C. - LA SÉCURITÉ N'A PAS DE PRIX
Si la filière nucléaire française a su fermement conserver sa position de premier rang mondial acquise voici plus un tiers de siècle, c'est avant tout le fruit de la détermination de la Nation, au sortir de la seconde guerre mondiale, à se doter des moyens de son indépendance, le résultat du dévouement de deux générations d'ouvriers et d'ingénieurs ainsi que d'un effort collectif des citoyens de notre pays.
1. Le maintien dans le giron de l'État
L'industrie nucléaire fonde en effet son développement sur des décisions au long cours, à l'échelle du demi-siècle. Cet engagement sur le long terme constitue également, aux yeux de vos rapporteurs, la meilleure garantie du maintien de la sûreté des installations nucléaires.
En effet, si pour une entreprise banale la recherche prioritaire du profit est un objectif naturel, celle-ci conduit inexorablement à vouloir, par tous moyens, la réduction des coûts. Dans ce cadre, la sûreté apparaît essentiellement comme une source de coût, ne procurant aucun avantage concurrentiel immédiat, sur laquelle toute économie serait bonne à prendre. Aussi, vos rapporteurs considèrent-ils que l'industrie nucléaire ne peut se développer dans un tel contexte, pas plus qu'elle ne saurait se plier aux aléas de la concurrence internationale, sans de graves inconvénients sur le plan de la sûreté des installations.
En conséquence, nous recommandons que l'Etat prenne toutes les dispositions qui apparaîtront nécessaires pour, d'une part, conserver sur le long terme une complète maîtrise des entreprises de la filière nucléaire française et, d'autre part, faire reconnaître au niveau européen, le caractère spécifique de la filière nucléaire qui ne peut répondre à l'exigence de concurrence imposée dans le secteur de l'énergie par les traités. Ce raisonnement doit s'imposer au moment où l'énergie nucléaire concerne la France plus que son environnement européen.
2. Un renforcement ciblé des moyens
Lors de chacune des visites réalisées sur les sites nucléaires, vos rapporteurs ont mesuré la prééminence du rôle de l'Autorité de sûreté nucléaire en matière de contrôle de la sûreté des installations.
a) La consolidation des instances de contrôle
Pour assurer le maintien d'un suivi et d'un contrôle rigoureux de la sûreté des installations nucléaires, vos rapporteurs considèrent essentiel de donner à l'Autorité de sûreté les moyens humains et financiers indispensables à l'efficacité de son action et à la garantie de son indépendance. A ce titre, nous demandons au Gouvernement de mettre en place un régime d'astreintes permettant d'assurer, en toutes circonstances, une parfaite réactivité de l'ASN en cas de crise, et de procéder à une remise en cohérence des ressources budgétaires affectées à l'ASN ainsi que de leur financement, afin de simplifier la gestion de ses activités.
Concernant le régime des astreintes , faute de disposition adéquate, l'organisation actuelle repose sur le seul principe du volontariat, lequel peut être mis en défaut en période de congés. La mise en place d'un système plus approprié se heurte à un problème d'ordre réglementaire, dont la résolution relèverait d'un simple arrêté. Après signature d'au moins l'un des ministres compétents, par exemple celui en charge de l'écologie, cet arrêté doit être approuvé par le comité technique paritaire du ministère, au sein duquel l'ASN n'est malheureusement pas représentée. La mise en place d'un véritable système d'astreinte semble également se heurter à des réticences du ministère chargé de la fonction publique, lequel conteste le mode et le montant de l'indemnité prévue. Vos rapporteurs estiment qu'en toutes circonstances l'ASN doit être à même de faire face à une crise éventuelle.
La deuxième difficulté porte sur la structure du budget de l'ASN , aujourd'hui réparti entre quatre programmes distincts. Cet éclatement induit des difficultés en matière de préparation, d'arbitrage et d'exécution budgétaire. Il conduit également à des incohérences dans la gestion des crédits et des personnels affectés à l'ASN. Il constitue enfin un obstacle à la transparence nécessaire à l'exercice du contrôle parlementaire et à l'information de nos concitoyens sur l'adéquation des moyens affectés au contrôle de la sûreté nucléaire.
Aussi, vos rapporteurs demandent au Gouvernement de regrouper ces quatre programmes en un seul, qui pourrait être intitulé « Contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection » .
b) Une dimension nouvelle pour la transparence
A l'occasion de leurs rencontres avec les représentants des Commissions locales d'information, vos rapporteurs ont pu mesurer l'importance des missions de suivi et d'information assurées par ces instances pluralistes de proximité. Plusieurs de nos interlocuteurs nous ont pourtant fait part des obstacles qu'ils rencontraient, du fait de l'insuffisance des moyens financiers. Le président de l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI) a confirmé, à l'occasion de son audition, le caractère général de ce problème de financement et ses conséquences néfastes sur l'activité des CLI.
La loi du 13 juin 2006 prévoit trois modes de financement des CLI: par l'Etat, par les collectivités territoriales et par prélèvement d'une partie du produit de la taxe sur les installations nucléaires de base . Comme pour l'Autorité de sûreté nucléaire, vos rapporteurs estiment que ce dernier mode de financement, directement lié à l'activité des installations nucléaires, est celui qui présente la meilleure cohérence et la plus grande garantie d'indépendance des instances concernées. Compte tenu du rôle des CLI dans la promotion de la transparence, donc de la sûreté des installations, vos rapporteurs demandent au Gouvernement de prendre les mesures nécessaires à la mise en oeuvre de ce mode de financement prévu de longue date par la loi.
Mais ce renforcement des moyens accordés aux CLI resterait insuffisant pour assurer leur indépendance si celles-ci ne peuvent avoir accès à une expertise elle-même pluraliste. A ce sujet, si la rigueur et la compétence de l'IRSN ne sauraient être remises en cause, il n'en reste pas moins que l'absence d'instance alternative pour l'évaluation scientifique du risque nucléaire constitue une limite du dispositif existant.
Vos rapporteurs considèrent que le renforcement de la recherche universitaire en matière de sécurité nucléaire peut contribuer à résoudre cette difficulté en ouvrant une voie alternative pour l'expertise scientifique en ce domaine, sous réserve de la mise en place d'un cahier des charges et d'un suivi des travaux par des institutions tierces.