CONCLUSION

En créant un ministère de l'immigration, le gouvernement offre des perspectives pour trouver une issue au « casse-tête des visas ».

D'une part, le ministère de l'immigration doit susciter une culture de travail commune à l'ensemble des administrations en relations avec les flux migratoires, afin que celles-ci travaillent en confiance et de manière concertée. Cette culture de travail commune sera facilitée par une clarification de la tutelle sur les administrations concernées, qui doit progressivement revenir au nouveau ministère.

D'autre part, en dotant ce ministère d'un budget, il offre la possibilité de faire des choix, de réaliser des arbitrages trop longtemps différé au profit des services des visas. Entre le coût d'instruction d'un visa, 35 euros, et le coût d'une reconduite à la frontière (1.801 euros), des choix déterminants peuvent être faits en matière d'action publique.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 26 juin 2007, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a entendu une communication de M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial sur la politique des visas issue d'un contrôle sur pièces et sur place des services des visas conduit au cours du premier semestre 2007, en application de l'article 57 de la LOLF.

Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial, a indiqué avoir contrôlé, au cours de quatre déplacements, sept consulats (Ankara, Istanbul, Moscou, Saint-Petersbourg, Pointe-Noire, Tananarive, Tamatave), les 31 consulats les plus importants ayant par ailleurs été interrogés par la voie d'un questionnaire écrit.

Tout d'abord, il a rappelé que l'activité « visas » ne constituait pas un coût net pour l'Etat, malgré une demande qui ne pouvait qu'augmenter.

Il a constaté sur la période récente une légère contraction de la demande liée à une responsabilisation des demandeurs par le paiement de frais de dossier, l'introduction d'une assurance obligatoire et à la réduction de la demande algérienne, liée à une amélioration de la situation du pays. Mais, à moyen terme, prenant en compte la pression migratoire, provenant d'Afrique sub-saharienne essentiellement, et la mobilité internationale des ressortissants de Russie, de Chine, de Turquie, des autres pays émergents, il a jugé que la demande ne pouvait que croître.

Sur le plan strictement budgétaire, M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial, a jugé que la France était en mesure de faire face à une demande de visas accrue, car les frais de dossier permettaient d'autofinancer les services des visas. Il a évalué le coût complet de l'instruction des dossiers de visas à 82,3 millions d'euros en 2006 et à 85 millions d'euros pour 2007. Il a précisé que le plafond d'emploi était de 900 emplois équivalent temps plein (150 titulaires en administration centrale, 239 dans le réseau et plus de 500 recrutés locaux), mais qu'il existait une certaine tension sur les effectifs puisque le plafond d'emploi avait été dépassé en 2006, les effectifs ayant atteint 950 équivalents temps plein.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial, a souligné que le paiement des frais de dossier par les demandeurs, qu'ils obtiennent ou non leur visa, permettait un autofinancement de l'activité visas : en 2006, le taux d'autofinancement de l'instruction des visas était de 89,3 %. Il a fait valoir que le montant des recettes pour le budget général de l'Etat issu du relèvement des droits visas au 1er janvier 2007 (de 35 à 60 euros par demande) devrait atteindre 114 millions d'euros cette année, selon des estimations du ministère des affaires étrangère se fondant sur le niveau de la demande de l'année précédente, d'où, a priori, un autofinancement à plus de 100 % du traitement de la demande de visas en 2007. Il a rappelé que néanmoins, seulement 50 % des frais de dossiers étaient rétrocédés aux consulats en application du contrat de modernisation du ministère des affaires étrangères.

En ce qui concernait la fiabilité des procédures et la qualité de service offerte par les consulats, M. Adrien Gouteyron , rapporteur spécial, a jugé qu'il était utile d'évaluer le pourcentage de visas court séjour ayant été détournés de leur vocation initiale : dépôt d'une demande d'asile ou, surtout, maintien en situation irrégulière sur le territoire. Or, a-t-il souligné, on ne savait pas aujourd'hui si le titulaire d'un visa de court séjour avait quitté ou non le territoire.

Il a indiqué qu'un chiffre permettait de mesurer la fiabilité des procédures : 16,5 % des personnes éloignées à la frontière en 2005 avaient pu entrer sur le territoire grâce à un visa des consulats. Il a fait valoir qu'il s'agissait en quelque sorte du taux d'erreur de nos services des visas, et remarqué que ce pourcentage était assez faible.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial, a appelé à suivre un tel indicateur sur la durée, et consulat par consulat, afin d'orienter les moyens vers les postes les plus exposés.

En termes de qualité de service, par ailleurs, il a noté «  un mieux », mais rappelé que des améliorations étaient encore nécessaires. Il s'est félicité de la disparition progressive des files d'attente, puisque 40 consulats recevaient les demandeurs sur rendez-vous, pris par téléphone. Néanmoins, il a jugé que les délais restaient un point noir, les consulats ne mesurant d'ailleurs pas vraiment le délai d'attente avant rendez-vous, mais seulement le délai de traitement. Il a proposé de publier les délais d'attente en ligne, comme le faisaient les consulats américains.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial, a souligné que nombre de consulats sous tension étaient face à un dilemme : rallonger les délais, notamment dans les périodes de pic d'activité (vacances notamment) ou contingenter la demande, comme à Moscou, où une agence de voyage par autocar ne pouvait pas déposer plus de 100 dossiers par jour (soit deux autocars). Il a regretté que la mise en oeuvre de la biométrie, et la prise d'empreintes des demandeurs, aient conduit à des délais de rendez-vous pouvant aller jusqu'à 3 ou 4 semaines (Beyrouth, Bombay...) en haute saison.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial, a ensuite évoqué le mode de travail des services des visas, et les relations qu'ils entretenaient avec les autres administrations françaises ou avec les autres consulats de l'espace Schengen. Il a jugé que les tensions autour de l'activité visas supposaient une nouvelle culture de travail de nos administrations qui traitaient de près ou de loin les phénomènes migratoires.

Parmi les tensions, M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial, a rappelé que la fraude documentaire était endémique, 30 % à 80 % des actes vérifiés étant frauduleux dans des pays tels que le Sénégal, la Côte-d'Ivoire, les deux Congo, le Togo, Madagascar ou les Comores. Il a précisé que cette fraude touchait les actes officiels d'état civil, toute pièce officielle devant être authentifiée, sous peine d'erreurs majeures dans les identités, les liens de filiation et de parenté (exemple du regroupement familial), ce qui rallongeait les délais.

Soulignant que les consulats alertaient sur ces pratiques, il a regretté que les administrations sur le territoire national reçoivent ces informations avec trop de légèreté et de naïveté. Il a cité l'exemple du consulat de Pointe-Noire, où l'on constatait de nombreux exemples de regroupement familial d'enfants dont il avait été démontré que le lien de filiation avait été falsifié, ou de jugements de naturalisation avec des identités usurpées.

Il a précisé que les réponses à la fraude documentaire étaient difficiles, mais que, selon lui, une culture de travail commune autour des documents d'état civil devait naître entre les administrations concernées, toute décision (carte de séjour, naturalisation, regroupement d'état civil) devant être précédée d'une authentification des actes d'état civil dans les pays « à risque ». Il a appelé à préparer l'avenir, grâce au renforcement de la coopération avec les services d'état civil africains.

Saluant l'excellent travail des agents des services des visas, réalisé dans des conditions difficiles, M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial, a néanmoins regretté des cas avérés de corruption fréquents autour de l'activité « visas », et noté qu'aucun des consulats qu'il avait visités depuis 2005 n'avait été malheureusement épargné par des cas de corruption des agents, en relation avec la demande de visas.

Il a enfin rappelé que les consulats subissaient des interventions massives : interventions d'élus ou de cabinets ministériels, interventions internes aux ambassades, mais, surtout, interventions locales, celles-ci pouvant tourner au harcèlement : 2.000 interventions par an à Yaoundé ou Bombay, 1.000 à Ouagadougou.

Face à ces tensions et pressions, M. Adrien Gouteyron a considéré que la création du nouveau ministère de l'immigration devait susciter une culture commune de travail aux services en relation avec les mouvements migratoires, notant qu'un mieux était perceptible entre consulats et préfectures, même si des méfiances persistaient. Il a souligné qu'il convenait naturellement d'éviter les décisions divergentes entre administrations  exemple de la décision de regroupement familial et de la délivrance de visa  car il n'y avait qu'un seul Etat, l'agence nationale d'accueil des étrangers et des migrations ne devant pas ainsi autoriser un regroupement familial sur la base de documents d'état civil que le consulat avait déterminés comme faux.

Il a dès lors souhaité  la création d'une culture commune de travail, à travers la formation et la création d'instituts de formation consulaire et préfectoral, et un développement de la formation à distance pour les recrutés locaux, dont la formation était aujourd'hui négligée.

M. Adrien Gouteyron a ensuite souhaité insister sur les enjeux d'une amélioration du fonctionnement de l'espace Schengen qui restait encore trop constitué par la juxtaposition de politiques nationales, relevant que, pays par pays, la liste des pièces justificatives à l'appui des demandes de visas n'était pas toujours commune, que les taux de refus de visas étaient très variables selon les consulats, pour un même pays, même lorsque les demandeurs de visas présentaient le même profil, et que l'absence de base informatique commune nuisait indéniablement à la circulation de l'information.

Enfin M. Adrien Gouteyron s'est demandé comment franchir un nouveau saut qualitatif sans effectifs supplémentaires.

Il a suggéré une externalisation des tâches annexes, par ailleurs rendue incontournable par le développement de la biométrie. Il a fait remarquer que les consulats ne savaient pas, ou ne pouvaient pas, renseigner les demandeurs de visas, de manière personnalisée : pièces à fournir, état de traitement de la demande, avertissement de la disponibilité du passeport, convocation à un entretien ultérieur. Il a souligné que les consulats n'étaient en mesure d'absorber les pics d'activité.

Il rappelé que la biométrie nécessitait une prise d'empreinte digitale systématique, mais que le taux moyen de comparution personnelle des demandeurs de visas n'était aujourd'hui que de 40 %, masquant d'importantes disparités selon les consulats. Il a conclu qu'il y avait un manque de personnel et de locaux considérable pour faire face aux besoins de prise d'empreintes digitales dans les grands consulats où la demande était en constante augmentation, mais que ceci pouvait se résoudre par une externalisation des tâches annexes au secteur privé.

M. Adrien Gouteyron a regretté que la France soit en retard dans ce mouvement - 9 consulats étant aujourd'hui concernés - alors que les gains de productivité à attendre étaient de l'ordre de 10 % à 15 % en termes d'emplois.

Il a précisé que le passage par un prestataire agréé supposait une mise en concurrence préalable, ouverte et transparente, ce qui n'avait pas été le cas des contrats passés par le Quai d'Orsay. Il a regretté en outre que ce ministère n'ait pas souhaité faire émerger un acteur français dans le domaine de l'externalisation de la procédure visa. Il a jugé que les contrats devaient comporter des engagements précis des prestataires privés en termes de tarifs et d'objectifs : délai de rendez-vous, absorption des pics d'activité, transmission des dossiers complets, implantations géographiques, ce qui n'était pas le cas aujourd'hui. Enfin, il a souligné que l'externalisation menée par le Quai d'Orsay se faisait encore aujourd'hui au cas par cas, et non de manière globale, ce qui limitait les gains de productivité, alors qu'il y avait un intérêt à généraliser la démarche, au moins aux 30 premiers consulats.

M. Adrien Gouteyron a jugé enfin que l'externalisation ne permettrait pas d'éluder complètement la question des effectifs et qu'il manquerait encore des emplois dans les services des visas.

Sur la base des ratios de productivité britanniques (8.000 dossiers de visas par agent titulaire), il a conclu qu'il manquerait 50 agents titulaires dans les services des visas. Notant que le ministère des affaires étrangères n'avait jamais voulu arbitrer entre des emplois au sein de son réseau culturel et de coopération, malgré la transmission de compétences à l'agence française de développement, et les besoins des services visas, il a considéré que la création d'un ministère de l'immigration devait déboucher sur une mission nouvelle au sens de la LOLF, regroupant les crédits et les emplois des services des étrangers des préfectures, de l'agence nationale d`accueil des étrangers et des migrations, des services des visas, y compris une large part de l'état civil, et des centres de rétention administrative, l'objectif étant de permettre des arbitrages cohérents, entre investissement « préventif » dans les services des visas et les coûts des reconduites à la frontière. Il a par ailleurs fait valoir que des pistes d'économies existaient, l'administration française ayant un ratio administration centrale/consulats plus important que son homologue anglaise, et que la création d'une administration centrale au ministère de l'immigration pouvait dégager des synergies. Enfin, plutôt que de créer des emplois, il rappelé l'opportunité de débloquer des crédits pour payer les heures supplémentaires afin de faire face, sans création d'emplois aux pics d'activité.

Un débat s'est ensuite engagé.

M. Jean Arthuis, président, s'est félicité que le rapporteur spécial se soit penché sur un secteur essentiel pour la maîtrise des flux migratoires. Il s'est demandé si la création de consulats communs aux pays de l'espace Schengen ne pouvait pas susciter des économies.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a évoqué le fonctionnement du service des visas du consulat général de France en Ukraine, qui avait été entaché d'un cas de corruption ayant empêché le bon fonctionnement de l'administration consulaire et souhaité que l'on obtienne davantage d'informations du Quai d'Orsay sur le sort réservé à cet agent.

M. Richard Yung, sénateur, membre de la commission des lois, après avoir évoqué les cas de corruption survenus dans certains pays, a souhaité rappeler la difficulté de la tâche des services des visas.

M. Robert del Picchia, sénateur, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, a fait valoir la difficulté de détecter les cas de corruption, citant un cas survenu au consulat général de France à Téhéran où le service des visas semblait pourtant fonctionner à la satisfaction générale. Il a souligné l'intérêt d'assurer une rotation des agents entre les différents postes de travail.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial, a souligné la difficulté de constituer des consulats communs européens, alors que les politiques, les procédures et les critères restaient nationaux. S'agissant des cas de corruption, qui ne remettaient nullement en cause l'excellent travail de l'immense majorité des agents des services des visas, il a souligné qu'il s'agissait là d'une question difficile, qui demandait une action patiente et systématique.

La commission a donné acte, à l'unanimité, à M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial, de sa communication et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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