III. LE TRAITEMENT DE LA POPULATION ÉTRANGÈRE EN SITUATION IRRÉGULIÈRE
A. DES RECONDUITES À LA FRONTIÈRE QUI SE PASSENT GLOBALEMENT BIEN MAIS N'ENDIGUENT PAS LE NOMBRE DE CLANDESTINS
1. Environ 16.000 éloignements par an
Le secrétariat d'Etat à l'outre-mer indique qu'environ 16.000 personnes par an sont éloignées du territoire mahorais. Le nombre d'arrêtés préfectoraux de reconduites à la frontière (APRF) mis en oeuvre en 2007 s'est élevé à 13.187. Parallèlement, plus de 2.000 mineurs par an sont éloignés du territoire, en même temps que les proches qui les accompagnent, et ne sont pas comptabilisés dans le nombre d'APRF.
Sur le total des interpellations de clandestins, un quart à un tiers est effectué directement sur les « kwassas-kwassas », le reste étant effectué sur terre.
Evolution du nombre d'arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière mis en oeuvre entre 2000 et 2007
Source : secrétariat d'Etat à l'outre-mer
Malgré la multiplication par trois du nombre d'APRF mis en oeuvre entre 2000 et 2007 , les informations recueillies par votre rapporteur spécial auprès de la police aux frontières indiquent que le nombre d'étrangers en situation irrégulière sur le territoire mahorais ne diminue pas. Les mesures d'éloignement sont donc encore insuffisantes pour résorber le nombre d'immigrés clandestins présents à Mayotte.
Le constat qui a été fait par la police aux frontières, suite à la mise en place d'un équipement informatique permettant la prise d'empreinte des immigrés clandestins renvoyés dans leur pays d'origine, est qu' environ un quart de ces clandestins sont des récidivistes . A titre anecdotique, la police aux frontières signale d'ailleurs que nombreux sont les clandestins éloignés du territoire qui disent « à la prochaine fois » aux forces de l'ordre avant leur départ. Le taux, relativement élevé, de récidivistes semble s'expliquer par le fait que les immigrés clandestins minimisent les risques de la traversée et ne craignent pas d'être à nouveau reconduits dans leurs pays d'origine.
2. Des conditions de reconduite à la frontière globalement satisfaisantes
a) Des conditions d'hébergement dans le centre de rétention administrative particulièrement précaires
Une fois interceptés, en mer ou sur terre, les clandestins sont conduits dans le centre de rétention administrative (CRA) de Pamandzi, que votre rapporteur spécial a visité. La durée de la rétention est en moyenne de 2 jours .
Les conditions de vie dans le CRA sont particulièrement sommaires . Celui-ci est composé de toilettes, de douches et de trois pièces carrelées, sans équipement particulier : une pour les femmes, une pour les hommes, ainsi qu'un « coin cuisine » particulièrement dégradé. La commission nationale de déontologie de la sécurité, saisie par nos collègues Nicole Borvo Cohen-Seat et Etienne Pinte, député, a rendu le 14 avril 2008 un avis 22 ( * ) qui dénonce fermement les conditions de rétentions dans le CRA de Pamandzi, estimant que « le centre de rétention administrative de Mayotte [était] indigne de la République ». La commission a ainsi constaté que pour une capacité théorique de 60 places, le CRA était fréquemment surchargé, accueillant parfois près de 220 personnes et que les clandestins qui y transitent peuvent être contraints, comme l'a constaté votre rapporteur spécial, de dormir à même le sol .
b) L'absence de troubles lors des éloignements
Les forces de l'ordre font état de peu d'incidents dus aux immigrés clandestins lors de l'arraisonnement des « kwassas-kwassas ». Seuls 3 à 4 gendarmes suffisent d'ailleurs à intercepter et à ramener sur le territoire français des embarcations qui peuvent contenir jusqu'à 45 passagers . Ces interceptions peuvent toutefois provoquer des incidents graves, comme dans la nuit du 4 au 5 décembre 2007 où la collision entre le bateau d'interception de la gendarmerie et un « kwassa-kwassa » a causé la mort de deux migrants Comoriens.
Les reconduites à la frontière se font selon deux modalités différentes : par bateau jusqu'à Anjouan ou par avion.
Le plus grand nombre de reconduites à la frontières se fait à bord du Maria Galanta, navire qui appartient à une compagnie privée assurant une liaison entre Mayotte et Anjouan, trois fois par semaine. L'Etat a passé une convention avec cette compagnie qui achemine ainsi régulièrement des groupes d'environ 80 clandestins comoriens de Mayotte à Anjouan. Selon les informations recueillies sur place par votre rapporteur spécial, seuls 30 passagers par jour utilisent par ailleurs les services du Maria Galanta et il est probable que la compagnie qui exploite ce bateau ferait faillite si l'Etat cessait de l'utiliser pour les reconduites à la frontière.
D'autres éloignements se font par avion, à bord de la compagnie Comores Aviation, qui affrète des avions de 16 places à la demande de la police aux frontières.
Selon les informations recueillies sur place par votre rapporteur spécial, un nombre réduit de 3 à 4 policiers suffit aussi pour prendre en charge la reconduite à la frontière de 80 clandestins, sans que cette opération ne donne lieu à des incidents, que ce soit au moment de l'embarquement en France où au moment du débarquement aux Comores.
D'après la police aux frontières de Mayotte, les immigrés clandestins comoriens semblent relativiser la gravité de leur reconduite à la frontière. Une des propositions formulées par les services de police de Mayotte serait que les éloignements se fassent non plus vers Anjouan mais vers la Grande Comore, ce qui « compliquerait » la tâche des clandestins qui souhaitent à nouveau tenter la traversée vers Mayotte . Votre rapporteur spécial estime que cette proposition, quoique plus coûteuse que la solution actuellement mise en oeuvre, pourrait utilement être étudiée.
3. Les problèmes posés par les refus des Comores d'accueillir leurs ressortissants
Les éloignements des immigrés clandestins comoriens vers les Comores doivent, pour être mis en oeuvre, recueillir l'accord du gouvernement comorien.
Or, à plusieurs reprises, le gouvernement comorien a refusé d'accueillir ses ressortissants . Le secrétariat d'Etat à l'outre-mer indique ainsi que, « en 2007, les reconduites en bateau comme par voie aérienne vers Anjouan ont été à plusieurs reprises longuement suspendues ». Ce fut à nouveau le cas en avril 2008, lors de la fuite en France du colonel Bacar, suite à son renversement par les forces comoriennes.
Cette situation explique en partie la diminution du nombre de reconduites à la frontière en 2007, par rapport à 2006, ainsi que l'évolution chaotique du nombre de reconduites à la frontière en 2007.
Evolution mensuelle du nombre de reconduites à la frontière en 2007
Source : secrétariat d'Etat à l'outre-mer
Par ailleurs, les informations recueillies par votre rapporteur spécial auprès du chef du bureau des étrangers à la direction de la réglementation et des libertés publiques de Mayotte indiquent que les refus du gouvernement comorien provoquent une situation particulièrement tendue sur le territoire mahorais, où le nombre de clandestins interpellés et non reconduits à la frontière augmente, notamment dans le centre de rétention administrative de Pamandzi.
Il est donc impératif que le gouvernement français renforce sa coopération avec le gouvernement comorien pour s'assurer de la continuité des flux de reconduites aux Comores des immigrés en situation irrégulière .
* 22 Avis de la commission nationale de déontologie de la sécurité du 14 avril 2008 concernant les circonstances du naufrage d'un bateau d'immigrants au large de Mayotte dans la nuit du 4 au 5 décembre 2007.