(2) Une mise en oeuvre encore embryonnaire
La nouvelle liberté donnée aux départements et régions d'outre-mer en matière d'adaptation était fortement demandée par leurs élus. Néanmoins, sa mise en oeuvre reste embryonnaire : plus de deux années après l'adoption de la loi organique du 21 février 2007, cette procédure commence seulement à recevoir un début d'application.
Le conseil régional de la Guadeloupe a ainsi adopté deux délibérations le 27 mars 2009, tendant :
- pour l'une, à fixer des règles spécifiques à la Guadeloupe en matière de maîtrise de la demande en énergie, de développement des énergies renouvelables et de réglementation thermique pour la construction des bâtiments ;
- pour l'autre, à édicter, en Guadeloupe, des règles permettant la création d'un établissement public régional à caractère administratif chargé d'exercer les missions de service public de formation professionnelle qui lui seront déléguées par la région.
Ces demandes ont fait l'objet de deux habilitations législatives dans le cadre de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer 14 ( * ) . Le pouvoir normatif délégué au conseil général de la Guadeloupe devra être exercé dans un délai de deux ans.
En revanche, les demandes du conseil général et du conseil régional de la Martinique, pourtant formulées bien avant celles de la Guadeloupe, n'ont pas connu la même issue.
En novembre 2007, le conseil général et le conseil régional de la Martinique avaient saisi le Premier ministre, sur le fondement de l'article L. 3444-2, de demandes tendant à adapter les dispositions de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs, afin de constituer un périmètre départemental unique de transports et d'opérer un transfert des compétences des autorités organisatrices existantes à une autorité unique se substituant à celles-ci.
Aucune suite n'ayant été donnée à ces demandes, le conseil général a adopté une délibération le 19 juin 2008 portant demande d'habilitation en application de l'article L.O. 3445-2. Une demande similaire a été formulée par le conseil régional de la Martinique.
Néanmoins, faute d'une publication au Journal officiel en application de l'article L.O. 3445-4, cette demande n'a pu déboucher sur l'examen d'une disposition législative d'habilitation.
Selon les informations recueillies par votre rapporteur, cette situation découle du fait que le secrétariat d'État à l'outre-mer n'aurait pas souhaité donner suite à cette démarche, après avoir constaté une absence de consensus local sur le sujet du fait des demandes concurrentes des deux niveaux de collectivités, alors même que ces délibérations n'ont fait l'objet d'aucun recours juridictionnel devant le Conseil d'État 15 ( * ) .
Or, la mission tient à rappeler avec force que la loi organique du 21 février 2007 ne prévoit que l'exercice d'un contrôle de légalité des délibérations prises par les conseils généraux et régionaux d'outre-mer en application de l'article 73 de la Constitution. Elle n'autorise aucunement le Gouvernement à exercer un contrôle d'opportunité sur ces délibérations. Cette interprétation résulte clairement des débats au Sénat lors de l'examen de la loi organique, notre assemblée ayant, à l'initiative de votre commission des lois, refusé que le préfet puisse solliciter une nouvelle délibération, estimant qu'il n'appartenait pas au pouvoir exécutif d'exercer « une sorte de contrôle d'opportunité de la demande d'habilitation » 16 ( * ) .
La mission souligne que l'interprétation et l'application faite de la faculté d'adaptation décentralisée offerte par l'article 73 de la Constitution met à mal l'économie de l'ensemble de cette procédure.
Elle ne semble malheureusement que l'illustration d'une attitude plus générale, rapportée à plusieurs reprises à la mission lors de ses déplacements en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane par les élus : l'absence d'assistance et d'écoute des services de l'État aux demandes d'adaptation des normes législatives ou réglementaires applicables sur ces territoires.
Devant la délégation de la mission en Guyane, M. Alain Tien Long, président du conseil général, a ainsi regretté que l'État soit peu enclin à accepter des adaptations qui, pourtant, s'imposent compte tenu du contexte géographique des DOM. Il a rappelé que le préfet de la Guyane avait, par exemple, interdit le transport des élèves sur certains fleuves en raison de leur dangerosité, alors que le transport fluvial s'impose d'évidence dans certaines parties du territoire guyanais, et alors même que la compétence d'aménagement des voies fluviales appartient à l'État.
La mission souligne d'ailleurs que les difficultés de mise en oeuvre de cette procédure complexe ne sont pas étrangères au fait que les élus départementaux et régionaux de la Martinique, réunis en congrès le 18 décembre 2008, ont finalement retenu la création d'une collectivité régie par l'article 74 de la Constitution, alors que leur choix avait été, en 2003, de maintenir le principe de l'assimilation législative adaptée prévue par l'article 73.
Il est donc essentiel que les services de l'État, tant au niveau déconcentré qu'au niveau gouvernemental, apportent une plus grande attention aux demandes formulées et, le cas échéant, un accompagnement technique à la définition de ces demandes d'habilitation.
Ce souhait dépasse du reste la seule procédure d'adaptation décentralisée organisée par les articles L.O. 3445-1 et suivants et L. 4435-1 et suivants du code général des collectivités territoriales. Il concerne également les demandes d'évolution législative ou réglementaire formulées par les départements et régions d'outre-mer en application des articles L. 3444-2 et L. 4433-3 du même code, ainsi qu'aux avis émis à l'occasion des consultations sur les projets de loi, d'ordonnance et de décret, dans les conditions prévues par les articles L. 3444-1 et L. 4433-4 de ce code.
Proposition n° 1 : Favoriser l'utilisation par les DOM des facultés d'adaptation offertes par l'article 73 de la Constitution. |
* 14 Articles 68 et 69 de la loi n° 2009-594. Ces dispositions résultent de deux amendements présentés à l'Assemblée nationale, pour l'un par M. Alfred Almont, rapporteur de la commission des affaires économiques, pour l'autre, par M. Victorin Lurel.
* 15 Aux termes de l'article L.O. 3445-5 du code général des collectivités territoriales, le préfet peut déférer la délibération qui lui a été transmise, dans le mois de cette transmission, au Conseil d'État, dont la saisine entraîne de droit la suspension d'exécution de la délibération contestée.
* 16 Voir le rapport n° 25 (2006-2007) de M. Christian Cointat, au nom de la commission des lois, déposé le 18 octobre 2006, tome 1, p. 90 ( http://www.senat.fr/rap/l06-025-1/l06-025-11.pdf ).