n'y eût pas d'auditions de ministres avant sa déclaration de politique générale ; une exception serait faite cependant pour les deux ministres en charge de ce dossier, que nous pourrions entendre le 26 juin. Les rapports de la commission des lois, saisie au fond, et celui de la commission des affaires sociales, saisie pour avis, seraient ensuite rendus très rapidement ; la Délégation aux droits des femmes sera également saisie. Nous examinerions le texte en séance publique à partir du 4 ou du 5 juillet. La commission des lois nommera son rapporteur la semaine prochaine et la commission des affaires sociales fera sans doute de même. Les rapporteurs pourront procéder à des auditions complémentaires s'ils ou elles le jugent utile.
En outre, je ne sais si le Gouvernement a l'intention d'avoir recours à la procédure accélérée, mais il me semble que s'il y a un sujet sur lequel elle s'impose, c'est bien celui-ci. Il y a un vide juridique qu'il faut combler rapidement. Si tout se passe bien, un nouveau texte sur le harcèlement sexuel pourrait entrer en vigueur fin juillet.
Mme Virginie Klès . - Quand aurons-nous connaissance du projet de loi gouvernemental ?
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Le texte sera présenté en conseil des ministres mercredi prochain.
Mme Chantal Jouanno . - Sur un tel sujet, qui n'est pas partisan, il eut été bon que l'initiative parlementaire primât.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Le Gouvernement a choisi la voie du projet de loi, c'est son droit. En tout état de cause, je proposerai que nous examinions à la fois son texte et les sept propositions de loi qui montrent que nous avons travaillé sur ce sujet.
Mme Virginie Klès . - Le débat n'en sera que plus riche !
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Un document recensant tous les points soulevés lors des auditions vous a été distribué.
Commençons donc par le premier point : la question de la répétition. En dépit de la définition qui figure dans le dictionnaire, le harcèlement sexuel implique-t-il nécessairement une pluralité d'actes ? Nous pouvons envisager un article dans lequel un alinéa spécifique traiterait de l'acte unique ; une autre solution -nous en avons beaucoup parlé avec les avocats- consisterait à définir le harcèlement comme impliquant une pluralité d'actes, et à traiter l'acte unique par le biais d'une autre infraction, -chantage ou corruption par exemple.
M. Alain Anziani . - Faire la distinction est important. L'arrêt de la cour d'appel de Lyon du 15 mars 2011 dit que le harcèlement sexuel ne suppose pas qu'il y ait pluralité d'actes, le législateur n'ayant pas exigé, comme pour le harcèlement moral, des actes répétés. Il nous faut être clairs et prévoir, d'un côté, le harcèlement de droit commun qui nécessite la répétition et, de l'autre, le harcèlement constitué d'un acte unique. La plus grande précision s'impose.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Ces deux définitions figureraient dans un seul article ?
M. Alain Anziani . - Ce serait plus lisible que de renvoyer aux textes sur le chantage ou la corruption...
Mme Chantal Jouanno . - C'est vrai. En exigeant la répétition des actes, nous risquons de laisser de côté de nombreux agissements répréhensibles. L'expression retenue par la proposition de loi de Mme Gonthier-Maurin visant un acte « revêtant un caractère manifeste de gravité » semble convenir aux magistrats. L'ensemble du champ serait ainsi couvert. En renvoyant à d'autres textes, nous perdrions en lisibilité.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente de la Délégation aux droits des femmes . - Je suis d'accord avec vous. Les victimes doivent disposer d'un seul texte de référence. Dans notre proposition de loi, nous donnions une définition du harcèlement qui faisait référence à la répétition, mais nous avons également entendu les remarques des associations féministes. Quand les femmes portent plainte, c'est qu'elles n'en peuvent plus et que le climat au sein de l'entreprise s'est déjà profondément dégradé. Il faudrait, nous ont dit les avocats, que les victimes puissent réagir plus vite, dès le premier acte. En même temps, l'acte grave peut être qualifié d'agression ou d'atteinte sexuelle. Toutes ces notions doivent être coordonnées.
Mme Virginie Klès . - Je ne partage pas ce qui vient d'être dit. Nous sommes en train de perdre de vue les objectifs de cette loi. Le harcèlement sexuel, c'est souvent une multitude de petits faits sans gravité manifeste qui, répétés, deviennent insupportables. C'est cela qui est difficile à caractériser. L'acte unique, s'il est grave, doit relever d'autres incriminations, chantage ou corruption, quitte à ce que leurs définitions dans le code pénal soient ajustées. S'il y a une plainte pour chantage après un entretien d'embauche, une enquête sera ouverte, on pourra savoir si les faits se sont répétés et caractériser alors le comportement du harceleur. Le harcèlement, c'est une multitude de petits faits, c'est le supplice de la goutte d'eau. Il faut que les actes graves soient qualifiés autrement.
Mme Hélène Conway Mouret . - Je comprends le souci de tout embrasser dans un seul texte, mais en essayant de dresser une liste des actes uniques pouvant être qualifiés de harcèlement, nous ne serons pas exhaustifs. Mieux vaut dans ce cas faire référence à d'autres délits.
M. Jean-Pierre Godefroy . - Je souscris au raisonnement de Mme Klès, mais qu'en est-il de l'échelle des peines ?
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Le harcèlement sexuel est passible d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende tandis que le chantage et la corruption sont passibles de 5 ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Mme Virginie Klès . - C'est normal puisqu'il s'agit d'actes plus graves.
M. Jean-Pierre Godefroy . - Le chantage à l'embauche est avant tout un chantage.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Nous sommes en présence de deux propositions : une définition du harcèlement sexuel qui fait référence à la fois à des actes répétés et à un acte unique ; et une définition qui se contente de la répétition et renvoie le traitement de l'acte unique à d'autres textes du code pénal.
Je vous propose une voie médiane : dans le même article, un paragraphe traiterait du harcèlement, qui suppose la répétition, et un second traiterait de l'acte unique.
Mme Hélène Conway Mouret . - Ce deuxième paragraphe ferait référence au chantage ou à la corruption ?
Mme Virginie Klès . - Allons-nous créer des infractions nouvelles ?
Mme Chantal Jouanno . - La directive européenne prévoit à la fois l'acte unique et les actes répétés...
M. Alain Anziani . - La proposition de Mme Klès est intellectuellement cohérente mais nous devons clarifier la situation au regard de la décision du Conseil constitutionnel mais aussi d'une jurisprudence erratique. Je préfère la solution préconisée par M. Sueur : le harcèlement de droit commun, qui suppose la répétition, et le harcèlement avec acte unique, qui doit être accompagné de circonstances aggravantes....
Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente de la Délégation aux droits des femmes . - Non, un acte grave !
M. Alain Anziani . - ... chantage, menace ou corruption. La rédaction pourrait renvoyer aux textes relatifs à ces délits.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Nous en arrivons donc à la proposition suivante : une première partie du texte définirait le harcèlement comme supposant la répétition et une seconde traiterait de l'acte unique grave avec référence explicite aux articles du code pénal sur le chantage ou la corruption. Un seul texte lisible pour les victimes, mais faisant bien la distinction.
Mme Catherine Tasca . - Je souscris à cette proposition : il faut que la définition soit claire et que le sujet soit globalisé, tant pour les victimes que pour les harceleurs. Reste que la rédaction du deuxième paragraphe devra être précise : il faut que l'acte unique soit constitutif du chantage ou de la corruption ou y contribue. Nous devrons établir un lien entre ces délits, plutôt que de nous contenter d'un simple renvoi à d'autres textes.
Mme Virginie Klès . - Je souscris à cette solution. Ce qui importe, c'est que l'acte soit répété, mais peu importe qu'il le soit à l'égard d'une ou de quinze personnes. La répétition doit être entendue par rapport au harceleur et non par rapport à la victime.
Mme Catherine Tasca . - Certes.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Je ne peux vous suivre sur ce point : pour caractériser un harcèlement sexuel, comme pour tout autre délit d'ailleurs, il faut un auteur et une victime qui porte plainte. Certes, il peut y avoir plusieurs victimes, mais chacune devra porter plainte pour se faire entendre. L'action de groupe, c'est un autre débat.
Mme Esther Benbassa . - Même si un recruteur fait les mêmes avances sexuelles à chaque entretien d'embauche, il ne sera pas possible de réunir toutes les victimes.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Mais chacune d'elles peut porter plainte.
Mme Chantal Jouanno . - Les associations que nous avons reçues ont été extrêmement claires là-dessus : la définition du harcèlement sexuel doit se placer du point de vue des victimes et non pas celui des harceleurs. La preuve du harcèlement est déjà suffisamment difficile à apporter pour que l'on n'en rajoute pas.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Nous serions donc d'avis de proposer un article en deux parties.
M. Alain Anziani . - Pour la deuxième partie, on pourrait dire que le harcèlement sexuel peut être constitué par un acte unique accompagné de chantage, de corruption ou de menace, délits punis et réprimés par les articles tant et tant du code pénal.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Le deuxième point concerne l'auteur des faits. De 1992 à 2002, le harcèlement sexuel n'était puni que s'il était commis par une personne abusant de son autorité. Cette condition a été supprimée en 2002. Aucune des personnes que nous avons reçues n'a demandé que l'on revînt sur ce point à la définition antérieure.
Mme Esther Benbassa . - Le harcèlement peut être le fait d'un groupe. Sera-ce une circonstance aggravante ?
M. Jean-Pierre Sueur, président . - Nous en parlerons ensuite.
Mme Chantal Jouanno . - Il ne faut pas réintroduire l'abus d'autorité. En revanche, lorsque le harcèlement est commis par un supérieur hiérarchique, il y a circonstance aggravante.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Nous sommes donc tous d'accord sur ce point.
Troisième point à trancher : le but de l'infraction. Dans l'article censuré par le Conseil constitutionnel, le harcèlement est défini comme « le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle ». Le mot « faveurs », plutôt désuet, a été critiqué lors des auditions ; certaines propositions de loi lui ont préféré le mot « actes ». Mais le harcèlement sexuel doit-il être considéré comme le fait de chercher à obtenir un acte sexuel ? Si oui, cet acte doit-il être recherché pour le bénéfice du seul auteur ou peut-il l'être aussi pour une tierce personne ?
L'important, c'est l'aspect intentionnel du harcèlement. Comme l'ont dit hier les avocats, on ne peut sanctionner que des actes, les comportements de harcèlement.
Mme Chantal Jouanno . - L'acte constitutif de harcèlement sexuel est un acte à connotation sexuelle ; mais peut-on être contraint à apporter la preuve que l'intention était d'obtenir un acte sexuel ? Dans la plupart des cas, le harcèlement n'a pas cet objectif, il s'agit d'humilier, d'attenter à la dignité, de détruire psychologiquement quelqu'un. Autant le comportement du harceleur doit clairement avoir une connotation sexuelle, autant l'objectif ne peut se résumer à l'obtention d'un acte sexuel, sinon nous risquons de laisser de côté beaucoup de choses.
Mme Virginie Klès . - Le harceleur a un comportement pathologique ; chercher un objectif à ce comportement est hasardeux. N'entrons pas dans des considérations psychologiques et limitons-nous à dire qu'il s'agit de comportements ou d'agissements de nature sexuelle ou à propos du sexe, sans nous préoccuper des intentions du harceleur.
M. Philippe Kaltenbach . - On ne peut limiter le harcèlement sexuel à l'objectif d'obtenir une faveur ou un acte sexuel, car on risquerait de passer à côté de beaucoup de comportements de harceleurs. Le fait qu'il y ait atteinte à la dignité suffit.
La directrice des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice nous a proposé d'aménager l'échelle des peines : le harceleur qui ne rechercherait pas des actes sexuels risquerait un an de prison tandis que celui qui voudrait en obtenir serait passible de deux ans d'emprisonnement. Ne rouvrons pas la question des « faveurs » qui est tranchée. En revanche, reste à savoir s'il faut aggraver la peine lorsque le harceleur cherche à obtenir une relation sexuelle.
M. Alain Anziani . - La notion de « faveurs » est effectivement frappée de désuétude, même si elle figure dans le code pénal depuis longtemps. En revanche, il faut maintenir explicitement la notion de « connotation sexuelle ».
Ne risquons-nous pas d'entretenir la confusion entre harcèlement sexuel et harcèlement sexiste ? Le problème en la matière, c'est d'abord celui de la preuve. N'allons pas rédiger un texte trop large qui frapperait les comportements sexistes, même s'ils sont répréhensibles, c'est une autre question.
Mme Catherine Tasca . - Autant il est important que le texte ne fasse plus référence à l'objectif du harceleur d'obtenir un acte de nature sexuelle, qui est toujours difficile à prouver, autant la portée du texte serait affaiblie si les actes incriminés n'étaient pas clairement désignés comme « à connotation sexuelle ».
Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente de la Délégation aux droits des femmes . - Nous sommes tous d'accord pour proscrire le mot « faveurs ». Evitons aussi d'introduire la notion d'intention, car l'intention est difficile à prouver : certains harceleurs sont mus par leurs pulsions plutôt que par un projet délibéré.
Distinguons aussi le harcèlement moral sexiste, qui est une forme de discrimination fondée sur le genre, du harcèlement sexuel, qui consiste en actes à connotation sexuelle - notion qu'il faudra sans doute préciser.
Mme Esther Benbassa . - Notre proposition de loi vise les mots et gestes à caractère sexuel, et ne reprend pas le mot « faveurs ». La volonté d'obtenir des actes sexuels est rangée parmi les circonstances aggravantes. Lorsqu'un collègue ou un médecin emploie avec une femme des mots et des gestes à caractère sexuel, ce n'est pas seulement du sexisme, mais bien du harcèlement sexuel. Cependant un patron qui affiche dans son bureau un calendrier Pirelli et dit chaque jour à son employée : « Regardez comme elle est belle ! », ne doit pas être logé à la même enseigne qu'un autre qui dit à une candidate : « Je vous embauche si vous couchez avec moi » : dans ce dernier cas, l'objectif est bien un acte sexuel.
Mme Hélène Conway Mouret . - Je suis pour une définition claire. On ne recherche pas l'intention d'un voleur de sac à l'arraché, on ne se demande pas s'il avait besoin d'argent ou s'il voulait se venger de quelqu'un...
M. Jean-Pierre Godefroy . - D'accord pour bannir le mot « faveurs ». En revanche, il me semble que l'on affaiblirait le texte en ôtant toute référence à l'intention d'obtenir une relation sexuelle, même si elle est difficile à prouver ; le harcèlement a bien souvent ce but. Lorsqu'un homme a seulement l'intention de porter à sa victime un préjudice moral, lorsqu'il obéit à des motifs pervers, c'est autre chose.
Mme Chantal Jouanno . - La définition de la directive européenne, que nous avons reprise, est simple : « constitue un harcèlement sexuel tout propos, acte ou comportement non désiré, verbal ou non verbal, à connotation sexuelle, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte aux droits et à la dignité d'une personne ou de créer un environnement intimidant, hostile, humiliant ou offensant. » L'intention est difficile à prouver, d'où la mention « ou pour effet ». Elle n'implique pas non plus que la fin recherchée soit un acte sexuel, parce que c'est loin d'être toujours le cas. Elle est donc suffisamment large, tout en comportant des garde-fous, puisqu'il doit s'agir d'actes ou de propos « à connotation sexuelle ».
Mme Esther Benbassa . - Que signifie au juste le mot « connotation » ?
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Le sujet est délicat. Jusqu'ici, toutes les définitions du harcèlement sexuel faisaient référence à l'intention d'obtenir un acte sexuel.
M. Philippe Kaltenbach . - Ce n'est pas nécessairement le but recherché.
M. Jean-Pierre Godefroy . - Il faut prévoir les deux cas.
Mme Annie David , présidente de la commission des affaires sociales . - Pourquoi ne pas viser à la fois les actes visant à obtenir des relations sexuelles et les actes visant à dégrader la victime ? Si nous ne prévoyions que le premier cas, cela laisserait aux harceleurs une porte de sortie.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Excellente proposition. Nous pourrions parler d'actes à connotation sexuelle - sinon, il ne s'agit pas de harcèlement sexuel - commis dans le but, soit d'obtenir des actes sexuels, soit de porter atteinte à la dignité ou aux conditions de vie ou de travail de la victime - alternative qui évite que l'on ait à prouver la finalité sexuelle du harcèlement.
Mme Esther Benbassa . - Pour me rendre chaque année aux Etats-Unis, je crains des dérives. Là-bas, il est à peine besoin de déposer une photo suggestive sur une table pour être accusé de harcèlement. Va-t-on condamner indifféremment à un an de prison et 15 000 euros d'amende celui qui affiche un calendrier Pirelli et celui qui demande explicitement un acte sexuel ? Une gradation des peines est nécessaire.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente de la Délégation aux droits des femmes . - Le juge a une latitude d'appréciation.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Aucun tribunal ne considérerait en France le simple fait d'exposer un calendrier comme une atteinte à la dignité... L'alternative proposée par Mme David laisse suffisamment de marge.
M. Jean-Pierre Godefroy . - Si l'on veut favoriser la mixité dans les lieux de travail, il faut qu'il soit possible pour une femme de faire enlever un calendrier jugé offensant. Les personnes à qui l'on a fait très clairement des propositions d'actes sexuels doivent pouvoir agir en justice. Le reste relève plutôt du harcèlement moral.
M. Philippe Kaltenbach . - Outre l'intention d'obtenir un acte sexuel ou d'attenter à la dignité d'une personne, n'oublions pas la création d'un environnement intimidant ou hostile.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente de la Délégation aux droits des femmes . - Nous y viendrons ensuite.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Je vous propose de réfléchir à une formulation adéquate sur la base de la proposition de Mme David. (Assentiment)
Doit-on considérer que les relations et actes recherchés peuvent l'être au bénéfice d'une tierce personne ?
Mme Chantal Jouanno . - Certainement. La rédaction de la directive couvre aussi ce cas.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Je constate que ce point fait l'unanimité.
Question suivante : le harcèlement peut-il avoir pour objet de porter atteinte aux droits de la personne ? Le Conseil constitutionnel considère que cette formulation est trop floue, et qu'il faudrait préciser de quels droits il s'agit. A mon sens, il n'est pas nécessaire de mentionner les droits : la référence à la dignité suffit.
Mme Annie David , présidente de la commission des affaires sociales . - Mais cela n'aura-t-il pas une incidence sur le code du travail ?
M. Jean-Pierre Sueur , président . - La nouvelle rédaction du code pénal ne devra pas réduire la portée des dispositions du code du travail.
M. Alain Anziani . - En cas de QPC, l'article du code du travail sera lui aussi censuré. La nouvelle définition que nous trouverons doit aussi s'appliquer au code du travail et dans la fonction publique.
Mme Chantal Jouanno . - Le harcèlement peut porter atteinte aux droits garantis par le code du travail, mais aussi au droit au logement, etc. En renonçant à faire référence aux « droits », nous manquerions l'un des objectifs poursuivis. Je comprends toutefois le problème juridique. Peut-être faut-il parler des « droits reconnus par la loi » ?
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Le Conseil constitutionnel nous impose plus de précision. En outre, il faudra rendre cohérentes les rédactions du code pénal et du code du travail, pour éviter une QPC portant sur ce dernier. En tout état de cause, les droits garantis par le code du travail devront être préservés.
M. Alain Anziani . - Le code du travail prévoit qu' « aucun salarié ne peut être sanctionné ni licencié pour avoir subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement d'un employeur », etc. Il n'y a qu'à préciser que le harcèlement s'entend au sens du code pénal.
Mme Chantal Jouanno . - Il vaudrait mieux le redéfinir aussi dans le code du travail.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente de la Délégation aux droits des femmes . - Pourquoi ne pas écrire qu'il s'agit de « porter préjudice » à la personne ? La notion de préjudice est clairement définie en droit.
Mme Esther Benbassa . - Les relations du travail ne sont pas seules en cause : un médecin ou un professeur d'université peuvent aussi se livrer à des pratiques de harcèlement.
M. Alain Anziani . - Le code pénal s'applique à tous les secteurs.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - En effet. Mais une infraction de ce genre dans le milieu du travail ou à l'université peut faire l'objet à la fois d'une procédure pénale et disciplinaire. Il faudra réfléchir à la notion de préjudice.
Mme Chantal Jouanno . - Encore une fois, les droits au travail ne sont pas seuls susceptibles d'être menacés. J'ignore ce que recouvre au juste le terme « préjudice », mais c'est une piste à explorer.
M. Alain Anziani . - Si, outre le code pénal, le code du travail aborde la question du harcèlement, c'est pour interdire de licencier une personne qui aurait refusé de céder au chantage : le conseil des prud'hommes peut alors annuler le licenciement.
Mme Annie David , présidente de la commission des affaires sociales . - Sans doute faudra-t-il reproduire dans le code du travail la définition du code pénal.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - C'est juste.
J'en viens à un autre problème. Doit-on conserver les termes « ayant pour objet ou pour effet » ? A mon sens, le mot « effet » ne convient pas : c'est l'intention -« ayant pour objet »- du harceleur qui importe. Une solution consisterait à reprendre les termes de la proposition de loi de Mme Gonthier-Maurin, qui vise les comportements « qui portent atteinte à la dignité d'une personne, etc. »
Mme Esther Benbassa . - Que des propos ou des actes aient pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne, ce n'est pas la même chose. Il faut prévoir les deux cas. Dans la durée, des actes répétés peuvent avoir des effets considérables.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Mais il ne peut s'agir d'actes produisant certaines conséquences de manière contingente.
M. Philippe Kaltenbach . - Certains magistrats et la directrice des affaires criminelles ont exprimé la crainte que le mot « effet » ne fasse condamner des personnes qui n'auraient pas toutes leurs facultés mentales. Peut-être faut-il retenir une rédaction plus synthétique comme celle de Mme Gonthier-Maurin.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Il faut poursuivre la réflexion sur ce point.
L'un des buts de l'infraction peut-il être de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant, comme le prévoit la directive européenne ? Les notions d'environnement ou de contexte me paraissent bien floues. Il serait préférable de s'en tenir aux actes.
Mme Esther Benbassa . - Ne pourrait-on parler de « situation » ?
Mme Chantal Jouanno . - Il est déjà envisagé de supprimer la référence aux « droits ». Si nous supprimons aussi la fin de la phrase, il ne restera que l'atteinte à la dignité... La disparition des notions d'humiliation ou d'offense me gêne. Je comprends que le mot « environnement » ne soit pas adapté à notre droit, mais il faut trouver un substitut.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Une solution pourrait être de parler d' « actes intimidants, dégradants, humiliants ou offensants ».
Mme Catherine Tasca . - Il ne faut pas trop restreindre la portée du texte. Dans le milieu professionnel, il existe parfois un climat, un environnement qui pourrit la vie des femmes. Le harcèlement n'a pas toujours lieu en tête-à-tête : ce peut être un phénomène collectif. J'avais pensé moi aussi au mot « situation ».
Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente de la Délégation aux droits des femmes . - Il me semble important en effet de conserver cette notion. La responsabilité de la hiérarchie peut être engagée. Les victimes seront réconfortées que la loi prenne en compte ce cas de figure.
M. Alain Anziani . - La rédaction de la directive européenne, qui prévoit que le harcèlement « a pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et, en particulier, de créer un environnement intimidant... », est trop floue. La notion d'environnement n'est pas appropriée. Faut-il préférer le mot « situation » ? Mais comment estimer si une situation est ou non humiliante ? Tout dépend de la fragilité de la personne concernée. Il suffit peut-être d'écrire que le harcèlement porte atteinte directement ou indirectement à sa dignité.
Mme Esther Benbassa . - Le mot anglais environment a été mal traduit en français par « environnement » : il désigne en fait la situation, le contexte. Le harcèlement consiste bien, dans certain cas, à créer un contexte hostile, par exemple lorsqu'un professeur d'université répand le bruit qu'une doctorante qui a refusé de céder à ses avances ne mérite pas d'être reçue docteur. Dans des cas pareils, les fauteurs ne sont jamais condamnés. Or le contexte ainsi créé est encore plus insupportable que les avances initiales.
Mme Hélène Conway Mouret . - Il est important de prêter attention à la situation des victimes, mais les accusés doivent aussi avoir les moyens de se défendre. La notion d'environnement est trop subjective. N'oublions pas les affaires douloureuses comme celle d'Outreau.
M. Jean-Pierre Godefroy . - Peut-être faut-il proscrire le mot « environnement », mais je tiens beaucoup à ce que l'idée soit conservée. La responsabilité du harcèlement peut être collective, les uns y participant activement, les autres passivement en s'abstenant de le dénoncer. Il y a des silences complices. Des femmes subissent ce genre de pratiques, mais aussi des homosexuels ou des hommes hétérosexuels.
M. Alain Gournac . - Les spécialistes que nous avons entendus hier nous ont avertis : si la formulation retenue n'est pas juridiquement sûre, cela nuira aux victimes. Le mot « situation » convient-il ? Je l'ignore. Il mérite en tout cas d'être testé juridiquement.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Malgré les problèmes que cela paraît poser, nous tenterons donc de prendre en compte l'environnement créé. En l'état de nos réflexions, le mot « situation » paraît être le meilleur.
Il nous reste à examiner la question des circonstances aggravantes, les éléments matériels de l'infraction et l'échelle des peines. Je vous propose de nous réunir pour cela le mardi 12 juin à 14 heures 30. (Assentiment)