c) Une assimilation institutionnelle source de complexité et d'antagonismes stériles
La loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions a transposé sur les territoires de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de La Réunion l'organisation territoriale retenue en métropole, en superposant, sur un même territoire, un niveau régional au niveau départemental existant.
Cette superposition dans une même circonscription de deux collectivités distinctes a créé une difficulté que le législateur a traité, en 1984, en transférant à la région l'essentiel de ce qui constitue la spécificité de l'outre-mer et qui jusqu'alors avait conduit à confier aux DOM des compétences particulières. Ainsi, en vertu de la loi n° 84-747 du 2 août 1984 relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de La Réunion, le département a vu son champ d'intervention réduit au régime de droit commun. Cette situation résulte du reste en partie des contraintes imposées par le Conseil constitutionnel qui, dans sa décision du 25 juillet 1984 rendue à l'occasion de cette même loi, a limité le transfert de compétences initialement souhaité par le législateur au profit des régions d'outre-mer en estimant que certains aménagements de compétences dépassaient les mesures d'adaptation autorisées par la Constitution 17 ( * ) .
Au-delà de la répartition des compétences entre ces deux niveaux de collectivités, l'intérêt même de la coexistence de collectivités départementale et régionale sur des territoires souvent relativement exigus et parfois faiblement peuplés doit être mis en question.
La problématique n'est pas nouvelle. Elle était déjà au coeur des débats lors de l'examen du projet de loi portant adaptation de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à La Réunion. Le Gouvernement, par la voie de M. Henri Emmanuelli, alors secrétaire d'État chargé de l'outre-mer, entendait en effet instituer une assemblée unique pour permettre à « l'anomalie monodépartementale » de fonctionner plus efficacement 18 ( * ) .
Elle a par ailleurs été plus récemment parfaitement mise en relief par notre collègue Claude Lise, président du conseil général de la Martinique, et par M. Michel Tamaya, alors député de La Réunion, dans leur rapport au Premier ministre en 1999 19 ( * ) .
Ce rapport soulignait, à juste titre, que la coexistence de deux niveaux de collectivités ôtait à la région d'outre-mer toute la dimension interdépartementale de son action, dès lors qu'il ne lui appartient pas, de fait, d'essayer d'aménager un territoire en tentant de gommer telle ou telle différence entre départements, ou en valorisant l'un d'eux dans un domaine particulier.
Votre mission d'information fait sien, dix ans après, le constat établi dans ce rapport qui reste pleinement d'actualité : « l'unité de lieu » qui résulte du choix de régions monodépartementales renforce le face à face permanent des deux collectivités et incite chacune d'entre elles à se positionner systématiquement en fonction des choix de l'autre. Les déplacements qu'elle a pu faire dans les quatre DOM ont du reste clairement mis en relief que cet antagonisme latent était évidemment renforcé lorsque les orientations politiques des deux niveaux de collectivités étaient divergentes.
Or, cette structuration, déjà elle-même source de complexité, se double d'un enchevêtrement de compétences qui, dans certains cas, conduit chaque niveau de collectivité à mener des actions parallèles -si ce n'est concurrentes- dans les mêmes domaines .
L'application du droit commun peut déjà générer un enchevêtrement des compétences dans plusieurs domaines, à commencer par l'interventionnisme économique. Si ce domaine est normalement réservé à la région, le département y exerce souvent une mission complémentaire. Cette situation s'exprime tout particulièrement dans le cadre des interventions en faveur de l'agriculture. Elle est également présente, comme l'a rappelé M. Alfred Marie-Jeanne, député et président du conseil régional de la Martinique, dans le domaine du sport et de la culture.
De manière paradoxale, il semble que les textes législatifs ou réglementaires adaptant dans les DOM la répartition de certaines compétences aient parfois contribué à accentuer les difficultés d'exercice de compétences partagées entre le département et la région. Tel est le cas dans le domaine de la pêche, pour lequel les départements sont compétents en matière de création, d'aménagement ou d'exploitation des ports maritimes de pêche et de commerce, alors que les régions ont seules compétence pour attribuer et financer les aides au renouvellement et à la modernisation de la flotte de pêche côtière et aux entreprises de culture marine.
La déficience de l'organisation institutionnelle actuelle a également été relevée par le Comité pour la réforme des collectivités locales, présidé par M. Édouard Balladur. Dans son rapport remis au président de la République le 5 mars 2009, il a considéré que la superposition actuelle d'un département et d'une région sur des territoires peu vastes et peu peuplés « illustrait à l'extrême l'empilement des structures administratives dans notre pays ».
Pour autant, il faut reconnaître qu'en pratique la dualité du département et de la région n'a pas eu tous les effets négatifs que l'on pouvait craindre, sans doute parce qu'une « coexistence pacifique » a su malgré tout s'instaurer entre les deux niveaux de collectivités .
Les difficultés liées au partage de compétences ont en effet été atténuées par des accords conclus entre le département et la région dans la plupart des DOM. Lors de son déplacement à La Réunion, la délégation de la mission a ainsi pu constater, lors de son entretien avec Mme Nassimah Dindar, présidente du conseil général, qu'un accord avait permis de limiter les chevauchements des compétences départementales et régionales.
Malgré ce renforcement de l'autonomie normative des DOM depuis 2003, la volonté de voir évoluer l'organisation de ces collectivités -à l'exception notable de La Réunion- et leur rapport à la métropole n'a jamais cessé d'être présente.
* 17 Décision n° 84-174 DC.
* 18 JO Débats, Sénat, séance du 26 octobre 1982, p. 4762.
* 19 « Les DOM aujourd'hui : la voie de la responsabilité ».