d) Quelques interrogations persistantes
Le système d'enseignement chinois pose question aux visiteurs étrangers.
Il faut avoir conscience que dans un pays d'1,3 milliard d'individus, le défi de la formation est gigantesque . Les réformes menées ont permis une augmentation gigantesque du nombre de jeunes formés et le faible taux d'illettrisme pourrait amener à faire réfléchir plus d'un pays développé.
En revanche, l'organisation du système, on l'a vu, ne permet pas un accès équitable à la formation selon que le jeune Chinois est d'origine urbaine ou rurale. Et dans les campagnes mêmes, n'y a-t-il pas un écart entre la théorie et la réalité ?
C'est en tout cas ce qu'a observé Guy Sorman, au cours de l'année 2005 qu'il a passée en Chine. Il écrit dans son récent ouvrage 1 ( * ) : « Reste l'école : l'espérance des paysans humiliés se reporte sur leurs enfants. Par l'éducation, n'échappe-t-on pas à sa condition ? Les parents sont disposés à y sacrifier leurs maigres ressources. La Pagode du Phénix compte bien une école, de bonne allure, du genre qui se prête aux inaugurations officielles : les quelque deux mille enfants de la commune sont supposés y passer les neuf années de scolarité obligatoire. Mais tous n'y vont pas, un bon quart d'entre eux traînent dans les ruelles ou s'activent aux champs. « Ce sont des enfants handicapés, se justifie le directeur de l'école, nous ne sommes pas équipés pour les accueillir. » Leur véritable handicap m'a semblé être la pauvreté de leurs parents, qui n'ont guère les moyens de payer. »
Cette analyse montrerait l'absence - ou à tout le moins, la faiblesse -d'un « ascenseur social » de nature à permettre aux jeunes d'échapper à leur condition grâce aux études. L'organisation du système, présentée ci-dessus, en serait partiellement à l'origine. Il semble en être de même de la nécessaire, et difficile, participation des parents aux frais d'éducation de leurs enfants, en raison notamment du prix trop élevé des manuels scolaires ainsi que des droits d'inscription de plus en plus élevés, parfois exigés de manière semble-t-il illégale.
Guy Sorman précise en effet : « L'enseignement n'est-il pas gratuit ? Les écoles en ville peuvent être gratuites ou dépendre d'entreprises publiques mais pas à la campagne : les parents doivent contribuer aux fournitures scolaires, aux frais de chauffage des classes, à l'achat de craies, à la cantine et autres prestations imaginées par les directeurs. Les instituteurs ne sont pas non plus insensibles aux cadeaux qui procureront à l'écolier une attention particulière et un passage sans encombre en classe supérieure avec au bout du chemin, peut-être l'accès au lycée. A leur décharge, précisons que ces instituteurs perçoivent un salaire misérable : quatre-vingt yuans par mois. Ils sont logés sur place, mais leur masure, une pièce non chauffée équipée d'un grabat et d'un réchaud, suffit à éloigner du métier tout enseignant diplômé, formé en ville. Les instituteurs du village n'en sont donc pas vraiment ; le plus souvent, ce sont les paysans de la région qui ont suivi une formation superficielle de deux semaines. Ils conservent leurs champs, qu'eux-mêmes ou leur conjoint cultivent entre les cours. Parfois d'un dévouement impressionnant, ces semi-instituteurs en savent juste assez pour apprendre aux élèves à lire, écrire et compter. Les neuf ans de scolarité obligatoire claironnés par le Parti sont donc une fiction de plus ; elle explique le taux d'analphabétisme réel qui touche un quart de la population chinoise, les filles en particulier. »
Il faut néanmoins souligner que des efforts importants ont été déployés pour accorder des aides financières aux élèves défavorisés. C'est ainsi qu'en 2005, 34 millions d'élèves du centre et de l'ouest de la Chine ont reçu des manuels scolaires gratuits. Un certain nombre ont pu, en principe, être dispensés de frais divers. En outre, ont été récemment mis en place, dans un certain nombre de provinces, des crédits d'aide aux études, afin de combattre la perception arbitraire de frais éducatifs.
Les difficultés d'accéder au système d'enseignement supérieur semblent cependant renforcer les inégalités. Le même auteur ajoute : « On a vu que les écoles de campagne étaient médiocres et si l'on réussit l'examen national, il faut beaucoup d'argent pour payer l'université. La mobilité sociale, qui fut toujours modeste, va en se réduisant, car les élites urbaines se reproduisent à l'identique ; pour leurs enfants elles monopolisent les meilleures écoles et les meilleures universités, souvent complétées par une formation à l'étranger. Dans les universités de Pékin, les enfants des campagnes représentent 20 % des effectifs alors que la paysannerie représente 80 % de la population de la Chine ; leur proportion ne cesse de diminuer, et sur les campus ils sont traités par leurs camarades en étudiants de seconde zone. Le développement économique de la Chine reste ainsi essentiellement fondé sur l'exploitation des Chinois ruraux par les Chinois urbains, ancrée dans une discrimination légale et garantie par le Parti. »
Il est vrai que les frais universitaires ont été multipliés par 30 en 15 ans (5 000 yuans en 2003) tandis que le revenu annuel moyen des habitants n'a que doublé pendant cette période.
Bien entendu, la population concernée est tellement nombreuse que la « démocratisation » de l'enseignement supérieur ne peut qu'être progressive.
Certains relèvent que la contrepartie positive de ce système tient à l'extrême motivation des jeunes Chinois qui arrivent à poursuivre leurs études. Leurs efforts personnels, tout comme ceux de leurs parents, les incitent naturellement à s'engager entièrement dans leurs études et à leur consacrer tout leur temps. En outre, la grande concurrence et sélection auxquelles ils sont soumis conduisent à un excellent niveau académique.
Au cours de sa visite de l'université Beida de Pékin, la délégation a été impressionnée par l'ambiance studieuse qui y règne. Il est vrai également que l'obligation pour les étudiants de vivre dans les résidences de l'université, dans des chambres de 6 personnes, incite à la concentration.
Les qualités, compétences et connaissances des étudiants et jeunes diplômés chinois sont cependant relativisées par MM. Jean-Marc et Yidir Plantade qui, dans leur récent ouvrage 2 ( * ) , relèvent que : « les jeunes diplômés, pour en revenir à eux, sont loin d'être les surdoués et les surqualifiés qu'ils voudraient être. Embauchés dans une entreprise occidentale, on l'a vu, ils doivent être systématiquement formés avant d'être opérationnels, et ils ne sont pas si brillants que la légende communiste le prétend. Cela tient en partie au système éducatif chinois très largement inspiré par l'enseignement du vieux sage Confucius. En dépit de l'héritage maoïste, l'enseignement chinois reste basé sur d'antiques principes impériaux. Ceux-ci veulent, par exemple, que l'apprentissage des connaissances et le concours qui permet de les valider (les Chinois ont inventé le concours administratif bien des millénaires avant les fonctionnaires français) s'appuient sur l'apprentissage et la reproduction de la parole des Anciens maîtres, comme au temps de Confucius, sans aucune remise en cause.
Cette façon de procéder est toujours d'actualité plusieurs siècles plus tard ; du secondaire jusqu'à l'université, la participation, l'éveil personnel, la créativité ne font absolument pas partie du modèle éducatif. »
Poursuivant son jugement sévère, l'auteur ajoute : « Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que l'on trouve des gens qui, à vingt-quatre ans, sont super diplômés, mais n'ont jamais pris la parole en public ni jamais eu l'occasion de tester leur esprit d'initiative. Ils demeurent en revanche d'excellents exécutants. »
Il semble toutefois que l'emploi des diplômés universitaires se soit amélioré. En 2005, 70 % des diplômés universitaires auraient trouvé un emploi à l'issue de leurs études.
* 1 Guy Sorman : « L'année du coq - Chinois et rebelles » (Fayard) - 2006
* 2 Jean-Marc et Yidir Plantade : « La face cachée de la Chine - Toute la vérité sur la plus grande jungle économique du monde » - (Bourin éditeur) - 2006.