2. L'adaptation des plans de sécurité civile

Après l'accident de Fukushima, exploitants et pouvoirs publics ont engagé une réflexion sur les réponses possibles à des événements improbables voire imprévisibles, sans préjuger des causes qui pourraient provoquer de tels événements.

a) Les problématiques en jeu

« Fukushima, après AZF, nous enseigne aussi qu'il faut prendre en compte les risques à infime probabilité d'occurrence. Voilà non pas une prémonition du risque, mais bien notre hypothèse de travail, afin de nous hausser à un très haut niveau d'anticipation. » déclare le préfet du Nord, préfet de la région Nord-Pas-de-Calais lors de l'audition ouverte à la presse du 13 mai 2011.

Les mesures de protection de la population, prises dans les jours qui ont suivi l'accident de Fukushima, sont à due proportion de la crise traversée, qui est directement liée à l'exposition du territoire japonais à des risques naturels de grande ampleur, que nous ne rencontrons pas dans les mêmes proportions en France, du moins sur le territoire métropolitain, où sont implantées nos installations nucléaires. Les mesures prises par les autorités japonaises pour faire face à la crise nucléaire ne devraient-elles toutefois pas inciter les pouvoirs publics français à engager un réexamen, non seulement de la sécurité des centrales nucléaires, mais aussi des réponses de sécurité civile telles qu'elles sont planifiées en France. Il pourrait s'agir, tout au moins, de mettre en oeuvre des tests de notre capacité à répondre à une échelle croissante de difficultés, ce qui rejoint la question, abordée ci-après, du dimensionnement des exercices réalisés pour tester les dispositifs existants.

Ø La maîtrise de l'urbanisation

Anticiper la protection des populations en cas de crise nucléaire pose la question de la maîtrise de l'urbanisation aux abords des installations nucléaires.

La loi permet en effet aux pouvoirs publics d'instaurer des servitudes d'utilité publique limitant ou interdisant les nouvelles constructions à proximité des installations nucléaires.

Or l'ASN souligne 30 ( * ) qu'au cours de ces dernières années, les projets d'urbanisation autour des sites nucléaires se sont multipliés. Un guide sur la maîtrise de l'urbanisation est en cours d'élaboration par l'autorité, afin notamment de préserver l'opérabilité des plans de secours.

L'enjeu serait à terme que les documents d'urbanisme prennent en compte les risques générés par les installations nucléaires.

Ø L'ampleur des mesures de protection de la population planifiées

Si l'on considère, à l'avenir, l'accident de Fukushima comme une hypothèse de travail, c'est-à-dire un scénario extrême de référence, notre planification accidentelle et post-accidentelle risque de paraître sous-dimensionnée.

Elle se fonde en effet sur des scénarios prenant peu en compte le risque de cumul de difficultés, ainsi que l'a souligné le sous-préfet de Dunkerque lors de l'audition du 13 mai 2001 : « aucun système national n'anticipe les effets cumulés car cela coûte trop cher. » .

La catastrophe japonaise se caractérise :

- d'une part, par l'occurrence simultanée de plusieurs types de risques naturels (séisme, tsunami) et technologiques (en conséquence des premiers) ;

- d'autre part, par la concomitance de plusieurs accidents nucléaires, puisque des difficultés ont été rencontrées sur plusieurs réacteurs, ainsi que sur les piscines d'entreposage du combustible. On a même craint, immédiatement après la catastrophe du 11 mars, que plusieurs centrales nucléaires japonaises ne soient accidentées.

En conséquence de cette crise d'ampleur exceptionnelle, des mesures de protection de la population elles-mêmes exceptionnelles ont été prises, immédiatement après l'accident.

Elles ont concerné un vaste périmètre (20 km pour l'évacuation, 30 km pour la mise à l'abri), trois fois supérieur au périmètre des mesures envisagées dans les PPI de nos réacteurs à eau pressurisée (10 km pour la mise à l'abri et l'ingestion d'iode stable, 5 km pour l'évacuation).

LES MESURES DE PROTECTION DE LA POPULATION PRISE PAR LE GOUVERNEMENT JAPONAIS À LA SUITE DE L'ACCIDENT DE LA CENTRALE NUCLÉAIRE DE FUKUSHIMA

A la suite du séisme et du tsunami du 11 mars 2011, le gouvernement japonais a évacué la population dans un rayon de 20 km autour de la centrale de Fukushima et demandé la mise à l'abri de la population présente dans le rayon entre 20 et 30 km. Il a ensuite étendu partiellement la zone d'exclusion à une liste de communes situées entre 20 et 30 km dont la contamination radiologique pourrait conduire à une exposition supérieure à 20 mSv sur un an.

Puis les autorités japonaises ont mis en place 3 zones afin de limiter l'exposition des populations : une zone « interdite d'accès », une zone d'évacuation planifiée et une zone d'évacuation préparée.

La zone « interdite d'accès » est la zone de 20 km évacuée dès le début de la crise. Les 78 000 personnes qui résidaient dans cette zone auront la possibilité de revenir temporairement à leur domicile pour une durée maximum de 2 h. Elles devront porter une combinaison, un dosimètre, et subiront un contrôle de radiation en ressortant de la zone. Les 6 000 personnes résidant dans un rayon de 3 km autour de la centrale ne bénéficieront pas de cette mesure à cause des débits de dose trop élevés.

La zone d'évacuation planifiée comprend les territoires au-delà des 20 km où la dose dépasserait 20 mSv pour les douze mois à venir du fait de l'exposition externe aux substances radioactives déposées dans l'environnement. La mise en oeuvre de cette évacuation est encore en cours.

La zone d'évacuation préparée correspond aux territoires compris entre 20 et 30 km non concernés par la zone d'évacuation planifiée ; les habitants de cette zone doivent être préparés à une évacuation en cas d'urgence. Les enfants, femmes enceintes, malades ne doivent pas rester dans cette zone, les établissements scolaires sont fermés.

Le 26 avril, il a été décidé que les animaux d'élevage présents dans la zone des 20 km seraient abattus.

L'expérience japonaise pose nécessairement la question du périmètre des PPI. Certes, les pouvoirs publics peuvent toujours adapter les mesures planifiées en fonction des situations réelles, mais avec les risques qu'implique une action sans planification préalable.

La question du périmètre d'administration de l'iode stable a été posée avant l'accident de Fukushima dans le contexte de l'abaissement du seuil d'intervention de 100 mSV à 50 mSV. L'IRSN considère que l'évolution des connaissances remet en cause les scénarios de référence initialement retenus pour la définition des PPI :

« L'évolution des connaissances depuis les années 80 conduit aujourd'hui à considérer qu'en l'absence de protection,(...), une dose à la thyroïde supérieure à 100 mSV pourrait être reçue jusqu'à une distance de l'ordre de 18 km de la centrale accidentée ; dans les mêmes conditions, une dose à la thyroïde supérieure à 50 mSV pourrait être reçue jusqu'à une distance de 25 à 30 km de la centrale accidentée. Dès lors, le choix d'une valeur de 50 mSV à la thyroïde impliquerait de vérifier que les mesures déjà prises (prédistribution, constitution de stocks) permettraient d'assurer une protection convenable jusqu'aux distances considérées, sachant que la cinétique des situations accidentelles (...) laisse un délai de l'ordre de 24 heures avant le rejet massif. ». Par ailleurs, l'IRSN note que des investigations nouvelles « devraient montrer que la valeur de 50 mSV à la thyroïde pourrait être dépassée en quelques heures pour certains scénarios considérés pour la phase réflexe des PPI, et sur une distance plus grande que l'actuel rayon de 2 km retenu pour cette phase réflexe. » 31 ( * )

La circulaire en préparation sur l'administration d'iode stable devrait permettre la mobilisation de 110 millions de comprimés d'iode dans un délai de 24 à 36 heures après un accident : 60 millions de comprimés seront disponibles dans une centaine de plateformes, sous la responsabilité de l'EPRUS 32 ( * ) et 50 millions de comprimés supplémentaires seront stockés dans des plateformes à l'échelon zonal.

On voit qu'en ce qui concerne la distribution d'iode, l'outil PPI est quelque peu dépassé.

Une réévaluation plus générale de cet outil est nécessaire :

- d'une part, les réflexions de l'IRSN sur la remise en cause des scénarios de référence initialement retenus pour la définition des PPI posent la question de leur dimensionnement notamment au regard des périmètres prévus pour la protection des populations ;

- d'autre part, les mesures prises par les autorités japonaises après l'accident de Fukushima, dans des périmètres plus vastes que ceux prévus par les PPI français, constituent un retour d'expérience à méditer.

b) La protection radiologique des intervenants

L'accident de Fukushima incite à s'interroger sur les conditions de mise en oeuvre des dispositions réglementaires précitées relatives aux interventions en situation d'accident, concernant notamment les « équipes spéciales d'intervention technique, médicale ou sanitaire préalablement constituées pour faire face à une situation d'urgence radiologique ».

Peu après l'accident de Fukushima, le directeur de la centrale nucléaire de Nogent déclarait, à propos de l'appel à des volontaires au sein du personnel en cas de conditions de travail très dégradées : « Il n'y a pas de liste préétablie (...). En général, le professionnalisme des gens fait qu'on trouve des volontaires. » 33 ( * )

Or comme il a été indiqué plus haut, lors de l'audition du 5 mai 2011, le représentant d'EDF a indiqué à votre mission : « les volontaires devront s'être déclarés et auront dû subir un suivi médical particulier avant l'accident ». En réalité, comme cela a été confirmé à votre mission lors de son déplacement à Fessenheim, les volontaires se déclarent auprès du médecin du travail, mais le directeur de la Centrale n'a pas connaissance du nombre ni a fortiori de la liste des salariés qu'il aurait à sa disposition en cas d'accident.

L'obligation de formation et de suivi d'équipes préconstituées pour intervenir en situation d'urgence radiologique n'incombe évidemment pas qu'à EDF mais aussi aux autres exploitants et aux pouvoirs publics pour ce qui est de la constitution d'équipes médicales et de secours. De façon générale, l'accident de Fukushima doit inciter à préciser les modalités concrètes de formation et de mobilisation des personnels susceptibles de travailler dans des conditions dégradées - voire d'ailleurs, lorsque c'est possible, d'utilisation de robots.

Il importe que les conditions de mise en oeuvre du volontariat en situation d'urgence soient testées lors d'exercices , car il s'agit évidemment de l'un des points clefs de la gestion d'une crise nucléaire.

c) La pertinence des mesures planifiées

Ce n'est pas seulement l'ampleur, mais aussi la pertinence des mesures prévues qui doit être évaluée.

- Les nouvelles technologies modifient les conditions de l'alerte et, au-delà, de la communication de crise , par rapport à ce qu'elle a pu être après l'accident de Tchernobyl. L'émergence d'une information très décentralisée et mutualisée transforme le contexte d'une éventuelle crise. Il n'est pas certain, par exemple, que les sites Internet de l'ensemble des autorités et organismes appelés à intervenir en cas de crise en France soient dimensionnés pour faire face à un événement majeur. L'IRSN a connu des difficultés informatiques, au plus fort de la crise de Fukushima, qui se déroulait pourtant à 10.000 km, car son site a atteint 1,5 million de connexions par jour contre quelques dizaines de milliers habituellement. Ces difficultés ont certes été résolues en quelques heures. A cet égard, les moyens d'alerte par le biais du téléphone filaire, des chaînes radiophoniques et de télévision, des sirènes et engins mobiles demeurent bien sûr indispensables car ils garantissent une information au plus près des populations concernées, et sont peu susceptibles de saturation comme peuvent l'être les réseaux Internet et mobiles.

Néanmoins, des conventions avec les opérateurs de téléphonie mobile, ainsi qu'une stratégie de communication sur internet et les réseaux sociaux, seraient des compléments utiles aux dispositifs décrits à votre mission.

Internet a aujourd'hui un rôle majeur à jouer, en cas de crise, pour conforter la crédibilité de la parole des autorités publiques. Cette parole doit être coordonnée, car il faut communiquer de façon cohérente pour que le recoupement des sources publiques et privées soit un facteur de pédagogie et permette la construction d'un « capital de confiance collectif » 34 ( * ) .

Cette nécessité est reconnue par l'exploitant, par exemple à Gravelines : « Avec 1700 salariés et plus de 2000 prestataires à certaines périodes de l'année qui disposent de téléphones intelligents, de Twitter et de Facebook, comment imaginer que l'information reste maintenue derrière des barbelés ? Ce temps est révolu. » 35 ( * )

La mise en place d'une force d'intervention , chargée de gérer la communication et d'anticiper les réponses à apporter aux rumeurs doit être envisagée.

Les mesures de protection de la population soulèvent également quelques interrogations :

- On considère généralement que la mise à l'abri est impossible au-delà de 48 heures tant pour des raisons psychologiques que parce que son efficacité tend à diminuer au fur et à mesure des rejets radiologiques. La population est mal préparée à cette consigne de mise à l'abri, comme l'a montré l'incident récent consistant en un déclenchement intempestif de l'alarme de la centrale de Golfech, qui a suscité l'incompréhension. Par ailleurs, comme cela a été mentionné par les services préfectoraux lors de l'audition du 13 mai 2011, on peut douter du respect de la consigne invitant les parents à ne pas venir chercher leur enfant à l'école.

- Dans l'hypothèse d'une évacuation , les exercices montrent que la population tend à partir spontanément, l'action des pouvoirs publics consistant alors à accompagner les flux, ce qui se révèlerait complexe dans des zones densément peuplées, si les voies sont bloquées par un trafic dense, éventuellement associé à une catastrophe naturelle . Les évacuations en car concernent pour l'essentiel les publics « captifs » (écoles, foyers...) ou les personnes âgées ou dépourvues de moyens de transport. La question des refus d'évacuation, qui s'est posée autour de Fukushima, est, par ailleurs, mal appréhendée.


* 30 Rapport de l'ASN sur l'état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2010.

* 31 Avis de l'IRSN sur le projet de décision concernant le niveau d'intervention relatif à l'administration d'iode stable en situation d'urgence radiologique.

* 32 L'établissement de Préparation et de Réponse aux Urgences Sanitaires (EPRUS), établissement public administratif créé par la loi du 5 mars 2007, est chargé de mettre en place un corps de réserve sanitaire et de gérer les stocks et la logistique d'approvisionnement des produits pharmaceutiques nécessaires en vue de répondre aux situations de catastrophe, d'urgence ou de menace sanitaires graves sur le territoire national ou à l'étranger.

* 33 L'Est-éclair, 19 mars 2011.

* 34 M. Jacques Repussard, directeur général de l'IRSN (audition ouverte à la presse du 5 mai 2011).

* 35 M. Jean-Michel Quilichini, directeur du CNPE de Gravelines (audition ouverte à la presse du 13 mai 2011).

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