ANNEXE : REFERE DE LA COUR DES COMPTES RELATIF AUX PERSONNELS SANS AFFECTATION DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET EUROPÉENNES
Le Premier président Paris, le
49314
à
MONSIEUR LE MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES ET EUROPEENNES
Objet : Hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères sans affectation
Annexe : Une note complémentaire
Après avoir contrôlé la situation des préfets au ministère de l'intérieur, la Cour a voulu examiner les conditions dans lesquelles le ministère des affaires étrangères et européennes est conduit à laisser sans activité définie, pendant une durée pouvant dépasser les quelques mois requis pour leur trouver une affectation adéquate, les agents les plus élevés dans la hiérarchie du Quai d'Orsay.
Tout en se félicitant d'avoir bénéficié au cours de son enquête du concours très positif de ses interlocuteurs et après avoir pris connaissance des réponses fournies elle a souhaité vous faire part de ses observations.
Quoiqu'un petit nombre d'agents, en valeur absolue, se trouve concerné par ce problème, son caractère récurrent exclut qu'il puisse n'être que passager ou exceptionnel. C'est pourquoi la Juridiction vous incite, par delà les efforts déjà engagés pour le résoudre, à tenter de lui trouver une réponse appropriée et durable dans ses effets positifs.
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Si la question des hauts fonctionnaires sans affectation est bien connue du ministère, pour autant elle reste incomplètement suivie. Certes, la direction des ressources humaines établit périodiquement une note de situation sur les agents de catégorie A « disponibles » et sur ceux affectés à des « missions ponctuelles ». Ces états permettent au ministère de disposer de l'information sur ces situations. Mais la destruction régulière de ces notes exclut un suivi dans la durée de ces données et de leur évolution.
Les états que la Cour a pu consulter au cours de son enquête révèlent qu'il ne s'agit pas pour l'administration des affaires étrangères d'un phénomène marginal. A l'été 2006, 14 hauts fonctionnaires étaient « disponibles », 16 « prochainement disponibles », 17 sur des « missions ponctuelles » et 4 en « prolongation légale d'activité ». La situation observée deux ans auparavant faisait ressortir des ordres de grandeur équivalents. L'annuaire diplomatique fait lui aussi apparaître chaque année un nombre important d'agents sans affectation. Rapporté au total des agents des corps à vocation diplomatique, le ratio correspondant peut être estimé à environ 2,46 %. L'analyse par grade montre que le phénomène s'aggrave plus les agents s'élèvent dans la hiérarchie. Parmi les 177 ministres plénipotentiaires, 4 % sont sans affectation, 1,7 % en prolongation légale d'activité et 4,5 % sur des missions ponctuelles. Parmi les conseillers des affaires étrangères, le chiffre total correspondant à ces trois catégories ne représente que 2,7 % du corps. A l'inverse, ce chiffre est marginal - un cas pour 649 agents - pour les secrétaires des affaires étrangères. Certains agents sont d'ailleurs dans ces positions de façon très anormalement prolongée : ainsi un conseiller des affaires étrangères de 1 ère classe n'a fait l'objet d'aucune affectation depuis 1999, ce qui ne l'a pas privé de rémunération jusqu'à sa retraite au mois de mars 2006.
Par ailleurs, l'analyse des situations constatées fait apparaître qu'elles concernent le plus souvent des agents en fin de carrière. Parmi les ministres plénipotentiaires pour lesquels l'annuaire diplomatique 2005 ne mentionne pas de fonction, douze sur dix-huit ont 63 ans ou plus. Les motifs avancés tiennent, entre autres, à la difficulté de nommer un ambassadeur à un ou deux ans de la retraite , pour éviter une durée des fonctions sur place trop brève, ou encore au refus de certains agents ayant occupé des fonctions élevées, d'accepter un poste qu'ils considèrent comme ne correspondant pas au niveau de responsabilité déjà précédemment exercé par eux. Mais cette situation tient surtout à la pyramide des emplois. Au 31 décembre 2005, au regard des dispositions du statut particulier des agents diplomatiques et consulaires, 407 agents 9 ( * ) avaient vocation à occuper des fonctions de chef de mission diplomatique. Or, à la même date, pouvait être recensé un total de 177 postes correspondants 10 ( * ) , c'est-à-dire moins que le seul effectif des ministres plénipotentiaires (194). Certes, plusieurs autres catégories d'emplois peuvent également être prises en compte : emplois de direction en administration centrale pourvus par décret en conseil des ministres (secrétaire général, directeurs, conseillers diplomatiques du Gouvernement, inspecteur général des affaires étrangères) ; emplois de chef de service, directeur adjoint et sous-directeur à l'administration centrale. Au total, ces postes représentaient au 31 décembre 2005, 66 emplois dont la moitié pour les sous-directions. De même, le réseau consulaire devrait permettre certains débouchés satisfaisants notamment dans les postes les plus importants tels New-York, Rio de Janeiro, Milan, etc.. Mais les 33 emplois de sous-directeurs d'administration centrale comme les postes du réseau consulaire sont ouverts aux 715 conseillers des affaires étrangères et notamment aux 213 conseillers des affaires étrangères hors classe. Ainsi, un pyramidage des corps trop favorable, avec en particulier un effectif trop important d'agents pouvant légitimement prétendre aux postes d'ambassadeur ou de direction, a créé au fil des ans une situation difficile au regard du nombre d'emplois correspondants.
La Cour ne méconnaît pas les initiatives positives prises par le ministère pour répondre à cet état de fait. Elles mériteraient toutefois d'être améliorées ou conduites avec plus de détermination. Pour intéressante qu'elle soit, la formule des ambassadeurs en mission doit, comme le relevait un rapport de l'Inspection générale des affaires étrangères en date du 10 mai 2005, être « densifiée ». A ce jour, elle souffre d'abord d'insuffisances dans la définition du contenu des missions et partant d'un défaut de légitimité vis-à-vis des services. De surcroît les nominations n'interviennent pas toujours en conseil des ministres et elles correspondent à des activités d'une visibilité incertaine, exercées dans des conditions matérielles inégales. Ces emplois devraient faire l'objet d'une évaluation périodique et être systématiquement rattachés à un supérieur hiérarchique autre que le ministre ou son cabinet. De même, la définition des fonctions de conseiller diplomatique du Gouvernement n'a jamais été prévue et elle ne correspond guère à la responsabilité éminente que laisserait espérer cette appellation prestigieuse. Initiative récente, la création d'un conseil des affaires étrangères comprenant notamment des cadres dirigeants du Quai d'Orsay méritera une évaluation régulière de la réalité de ses activités. Enfin, les efforts que déploie le ministère pour placer ses agents dans d'autres administrations, établissements publics, centres d'analyse ou entreprises gagneraient, à l'évidence, à être développés.
Dans le même esprit, le ministère des affaires étrangères a tenté, par décret n° 98-487 du 17 juin 1998, de mettre en place une position de congé spécial pour les ministres plénipotentiaires. Mais cette mesure n'a pas connu de réalisation concrète. Par ailleurs, il n'existe pas une position équivalente à la position « hors cadres » du corps préfectoral. Dans ce contexte, les mesures visant à réduire l'effectif des diplomates au sommet de leur carrière se limitent aujourd'hui au ralentissement des carrières, à la disponibilité spéciale et au dispositif de fin d'activité. Ces mécanismes rencontrent tous des freins, soit qu'ils n'aient pas ou peu été appliqués, soit qu'ils se soient heurtés à des réticences internes que l'administration a renoncé à surmonter. A cet égard, la Cour regrette que le ministère des affaires étrangères n'envisage pas de proposer à nouveau une modification de l'article 59 du statut des agents diplomatiques et consulaires relatif à la disponibilité spéciale qu'à ce jour il a renoncé à utiliser.
Le contrat de modernisation 2006-2008 signé conjointement par le ministre des affaires étrangères et européennes et le ministre délégué du budget , des comptes publics et de la fonction publique prévoit de réduire le nombre d'agents d'encadrement supérieur afin de le rapprocher du nombre de postes effectivement disponibles. A cette fin sont prévues : des mesures de diminution et de repyramidage concernant 73 postes en trois ans par la définition d'un ratio promus/promouvables aux grades concernés adapté ; la poursuite d'« une politique active de placement des cadres en dehors du ministère » ; « la mise en place d'un dispositif de fin d'activité destiné à anticiper certains départs en retraite avec un objectif de vingt personnes entrant dans le dispositif entre 2006 et 2008 ». Ce « dispositif de fin d'activité » devrait concerner les cadres supérieurs âgés de 58 à 62 ans. Leur serait ainsi offerte la possibilité d'être dispensés d'activité pendant une durée de six mois à trois ans, à leur choix, tout en bénéficiant d'une partie de leur rémunération. La période en cause compterait pour le calcul des droits à retraite. Cette position serait compatible avec un emploi dans le secteur privé. A l'issue de la période, les agents seraient automatiquement mis à la retraite. Sans qu'il soit possible à ce stade de se prononcer sur l'effet de cette nouvelle mesure, la Cour ne peut que regretter la longueur du délai nécessaire pour aboutir à un accord avec la direction du budget sur ces modalités.
A cet égard, la Cour observe que plusieurs administrations étrangères, en particulier au Royaume-Uni et en Allemagne, offrent des exemples intéressants d'initiatives prises pour répondre à ce type de difficultés. Sans qu'il soit toujours envisageable de les transposer dans notre pays, l'examen de certaines dispositions pourrait utilement contribuer à la réflexion (plan de réduction des effectifs du haut de la hiérarchie; externalisation de certaines fonctions ; départs en retraite anticipés pour les agents de plus de 50 ans, sur la base du volontariat ; mise en place d'une cellule de reconversion au Foreign Office ; dispositifs de départs exceptionnels ou anticipés, carrières plus courtes, haut encadrement moins nombreux, valorisation des emplois en administration centrale en Allemagne etc.).
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La Cour a pris acte des initiatives prises par le ministère des affaires étrangères et européennes pour assurer une gestion optimale de son encadrement supérieur, en particulier en fin de carrière. Cette question n'est certes pas spécifique à ce département ministériel, ni même à la seule administration de l'Etat. De plus, elle a conscience que ce ministère ne maîtrise pas toujours, loin de là, les départs de ses agents ni les nominations de personnalités extérieures sur des fonctions d'encadrement supérieur.
Pour autant, quelles que soient les justifications avancées, la Cour estime que la rémunération de hauts fonctionnaires sans affectation ou notoirement sous-employés de façon prolongée n'est pas acceptable. Elle est coûteuse pour les finances publiques 11 ( * ) et fâcheuse sur le plan de la gestion des ressources humaines. En outre elle déroge aux principes et au droit de la fonction publique. A cet égard, la Juridiction croit devoir vous rappeler que les agents du ministère sont soumis au droit commun de la fonction publique et au « statut particulier des agents diplomatiques et consulaires » qui disposent que le droit à rémunération des fonctionnaires est expressément conditionné par le « service fait ». Les infractions à ce principe sont juridiquement susceptibles de mettre en jeu la responsabilité non seulement des comptables mais aussi des ordonnateurs. De même, la jurisprudence « Guisset » du Conseil d'Etat ouvre la faculté aux hauts fonctionnaires, privés d'emploi contre leur volonté clairement exprimée, d'obtenir de l'Etat une compensation financière. Il est donc du devoir du ministère de tout mettre en oeuvre pour remédier durablement à cette situation, y compris, à défaut d'être en mesure de trouver des affectations utiles au bon fonctionnement du service public, en envisageant, le cas échéant, des mesures de dégagement des cadres.
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Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de trois mois prévu à l'article R. 135-2 du1. ) code des juridictions financières, les suites que vous aurez données à la présente communication.
Je vous rappelle qu'en application de l'article L. 135-5 du code des juridictions financières, ce référé sera transmis, trois mois après vous avoir été envoyé, aux commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de vos réponses si celles-ci sont parvenues dans ce délai. A défaut, vos réponses seront transmises au Parlement dès réception par la Cour.
Philippe SÉGUIN
* 9 194 ministres plénipotentiaires et 213 conseillers des affaires étrangères hors classe.
* 10 156 missions diplomatiques appelées aussi « ambassades bilatérales », 17 représentations diplomatiques, 4 délégations permanentes.
* 11 A titre indicatif, la Cour a estimé que les agents sans affectation figurant sur la fiche d'avril 2006 représentaient (hors charges de retraites) un coût annuel (rémunération et charges sociales et patronales) de l'ordre de 1,5 M€.