B. FAIRE SORTIR DE L'IMPASSE BUDGÉTAIRE LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES DES DOM
Outre les évolutions statutaires et institutionnelles pouvant permettre de restaurer la gouvernance de l'outre-mer, des mesures d'ordre budgétaire doivent être prises afin de rétablir la capacité d'intervention des collectivités territoriales des DOM.
Ces collectivités pâtissent en effet de maux qui les placent dans une situation très différente de celles des collectivités territoriales métropolitaines . La faiblesse de la fiscalité locale et le poids des dépenses de personnel constituent leurs deux principales faiblesses et fonctionnent comme un étau pour les finances locales, qu'il convient de desserrer.
La mission a pu constater, au cours de ses déplacements, qu'une des conséquences les plus préjudiciables des difficultés financières rencontrées par les collectivités territoriales des DOM était un appel très large à l'intervention de l'État. Ainsi, dans l'ensemble des rencontres de la mission avec le collectif des organisations syndicales, politiques et associatives de La Réunion (COSPAR), le Lyannaj kont pwofitasyon (LKP) en Guadeloupe, le collectif du 5 février en Martinique et le Mayouri pou lavi meyow (MPLM) en Guyane, la mission a pu relever que l'appel à l'intervention publique était presque exclusivement dirigée vers l'État et non vers les collectivités territoriales.
Or, dans un nombre important de domaines, le rôle des collectivités territoriales doit primer sur celui de l'État. Ainsi, par exemple, la question, évoquée lors de la visite par la mission du marché d'intérêt régional (MIR), puis d'une usine de pêche à Cayenne, en Guyane, de la construction d'une chambre froide sur un site portuaire pour permettre aux pêcheurs de conserver et d'écouler leur marchandise sur plusieurs jours relève en principe d'une intervention des collectivités territoriales.
La même revendication a été formulée par les représentants des marins-pêcheurs de Marie-Galante, en Guadeloupe, et le conseil général ou la communauté de communes de Marie-Galante ont davantage vocation à y répondre que l'Etat.
L'État n'est pas à même d'intervenir de la manière la plus efficace pour des enjeux de caractère local. De même, les projets de développement économique doivent être prioritairement portés par les collectivités territoriales, qui sont mieux à même d'identifier les atouts de leurs territoires, d'évaluer les besoins et les investissements les plus pertinents.
Or, les difficultés financières des collectivités territoriales incitent naturellement les acteurs économiques et sociaux à se tourner vers l'État.
Cette situation induit des effets pervers : l'État n'est pas le mieux placé pour répondre aux demandes locales et le recours systématique à l'Etat distend le lien entre la population et les élus locaux.
Une des évolutions envisageables pour répondre aux problèmes budgétaires rencontrés par les collectivités territoriales des DOM serait une évolution statutaire de l'article 73 vers l'article 74 de la Constitution. Cette évolution pourrait s'accompagner d'un transfert plus ou moins large de compétences fiscales nouvelles aux départements qui en feraient le choix. Toutefois, les enjeux de cette évolution sont bien plus vastes que la seule question des ressources fiscales des collectivités territoriales.
Sans recourir à cette évolution statutaire, il apparaît essentiel de rendre aux collectivités territoriales des DOM les moyens financiers qui , seuls, leur permettront de jouer un rôle moteur dans le développement de leurs territoires . Cela passe notamment par l'amélioration des recettes fiscales des collectivités territoriales des DOM et par l'allègement de la contrainte que constituent les majorations de traitement des fonctionnaires territoriaux.
1. Pour un meilleur rendement de la fiscalité locale
a) Remédier à la faiblesse de la fiscalité directe locale
(1) La faiblesse de la fiscalité directe locale dans les budgets locaux ne résulte pas du niveau des taux d'imposition
Produit de la fiscalité directe
locale
(en euros par habitant)
DOM |
France entière |
|
Régions |
31,88 |
51,06 |
Départements |
161,2 |
249,5 |
Communes |
244,3 |
380,5 |
Source : direction générale des collectivités locales
La faiblesse du produit des quatre taxes directes locales est un trait caractéristique de l'ensemble des niveaux de collectivités territoriales dans les DOM . Ce produit résulte de la multiplication des bases d'imposition par les taux de fiscalité locale votés par les collectivités territoriales.
Or, on constate que les taux votés dans les DOM ne sont pas, en moyenne, inférieurs à ceux votés en métropole, comme le montre le tableau ci-dessous en ce qui concerne les taux communaux.
Taux moyens de fiscalité directe locale votés par les communes
DOM |
France entière |
|
Taxe professionnelle |
12,22 % |
12,31 % |
Taxe d'habitation |
15,74 % |
13,47 % |
Taxe foncière sur les propriétés bâties |
23,32 % |
17,29 % |
Taxe foncière sur les propriétés non bâties |
35,48 % |
38,55 % |
Source : direction générale des collectivités locales
Par ailleurs, les capacités contributives des résidents d'outre-mer sont limitées, en raison des difficultés sociales que rencontrent les populations des DOM. Cela explique en partie la faiblesse du produit des impositions directes locales dans les DOM.
En outre, la situation économique et sociale des DOM et leur difficulté à faire face à la concurrence de leur environnement direct, constitué le plus souvent par des pays en voie de développement à faible coût de main d'oeuvre, ne plaide pas pour un accroissement de la pression fiscale.
S'ajoutent à ces obstacles les importantes exonérations de fiscalité directe locale prévues par la loi pour le développement économique des outre-mer 53 ( * ) qui réduiront d'autant le levier fiscal qu'elle constitue pour les collectivités territoriales . En effet, les zones franches d'activités (ZFA) mises en place par cette loi, en prévoyant des exonérations substantielles de taxe professionnelle, de taxe foncière sur les propriétés bâties et de taxe foncière sur les propriétés non bâties, créeront des pertes de recettes qui seront compensées par l'État sur la base des taux votés l'année précédant l'entrée en vigueur des exonérations. Par conséquent, une hausse des taux de fiscalité locale se traduira par une moindre hausse des recettes.
Enfin, le mécanisme de « l'enveloppe fermée », mis en place par l'article 48 de la loi de finances pour 2009 54 ( * ) , exerce une pression à la baisse sur le montant de certaines compensations d'exonérations versées par l'État aux collectivités territoriales. En effet, il prévoit une évolution de l'ensemble des concours financiers de l'Etat aux collectivités territoriales indexée sur l'inflation prévisionnelle. Or, au sein de cette enveloppe des concours financiers, certaines variables croissent à un rythme largement supérieur à l'inflation.
C'est le cas notamment du Fonds de compensation pour la TVA (FCTVA) qui a pour objet de compenser de manière forfaitaire la TVA acquittée par les collectivités territoriales et certains organismes sur leurs dépenses réelles d'investissement, grevées de TVA, et concernant une activité non assujettie à la TVA. Le FCTVA est attribué en appliquant à l'assiette toutes taxes comprises des dépenses éligibles un taux de compensation forfaitaire de 15,482 % 55 ( * ) . Ainsi, le montant du FCTVA évolue au gré des investissements des collectivités territoriales, dont le rythme de croissance est significativement plus élevé que celui de l'inflation, comme l'indique le tableau ci-dessous.
Les prélèvements sur recettes au titre du
FCTVA
(en millions d'euros)
2005 |
2006 |
2007 |
LFI 2008 |
Prévisions 2008 |
LFI 2009 |
3 791 |
4 030 |
5 058 |
5 192 |
5 488 |
5 855 |
Source : ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales
Il résulte du mécanisme de l'enveloppe fermée que plusieurs compensations d'exonérations de fiscalité locale servent de variables d'ajustement afin de compenser la forte hausse du FCTVA au sein de l'enveloppe et de garantir que le montant total des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales n'évoluera pas plus rapidement que le rythme de l'inflation prévisionnelle.
Le montant des compensations servant de variables d'ajustement diminuent donc chaque année en valeur absolue . À terme, le montant de ces compensations est donc appelé à devenir nul et il faudra trouver d'autres variables d'ajustement pour garantir une hausse raisonnable de l'ensemble des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales. Il est à craindre que les DOM ne souffrent particulièrement de cette évolution en raison de l'importance des exonérations dont ils bénéficient et donc des compensations d'exonérations qui leur sont versées. Cette situation serait d'autant plus injustifiée que, du fait de leurs dépenses d'investissement relativement faibles, les collectivités territoriales des DOM bénéficient proportionnellement moins des attributions au titre du FCTVA que les collectivités métropolitaines.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les collectivités territoriales des DOM ne sont plus à même d'accroître leurs ressources et de financer leurs interventions par une hausse des taux de la fiscalité directe locale.
* 53 Loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer.
* 54 Loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009.
* 55 Fixé par l'article L. 1615-6 du code général des collectivités territoriales.