PREMIÈRE TABLE RONDE : DÉROULEMENT DE L'ÉVÉNEMENT ET APPRÉCIATION DU RISQUE
Le point de vue des volcanologues
Nous abordons la première partie de nos travaux en écoutant tout d'abord le point de vue des volcanologues, représentés ici par M. Vincent Courtillot, directeur de l'Institut de physique du globe de Paris (IPGP) et par M. Patrick Allard, directeur de recherches à l'IPGP et au Centre national de recherche scientifique (CNRS), auxquels je souhaiterais poser plusieurs questions. Comment l'IPGP suit-il l'activité volcanique et les éruptions ayant un impact sur le trafic aérien ? Quelles relations entretient-il avec le réseau international des observatoires ? A quel moment a-t-il perçu que l'éruption pouvait perturber le trafic aérien ? Comment pouvait-on évaluer la nature et le volume des émissions et la répartition du nuage dans l'espace ?
M. Vincent Courtillot, directeur de l'Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP). Je commencerai donc par une présentation de l'éruption d'Eyjafjöll, que j'ai préparée avec Patrick Allard, présent à mes côtés, que vous verrez sur une photo à quelques dizaines de mètres de l'embouchure du volcan, et avec Steve Tait, directeur des observatoires volcanologiques de l'IPGP.
Statutairement, c'est à l'IPGP qu'a été confiée depuis plusieurs décennies la surveillance des volcans actifs du territoire national - le Piton de la Fournaise à la Réunion, la Soufrière de Guadeloupe et la Montagne Pelée en Martinique. Mais notre intérêt pour la recherche et la formation ne s'arrête pas aux volcans français. Nous avons une expertise et une expérience à l'échelle mondiale, de par notre participation active, depuis la fameuse éruption phréatique de la Soufrière de 1976, à l'Organisation mondiale des observatoires volcanologiques (WOVO), et surtout grâce à nos liens personnels et d'équipes avec les grands observatoires volcanologiques, en particulier en Italie, en Alaska et au Japon - pays dans lesquels la surveillance est d'ailleurs assurée de façon très différente, étant confiée soit aux géologues, soit aux météorologues.
En France, d'autres centres que le nôtre sont experts en volcanologie. Le principal est l'université et l'institut de physique du globe de Clermont-Ferrand, mais il y a également des équipes très actives à Chambéry, Grenoble, Orléans, Toulouse et, bien sûr dans nos îles volcaniques - nos universités des départements d'outre-mer sont associées à l'IPGP.
La communauté scientifique française avait une bonne connaissance de l'Islande et de l'Afar. Il existe deux types de volcans : les rouges, à lave fluide, considérés comme peu dangereux, dans lesquels se classent ceux d'Islande, de l'Afar et de la Réunion ; les noirs, à lave visqueuse, explosive, dangereux, tels que la Montagne Pelée, le Pinatubo, El Chichon, le Mont Saint-Helens. En Islande et en Afar, la particularité est que ce qui devrait être à 2000 mètres sous l'eau émerge : la dorsale qui sépare l'Amérique de l'Europe est poussée à la surface en un endroit qu'on appelle « point chaud » - qui a donc une activité volcanique renforcée.
Nous avions décidé à l'IPGP, tout à fait indépendamment de l'éruption islandaise, de constituer une « task force », c'est-à-dire une équipe d'intervention rapide pour aller non pas seulement sur les volcans du territoire français dont la surveillance nous est confiée, mais aussi sur des volcans étrangers dont l'observation peut être très riche d'enseignements.
Un précédent gouvernement avait supprimé le Conseil supérieur d'évaluation des risques volcaniques (CSERV). Une cellule de crise du centre ministériel de veille opérationnelle et d'alerte (CMVOA) s'est mise en alerte à partir du début de la deuxième phase de l'éruption.
De notre côté, nous avons eu des contacts directs avec le cabinet du Premier ministre. Le 15 avril, on nous a demandé officiellement d'aider à constituer et à coordonner une cellule de crise fonctionnant de façon ininterronpue. Nous l'avons mise en place immédiatement, mais je me dois de signaler que l'Institut de physique du globe n'a ni les moyens juridiques, ni les moyens financiers de constituer une telle cellule de crise - tout en souhaitant que l'expérience islandaise contribue à faire évoluer la situation.
Enfin il se trouve que, chance extraordinaire, nous avions convoqué à l'IPGP pour la première fois notre Conseil scientifique international des observatoires volcanologiques. Se trouvaient donc à Paris quatre grands volcanologues étrangers, dont le spécialiste islandais Freystein Sigmundsson. Empêché de rentrer dans son pays et donc « prisonnier » de notre institut pendant huit jours, il nous a fait grandement profiter de son aide, notamment en nous mettant en relation directe avec ses collègues. C'est ainsi que nous avons pu avoir accès sur nos iphones aux trémors du volcan, pratiquement en temps réel, ce qui a accru notre capacité à répondre aux demandes qui nous étaient faites.
L'Islande, entièrement faite de basalte, est traversée de failles et secouée de tremblements de terre. Les éruptions volcaniques sont fréquentes. En moyenne, une éruption du type de celle de l'Eyjafjallajoküll se produit une fois tous les dix ans, et ce sera le cas jusqu'à la nuit des temps. L'éruption du Laki en 1783 était d'une autre importance, et il s'en reproduira également de ce type.
Le cratère sommital de l'Eyjafjallajoküll est couvert d'un glacier de quelques centaines de mètres d'épaisseur. Ce volcan n'a eu que quatre éruptions au cours des mille dernières années, mais la dernière n'était pas du tout inattendue. Nos collègues islandais, qui n'en ont été nullement effrayés, l'avaient vu arriver depuis longtemps, ayant observé des crises volcaniques depuis 1994 et une augmentation de la sismicité durant plusieurs semaines avant le début de l'éruption. Cependant si l'augmentation brutale du nombre de séismes est un indicateur de l'arrivée d'une crise, elle ne permet pas d'en déterminer précisément le moment.
Nos collègues islandais ont également utilisé un autre indicateur, l'enregistrement GPS de la déformation du sol. Il a très clairement montré le gonflement du volcan, l'arrivée de l'éruption, la deuxième phase de l'éruption puis le dégonflement du volcan.
La première phase de l'éruption, du 20 mars au 12 avril, s'est caractérisée par l'émission d'un magma fluide, basaltique, en bordure Est du glacier - que plus de 25 000 personnes sont tranquillement venues regarder. Dans la phase majeure, celle à partir de laquelle l'alerte a été donnée, de mi-avril jusqu'en mai, la lave était plus riche en silice, donc plus visqueuse et explosive, et est entrée en interaction plus violente avec la glace.
C'est cette interaction du magma chaud avec la glace, conduisant au refroidissement et à la fragmentation du magma en particules très petites, qui a abouti à la formation d'un nuage épisodique, un panache d'une hauteur de plus de 9 kilomètres - soit, à quelques kilomètres près, l'altitude qui sépare la troposphère de la stratosphère. Or quand un volcan - ou l'activité humaine - émet des produits dans la troposphère, les effets sont locaux ou régionaux ; mais si ces produits atteignent la stratosphère, les vents stratosphériques peuvent les répartir sur un hémisphère entier, comme ce fut le cas avec l'éruption du Pinatubo aux Philippines il y a quelques années, voire sur la terre entière. L'altitude du panache est donc un élément particulièrement important.
Grâce à diverses collaborations, nous avons pu mesurer de nombreux éléments - les trémors, la déformation, la concentration en cendres volcaniques estimée à partir de données satellitaires. La détection du nuage volcanique a également été faite depuis le sol par l'équipe de Clermont-Ferrand à l'aide d'un radar particulier, le LIDAR 1 ( * ) , ce qui a permis de bien voir arriver le nuage au-dessus de l'Angleterre. D'autres données satellitaires ont permis de mesurer les quantités de SO2 volcanique émises.
Patrick Allard a approché de très près le volcan. Grâce à un instrument qu'il a mis au point avec nos collègues de Clermont-Ferrand, il a pu déterminer de façon assez précise la composition et le flux de ce panache, éléments très importants pour comprendre le fonctionnement du volcan et le devenir des cendres.
J'en viens à la réponse à la crise.
Le ministère a mis en place une cellule de crise, dans laquelle nous nous sommes impliqués avec les volcanologues des autres établissements, en liaison avec nos collègues islandais, de même que Météo-France, des laboratoires d'études atmosphériques comme le Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE) et le Laboratoire de météorologie dynamique (LMD), ainsi que les motoristes d'Air France. Nous avons organisé très rapidement, depuis l'IPGP, un système de téléconférences qui sont devenues très rapidement biquotidiennes, afin d'échanger les informations. Assurant cette veille vingt-quatre heures sur vingt-quatre par rotation, nous avons, avec l'aide d'un collègue, Guillaume Levieux, émis des rapports journaliers qui ont été envoyés à de très nombreux destinataires, dont toutes les tutelles. Par ailleurs, il y a eu des interventions sur le volcan : Patrick Allard s'y est rendu, mais cela n'a été ni très facile, ni très rapide - ce qui montre qu'il faudrait s'attacher à améliorer la capacité de réaction des intervenants comme des tutelles. Enfin, Météo-France a travaillé sur la simulation du parcours des cendres, et des vols tests ont été effectués - mais là encore, il n'était pas très facile de reprogrammer un avion et d'obtenir les autorisations.
Je tiens à souligner que des dizaines de jeunes gens et de jeunes femmes se sont portés volontaires, nuit et jour, pendant plus d'un mois, pour assurer une permanence. Ils se sont engagés dans cette opération sans rien demander, alors que rien ne les y obligeait. Pendant la crise, j'ai obtenu du cabinet du Premier ministre l'assurance que leur travail serait reconnu ; j'espère que cette promesse sera tenue et que l'on donnera à l'IPGP les moyens de les remercier - car nous ne disposons pas, contrairement à Météo-France, par exemple, d'un système de veille légal et rémunéré.
Par ailleurs, de nombreux établissements ont engagé de l'argent d'équipes de recherche qu'il était prévu d'utiliser autrement. C'est plus d'un demi-million d'euros qui, dans la période difficile que nous connaissons, manquent aux laboratoires de recherche. Sans doute n'est-ce pas beaucoup par rapport au 1,7 milliard de dollars de dépenses ou aux 170 millions d'euros de pertes des compagnies aériennes ; il reste qu'une compensation serait nécessaire.
Ce premier retour d'expérience que nous faisons aujourd'hui grâce à l'Office parlementaire sera suivi d'un autre à l'automne, à caractère plus scientifique. D'ores et déjà, j'ai dressé avec des collègues une liste non exhaustive des améliorations à rechercher.
Nous avons constaté les difficultés rencontrées pour déterminer la taille et la concentration des cendres, la lenteur de la mise en route de certaines expériences, parfois le manque de langage commun entre collègues scientifiques - entre chimistes et physiciens, entre géologues, volcanologues et météorologues ; mais ce langage a commencé à se construire, grâce à ce travail commun. Nous avons également vérifié que ce qui est démontré aux yeux des scientifiques ne débouche pas toujours sur la validation opérationnelle des outils.
Autre point sur lequel je tiens à insister : cette éruption n'est en rien exceptionnelle. En cela, c'est une magnifique expérience, sans danger, une chance à exploiter jusqu'au bout car il se produira des éruptions de ce type environ tous les dix ans. L'interaction avec la glace, la composition de la lave, la hauteur du panache, la direction des vents et l'évolution du trafic aérien se sont combinés pour nous donner l'impression que c'était la première fois qu'une telle crise avait lieu, mais en réalité des phénomènes analogues s'étaient déjà produits ; simplement, ils n'avaient pas eu les mêmes conséquences.
En 1783, l'éruption du Laki, également en Islande, fut d'une tout autre importance : la longueur de la fissure atteignait 15 kilomètres, la lave émise a dépassé la dizaine de kilomètres cubes - 10 000 fois plus que pour l'Eyjafjöll - , le quart de la population de l'Islande a succombé, les trois quarts du cheptel également ; et on vient de s'apercevoir que probablement 100 000 personnes en Europe étaient mortes en 1783-1784 à la suite de cette éruption, qui a affecté le climat de la totalité de l'hémisphère nord. Ce type d'éruption se reproduira aussi, peut-être tous les 500 ans ou tous les 1 000 ans. Si l'éruption du Laki se reproduisait aujourd'hui, aucun avion ne pourrait circuler dans l'Atlantique nord pendant une année entière au moins.
Nous devons mieux étudier et intégrer le risque volcanique en Europe, dans le cadre de scénarios qui peuvent affecter fortement les populations et les circuits économiques. Pensons aux volcans d'Islande, a priori peu dangereux, mais aussi aux volcans d'Italie, de Grèce, des Canaries ou des Açores, qui le sont beaucoup plus.
Point très positif, cette expérience aura aussi montré que nous avons su, en temps réel - en vingt-quatre heures -, constituer un réseau de compétences et de confiance qui n'existait pas auparavant, avec des partenaires dont beaucoup sont ici aujourd'hui. C'est une avancée majeure. On pourra améliorer le dispositif, mais il sera facile de le remettre rapidement en place.
Enfin, cette éruption me donne l'occasion d'évoquer le soutien financier des activités de surveillance. Dans le cadre du contrat quadriennal de l'IPGP avec le CNRS et son Institut national des sciences de l'univers, nos dotations pour la surveillance des volcans n'ont cessé de décroître très fortement au cours des quatre dernières années, le CNRS de l'époque - l'équipe a changé il y a quelques mois - ayant considéré que la surveillance n'était pas une activité de recherche. C'est juridiquement faux, l'IPGP étant sous la tutelle de la ministre de l'enseignement supérieur de la recherche et ayant cette mission. On pourrait cependant très bien concevoir que le financement qui relevait jusqu'à présent du CNRS et de l'enseignement supérieur provienne désormais du ministère chargé de l'environnement ou du ministère de l'intérieur ; encore faut-il que les décisions soient prises à temps. Nous tentons actuellement de mettre au point un accord tripartite entre les trois ministères mais force est de constater qu'en dehors des périodes de crise, les autorités pensent rarement à financer ce travail ingrat qu'est la surveillance.
Le point de vue des scientifiques de l'atmosphère
M. Christian Kert. Après le point de vue des volcanologues, nous en venons au point de vue des scientifiques de l'atmosphère.
Je m'adresse donc à M. François Jacq, président de Météo-France, et M. Alain Ratier, directeur général adjoint. Quel est le dispositif international de surveillance météo des panaches volcaniques ? Comment le panache de ce volcan a-t-il été suivi, par quelles observations et quels calculs ? Quel type d'informations délivrez-vous ? Quel message vos collègues des autres pays européens peuvent-ils délivrer ? Quelle est la précision des indications, quelle est la validité des prévisions ? Saviez-vous comment le panache évoluait, chimiquement et physiquement ? Bien entendu, je vous laisse libres d'évoquer d'autres questions qui vous paraîtraient importantes.
M. François Jacq, président de Météo-France. Je me bornerai, en essayant de répondre à vos questions, à traiter de l'appui météorologique à la gestion de la crise.
L'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) a réparti les responsabilités en matière de surveillance des cendres volcaniques, par grandes zones, entre des centres appelés VAAC. Ces centres ont un rôle consultatif d'appui à la gestion de crise par les autorités de la navigation aérienne. C'est ainsi que le centre en charge des volcans islandais est le VAAC de Londres, géré par le service météorologique britannique, le Met Office, qui a travaillé dans le cas de l'Eyjafjöll avec l'appui de l'IMO, institut islandais dont la compétence est à la fois météorologique, géologique et volcanologique. Pour sa part, Météo-France est en charge du VAAC de Toulouse, couvrant l'Afrique et une grande partie de l'Europe.
Dans une première phase, jusqu'au 19 avril, le centre anglais a utilisé le modèle NAME, modèle de dispersion lui permettant, à partir d'un taux d'émission normé, d'examiner comment les particules se diluaient dans l'espace et de déterminer les zones dans lesquelles la présence de cendres était probable. En effet, si on savait bien que les cendres étaient en principe gênantes pour les avions, on ne savait pas encore dire à partir de quelle concentration ou de quel seuil.
A partir du 19 avril, le VAAC de Londres est passé de la détermination de zones où la présence de cendres était probable à la délimitation de zones définies à partir d'un certain niveau de concentration, avec un seuil de vulnérabilité fixé à 2 mg/m 3 proposé à l'issue d'une concertation avec les motoristes, pour définir les zones de non-vol.
Au-delà de ces modèles, tous les outils d'observation ont été mobilisés - outils de repérage globaux comme les satellites, mais aussi avions de recherche pour, là où la présence de cendres était suspectée, faire des prélèvements et mesurer in situ des quantités et des concentrations.
Nous avons par ailleurs constaté une grande concordance entre les prévisions de zones de concentration faites avec leurs modèles respectifs par le VAAC de Londres, par Météo-France - modèle MOCAGE - et par nos collègues canadiens du VAAC de Montréal.
Quelle a été l'implication de Météo-France dans cette affaire ?
Nous avons activé le VAAC de Toulouse, notamment pour produire des cartes de taux de dilution, puis de concentration, afin d'aider la Direction générale de l'aviation civile dans la gestion de la crise, et pour être prêt à tout instant à assurer notre rôle de secours du VAAC de Londres. Bien entendu, nous avons essayé de maintenir la meilleure coordination possible avec le VAAC de Londres et l'IPGP.
Par ailleurs, nous avons continué à jouer notre rôle en matière de météorologie aéronautique, en émettant des messages et avertissements - appelés SIGMET.
Je n'insiste pas sur notre rôle d'appui à la DGAC et à la gestion interministérielle de crise. Nous avons aidé à la mise en place d'une stratégie pragmatique de gestion, et notamment au choix des corridors et des zones de vols tests.
Enfin, nous sommes intervenus en partenariat avec la communauté de recherche dans le cadre de SAFIRE - unité mixte CNRS, CNES et Météo-France - qui exploite les avions de recherche français. Des vols ont eu lieu, lorsque c'était possible, dans les endroits où l'on pensait qu'il y avait des cendres. Tout à fait en fin de crise, ces vols ont permis, en partenariat avec l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS), d'avoir des indications sur la teneur chimique des cendres.
Le 16 avril, nous avons pu observer l'arrivée d'une couche de cendres au-dessus de Paris, que les divers outils avaient permis de prévoir. C'est à ce moment que les aéroports parisiens ont été fermés.
Quels enseignements tirer de tout cela ?
Nous avons vécu une crise exceptionnelle, du fait de la densité habituelle du trafic dans cet espace aérien et de divers paramètres qui ont compliqué la situation.
Pour l'avenir, le premier impératif me paraît être la connaissance des seuils de vulnérabilité, l'appréciation de la gravité du phénomène et de ses conséquences sur le fonctionnement des avions conditionnant évidemment les stratégies à mettre en place.
On peut ensuite formuler le problème en termes de prévision de la concentration, mais l'amélioration de la prévision suppose, d'une part, une parfaite connaissance du terme source en temps réel et, d'autre part, la disponibilité d'observations de concentration en 3D. C'est le deuxième axe de progrès.
Aucun outil d'observation ne peut à lui seul apporter des réponses suffisantes. Cela dit, je tiens à souligner l'apport des lidars - spatiaux, aéroportés et au sol -, capables de caractériser la répartition verticale des cendres.
Enfin, je souscris aux propos de Vincent Courtillot sur les moyens : notre intervention, dans le cadre de SAFIRE, m'a contraint, en accord avec le CNRS et le CNES, à annuler d'autres missions scientifiques et à mobiliser du personnel. Je pense également que cette question relève d'un traitement de niveau interministériel.
Le point de vue des industriels de l'aéronautique
M. Christian Kert. Après ces deux exposés scientifiques, nous allons écouter le point de vue des industriels de l'aéronautique, représentés ici par M. Claude Lelaie, d'Airbus, et M. Jacques Renvier, de Snecma. Quels sont les dangers réels de ces panaches volcaniques, selon la nature des cendres et leur densité ? Quelle expérience en a-t-on ? Pourquoi l'industrie aéronautique n'a-t-elle pas fixé des seuils au plan international ? Dans un grand quotidien parisien, des scientifiques ont affirmé de manière assez catégorique que les tempêtes de sable pouvaient être au moins aussi dangereuses pour les aéronefs que les cendres volcaniques : qu'en est-il ?
M. Claude Lelaie, Head of Product Safety d'Airbus. Je laisserai Jacques Renvier répondre au sujet de l'effet sur les avions, puisque le problème concerne les moteurs. Je voudrais pour ma part revenir sur ce qui s'est passé et sur les raisons pour lesquelles on en est arrivé là.
Cette crise résulte d'une totale incompréhension. Les Anglais ont fixé à 200 microgrammes par mètre cube la concentration de particules permettant de dire qu'on était en présence d'un nuage de cendres. L'OACI interdisant de voler dans des cendres, l'interdiction s'est appliquée dès cette concentration détectée. C'était une situation absurde : nous avons volé le 16 avril avec l'A340-600 et avec l'A380, alors que l'espace aérien français était quasiment fermé ; il y avait un grand ciel bleu sur tout le Sud de la France, 300 kilomètres de visibilité... et on considérait que nous étions dans un nuage de cendres ! Faute de consultation préalable, les concentrations fixées par les Anglais étaient sans rapport avec ce que les moteurs et les avions pouvaient supporter.
Les constructeurs d'avions et de moteurs ont travaillé ensemble. Dès le 19 avril, nous nous sommes mis d'accord pour fixer à 2 milligrammes par mètre cube - soit dix fois plus - le niveau limite de concentration acceptable pour voler en sécurité.
On parle beaucoup de modèles, mais dans l'industrie, on ne peut pas utiliser un modèle sans l'avoir vérifié. Le modèle de calcul des concentrations n'a jamais été validé : personne n'est entré dans le nuage pour mesurer la concentration. C'est là le fond du problème. Les avions qui ont fait de la recherche, qu'ils soient français, anglais ou allemands, n'ont en fait servi à rien car ils ne sont pas entrés dans la zone critique dite zone noire, la no flight zone .
Dans la deuxième phase de la crise, nous avons considéré qu'il fallait aller voir ce qui se passait dans cette no flight zone ; nous étions prêts à sacrifier pour cela deux gros moteurs d'un A340-600. Nous avons donc mis au point un protocole d'essai avec Rolls Royce pour faire voler cet avion dans les conditions les plus critiques. Nous avons voulu aller à mi-chemin entre l'Écosse et le volcan, dans la zone noire. Comme nous n'avions pas, à bord, de système de mesure de concentration, nous avons décidé de nous faire accompagner par l'avion anglais. Mais celui-ci a refusé de rentrer dans la zone noire... Nous avons néanmoins mené notre expérience, mais nous n'avons finalement rien pu tirer de ce vol puisque, si nous avons constaté l'absence de dommages sur l'avion, nous ignorions le taux de concentration auquel il avait été confronté. Des analyses postérieures - par des modèles - ont conclu que l'avion ne devait pas être dans la zone noire... Soit ! Mais nous avions dépensé des sommes considérables, fait vingt heures de vol sur des avions d'essai - dont l'heure de vol est trois fois plus chère que celle d'un avion de ligne - pour rien ! Airbus est prêt à mettre de l'argent sur la table, mais il faut que cela serve à quelque chose. Si on ne sait pas associer un type de dommages à un moteur à un niveau de concentration, on ne progressera pas. C'est d'ailleurs pourquoi nous sommes en train de nous équiper pour le futur.
Enfin, en mai, nous avons conclu que l'avionneur que nous sommes s'alignerait sur la position des motoristes : pour des moteurs Rolls Royce, c'est Rolls Royce qui définira les concentrations acceptables, pour un moteur CFM, ce sera CFM.
M. Jacques Renvier, directeur adjoint R &T de Snecma. L'expérience a montré que la traversée de nuages visibles à forte concentration était un risque pour la sécurité des vols, bien qu'il n'y ait jamais eu d'accident d'avion associé aux cendres.
Les trois modes d'endommagement les plus importants d'un moteur par ingestion de cendres volcaniques sont les suivants.
D'abord, l'accumulation de cendre vitrifiée sur les distributeurs de turbines haute pression, qui forment une couronne derrière la chambre de combustion : les particules fondent en traversant la chambre de combustion, où la température avoisine les 1 400 degrés. Au sortir de la chambre de combustion, la silice se dépose sur les bords d'attaque des aubages et obture progressivement le canal de passage de l'air ; le compresseur à haute pression va donc produire des efforts accrus pour faire passer le débit nécessaire à la poussée. A partir d'un certain moment, le compresseur va devenir instable aérodynamiquement, incapable de fournir le débit d'air. On rentre alors dans des phases de pompage. Le moteur peut aller jusqu'à l'extinction, on perd la poussée et il faudra rallumer. Heureusement, quand le moteur s'éteint, la gangue vitrifiée repasse par un cycle thermique qu'elle a du mal à supporter ; elle se brise, ce qui redonne un peu de marge au moteur pour repartir.
Le deuxième risque est l'usure des aubes de compresseurs à haute pression. C'est à cet endroit du moteur que les températures sont les plus fortes et les vitesses de rotation les plus importantes. Sous l'effet de la silice, ces aubes s'usent et perdent leurs caractéristiques aérodynamiques. Elles deviennent incapables de fournir les performances qu'on leur demande. Le compresseur entre en dysfonctionnement aérodynamique et dans une phase de pompage. Il ne peut plus fournir pression ni débit. Là encore, le moteur va s'éteindre et on va perdre la poussée.
Enfin, il peut y avoir endommagement par pollution et obturation des circuits de refroidissement et de ventilation. Il en résulte une surchauffe des pièces, des brûlures et un endommagement progressif du moteur.
Les conséquences opérationnelles de ces endommagements sont de deux types. Dans les deux premiers cas, il peut y avoir perte de puissance brutale et simultanée des moteurs, ce qui constitue un vrai problème de sécurité. Dans le troisième cas, l'usure prématurée du moteur pose plutôt le problème de la maintenance et de son coût.
La sévérité des dommages que subissent les moteurs exposés aux cendres volcaniques est fonction de plusieurs facteurs. D'abord, la composition physico-chimique des cendres et leur concentration. Ensuite, la durée d'exposition du moteur aux cendres et son régime de fonctionnement : à cet égard, nous avons des consignes très strictes, établies en liaison avec l'OACI depuis de très nombreuses années - il ne faut pas entrer dans un nuage visible, où le moteur est le plus en danger, et si on y entre, il est recommandé de placer tout de suite le moteur au ralenti, afin de diminuer la température de la chambre de combustion et d'éviter l'agglomération des particules sur les distributeurs, puis de sortir dès que possible. En troisième lieu, la conception du moteur : les moteurs modernes fonctionnant à des températures élevées pour réduire la consommation de carburant, les systèmes de refroidissement sont plus complexes. Enfin, bien sûr, l'état d'usure du moteur avant la rencontre avec les cendres.
Il est important de souligner qu'il n'y a pas d'impact opérationnel immédiat connu à une distance supérieure à 1 000 kilomètres du volcan.
Quelle expérience avons-nous de tout cela ?
Un groupe de travail de motoristes continue à fonctionner sous la houlette de l'Agence européenne de sécurité aérienne (AESA). Sur les cinquante-cinq cas de rencontre de volcan notifiés, cinq ont conduit à des arrêts en vol. En approche d'Anchorage, par exemple, lors de l'éruption du mont Redoubt en 1989, sur un Boeing 747 équipé de moteurs GE CF6, il y a eu perte de la poussée, pompage et dévissage du moteur, à 150 km du volcan. En Indonésie, lors de l'éruption du mont Galunggung en 1982, sur un B747 équipé de moteurs RR RB211, il y a eu jusqu'à sept tentatives de rallumage avant que les moteurs ne redémarrent, et une perte d'altitude de l'ordre de 15 000 pieds. Dans le cas du DC8 CFM56 2, avion de la NASA qui, en 2000, au cours d'un vol d'essai scientifique, a traversé par inadvertance, de nuit, un petit bout du nuage, assez loin du volcan ; la concentration était faible, un moteur a été plus endommagé que les trois autres mais l'avion a pu continuer son vol sans problème particulier.
A la suite de la définition des zones, nous avons recommandé à nos clients des inspections visuelles et des inspections plus approfondies des avions volant en zone EPZ ( Enlanced Procedure Zone - Zone à procédure de sécurité renforcée). Ni Rolls Royce ni nous-mêmes n'avons constaté de dommages significatifs sur les moteurs ; aucune inspection n'a conduit à une dépose. Cela tend à prouver que les calculs du Met Office ont surestimé la concentration moyenne de particules.
Nous manquons d'éléments quantitatifs sur les moteurs pour fixer des limites de concentration car notre travail a porté, au cours des quarante dernières années, sur les techniques d'évitement du nuage. Le seuil de 2 milligrammes par mètre cube d'air a été fixé, difficilement, entre tous les motoristes. Il s'appuie notamment sur quelques essais d'ingestion de sable mais l'AESA, à juste raison, n'a pas accepté cette limite en tant que telle, car nous n'avions pas de dossier technique permettant de savoir précisément pendant combien de temps on pouvait faire tourner un moteur dans cet environnement.
Le point de vue du régulateur du transport aérien
M. Christian Kert. Nous poursuivons avec le point de vue du régulateur du transport aérien, représenté par M. Patrick Gandil, directeur général de l'aviation civile (DGAC), Mme Florence Rousse, directrice de la sécurité civile, et M. Maurice Georges, directeur des services de la navigation aérienne.
Comment, pour vous, l'événement s'est-il déroulé ? Comment pouviez-vous apprécier le risque ? De quels outils opérationnels disposiez-vous pour y répondre ? Avez-vous mandaté une mission de retour d'expérience en France et en Europe ?
M. Patrick Gandil, directeur général de l'aviation civile (DGAC). Je vous parlerai d'abord du déroulement de la crise vu de la DGAC, avant d'examiner les principes de gestion qu'il conviendrait d'adopter dans l'avenir face à une crise du même type.
La crise, vue de la DGAC, se résumait à ce problème simple : doit-on interdire ou autoriser le vol des avions dans l'espace aérien français ? Nous avons évidemment participé aux réflexions sur les moyens de faire revenir les passagers bloqués, mais ce que nous pouvions faire de plus utile en la matière, c'était de remettre des avions dans le ciel et d'assurer à nouveau la liaison entre Paris et les aéroports du Sud puis ceux du reste du monde.
L'éruption a lieu le 14 avril. Le 15, on commence à fermer l'espace aérien au nord de la France - une partie de l'Europe avait déjà commencé à le faire. Le vendredi 16, on ferme progressivement la totalité de l'espace aérien français ; à un moment, seul l'aéroport de Nice reste ouvert.
Cette fermeture était-elle justifiée ? C'est une bonne question a posteriori, mais je pense que personne, dans le monde de l'aviation, n'aurait pris une décision différente. Une carte produite par le centre météorologique indiquait la présence de cendres, les recommandations de ne pas voler dans les cendres étaient claires : il était normal, s'agissant d'une industrie à haut niveau de sécurité, de commencer par arrêter les vols et de réfléchir ensuite.
En ce qui me concerne, j'étais bloqué à New York, d'où je suis revenu dans la journée du samedi. Ce retour m'a permis de voir en détail comment travaillait l'équipage et de quelles informations il disposait. J'ai pu faire d'autres observations dans mon voyage entre Nice et Paris. J'ai ainsi bénéficié d'une information sur le déroulement de la crise, vu d'un cockpit, que d'autres collaborateurs ne pouvaient pas avoir.
Une téléconférence avait été initiée par l'autorité britannique de sécurité, la CAA ( Civil Aviation Authority ), qui a commencé à travailler avec les avionneurs et les motoristes. C'est alors qu'a été avancé le seuil de 2 milligrammes par mètre cube. La cellule de crise ministérielle a été instituée à ce moment-là.
Je ne voyais aucun élément d'encouragement : personne, évidemment, ne pouvait nous dire quand l'éruption s'arrêterait ; certes il n'y avait pas eu de mort, mais des dizaines de milliers de Français et des Européens encore bien plus nombreux étaient bloqués un peu partout dans le monde, souvent dans une situation très difficile ; l'aviation européenne était en train, pour cause de rupture de paiements, de se détruire petit à petit. On ne pouvait pas, sans être totalement sûr du danger, s'installer dans cette situation. Voilà pourquoi nous avons réagi dès le dimanche matin, avec Air France et notamment avec l'un de ses responsables, M. Alain Bassil. D'un commun accord, nous avons lancé des vols d'évaluation. Il s'agissait d'observer les moteurs, tant pendant le vol, grâce aux différents moyens de mesure, sous la surveillance d'un pilote de l'OCV (Organisme de contrôle en vol) de la DGAC, qu'après le vol. Avec les techniques dites de boroscopie, on examine en détail l'intérieur du moteur et tous ses orifices. Nous aurions ainsi pu voir, s'il y avait eu des traces de cendre cristallisée ; mais nous n'avons rien vu du tout.
Après ces essais le dimanche, nous étions confortés dans l'idée que l'on pouvait probablement voler. Nous avons donc fait des vols d'essai aux limites du nuage - telles qu'elles apparaissaient sur les cartes météo -, sur une ligne Bordeaux-Toulouse. Ensuite, nous avons fait d'autres vols d'essai entre Paris et les différents aéroports du Sud. Nous n'avons rien trouvé non plus.
Aussi avons-nous, dès le lundi, fait réaliser des vols à vide - dont nous avions absolument besoin car les aéroports du Sud étaient encombrés d'avions. Nous avions aussi la possibilité de relancer les vols de fret. Le même jour, sur la base de nos propositions, le Premier ministre et les ministres nous ont autorisés à relancer le trafic, en nous demandant d'essayer de le faire dans un cadre européen en persuadant nos collègues des pays voisins.
Dès le mardi, donc, la totalité de la flotte long courrier d'Air France et une partie de celle des autres compagnies françaises étaient en vol. Certes, la flotte long courrier ne représente que le quart de la flotte : nous étions loin d'avoir un trafic normal ; mais c'était le moyen le plus efficace pour aller rechercher nos passagers bloqués. Le mercredi, la situation s'était beaucoup améliorée. Le jeudi, la flotte moyen courrier était en vol. Le vendredi, la situation était revenue à peu près à la normale.
Comment avons-nous conçu notre logique de surveillance ?
Surtout pas à partir des chiffres que nous pouvions avoir : les chiffres des motoristes sont sûrement précis, mais la question leur est mal posée. On l'a bien entendu dans l'exposé de M. Renvier : pour certains événements, il nous parle de risques pour le vol - extinction des réacteurs -, pour d'autres il nous parle de désordres ou d'usure des moteurs et de problèmes de maintenance. Or la responsabilité de la DGAC est d'assurer la sécurité des passagers et de l'équipage. L'usure des moteurs est un problème important, mais qui ne relève pas de nous. Je me méfiais donc un peu du chiffre - si précis - de 2 mg par m 3 . De leur côté, nos collègues de la météo nous disaient que leurs informations étaient à un facteur 10 près. Cette discordance entre les données techniques des motoristes et les données météorologiques posait un réel problème. Quand on passe, sur les cartes météo, de 2 mg à 20 mg, on traverse l'Atlantique ! Une variation sur une échelle de 1 à 10 change absolument tout ; cette incertitude rend les chiffres inutilisables pour l'exploitation de l'aviation.
Par ailleurs, je ne crois pas du tout qu'un chiffre instantané de densité nous soit très utile, et cela pour plusieurs raisons.
S'agissant tout d'abord des conditions d'exploitation, la situation est très différente selon que l'avion passe dans la zone de cendres pendant quelques minutes ou fait un vol en croisière. Il se trouve que, dans l'événement que nous avons eu à gérer, les cendres se sont toujours situées au-dessous du niveau 200. Or à part quelques petits avions turbo propulsés volant en grande partie au-dessous de ce niveau, la quasi-totalité des avions de ligne étaient appelés à traverser la zone en un temps relativement bref, puis à voler en croisière dans un air qui, au sens des modèles, était totalement libre de cendres. J'aurais probablement eu une attitude différente s'il y avait eu une certaine concentration de particules entre les niveaux 300 et 350 ou 400, c'est-à-dire au niveau des vols en croisière transatlantique - car le temps d'exposition, au lieu d'être de quelques minutes, aurait été de cinq ou six heures, ce qui aurait tout changé. En l'occurrence, il s'agissait de cendres de basse altitude, qui pouvaient être traversées relativement rapidement.
Nous ne progresserons dans nos méthodes d'analyse et de prévision que si la question posée aux motoristes concerne d'abord la sécurité du vol - peut-il y avoir un effet instantané pendant le vol ? - et non l'usure des moteurs. D'autre part, nous avons besoin d'un couplage entre la concentration et le temps d'exposition pour, ensuite, croiser les informations des cartes météo avec les types d'exploitation.
Enfin, il faut savoir comment sont faites ces cartes météo. Elles partent d'une évaluation du débit du volcan, forcément imprécise, à laquelle on applique un modèle de diffusion pour faire apparaître des courbes de niveau de concentration. Mais toutes les observations, qu'elles aient été faites au radar météo ou au lidar, montrent que le nuage se déplace par bancs et que sa concentration n'est pas du tout homogène. Le modèle dont on dispose est donc fruste.
Que peut-on envisager pour l'avenir ?
D'abord, il faut que la question soit bien posée, avec précision. Les motoristes doivent se doter petit à petit de moyens d'expérimentation pour arriver à mesurer et qualifier le phénomène, mais dans un tel domaine l'expérimentation n'est pas facile - car tout dépend de la forme des cendres, de leur taille, du chimisme, des débits... Il faut aussi bien préciser le type de moteurs sur lequel on travaille : les moteurs qui m'intéressent sont ceux des avions de ligne usuels, mais ils sont très différents de ceux des avions militaires, qui ont rencontré des problèmes différents. C'est pratiquement un nouveau point de certification que nous demandons aux motoristes d'imaginer, mais cela demandera du temps.
La méthode que nous avons choisie est la suivante. Au moment où le nuage apparaît dans une zone où l'on vole, il n'est pas immédiatement très concentré ; la concentration augmente au fur et à mesure que le coeur du nuage approche. A ce stade, il n'y a absolument aucun risque pour les personnes. En revanche, on peut exercer une surveillance renforcée des moteurs, en utilisant tant les systèmes de télétransmission dont les avions sont équipés que la boroscopie. Tant que les moteurs reviennent intacts, on continue à voler. Le jour où l'on constate un problème, on prend le temps d'examiner la situation et d'en tirer les conséquences.
Cette méthode très pragmatique est aussi très efficace - car il n'y a aucune raison que le deuxième ou le troisième avion ait un comportement différent du premier. Et suivant que l'on est confronté à un phénomène météorologique assez stable ou plus chahuté, on module le nombre de contrôles sur les avions et sur les moteurs. Il n'y a pas d'autre vraie méthode - puisque les chiffres sont à un facteur 10 près.
Pour autant, je ne suis pas sûr du tout que ce que je dis maintenant sera adapté aux prochaines crises.
Nous avons assisté à deux phénomènes différents à la mi-avril et au début du mois de mai. A la mi-avril, il y avait une petite zone fortement concentrée, qui correspondait aux zones noires sur les cartes du VAAC, et une très grande zone rouge autour, qui occupait une partie de l'Europe. Au début du mois de mai, il y avait, avec les mêmes codes de couleur, une immense zone noire, avec un tout petit liseré rouge autour. En examinant de plus près cette zone noire avec le VAAC et Météo France, qui nous ont donné des distributions de concentrations, on a vu en fait une petite tache noire concentrée sur le volcan, une tache gris foncé peu importante et une énorme tache gris clair. C'est dans cette tache gris clair que nous avons essayé, de façon très pragmatique et au début avec une grande prudence, d'aller voler. Est-ce que la troisième crise se caractérisera par une distribution très différente ? Je n'en sais rien, mais elle peut survenir rapidement et il faut s'y préparer car nous sommes désormais dans une ère de trafic aérien intense.
Les pays européens n'ont malheureusement pas tous eu la même approche de la crise. L'Agence européenne de sécurité aérienne nous a cependant proposé une méthode qui semble acceptable par la majorité d'entre eux. Il reste que s'il peut y avoir une coordination sur les règles, on ne peut pas l'envisager sur les résultats opérationnels : on ne va pas fermer des endroits où le nuage ne se trouve pas.
J'aimerais, pour terminer, lancer une idée. L'aviation est confrontée à un autre phénomène dangereux bien connu : celui des orages. S'il n'est pas recommandé de voler dans les cumulonimbus, on n'interdit pas de voler dans certaines zones au motif d'un risque d'orage - et pourtant, la prévision des orages est précise. La raison en est que le pilote dispose à bord d'un radar météo qui lui permet de repérer les phénomènes de turbulences et, ensuite, de négocier avec le contrôle aérien l'endroit où il devra passer. Dans le cas d'un nuage volcanique, la situation est différente : le pilote ne dispose d'aucun instrument de bord pour repérer les cendres. Si ces phénomènes deviennent importants au fur et à mesure du développement de l'aviation, ne faudrait-il pas avoir à bord des instruments de visualisation ?
Le point de vue des professionnels du transport aérien
M. Christian Kert. Les professionnels du transport aérien vont maintenant nous apporter leur témoignage. Ils sont représentés par M. Fabio Gamba, secrétaire général adjoint de l'Airlines European Association (Association européenne des compagnies aériennes), M. Patrice Hardel, directeur de l'aéroport de Paris-Charles de Gaulle, M. Franck Goldnadel, directeur de l'aéroport de Paris-Orly, M. Jocelyn Smykowski, président du Syndicat national des pilotes de lignes (SNPL), Louis Jobard, président du SNPL Air France ALPA et M. Jean-Marc Roze, secrétaire général du Syndicat national des agences de voyages.
M. Fabio Gamba, secrétaire général adjoint de l' Airlines European Association (Association européenne des compagnies aériennes) . Avant de développer mon propos, je voudrais dire d'emblée qu'il faut plus d'Europe, et une Europe plus intelligente.
Durant la crise et postérieurement à celle-ci, l'AEA a soutenu que le modèle de dispersion utilisé par le VAAC de Londres et les tests auxquels il a procédé pour recouper les prévisions ne pouvaient pas constituer une base suffisamment solide pour justifier une fermeture quasi complète de l'espace aérien. Avec des instruments et des procédures adéquats - qui existent -, nous aurions pu éviter la paralysie des vols sans aucunement mettre en péril la sécurité, à l'instar d'autres régions dans le monde, qui connaissent des activités volcaniques autrement plus fréquentes et virulentes - je pense notamment à l'Indonésie, à l'Alaska, aux îles Hawaï ou aux îles Kouriles. Bien sûr la nature des éruptions volcaniques peut être différente, mais il est intéressant de constater que les éruptions volcaniques qui se produisent partout dans le monde - y compris dans le sud de l'Europe - n'entraînent pas systématiquement la fermeture de l'espace aérien.
Nous avons proposé durant la crise, et nous continuons à proposer en accord avec la Commission européenne et l'AESA, une procédure nouvelle au niveau européen qui tienne davantage compte de l'expérience de gestion de crise comme de l'expérience des pilotes et de leur compagnie. Les pilotes, notamment, sont formés à éviter toutes sortes de risques comme les cumulonimbus et les orages, les vents violents ou les bancs d'oiseaux.
Je déplore qu'il y ait eu peu de dialogue. Force est de constater également que ce n'est que sous l'impulsion de plusieurs compagnies aériennes, dont Air France-KLM, Lufthansa et British Airways, qu'au moyen de vols d'observation, on a pu se rendre compte que des portions de l'espace aérien avaient été déclarées contaminées à tort. Cela nous a conduits à souhaiter une meilleure diffusion de l'alerte dans les premières heures de l'éruption, notamment quand elles sont dangereuses - comme celle de la Soufrière de Montserrat au mois de février dernier, à la différence de celle de l'Eyjafjöll -, plus d'observations et moins de modèles virtuels pour le suivi du nuage de cendres, le recours aux technologies qui ont fait leurs preuves et des progrès dans les techniques de mesures d'observation, notamment satellitaires. Dans ce dispositif, le rôle des compagnies aériennes et des pilotes est crucial.
S'agissant des passagers, on a beaucoup parlé de leur perception des choses ; je voudrais pour ma part parler plutôt de faits. Actuellement, le règlement européen (CE) 261/2004 du 11 février 2004 donne à tout passager bloqué le droit à une explication objective de la situation et à une compensation ou une prise en charge proportionnée à son dommage si les faits sont imputables à la compagnie. Or en l'occurrence, nous n'avions pas les éléments nécessaires pour fournir ces informations et, bien sûr, les faits ne pouvaient pas nous être imputés.
Une compagnie aérienne ne peut pas être tenue responsable en tous temps, en toutes circonstances, et pour une durée inconnue à l'avance. Le règlement européen, et c'est sa faiblesse, ne définit pas les circonstances extraordinaires. Il génère des attentes presque malsaines, en tout cas déraisonnables, chez les passagers bloqués. Il serait important de trouver avec les différents partenaires, notamment la Commission européenne, un terrain d'entente pour le réviser.
Air France est parvenue à une solution qui nous a semblé appropriée, en accord avec l'association UFC - Que choisir . Mais dans toute l'Europe, chaque pays, chaque compagnie aérienne, chaque association de passagers a essayé d'en trouver une. De ce fait, et en raison de l'imprécision du règlement CE 261/2004, les passagers ont du mal à savoir ce qu'ils doivent faire et comment ils peuvent se retourner soit vers les compagnies aériennes, soit contre l'État ou une quelconque institution. Le futur règlement européen devra prévoir ce type de situation.
M. Patrice Hardel, directeur de l'aéroport Paris Charles de Gaulle. Gérer les crises et les rendre aussi peu visibles que possible fait partie de notre travail. Celle-ci était si exceptionnelle que sa gestion en était, pour ainsi dire, plus simple, en l'absence des passagers - bien qu'elle ait eu lieu à une période de grande pointe. Nous avons cependant dû trouver, avec les autorités de l'État, des solutions à des situations de détresse particulières.
La coordination avec la DGAC et les autres autorités publiques a très bien fonctionné. Nous n'avons pas rencontré de difficultés particulières pour être prêts à redémarrer dès la réouverture de l'espace aérien. En revanche, la réouverture temporaire qui a eu lieu le deuxième jour de la crise - le vendredi - a été difficile, car le transport aérien exige d'anticiper l'information des passagers et la logistique. De telles fenêtres, certes commodes pour permettre aux passagers de voyager, posent donc des problèmes et risquent même de provoquer des émeutes si certains voient les autres partir sans pouvoir le faire eux-mêmes.
M. Franck Goldnadel, directeur de l'aéroport d'Orly. La coordination avec l'aviation civile s'est faite dans le cadre de points pluriquotidiens. Au début de la crise, compte tenu de l'incertitude quant à la durée de l'interruption, les annulations étaient décidées pour des durées très courtes, ce qui obligeait à n'en avertir les passagers que lorsqu'ils étaient déjà sur place. Puis, l'aviation civile - en cela plus rapide que d'autres autorités - a annoncé des délais plus longs, ce qui a permis aux compagnies aériennes et aux passagers de prendre des dispositions et a limité l'affluence dans les aérogares.
Nous nous sommes concentrés sur l'information des passagers, par tous les médias, en insistant sur le fait qu'ils ne devaient se rendre sur les plates-formes aéroportuaires qu'après avoir obtenu des compagnies aériennes confirmation de la reprise de l'activité. Malgré la fermeture de l'espace aérien, des passagers étaient présents dans les aérogares, car certaines compagnies ont recouru à l'intermodalité pour profiter de l'ouverture de certaines plates-formes de province.
Il faut enfin souligner toute l'énergie déployée par les partenaires du transport aérien pour faire redémarrer en quelques heures une machine très complexe, compte tenu également de la priorité donnée par le Gouvernement aux vols long-courrier et au rapatriement des passagers étrangers bloqués en France et des passagers français bloqués à l'étranger.
M. Jocelyn Smykowski, président du Syndicat national des pilotes de ligne. L'autre représentant des pilotes assis autour de cette table, Louis Jobard, qui préside la section Air France de notre syndicat, a vécu en direct les problèmes que peuvent poser les cendres volcaniques au cours d'un vol. Au cours des 30 dernières années, l'aviation commerciale a connu 90 incidents graves, avec des conséquences non négligeables, mais sans accident.
En matière de transport public aérien de passagers, la capacité à arrêter les vols - sage décision - ne doit pas reposer sur un facteur chance lié à un phénomène mal maîtrisé. Après avoir arrêté les vols, la question est de savoir sur quelles bases et à partir de quelles données scientifiques les reprendre. Comme on a pu le constater ce matin, certains acteurs - je pense aux scientifiques et à la Direction générale de l'aviation civile - ne sont pas d'accord sur la pertinence des modèles exposés...
Dans un nuage, volcanique ou non, le pilote avance en aveugle. L'information lui vient du sol, car l'oeil est pratiquement inutile pour identifier un nuage volcanique. Le fait que le ciel soit bleu n'est pas un indice suffisant pour conclure qu'il n'y a pas de danger.
Bien qu'ils subissent l'impact le plus important, les moteurs ne sont pas les seuls éléments touchés par les cendres : celles-ci peuvent aussi affecter les sondes Pitot, les pare-brises, le conditionnement d'air, la pressurisation et l'ensemble des autres dispositifs.
Alors que, tout au long de la crise, la profession a été exclue de tous les débats et de toutes les actions, les pilotes ont assumé toute la responsabilité des vols lorsque ceux-ci ont repris et ce sont les commandants de bord et les copilotes qui auraient dû gérer tout incident qui aurait pu survenir. Cette situation est d'autant plus étonnante que les vols ne reprenaient pas dans les pays voisins. Du jour au lendemain, les informations qui avaient force de loi jusqu'au lundi - les « visual approach charts », ou « cartes VAAC », les informations météorologiques et géophysiques - ont cessé, d'un coup, d'être le référentiel et on a envoyé des pilotes, volontaires le premier jour, puis ignorants de la situation, effectuer des vols d'essai pour voir s'il y aurait de la casse. Il est à peine exagéré de dire que cela revient à envoyer des gens sans protection particulière dans une zone d'Afrique touchée par le virus Ebola pour constater à leur retour - en s'entourant de toutes les précautions - s'ils sont ou non contaminés. C'est inacceptable. L'aviation est un métier à risques, mais à risques maîtrisés, où l'on n'avance jamais sans avoir préalablement vérifié les processus et les méthodes. On ne peut pas procéder à l'envers, en se disant que tout va bien puisqu'on n'a rien cassé. La profession a très mal vécu cette méthodologie.
M. Louis Jobard, président du Syndicat national des pilotes de ligne d'Air France. Je commencerai par répondre aux deux questions qui nous ont été posées par écrit, portant sur la formation et l'information qui ont été fournies aux pilotes durant la crise. Compte tenu des délais très courts, les pilotes n'ont reçu aucune formation théorique - avec entraînement assistée par ordinateur ou sur simulateur - lors de la reprise des vols. Étant des gens sérieux, ils ont relu la check-list relative aux nuages volcaniques fournie par chaque constructeur, afin de se remémorer le plus précisément possible la conduite à tenir - réduire les moteurs pour éviter la gravité et sortir du nuage le plus vite possible, à supposer qu'on en connaisse les limites.
Pour ce qui est de la préparation des vols, ou PPV, on peut distinguer trois phases. Lorsque l'espace aérien a été fermé, des vols tests ont été organisés, d'abord par KLM et Lufthansa, puis par Air France, pour ouvrir des corridors, ce qui, du reste, ne s'est jamais fait nulle part, car même l'Alaska, qui est confrontée toute l'année à ce problème, utilise des routes d'évitement, avec des terrains de dégagement situés du même côté du nuage. Le SNPL Air France s'est étonné que ces tests aient été effectués par des pilotes de ligne - certes volontaires - sur des avions d'Air France, alors que l'État français possède de très beaux A320, et peut-être bientôt A330. Toujours est-il qu'en l'absence d'informations, et alors que la carte VAAC indiquait que l'espace était fermé, on a fait des vols d'essai.
L'espace aérien a ensuite été rouvert avec les corridors, mais sans densité publiée. Ainsi, des avions ont été rapatriés du monde entier en utilisant des cartes sur lesquelles le nuage s'arrêtait exactement à la limite de la zone VAAC - comme jadis le nuage de Tchernobyl aux frontières de la France...-, de telle sorte que nos pilotes qui rentraient d'Asie survolaient la Sibérie sans savoir dans quelle zone ils se trouvaient réellement.
A ensuite été publiée une séparation en trois zones : les cartes faisaient apparaître une zone noire, ou « no-fly zone » et une zone rouge, qui imposait une inspection à l'arrivée, plus ou moins importante selon les traces observées. Malheureusement, les cartes qui nous ont été fournies dans un premier temps étaient en noir et blanc, ce qui rendait difficile de distinguer ces deux zones...
Le Syndicat national des pilotes de ligne, en particulier sa section Air France, a été largement tenu à l'écart de la réflexion. Or, plus encore que les conséquences économiques et techniques, c'est la sécurité des vols qui importe, et cet aspect n'a guère été évoqué ce matin, sinon par M. Gandil.
Après la crise, les informations ont été un peu plus pertinentes, mais certains pilotes se sont émus qu'on les fasse voler dans des zones « rouges » et que les inspections réalisées à l'arrivée soient très légères.
Le premier impact d'un nuage volcanique porte sur les moteurs. En 2002, un Airbus A340 d'Air France que je pilotai est entré dans une « bulle » d'air contenant des poussières volcaniques, entre Tokyo et Nouméa, à plus de 1 800 kilomètres du volcan Rabaul - ce qui me permet, en tant que commandant de bord de ce vol, de contester formellement l'idée qu'il n'y aurait pas de danger au-delà de 1 000 kilomètres. De nuit et par ciel clair, la cabine a été envahie par un gaz qui aurait pu se révéler toxique. Si l'équipage a pu utiliser des masques pour respirer de l'oxygène à 100 %, les passagers n'ont pas eu cette ressource. Sont ensuite apparus des feux de Saint-Elme, puis les quatre moteurs ont dévissé, avant de se rallumer en automatique grâce à la technologie Airbus et SNECMA-General Electric. Tout cela a duré entre 30 secondes et une minute. J'ai alors décidé de poursuivre la route. Nous sommes sortis du nuage et sommes parvenus à destination. J'ai prévenu les centres de contrôle pour que les autres vols se déroutent, car la seule information dont nous disposions jusqu'à présent était un avis aux navigateurs aériens (NOTAM) indiquant une éruption permanente du volcan Rabaul à 1 000 nautiques de la route. À l'arrivée à Nouméa, le boroscopage des moteurs a fait apparaître que ceux-ci étaient parfaitement propres, car le type de poussières qui y avait pénétré les avait nettoyés, sans fondre dans les chambres de combustion. En revanche, les filtres de conditionnement d'air étaient totalement obstrués par des poussières volcaniques et tous les circuits Pitot et statiques étaient pollués, mais heureusement sans provoquer de problèmes avec la vitesse. L'avion est resté bloqué au sol pendant quarante-huit heures avant de pouvoir être remis en vol.
Il n'est pas vrai de dire qu'il n'y a jamais eu d'accident à cause d'un nuage volcanique. Voilà une vingtaine d'années, un DC10 d'une compagnie australienne, habituellement utilisé sur des lignes régulières, mais employé également pour des vols touristiques autour d'un volcan australien en éruption, a traversé le panache. Tout le monde est mort !
Il ne faut donc pas prendre ces questions à la légère. Nous avons demandé par communiqué de presse une enquête sur la manière dont la crise a été gérée. J'évoquerai tout à l'heure la situation dans d'autres régions du monde, très en avance sur nous, où l'on parvient à faire travailler ensemble Russes et Américains et à exploiter les liaisons toute l'année malgré près de 600 volcans en éruption dans le monde.
Voler dans un espace aérien déclaré à risque est une énorme responsabilité que prend un commandant de bord - car, in fine, c'est lui qui décide de se dérouter ou non. Il est pratiquement impossible de distinguer visuellement le danger et l'annonce faite par EasyJet de la mise en place d'un système de détection devra certainement faire l'objet d'un processus de validation. En cas d'incident ou d'accident, l'attribution des responsabilités sera l'objet de doutes sérieux. Or, dans un contexte de judiciarisation croissante, il est prévisible qu'un passager importuné par une odeur de dioxyde de soufre intentera un procès. Qui sera responsable ? Le commandant de bord qui a traversé une zone dont il n'avait pas connaissance, ou la compagnie qui a maintenu le vol ? Il est certes problématique que des centaines ou des milliers de passagers soient bloqués en escale, mais la sécurité des vols doit primer.
M. Christian Kert. Vous regrettez de n'être pas invités à toutes les tables rondes, mais quand vous l'êtes, ce n'est pas pour rien...
M. Louis Jobard. Lorsqu'il est question de sécurité des vols, nous devrions être invités aux tables rondes. Il est d'ailleurs dommage que M. le ministre soit parti car il a tort de penser que les pilotes doivent s'occuper de faire voler les avions sans chercher à savoir ce qui se passe lors de telles crises. Il n'est pas normal de décider de l'ouverture ou de la fermeture d'un espace aérien sans que le syndicat de pilotes majoritaire soit autour de la table.
M. Christian Kert. C'est pourquoi vous êtes les bienvenus aujourd'hui.
M. Jean-Marc Roze, secrétaire général du Syndicat national des agences de voyage. Les voyagistes et les agences de voyage ont pu participer à l'ensemble des cellules de crise interministérielles, ce qui leur a permis d'assurer le relais avec les cellules de crise mises en place par les voyagistes français.
La problématique était multiple. Il s'agissait d'abord de prendre en charge les clients à destination, dont le nombre a été estimé à 50 000 environ. Étant donné qu'il s'agissait d'un cas de force majeure, nous n'avions pas d'obligation légale de prendre en charge financièrement les frais supplémentaires. Dans la pratique, cependant, la majorité des tour opérateurs français ont pris ces frais à leur charge pour tout ou partie, ce qui représente pour la profession un coût supplémentaire de l'ordre de 40 millions d'euros - dont 4 millions pour l'un de ces opérateurs.
Il s'agissait également du rapatriement des clients vers la France, pour lequel nous avons eu des échanges réguliers et constants avec les compagnies aériennes, notamment françaises. Ce rapatriement a été relativement facile à mettre en oeuvre pour les vols de type charter affrétés par les voyagistes : dès que le trafic a été possible, nous avons fait partir des avions à vide pour aller chercher des clients dans la Caraïbe et dans d'autres sites. Il a été un peu plus compliqué de le faire pour les vols réguliers, car les compagnies régulières ont eu tendance, lors de la reprise des vols, à faire voyager aux dates prévues les passagers qui avaient réservé. Il a donc fallu un certain temps et des actions coordonnées par l'État pour envoyer des avions et procéder au rapatriement.
Il nous a aussi fallu gérer la situation des nombreux clients qui devaient partir cette semaine-là - sachant que, pour les tour opérateurs, le mois d'avril représente, après le mois d'août, le deuxième volume de départs. Il a donc fallu imaginer des solutions et informer les clients des possibilités de départ via les plates-formes aéroportuaires de province.
Enfin, il a fallu gérer les litiges. Sans attendre la mise en place d'un médiateur, décidée par M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du tourisme, la profession s'est mobilisée, avec la Fédération nationale de l'aviation marchande (FNAM), qui regroupe les compagnies françaises, et l'UFC-Que Choisir, pour passer un accord visant à résoudre dans le meilleur intérêt de nos clients tous les cas d'annulation de départs, de frais supplémentaires ou de prolongation de séjour. Les solutions proposées ont été acceptées à 85 % par la clientèle.
M. Christian Kert. Certaines des interventions que nous venons d'entendre ont déjà introduit la thématique de la deuxième table ronde. Je vous propose donc de passer dès maintenant à cette thématique : quelles perspectives pouvons-nous tracer et quelles solutions pouvons-nous préconiser ? Comment mieux anticiper ce risque et comment mieux le gérer ? Le ministre sera, bien évidemment, destinataire des actes de ces échanges.
* 1 LIDAR : acronyme de l'expression anglaise Light Detection and Ranging . Il s'agit d'une technologie de télédétection ou de mesure optique basée sur l'analyse des propriétés d'une lumière laser envoyée vers son émetteur.