B. FAVORISER DES MÉTHODES INNOVANTES DE TRAITEMENT
1. Des modalités nouvelles de prescription des traitements de substitution
a) Un nécessaire rééquilibrage au profit de la méthadone
(1) Un déséquilibre préoccupant
Comme il a été vu, le détournement du Subutex pour un usage toxicomaniaque ou à des fins de trafic est facilité par la fréquence de sa prescription, alors que la méthadone n'est que faiblement prescrite. Lors de son audition, le professeur Lucien Abenhaïm, directeur général de la santé, a ainsi expliqué les raisons de ce déséquilibre : « Notre pays se caractérise par une très grande accessibilité au Subutex, en particulier à la buprémorphine, et une accessibilité moindre à la méthadone. (...) La diffusion du Subutex et la faible diffusion de la méthadone en particulier ont été liées au fait que pendant très longtemps, notre pays a fait l'objet d'une idéologie anti-utilisation de la substitution. (...) Cette politique était très en retard par rapport à celle des autres pays, qui l'utilisaient depuis plusieurs années. La méthadone a donc joué d'une mauvaise image, entretenue par des gens qui étaient contre la politique de substitution en général. Ensuite, d'abord le MS quantun, puis le Subutex ont pu bénéficier d'un préjugé favorable. »
Une telle situation plaide pour un rééquilibrage des prescriptions en faveur de la méthadone, ainsi que l'a reconnu le professeur Lucien Abenhaïm devant la commission : « Les aspects négatifs sont pour nous la faible accessibilité de la méthadone et la prévalence du Subutex. Très clairement, nous pensons que la méthadone devrait se développer beaucoup plus. Le nombre de centres qui l'offrent n'est pas suffisant. Le personnel n'est pas toujours aussi compétent et surtout aussi nombreux que nous le voudrions. Sur 202 centres de soins pour toxicomanes, 48 ne prescrivent pas du tout de méthadone, ce qui est tout à fait anormal. On devrait pouvoir l'offrir dans tous les centres. (...) Pour lutter contre l'utilisation détournée de Subutex, détourner le trafic de Subutex d'une part et l'utilisation détournée par les injections individuelles d'autre part, les deux grands types d'utilisation détournée, nous travaillons sur la disponibilité et la multiplication de l'utilisation de la méthadone, qui ne présenterait pas les mêmes difficultés et qui par ailleurs peut présenter des avantages que le Subutex ne présente pas. »
Les acteurs de terrain appellent également de leurs voeux un tel rééquilibrage comme l'a indiqué M. Jean-Pierre Lhomme, responsable des missions « échange de seringue » et « bus méthadone » à l'association Médecins du monde, devant la commission : « Il nous semble que le cadre réglementaire, notamment la loi de 1970, mais aussi les autres cadres réglementaires, ceux qui encadrent par exemple les traitements de substitution, doivent se nourrir des avancées des propositions de soins et évoluer tout autant à la mesure du contexte. Cela permettrait, entre autres, de rééquilibrer l'actuel ratio méthadone/buprémorphine, qui ne reflète pas vraiment l'adéquation de la qualité de ces deux médicaments de substitution, pour une meilleure prise en charge de l'addiction aux opiacés. »
(2) Les moyens du rééquilibrage méthadone/buprémorphine
Si le plan triennal 1999-2001 avait inscrit le rééquilibrage de la prescription des deux produits de substitution afin de lutter contre l'usage détourné et le trafic du Subutex, le récent bilan qui en est fait par l'OFDT montre que les résultats sont loin d'être à la hauteur des objectifs et que les efforts dans ce sens doivent être poursuivis.
- Etendre la possibilité de primo-prescription de méthadone aux médecins dans les établissements de santé afin d'en faciliter l'accès aux populations à risque accueillies à l'hôpital ou en milieu carcéral, qui ensuite, habituées à ce traitement, seraient moins tentées d'utiliser le Subutex.
Depuis 1995, l'initialisation d'un traitement de substitution à base de méthadone était réservée aux médecins des CSST. Ainsi, en milieu pénitentiaire, la primo-prescription n'était possible que lorsqu'un CSST intervient en prison. Afin de rendre la méthadone plus accessible et d'en faire bénéficier les personnes qui ne fréquentent pas les centres spécialisés de soins, la circulaire du 30 janvier 2002 autorise la prescription de la méthadone par les médecins exerçant en établissement de santé, dans le cadre de l'initialisation d'un traitement de substitution pour les toxicomanes dépendants majeurs aux opiacés. La commission ne dispose pas d'éléments permettant de vérifier sa mise en oeuvre sur le terrain.
- Faciliter le relais de la prescription de méthadone en ville afin que le traitement initialisé en CSST soit poursuivi, ce qui suppose que les intéressés continuent à être pris en charge au titre d'un accompagnement social qui conditionne la réussite du traitement, le médecin de ville n'en ayant ni le temps, ni les capacités en termes de formation.
A cet égard, l'OFDT constate que l'implication des médecins dans la prise en charge des personnes toxicomanes n'a guère évoluée depuis 1998 : le pourcentage de médecins ayant vu au moins un patient toxicomane au cours des douze derniers mois n'a guère évolué pendant la période d'application du plan triennal (79 % en 1998 contre 81 % en 2001), comme d'ailleurs ceux qui ont vu dix patients ou plus (22 % contre 19 %). On notera également que le pourcentage de médecins recevant des patients occasionnels est de moins en moins élevé (75 % en 1998, 63 % en 2001). Par ailleurs, deux médecins sur trois indiquent qu'il leur arrive de refuser de suivre certains patients qui viennent en consultation, les deux raisons les plus fréquemment invoquées étant le fait de « venir pour leur dose » et le refus de « respecter le contrat ». La sensibilisation à la substitution prioritaire à la méthadone apparaît donc indispensable, sauf à entraver le développement de la primo-prescription.
- Préciser les indications respectives des deux traitements aux patients et améliorer leur information sur les conditions nécessaires à leur réussite et sur les risques associés aux mésusages.
b) Une lutte nécessaire contre le trafic de Subutex
(1) La responsabilisation des professionnels de la santé
- Certains médecins prescripteurs négligent l'accompagnement médico-psycho-social de leurs patients, et ne contrôlent pas de manière satisfaisante l'éventuel nomadisme médical de ceux qui viennent les consulter pour un traitement de substitution. Il convient donc de mieux les informer des risques associés au Subutex et de les inciter à ne traiter que des « patients fidèles », certaines prescriptions trop facilement délivrées contribuant à alimenter directement le marché parallèle du Subutex.
Lors de son déplacement au centre de soins Saint-Germain Pierre Nicolle, il a été indiqué à la commission que, si 90 % des médecins font preuve de modération en la matière, les autres, bien connus des différents intervenants en toxicomanie, prescrivent de manière déraisonnable. On notera à cet égard que les contrôles et éventuelles sanctions des caisses primaires d'assurance maladie (le code de la sécurité sociale donne possibilité aux CPAM de convoquer les médecins concernés et de les sanctionner si nécessaire) ne sont mis en oeuvre qu'exceptionnellement : le centre Pierre-Nicolle n'a, par exemple, été contrôlé que deux fois en sept ans pour la prescription de Subutex.
Se pose en outre le problème des prescriptions associées aux traitements de substitution : beaucoup de médecins prescrivent en effet des médicaments psychotropes malgré les risques de polyconsommation et en dépit des mises en garde du Conseil national de l'Ordre des médecins.
- Si les pharmaciens ne sont concernés qu'indirectement par le trafic de Subutex, car ils ne font qu'appliquer les prescriptions des médecins, il est également indispensable de les sensibiliser à cette question : un article du bulletin de l'Ordre national des pharmaciens, publié en février 2003 met ainsi en garde ces derniers contre le trafic de Subutex.
Par ailleurs, un contrôle plus rigoureux de la délivrance du Subutex par les pharmaciens apparaît nécessaire, en liaison avec les prescripteurs. A cet égard, le professeur Lucien Abenhaïm a déclaré lors de son audition : « J'ai rencontré encore très récemment le président du Conseil de l'Ordre national des pharmaciens et nous travaillons avec l'AFSSAPS pour mieux contrôler la dispensation de ces produits. Il faut trouver y compris des modifications au niveau réglementaire. (...) J'ai rencontré le président de l'Ordre des médecins pas plus tard qu'avant-hier ou la semaine dernière pour en parler, pour trouver des mesures, en particulier pour faire des liens entre le prescripteur et le dispensateur. »
- On notera enfin que certains visiteurs médicaux font preuve d'activisme sur ce produit, qui ne devrait pourtant faire l'objet d'aucune publicité et qui est même prescrit à des non-toxicomanes. Il serait sans doute souhaitable d'imposer à la commercialisation du Subutex des règles particulières en interdisant toute activité en ce domaine aux visiteurs médicaux.
Il reste que ces diverses mesures ne pourront être mises en place sans une volonté forte des autorités compétentes, notamment dans l'application des sanctions. La commission se félicite à cet égard des propos tenus devant elle par M. Didier Jayle, président de la MILDT : « Ces pratiques doivent cesser au plus vite. J'ai alerté les autorités compétentes et je pense pouvoir vous dire que dans les semaines qui viennent, des mesures extrêmement énergiques vont être prises à l'encontre de ces prescripteurs qui, par inconscience ou pour d'autres raisons, ont une dérive grave et qui l'est d'autant plus qu'elle risque de nuire à l'ensemble du dispositif de réduction des risques qui est extrêmement positif » , ainsi que par M. Jean-François Mattei : « Deux réunions sur le mésusage et le détournement de buprémorphine au dosage Subutex se sont tenues au cabinet le 14 janvier et le 20 mars pour faire le point sur la situation et envisager diverses mesures. » La commission ne peut que souhaiter que ces mesures soient rapidement mises en oeuvre notamment contre ces prescripteurs.
(2) Une délivrance du Subutex qui doit être contrôlée
• Une délivrance plus régulière
Il apparaît tout d'abord indispensable de fractionner la délivrance de Subutex pour limiter les détournements d'usage. On rappellera à cet égard que l'arrêté du 24 septembre 1999 a précisé que la délivrance du médicament doit être fractionnée par période maximale de sept jours (avec possibilité pour le médecin de demander au pharmacien que le traitement soit délivré en une seule fois pour une période de 28 jours maximum si la situation particulière du patient l'exige), et non plus tous les 28 jours comme auparavant.
Force est cependant de constater que les mésusages de Subutex persistent, voire s'amplifient, comme le font apparaître les informations fournies dans le cadre du réseau TREND 120 ( * ) : « Certains usagers disent écouler le plus souvent une partie de leur prescription soit en la vendant, soit en la troquant contre d'autres produits (cocaïne) ». Devant ces pratiques, la nécessité de durcir à nouveau le cadre d'utilisation du Subutex doit être prise en compte par les autorités sanitaires. La commission ne peut que se féliciter de cette réflexion concernant les traitements de substitution de la préparation d'un projet de circulaire par la DGS et souhaite que ces nouvelles mesures soient rapidement mises en oeuvre afin d'endiguer le phénomène.
• Une personnalisation des filières de soins
Afin d'éviter les détournements tout en conservant les patients dans les systèmes de soins ambulatoires, la CNAMTS propose la mise en place de filières personnalisées de soins. La régulation par les seuls moyens de la réglementation actuelle reste en effet insuffisante, la procédure de l'article L. 321-1 du code de la sécurité sociale sur la procédure de soins reposant sur l'accord du patient.
La CNAM a proposé en conséquence au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, par une lettre en date du 31 mars dernier, la mise en place de filières personnalisées de soins. Cette proposition rejoint d'ailleurs celle exprimée depuis quelques mois par les différents intervenants du système de santé (conseils nationaux de l'Ordre des médecins et des pharmaciens, AFSSAPS,...).
Ces filières permettraient d'améliorer le suivi de l'ensemble des traitements de substitution en organisant efficacement les relations entre médecin traitant, pharmacien, patient et assurance maladie : lors des consultations, les patients toxicomanes s'engageraient avec les soignants et le service médical de l'assurance maladie à suivre un protocole de soins.
Le suivi thérapeutique des patients toxicomanes devrait ainsi être amélioré en réservant la prescription et la délivrance des traitements de substitution à des professionnels de santé spécialement formés. Des formations, ou au moins la délivrance systématique d'une information sur les risques associés aux mésusages des traitements de substitution et sur les sanctions encourues par les professionnels en cas de non-respect du mode de délivrance, doivent donc être mises en place pour les médecins et pharmaciens concernés.
Ce dispositif, mis en oeuvre à titre expérimental dans certains départements, destiné à fidéliser les clients « nomades » et à éviter les posologies journalières supérieures à 30 mg, s'est traduit par une réduction de la consommation de 80 %. La commission souhaite que cette expérimentation soit poursuivie et, après validation, éventuellement généralisée sur l'ensemble du territoire national.
c) De nouvelles méthodes de substitution
L'un des mésusages les plus fréquents du Subutex résulte de son injection par voie intraveineuse. Il apparaît nécessaire de modifier sa présentation actuelle sous forme galénique afin d'éviter cette utilisation détournée (on rappellera que la méthadone peut être ingérée sous forme de sirop). Plus largement, il s'agit d'élargir la palette des médicaments utilisables pour la substitution pour répondre à la diversité des situations rencontrées et donc de développer les essais cliniques requis.
Il reste que certains consommateurs d'opiacés sont non seulement dépendants au produit, mais également à son mode d'injection par voie intraveineuse, comme l'a indiqué M. Jean-Pierre Lhomme, responsable à l'association Médecins du monde, lors de son audition. A ce sujet, M. Didier Jayle, président de la MILDT, a indiqué à la commission : « Le fait de concevoir un produit injectable me paraît être une piste à creuser. Elle aurait un autre intérêt, qui est le milieu carcéral. Tout le monde sait qu'on s'injecte des drogues dans les prisons. Toutes les personnes de l'administration pénitentiaire savent que cela se passe, qu'il n'y a pas de programme d'échange de seringues dans les prisons. Cela pose beaucoup de problèmes car cela signifie que l'on reconnaît que l'héroïne circule, de la cocaïne et d'autres produits, car on peut s'injecter n'importe quoi. » Sous réserve d'un contrôle particulièrement strict de la délivrance, ce type de produit, destiné à une catégorie très spécifique de toxicomanes dépendants à l'injection et pendant un temps provisoire, permettrait de ne pas faire courir de risques supplémentaires à ces populations les plus à risque, tout en les engageant dans un porcessus de soins.
Concernant la mise en place d'un programme de distribution d'un produit de substitution injectable, un groupe de travail réunissant la DGS, l'AFSSAPS, la MILDT et l'OFDT a été mis en place en 2001. Dans ce cadre, l'OFDT a confié à un groupe de chercheurs étrangers une recherche documentaire sur les différents essais cliniques concernant les programmes à base d'héroïne médicalisée et injectable et ses incidences dans les principaux pays concernés (Royaume-Uni, Suisse, Allemagne, Espagne, Etats-Unis et Australie).
La commission ne peut qu'être réservée quant au principe même de distribuer de l'héroïne à ce type de toxicomanes, même sous contrôle médical (dans des salles dites d'injection). Une expérience a été menée dans ce domaine à Amsterdam avec l'héroïne et la méthadone : les résultats ne sont pas apparus véritablement concluants, ces programmes ayant fait l'objet d'une évaluation en février 2002, puis d'un débat animé au Parlement néerlandais. Si ces programmes ont été renouvelés, leur nombre n'a pas été augmenté, le Parlement estimant que la prudence devait rester de mise quant à ce type de prise en charge, qui doit rester limité à une petite minorité de toxicomanes.
2. Le nécessaire développement des programmes de recherche sur les drogues
a) Des connaissances encore insuffisantes sur les produits
(1) Un socle de connaissance commun à élaborer
La commission l'a constaté au fil des nombreuses auditions qu'elle a menées : il n'existe pas de socle de connaissances communes sur la question de drogues. Si certains points font l'objet d'un consensus scientifique, les effets dramatiques de la consommation d'héroïne par exemple, d'autres sont encore discutés, comme le montrent les débats actuels sur la dangerosité du cannabis ou des nouvelles drogues de synthèse. Ces divergences d'experts (pharmacologues, toxicologues, médecins, psychiatres, etc.) ne peuvent que nuire à la clarté du message d'information et de prévention et alimenter les débats sur la réglementation à appliquer, notamment en direction des usagers de cannabis. Dans un rapport particulier de 1998, la Cour des comptes a ainsi indiqué : « Les connaissances tant épidémiologiques que scientifiques en matière de toxicomanie demeurent à l'évidence insuffisantes pour fonder l'action publique sur des bases rationnelles. »
Certes, un pas important a été franchi avec l'expertise collective de l'INSERM sur le cannabis : par son caractère scientifique rigoureux, elle répond au discours de ceux qui plaident pour une dépénalisation de ce produit en raison d'une prétendue innocuité.
Le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques indique par ailleurs plusieurs pistes de recherche prioritaires en ce domaine :
- « Il est désormais possible, et sans doute nécessaire et urgent de se préoccuper davantage de l'irruption de nouvelles drogues de synthèse et par conséquent de mettre au point un système d'exploration et de comparaison, propre à donner les premières indications sur leur dangerosité au sens large. Les autorités doivent pouvoir réagir rapidement ; aussi paraît-il indispensable et urgent de doter notre pays d'un outil performant pour comprendre la nature des nouveaux produits. »
Comme il a été dit, la commission souhaite qu'une structure, s'inspirant de l'expérience néerlandaise de l'USD puisse être mise en place en France.
Il conviendrait également que les laboratoires de recherche de l'industrie pharmaceutique s'impliquent dans cette action, notamment s'agissant de :
- la recherche fondamentale sur l'héroïne, pour améliorer les traitements, en particulier à travers l'étude moléculaire des opiacés ;
- l'action des drogues sur l'organisme, à travers les paramètres de la dépendance, les facteurs de vulnérabilité génétique, le caractère réversible des effets psychiques et physiologiques ;
- la recherche en neuropsychiatrie, notamment pour améliorer les connaissances sur l'effet des nouvelles drogues.
(2) Une recherche à dynamiser
• Les carences de l'Etat
Dans son rapport de 1998, la Cour des comptes souligne que l'Etat ne joue pas son rôle en matière de recherche sur la toxicomanie, l'affichage des programmes gouvernementaux successifs relatifs au développement des différents domaines de recherche ne devant pas à cet égard faire illusion. En effet, le plan gouvernemental du 9 mai 1990 comme le programme d'action du 14 septembre 1995 n'ont guère été suivis d'effets, ainsi que le montre la reprise périodique des mêmes objectifs : renforcement de la recherche, mise en place d'un comité d'évaluation, adaptation des messages préventifs...
On rappellera par ailleurs que les chercheurs spécialisés en ce domaine appartiennent souvent à des équipes pluridisciplinaires réparties entre plusieurs établissements publics scientifiques et technologiques, essentiellement l'INSERM et deux départements du CNRS : celui des sciences de l'homme et de la société et celui des sciences de la vie. Face à cette dispersion, le ministère de la recherche, au sein duquel trois départements différents (biologie, médecine, santé ; sciences humaines et sociales ; sciences politiques, économiques et de gestion) sont concernés, n'a pas joué son rôle d'impulsion et de coordination.
La commission ne peut que déplorer ce manque de coordination et souhaite que le ministère de la recherche joue un rôle central dans la programmation des recherches en toxicomanie, la centralisation des résultats et leur diffusion.
• Les dispositions du plan triennal relatives à la recherche
Le plan triennal 1999-2001 indique pour sa part qu' « il est indispensable de définir une stratégie claire de recherche qui s'inscrive dans la durée, ainsi qu'une organisation qui permette aux décideurs de disposer des connaissances nécessaires à l'élaboration des politiques publiques. » La coordination de la politique de recherche devait donc être effectuée par la MILDT, avec l'aide de l'expertise scientifique de l'OFDT. Plusieurs actions avaient ainsi été définies pour structurer et développer la recherche : effectuer un état des lieux des connaissances, analyser les différents secteurs de la recherche (recherche neurobiologique et clinique, sciences humaines et sociales, agriculture), développer la recherche (pérennisation de nouvelles équipes, création de bourses pour les jeunes chercheurs qui travaillent dans ce domaine, reconnaissance des spécialités liées à l'études des drogues).
La MILDT a procédé en conséquence à la mise en place d'outils et de dispositifs d'aide aux professionnels, à l'instar de la Commission de validation des outils de prévention en janvier 2000 (pour garantir la fiabilité des contenus et assurer une plus grande cohérence des messages de prévention émis par les différents acteurs du terrain) et des livrets de connaissance et publication destinés aux professionnels (10 titres aujourd'hui disponibles gratuitement et tirés à près de 80.000 exemplaires). La formation professionnelle a également été adaptée, notamment pour les professionnels sans formation initiale dans ce domaine.
Selon le bilan du plan triennal (non publié encore) établi par M. Michel Setbon, chercheur au CNRS, au nom de l'OFDT, « le niveau de réalisation (de cet objectif) peut être qualifié de « bon » et conforme aux engagements pour les campagnes généralistes comme pour la formation professionnelle, même si des lacunes ont été identifiées en matière d'effectivité de certains programmes et d'utilisation de certains outils. Par contre, le niveau d'atteinte de l'objectif final (création d'une culture de référence commune entendue comme diffusion et intégration) n'est pas à ce stade évaluable. »
• Des efforts à intensifier
Malgré ces résultats encourageants, les efforts en matière de recherche sur la toxicomanie doivent être intensifiés, et ceci dans plusieurs directions, comme l'a montré l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques :
- susciter des vocations de chercheurs en renforçant l'enseignement relatif aux toxicomanies dans les facultés de médecine par le redéploiement des chaires et des création de postes ;
- lever les obstacles juridiques liés à l'obligation pour les chercheurs d'obtenir l'accord écrit de la famille avant d'engager une autopsie médico-scientifique, tout en respectant la volonté des défunts et de leurs familles. En outre, il apparaît nécessaire de donner aux chercheurs, dans le respect du secret de l'instruction, la possibilité d'accéder aux données relatives à la drogue figurant dans les procédures judiciaires ;
- créer un établissement public de recherche, sous la responsabilité du ministère de la recherche, centralisant et impulsant les études sur la toxicomanie, à l'image du NIDA (National institute on drug abuse) américain.
3. La nécessité de promouvoir de nouveaux savoir-faire
a) Une prise en charge élargie à l'ensemble des produits
Si la prise en charge des toxicomanes aux opiacés apparaît satisfaisante, tout du moins sur un plan technique, certains comportements de consommation nécessitent le développement de nouveaux savoir-faire. Il en est ainsi de la consommation régulière et intensive de cannabis, la consommation de psycho-stimulants, de drogues de synthèse, de benzodiazépines, de crack ou de cocaïne. Cette question est liée à celle du développement de la recherche clinique : un certain nombre d'expérimentations sont en cours, mais il convient d'organiser leur évaluation et leur développement.
Lors de son audition, le docteur Michel Hautefeuille, psychiatre au Centre Marmottan, à ainsi indiqué à propos de l'absence d'une prise en charge spécifique des consommateurs de cannabis malgré les besoins : « A l'évidence, en dépit de tout le débat qui existe sur le cannabis, nous constatons d'un point de vue clinique que des gens sont véritablement en souffrance par rapport a cannabis, qu'ils ont un usage véritablement problématique du cannabis et qu'ils viennent nous consulter sur ce point. Ils vont donc être accueillis, suivis, orientés ou pris en charge à Marmottan de la même façon qu'un héroïnomane ou un cocaïnomane, même si les enjeux sont différent ». L'insuffisance des savoir-faire concernant la consommation de cannabis est d'autant plus problématique que la dépendance n'est pas toujours avérée, notamment au niveau physique.
De la même façon, il est nécessaire de développer des méthodes de prise en charge des usagers de cocaïne, notamment par la recherche d'un traitement de substitution adapté, ainsi que l'a évoqué le docteur Didier Jayle, président de la MILDT, devant la commission : « En ce qui concerne la cocaïne, je crois là qu'il y a vraiment un travail de recherche à faire. Nous ne disposons pas pour la cocaïne des traitements de substitution que nous avons pour l'héroïne. Nous sommes extrêmement démunis dans la prise en charge. En plus, il y a très souvent un contexte de polyconsommations, qui rend les choses très difficile. Là, il faut vraiment stimuler les recherches fondamentales certainement, mais beaucoup aussi les recherches cliniques et ouvrir des centres de référence de traitement pour les personnes dépendantes à la cocaïne et également au crack. »
L'un des enjeux principaux de la recherche clinique est donc actuellement de trouver des moyens de soigner les toxicomanes non héroïnomanes, notamment les usagers de cannabis, de cocaïne et les polyconsommateurs.
b) Une gestion plus satisfaisante des situations de grande précarité
La recherche clinique en matière de drogues doit également prendre en compte la réalité du terrain ; pour cela, elle doit s'articuler avec la recherche d'un dispositif efficace de prise en charge des personnes en marge du système de soins. Rien ne sert en effet de développer de nouveaux modes de prise en charge s'il ne profitent pas à ceux qui en ont le plus besoin.
Comme il a été dit, au-delà de la diminution des risques infectieux qui en constitue l'objectif de santé publique principal, la politique de réduction des risques s'attache à atténuer les problèmes sanitaires et sociaux associés aussi bien à l'usage qu'à la recherche de drogues : complications sanitaires liées à l'utilisation de la voie veineuse ou aux effets pathologiques des produits consommés, dégradation des liens sociaux et familiaux, violence et délinquance associée... La légitimité de la politique de réduction des risques ne se limite pas à la simple distribution de matériel d'injection stérile : en acceptant la dépendance des usagers de drogues, elle permet d'entrer en contact avec les plus marginalisés et les plus vulnérables, et de leur proposer une offre adaptée de soins et de réinsertion.
Toutefois, cette prise en charge des usagers les plus marginalisés s'avère difficile, tant pour les hôpitaux que dans le cadre du dispositif spécialisé. On constate cependant que ce sont ces individus qui choisissent le plus souvent les traitements de substitution par Subutex, délivré par les médecins de ville avec un contrôle plus restreint que pour la méthadone, parce qu'ils sont souvent dans l'incapacité d'envisager une relation quotidienne suivie avec une structure de soins. Ce sont également eux, ainsi que le montrent les données de la MILDT sur le trafic de Subutex, qui font une utilisation détournée de ce produit, à des fins toxicomaniaques ou de trafic.
On imagine donc facilement que l'étape suivante, celle du sevrage et de la réinsertion, est encore plus difficile à mettre en oeuvre pour ce type de populations. Il est donc indispensable de renforcer et de poursuivre le développement des structures destinées aux personnes les plus fragilisées et marginalisées, pour lesquelles une étape intermédiaire apparaît nécessaire entre la distribution du traitement de substitution et, au moment où une action de réinsertion est mise en oeuvre, le passage en appartement thérapeutique ou en famille d'accueil.
Pour permettre une meilleure prise en charge des toxicomanes en situation de grande précarité sanitaire et sociale, qui n'ont parfois ni accès à la substitution, ni même à un programme de réduction des risques, la commission considère que l'effort doit être poursuivi dans le domaine du primo-accueil (« sleep'in » notamment) et des équipes de proximité, afin que ces usagers puissent tous être « accrochés » par le système de soins. Ces structures permettent en effet, à travers leur fonction d'orientation et de médiation en direction du dispositif de prise en charge sanitaire et sociale, de nouer un premier contact avec les toxicomanes marginalisés et de les inciter à demander une aide (traitement de substitution, sevrage voire réinsertion...). Au terme de cette prise en charge, le dispositif de réinsertion doit tenir compte de leur absence de repères à l'extérieur, celle-ci étant de nature à compromettre leur sortie et à favoriser les rechutes : le volet social de la réinsertion doit donc être développé dans les structures de post-cure.
Le développement de ces structures pose toutefois le problème de leur acceptation par les riverains, qui peuvent craindre que leur quartier devienne un point de rassemblement d'usagers de drogues très marginalisés. Ces réticences, qui peuvent être légitimes, doivent être prises en considération et un véritable dialogue doit se développer entre les autorités, les associations et les riverains, notamment via les équipes de proximité.
* 120 Dispositif d'information mis en place par l'OFDT dans le cadre du plan triennal 1999-2001