C. MODALITÉS DE PRODUCTION DES BIENS PUBLICS MONDIAUX

La production des biens publics mondiaux résulte le plus souvent d'une action coordonnée entre États. Mais ce n'est pas toujours le cas : sous certaines conditions, une grande puissance peut être le « fournisseur dominant » d'un bien public mondial.

1. Le modèle du fournisseur dominant et ses limites

Comme on l'a vu, C. Kindleberger cite comme exemples de biens publics mondiaux, à caractère économique, l'existence d'un système monétaire international stable, d'un régime commercial ouvert, ou d'un prêteur international en dernier ressort.

Kindleberger, et à sa suite le politologue Robert Gilpin, ont fait remarquer que la fourniture de ces biens publics avait été assurée pour l'essentiel, après 1945, par une puissance dominante, les États-Unis d'Amérique . L'intégration commerciale a été facilitée par le statut de monnaie d'échanges internationale du dollar, qui était, jusqu'en 1971, le pivot du système de changes fixes. Les Américains ont joué un rôle clé dans l'instauration du GATT en 1947, et dans la reconstruction, sur le modèle libéral, de l'Europe et du Japon après guerre. La Réserve fédérale américaine a joué, à diverses reprises, le rôle de prêteur international en dernier ressort à l'occasion de crises financières internationales, y compris lors de la crise asiatique de 1997-1998 21 ( * ) .

Les États-Unis ont joué également un rôle prépondérant pour assurer un certain degré de stabilité politique et de sécurité internationale, qui constituent le terrain indispensable au maintien d'un régime économique ouvert.

La thèse de R. Gilpin est que la présence d'une puissance hégémonique est indispensable au maintien d'un ordre économique international libéral. La Grande-Bretagne aurait été le pivot de l'ordre économique international au XIX e siècle, et les États-Unis auraient assumé cette fonction après 1945.

Il n'est pas nécessaire d'adhérer totalement à cette thèse (on peut supposer en effet que la coopération entre grandes puissances permette d'arriver au même résultat que l'action de la puissance hégémonique) pour reconnaître que les États-Unis ont joué un rôle important dans l'organisation du système international depuis la fin de la Seconde guerre mondiale.

Il apparaît que ce modèle, qui consiste à s'en remettre à un producteur dominant pour la fourniture de biens publics mondiaux, est peu stable et présente de sérieuses limites. Les États-Unis ont joué un rôle pivot après 1945 :

- parce qu'ils en avaient les moyens,

- et parce qu'ils étaient disposés à le faire, c'est-à-dire qu'ils estimaient que les bénéfices retirés par eux de l'existence de ces biens publics excédaient les coûts supportés pour en assurer la production.

Ces deux conditions ne sont pas nécessairement toujours acquises. Dès 1971, les États-Unis ont estimé ne plus être en mesure d'assurer leurs obligations en matière de convertibilité-or du dollar, ce qui a mis fin au régime de changes fixes hérité de Bretton Woods. Et la puissance dominante ne sera pas incitée à produire seule un bien public s'il apparaît que les bénéfices qu'elle pourrait en retirer seraient très inférieurs aux coûts qu'elle supporterait. Ce peut être le cas pour la recherche du traitement d'une maladie infectieuse qui frapperait principalement les pays du Sud, par exemple 22 ( * ) .

Dans certains cas, le pays qui fournit le moins d'efforts pour produire un bien public global détermine le niveau de production d'ensemble. L'exemple typique est le contrôle des maladies infectieuses : le pays qui déploie le moins de moyens pour lutter contre une maladie infectieuse détermine, pour partie, le niveau de santé de ses voisins. Dans ce type de configuration (modèle du « maillon faible »), la puissance dominante ne peut, quels que soient ses moyens, suppléer à une absence d'efforts coordonnés éventuellement assortis d'une aide des pays riches vers les pays les plus pauvres.

* 21 On peut consulter à ce sujet la contribution de Michel Aglietta et Christian de Boissieu, « Le prêteur international en dernier ressort », dans le rapport du CAE Architecture financière internationale, 1999.

* 22 Ces raisonnements, qui s'inscrivent dans la perspective d'États cherchant à maximiser leur utilité, n'interdisent cependant pas d'envisager des comportements altruistes.

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