3. La sensibilisation des populations
a) Les exercices de crise
En matière nucléaire, 12 exercices nationaux sont organisés en théorie chaque année, en application d'une circulaire annuelle qui fixe les objectifs et le programme de ces exercices. Sur les 12 exercices prévus par la circulaire de 2010, dix ont pu être réalisés et la population a participé à huit d'entre eux. Il est essentiel, pour que ces exercices soient utiles, que la population et les élus locaux y soient étroitement associés. Alors qu'un certain désintérêt de la population pour les exercices a pu être observé, par exemple lors de l'exercice autour de la centrale de Gravelines le 18 janvier dernier, il est probable qu'après Fukushima ces exercices seront davantage ressentis comme étant indispensables, tout au moins pendant quelques années.
L'accident de Fukushima appelle l'attention sur certains aspects qu'il serait utile de tester lors des exercices. Certaines thématiques figuraient d'ailleurs déjà parmi les objectifs des exercices pour l'année 2010 : organisation d'exercices inopinés, gestion post-accidentelle, forte pression médiatique, volet sanitaire important et volet mesures de radioactivité important.
- L'organisation d'exercices inopinés : il serait contre-productif, voire dangereux, d'organiser des exercices inopinés impliquant la population ; toutefois il serait utile de tester la réactivité des organisations de crise par des exercices inopinés impliquant exploitants et pouvoirs publics.
- L'organisation d'exercices plus longs, incluant la gestion post-accidentelle, est souhaitable ;
- La pression politique et médiatique, nationale et internationale, la résistance des sites Internet doivent aussi être testées. Il est nécessaire de répondre de façon crédible à la demande d'information, sans préjudicier à l'organisation de crise.
Enfin les exercices doivent s'accompagner de l'instauration d'une véritable culture de la sécurité, grâce à une formation au risque nucléaire, via l'école et les médias, tout en parant au phénomène d'accoutumance au risque qui pourrait rendre la population moins vigilante. Il s'agit de favoriser l'acquisition de réflexes, par le biais de l'éducation aux risques majeurs, dont le développement a déjà été préconisé par plusieurs rapports parlementaires, notamment issus de l'Office 36 ( * ) . Cette éducation consisterait en une sensibilisation de l'ensemble de la population, au niveau national, complétée par une information ciblée à l'intention des populations situées à proximité d'une centrale nucléaire.
Ø Exercices inopinés d'alerte en centrales nucléaires : exemple du déclenchement intempestif de la sirène PPI du CNPE de Golfech
Des exercices d'alertes sont régulièrement organisés sur les sites de centrales nucléaires et sont généralement des réussites. Ces exercices sont annoncés à l'avance et les riverains sont donc préparés à la survenue de ceux-ci, même si le scénario précis n'est pas dévoilé à l'avance. On peut donc se demander si ces exercices sont vraiment représentatifs de la réaction qu'aurait la population en cas d'accident.
Le 2 mai 2011 en soirée la sirène d'alerte du PPI du CNPE de Golfech s'est déclenchée de manière intempestive durant près d'un quart d'heure. Ce déclenchement imprévu, même s'il s'agit d'un cas isolé, peut sans doute permettre d'approcher de manière un peu plus réaliste la réaction de la population face à un accident réel. La sirène d'alerte est normalement enclenchée en cas d'accident sur la centrale et est prévue pour être entendue à 2 km à la ronde. Elle peut être activée par le directeur du CNPE ou le préfet suivant la cinétique de l'accident. La réaction de la population face a cet incident a été pour le moins inattendue. En effet, malgré les consignes de confinement connues de la population et appliquées tous les trois ans lors d'un exercice d'alerte, la population est en grande majorité sortie de chez elle pour, comme le dit le maire de Golfech, « voir ce qui se passait » . Ainsi la réaction de la population a été l'exact opposé de ce qui était attendu d'elle.
Il est intéressant de voir plus précisément ce qui s'est passé ce soir du 2 mai pour apprendre de cet incident et améliorer nos procédures d'alerte. Pour cela, vos rapporteurs se basent sur quelques articles de presse 37 ( * ) 38 ( * ) 39 ( * ) 40 ( * ) et une retranscription d'entretiens téléphoniques avec M. Alexis Calafat, maire de Golfech, et avec Mme Meyer, directrice des services du cabinet du préfet du Tarn et Garonne.
T+0 (environ 20h30) : l'alarme du PPI du CNPE de Golfech se déclenche. Elle a été entendue dans quelques villages environnant Golfech. Dans ces villages, la plupart des personnes ayant entendu la sirène sortent « pour voir ce qui se passe à la centrale » plutôt que de rester calfeutrées chez eux.
T+10 : le maire de Golfech doit appeler lui-même la centrale EDF pour savoir ce qui s'y passe ; l'incident se déroulant juste après la prise de service des équipes de nuit la chaîne d'information n'a, semble-t-il, pas très bien fonctionné. M. le Maire demande le déclenchement du système d'alerte téléphonique SAPPRE, ce qui lui est logiquement refusé puisque seul le préfet a autorité pour cela (le directeur du CNPE ayant délégation seulement en cas d'accident à cinétique rapide).
T+15 : arrêt de l'alarme. M. le Maire appelle le préfet notamment pour lui demander l'activation du système SAPPRE. Cette demande ne peut pas être exaucée car l'utilisation de ce système n'est prévue qu'en cas d'accident réel ou d'exercice.
T+20 : M. le Maire fait utiliser le système d'alerte de la mairie pour avertir la population que le retentissement de la sirène était une fausse alerte.
Par ailleurs, il est à noter que la sirène d'alerte n'a pas été entendue dans tout le périmètre de sécurité de deux kilomètres. Un élément positif peut tout de même être souligné, malgré sa réaction tout à fait inadéquate la population n'a pas été prise d'un mouvement de panique. Néanmoins la séquence de cet incident peut nous laisser perplexe quant à l'intégration des consignes de sécurité par les populations voisines d'un CNPE et quant au suivi des consignes par ces populations en cas d'accident réel.
De plus, un examen des procédures d'alerte de la population et de la chaîne d'information en temps de crise est incontestablement à réaliser. Ainsi, il faut se poser la question du séquençage de l'alerte des populations, d'abord l'alerte par sirène puis le système d'appel.
En outre, il faudrait envisager la possibilité d'utiliser le système d'alerte téléphonique pour informer la population en cas de fausse alerte. Dans cet exemple on peut aussi voir que, malgré les exercices, la population n'a pas totalement intégré les procédures d'alerte et les consignes de sécurité, ainsi un effort supplémentaire de formation est absolument nécessaire. De plus, d'après M. le Maire, pour une bonne part de ses administrés, le risque d'accident est considéré comme nul. Ce sentiment d'absence de risque est sans doute une des raisons de la mauvaise intégration des consignes de sécurité par la population. Aussi, sans provoquer un mouvement de panique des populations, il faut néanmoins que celles-ci reprennent conscience de l'importance du respect de ces mesures d'urgence.
Enfin, une dernière question reste en suspens : comment réagirait vraiment la population en cas d'alerte réelle ? Les parents ne se précipiteraient-ils pas chercher leurs enfants ? La population n'essaierait-elle pas de quitter les lieux sans aucune protection ? Pour répondre à cela des schémas d'évacuation plus profonds et plus intégrés par la population semblent nécessaires.
b) Des scénarios plus complets
- Les plans de secours traitent des 24 à 48 premières heures mais, au-delà, il faut préciser comment seront assurés l'hébergement et l'approvisionnement des populations, surtout dans le cadre d'une crise longue. Certes un plan départemental d'hébergement prévoit un accueil dans d'autres communes mais il n'est pas certain que les maires, à qui la loi de modernisation de la sécurité civile confie la charge de subvenir aux besoins des habitants, en lien avec les indispensables associations de secourisme, aient les moyens suffisants pour réaliser cette tâche. La question des bases arrière de la planification de crise se pose.
- En fonction de la gravité de l'accident, les capacités d'accueil médical pourraient être mises à l'épreuve, notamment la capacité à accueillir de manière simultanée de nombreuses victimes d'un accident de type nucléaire.
- Au-delà des conséquences à court terme d'un événement, l'accident de Fukushima nous rappelle qu'il convient de tenir compte des conséquences d'éventuels rejets de plus longue durée. A ce titre, il est probable que les réflexions en cours, pilotées par l'ASN, sur la gestion post-accidentelle des crises nucléaires, connaîtront des développements nouveaux au regard du retour d'expérience japonais. Cette gestion post-accidentelle nécessite une préparation qui n'est pas forcément une planification coûteuse , mais qui peut consister en des dispositions opérationnelles. A titre d'exemple, la direction de la sécurité civile fait valoir l'intérêt d'instaurer un seuil de libération 41 ( * ) des déchets puisque la question s'est posée à Fukushima de matériels envoyés par la France qui ont dû être laissés sur place en l'absence de mise en oeuvre d'un tel seuil. L'ASN y est toutefois opposée. La politique de « zonage » ne permet de libérer que des déchets provenant de zones historiquement exemptes d'activité nucléaire afin de ségréger avec certitude l'ensemble des déchets nucléaires et éviter toute erreur humaine.
* 36 Voir notamment « Tsunamis sur les côtes françaises : un risque certain, une impréparation manifeste », rapport de M. Roland Courteau n°488 (AN) et n° 117 (Sénat) du 7 décembre 2007.
* 37 3 mai 2011 - LibéToulouse : Golfech : le déclenchement "intempestif" d'une alarme affole la population
* 38 3 mai 2011 - SudOuest : Fausse alerte à la centrale nucléaire de Golfech (82)
http://www.sudouest.fr/2011/05/03/fausse-alerte-a-la-centrale-nucleaire-de-golfech-82-387786-3.php
* 39 3 mai 2011 - France3 : Alarme impromptue à Golfech
http://aquitaine.france3.fr/info/lot-et-garonne/alarme-impromptue-a-golfech-68634701.html
* 40 4 mai 2011 - SudOuest : Contaminés au ras-le-bol
http://www.sudouest.fr/2011/05/04/contamines-au-ras-le-bol-388186-3809.php
* 41 La « libération » des déchets signifie leur sortie du domaine réglementé des usages de la radioactivité. Différentes approches existent, selon les pays. Les seuils de libération, exprimés en activité massique (Bq/g), sont soit universels, soit dépendant du matériau, de son origine et de sa destination.