IV. UNE VALEUR AJOUTÉE DIFFICILE À MESURER

Au-delà des simples aspects de tutelle et de gestion de la communication, votre rapporteur général a fait porter sa réflexion sur une question plus large : celle de la « valeur ajoutée » de l'AFII .

Cela revient à s'interroger sur deux points :

- quelle est la performance de l'AFII en termes de création d'emplois sur le territoire national ?

- est-il optimal que les missions de l'AFII soient remplies par une agence dédiée, alors qu'il existe d'autres structures qui pourraient peut-être s'en acquitter ?

A. L'EFFICACITÉ DES INTERVENTIONS DE L'AFII RESTE À DÉMONTRER

1. Un objectif principal ne permettant pas de mesurer les investissements réellement suscités par l'action de l'AFII

a) L'objectif de maximisation du « taux de couverture » de l'AFII

La convention d'objectifs et de moyens pour la période 2006-2008, signée le 30 janvier 2006 par l'AFII et ses tutelles dans le cadre de la LOLF, mentionne divers indicateurs, mesurant d'ailleurs bien plus l'attractivité de la France que l'efficacité de l'agence.

Toutefois, l'un d'entre eux ressort particulièrement : le « taux de couverture », défini comme le « nombre d'emplois prévus associés aux projets aboutis, traités par l'AFII et les agences régionales de développement économiques (ARD), rapporté au nombre total d'emplois associés aux décisions d'investissements étrangers en France ».

En effet, deux éléments permettent de faire de ce ratio le principal indicateur de performance de l'AFII jusqu'à cette année :

- d'une part, il s'agit du seul élément transmis au Parlement dans le cadre des projets de lois de finances. Il figure au sein de l'objectif n° 2 « Favoriser les projets d'implantation et de développement d'entreprises internationalement mobiles » de l'action n° 1 « Attractivité et développement économique » du programme 112 « Aménagement du territoire » de la mission « Politique des territoires », l'AFII étant rattachée à titre d'opérateur principal dudit programme ;

- d'autre part, il s'agit du principal objectif des bureaux de l'AFII situés à l'étranger. Cela ressort tant de l'entretien de votre rapporteur général avec M. Jacques Maleval, directeur du bureau de l'AFII à Tokyo, que des lettres de cadrage, fixant ses objectifs et ses moyens, qui lui ont été remises par la direction de l'AFII, ou encore de l'audition de M. Jacques Maleval devant le conseil de direction de l'agence en mars 2006.

A titre d'illustration, le graphique ci-après indique les résultats observés pour les années récentes, et les prévisions pour 2005 et 2006 figurant dans le PAP de la mission « Politique des territoires » relatif à l'année 2006.

La part des emplois traités par l'AFII dans les emplois liés aux investissements étrangers en France (1)

(en %)

(1) « Nombre d'emplois prévus associés aux projets aboutis, traités par l'AFII et les agences régionales de développement économiques (ARD), rapporté au nombre total d'emplois associés aux décisions d'investissements étrangers en France ».

Source : projet annuel de performances de la mission « Politique des territoires » relatif à l'année 2006

Le même PAP retient, dans les développements présentant l'AFII, une formulation légèrement différente de cet objectif, défini comme un « objectif de création d'emplois d'origine étrangère fixé pour 2006 à 34.400 emplois pour 653 projets ».

b) Un indicateur de performance inadéquat

Une approche en termes de « couverture » des investissements étrangers ne donne, en fait, aucune indication sur l'efficacité et l'efficience de l'AFII.

En effet, au seul vu de cet indicateur, il est impossible de savoir si l'action de l'AFII a permis la création de nombreux emplois en France, ou si elle s'est contentée d'accompagner des opérations qui auraient eu lieu de toute façon .

Les investissements étrangers en France obéissent essentiellement aux mêmes déterminants que les investissements internationaux réalisés dans le monde, avec lesquels ils sont fortement corrélés, comme l'indique le graphique ci-après.

Les investissements étrangers directs en France

(en milliards d'euros)

Source : Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (UNCTAD), d'après les données de la Banque de France dans le cas de la France

Dans ces conditions, l'AFII ne peut sans doute jouer qu'un rôle marginal. Par ailleurs, à volume d'activité donné de l'AFII, le taux de couverture des investissements étrangers en France par des actions de l'AFII augmente mécaniquement quand les investissements étrangers en France diminuent. Les investissements étrangers en France ayant connu un « pic » en 2001, l'AFII n'a aucune difficulté à afficher un taux de couverture élevé, largement dépourvu de signification .

Le contrôle sur pièces et sur place effectué par votre rapporteur général au bureau de l'AFII à Tokyo semble confirmer que l'AFII ne suscite les investissements que dans un nombre marginal d'opérations traitées. En effet, afin de se faire une idée de l'efficacité de l'AFII, votre rapporteur général a demandé à chacun des prospecteurs quelle était l'opération dont il était « le plus fier ». Les opérations évoquées étaient toutes de petite taille, ce qui paraît indiquer que l'AFII ne suscite que des investissements relativement modestes.

Ce phénomène semble inévitable. En effet, les grands groupes internationaux n'ont pas besoin des bureaux de l'AFII pour investir en France. Comme le souligne l'Insee, « en France, la taille moyenne d'une société est de 5 salariés. Celle des filiales de groupes étrangers est de 105 salariés (...). Un écart de cette ampleur n'est pas une exception française : il se retrouve dans tous les pays industrialisés et tient principalement au fait que la présence à l'étranger est, par nature, le fait de grands groupes internationaux » 12 ( * ) .

Ainsi, l'indicateur retenu a des effets pervers : il incite les bureaux de l'AFII à disperser leur action sur un grand nombre de projets, dont la quasi-totalité se serait concrétisée de toute façon.

2. Le récent changement de cap de la direction de l'AFII

La direction de l'AFII semble reconnaître le manque de pertinence de son principal indicateur de performance.

a) Une utilisation du principal indicateur à des fins de communication

Certes, l'AFII utilise ledit indicateur à des fins de communication.

Ainsi, le PAP du programme « Aménagement du territoire » de la mission « Politique des territoires » indique que l'« objectif de création d'emplois d'origine étrangère fixé pour 2006 à 34.400 emplois pour 653 projets (...) permet de définir un ratio emploi / subvention de 812 euros par emploi créé ».

Ce montant de 812 euros par emploi créé ne correspond à aucune réalité, dans la mesure où les emplois dont l'AFII a effectivement suscité la création en France ne sont, en aucune façon, discernables de ceux que l'Agence n'a fait qu'accompagner.

Le ratio crédits/emplois du bureau de Tokyo

D'une manière analogue, le bureau de Tokyo revendique, pour l'année 2005, une intervention dans 23 projets ayant créé ou préservé 1.306 emplois en France . Les chiffres globaux du Japon s'étant élevés, en 2005, selon M. Jacques Maleval, à 30 projets pour 1.506 emplois en France, le bureau revendique un taux de pénétration de son marché de 86 % pour un objectif de 70 %, lui-même nettement au-dessus de la moyenne de l'AFII (qui se situe vers 50 %).

Si l'on prenait ces chiffres au pied de la lettre, en rapportant le budget du bureau à celui des emplois « créés ou sauvegardés » sur le sol national, on obtiendrait le ratio impressionnant d'un emploi pour environ 484 euros dépensés.

Cependant, il convient d'atténuer ce résultat :

? d'une part, toutes les dépenses de l'AFII au Japon ne sont pas imputées au bureau ;

? d'autre part et surtout, il n'est pas interdit de penser qu'un nombre significatif d'emplois auraient été créés ou sauvegardés même sans l'intervention de l'AFII.

b) Depuis 2006, une volonté d'inciter les directeurs des bureaux de l'Agence à susciter effectivement des créations d'emplois

La lettre de cadrage du bureau de Tokyo pour l'année 2006 , en date du 30 janvier 2006 et que s'est procurée votre rapporteur général, semble marquer un certain infléchissement . Ladite lettre explique que, dans le cadre de la convention d'objectifs et de moyens précitée, les objectifs de l'AFII évoluent.

En conséquence, explique ladite lettre, une « nouvelle approche innove dans deux directions » et l'Agence devra « s'y adapter très vite ».

? Tout d'abord, l'objectif de l'AFII « devient clairement » ( sic ) celui « d'accroître le résultat de la France par rapport à ses concurrents » . Le directeur des réseaux de l'Agence explique, dans ce courrier qu'il s'agira désormais « non plus seulement d'augmenter grâce à des moyens accrus, le taux de couverture par l'AFII et son réseau des projets aboutissant en France mais aussi, grâce à la valeur ajoutée [des directeurs de bureaux] d'attirer davantage de projets nouveaux mobiles », bref de ne plus seulement « doper le numérateur de la fraction » qu'est la part de marché de l'AFII (selon les termes de la lettre de cadrage) mais aussi son dénominateur.

? Ensuite, la lettre de cadrage demande aux directeurs de bureaux régionaux de mettre en place un décompte plus spécifique des projets qui auront pu aboutir en France grâce à l'action de l'AFII. Il est par ailleurs indiqué que des objectifs chiffrés devraient être fixés à ce sujet dès 2007.

Quelques dossiers pour lesquels l'AFII estime avoir eu une forte valeur ajoutée

Interrogée par votre rapporteur général au sujet des décisions d'investissement pour lesquelles elle jugeait que l'agence avait eu une influence déterminante, la direction de l'AFII lui a transmis une liste, non exhaustive comme elle a tenu à le signaler, de 13 dossiers. En excluant deux dossiers représentant 3.700 emplois mais pour lesquels la distinction entre les emplois créés ou maintenus grâce à l'action de l'AFII et les autres n'apparaît pas clairement, la moyenne des emplois créés ou maintenus par ces projets, de taille très diverse, s'élève à environ 140 emplois.

A titre d'exemple, voici la description par l'AFII de son rôle pour deux de ces projets.

Extension du site de Saint-Amand-les-Eaux d'un laboratoire pharmaceutique

La direction française du laboratoire a sollicité l'AFII début 2006 pour qu'elle l'aide à construire un argumentaire pour un projet d'extension du site de St-Amand-les-Eaux dans le Nord de la France. Le groupe avait établi cette présence industrielle en reprenant une entreprise au début des années 2000.

Le projet était en concurrence avec la Hongrie, Singapour et éventuellement l'Irlande.

L'objectif est de construire l'usine de production du groupe un nouveau vaccin contre le cancer du col de l'utérus.

L'impact de l'AFII a été déterminant pour 2 aspects :

La mobilisation des acteurs locaux avec la mise en place d'une équipe projet dédiée avec un pilotage national (AFII) et local (SP de Valenciennes)

L'argumentation nationale pour le site France

Le projet va générer 730 emplois et correspond à un investissement de 450 millions d'euros.

Création à Lille et Dunkerque d'une plateforme logistique européenne de distribution de produits alimentaires argentins

Ce projet soutenu par la Banque Interaméricaine de Développement et le gouvernement argentin s'inscrit dans un programme de mise en place de 5 plateformes alimentaires en Europe (1 en 2006 et 4 autres en 2007 et 2008). Le projet privilégiait initialement une implantation aux Pays Bas (Rotterdam) voire en Belgique (Anvers).

Actions AFII et partenaires régionaux (Nord Pas de Calais, et Normandie en particulier): informations juridiques, fiscales, comparatifs des coûts d'approche entre les différents ports nord européens, présentation de partenaires logistiques et d'acheteurs, offres en locaux.

Ce projet modeste en termes d'emplois créés (une dizaine d'emplois directs), permet de positionner la France comme porte d'entrée du marché européen pour les produits alimentaires en provenance des pays émergents alors que Rotterdam est généralement la seule option envisagée.

* 12 Jean-William Angel et Virginie Régnier, « Les groupes étrangers en France », « Insee Première », n° 1069, mars 2006.

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