(c) Le problème du foncier et de l'aménagement urbain
Les quatre DOM connaissent des situations différentes selon leur géographie ou leur environnement. Ils connaissent tous une urbanisation rapide et mal maîtrisée .
À La Réunion, plusieurs maires et les industriels de la canne à sucre ont signalé à la mission le problème du mitage urbain , qui réduit le nombre de terres agricoles exploitables et nécessite des aménagements dispersés en termes de voirie et de réseaux (eau, assainissement, collecte des ordures ménagères...). L'île connaît également des difficultés particulières dans le secteur géographique du volcan du Piton de la fournaise (constructions illicites dans des zones à risque, voire sur des coulées de lave assez récentes) et dans les très nombreuses ravines qui traversent les communes (présence de constructions malgré la dangerosité élevée en cas - fréquent - de fortes pluies).
En Guyane, la pression sur le foncier résulte de la croissance démographique et de l'immigration irrégulière. La mission n'a ainsi pu que confirmer l'état des lieux dressé par M. Henri Torre, Sénateur.
Rapport d'information n°88 (2006-2007) sur le
logement outre-mer
L'habitat insalubre, longtemps contenu en périphérie des villes de Cayenne, Kourou et Saint-Laurent du Maroni, a gagné la quasi-totalité des communes de Guyane. En 1998, le nombre de logements insalubres était estimé à plus de 6 000 (y compris les logements dans lesquels se trouvent des clandestins), soit environ 13 % des résidences principales dans lesquelles vivaient plus de 23 000 personnes, soit près de 15 % de la population totale du département. Aujourd'hui, cette situation est loin de s'améliorer et reste préoccupante. Lors de son déplacement dans le département, la mission a pu se rendre compte de la gravité de la situation. Cette insalubrité de l'habitat peut se présenter sous plusieurs formes : - en centre urbain : des poches d'insalubrité occupent souvent les fonds de cours ou des immeubles dégradés et sont, en général, le fait de « marchands de sommeil » qui louent des logements indignes à une population étrangère, le plus souvent en situation irrégulière. Une étude réalisée en 2001 estime à plus de 760 le nombre de logements insalubres dans le centre ville de Cayenne. L'insalubrité revêt plusieurs formes : surpopulation et promiscuité, présence d'animaux nuisibles (rats, cafards...), humidité, nuisances de l'environnement, taudis, squats etc. ; - en périphérie des centres urbains : ce sont des quartiers, anciens pour la plupart, enclavés et sous-équipés. La voirie est constituée de chemins en latérite très étroits qui ne permettent pas l'accès des véhicules de secours. Il n'y a pas de réseau d'assainissement, l'électricité est souvent « piratée » et l'eau potable, quand elle existe, est redistribuée par les voisins. Parfois, l'alimentation en eau du quartier est assurée par une simple « borne fontaine » ou par des puits creusés par les habitants sans aucun contrôle sanitaire. L'habitat très hétérogène peut parfois constituer de véritables bidonvilles. En général ce sont des maisons individuelles très dégradées ou des constructions de fortune, faites de matériaux de récupération, sans aucune norme d'hygiène et de sécurité ; - en zone périurbaine : des parcelles non viabilisées, appartenant à des particuliers, aux collectivités territoriales ou à l'État, sont occupées le plus souvent de manière illégale, parfois par le biais d'associations qui s'approprient les terrains et les redistribuent aux particuliers contre rémunération. Dans ce cas, le logement est à l'origine un abri de fortune qui se consolide au fil du temps. Le niveau d'insalubrité de ces sites varie en fonction de la population et de leur ancienneté. Même si, parfois, l'habitat est correct, ces sites sont souvent situés dans des zones inconstructibles des plans locaux d'urbanisme (PLU) ou des plans de prévention des risques (PPR). Ils souffrent de l'absence de voiries et réseaux divers. Cependant, les collectivités territoriales qui souhaitent régulariser ces sites ont beaucoup de difficulté en raison de l'inconstructibilité de ces zones ; - dans les bourgs et villages isolés, en général le long des fleuves, l'habitat traditionnel des « noirs marrons » ou des amérindiens est essentiellement constitué de carbets ou de petites cases d'une pièce, en bois et couverts de tôles ondulées ou de paille, sans aucun réseau d'eau ou d'électricité. Ces bourgs se densifient et sont de mieux en mieux alimentés en eau et électricité. L'habitat souvent dégradé, l'absence de réseaux d'évacuation des eaux usées et de ramassage des ordures ménagères, font de ces bourgs des sites insalubres. |
Les situations de la Guadeloupe et de la Martinique sont certainement moins dramatiques que celle de la Guyane, mais elles connaissent également des zones insalubres et des zones d'habitat extrêmement dégradé, notamment en périphérie des agglomérations. Sur les 25 opérations de résorption de l'habitat insalubre en phase de travaux recensées en Guadeloupe en octobre 2008, 14 ne bénéficient d'aucune dynamique d'avancement, notamment en raison de questions liées au foncier. Plus globalement dans les Antilles et en Guyane, de nombreux logements ont été construits dans des zones inondables où les risques sont élevés.
Face à ces évolutions urbaines mal maîtrisées, il est nécessaire de renforcer le rôle et les moyens d'action des collectivités territoriales.
En ce qui concerne plus spécifiquement la question du foncier , il faut à la fois en encadrer l'évolution et le libérer pour des projets précis. Pour cela, la mission propose de mettre en place, à l'image du droit au logement opposable, un droit au foncier opposable (Dafo) au bénéfice des collectivités territoriales sur les terrains de l'État encore non utilisés.
Dans le cadre de cette procédure, les collectivités, principalement les communes, mais aussi les départements et les régions en cas de carence de celles-ci souvent en grave difficulté financière, devraient recenser précisément l'ensemble des terrains disponibles de l'État et utilisables pour des opérations immobilières. Elles pourraient alors proposer à l'État des projets de construction de logements, en s'appuyant notamment sur l'expertise et les moyens des bailleurs sociaux. Une procédure contradictoire entre l'État et la collectivité s'engagerait, durant une durée fixée par le législateur, pour approuver le projet de la collectivité et lui permettre ainsi d'utiliser le terrain en question ou pour élaborer un projet concurrent, répondant également à l'objectif de construction de logements. Le législateur devrait définir les conditions d'exercice de ce droit au foncier opposable, qui permettrait surtout d' engager un dialogue entre l'État et les acteurs locaux pour mobiliser du foncier .
Cette procédure de « confrontation de projets » pourrait être étendue à d'autres types de politiques, comme le développement des terrains agricoles ou la construction d'équipements publics de proximité.
Proposition n° 87 : Mettre en place des outils efficaces pour libérer du foncier, notamment celui appartenant à l'État. |
Par ailleurs, les difficultés financières des communes obèrent très souvent leurs capacités d'investissement . Or, elles sont compétentes en matière d'aménagement urbain : voirie (routes d'accès, routes intérieures à la zone, éventuellement trottoirs et bordures) et réseaux (assainissement, adduction d'eau potable, éventuellement éclairage public). Leurs difficultés les empêchant de réaliser certains travaux, elles bloquent involontairement la finalisation de certaines opérations immobilières.
Il apparaît donc nécessaire de prendre des mesures pour améliorer les modalités de fonctionnement et de financement des Fonds régional d'aménagement foncier urbain (FRAFU) . Créés en 2000 afin de réunir des ressources de l'État, de l'Union européenne (Feder), des conseils régionaux et des conseils généraux, ils sont destinés à l'aménagement de terrains au profit du développement du logement outre-mer. Ils financent, d'une part, des équipements de viabilisation lourds, tels que des stations d'épuration, qui ne peuvent être imputés à une opération particulière de logements, d'autre part, le développement d'un foncier équipé et adapté aux besoins en logement social, là où les communes ne disposent pas des moyens nécessaires pour entreprendre des programmes de logements sociaux sur des terrains viabilisés.
Il pourrait parallèlement être envisagé que les dépenses de viabilisation soient réalisées par l'État, d'autres collectivités ou les promoteurs (privés ou opérateurs sociaux) eux-mêmes.
Proposition n° 88 : Permettre aux bailleurs sociaux, à d'autres collectivités territoriales ou à l'État de se substituer aux communes pour le financement de la viabilisation des terrains. |
Enfin, l'urbanisme connaît une autre particularité dans les DOM : la zone des cinquante pas géométriques . Créée sous l'ancien régime pour protéger les rivages des Antilles et relevant du domaine public de l'État, cette zone comprend les terrains situés entre le rivage et une ligne fictive tracée à 81,2 mètres. Cependant, au fil des réformes et en raison de la progressive appropriation privée d'un certain nombre de parcelles, la situation juridique de la zone a évolué et elle se divise aujourd'hui en trois catégories de territoires 174 ( * ) :
- la forêt domaniale du littoral qui dépend du domaine privé de l'État et dont la gestion est confiée à l'Office national des forêts ;
- un patrimoine important de propriétés publiques et privées ne relevant plus de l'État. À La Réunion par exemple, la situation des occupants sans titre a été réglée par la délivrance de titres de propriétés dans le cadre d'une procédure définie par un décret du 13 janvier 1922 ;
- des parcelles urbaines ou naturelles en Guadeloupe et en Martinique, dont certaines sont occupées depuis fort longtemps par des occupants sans titre.
Cette troisième catégorie pose des difficultés importantes en raison de la complexité des régimes juridiques . Ainsi, le décret n° 55-885 du 30 juin 1955 a déclassé la zone pour l'intégrer dans le domaine privé de l'État afin de permettre de vendre certaines parcelles à leurs occupants et de faire jouer les dispositions relatives à la prescription acquisitive. Mais le délai de prescription ne fut jamais ouvert, faute de publication d'un arrêté portant clôture des opérations de délimitation des terrains.
La loi « littoral » 175 ( * ) puis la loi de 1996 relative à la zone des cinquante pas géométriques 176 ( * ) ont apporté des réponses partielles à ces différents enjeux, parfois contradictoires : les intérêts de l'État propriétaire, la protection du littoral, le développement économique et les intérêts des occupants sans titre. Pour mettre un terme aux problèmes liés à l'occupation sans titre en Martinique et en Guadeloupe, la loi de 1996 a par exemple fixé l'objectif d'un transfert progressif et contrôlé des terrains appartenant au domaine public maritime au bénéfice des communes, des occupants privatifs, ou au bénéfice d'organismes ayant pour objet la réalisation d'opérations d'habitat social. Cette loi a ainsi mis en place de nouveaux mécanismes de cession des terrains dans cet espace, que ce soit à des organismes publics ou à des occupants privatifs, notamment par l'intermédiaire d'une « commission départementale de vérification des titres ».
De son côté, la LODEOM a adopté un aménagement technique à la gestion de la zone des cinquante pas géométriques pour faciliter les cessions de petites parcelles à des particuliers ; elle prévoit également la possibilité de prolonger de quinze ans au maximum la durée d'existence des agences qui gèrent ces zones en Guadeloupe et en Martinique, créées initialement pour quinze ans par la loi de 1996.
Il serait toutefois nécessaire de repenser totalement les modalités d'action sur ces territoires particulièrement importants pour le développement et en même temps sensibles d'un point de vue environnemental.
Dans cette attente, la régularisation des occupants sans titre et de bonne foi permettrait, dans le cadre d'une procédure fixée par le législateur respectant les droits et obligations de chacun et ne créant pas d'effet d'aubaine, de favoriser la rotation du parc immobilier. En effet, les occupants sans titre ne peuvent - par définition - ni diviser, céder ou transmettre à leurs ayant droits les terrains, ni les mettre en gage.
Proposition n° 89 : Engager une procédure de régularisation des occupants sans titre et de bonne foi dans la zone des cinquante pas géométriques. |
* 174 Avis n° 243 (2008-2009) présenté au nom de la commission des affaires économiques du Sénat sur le projet de loi pour le développement économique de l'outre-mer par M. Daniel Marsin, Sénateur, 4 mars 2009.
* 175 Loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral.
* 176 Loi n° 96-1241 du 30 décembre 1996 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les DOM.