B. « L'ÉCONOMIE » DE L'IMMIGRATION CLANDESTINE
1. Une immigration très « rentable » pour ceux qui l'organisent
Le développement des réseaux d'immigration clandestine entre les Comores et Mayotte s'explique en partie par l'efficacité économique de leur organisation. Les « kwassas-kwassas » utilisés sont, à l'origine, des bateaux de pêcheurs se trouvant à Anjouan, notamment à Domoni. Leur utilisation pour l'immigration clandestine s'est développée pour fournir un revenu d'appoint aux pêcheurs comoriens.
Mais, récemment, l'augmentation du prix de la traversée a conduit à une « rentabilité » de l'immigration clandestine. Le prix de la traversée par personne évolue , selon les informations recueillies par votre rapporteur spécial auprès du colonel de gendarmerie à Mayotte, entre 100 et 300 euros . Ainsi, si une embarcation contient 40 personnes, la traversée peut rapporter 10.000 euros au propriétaire du bateau. Cette somme, très élevée au regard du revenu comorien, peut suffire à rentabiliser l'achat de l'embarcation. Le secrétariat d'Etat à l'outre-mer estime que les départs des villages du sud-est de l'île d'Anjouan sont « quasi quotidiens » et que les propriétaires de bateaux emploient très souvent les services de rabatteurs chargés de trouver des candidats pour la traversée. Selon les informations transmises par les forces de l'ordre mahoraises, les passeurs recrutent aujourd'hui directement des immigrants volontaires sur les plages anjouanaises où se trouvent les bateaux de pêcheurs.
Les fabricants de « kwassas-kwassas » se trouvent également sur le territoire anjouanais, essentiellement à Domoni. Selon les informations transmises par la gendarmerie mahoraise, l'un de ces fabricants, actif dans les réseaux d'immigration clandestine, recevrait en moyenne 450 appels par mois sur son téléphone portable.
Le prix de la traversée est acquitté avant le départ, directement au propriétaire de la barque. L'augmentation des prix de la traversée, qui peut aujourd'hui atteindre 300 euros, semble essentiellement due aux risques croissants d'interception par les forces de l'ordre françaises. Mais plus le prix de la traversée est élevé, plus celle-ci est « rentable » pour les passeurs .
De même, l'augmentation du nombre d'arraisonnements de bateaux ne « décourage » pas leurs pilotes. Ceux-ci, recrutés le plus souvent quelques heures seulement avant la traversée, ont vu en effet leur rémunération augmenter du fait de l'accroissement du nombre d'interceptions. Ils sont payés entre 300 et 400 euros, ce qui peut représenter plus d'eux plus d'une année de salaire. Cette perspective explique que, malgré le durcissement de la politique pénale vis-à-vis de ces pilotes , qui sont aujourd'hui systématiquement condamnés à des peines d'emprisonnement d'une durée moyenne de 12 mois, ils récidivent souvent dès leur sortie de prison .
Face à ce constat, la politique de destruction systématique des embarcations interceptées par les forces de l'ordre française est partiellement efficace. Elle permet en effet de réduire la « rentabilité » de la traversée pour le propriétaire de l'embarcation. Toutefois, si une traversée suffit à « rentabiliser » l'achat d'une embarcation, cette politique ne permettra pas de mettre un terme aux traversées illégales par « kwassas-kwassas ».
Enfin, les passeurs utilisent les bateaux qui sont parvenus à accoster sur les côtes françaises pour faire, à l'occasion du trajet retour vers Anjouan, du trafic de marchandises, ce qui permet d'accroître la rentabilité économique de l'opération.
2. Les sources de financement utilisées par les immigrés clandestins
Le montant de la traversée, qui peut s'élever à 300 euros, est élevé au regard du niveau de vie des comoriens puisque, comme votre rapporteur spécial l'a rappelé ci-avant, le revenu national brut comorien par habitant s'élevait en mai 2005 à 431 euros. Une traversée peut donc représenter pour certains comoriens l'équivalent d'une année de revenu.
Le développement de l'immigration clandestine entre les Comores et Mayotte s'explique, toutefois, par la diversité des sources de financement dont disposent les comoriens pour s'acquitter du prix de la traversée .
Le directeur de la police aux frontières a notamment indiqué à votre rapporteur spécial que l'importance du travail clandestin à Mayotte était un facteur déterminant de la permanence d'une forte immigration clandestine . Selon lui, les immigrés clandestins n'ont pas de difficultés à trouver un emploi illégal sur le territoire mahorais. Or, quatre à cinq mois de travail à Mayotte peuvent suffire, d'une part, pour faire vivre leur famille restée aux Comores et, d'autre part, pour épargner suffisamment afin de financer la traversée de certains d'entre eux. A ce sujet, il apparaît que les stations radios BLU, très développées sur le territoire mahorais, servent également à effectuer des transferts de fonds entre Mayotte et les Comores. Les opérateurs jouent en quelque sorte le rôle d'établissements bancaires, un opérateur recevant les fonds à Mayotte, en informant son correspondant sur le territoire comorien, celui-ci pouvant alors procéder au versement de fonds d'un montant équivalent aux personnes souhaitées, aux Comores. Selon le commandant de la gendarmerie de Mayotte, ce sont 14 BLU qui seraient présents sur le territoire mahorais.
Par ailleurs, le trafic de marchandises sur les « kwassas-kwassas » qui retournent de Mayotte aux Comores enrichit aussi certains immigrés clandestins . La gendarmerie mahoraise a ainsi fait état de cambriolages à Mayotte dont l'unique objectif est de revendre les produits volés aux passeurs, qui se chargent de les transférer aux Comores. Les biens volés sont stockés dans des « bangas », invisibles aux yeux des forces de l'ordre françaises, et exfiltrées la nuit par taxis illégaux vers les plages où accostent les « kwassas-kwassas ». Selon les informations recueillies par votre rapporteur spécial auprès de la gendarmerie mahoraise, ces trafics seraient particulièrement lucratifs.
Enfin, la gendarmerie de Mayotte a fait état de l'accroissement des trafics de stupéfiants qui permettent également de rentabiliser les traversées clandestines.