CONCLUSION GÉNÉRALE

Le marché publicitaire est sous-dimensionné en France, par rapport à ce qu'il est dans les pays voisins. C'est en particulier, la publicité télévisée qui est peu développée dans notre pays. Les restrictions réglementaires (plus strictes que celles prévues par la Directive européenne) ont incontestablement joué un rôle dans cet état de fait. En restreignant l'accès des annonceurs à la télévision, on n'a peut-être préservé les ressources de certains médias (affichage, PQ, radio), mais on a surtout limité la dépense globale des entreprises en publicité. Symétriquement, toute libéralisation ne produira pas un jeu à somme nulle mais augmentera les montants injectés globalement dans les grands médias (soit que les annonceurs augmentent leurs dépenses globales à cette occasion, soit qu'ils fassent des transfert du hors média vers la publicité).

Les changements réglementaires des dernières années peuvent paraître contradictoires. Après la réduction du volume publicitaire commercialisé par les chaînes publiques (conséquence de la loi d'août 2000), l'ouverture de la publicité télévisée pour 3 des 4 « secteurs interdits » au 1 er janvier (conséquence du décret du 7 octobre 2003) va de nouveau ouvrir le marché. Il serait possible d'aller beaucoup plus loin dans la libéralisation du marché publicitaire : ouverture totale pour la distribution (sans restrictions sur le message), ouverture du cinéma, alignement des limitations horaires sur la Directive européenne pour les chaînes publiques et/ou privées. Toutes ces mesures entraîneraient un flux financier vers l'audiovisuel, qui permettrait mécaniquement d'améliorer la santé économique de la production audiovisuelle et sa compétitivité européenne. Accessoirement, l'afflux de financements publicitaires dans le système aiderait à « absorber » l'impact économique de la réforme du statut de l'intermittence, puisque ce statut et ce régime contribuaient jusqu'à présent à compenser le sous-financement du secteur audiovisuel.

Un élargissement du marché publicitaire TV ne suffirait toutefois probablement pas à résoudre le problème du sous-financement de la télévision publique française par rapport à ses homologues anglo-saxons. Ce sont les ressources publiques (la redevance) qui sont pour France Télévisions, trois fois moindres que les ressources de la BBC. Par ailleurs la réduction de la part de la publicité dans le financement de FTV, conséquence de la loi d'août 2000, amortira d'autant l'effet financier pour FTV d'une relance « réglementaire » du marché publicitaire.

Plutôt que de consacrer beaucoup d'énergie à faire du « fine tuning », à ajuster à la marge et à budget constant, l'équilibre publicité-redevance, en espérant entraîner des effets sur la programmation et l'image des chaînes publiques, les autorités françaises devraient peut-être envisager des modèles de régulation et des modèles économiques radicalement différents. Le « modèle BBC », souvent évoqué mais jamais sérieusement envisagé, nécessiterait une augmentation radicale de la redevance, politiquement très difficile, et le quasi-arrêt de la publicité sur une ou deux des trois chaînes publiques. Si, dans le même temps, on « ouvre » la réglementation publicitaire et qu'on favorise les chaînes thématiques, semi-généralistes et locales sur toutes les plateformes (hertzien analogique local, TNT, ADSL), alors le marché publicitaire ne se réduira pas nécessairement de nouveau 108 ( * ) . Et les « gains » en termes de CA des chaînes privées ne seront pas nécessairement « perdus » pour l'intérêt général. Les mécanismes existants (quotas d'investissement, taxes) entraîneraient automatiquement une redistribution vers l'aval de la filière (production audiovisuelle notamment) ; et de nouveaux mécanismes financiers pourraient être imaginés, en contrepartie du « cadeau » fait aux chaînes commerciales, sous la forme d'un paiement correspondant à l'occupation du spectre hertzien 109 ( * ) .

Les évolutions technologiques et sociologiques sont également à prendre en compte. La liberté qui règne sur l'Internet en matière de contenu et la convergence inéluctable entre l'Internet et la télévision font craindre qu'aucune réglementation applicable ne puisse d'ici 10 ou 15 ans maintenir une séparation entre contenu et publicité aussi claire que celle dont nous avons hérité. La dernière limite sera en définitive le degré d'acceptation du consommateur-citoyen. A ce titre, l'année 2003 aura été marquée par les premiers signes de mouvements anti-publicité structurés, qui s'inscrivent peut-être dans la mouvance anti-marchande et alter-mondialiste : « vandalisme civique » des affiches dans les transports publics, récriminations du public et des journalistes contre la publicité sur les ondes de France Inter 110 ( * ) . La plupart des grandes villes françaises sont en train, sous la pression de leurs administrés, de restreindre les zones ouvertes à la publicité extérieure et de lutter contre le « bourrage » des boîtes aux lettres réelles ou virtuelles par le mailing et les prospectus. Il semble donc qu'une part croissance des citoyens n'accepte plus l'occupation de l'espace public par de la publicité non sollicitée.

Impossibilité technologique de réguler les médias et espaces privés, overdose publicitaire des citoyens : la concordance des deux phénomènes, s'ils se confirment, devrait conduire logiquement à terme à des espaces publics (physiques ou audiovisuels) vierges de toute publicité, tandis que le domaine privé serait plus que jamais régulé par l'offre, la demande et l'audience.

* 108 Le marché publicitaire TV est plus important au RU qu'en France alors qu'il n'y a au RU que 3 chaînes nationales hertziennes ouvertes à la publicité, contre 6 en France.

* 109 Là aussi, il serait possible de s'inspirer du modèle d'ITV au RU. Au passage la taxation du Mhz terrestre serait une incitation intéressante pour pousser tous les acteurs à migrer vers le numérique et à libérer le plus rapidement possible la diffusion analogique. Le coût annuel actuel de la diffusion terrestre analogique (environ 300 M€ pour les 6 chaînes) constitue aussi une source d'économie potentielle permettant de financer les migrations.

* 110 Qui reste pourtant à un niveau journalier très faible.

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