- II. DES PROGRÈS MAJEURS RESTANT TOUTEFOIS A RÉALISER
A. AU NIVEAU POLITIQUE ET SOCIAL
1. Une indispensable réforme de l'administration
Les difficultés qu'éprouvent les pouvoirs publics roumains et bulgares à se réformer et à faire preuve de transparence dans leurs relations avec le secteur économique constituent sans aucun doute le plus gros « point noir » limitant à l'heure actuelle le développement de ces pays et décourageant les investisseurs étrangers. Les derniers rapports de la Commission européenne font d'ailleurs très clairement état des carences en ce domaine. Celui consacré à la Roumanie souligne ainsi que « la corruption demeure un phénomène répandu en Roumanie et touche tous les aspects de la société », stigmatisant plus globalement une « bureaucratie excessive », un « manque de transparence » et la nécessité d'« accroître l'indépendance du pouvoir judiciaire ».
Plus récemment encore, le Parlement européen a adopté, le 11 mars dernier, une résolution dont le projet initial, finalement amodié, prévoyait une suspension pure et simple des négociations d'adhésion tant que la Roumanie ne concrétiserait pas ses engagements en matière d'indépendance de la justice et de lutte contre la corruption. Ainsi, pas moins de 1 500 personnes ont été accusées de corruption en 2003, parmi lesquelles des magistrats, des policiers, des gardes, des officiers de douanes et des fonctionnaires.
La situation n'est guère plus brillante en Bulgarie, où la Commission note dans son rapport d'étape que la corruption « demeure un problème » tant elle est intégrée par la population. Ainsi, selon un sondage d'opinion réalisé par l'institut GfK en Europe centrale et orientale, 96 % des bulgares considèrent qu'ils vivent dans un pays corrompu. On y apprend également que les trois-cinquièmes des roumains environ reconnaissent avoir versé des « pots-de-vin ».
Si l'ensemble des personnes rencontrées par la mission -dont certains responsables politiques et administratifs- a reconnu la réalité de ce phénomène, qualifié par certains de « relationnel avancé », des nuances ont cependant été apportées à ce tableau un peu sombre. Les petites et moyennes entreprises seraient bien plus touchées que les grosses sociétés, qui disposeraient de suffisamment de « poids » pour pouvoir y échapper. Le recours au « pot-de-vin », intégré comme une donnée parmi d'autres par de nombreuses entreprises, compenserait la faiblesse des salaires et servirait de régulateur social. Cependant, d'importantes actions ont été mises en oeuvre par les pouvoirs publics afin de réduire ce phénomène. Enfin, le souci de nombreux entrepreneurs dans leurs rapports à l'Etat et à la justice serait davantage, comme l'ont d'ailleurs clairement exprimé à la délégation certains de ses interlocuteurs, lié à l'instabilité chronique du cadre législatif et règlementaire dans lequel ils évoluent.
2. Une nécessaire mobilisation en matière de contrôle aux frontières, d'immigration et de coopération judiciaire
L'adhésion potentielle de la Roumanie et de la Bulgarie en 2007 aura pour effet immédiat de « déplacer » un peu plus à l'Est les frontières extérieures de l'Union européenne. C'est par l'intermédiaire de ces pays que l'Union européenne sera désormais frontalière de l'Ukraine, de la Moldavie, de la Serbie-Monténégro, de la Turquie et de la Mer Noire. Ce glissement géographique de la nouvelle Europe pose inévitablement la question de la capacité de la Roumanie et de la Bulgarie à assumer la gestion de ces nouvelles frontières, sachant que ces deux pays représentent des territoires de transit, voire d'origine pour de nombreux trafics (immigration illégale, prostitution, armes, drogue, trafic d'organes humains ...). Or, cette capacité doit être pleine et entière au risque de voir ces trafics se propager à l'ensemble de l'Union européenne par le jeu de la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux.
Tous ces éléments relèvent du chapitre 24 des négociations d'adhésion, intitulé « coopération en matière de justice et d'affaires intérieures », qui recouvre d'ailleurs un domaine plus large encore que le simple contrôle aux frontières puisqu'il concerne la protection des données, la politique des visas, les migrations, l'asile, la coopération en matière policière et de lutte contre le crime organisé, la lutte contre le terrorisme, la lutte contre la fraude et la corruption, la lutte contre les stupéfiants, le blanchiment des capitaux, la coopération douanière, et la coopération judiciaire en matière pénale et civile.
S'agissant de la Bulgarie, la Commission a pu considérer qu'elle avait effectué des progrès « satisfaisants » sur tous ces points, soulignant notamment qu'elle semblait « bien maîtriser le processus de mise en oeuvre en deux étapes de l'acquis Schengen et s'y conformer ». Le Président de la République a insisté auprès de la délégation sur le fait que son pays assumerait la responsabilité pesant sur lui du fait de la gestion des nouvelles frontières de l'Union européenne. Ce volontarisme a permis à la Commission de clôturer provisoirement le chapitre correspondant.
La situation est plus préoccupante vis-à-vis de la Roumanie, pour laquelle la fermeture de ce chapitre n'est pas sans poser d'importants problèmes. La Commission relève notamment que « la capacité de mise en oeuvre reste faible dans presque tous les cas, notamment pour la gestion des frontières, la politique des visas, la lutte contre la corruption, le blanchiment des capitaux, la protection de l'euro contre la contrefaçon, la lutte contre diverses formes de criminalité ». Tout en reconnaissant que d'importants progrès juridiques ont été effectués dans les domaine de la coopération policière et de la lutte contre la criminalité organisée, elle pointe ainsi de graves insuffisances en matière de personnel, de formation, de matériel technique, de partage de données ...
La solution de ces problèmes, fondamentaux dans une Union européenne à 27, passera sans doute par une coopération technique renforcée entre les deux pays candidats et l'Union, mais aussi par la mise en place d'un corps européen de contrôle aux frontières extérieures, composé de fonctionnaires spécialisés issus des divers pays de l'Union et chargé d'y mettre en oeuvre un contrôle renforcé.
3. Des problèmes sanitaires et sociaux endémiques
La délégation a pu constater, tout au long de son séjour, combien le niveau et les conditions de vie des populations roumaine et bulgare étaient encore très faibles : salaires précaires, logements insalubres, voies et moyens de transport archaïques, mendicité, coupures d'électricité fréquentes ... Il faut en effet garder à l'esprit que le PIB par habitant à parité de pouvoir d'achat n'atteint en Roumanie et Bulgarie qu'un quart de la moyenne communautaire. En Bulgarie, selon un sondage effectué par l'agence Mediana, 76 % des personnes interrogées ont déclaré vivre pauvrement, 53 % avoir vu leur situation se dégrader et 40 % craindre qu'elle ne continue d'empirer.
Roumanie et Bulgarie risquent de payer leur adhésion au prix d'une forte « casse sociale », qui affectera en priorité l'ensemble des secteurs économiques dont le développement était auparavant hypertrophié et dont la compétitivité internationale est aujourd'hui extrêmement faible (agriculture et industrie lourde, essentiellement). La probabilité est donc forte de voir se créer une « génération de sacrifiés », constituée de travailleurs de secteurs sinistrés trop âgés pour espérer se reconvertir dans des domaines d'activité plus porteurs . Interrogé sur ce point par la délégation, le Président du Sénat roumain, M. Nicolae Vacaroiu, a reconnu que la gestion sociale de cette population était très délicate et que les mesures prises par les pouvoirs publics pour assurer son « reclassement » n'avaient pas entièrement donné satisfaction.
Les niveaux de salaires, même exprimés en parité de pouvoir d'achat, restent très bas, dans le secteur privé comme dans l'administration. De ce fait, il est courant de voir des enseignants, des médecins ou des fonctionnaires ministériels compléter leur journée de travail en donnant quelques cours à des particuliers. Le travail au noir est d'ailleurs également un moyen de faire face au chômage qui, s'il est en partie résorbé en Roumanie, stagne autour de 15 % de la population active en Bulgarie.
En outre, les systèmes sociaux roumain et bulgare présentent une offre de soins largement insuffisante par rapport aux besoins de la population : faible nombre de médecins, dont les tarifs sont élevés par rapport au pouvoir d'achat moyen , hôpitaux peu nombreux et sous-équipés , système de sécurité sociale très peu développé ... Les derniers rapports d'étape de la Commission sur la Roumanie indiquent ainsi que l'état de santé général de la population y reste nettement inférieur au niveau moyen de l'Union européenne et que les soins de santé primaires y sont encore négligés . En Roumanie, par exemple, l'espérance de vie moyenne est inférieure de dix ans à l'espérance de vie moyenne dans l'Union européenne et les dépenses de santé inférieures à 40 euros par personne et par an (contre plus de 500 euros en Slovénie).
La situation des personnes âgées est par ailleurs très préoccupante dans la mesure où les pensions de retraite sont extrêmement faibles alors même que les prix des services et des biens de consommation de première nécessité ont fortement augmenté . Il a ainsi été rapporté à la délégation que de nombreux retraités des deux pays vivaient de façon misérable et devaient fréquemment arbitrer entre « manger ou se chauffer », notamment dans les régions rurales les plus éloignées des villes. Ce problème risque fort de s'accroître dans les années à venir du fait du vieillissement progressif de la population.
4. Une population vieillissant et diminuant
La variable démographique constitue une source d'inquiétude pour la Roumanie comme pour la Bulgarie, la population ayant une tendance structurelle à régresser et à voir son âge moyen augmenter. En 2003, la Roumanie perdait ainsi 1,8 °/°° de ses 21,7 millions d'habitants et connaissait, avec 1,35 enfants par femmes, le taux de natalité le plus faible de son histoire. Possédant le taux de fécondité le plus faible de tous les pays européens - et l'un des plus bas au monde - , la Bulgarie enregistre un taux d'accroissement naturel négatif depuis 1990, cette décennie l'ayant vu perdre presque un million d'habitants, soit près d'1/8ème de sa population totale.
Plusieurs analyses peuvent être avancées pour expliquer la diminution de la population de ces pays. En premier lieu, elle s'inscrit dans une tendance lourde propre à l'ensemble des pays européens, renforcée par une importante croissance des avortements et de la mortalité infantile. En second lieu, ces pays ne connaissent qu'une très faible immigration, en raison tant de leur relatif manque d'attrait économique et social, que des fortes restrictions qui y ont été posées en vue de l'adhésion. Enfin, ils sont durablement affectés par une forte émigration, qui est le fait tant de minorités (turque vers le pays d'origine, rom vers le reste de l'Europe) que de nationaux hautement qualifiés recherchant à l'étranger des conditions de travail, de rémunération et de vie plus élevées.
La population roumaine reste relativement jeune, du fait de la politique nataliste menée traditionnellement par le pouvoir communiste : la part de la population ayant plus de 65 ans y est en effet inférieure à 15 %. Au contraire, la population bulgare ne cesse de vieillir, du fait tant d'un faible taux de fécondité que d'un taux de mortalité extrêmement élevé.
Ces tendances démographiques ont naturellement un impact sur le développement socio-économique de ces pays. Elles freinent en effet leur dynamisme économique, en réduisant la consommation intérieure et en bridant le niveau moyen de productivité. Par ailleurs, elles déséquilibrent les systèmes sociaux, les actifs en diminution ne parvenant pas à financer les pensions d'une population de retraités ne cessant de croître. Roumanie et Bulgarie ont d'ailleurs réfléchi dernièrement à la possibilité de privatiser leur système d'assurance vieillesse.
5. Une gestion délicate de certaines minorités
En Roumanie comme en Bulgarie, la coexistence entre une population nationale orthodoxe et d'importantes minorités de nationalités et confessions diverses n'est pas sans poser de problèmes. Composée à 89 % de roumains, la Roumanie comprend également 8 % de hongrois, et entre 5 et 10 % de tziganes. Sa voisine, composée à 86 % de bulgares, comprend également environ 11 % de turcs et 8 % de tziganes. Parallèlement, la confession orthodoxe, extrêmement majoritaire dans les deux pays, cohabite avec les confessions catholique, protestante et musulmane (10 % en Bulgarie).
Les minorités hongroises et turques ne posent pas de réels problèmes d'intégration, chacune bénéficiant dans le pays où elle est la plus importante d'une représentation politique. En Roumanie, les intérêts des Hongrois sont défendus par l'Union démocratique des magyars de Hongrie (UDMR), parti des Magyars de Hongrie, qui soutient au Parlement -sans participation- le parti du Gouvernement, c'est à dire le Parti social démocrate de M. Adrian Nastase. En Bulgarie, la minorité turque ne pose plus de grandes difficultés depuis l'émergence du Mouvement des droits et des libertés (MLD). Représentant les Turcs de Bulgarie, ce parti soutient la coalition au pouvoir et joue d'ailleurs un rôle important depuis que plusieurs membres du parti majoritaire ont quitté ce dernier l'année passée.
Le principal problème concerne en réalité l'intégration de la minorité tzigane. Appartenant au peuple des Roms, à l'origine nomade, et se faisant appeler différemment selon le pays dans lequel ils sont implantés (Gitans en Espagne, Manouches en France et en Allemagne, Bohémiens en République tchèque ...), les Tziganes forment un peuple d'une douzaine de millions de personnes, essentiellement installés en Roumanie (2 millions) et en Bulgarie (600.000). La France en accueille aujourd'hui 350.000.
Or, et sans qu'il soit toujours facile pour des étrangers de se former un point de vue objectif sur un tel sujet, la population tzigane pose dans ces pays plusieurs problèmes. Suivant de façon traditionnelle un mode de vie nomade, se regroupant en communautés en marge du reste de la société, peu ou pas qualifiés, les Tziganes se voient adresser divers reproches par le reste de la population : insalubrité, mendicité, vol, trafics en tout genre, absence de volonté d'intégration... De leur côté, les pouvoirs publics sont accusés par les associations et organisations non gouvernementales de discrimination à leur égard. Suite à une mission effectuée en Roumanie l'année passée, la Ligue des droits de l'Homme et Médecins du Monde ont ainsi reproché à l'Etat de s'être rendu coupable de « discriminations graves » concernant l'accès au travail, le logement, les soins médicaux, la scolarisation et même la sécurité. Enfin, l'émigration des tziganes vers les pays d'Europe occidentale y pose d'importants problèmes d'accueil et d'intégration, problèmes qui risquent de se trouver accrus dès lors que l'adhésion prévue de la Roumanie et de la Bulgarie en 2007 entraînera l'ouverture des frontières et la libre circulation des personnes.
Dans son dernier rapport relatif à la Roumanie, la Commission européenne souligne que « la discrimination à l'égard de la population rom reste très répandue », que « les inégalités sociales auxquelles (elle) est confrontée (...) restent importantes » et que « les conditions de vie restent mauvaises et l'accès aux services sociaux (...) limité ». Relevant que le Gouvernement a poursuivi la stratégie en faveur des Roms, mise en place en 2001, elle a également observé que les résultats étaient inégaux et que les progrès avaient été limités du fait de l'absence d'une politique claire et de fonds suffisants. Le constat réalisé dans le rapport de la Commission relatif à la Bulgarie n'est guère différent, la Commission relevant que leur situation n'avait que peu évolué depuis le rapport précédent, les diverses mesures politiques et administratives tardant à se concrétiser.
Au final, il apparaît que la situation des Tziganes de Roumanie et de Bulgarie reste difficile. Or, aussi longtemps que ce sera le cas, ces populations continueront d'émigrer vers des pays d'Europe de l'Ouest, au détriment, tant des pays d'accueil qui n'ont pas les moyens de les accueillir dans de bonnes conditions, que des populations tziganes elles-mêmes dont les conditions de vie restent tout aussi insatisfaisantes. C'est donc bien aux pays d'hébergement actuels -Roumanie et Bulgarie, en l'occurrence-, en partenariat avec l'Union européenne toute entière, qu'il appartient de réaliser un effort suffisamment important pour régler « en amont » la question de ces minorités, en poursuivant une réelle politique d'intégration .
B. AU NIVEAU ÉCONOMIQUE
1. Une agriculture archaïque dont la modernisation sera coûteuse
Autrefois prééminente, l'agriculture occupe encore une part substantielle de l'économie roumaine et bulgare : elle y représente en effet respectivement 15 et 21 % du PIB, occupant environ 40 et 25 % de la population active. La Roumanie, qui constituait le « grenier à blé » de l'Europe durant l'entre-deux guerre, demeure le troisième producteur agricole européen, derrière la France et la Pologne. Quant à la Bulgarie, elle est, avec la Hongrie, le seul pays d'Europe centrale et orientale à être exportateur net de produits agricoles.
Malgré cette importance en valeur absolue du secteur primaire, l'agriculture constitue aujourd'hui certainement le « talon d'Achille » de ces pays. Confisquées par l'Etat sous le régime communiste, les terres agricoles ont en effet été redistribuées progressivement à leurs propriétaires d'origine depuis l'indépendance, morcelant l'espace rural en de minuscules parcelles dont l'exploitation n'est pas viable économiquement. On estime ainsi qu'en Bulgarie, plus de trois millions d'exploitations disposent d'une superficie inférieure à deux hectares, et que 30 % du total des terres cultivables est actuellement en jachère.
La deuxième limite concernant l'agriculture de ces pays tient à l'archaïsme des matériels et des pratiques. La délégation a été frappée de voir travailler dans les campagnes, sur chaque petit lopin de terre, un ou deux paysans n'ayant pour équipement qu'un cheval de trait et une charrue à soc, ou bien encore des hommes et des femmes récoltant à la main le fruit de leur production. La vétusté et l'inadaptation des matériels agricoles ont naturellement pour effet de réduire la productivité de l'agriculture à des taux extrêmement faibles, en tout cas insusceptibles de supporter la concurrence des grands pays agricoles. L'appauvrissement des paysans qui en résulte les pousse bien souvent à s'exiler vers des villes où ils ne trouvent pas de travail plus rémunérateur mais des conditions de vie plus difficiles encore.
L'inadaptation des structures administratives et des filières professionnelles constitue une autre difficulté à laquelle se trouve confrontée l'agriculture de ces pays. Ainsi, les politiques d'aide nationales reposent encore sur des dispositifs incompatibles avec la politique agricole commune (PAC) ; la transposition de l'acquis communautaire ne s'est pas accompagnée du renforcement des effectifs et ressources nécessaires, rendant improbable sa mise en oeuvre réelle ; la mise en place d'organisations communes de marché gérées par des organisations interprofessionnelles est encore loin d'être achevée ...
Enfin, Roumanie et Bulgarie doivent poursuivre ardemment leurs efforts pour mettre leurs bâtiments d'exploitation aux normes européennes, et surtout appliquer leur législation en matière vétérinaire et phytosanitaire, afin de respecter les exigences en matière de sécurité alimentaire et de protection des consommateurs. Les structures d'élevage, d'abattage et de transformation agroalimentaire, encore très en retard, comme a pu le constater la délégation en visitant une exploitation laitière bulgare, devront faire l'objet d'une attention soutenue pour être en phase avec le haut degré d'exigence communautaire. L'enjeu est d'importance puisqu'en vertu de principe de libre-circulation des biens, les produits agricoles et agroalimentaires en provenance de ces pays seront progressivement commercialisés massivement dans les pays membres de l'Union européenne.
La remise à niveau du secteur agricole, qui risque d'être coûteuse socialement, passera par la mise en oeuvre de certaines réformes . Le remembrement des terres et la réalisation de cadastres constituent à cet égard une véritable priorité nationale. Si les deux pays s'y sont attelés depuis plusieurs années et si la Commission européenne a souligné les progrès effectués en la matière, elle relève également que des efforts importants restent à accomplir en ce domaine pour développer un marché efficient. Forte de son expérience en la matière, la France pourrait apporter un concours précieux à ces pays.
Par ailleurs, la Roumanie et la Bulgarie gagneraient à se spécialiser dans des productions de nature moins extensives, où elles bénéficient d'avantages comparatifs. C'est par exemple le cas de la viticulture, pour laquelle il existe dans ces pays une réelle tradition. La délégation a eu l'occasion de visiter, en Roumanie et en Bulgarie, deux exploitations produisant et commercialisant des vins blancs et rouges. Elle a pu constater le fort potentiel existant en la matière, tout en notant que certains progrès resteraient à accomplir pour une parfaite maîtrise des techniques de vinification.
Ces deux pays pourraient également accompagner la mise en place de filières « qualité », notamment « bio ». La Roumanie et la Bulgarie possèdent en effet des terres naturellement fertiles qui n'ont quasiment pas fait l'objet de traitements par des produits phytosanitaires, leur coût relativement élevé les rendant inaccessibles à la très grande majorité des exploitants. Les pouvoirs publics semblent bien avoir bien saisi l'intérêt d'un tel type de production, puisque des organismes d'accréditation des produits « bio » ont été mis en place.
D'un point de vue politique enfin, il importe que la France accompagne ces deux pays dans leur processus de modernisation agricole. Après leur adhésion, Roumanie et Bulgarie auront en effet voix au conseil de l'agriculture. Il s'agit donc que ce secteur devienne, non pas un point de rupture entre la France et ces pays, mais plutôt un sujet de ralliement dans la perspective de la prochaine réforme de la PAC.
2. Un secteur de l'énergie fort problématique
Le secteur de l'énergie constitue un problème essentiel pour la Roumanie et la Bulgarie, quel que soit le type d'énergie envisagé (électricité, pétrole, gaz, énergies d'origine renouvelable) .
La régularité et la fiabilité de l'approvisionnement et de la distribution d'énergie ne sont pas encore totalement assurées . Les stocks de pétrole sont encore en partie insuffisants. Comme il a été rapporté à la délégation, l'alimentation électrique fait fréquemment l'objet de coupures, dont certaines peuvent survenir en plein hiver, durer plusieurs heures et s'étendre à un nombre important de consommateurs. La mauvaise qualité du réseau de transport d'énergie et l'insuffisance de la maintenance expliquent ces carences.
Le faible niveau de rendement énergétique constitue une autre source de désagrément pour les consommateurs. Ce phénomène handicape davantage les professionnels que les particuliers. Plusieurs des entrepreneurs rencontrés par la mission se sont plaints en effet de cette faiblesse, estimée par l'un d'entre eux au tiers de celle de la France. Si une stratégie existe à ce sujet en Roumanie, elle ne fait l'objet d'aucune priorité à court terme ni d'aucun moyen de financement.
Tous ces problèmes concernant la fourniture d'énergie n'empêchent pas son prix d'être très élevé, si on le rapporte au niveau de vie moyen. En conséquence, les entreprises voient leur compétitivité amoindrie et les particuliers peinent à honorer leurs factures. Nombreux sont d'ailleurs les ménages à se priver de lumière ou d'eau chaude pour « passer la fin du mois ».
Si des progrès ont été réalisés dans l'ouverture à la concurrence du marché intérieur de l'énergie (électricité et gaz), le processus de libéralisation est loin d'avoir été mené à son terme. Selon le secrétaire d'Etat roumain en charge des questions liées à l'énergie, les marchés de l'électricité et du gaz seraient ouverts à hauteur de 40 %, l'objectif étant la libéralisation entière à l'horizon 2007. Malgré cette privatisation partielle, la Commission européenne a pu relever que le secteur n'obéit toujours pas aux règles de la concurrence, les mesures prises en ce sens étant entravées par la coordination centralisée instaurée par l'instance de régulation, par la mauvaise gestion des investissements et par un environnement juridique instable. La situation est plus critique encore en Bulgarie, où l'ouverture des marchés n'avait toujours pas été entamée lors du dernier rapport d'étape de la Commission.
La sécurité des installations, nucléaires notamment, pose également problème, surtout en Bulgarie, où l'énergie provient à 40 % de ce mode de production. Le débat y porte sur l'avenir des six réacteurs de la centrale de Kozloduy, située à environ 200 km au Nord-Est de Sofia, illustrant trois générations technologiques successives, dont deux de conception soviétique. Devant les risques qu'ils représentaient en raison de leur vétusté, et suite à la très forte pression en ce sens de l'Union européenne qui menaçait, à défaut, de ne pas clore le chapitre « énergie », la Bulgarie a accepté de fermer les deux plus anciens réacteurs (1 et 2) fin 2002 et s'est engagée à arrêter les deux suivants (3 et 4) en 2006, provoquant d'importants remous sociaux.
La diversification du bouquet énergétique et le développement des énergies renouvelables semblent constituer pour ces pays une voie incontournable. Si les pouvoirs publics en ont bien conscience, il n'en reste pas moins que les efforts réalisés en ce domaine ont été à l'heure actuelle très limités, l'ampleur des investissements à effectuer étant il est vrai désincitative. L'ambassadeur de Bulgarie en France, M. Marin Raykov, a d'ailleurs indiqué à la délégation que la construction d'une nouvelle centrale nucléaire était actuellement en projet.
3. Une industrie peinant à se restructurer
S'il représente encore respectivement 37 et 29 % de la production nationale roumaine et bulgare, le secteur secondaire a vu son importance considérablement diminuer depuis le début des années 90, les économies de ces pays se tertiarisant de plus en plus.
En Roumanie, le régime communiste donnait traditionnellement la priorité à l'industrie lourde (pétrochimie, chimie, mécanique, sidérurgie ...). Or, cette industrie est aujourd'hui en situation de net déclin, 60 % des sites de production ayant été fermés entre 1990 et 1993. La métallurgie continue toutefois de figurer au premier rang de l'ensemble des productions industrielles, devant les constructions mécaniques et le gros outillage, la chimie, les industries extractives, les industries textiles et l'agroalimentaire.
Plusieurs difficultés se posent actuellement à l'industrie roumaine. L'industrie lourde occupe encore une place excessivement importante par rapport aux industries de haute technologie, qui seules sont à même aujourd'hui de créer de la valeur ajoutée et des emplois. Une spécialisation du pays sur des créneaux plus « porteurs » économiquement sera à terme indispensable. Si des secteurs tels que l'électronique ou l'agroalimentaire sont en train de se développer, c'est en grande partie grâce aux investissements étrangers, qui accroissent inévitablement la dépendance du pays vis-à-vis de l'extérieur. Enfin, l'hypertrophie des industries lourdes pose de nombreux problèmes en termes de respect des exigences environnementales européennes, mais également internationales, la Roumanie étant partie au protocole de Kyoto. Si un plan d'action a bien été adopté en la matière, la Commission relevait dans son dernier rapport que sa mise en oeuvre n'en était qu'« à ses premiers balbutiements ».
La Bulgarie a également été touchée de plein fouet par un processus brutal de désindustrialisation depuis 1990, aggravé par la grave crise économique traversée par le pays en 1996-1997 . Les principaux secteurs de l'industrie bulgare demeurent toutefois le textile, la pétrochimie, les industries chimiques et, à un moindre degré, l'ingénierie mécanique et électrique et la métallurgie. Les secteurs à plus haute valeur technologique, tels que l'électronique, l'informatique, les industries chimiques, agroalimentaires et pharmaceutiques, ont perdu de leur importance. Toutefois, le secteur industriel, en passe d'être entièrement privatisé, restructuré et mis aux normes, a enregistré un net regain d'activité depuis 1998.
4. Des transports à renforcer et à moderniser
Comme la délégation a pu le constater de façon très pratique, les infrastructures de transport roumains et bulgares ne sont absolument pas adaptées aux nécessités d'un pays développé. Outre le manque d'investissements publics, la géographie de ces pays -extrêmement montagneuse- explique également pour une bonne part ces carences.
La faible proportion de voies autoroutières, la très mauvaise qualité du réseau secondaire et la densité du trafic, plus que l'importance du réseau, rendent tout transport par ces moyens pour le moins « chaotique ». En Roumanie cependant, des travaux sont en cours pour la modernisation des routes nationales ouvertes au trafic international, d'une longueur totale d'environ 2.150 km. A terme, l'interconnexion avec les réseaux transeuropéens de transport nécessitera d'importants investissements : en Bulgarie, 1.200 km de routes devront être modernisées d'ici 2007, pour un coût estimé à environ 240 millions d'euros.
Lent du fait de son électrification encore partielle et très peu confortable, le réseau ferré est cependant relativement bien développé. La circulation des trains à grande vitesse nécessitera toutefois l'adaptation des voies de chemin de fer, tout comme sera indispensable la mise en oeuvre de l'acquis communautaire sur l'interopérabilité du système ferroviaire transeuropéen conventionnel.
Le transport maritime bénéficie quant à lui de la proximité de la Mer Noire, par laquelle se fait une majorité des échanges commerciaux extérieurs de la Roumanie. En outre, la construction du canal Danube-Mer Noire et la mise en service du canal Danube-Mer Noire-Rhin ont permis la création d'une voie fluviale d'une grande importance, empruntée par de nombreux bateaux à gros tonnage.
Offrant un nombre de vols et de destinations relativement restreints, le réseau de transport aérien souffre également d'un manque de régularité : vols intérieurs très limités le dimanche, pas d'exploitation de certaines liaisons durant l'hiver, contraintes météorologiques fréquentes ... La relative faiblesse du trafic aérien pose par ailleurs des problèmes de rendements aux opérateurs. Les deux compagnies nationales -Tarom et Bulgaria Air- traversent de ce fait une situation financière difficile. Enfin, l'intégration de l'acquis communautaire relatif à la sécurité aérienne doit se poursuivre.
Parallèlement aux problèmes d'infrastructures, Roumanie et Bulgarie sont confrontées à des difficultés touchant les matériels de transport. Le parc de voitures est encore extrêmement vétuste et polluant, même si l'implantation de constructeurs automobiles commercialisant des véhicules adaptés aux marchés émergents et l'engouement de la population pour la voiture individuelle devraient contribuer à le renouveler assez rapidement. La délégation a ainsi visité en Roumanie le site de fabrication de Renault, implanté à Pitesti sous la marque Dacia, qui assemble un véhicule dont le premier modèle est vendu à 5.000 euros.
L'archaïsme des équipements de transport touche également les trains, dont les deux tiers ne sont pas électrifiés, et les avions, majoritairement de technologie soviétique. Mais c'est surtout le parc des navires qui suscite les plus fortes craintes. Le pavillon roumain continue de figurer sur la liste noire établie en vertu du mémorandum d'entente de Paris, qui plus est dans la catégorie « risques très élevés », tandis que le taux d'immobilisation des navires battant un tel pavillon reste très excessif : il était ainsi en 2002 de presque 22 %, quand la moyenne pour les navires battant pavillon d'un des pays de l'Union européenne était de 3,5 %. Le problème est moindre en Bulgarie où d'importants efforts ont été réalisés, permettant de faire chuter le taux d'immobilisation à moins de 10 %.
5. D'importantes carences en matière environnementale
Le respect de l'environnement constitue un véritable défi pour la Roumanie et la Bulgarie, dans la perspective notamment de leur adhésion à l'Union européenne . La délégation a pu constater le soin très relatif accordé à l'environnement dans ces pays. Au-delà de l'aspect purement esthétique et relevant en grande partie des comportements individuels, aspect qui n'est toutefois pas à négliger en matière touristique, la Roumanie et la Bulgarie souffrent de niveaux importants de pollution d'origine industrielle.
En Roumanie, la pollution de l'air est liée, cela a été évoqué, au développement rapide d'un parc automobile encore vétuste, mais aussi au stockage à l'air libre de déchets dans des centres dépourvus d'incinérateurs. A Bucarest, la température du centre ville est jusqu'à six fois supérieure l'été à celle de la périphérie. Les forêts sont victimes de la pollution de l'air et des pluies acides résultant de l'activité économique. L'érosion et la dégradation des sols proviennent du laxisme dans le dépôt, la collecte et le traitement des déchets ménagers et industriels, même toxiques. La pollution de l'eau touche particulièrement les villes du bord de la Mer Noire où se jette le Danube, qui charrie des tonnes de produits chimiques et de métaux lourds. Une ville comme Bucarest ne possède pas de station d'épuration des eaux qui, une fois collectées, retournent usées dans la nature.
Dans ses derniers rapports d'étape, la Commission européenne relève que ces deux pays, dans le domaine de l'environnement comme dans beaucoup d'autres d'ailleurs, mettent fortement l'accent sur la transposition législative et le respect formel des obligations découlant de l'acquis, mais ne s'attachent pas assez à élaborer une réflexion stratégique adaptée et à dégager les capacités administratives requises afin de mettre en oeuvre les mesures adoptées. Les négociations relatives à ce chapitre se poursuivent donc pour ce qui est de la Roumanie, tandis qu'elles sont provisoirement clôturées concernant la Bulgarie, qui a obtenu des régimes transitoires pour certains types d'émission.