C. ABORDER LE PROBLÈME DE L'USAGE DES DROGUES EN MILIEU PROFESSIONNEL

1. La législation actuelle en matière de drogue en milieu professionnel

Compte tenu de la réalité de la drogue au travail qui a été évoquée précédemment, les entreprises ne peuvent se désintéresser du problème de la toxicomanie. Les conséquences de la consommation de drogues dans les domaines de la sécurité, de la santé et de la sûreté commandent de mettre en place une politique de lutte contre l'usage de drogues, notamment par la mise en place d'un dispositif de dépistage des toxicomanies au sein des entreprises.

On rappellera cependant que la toxicomanie du salarié peut d'ores et déjà être appréhendée dans le cadre juridique existant, qui est sans doute insuffisant.

a) Les dispositions du code du travail en vigueur

Le code du travail réglemente les rapports sociaux entre les employeurs et les salariés, les conditions d'hygiène et de sécurité au travail dans les entreprises ainsi que l'organisation de la médecine du travail. Il offre trois possibilités pour appréhender la toxicomanie au travail : le pouvoir disciplinaire de l'employeur, l'état de santé du salarié toxicomane et la responsabilité générale qui pèse sur l'employeur en matière d'application des règles d'hygiène et de sécurité.

(1) Toxicomanie du salarié et droit disciplinaire

On rappellera que le chef d'entreprise dispose du pouvoir de fixer les règles nécessaires à la vie de la collectivité de travail et de sanctionner le non respect de ces règles. Dans le cadre de son pouvoir disciplinaire, l'employeur peut donc être conduit à tirer les conséquences du comportement d'un salarié.

• Comportement du toxicomane au sein de l'entreprise

Comme il a été vu, les effets physiologiques et psychiques associés à la consommation de stupéfiants entraînent des changements de comportement qui peuvent s'avérer problématiques, voire dangereux en milieu professionnel. Dans ce cas, l'employeur peut, selon l'importance et la répétition des faits répréhensibles, prendre à l'égard de la personne considérée soit une sanction au sens de l'article L. 122-40 (avertissement, mise à pied disciplinaire, modification du contrat de travail à titre disciplinaire, rétrogradation, mutation, refus d'une augmentation de salaire ou d'un avancement), soit une mesure de licenciement.

Le fait générateur de la sanction ou du licenciement n'est donc pas lié à l'état de toxicomanie du salarié, mais à certaines manifestations de comportement qui peuvent en résulter. En pratique, le chef d'entreprise pourra d'ailleurs ignorer l'état réel du salarié en cause. Toutefois, la toxicomanie d'un salarié, à supposer qu'elle soit connue et démontrée, peut dans bon nombre d'hypothèses constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, tout en tenant compte des fonctions exercées et du poste occupé par l'intéressé.

• Introduction de la drogue en entreprise par un salarié

L'introduction de la drogue sur les lieux de travail pose divers problèmes juridiques. Plusieurs cas peuvent se présenter : la drogue est introduite pour un usage personnel et consommée dans les locaux de l'entreprise ou son introduction a pour but la revente à d'autres membres du personnel.

L'introduction et la consommation de drogues dans les locaux de l'entreprise et, a fortiori , le trafic de drogues peuvent incontestablement justifier une rupture immédiate du contrat pour faute grave ou même lourde dans certains cas, dès lors naturellement que les faits sont établis.

• Délinquance du salarié toxicomane

Le comportement délictueux du salarié et ses conséquences peuvent également n'avoir aucune incidence sur le lien contractuel avec l'entreprise. C'est par exemple le cas quand un salarié est inculpé, mais laissé en liberté provisoire, pour consommation ou trafic de drogue, ou quand un salarié est incarcéré pour les mêmes raisons.

Le comportement du salarié hors de l'entreprise ne peut, en principe, justifier de mesures disciplinaires de la part de l'employeur puisqu'il se rapporte à sa vie privée. Il en va autrement, selon la jurisprudence, lorsque le comportement, par les échos qu'il a suscités, est de nature à causer un préjudice sérieux et durable à l'entreprise, ou lorsque les agissements peuvent faire courir un risque à l'entreprise ou au personnel. La position hiérarchique du salarié considéré (cadre), comme la nature de l'activité de l'entreprise et du poste (à risque), sont également à prendre en considération pour l'appréciation de la situation.

Selon une jurisprudence constante, l'incarcération du salarié n'implique pas la rupture automatique de son contrat de travail, mais le salarié ne pouvant, et pour cause, assurer les obligations de son contrat, c'est sur ce fondement juridique que la chambre sociale de la Cour de cassation tend à considérer une détention de longue durée comme cas de force majeure autorisant l'employeur à prendre acte de la rupture du contrat, et même à admettre comme non imputable à l'employeur la rupture du contrat d'un salarié dont la durée de détention reste imprévisible. Au regard de ces principes jurisprudentiels, il apparaît que les situations d'inculpation avec ou sans détention, et a fortiori les condamnations pour usage et trafic de drogues, peuvent légitimer dans bon nombre de cas les mesures prises par l'entreprise, même si les faits se sont produits en dehors du temps et des lieux de travail.

(2) Les autres effets de la toxicomanie sur le contrat de travail

• L'injonction thérapeutique

En cas d'injonction du procureur de la République au salarié de subir une cure de désintoxication dans un établissement sanitaire ou de faire l'objet d'une surveillance médicale particulière, le contrat de travail est normalement suspendu, sous réserve des conséquences possibles d'une absence prolongée ou de la nécessité impérieuse pour l'entreprise de pourvoir au remplacement immédiat de l'intéressé. La situation apparaît donc identique à une absence du salarié pour maladie ou pour hospitalisation ordinaire.

• L'inaptitude physique

La toxicomanie du salarié peut conduire le médecin du travail à émettre un avis d'inaptitude, comme il peut le faire à l'embauche, à occuper son emploi. Cet avis s'impose dans tous les cas à l'employeur. Ce dernier n'ayant pas à connaître les raisons de l'inaptitude, il ignorera le plus souvent l'état physique ou psychique du salarié qui a justifié la décision du médecin du travail, état couvert par le secret médical.

L'inaptitude peut être partielle ou temporaire lorsque le salarié ne peut plus, du fait de son état physique ou psychique, assurer normalement son poste de travail. Le médecin du travail peut, selon l'article L. 241-10-1 du code du travail, proposer des mesures de reclassement (mutation, transformation du poste) justifiées par l'état de santé de l'intéressé. Cette inaptitude est totale si le salarié n'est plus en mesure d'assurer un emploi dans l'entreprise. Dans tous les cas, la situation obéit aux mêmes règles que l'inaptitude résultant d'une cause étrangère à la consommation de drogues et peut être traitée conformément au droit commun.

(3) Toxicomanie du salarié et règles d'hygiène et de sécurité

Le problème de la toxicomanie se pose enfin, et même prioritairement, sous l'angle des prescriptions relatives à l'hygiène et à la sécurité.

On rappellera que l'employeur est responsable au plan tant civil que pénal, notamment : vis-à-vis des tiers, pour les dommages causés par ses salariés dans l'exercice ou à l'occasion de leurs fonctions ; pour les infractions à la réglementation de l'hygiène et de la sécurité ; pour son défaut de surveillance dans l'application des règles édictées en la matière.

Le droit du travail reconnaît cependant au chef d'entreprise un pouvoir réglementaire, corollaire de sa responsabilité, propre à assurer le respect des règles et prescriptions. En matière d'hygiène et de sécurité, ce pouvoir s'exprime essentiellement par l'intermédiaire du règlement intérieur, élaboré unilatéralement par l'employeur. Il est également aidé dans sa tâche par l'expertise du médecin du travail.

b) Le rôle central du médecin du travail
(1) Le garant de la situation sanitaire de l'entreprise

Les médecins du travail sont, au regard de la législation du travail, des salariés, soit de l'entreprise, soit du service médical interentreprises. Ils bénéficient, dans l'exercice de leur activité médicale, de l'indépendance professionnelle nécessaire vis-à-vis de l'entreprise ou de l'organisme qui les emploie ; le code de déontologie médicale est à cet égard très explicite.

Le médecin du travail est conseiller de l'entreprise, de la direction, des salariés et des représentants du personnel, notamment en ce qui concerne l'hygiène de l'établissement et la protection des salariés contre les risques d'accidents du travail ou l'utilisation des produits dangereux. A ce titre, il est associé à toutes les actions de prévention des risques dont il est bien souvent l'animateur et participe aux réunions du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Il peut également être conduit à effectuer, en liaison avec le médecin inspecteur régional du travail et de la main d'oeuvre, des recherches, études et enquête sur toute question d'hygiène et de sécurité.

(2) Un contrôle indispensable à l'embauche

L'emploi d'un salarié sans aptitude médicale délivrée par le médecin du travail engage la responsabilité de l'employeur. Cette aptitude est déterminée lors de la visite médicale préalable à l'embauche, effectuée par le médecin du travail. En tenant compte des conditions de travail du poste considéré, la détermination de l'aptitude médico-professionnelle est une des fonctions essentielles du médecin du travail.

L'article R. 241-48 du code du travail précise que tout salarié fait l'objet d'un examen médical avant l'embauche ou, au plus tard, avant l'expiration de la période d'essai qui suit l'embauche. Cet examen médical a pour but :

- « de rechercher si le salarié n'est pas atteint d'une affection dangereuse pour les autres travailleurs ;

- de s'assurer qu'il est médicalement apte au poste de travail auquel le chef d'établissement envisage de l'affecter ;

- de proposer éventuellement les adaptations du poste ou l'affectation à d'autres postes ».

Le médecin du travail constitue ainsi au moment de la visite d'embauche un dossier médical qu'il complète après chaque examen médical ultérieur et établit à l'issue de chacun des examens une fiche d'aptitude en double exemplaire, l'un étant remis au salarié et l'autre transmis à l'employeur. L'intéressé est informé des recherches pratiquées et de leurs conséquences. En cas de refus d'examen, l'aptitude ne pourra être déterminée. Le médecin du travail rédigera au vu des résultats la fiche d'aptitude avec ou sans restriction d'aptitude vis-à-vis de la sécurité ou de la sûreté, sans faire apparaître le moindre renseignement pouvant faire soupçonner la raison motivant son avis.

L'avis d'aptitude ou d'inaptitude intègre divers éléments tels que le bilan médical physique et (ou) psychique du salarié et les conditions de travail spécifiques à l'entreprise.

(3) Un suivi continu, notamment pour les postes à risque

Le chef d'entreprise doit faire bénéficier chacun de ses salariés de visites médicales au cours desquelles l'aptitude médico-professionnelle est déterminée en fonction des conditions de travail du poste auquel est affecté ou souhaite être affecté l'intéressé :

- l'article R. 241-49 du code du travail précise que « tout salarié doit bénéficier dans les douze mois qui suivent l'examen effectué en application de l'article R. 241-48, d'un examen médical en vue de s'assurer du maintien de son aptitude au poste de travail occupé. Cet examen doit être renouvelé au moins une fois par an. Tout salarié peut bénéficier d'un examen médical sur sa demande » ;

- l'article R. 241-51 du code du travail indique qu'un examen médical doit avoir lieu après une absence pour maladie professionnelle, après un congé de maternité, après une absence d'au moins huit jours pour cause d'accidents de travail, après une absence d'au moins vingt et un jours pour cause de maladie ou d'accident non professionnel et en cas d'absences répétées pour raisons de santé ;

- l'article R. 241-52 du code du travail précise que le médecin du travail peut prescrire des examens complémentaires nécessaires :

- « à la détermination de l'aptitude médicale aux postes de travail et notamment au dépistage des affections comportant une contre-indication à ce poste de travail ;

- au dépistage des maladies à caractère professionnel ;

- au dépistage des maladies dangereuses pour l'entourage. »

La seule personne au sein de l'entreprise habilitée à pratiquer de tels examens est le médecin du travail. Il est le seul à pouvoir les prescrire, à en connaître les résultats et à en tirer les conséquences. Tous ces examens et leur environnement sont couverts par le secret médical professionnel. Les prélèvements seront faits par le médecin lui-même ou par un personnel infirmier en lequel il a pleine confiance et sous son entière responsabilité selon un protocole déterminé et dans des conditions permettant la réalisation d'une contre-expertise.

Concernant plus spécifiquement le dépistage de la consommation de stupéfiants, une note du ministère du travail de juillet 1990 consacrée au dépistage de la toxicomanie en entreprise admet que « dans certaines entreprises il existe des postes pour lesquels la détermination de l'aptitude des salariés peut comporter un dépistage de la toxicomanie ». Les postes de travail pour lesquels les salariés sont soumis aux recherches de consommation des produits illicites peuvent concerner tous les échelons de la hiérarchie, y compris le médecin du travail.

Lors des examens prévus par le code du travail, si la consommation de substances illicites ou de produits détournés de leurs fonctions thérapeutiques habituelles ou de leur utilisation normale est suspectée, le médecin du travail n'obtiendra souvent lors de son interrogatoire que des réponses dilatoires ou éloignées de la réalité. Dans cette situation, les signes cliniques sont souvent peu évidents ou même inexistants et le médecin du travail ne pourra établir son diagnostic que sur des examens complémentaires de laboratoire. Ces examens complémentaires devront être effectués dans un cadre strict et limitatif. Le respect de l'anonymat est assuré par le médecin du travail qui choisit l'organisme chargé de les pratiquer. En cas de résultat positif, le médecin du travail conseillera une prise en charge thérapeutique par un service spécialisé.

S'agissant de la détection du cannabis chez un salarié, le docteur Raymond Trarieux a indiqué à la commission : « Ce qui nous préoccupe en médecine du travail, (...) c'est le problème de la dose, notamment pour le haschisch. La dose internationale admise actuellement est 50 ng. Or, si nous considérons les personnes soumises à la consommation, ces 50 ng sont un iceberg, c'est-à-dire qu'il y a 10 % au-dessus et 90 % en dessous. Avec un seuil à 50 ng, (...) nous allons détecter relativement peu de monde. »

L'employeur n'a juridiquement aucun moyen d'exiger pour un salarié un examen particulier complémentaire. Toutefois, il verrait sa responsabilité engagée si l'un de ses salariés toxicomanes provoquait, dans l'exercice de ses fonctions, un accident lié à son état. Il serait alors en droit de remettre en cause la responsabilité du médecin du travail si celui-ci avait délivré des avis d'aptitude au poste, par hypothèse dangereux ou à risque. Ce dernier est soumis à des obligations de résultat (l'hygiène et la sécurité dans l'entreprise), mais aussi de moyens : l'employeur étant en droit de penser que la détermination de l'aptitude est faite en fonction des connaissances médicales du moment.

La commission ne peut donc que constater que les mesures prévues par le code du travail sont largement insuffisantes pour permettre d'endiguer ce phénomène. Des actions devraient être engagées au niveau de chaque entreprise afin que la lutte contre la toxicomanie au travail devienne une véritable priorité sanitaire.

2. La nécessité de mieux prendre en compte la réalité de la drogue au travail

a) Le rôle essentiel des employeurs
(1) La fin d'un tabou ?

S'il a longtemps été tabou, le problème de la drogue au travail semble aujourd'hui faire partie intégrante des problématiques sanitaires et « sécuritaires » des grandes entreprises, ainsi que l'a indiqué le docteur Raymond Trarieux lors de son audition : « Dans certaines entreprises le sujet n'est plus tabou depuis un certain temps, depuis 1985 pratiquement, certaines, ont eu des cas. (...) C'est un peu la même évolution que nous avons observée avec l'alcool au volant. Il ne l'est plus parce que maintenant, tout le monde est conscient qu'il peut avoir chez lui des enfants qui consomment. Nous en entendons de plus en plus parler, ce problème n'est donc plus tabou. La seule difficulté est la mise en place dans les petites entreprises, parce que là la situation est difficile et malheureusement la recherche de drogue coûte cher. A côté de cela, dans d'autres entreprises beaucoup plus importantes, la recherche de drogue fait souvent partie du statut. C'est le cas notamment dans les entreprises aériennes. Dans les entreprises de premier niveau, les gens savent que les salariés auront un contrôle à l'entrée. (...) Dans la SNCF, nous savons parfaitement, puisqu'elle gère elle-même son service médical, que cela fait partie maintenant des recherches classiques et habituelles. C'est passé (...) dans le statut des contrôleurs aériens. C'est également maintenant automatique chez les pilotes de ligne et le personnel navigant lors du renouvellement des licences. De plus en plus cela se met en place, mais dans les grandes entreprises. Le problème surtout dans certains cas (...) est celui de la surveillance des intérimaires et des CDD. »

La commission souhaite donc que l'accent soit mis sur la prise en compte des dangers liés à la toxicomanie en milieu professionnel dans les petites et moyennes entreprises et pour l'ensemble des catégories de personnels mais aussi des produits (y compris les médicaments psychotropes), notamment au travers de campagnes de sensibilisation auprès des chefs d'entreprise.

Un tabou subsiste encore, celui du dopage quotidien. Ce problème a notamment été évoqué devant la commission par le docteur Michel Hautefeuille : « J'emploie le terme de « dopage au quotidien » parce que j'ai une petite expérience clinique par rapport au dopage en milieu sportif et que j'ai le sentiment que les ressorts et les mécanismes sont tout à fait comparables. Dans le milieu sportif, on sait que la pratique du dopage est assez ancienne mais aussi que c'était un tabou, une chose dont il ne fallait pas parler. Dans le monde de l'entreprise, on en est à ce stade : on est actuellement dans le monde de l'entreprise comme on était dans le monde du sport il y a dix ans. A partir du moment où quelqu'un répond à sa charge de travail et qu'il est performant, il peut faire tout ce qu'il veut en toute impunité. Il commence à avoir des soucis quand, malgré la prise de produits ou, parfois, à cause de celle-ci, il n'assure plus. C'est à ce moment-là que les ennuis vont véritablement commencer pour lui. »

(2) La prise en compte de la toxicomanie dans le règlement de l'entreprise

La responsabilité de l'employeur peut être mise en cause suite à des fautes commises par ses salariés. Il peut donc intégrer la question de la lutte contre la toxicomanie dans le règlement intérieur de son entreprise.

Aux termes de l'article L. 122-34 du code du travail, le règlement intérieur est un document écrit par lequel l'employeur fixe exclusivement :

- « les mesures d'application de la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité dans l'entreprise ;

- « les règles générales et permanentes relatives à la discipline et notamment l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur ».

Ces mesures d'application sont opposables aux usagers de drogues dans le cadre des examens effectués par le médecin du travail, à condition toutefois que ces recherches soient « justifiées par la nature de la tâche à accomplir » , parce qu'elles répondent à des critères de sécurité et/ou de sûreté au sein de l'entreprise, ou à la sécurité générale de son environnement.

Si ces examens complémentaires sont prévus par le règlement intérieur pour les postes à risque, le protocole retenu pour leur réalisation ne pourra être en opposition avec l'article L. 122-35 du code du travail spécifiant que « le règlement intérieur ne peut contenir de clause contraire aux lois et règlements, et ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

D'autres dispositions du règlement intérieur autorisant notamment le contrôle par l'employeur des armoires et des vestiaires individuels des salariés, peuvent également concerner le problème de la drogue et sa détention dans les locaux de l'entreprise. Compte tenu de la nécessité de concilier à la fois le respect des libertés individuelles et collectives des salariés et les obligations de l'employeur en matière d'hygiène et de sécurité, le Conseil d'Etat considère qu'une telle disposition n'est licite que si elle contient certaines précisions : « En dehors des opérations périodiques de nettoyage prévues par le dernier alinéa de l'article R. 232-24 du code du travail et dont les salariés intéressés doivent être prévenus à l'avance, l'employeur ne peut faire procéder au contrôle de l'état et du contenu des vestiaires ou armoires individuelles en présence des intéressés (...) que si ce contrôle est justifié par les nécessité de l'hygiène et de la sécurité. » (C.E., R.N.U.R., 9 octobre 1987).

La commission considère qu'il est difficile de contester que la lutte contre la toxicomanie dans l'entreprise, qui passe notamment par le contrôle de l'introduction de la drogue, ne soit pas une nécessité en matière d'hygiène et de sécurité, et souhaite que de telles mesures soient prévues par les règlements intérieurs des entreprises afin de pouvoir être utilisées en cas de nécessité.

Plus largement, dans le cadre du rappel de l'interdiction stricte de la consommation de stupéfiants en milieu professionnel, les règlements intérieurs des entreprises pourraient évoquer systématiquement cette question et, sans déroger aux principes énoncés dans le code du travail, indiquer que cette interdiction concerne l'ensemble des postes et non pas uniquement ceux considérés comme à risque.

b) Un partenariat à développer avec les différents acteurs de l'entreprise
(1) Engager un dialogue avec les partenaires sociaux

La mise en oeuvre d'une politique efficace de lutte contre les conduites toxicomaniaques au sein de l'entreprise doit évidemment associer les partenaires sociaux, les aménagements du règlement intérieur nécessitant en effet l'avis du comité d'entreprise et, sur la question de la toxicomanie, du CHSCT.

Les partenaires sociaux devront donc être sensibilisés à ce problème afin notamment que le protocole de recherche comme la détermination des postes soumis à surveillance, ainsi que les conditions dans lesquelles un salarié pourra reprendre son poste de travail, puissent être intégrés dans les négociations entre ces partenaires et l'entreprise, sans que la lutte contre la drogue apparaisse comme un moyen de contrôle supplémentaire sur les salariés de la part de la direction. A cet égard, la neutralité du médecin du travail paraît indispensable pour lui permettre de jouer le rôle de tiers.

Ce partenariat devrait être complété par une politique d'information sur les dangers de la drogue et sur son caractère d'interdiction, à l'instar de ce qui a déjà été fait avec succès pour l'alcool.

(2) Une nécessaire sensibilisation des médecins du travail

Force est de constater que la lutte contre la toxicomanie n'est pas dans les faits la préoccupation prioritaire des médecins du travail, ainsi que l'a déploré M. Michel Setbon, chercheur au laboratoire d'économie et de sociologie du travail du CNRS, lors de son audition : « A ma connaissance, ce n'est pas une préoccupation prioritaire des médecins du travail et cela ne donne lieu à aucun relevé quelconque ou à des publications conséquentes sur la question. Cela n'a pas fait partie des priorités, ni même des définitions du champ ou des objectifs du plan triennal. (...) En dehors de quelques traces de lutte contre l'alcoolisme en entreprise, les produits illicites, à ma connaissance, ne font pas partie des recherches systématiques, ou même sporadiques, à l'intérieur du monde du travail pour une raison assez simple : en dehors de la médecine du travail, qui pourrait tomber par hasard sur un cas d'utilisation de produits psychoactifs chez des gens qui sont dans des postes dangereux, exposés ou même normaux, c'est la police qui détecte les usagers de drogues. Or la police n'est pas dans les entreprises. Par conséquent, il n'y a pas grand-chose, en dehors d'une mobilisation du corps des médecins et des inspecteurs du travail qui pensent, d'après ce que j'en sais, que les priorités sont ailleurs. »

La commission estime qu'il convient, parallèlement aux visites médicales et aux dépistages, de développer aujourd'hui l'information sur les dangers associés à la consommation de drogue ou de substances médicamenteuses au travail. En effet, pour le docteur Michel Hautefeuille, auditionné par la commission : « Lorsque, par exemple, un médecin prescrit des anxiolytiques à une certaine dose parce que c'est nécessaire, un certain nombre de patients ne savent pas que, si on dépasse la dose, on entre dans le chemin d'une dépendance tout à fait importante. Chez les personnes dont je parle et qui travaillent en entreprise, il y a souvent, au départ, une prescription médicale qui n'a pas été respectée, par rapport à laquelle ils ont dérapé. C'est ainsi qu'au bout d'un certain nombre d'années, ils se retrouvent avec des quantités énormes de médicaments qui ont souvent des effets contradictoires et qu'ils sont souvent submergés par ces produits. De plus, pour contrecarrer les effets de ces médicaments, ils prennent souvent d'autres produits soit illicites, soit non disponibles en France. »

La commission considère donc que les médecins doivent prendre une place prépondérante dans le dispositif de lutte contre la drogue au travail , comme ils l'ont fait par le passé pour d'autres types de conduites addictives, notamment en développant leur rôle de conseil, ce qui suppose de trouver un équilibre satisfaisant entre les actions conduites au titre de cet objectif et le respect du secret médical , qu'il n'est pas question de remettre en cause, de nier ni d'alléger, comme l'a d'ailleurs rappelé récemment dans une note le Conseil national de l'Ordre des médecins.

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HUMANISME ET RESPONSABILITÉ
POUR UNE NOUVELLE POLITIQUE

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