III. UN DISPOSITIF SANITAIRE ET SOCIAL EFFICACE POUR LA PRISE EN CHARGE, LE TRAITEMENT ET LA RÉINSERTION
A. LE NÉCESSAIRE DÉVELOPPEMENT DES STRUCTURES D'ACCUEIL
1. Le renforcement indispensable des capacités en centres d'accueil
a) Des structures d'accueil qui doivent être dotées de véritables moyens
Si le dispositif de prise en charge des toxicomanes, comme il a été vu, est inadapté aux usages et aux consommateurs actuels, il est également très insuffisant en termes de capacités d'accueil. En effet, la politique de réduction des risques qui s'est développée à partir de 1995 en faveur du « tout substitution » dans la prise en charge a conduit à la fermeture de plusieurs lits dans les structures sanitaires et sociales, faute de moyens suffisants.
M. François Hervé, président de l'Association nationale des intervenants en toxicomanie (ANIT), a ainsi attiré l'attention de la commission sur le problème du financement des structures d'accueil dans leur ensemble : « (...) le dispositif spécialisé a été fragilisé par un sous-financement chronique des CSST depuis plusieurs années. Nous en avons à plusieurs reprises informé la représentation nationale. D'autre part, la plupart des actions destinées à l'approche et au soin précoce des jeunes consommateurs repose sur des financements fragiles, non pérennes et remis en cause d'une année sur l'autre à partir non d'une évaluation de la pertinence de l'action, mais de critères purement économiques. »
La commission a pu prendre la mesure de ce problème lors de sa visite du Groupe écoute information dépendance à Valenciennes. Le GREID gère six appartements thérapeutiques et un centre de soins, et travaille dans une perspective de formation et d'insertion des toxicomanes sevrés. La structure connaît un vrai problème de financement car, à côté de la direction générale de la santé (DGS) et des financements de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), ceux du contrat intercommunal de prévention de la délinquance (CIPD) et de la MILDT sont souvent précaires.
Lors de sa visite du GREID, la commission a pu également se rendre compte que les structures d'accueil rencontraient des difficultés du fait de leur statut et de celui de leurs partenaires. Ainsi, alors que le GREID a toujours travaillé grâce à un étroit partenariat avec l'hôpital de Valenciennes, cette articulation particulièrement efficace est aujourd'hui remise en cause d'un point de vue réglementaire. L'association va désormais devoir revoir ses statuts et ses financements : en effet, le mode de rémunération des personnels hospitaliers mis à sa disposition par l'hôpital pourrait être assimilé à un « détournement » des deniers publics.
Outre l'assurance de la pérennité des financements, c'est également une plus grande souplesse dans les statuts des structures d'accueil qu'il faut aujourd'hui promouvoir, afin de permettre un partenariat plus efficace pour la prise en charge. Les CSST, notamment ceux qui sont gérés par des associations, pourraient ainsi plus facilement bénéficier de compétences médicales disponibles grâce aux hôpitaux et des échanges de programmes permettraient de maintenir la motivation des personnels.
b) Des programmes de sevrage à développer
Avec la montée en puissance de la politique de réduction des risques, les moyens financiers, matériels et humains des structures destinées au sevrage ont été sensiblement réduits . Il est donc aujourd'hui nécessaire de remettre l'accent sur l'objectif du sevrage en renforçant l'offre de soins dans ce domaine.
C'est notamment l'un des objectifs sur lequel le docteur Didier Jayle, président de la MILDT, a insisté lors de son audition en prônant un développement des communautés thérapeutiques comme méthode de prise en charge pour le sevrage : « En ce qui concerne la prise en charge, je ne suis pas non plus un partisan du tout substitution et je ne pense pas que la substitution puisse régler tous les problèmes. Il me semble que nous avons peut-être un peu négligé d'autres modes de prise en charge. J'aimerais bien pouvoir relancer ce que nous appelons les programmes sans drogue , qui sont des démarches un peu sur la base des narcotiques anonymes, qui reprennent le mécanisme des alcooliques anonymes, et également réfléchir à des communautés thérapeutiques , extrêmement peu importantes en France à cause des dérives d'une grande association que vous connaissez (le Patriarche). Le principe des communautés thérapeutiques est extrêmement intéressant. Il y a à peu près 50 places dans les communautés thérapeutiques en France, contre plusieurs milliers en Italie par exemple. Je crois qu'il faut vraiment faire un effort dans ce sens. (...) si le Patriarche a pu s'implanter ainsi, c'est parce qu'il n'y avait rien, pas tellement d'autres associations transparentes et honnêtes pour gérer ces problèmes. Le système français en a pâti. Je ne sais pas si nous pouvons renverser la vapeur, mais en tous cas je vais essayer. (...) Quelques communautés thérapeutiques fonctionnent bien. Je pense que c'est quelque chose d'intéressant, sous réserve d'avoir les garanties (...) de transparence et de respect de la personne humaine. (...) L'association Kate Beary par exemple (...) est intéressante. Il y a des associations dans le Gard, que je n'ai pas encore vues, mais qui me paraissent sérieuses et avec un encadrement professionnel et une gestion saine. Je compte bien faire le tour de tout cela et peut-être inciter à la création de dizaines de communautés thérapeutiques de petite échelle, avec des professionnels et avec une garantie totale de bonne gestion et de respect des personnes. »
Si la commission considère effectivement que le nombre de places d'accueil dans les structures proposant des programmes de sevrage doit être substantiellement augmenté et que certaines méthodes originales doivent être développées, elle estime aussi qu'un contrôle strict de ces nouvelles initiatives doit être mis en place, que l'encadrement doit être pour partie assuré par un personnel médical formé et qu'il doit être procédé à une évaluation régulière.
Elle ne peut que s'inquiéter des possibilités de dérapage évoqués devant elle par le docteur Francis Curtet, psychiatre : « Quant aux communautés thérapeutiques, c'est une chose particulière, différente des post-cures. Il s'agit d'un concept qui nous vient des États-Unis (...), qui voulaient nous l'exporter il y a trente ans. J'étais allé voir ce qui se passait à Phoenix House, dont le principe est le suivant : ce sont d'immenses structures dans lesquelles on entre en tant que toxicomane et où, par le biais de programmes de réhabilitation et, en particulier, de très nombreuses séances d'humiliation, qui me paraissent insupportables, on se réhabilite progressivement, on monte des paliers et on passe du statut d'ex-toxico au statut d'encadrant, comme si le fait d'avoir fait l'expérience du produit donnait la qualité de thérapeute. »
Si les programmes de sevrage purs, par un isolement forcé au début de la prise en charge, puis une aide psychosociale progressive pour éviter les rechutes, peuvent convenir à certains toxicomanes, il apparaît tout aussi indispensable de renforcer les moyens des centres que l'on pourrait qualifier de « mixtes », à l'instar du centre Marmottan, dirigé par le docteur Michel Hautefeuille.
Le centre médical de Marmottan offre trois niveaux de réponse, constituant chacun une unité fonctionnelle : une consultation externe d'hôpital quotidienne et sans rendez-vous, un service d'hospitalisation d'une douzaine de lits pour entamer ou poursuivre une démarche de soins, et une unité de médecine générale qui prend en charge la réduction des risques (mise à disposition de matériel stérilisé) et le soin des pathologies spécifiques comme le sida ou les hépatites. Le centre prend donc en charge des toxicomanes aux différentes étapes de leur parcours de soins, ce qui permet un véritable suivi et la possibilité de passer progressivement d'une étape à l'autre.
Le docteur Michel Hautefeuille a ainsi précisé à la commission la prise en charge du sevrage à Marmottan : « Les demandes qui sont faites par rapport à l'hospitalisation restent essentiellement des demandes de sevrage, soit ce qu'on appelle des sevrages totaux ou globaux, qui concernent les personnes qui consomment un certain nombre de produits et qui veulent tout arrêter, soit ce que nous appelons des sevrages sélectifs, que nous développons de plus en plus, avec des patients qui ont, par exemple, un traitement de substitution avec lequel ils sont assez équilibrés et qu'il ne convient pas de remettre en cause, mais qui, en plus, sont utilisateurs d'autres produits comme l'alcool, les médicaments, la cocaïne, le crack, etc. Nous hospitalisons donc ces patients en leur laissant le traitement de substitution parce que je répète qu'il est adapté et correspond au niveau de leur cursus et de leur évolution personnelle, et nous faisons un sevrage de tous les autres produits. C'est ce qu'on appelle le sevrage sélectif et c'est une chose qui se développe de façon assez importante. Là aussi, Marmottan a été l'une des premières structures à proposer ce type de sevrage. »
L'objectif final devant rester autant que possible le sevrage total, il est certain que les moyens doivent d'abord être renforcés dans ce domaine. Toutefois, la commission considère que la notion de sevrage sélectif mérite d'être développée comme une première étape et comme moyen de lutter contre les nouveaux risques sanitaires liés à la substitution. Dans ce cadre, un certain nombre de places d'accueil pourraient être réservées, dans les centres de soins qui le souhaitent, à ce type de dispositif intermédiaire.
c) Une prise en charge qui doit être élargie
Comme on l'a vu, la prise en charge des toxicomanes telle qu'elle est conçue actuellement se consacre presque exclusivement aux usagers dépendants aux opiacés, pour lesquels les professionnels ont acquis compétence et savoir-faire, alors même que leur nombre diminue progressivement au sein de la population toxicomane globale.
La prise en charge est à construire et à renforcer pour trois types de consommateurs, que la commission considère particulièrement démunis et fragilisés face au problème de la drogue : les parents usagers de produits et leurs enfants, les adolescents et les détenus , dont la situation sera développée plus loin. Ces populations prioritaires avaient déjà été identifiées par la MILDT lors du choix des objectifs du plan triennal 1999-2001.
(1) Les parents usagers de produits et leurs enfants : éviter un engrenage dramatique
Il s'agit à la fois de soutenir les parents usagers de drogues dans leur mission éducative et de permettre aux enfants de surmonter les difficultés rencontrées. Il pourrait être envisagé une prise en charge psychosociale familiale renforcée dans le cadre de certaines structures, ainsi que la mise en place de lits d'urgence pour les parents afin de protéger les enfants des conséquences néfastes de certaines situations de crise.
L'accent doit en outre être porté sur l'aide aux femmes toxicomanes qui attendent un enfant, ainsi que l'avait notamment proposé le plan triennal : « La consommation importante (...) chez les femmes enceintes entraîne (...) des pathologies souvent graves du foetus et du nouveau-né. Ces pathologies, relativement fréquentes et décrites par les spécialistes, sont souvent mal connues du grand public. La gestion des traitements de substitution des futures mères et le sevrage des nouveaux nés doivent être soigneusement pris en compte. Une articulation de ces actions avec celles développées dans les plans « périnatalité » sera établie. »
Quelques associations ont mis en oeuvre des actions novatrices, encore trop rares et expérimentales, qui pourraient servir de modèle à d'autres dispositifs : prévention conduite en partenariat avec les maternités, accueil des parents en difficulté et de leurs enfants, aide à la construction de la parentalité, ou encore thérapies familiales.
La commission souhaite également que le nombre de places réservées aux femmes enceintes ou accompagnées de leurs jeunes enfants soit augmenté dans les CSST, à l'instar de ce qu'elle a pu constater lors de son déplacement au centre de soins Saint-Germain Pierre Nicolle.
(2) Les adolescents usagers : les oubliés de la politique de soins
L'émergence de nouvelles formes de consommation chez les jeunes n'a été suffisamment prise en compte ni par le dispositif spécialisé, ni par l'hôpital, de sorte que les adolescents consommateurs de multiples substances, mais pas toujours dépendants, constituent une population presque invisible en termes d'action publique.
Ainsi, pour M. François Hervé, président de l'ANIT : « Une priorité serait d'insister sur la prévention et l'accès précoce aux soins pour les jeunes adolescents. Quand nous regardons les rapports actuels sur la santé psychique, nous avons de quoi nous inquiéter. »
Il est cependant difficile à cet âge de distinguer les signes qui peuvent révéler un usage nocif de ceux qui relèvent de la « crise de l'adolescence ». Un tel diagnostic nécessite que l'entourage et les professionnels en contact avec l'adolescent (médecins et enseignants, notamment) soient en mesure de reconnaître un certain nombre de signes d'alerte.
En outre, lorsque la consommation de stupéfiants est avérée, l'orientation et la prise en charge des jeunes consommateurs sont complexes en raison de leur difficulté à comprendre la nécessité d'une aide sur un long terme et de l'absence de lieux d'accueil et de soins adaptés pour ceux qui ne recourent pas au dispositif spécialisé et ne vont pas consulter les services généralistes (ces derniers ne se reconnaissent d'ailleurs pas compétents pour traiter les consommations abusives).
Cette difficulté conduit à s'interroger sur l'insuffisance du nombre de lieux de consultation spécifiques pour les adolescents (les points écoute sont peu nombreux) et sur l'opportunité de consacrer des structures spécialisées aux jeunes usagers de produits psychoactifs.
Concernant cette dernière interrogation, la commission souhaiterait que quelques expériences pilotes puissent être développées puis évaluées, à l'instar du CSST Espace du possible, dont elle a rencontré le responsable, M. Jean-Marie Brunnin, lors de son déplacement à Valenciennes. Espace du possible est ainsi géré par l'association départementale du Nord pour la sauvegarde de l'enfance à l'adolescence (ADNSEA) depuis son ouverture en 1987. Il accueille un public adolescent (14 à 23 ans) usager de drogue ou toxicomane. Les réponses proposées par l'établissement sont diversifiées : post-cure (hébergement collectif pour dix jeunes), service d'accueil d'urgence et de transition (six places), familles d'accueil (cinq places), appartements thérapeutiques, consultations spécialisées et service de réduction des risques.
Consciente qu'une réponse spécifique doit être donnée pour la prise en charge des adolescents toxicomanes, la commission souhaiterait également que des lits leur soient réservés dans les nouvelles Maisons de l'adolescent , qui devraient être mises en place à terme dans chaque département. Ces lieux de prise en charge pluridisciplinaire permettraient parallèlement une prise en compte des difficultés sociales, psychologiques ou encore scolaires de ces adolescents, afin de renforcer l'efficacité du traitement en prenant le problème dans toute sa dimension.
d) Des moyens pour une nécessaire réinsertion
(1) Des dispositifs intermédiaires insuffisants
Le manque de places touche aujourd'hui les différents types de structures de prise en charge, mais il est particulièrement flagrant pour les structures d'accueil post-soins (post-cures, appartements thérapeutiques, familles d'accueil, etc.), qui sont pourtant indispensables à la réinsertion sociale des toxicomanes après leur période de sevrage, ou après qu'ils ont recouvré un premier équilibre grâce un traitement de substitution.
La commission notera que quatre centres avec hébergement thérapeutique ont été déconventionnés entre 1999 et 2000. La capacité d'accueil de ces centres a donc été réduite de 19 % en passant de 679 places en 1998 à 569 en 2001.
Cette réduction des moyens a notamment été dénoncée par le docteur Francis Curtet, psychiatre, lors de son audition : « Il y a une dizaine d'années, je râlais déjà parce qu'il n'y avait même pas 1.000 places en post-cure alors qu'on considère qu'il y a entre 150.000 et 200.000 toxicomanes en France. C'était donc dérisoire et la liste d'attente était déjà très importante. La politique de réduction des risques a abouti à ce que , désormais, on n'a même pas 500 places ! On ferme des post-cures et on retire des crédits pour les familles d'accueil. Du coup, les listes d'attente sont énormes, et je vois des parents complètement désespérés parce qu'ils ne savent plus où s'adresser pour trouver une aide alors qu'il y a, partout en France, de nombreuses personnes d'une qualité exceptionnelle qui se demandent quand on va se décider à faire un vrai travail, à mener un véritable combat et à leur donner les moyens de travail. »
Ce type de structure est donc essentiel car beaucoup de toxicomanes rechutent lorsqu'ils retrouvent leur entourage, ainsi que l'a exprimé le docteur Francis Curtet devant la commission : « Quand on voit le nombre de personnes qui peuvent se sortir d'affaire si on prend le temps de les aider, on se dit qu'il est vraiment trop dommage de ne pas le faire. On peut faire ces entretiens sous forme ambulatoire si les problèmes d'angoisse ne sont pas trop importants, mais si l'angoisse est trop importante et s'il ne peut pas se contenter de ces parenthèses qu'on lui fournit dans la semaine et risque de rechuter à tout moment, la seule solution est de lui proposer d'aller en post-cure, c'est-à-dire dans un lieu où, 24 heures sur 24, il peut aborder, au moment où il le veut, les problèmes qui se posent, et ce pendant des mois et des mois. Cela a un rôle essentiel. Et s'il ne parvient pas à vivre en collectivité, il faut trouver une famille d'accueil dans laquelle il peut parler avec des gens à tout moment. »
Outre l'augmentation du nombre de places d'accueil, l'action à mener en direction du dispositif de post-cure doit également concerner le mode de placement. Il apparaît en effet que, pour éviter un retour trop brutal du toxicomane dans son milieu d'origine, il est souhaitable qu'il effectue son séjour en post-cure hors de sa région d'origine. Il apparaît donc nécessaire de développer également un contact entre les différents centres au niveau national pour permettre des échanges, ce qui pose le problème des disparités régionales dans ce domaine.
En outre, les centres ayant des méthodes différentes de post-cure, une telle souplesse permettrait à chaque patient de trouver la formule convenant le mieux à son cas. Cette adaptation à chaque cas doit également être prise en compte par le développement de prépost-cures (un mois au lieu de six) pour préparer les patients les plus fragiles aux difficultés de la réinsertion liées à la post-cure.
(2) Une prise en charge sociale complémentaire indispensable
Si le dispositif de soins doit privilégier une approche médicale de la prise en charge, les aspects sociaux, et notamment l'objectif de la réinsertion, ne doivent donc pas être oubliés. Il est en effet nécessaire de s'intéresser aux problèmes sociaux des usagers de drogues.
Même si plusieurs centres de post-cure ont mis en place des ateliers d'insertion professionnelle afin de mieux prendre en compte la dimension sociale des problèmes, ces ateliers restent souvent coupés de la réalité et ne contribuent pas nécessairement à insérer les usagers dans la vie réelle.
Comme l'avait proposé le plan triennal de lutte contre la drogue et de prévention des dépendances (1999-2001), il ne s'agit pas de créer des dispositifs spécifiques qui s'ajouteraient à ceux qui existent déjà, mais de mieux utiliser les dispositifs existants, notamment ceux relevant du RMI, du logement social (Fonds de solidarité logement en particulier), de l'accès aux centres d'hébergement et de réadaptation sociale (CHRS) ou des contrats particuliers de retour à l'emploi (notamment pour les jeunes de moins de 25 ans en grande difficulté et confrontés à un risque d'exclusion professionnelle du fait de leur comportement addictif).
En l'absence de tout bilan du plan triennal sur cet aspect, un effort doit être poursuivi sur la question de l'aide sociale dans les structures de prises en charge des toxicomanes, notamment en fin de parcours de soins. Pour cela, les équipes doivent être informées de l'existence de ces dispositifs pour orienter les patients vers l'interlocuteur adéquat.
2. La nécessaire adaptation de la prise en charge sanitaire des détenus et des mineurs délinquants
a) Les carences du dispositif de prise en charge
(1) Une population à risque
• Une forte proportion de toxicomanes
Les données les plus récentes concernant la drogue en prison résultent de l'enquête sur « la santé à l'entrée en prison » menée au printemps 1997 dans l'ensemble des maisons d'arrêt et des quartiers maisons d'arrêt des centres pénitentiaires 118 ( * ) . Une nouvelle enquête, prévue en 2003, doit permettre de les actualiser.
Selon l'étude de 1997, près du tiers des entrants (32 %) déclare une consommation prolongée et régulière de drogues au cours des douze mois précédant leur incarcération : 25,6 % consommant du cannabis, 14,4 % des opiacés (héroïne, morphine ou opium), 8,9 % de la cocaïne et du crack, 9,1 % des médicaments à des fins toxicomaniaques, 3,4 % des drogues chimiques (ecstasy, LSD, colle, solvants...), 14,6 % enfin étant polytoxicomanes (deux substances consommées hors alcool associé). En outre, 40 % des entrants n'ont eu aucun contact avec le système de soins pendant de l'année précédant leur incarcération.
La visite médicale obligatoire à l'entrée, qui consiste en une radio pulmonaire et un test facultatif de détection du VIH (la prévalence pour le VIH - 1,6 % de la population - est trois à quatre fois supérieure chez les détenus à celle qui est constatée en milieu libre pour une population comparable) et des hépatites B et C, constitue une plaque tournante qui permet d'orienter le détenu à condition qu'il revendique sa toxicomanie. Dans ce cas, son état peut être révélé à l'occasion de consultations psychologiques ou psychiatriques, qui sont en libre accès, ou par un codétenu, étant rappelé que nombre de détenus souffrant de troubles mentaux sont aussi toxicomanes. En règle générale, les consommateurs de cannabis ne sollicitent pas une prise en charge et ne se déclarent pas toxicomanes.
Le docteur Véronique Vasseur, ancien médecin-chef de la prison de la Santé, a déclaré devant la commission : « On voit de moins en moins de toxicomanes en état de manque. J'en ai vu au début, surtout avec le crack, mais on en voit désormais très peu. Comme ils arrivent en général après 48 heures de dépôt, le gros est déjà passé. »
Un repérage systématique de toutes les situations d'abus et de dépendance à l'entrée en détention, par la mise en place d'un outil d'appréciation de la dépendance et de l'abus (« Minigrade ») est en cours de mise en place afin de permettre une meilleure évaluation de la situation des nouveaux arrivants et leur offrir une prise en charge adaptée.
• La protection judiciaire de la jeunesse également confrontée au problème de la toxicomanie
L'étude menée en 1997 sur la santé des entrants en prison et plus spécifiquement sur le problème de la toxicomanie chez les détenus montre que, dans les quartiers pour mineurs, plus du quart des entrants (27 %) déclarent une utilisation habituelle de drogues pendant les douze mois précédant leur interpellation, dont 24 % consommant du cannabis et 4,8 % des opiacés. Cette population présentant à bien des égards les mêmes caractéristiques que celle accueillie dans les structures de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), celles-ci sont également confrontées de manière importante au problème de la toxicomanie chez les mineurs dont elles ont la charge.
Les dernières données disponibles concernant les différentes formes de toxicomanie des mineurs confiés à la PJJ, issues de l'étude INSERM de 1998 réalisée par l'unité 472 de Mme Marie Choquet, confirment l'importance du phénomène. Cette étude témoigne d'un état de santé préoccupant et en particulier d'une importante consommation de substances psychoactives : 40 % des garçons et 32 % des filles accueillis dans les structures de la PJJ déclareraient avoir consommé plus de dix fois dans leur vie une drogue illicite (contre respectivement 10 et 5 % en population normale aux mêmes âges).
Les mineurs de la PJJ, peu enclins aux pratiques d'injection, sont massivement concernés par l'usage de cannabis et les polyconsommations. Leur toxicomanie, sauf exception, ne concerne pas spécifiquement la consommation de produits illicites (les consommation d'alcool et de tabac sont plus importantes que chez les adolescents du même âge) et s'inscrivent souvent dans un ensemble de difficultés mêlant actes déviants, auto ou hétéro agressions et plus généralement troubles du comportement.
Lors de son audition, M. Jean-Pierre Carbuccia-Berland, directeur de la PJJ, a apporté les précisions suivantes : « Le cannabis est évidemment le principal produit utilisé par les jeunes qui nous sont confiés : 31 % des garçons et 21 % des filles peuvent être qualifiés de consommateurs réguliers. On entend par « consommateurs réguliers » ceux qui ont pris plus de quarante fois du cannabis au cours de leur vie. (...) Il va de soi que, si on avait raisonné à un niveau plus bas, c'est-à-dire des consommations irrégulières, le taux aurait été beaucoup plus important. Les produits à inhaler prennent la deuxième place après le cannabis : 15 % des jeunes qui nous sont confiés en ont utilisé à un moment ou un autre. On note toutefois que, contrairement au cannabis, ces produits sont plus souvent et plus facilement abandonnés par les jeunes. En troisième position de ce triste palmarès, on trouve l'ecstasy. 12 % des garçons et 7 % des filles déclarent en avoir consommé au moins une fois. Il y a, en revanche, peu de consommateurs réguliers de ce produit. Les autres produits occupent une place relativement moins importante, même si leur consommation ne peut pas être qualifiée de totalement négligeable. En ce qui concerne l'héroïne, la cocaïne, les amphétamines et les usages toxicomaniaques de médicaments, le chiffre s'établit entre 3 et 8 % selon le sexe et le produit que l'on considère. »
(2) Un dispositif de prise en charge en milieu carcéral inadapté
• Un dispositif mêlant structures intégrées et partenariats extérieurs
Le système de prise en charge des toxicomanes en milieu carcéral a été mis en place après la réforme instituée par la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 (faisant suite à une circulaire interministérielle du 14 janvier 1993), qui pose le principe du rattachement de l'ancienne médecine pénitentiaire au ministère de la santé.
La prise en charge des toxicomanes repose désormais pour l'essentiel sur l'équipe de secteur psychiatrique intervenant dans l'établissement pénitentiaire, en liaison étroite avec l'équipe de soins somatiques et les CSST. Ces centres de soins en milieu pénitentiaire (ex antennes toxicomanie depuis le décret du 29 juin 1992) sont au nombre de seize et sont concernés au même titre que les autres par les nouvelles orientations de la MILDT pour la prise en charge de l'ensemble des dépendances, conformément à la note interministérielle du 9 août 2001 relative à la prise en charge sanitaire et sociale des personnes détenues présentant une dépendance aux produits licites ou illicites ou ayant une dépendance abusive. Parallèlement, un certain nombre de CSST extérieurs aux établissements pénitentiaires ont signé une convention de prestation dans le cadre du programme des conventions départementales d'objectifs, afin d'organiser sur le plan sanitaire la prise en charge des usagers incarcérés, la préparation de leur sortie et leur suivi après libération.
Les établissements pénitentiaires prennent en charge les soins somatiques et psychiatriques des détenus via une unité hospitalière implantée en milieu pénitentiaire et rattachée à l'hôpital de proximité (UCSA). Ces unités s'occupent plus particulièrement de la prévention, de l'organisation et des soins ainsi que de leur continuité à la sortie de la détention. En outre, depuis la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale, les soins en milieu carcéral sont assurés par des équipes hospitalières relevant du dispositif de droit commun. Depuis l'arrêté du 14 mars 1986, il existe également les services médicaux-psychologiques régionaux hospitaliers (SMPR), qui couvrent l'ensemble de la population carcérale et qui gèrent pour seize d'entre eux un CSST en milieu pénitentiaire. Leur rôle est notamment de coordonner l'ensemble des services de psychiatrie intervenant dans l'établissement.
On rappellera en outre que les derniers textes d'application pris par les autorités de tutelle sanitaires, hospitalières et pénitentiaires conjointement avec la MILDT prévoient une nouvelle organisation des services intervenant en détention, qu'ils soient sanitaires, socio-éducatifs ou de surveillance. La lettre interministérielle de 2001 établit ainsi les orientations relatives à l'amélioration de la prise en charge sanitaire et sociale des personnes détenues présentant une dépendance aux produits licites (alcool notamment) ou illicites ou ayant une consommation abusive. Elle vise notamment à une plus grande coordination des services appelés à intervenir, tant au sein de la prison qu'au dehors, et à une meilleure organisation des modalités d'intervention locale autour d'un projet clairement établi et d'un responsable nommément désigné.
Les objectifs suivis par cette réorganisation sont les suivants : repérer systématiquement toutes les situations d'abus ou de dépendances, proposer une prise en charge adaptée aux besoins de la personne détenue, développer la prévention (notamment celle des risques associés à la consommation de produits), favoriser les aménagements de peines et préparer la sortie. Pour assurer l'accompagnement de cette mesure et le succès du projet, les administrations concernées ont pris les dispositions nécessaires pour qu'une démarche d'évaluation soit engagée.
Le système de prise en charge des détenus toxicomanes apparaît donc complexe, d'autant plus que la coordination entre ces différents services n'est pas toujours satisfaisante. Certaines initiatives innovantes permettant de développer des partenariats et d'informer les différents acteurs sur le fonctionnement du système ont toutefois vu le jour, à l'instar du site internet créé en 1999 par l'Association pour la promotion de la médecine en milieu pénitentiaire (APMMP), accessible aux intervenants en milieu fermé et aux détenus.
• Administration pénitentiaire et personnel médical : des relations peu satisfaisantes
Ainsi que la commission a pu le constater lors de son déplacement à la maison d'arrêt de la Santé, les rapports entre la direction des établissements et le personnel médical, indépendant depuis la réforme de 1994, sont parfois difficiles.
Cette situation semble d'abord résulter d'une certaine méconnaissance par l'administration de la situation des détenus en matière de toxicomanie. Au moment de l'incarcération, le juge d'instruction transmet à l'administration pénitentiaire une notice précisant l'infraction commise et l'état du détenu qui ne mentionne pas la toxicomanie éventuelle de l'entrant, l'administration, et notamment le chef de détention, n'ayant pas vocation à être l'interlocuteur en matière de toxicomanie.
En outre, la démarche thérapeutique ne s'accompagne d'aucun signalement nominatif à la direction, du fait du respect du secret médical, qui s'applique en prison comme à l'extérieur, même si certains signalements sont parfois effectués sous couvert d'anonymat.
Le secret médical complique en outre l'action de la direction des établissements contre le trafic de stupéfiants, de produits de substitution et de médicaments, ainsi que M. Didier Lallement l'a indiqué devant la commission : « Il s'avère que, dans bien des cas, l'administration pénitentiaire ne connaît pas les prescriptions médicales. Dans certains cas, un petit nombre de choses se savent, mais on nous oppose systématiquement l'argument du secret médical, ce qui ne nous permet pas de savoir qui est sous traitement. Cela pose d'ailleurs tout le problème du trafic des médicaments en détention. (...) J'aspire donc à une meilleure coordination avec les services de santé. Je comprends parfaitement que le secret médical soit un chose essentielle. Pour autant, je pense que des politiques efficaces de prévention et de traitement passeront par une meilleure coordination. »
De son côté, le personnel médical considère que la formation des personnels de l'administration pénitentiaire est insuffisante au regard de la toxicomanie en prison. A la suite de la réflexion engagée en 1999 par la MILDT et par différents ministères pour rédiger un cahier des charges interministériel sur la formation des personnels, un module de formation d'une journée sur les usages et les politiques publiques devait être mis en place à destination des personnels pénitentiaires afin de développer un socle de connaissances communes sur les produits et les usages ; celui-ci a été inscrit dans le cursus de formation continue des agents avant 2002. S'agissant de la formation initiale des personnels, dispensée à l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP), 80 % des surveillants stagiaires de la Santé ont suivi une formation initiale spécifique à la détection de ces produits.
Cette incompréhension entre les personnels pénitentiaires et le monde médical nuit à l'efficacité de la lutte contre la drogue en prison, chacun ayant tendance à rejeter sur l'autre la responsabilité de la situation, comme l'a constaté le docteur Véronique Vasseur à propos de l'analyse des décès probablement dus à la drogue en prison, lors de son audition : « Même si on a connaissance de ces doses parce qu'on le sent, on ne peut trouver quelque chose que par des autopsies, et lorsque je m'en suis ouverte à mes confrères, lors d'un congrès de médecine pénitentiaire, ils m'ont répondu que je débarquais et que ce n'était pas l'affaire des médecins mais celle de la pénitentiaire. Je ne suis pas d'accord, étant donné que beaucoup de détenus sont toxicomanes, mais qu'ils sont aussi en prison pour des vols liés à la toxicomanie. »
• La nécessaire adaptation des moyens de la PJJ
Malgré l'interdit pesant sur le trafic et la consommation de drogues, la drogue est une réalité dans les établissements relevant de la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi que l'a reconnu son directeur, M. Jean-Pierre Carbuccia-Berland devant la commission : « Pour ne considérer que les lieux où le contrôle est le plus strict, c'est-à-dire les foyers d'hébergement, les directives sont clairement que les substances illicites ne doivent ni circuler, ni être consommées. Cependant, on se heurte, sur ce sujet, à des difficultés pratiques. En effet, si on veut contrôler ces éléments, il en découle un certain nombre de procédures de contrôle des locaux, mais aussi de fouilles et d'examens. (...) A ce sujet, je vous rappelle que la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale a placé l'ensemble des structures de la protection judiciaire de la jeunesse dans son champ d'application. Cela signifie que les mineurs qui sont hébergés dans ces centres et ces services bénéficient des droits et libertés reconnus à l'ensemble des usagers du secteur social et médico-social, c'est-à-dire que les liens avec les familles, le droit à l'intimité, le droit au respect et un certain nombre d'autres éléments s'appliquent dans les foyers de la protection judiciaire de la jeunesse, sauf -ce sont les décrets que nous sommes en train de travailler en ce moment avec le ministère de la santé- les prérogatives reconnues à l'autorité judiciaire de restreindre ces droits. Je veux dire par là que, si nous voulons avoir un contrôle effectif, nous nous heurtons à une difficulté juridique. La loi est respectée par moment de manière large ou de manière un peu plus stricte, mais toujours avec les problématiques juridiques qui lui sont liées. La question de la fouille d'un gamin dans un foyer de la PJJ, au regard de la législation que je viens d'évoquer, constitue aujourd'hui une difficulté. »
La commission ne peut que souhaiter la publication la plus rapide possible de ces décrets afin d'assouplir les contraintes auxquelles la PJJ est aujourd'hui confrontée dans le domaine de la lutte contre les stupéfiants. Plus largement, ce sont les méthodes de cette administration qu'il faut adapter à l'évolution croissante de ce phénomène.
Lors de son audition, M. Jean-Pierre Carbuccia-Berland a indiqué à la commission les axes de travail suivis par la PJJ dans le domaine de la lutte contre la toxicomanie : « Notre base de travail est évidemment de considérer que la prise de toxiques, quels qu'ils soient, est d'abord une violation de la loi et une transgression de la législation et à partir de là, il nous appartient de conduire, avec les mineurs ou les jeunes qui nous sont confiés, un travail éducatif sur les raisons de cette interdiction, sur la façon dont on peut aborder avec eux l'arrêt de cet engagement qu'ils ont pris et sur la façon dont on peut travailler aussi sur les problématiques de santé. (...) La deuxième possibilité, c'est de prendre en charge cette dimension de la toxicomanie dans ce qui est finalement le deuxième grand volet de la loi de 1970, c'est-à-dire son volet sanitaire, qui consiste à considérer les toxicomanes comme des gens qui relèvent d'un traitement médical et donc à les inscrire dans les politiques de santé et les prises en charge sanitaires que nous conduisons. De ce point de vue, l'enquête épidémiologique (...) de 1998 nous a conduit à « mettre le turbo » sur les politiques sanitaires qui étaient les nôtres et à accroître notre participation à une politique de santé publique construite. »
Cette réflexion a été menée dans trois directions :
- la première consiste à intégrer la dimension sanitaire dans la prise en charge éducative, c'est-à-dire l'état de santé dans la façon dont le mineur est pris en charge. La culture des éducateurs de la PJJ n'est cependant pas tournée naturellement vers cet aspect des problèmes des adolescents accueillis. L'attitude des professionnels témoigne notamment de leurs difficultés à resituer la toxicomanie dans une approche éducative globale dans un contexte souvent complexe et violent, et à s'approprier cette priorité sans l'externaliser ni la banaliser. Des besoins de formation du personnel sur ces questions sont ainsi apparus de façon croissante : la PJJ a renforcé la présence de personnels infirmiers dans ses directions départementales pour assurer un partenariat avec le système sanitaire et servir de référence pour les équipes éducatives confrontées à ce type de problème. La dimension sanitaire a également été prise en compte dans les modules de formation des éducateurs.
La commission notera également que la culture de certains de ces éducateurs souvent issus de la génération de 1968 peut favoriser parfois un certain laxisme à l'égard des « drogues douces ». Concernant l'image du cannabis auprès des jeunes de la PJJ, M. Jean-Pierre Carbuccia-Berland a ainsi indiqué à la commission : « Sur le terrain du cannabis, la relative ambiguïté qui pèse sur l'interdiction frappant ce produit ne rend pas extrêmement aisé un travail éducatif construit et solidement ancré » ;
- le deuxième axe de cette politique de santé consiste à engager au sein de la PJJ une réflexion visant à intégrer la question de la santé mentale et des comportements addictifs dans le champ de la prise en charge éducative ;
- le troisième axe découle de la nécessité d'inscrire l'action de la PJJ dans les grands programmes publics de santé conduits par le ministère. La protection judiciaire de la jeunesse participe ainsi désormais activement aux programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins.
Parallèlement à l'intégration de l'aspect sanitaire dans la prise en charge éducative des mineurs qui lui sont confiés, la collaboration de la PJJ avec la MILDT évolue depuis quelques années :
- au niveau national, la direction participe aux instances du comité interministériel, du comité de pilotage des convention départementales d'objectifs justice-santé (CDO) et à la commission de validation des outils de prévention ;
- au niveau local, les services déconcentrés départementaux sont associés avec les différents partenaires institutionnels concernés, sous l'égide du chef de projet « drogues et dépendances » désigné par le préfet, au comité de pilotage des actions de prévention, notamment au niveau du dispositif des CDO. Ce dernier constitue un outil impliquant localement les services sanitaires et judiciaires afin de construire des réponses coordonnées et adaptées. Les services de la PJJ sont encore insuffisamment investis dans le dispositif CDO, qui a été généralisé en 1999. Il convient toutefois de citer des initiatives locales intéressantes, à l'instar du dispositif Oc-Drogues à Toulouse : l'association travaille dans le champ de la réparation pénale, en lien avec la PJJ, pour les mineurs qui ont été interpellés pour infraction à la législation sur les stupéfiants.
Les perspectives en ce domaine peuvent être ainsi résumées :
- développer l'intégration de la PJJ dans les CDO, notamment dans la prise en compte des consommations de cannabis et les polyconsommations ;
- développer les activités de prévention dans le cadre du travail éducatif ;
- renforcer la place de la question des drogues dans le corpus de formation initiale et continue des éducateurs. Les avancées doivent notamment être poursuivies par la constitution d'une équipe de formateurs sur la toxicomanie à l'échelon régional de l'institution ;
- renforcer les partenariats au niveau local entre les établissements de la PJJ avec les CSST et plus largement les associations qui travaillent à la prise en charge des toxicomanes. L'aide éducative seule est en effet insuffisante pour les mineurs usagers de drogues : le personnel de la PJJ doit pouvoir travailler avec un psychologue, un médecin et une assistante sociale dans le cadre d'une prise en charge collective ;
- approfondir les connaissances en explorant notamment la question du lien entre les comportements délictueux et la modification de l'état de conscience induit par la consommation de stupéfiants chez les mineurs.
La prise en compte du problème de la toxicomanie doit donc faire partie intégrante de la réforme des méthodes d'une institution que chacun s'accorde à reconnaître en crise, ainsi que l'a montré le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs 119 ( * ) , et dont est convenu M. Dominique Perben, garde des Sceaux, devant la commission : «Je suis (...) très conscient des problèmes de cette administration, qui a besoin d'être confortée, davantage guidée et évaluée. »
b) La drogue en prison : une réalité
(1) Les produits de substitution et les médicaments : un moyen de gestion de la détention ?
• Les produits de substitution en prison
Les traitements de substitution sont encore inégalement développés en prison.
Selon l'étude menée en 1997 sur la santé des détenus, 11,8 % d'entre eux déclarent s'être drogués par voie intraveineuse au moins une fois et 6,8 % au cours des douze mois précédant l'incarcération. Or, une minorité d'usagers de drogues par voie intraveineuse continue à consommer en détention. Ce constat fait craindre que des contaminations virales (VIH et VHC) liées à l'usage de drogue par voie intraveineuse et à la réutilisation du matériel d'injection ne surviennent pendant la détention, ce qui justifie la mise en oeuvre d'une politique de réduction des risques.
Le dispositif de réduction des risques en milieu carcéral repose principalement sur des actions d'information et de prévention destinées à l'ensemble des détenus : diffusion d'une brochure d'information et de prévention à chaque entrant, facilitation de l'accès aux préservatifs dans les services médicaux et distribution régulière d'eau de Javel. Il a été récemment renforcé par des actions d'éducation à la santé et de prévention. Depuis septembre 2002, des réunions régionales sont ainsi organisées avec le ministère de la santé, les personnels pénitentiaires et les personnels soignants pour mettre en oeuvre ces actions en les adaptant à chaque établissement.
En cas de problème d'addiction, le détenu bénéficie de consultations spécialisées et son éventuel traitement de substitution doit en principe être poursuivi après vérification, même si toutes les maisons d'arrêt ne sont pas en mesure de respecter cette obligation.
D'après une enquête de 1999 de la direction des hôpitaux et de l'organisation de soins et de la direction de la santé, le recours aux traitements de substitution en milieu carcéral demeure peu répandu (un héroïnomane sur sept contre un sur trois à l'extérieur) et traduit des résistances manifestes de certaines équipes médicales. En 2001, sur 47.000 détenus recensés, 2.548 faisaient l'objet d'un traitement de substitution. Les interruptions dans les traitements de substitution restent importantes : 19 % en 1999 contre 21 % en 1998 (il semble toutefois que ce point soit aujourd'hui en voie d'amélioration). La situation est plus favorable pour les toxicomanes bénéficiant de traitement à la méthadone à l'entrée (0,6 % des entrants contre 6,3 % sous Subutex) dont les interruptions ne s'élèvent qu'à 10 %.
Dix établissements prescrivent à eux seuls 50 % des traitements de substitution, dans le cadre le plus souvent de la poursuite d'un traitement antérieur et 21 % des établissements n'accueillent aucun détenu sous ces traitements. La buprémorphine est plus largement utilisée que la méthadone et concerne 84 % des traitements. Les prévenus sous substitution représentent environ 3,3 % de la population carcérale (dont 2,8 % sous Subutex). Le pourcentage maximum de détenus bénéficiant d'un traitement de substitution est de 16,5 %.
On rappellera que le plan triennal 1999-2001 indiquait : « Tous les détenus doivent avoir accès aux mêmes traitements qu'en milieu libre. Il conviendra de veiller à la continuité du traitement en cas de transfert et à la libération. La proportion d'usagers sous substitution en prison devrait ainsi progressivement rejoindre celle qui prévaut en milieu libre. » Cet objectif est loin d'être atteint et la commission considère pour sa part que l'incarcération peut offrir les conditions d'un sevrage du fait de la coupure qu'elle entraîne avec l'extérieur. Il apparaît en outre que le trafic de Subutex est proportionnellement plus important en prison qu'à l'extérieur
L'existence d'un trafic de Subutex important dans les prisons françaises a été souligné par le docteur Véronique Vasseur lors de son audition : «Le Subutex est prescrit par les médecins généralistes et n'obéit pas aux mêmes règles que les centres de méthadone : il n'y a pas de notion de places. Il peut donc être prescrit par n'importe quel médecin et, très souvent, les détenus arrivent en disant qu'ils sont sous Subutex et qu'ils ont laissé leur ordonnance chez eux. A la prison de la Santé, on a donc effectué un tri pour ne pas inonder la prison de Subutex, parce qu'il y a un énorme trafic et que c'est une monnaie d'échange, puisqu'un cachet de Subutex vaut un paquet de Marlboro. (...) Pour ce qui est de la méthadone, on ne fait que poursuivre la méthadone prescrite à l'extérieur. Elle n'est jamais instituée à l'intérieur. Quant au Subutex, la pratique est complètement différente. Il faut savoir que l'on peut faire des overdoses avec la méthadone, qui est un produit assez dangereux, alors que si le Subutex n'est pas mélangé avec des tranquillisants ou des psychotropes, on arrive à une dose plafond et cela ne grimpe pas puisque c'est une substance qui bloque les récepteurs. Normalement, il n'y a pas de danger. Je précise d'ailleurs que le Subutex ne procure aucun plaisir et que ceux qui en prennent et qui ne sont pas toxicomanes sont extrêmement malades. Ce n'est pas du tout plaisant. Les détenus appellent cela une drogue morte. Ce n'est que parce qu'il est disponible en prison et donné gratuitement qu'ils sont tentés d'en prendre. (...) Lorsqu'un toxicomane est pris en charge dans une unité et un centre méthadone, on ne lui donne pas sa méthadone sans rien faire d'autre ; il y a une prise en charge psychologique très importante. Quand ils arrivent, la méthadone est prise devant l'infirmière et cela ne pose jamais de problème. Cela n'a jamais entraîné aucun trafic, d'autant plus que cela se passe sous forme de sirop. Pour le Subutex, c'est différent. Nous avions essayé de donner le Subutex à la becquée, à l'infirmerie, ce qui voulait dire qu'à un moment de la journée, tous les preneurs de Subutex arrivaient à l'infirmerie. Comme c'était devenu l'enfer, nous avons été obligés d'arrêter parce que cela se faisait avec des bandes de scotch dans la main...Tous les moyens étaient bons. C'est très compliqué, d'autant plus qu'il y a des ruptures de traitement : lorsque les détenus sont accompagnés en centre de rétention, ils n'en ont pas. Comme il y a trop de trafic, le médecin-chef de la préfecture de police a refusé d'en donner. Le Subutex n'est pas la panacée, de toute façon. »
Il a en outre été indiqué à la commission, lors de son déplacement à la prison de la Santé, que les traitements de substitution conduisent certains détenus à s'injecter du Subutex préalablement pilé. Par ailleurs, des cas d'initiation aux produits de substitution sans antécédent de toxicomanie, qui peuvent résulter d'un partage de ces produits entre codétenus dans les mois qui suivent l'incarcération, ont été rapportés, ainsi que des cas de polyconsommations associées à la substitution, notamment avec le cannabis, ainsi que l'a indiqué à la commission le docteur Véronique Vasseur : « même les détenus qui sont traités par méthadone en prennent et on peut dire qu'il y une grande association entre la méthadone et le cannabis, le Subutex et le cannabis, mais beaucoup moins entre l'héroïne et la cocaïne. »
• Des médicaments détournés de leur usage en prison
Si les médicaments psychotropes n'entrent pas dans le champ d'investigation de la commission d'enquête, l'utilisation détournée qui en est trop souvent faite en prison justifie quelques développements.
La commission a été sensibilisée à ce problème lors de l'audition du docteur Francis Curtet, psychiatre : « Vous m'avez demandé s'il me paraissait judicieux ou astucieux de donner de la drogue en prison. C'est une chose qui me révolte profondément. (...) La première chose que j'avais faite avait consisté à interdire le Mandrax (un médicament qui n'existe plus), de même que tous les produits que l'on pouvait dévier à des fins toxicomanogènes. Il n'était pas question de ne pas leur donner de médicaments, à condition qu'il s'agisse de médicaments contre la douleur, l'angoisse ou l'insomnie avec lesquels on ne se défonce pas. C'est ainsi qu'en l'espace de quinze jours ou trois semaines, les gars ont été décrochés physiquement. (...) Par conséquent, une fois passé le manque physique, je ne leur donnais pas de produit, sauf s'ils étaient vraiment très déprimés, parce qu'il n'était pas question de laisser un homme se suicider. »
Pour sa part, le docteur Francis Curtet a indiqué à la commission : « Il y avait parfois une pression importante des autorités pénitentiaires qui me demandaient, en tant que médecin, de les abrutir pour éviter qu'ils mettent tout sens dessus dessous, ce que je refusais de faire en disant que, pour moi, un détenu qui bouge pourra se réinsérer, ce qui risque de ne pas être le cas d'un détenu qui est content sur place et qui ne bouge plus, comme ceux qui, lorsqu'on donne une permission et alors qu'ils doivent rentrer à 18 heures, frappent déjà à la porte à 16 heures, tellement ils ont mal dehors. (...) Je suis très hostile à ces distributions de drogues légales en prison. »
A l'occasion de son déplacement à la prison de la Santé, la commission n'a pas été en mesure d'obtenir des informations sur ce phénomène de la part de l'équipe médicale ; l'ancien médecin-chef de la Santé, le docteur Véronique Vasseur, a toutefois déclaré lors de son audition : « On peut (...) dire que le shit et les psychotropes, qui sont prescrits larga manu par les psychiatres (quand je suis partie, en 2000, sur 700 traitements par semaine, plus de 300 étaient des psychotropes) sont des régulateurs de la détention pour éviter les émeutes. On rencontre en prison beaucoup de patients complètement shootés et hagards du fait des psychotropes, du shit ou des deux à la fois. »
Lors de ce déplacement, la direction de la maison d'arrêt a reconnu l'existence, par détournement de prescriptions médicales, d'un trafic de produits licites, dont le stockage a pu être détecté par le personnel de surveillance lors de l'inspection des cellules. Si la délivrance quotidienne des psychotropes, conformément à la loi santé-justice, permet de réduire ces pratiques sans porter atteinte au secret médical, elle apparaît donc encore insuffisante pour enrayer ce phénomène.
(2) Un trafic difficile à réprimer
• La réalité d'un trafic
Le problème de la drogue en prison est apparu à la fin des années 1970. L'existence indéniable d'un trafic de stupéfiants en prison a été affirmée par le docteur Véronique Vasseur lors de son audition : « Le cannabis rentre très facilement en prison et ce n'est un secret pour personne puisqu'on peut sentir son odeur en se promenant dans les coursives et que les patients avouent en fumer très régulièrement, de la même façon que le tabac. On m'en a déjà proposé et c'est une chose extrêmement banale. On en saisit à l'occasion de rares fouilles et des trafics orchestrés par des détenus ou des surveillants ont été dénoncés et punis, même si cela entre aussi par les familles. Les gros trafics sont organisés avec des complicités, bien évidemment. (...) Alors que tout est fait pour les soigner, je trouve absolument hallucinant qu'on laisse le shit entrer et qu'ils continuent à en fumer. (...) En revanche, pendant huit ans et demi, je n'ai jamais entendu parler de saisies de cocaïne, de crack ou d'héroïne. Il est arrivé simplement deux fois que l'on retrouve des petites seringues à insuline.»
Dans la réalité, la drogue entre en prison selon trois modalités :
- les parloirs permettent d'abord de faire entrer de la drogue en prison, notamment depuis la disparition du dispositif de séparation entre le détenu et sa famille. En 2002, les parquets ont organisé 55 opérations de contrôle, dont la réussite dépend d'un minimum d'effet de surprise et du fait que les fonctionnaires de police et de gendarmerie qui y procèdent sont accompagnés de chiens renifleurs. En revanche, les contrôles de routine sont souvent infructueux et les familles ne sont astreintes qu'au passage sous portique et ne peuvent être fouillées au corps.
Les personnels assurent en outre une surveillance quotidienne à travers le contrôle des effets remis aux détenus et effectuent une fouille corporelle systématique de tout détenu sortant du parloir, en application de l'article D. 275 du code de procédure pénale, rendue plus difficile avec les pratiques de dissimulation buccale ou capillaire. En cas de découverte de produits illicites, la direction alerte le parquet qui peut saisir la brigade des stupéfiants, les familles en cause pouvant être mises en garde à vue.
Lors de son déplacement à la prison de la Santé, il a été indiqué à la commission que les détenus exerçaient fréquemment des pressions sur leur famille, notamment les mères et les soeurs, qui sont de plus en plus souvent acquises à la banalisation de l'usage du cannabis. D'une manière générale, il apparaît que tout est matière à trafic, à troc et à transaction entre les détenus et leurs familles, qui se connaissent et sont l'objet de pressions à l'extérieur ;
- la drogue est également introduite par projection au-dessus des murs, comme c'est le cas pour les téléphones portables. A cet égard, M. Didier Lallement, directeur de l'administration pénitentiaire, a indiqué à la commission : « Nous sommes confrontés à un quasi problème de société : la prison ne fait plus peur. (...) On s'approche donc aujourd'hui de la prison pour y jeter des substances avec des modes opératoires très efficaces (...) : cela consiste tout simplement à mettre les objets que l'on veut introduire dans une balle de tennis et, à l'aide d'une raquette, sans être forcément un très bon joueur, à projeter la balle au-dessus du mur d'enceinte. (...) Les objets projetés de cette façon sont ensuite récupérés par un dispositif très rodé : lorsqu'ils tombent au milieu d'une cour de promenade, même si nous faisons une série de fouilles au même moment, les détenus concernés ramassent l'objet et le projettent en direction des cellules. » Dans les maisons d'arrêt, les murs ont été systématiquement rehaussés mais cette opération n'a pas sensiblement réduit le phénomène. Si la maison d'arrêt de la Santé est épargnée, en raison de sa configuration, par le phénomène des projections de l'extérieur, la drogue est, comme partout, introduite dans les cellules par le système dit des « yo-yo » ;
- la drogue entre enfin en prison lors des réintégrations. A l'occasion d'une extraction médicale ou judiciaire, le détenu est en effet conduit à rencontrer des tiers à l'administration pénitentiaire et fait donc l'objet d'une fouille systématique.
• Les réponses de l'administration pénitentiaire
Les personnels pénitentiaires sont confrontés à des difficultés pratiques pour détecter la consommation ou la revente de drogue, qui s'effectue souvent lors des promenades. En effet, les contrôles réguliers des cellules donnent des résultats décevants au regard du temps passé et du personnel mobilisé (deux heures sont nécessaires, à deux surveillants, pour fouiller une cellule de manière efficace, les trois quarts des fouilles étant ciblées sur signalement). En 2002, 847 infractions à la législation sur les stupéfiants, concernant 953 détenus, ont été constatées et ont fait l'objet de poursuites judiciaires. Ces chiffres sont sans doute loin de la réalité du phénomène même si les fouilles générales des établissements les plus importants, décidées par le garde des Sceaux à la suite de la récente évasion de la maison d'arrêt de Fresnes, se sont traduites par des résultats décevants.
S'agissant de la maison d'arrêt de la Santé, il a été indiqué à la commission une augmentation sensible de la circulation de stupéfiants, qui se traduit notamment par les procédures disciplinaires engagées après découverte de cannabis : 66 sanctions disciplinaires ont été prononcées en 2002, dont 15 pour possession de téléphones portables, contre 5 en 1997. En revanche, depuis quatre ans, aucun détenu n'a été convoqué devant la commission de discipline pour détention de cocaïne, d'ecstasy ou d'héroïne. Si les saisies ne concernent que le cannabis et que les fouilles ne révèlent pas la présence de seringues dans les cellules, cela n'exclut pas que d'autres produits soient dissimulés et consommés ailleurs.
S'agissant d'une éventuelle complicité des personnels et d'une supposée instrumentalisation de la consommation de drogues pour « gérer » la détention, M. Didier Lallement, directeur de l'administration pénitentiaire, a indiqué à la commission : « C'est un discours contre lequel nous luttons pied à pied. (...) Je suis bien conscient qu'il y a, au sein de l'administration pénitentiaire, des opinions de cette nature. Comme je vous l'ai dit tout aussi franchement, nous les combattons avec énergie. Il ne peut être accepté que l'illégalité soit au coeur de ce qui doit être l'application du droit. (...) J'ai la plus grande confiance dans les personnels pénitentiaires, dont je voudrais ici saluer le rôle essentiel, mais nous devons aussi être vigilants par rapport à un certain nombre d'individus qui, bien que faisant partie du personnel pénitentiaire, n'hésitent pas à se rendre complices de tels trafics dont nous les sanctionnons disciplinairement et pénalement. En 2001, ce sont sept agents pénitentiaires qui ont ainsi été impliqués dans des procédures de cette nature et qui ont été sanctionnés, la sanction étant, dans la presque totalité des cas, celle de la révocation. » Lors de son déplacement à la maison d'arrêt de la Santé, il a été indiqué de la même manière à la commission que la participation d'un surveillant à tout type de trafic entraînerait des sanctions disciplinaires et une information du parquet, le problème étant d'identifier et d'apporter la preuve de cette complicité.
La commission souhaiterait par ailleurs que le personnel médical s'implique de manière plus importante dans cette politique de lutte contre les trafics. Le docteur Véronique Vasseur, lors de son audition, a ainsi déclaré : « je ne l'ai pas non plus vue (cette volonté) au niveau de mes collègues médecins, qui disaient que ce n'était pas notre affaire mais celle de la pénitentiaire. A partir du moment où on met en place des structures pour aider les toxicomanes, cela me paraît quand même notre affaire, justement. (...) On pourrait imaginer qu'à chaque fois qu'un détenu « pète les plombs », on puisse éventuellement faire une analyse d'urine. De toute façon cela a une odeur particulière. C'est une chose qui est relativement admise et c'est ce que je trouve extrêmement grave. Le fait qu'il y ait des trafics est autre chose : les détenus ne sont pas des gens honnêtes -c'est l'évidence-, ils trafiquent beaucoup de choses et cela ne peut pas être parfait, mais, en l'occurrence, il s'agit d'une tolérance, à mon avis, pour avoir la paix. »
La lutte contre le trafic et la consommation de drogues en prison doit donc être prioritaire. L'urgence s'impose en ce domaine comme l'a souligné le docteur Véronique Vasseur : « Dans les prisons, la violence augmente sans arrêt, qu'il s'agisse des automutilations, des tentatives de suicide ou des agressions. Je ne dis pas que c'est le fait du cannabis, mais, alors que c'est une population extrêmement perturbée, cela ne va pas s'arranger en prison et on sait que le cannabis peut déclencher des perturbations psychiques. Il faut donc arrêter le massacre. »
c) Un objectif prioritaire : préparer la sortie de la détention
(1) L'exemple des Pays-Bas
A l'occasion de son déplacement aux Pays-Bas, la commission s'est penchée sur le système néerlandais de prise en charge des toxicomanes délinquants et a visité la prison de Hoogvliet, aux environs de Rotterdam.
LA PRISON POUR TOXICOMANES DE HOOGVLIET La prison pour toxicomanes de Hoogvliet est opérationnelle depuis 2001 et accueille 192 détenus. La prison est peu sécurisée (pas de barbelés ni de filets mais des caméras et un mur de 5 m de haut), le profil de la population carcérale ne le justifiant pas. Elle comporte un gardien pour cinq détenus. Chaque détenu dispose d'une cellule individuelle, mais on envisage de créer des cellules doubles en raison du manque de places. Les syndicats de surveillants sont opposés à cette formule en raison du fait que 20 % des détenus ont des problèmes psychiatriques. La prison de Hoogvliet a été construite pour répondre particulièrement au problème de la délinquance liée à l'usage des drogues. La population des quartiers les plus exposés de Rotterdam s'est mobilisée contre les nuisances liées à la consommation et à la vente de stupéfiants : 12 % des toxicomanes sous méthadone causaient 85 % des nuisances. Afin de lutter contre la petite délinquance liée à la drogue (vols, agressions, etc.), les différents acteurs (police, justice, travailleurs sociaux, médecins) ont mis en place un programme pénal spécifique pour les toxicomanes, alliant désintoxication et resocialisation. Ce programme est imposé par le juge aux toxicomanes majeurs qui ont commis en cinq ans plus de trois actes délictueux liés à la drogue. Les détenus accueillis à Hoogvliet se partagent en deux catégories, qui occupent des parties séparées de la prison : - 120 non toxicomanes qui dépendent du « régime sobre » (courtes peines de 2-3 mois) ; - 72 toxicomanes qui suivent un programme d'accompagnement pénal progressif de deux ans. Ces derniers sont le plus souvent des héroïnomanes, en moyenne âgés de 30 ans, qui consomment depuis près d'une quinzaine d'années. Chaque détenu est suivi par deux « mentors » et, à la différence des autres prisons néerlandaises, les détenus travaillent en relation directe avec le directeur de la prison. Le programme d'accueil des détenus toxicomanes peut être ainsi présenté : - lors de leur entrée (24 places), de nombreux entrants reçoivent de la méthadone mais tous sont rapidement sevrés. Pendant la première phase, les exercices physiques sont encouragés. Les détenus peuvent également travailler en atelier (toutes les prisons néerlandaises doivent proposer quatre heures de travail par jour aux détenus), aller en bibliothèque et participer à des activités en fin de journée. Les nouveaux entrants s'engagent à suivre le programme jusqu'à son terme en apprenant à gérer leur temps libre et leur agressivité, en participant aux activités et en choisissant un objectif à partir d'une « feuille de route ». Les rares détenus qui ont refusé de suivre le programme ne peuvent participer aux activités, ne sont pas rétribués et restent confinés dans leur cellule ; - dans la section motivation, les détenus disposent de plus de confort ; ils ont plus de possibilités d'activités et prennent leurs repas ensemble ; - dans la phase semi-ouverte, les détenus peuvent progressivement se rendre à l'extérieur et y exercer une activité, à condition de rendre compte de tous leurs déplacements, de leurs rencontres et de respecter les horaires fixés chaque semaine selon un programme individuel. Ils peuvent également travailler au sein de la prison, notamment à la bibliothèque ou la cuisine. Ils ont l'obligation de relever d'une association à l'extérieur de la prison pour engager une resocialisation et préparer leur sortie. Ils se prennent progressivement en charge et cuisinent par exemple eux-mêmes leurs repas. Les cellules sont des chambres individuelles, dépourvues de barreaux aux fenêtres ; il est possible de circuler librement la nuit dans cette partie de la prison. En fin de programme seulement, les détenus peuvent librement avoir un contact avec les visiteurs. A leur sortie, la ville de Rotterdam leur offre un logement provisoire et leur facilite des contacts avec des entreprises. En outre, ils font l'objet d'un suivi par les services sociaux pendant six mois. En revanche, il existe pas de système de post-cure aux Pays-Bas où l'on considère qu'un ancien toxicomane peut à nouveau consommer, s'il le souhaite, même hors de son milieu d'origine. Le principe est plutôt de les « armer » au maximum pendant le temps de prise en charge (sevrage, accompagnement psychologique et social) pour leur permettre de résister ensuite aux tentations. En cas de rechute, le programme pénal pour toxicomane peut être reconduit autant de fois qu'il est nécessaire. De la même façon, si un détenu rechute (des fouilles et des contrôles urinaires sont régulièrement organisés) pendant les deux années du programme, il revient à la phase précédente ou perd certains privilèges. S'il est encore trop tôt pour faire un bilan de cette initiative, les responsables du programme estiment qu'un taux de réussite de 20 % serait satisfaisant au regard de la population accueillie. |
(2) Une nécessaire préparation des détenus à leur libération
Depuis 1997, la prise en charge des toxicomanes en milieu carcéral est complétée par les unités pour sortants (UPS), dispositifs de préparation à la sortie destinés aux personnes incarcérées libérables présentant un problème de dépendance. Initiées en 1992 avec le « quartier intermédiaire sortants » de la maison d'arrêt de Fresnes, sept autres UPS ont été créées depuis dans des centres pénitentiaires à Lille, Lyon, Strasbourg, Marseille, Metz, Nice et à la maison d'arrêt pour femmes de Fresnes. Les UPS sont des unités particulières de détention où sont affectés, en général un mois avant leur sortie, des détenus présentant des problèmes de dépendance. Ils bénéficient d'activités de groupe (sports, théâtre, etc.), de stages d'aide à l'emploi et de conseils pour engager des démarches administratives (notamment pour obtenir un logement). Ces unités s'appuient sur une dynamique de groupe, la direction et l'animation des UPS étant assurées par un CSST en milieu pénitentiaire.
Si la nécessité d'un dispositif d'aide à la sortie est indispensable, notamment pour les détenus anciennement toxicomanes les plus fragiles, certaines dérives ont été observées, qui ont été notamment dénoncées par le docteur Francis Curtet lors de son audition : « Face à cela, c'est un énarque qui m'a dit un jour : « Quand les gens vont en prison, ils décrochent physiquement et quand ils sortent, s'ils ont envie de se droguer, ils risquent d'avoir une overdose dès le premier soir de leur sortie ; il me paraît donc essentiel, avant qu'ils sortent, de les remettre à la drogue pour éviter l'overdose à la sortie ! » (...) C'est ainsi que l'on a décidé de donner du Subutex systématiquement, dans certaines prisons, à un mois de la sortie. Certains médecins-chefs le font, d'autres disent qu'il est hors de question de le faire. De toute façon, certains détenus disent : « Vous êtes fou ? Je suis décroché ; je n'en veux pas ! », mais d'autres sont très contents. Il est vrai qu'ils ont la paix avec cela. »
La commission tient par ailleurs à souligner l'insuffisance du dispositif d'accompagnement lors de la libération des détenus : en effet, le bilan du plan triennal fait apparaître que les capacités d'accueil de ces structures ont été réduites de 27 % entre 1999 et 2001 et que l'on reste, avec environ 10.000 détenus concernés par an, très en deçà des années 1989-1990.
Si ce dispositif mérite d'être développé, il n'a pas le monopole de la prise en charge des détenus ex-toxicomanes en fin de détention puisqu'il s'inscrit dans une politique plus vaste d'aide à la réinsertion exposée par M. Didier Lallement à la commission : « La remise en liberté des personnes toxicomanes doit être préparée, puisqu'on sait, par définition, que ce sont des personnes fragiles. Les personnes sortant de prison sont en situation de fragilité et nous avons une importante politique d'aide à la sortie de prison qui se traduit par des aides aux plus démunis et aux indigents pour se payer une nuit d'hôtel et éventuellement leur billet de retour. Au delà, nous essayons, en relation avec les services soignants, d'assurer une continuité dans la prise en charge des détenus, une fois qu'ils ne le sont plus, avec le dispositif extérieur afin que des liens et des ponts soient établis avec ceux qui concourent, de près ou de loin (associations, collectivités locales, etc.) à cette lutte contre la toxicomanie. C'est difficile. J'observe en effet que la sortie des détenus est quelquefois, pour les associations locales, un sujet qui paraît lointain parce que le détenu ne se réinstalle pas à l'endroit de sa détention : il habite ailleurs. Il y a donc une visibilité dans la continuité qui est assez difficile à avoir. Nous nous y employons notamment avec les services pénitentiaires d'insertion et de probation, puisque vous savez que l'administration pénitentiaire n'agit pas uniquement dans le milieu fermé et qu'elle est aussi composée de 2 000 travailleurs sociaux qui travaillent sur les mesures du milieu ouvert et qui nous permettent, dans la limite de nos moyens, d'assurer cette liaison ».
La commission estime également nécessaire de renforcer les dispositifs de réinsertion, notamment en développant les partenariats avec les structures qui agissent, pour les toxicomanes non détenus, dans le domaine de la post-cure.
* 118 Etudes et résultats n° 4 - DREES- janvier 1999
* 119 Délinquance des mineurs : la République en quête de respect- Rapport n° 340 (2001-2002)