(2) La richesse culturelle des départements d'outre-mer, un atout pour l'avenir
Aux singularités de la géographie (environnement, mer, ressources naturelles), s'ajoutent les atouts du métissage culturel de ces départements avec les aptitudes qui y sont généralement associées : capacité d'adaptation, multilinguisme, ouverture sur le monde...
Ces terres offrent une impressionnante mosaïque culturelle, exemples peut-être uniques au monde, découlant de l'origine plurielle de leurs racines.
La Réunion compte une dizaine d'apports différents entre les créoles descendants des premiers arrivants (français et malgaches), les Indiens appelés « Malabars » d'origine tamoule, les orientaux appelés « Z'arabes », les Chinois, les Noirs appelés « Cafres » d'origine malgache ou africaine, les « Z'oreils » ou « Métros » dont certains, venus pour quelques années et qui s'y sont fixés, les Malgaches qui furent à l'origine de l'occupation définitive de l'île, les Comoriens encore peu nombreux et qui constituent une émigration récente...
De même en est-il pour la population guyanaise qui regroupe des Amérindiens qui ont été les premiers habitants, les Noirs marrons (descendants d'esclaves fugitifs de l'ex-Guyane néerlandaise), les créoles (guyanais mais aussi antillais), les H'mongs originaires de l'Asie du Sud-est, les métropolitains auxquels s'ajoutent diverses populations « immigrées » : Chinois, Haïtiens, Brésiliens, Surinamiens, Guyaniens, Libanais, Syriens etc.
Aux Antilles, les racines européennes et africaines de l'origine, fièrement brandies au nom du concept de « négritude » forgé par Aimé Césaire, se sont mêlées aux ajouts ultérieurs également divers (chinois, libanais...) pour produire une grande diversité de « mondes créoles ».
Cette diversité de l'outre-mer a longtemps été éclipsée dans les rapports avec l'État français, uniformité qui est imputée par les populations ultramarines à une certaine « ignorance, voire du mépris de la part des décideurs parisiens ». 211 ( * )
Fruit de cette histoire métissée, la richesse culturelle des DOM se révèle dans de multiples domaines : patrimoine, musique et danse, architecture, gastronomie ...
Parmi ceux-ci, une place particulière doit être faite aux langues créoles dont l'article 73 de la LODEOM adoptée en mai dernier, vient de reconnaître qu'elles font partie de notre patrimoine national, un an après la consécration des langues régionales par l'article 75-1 de la Constitution.
Selon l'auteur de l'amendement 212 ( * ) qui a introduit cette disposition lors de la discussion du texte à l'Assemblée nationale, une telle reconnaissance des langues créoles de la Martinique, de la Guadeloupe, de La Réunion et de la Guyane doit contribuer à « nous réconcilier avec nous-mêmes » et constitue un volet indispensable de la nouvelle loi :
« Ce projet de loi, je l'admets, contient des dispositions courageuses sur les plans financier et fiscal ; mais il lui manque une dimension fondamentale, qui élèverait les pays concernés au-delà des questions d'argent et des mécanismes de distribution économiques : une culture du développement qui leur soit propre et qu'ils puissent partager. La diversité des cultures fait la richesse de la France ; parmi elles, la langue est fondamentale. Le créole pourrait ainsi trouver sa place dans les délibérations du conseil municipal, à La Poste, dans les discussions, les contrats et la vie publique en général. Nous avons déjà franchi un pas avec la création du CAPES de créole ; il faudrait aujourd'hui, aller plus loin. »
Même si on peut s'interroger sur la portée concrète d'un tel amendement, il s'agit d'un acte symbolique fort.
Depuis les années 70, on assiste au réveil des identités locales, portées par la jeunesse, partout dans le monde, y compris en France métropolitaine.
Dans les DOM, la résurgence des thèmes identitaires est très présente dans la vie publique. Dans l'ouvrage « Conflits sociaux en Guadeloupe. Histoire, identité et culture dans les grèves en Guadeloupe », Patricia Braflan-Trobo, directrice d'une agence ANPE et professeur de gestion des ressources humaines, souligne bien l'utilisation récurrente des éléments de l'identité pour mieux mobiliser la population dans les luttes sociales :
« Il n'est pas une grève en Guadeloupe de nos jours où les prises de parole ne se fassent pas en créole, où le gwoka, musique traditionnelle de la Guadeloupe, ne soit pas omniprésent et où les repas exclusivement admis comme guadeloupéens ou antillais ne soient pas les seuls autorisés sur les piquets de grève. L'évolution pendant ces vingt dernières années du mouvement social en Guadeloupe met en évidence l'appropriation par ces mouvements de nombreux éléments de la culture et de l'identité guadeloupéenne. Ces éléments, puisés particulièrement dans l'héritage culturel et identitaire noir (africain ou indien), sont perçus comme des données déterminantes du succès du conflit . »
L'appellation des mouvements protestataires reflète cette tendance : Lyiannaj kont pwofitasyon (LKP), Kolectif 5 févryé, Mayouri pou lavi meyow (MPLM), ces mouvements qui utilisent largement le créole dans leurs mots d'ordre.
Dans « L'outre-mer français : évolution institutionnelle et affirmations identitaires », le professeur Thierry Michalon évoque, pour sa part, les liens entre le débat statutaire et les revendications identitaires, l'assimilation juridique ayant parfois été perçue comme un risque d'assimilation culturelle.
Toutefois, M. Pierre Pluton, président de l'Association métropolitaine des élus originaires des DOM (AMEDOM), a précisé lors de son audition par les membres de la mission qu'une rupture de générations s'était produite, à son sens, au cours des années 90 dans les communautés ultramarines de l'hexagone. Constatée à l'occasion des violences urbaines, cette rupture serait le fait de jeunes exprimant leur malaise et un fort besoin identitaire du fait de leur déracinement, alors que leurs parents, eux, se sentent Français à part entière.
Le choix des thèmes de « la mémoire », de « l'identité » et de « la culture » dans les États généraux en cours, ainsi que les débats au sein des groupes de travail est révélateur de l'importance actuelle de cette question pour les ultramarins et des interrogations suscitées.
La conscience par les ultramarins de leur singularité culturelle au sein de la République française, singularité chaque jour un peu plus menacée par la mondialisation qui, comme partout ailleurs, tend à une uniformisation des modes de vie, n'est encore que rarement ressentie comme un réel atout.
Si la reconnaissance des atouts que représente cette richesse culturelle passe par des mesures symboliques fortes, elle nécessite sans doute également des résultats tangibles et directement mesurables par les intéressés eux-mêmes.
* 211 Le Monde, mercredi 17 juin 2009 (rubrique Débats) p 19.
* 212 M. Serge Letchimy, député de la Martinique.