3. Une meilleure reconnaissance des outre-mer : la diversité culturelle, une richesse à valoriser
Au-delà des aspects financiers et socio-économiques, une réflexion sur les spécificités des DOM ne peut faire l'impasse sur une de leurs caractéristiques les plus remarquables : leur exceptionnelle diversité culturelle.
À partir d'un large brassage de populations et des savoirs, chaque département s'est constitué au fil de l'histoire une identité culturelle propre, dont l'originalité et la force sont une légitime source de fierté.
Pour autant, la question identitaire dans les DOM n'est pas une question figée et donne lieu à de nombreux débats dont l'un des plus récurrents, et non le moindre, est celui de leurs relations avec l'État français. Cette interrogation a resurgi au premier plan de l'actualité à l'occasion des récents événements, dont l'origine puiserait dans un certain malaise identitaire ressenti dans ces départements, malaise dont la presse s'est largement faite écho.
Au terme de son étude, si la mission a effectivement fait le constat de l'attachement des DOM à leur identité propre, forgée par une histoire et une géographie particulières, elle a aussi relevé leur faible mise en valeur au plan national, et ceci malgré des initiatives nombreuses et à haute valeur symbolique prises, depuis une dizaine d'années.
Si cette question centrale concerne directement l'efficacité des mesures ainsi adoptées, elle doit interpeller également l'ensemble de nos concitoyens.
a) Des identités fortes, expressions de la diversité française
(1) L'histoire des départements d'outre-mer, genèse d'identités fortes et diversifiées
Notre pays partage avec les DOM une longue histoire commune. Ces terres sont, en effet, liées à la France depuis fort longtemps, bien plus anciennement que la Savoie, par exemple, qui n'est devenue française qu'en 1860.
Comme chacun sait, cette histoire commune est la conséquence de l'expansion coloniale qui a conduit la France, à l'instar d'autres nations européennes, à s'implanter dès 1503 dans la zone de Cayenne puis à créer en 1604, la colonie de Guyane (appelée alors « France Equinoxiale »). L'installation, débutée à partir de 1635 206 ( * ) , fut plus progressive aux Antilles, notamment du fait de la rivalité avec l'Angleterre, alors que la prise de possession par la France de l'île de La Réunion, alors nommée Île Bourbon, fut effective dès 1638.
L'esclavage, qui fut introduit dès cette époque, sur ces terres dépourvues de « bras », a profondément marqué la mémoire et la physionomie de ces sociétés par son ampleur et sa durée. Selon les estimations, plus de 700 000 esclaves ont ainsi été déportés vers la Martinique, la Guadeloupe et Saint-Domingue entre 1673 (date de la création de la Compagnie du Sénégal) et 1789 207 ( * ) . Quant à La Réunion, l'arrivée des premiers esclaves est mentionnée dès 1679.
Mais ce qui ne caractérise pas moins ces terres, c'est le combat acharné pour l'émancipation et la citoyenneté : depuis le statut d'esclave soumis au fameux « Code noir », appliqué à partir de 1687 aux Antilles, 1704 en Guyane et 1723 à l'île Bourbon, jusqu'à l'avènement de la départementalisation en 1946 qui a engagé le processus d'égalité sociale, les luttes ont illustré les histoires locales (marronnages, révoltes, affranchissements). Ces luttes ont conduit en 1794 208 ( * ) , de manière temporaire d'abord, puis en 1848, de façon définitive cette fois, sous l'impulsion de Victor Schoelcher, à la reconnaissance pleine et entière des droits initialement niés.
L'abolition de l'esclavage amena, à son tour, de nouvelles vagues d'installations, les grands propriétaires faisant venir au cours du XIX ème siècle des milliers de travailleurs sous contrat (des comptoirs de l'Inde notamment puis également de Chine, de Syrie, du Liban...), dont une partie importante finit par s'installer durablement.
Du fait de cette histoire, ces terres sont devenues le creuset de rencontres fructueuses entre des peuples originaires de tous les continents. Le brassage et les mélanges qui en ont résulté ont créé des sociétés profondément originales, selon un processus qualifié de « créolisation » et dont de grands intellectuels, comme Édouard Glissant 209 ( * ) , ont su admirablement parler.
Chaque département a ainsi sa physionomie propre, ses us et ses coutumes, en fonction des composantes humaines et culturelles. Il y a une profonde diversité des outre-mer, trop longtemps gommée par des politiques et des statuts par trop uniformes.
Si l'esclavage, par exemple, a laissé des séquelles partout où il a sévi, celles-ci sont plus profondes et plus vivaces dans la société antillaise, en raison du contexte local.
La présence des « Békés » notamment, descendants des colons européens, appelés aussi « Blancs pays » en Guadeloupe (où ils sont moins nombreux qu'en Martinique) et surtout la question de leur poids dans le domaine économique, apparaît régulièrement dans les débats autour de l'héritage historique et les limites de ce brassage si souvent célébré. C'est un sujet toujours sensible, en particulier en temps de crise économique, source de crispations et de tensions, mais que les ultramarins eux-mêmes cherchent aujourd'hui à dépassionner, comme le montre le débat organisé par la Délégation pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer en pleine crise (le 18 mars 2009) ou les initiatives d'associations réunies sous la bannière de « Tous créoles ».
La départementalisation de 1946 apparaît ainsi comme le résultat de l'affirmation d'identités sociales et culturelles fortes, ainsi résumées par Aimé Césaire : « Ce ne sont pas des paysages, mais des pays ; pas des populations, mais des peuples ». Elle a couronné une histoire commune de presque trois siècles marquée par une puissante volonté d'accès à la citoyenneté, dans un cadre institutionnel permettant la réalisation de l'égalité sociale et politique.
Partant de cette analyse, et comme le souligne Daniel Maximin 210 ( * ) , « tout ce qui peut contribuer à restaurer dans ses sociétés le lien citoyen local, le sentiment d'appartenance régionale, l'assurance identitaire face aux dérives de l'aliénation, la richesse de leur plurilinguisme, et la conscience historique d'être héritiers des résistances et non victimes éternelles de l'oppression originelle, ne peut qu'assainir et clarifier le dialogue dans tous les domaines .»
* 206 Le traité de Paris de 1814 marque le rattachement définitif de la Martinique.
* 207 Les historiens estiment qu'entre 15 et 30 millions de personnes au total furent arrachées à l'Afrique pendant cette période dans le cadre du commerce triangulaire.
* 208 Rétabli par Bonaparte en 1802.
* 209 Poète, romancier et philosophe martiniquais.
* 210 Daniel Maximin poète, romancier et essayiste, est également un des rapporteurs nationaux des Etats Généraux de l'outre-mer.