2. Les pôles économiques et financiers
Depuis
la loi n° 94-89 du 1
er
février 1994, les
dispositions des articles 704 et 705 du code de procédure pénale
établissent la
compétence d'un ou de plusieurs tribunaux de
grande instance par cour d'appel
aux fins de poursuivre, instruire et
éventuellement juger un certain nombre d'infractions limitativement
énumérées ressortissant à la matière
économique et financière.
Cette
compétence
n'est pas obligatoire mais
concurrente
à celle des juridictions non spécialisées situées
dans le ressort de la cour d'appel. Elle est limitée aux affaires
complexes. Une telle compétence concurrente est
indispensable pour
éviter des nullités
dans l'hypothèse où une
affaire ne serait pas renvoyée à une juridiction
spécialisée.
M. Jean-Pierre Dintilhac, procureur de la République au tribunal de
grande instance de Paris, a d'ailleurs indiqué à la mission que,
malgré cette dualité de compétences, la saisine du
pôle s'effectuait la plupart du temps de manière consensuelle,
après une concertation entre les procureurs, sous l'autorité du
procureur général, quelquefois de la Chancellerie. Les avocats
forment
peu de recours
contre ces saisines.
a) Une logique de concentration des moyens
Cette
spécialisation n'est toutefois
guère effective
.
En effet, les juridictions spécialisées ne
bénéficient
pas de moyens humains et matériels
supplémentaires
de nature à faciliter le traitement des
procédures, tant au siège qu'au parquet.
Situées pour la plupart au siège des cours d'appel, dans les
zones où la délinquance est généralement
importante, ces
juridictions
étaient
déjà
très
souvent
chargées
au titre de leurs
compétences propres.
La complexité d'un dossier n'apparaît pas toujours dans les
premiers temps d'une enquête et il est toujours
délicat de
dessaisir une juridiction lorsque l'examen du dossier est très
avancé
; en particulier quand un juge d'instruction non
spécialisé est saisi, il convient d'ouvrir une seconde
information pour les mêmes faits devant le juge spécialisé,
puis de provoquer le dessaisissement du premier, ce qui est assez dissuasif.
Les
magistrats
des tribunaux spécialisés en matière
économique et financière ne sont
pas chargés
exclusivement de ces fonctions
et doivent répartir leur temps, comme
la plupart des magistrats de l'ordre judiciaire, entre plusieurs tâches.
Pour remédier à cette situation, il a été
décidé de concentrer les moyens, humains, matériels et
financiers, sur un petit nombre de juridictions spécialisées en
créant des pôles économiques et financiers
.
b) La création de quelques pôles de compétences
Les
tribunaux de grande instance de
Paris
,
Marseille
,
Lyon
et
Bastia
ont été retenus en raison du nombre et de la
complexité des procédures qu'ils ont à traiter.
Opérationnels depuis le 1
er
juin 1999, les pôles
économiques et financiers ont bénéficié, en sus de
l'affectation de magistrats, de fonctionnaires des greffes et d'assistants de
justice, du
concours d'assistants spécialisés
,
c'est-à-dire de fonctionnaires de catégorie A ou B mis à
disposition par leur administration ou de personnes issues du secteur
privé chargés d'assister les magistrats dans le
déroulement de la procédure, en leur faisant
bénéficier de leurs compétences en matière
économique et financière
226(
*
)
.
Les effectifs des pôles économiques et financiers
|
Magistrats |
Fonctionnaires |
Assistants spécialisés 1 |
Assistants de justice |
Total |
||
Parquet |
Instruction |
Parquet |
Instruction |
||||
Paris |
31 |
27 |
34 |
60 |
9 |
19 |
180 |
Marseille 2 |
4 |
3 |
6 |
3 |
2 |
5 |
23 |
Lyon 2 |
4 |
3 |
13 |
2 |
4 |
26 |
|
Bastia |
1 |
2 |
|
2 |
3 |
1 |
9 |
TOTAL |
75 |
118 |
16 |
29 |
238 |
||
Source : Chancellerie
|
Toutefois, la mission a pu constater à Paris comme
à
Marseille que les pôles spécialisés souffraient d'un
manque d'effectifs
aussi bien en magistrats qu'en assistants
spécialisés, les postes budgétaires n'étant pas
pourvus. M. Marc Cimamonti, vice-procureur de la République,
responsable de la section financière du parquet au pôle
économique et financier du tribunal de grande instance de Marseille, a
ainsi regretté que la création du pôle ait
été réalisée «
à moyens
constants
. »
Les pôles ont également bénéficié de nouveaux
équipements informatiques
, avec la diffusion du logiciel IAO
(instruction assistée par ordinateurs) et l'expérimentation, au
parquet financier de Paris, d'un dispositif de gestion électronique des
données.
Enfin, des
opérations immobilières
ont été
réalisées pour permettre l'installation des services du parquet
et de l'instruction dans de nouveaux locaux plus vastes et plus adaptés.
Le pôle économique et financier du tribunal de grande instance de
Paris
est ainsi installé dans de superbes locaux situés
boulevard des Italiens dans le IX
ème
arrondissement, qui ont
pour
seul inconvénient d'être éloignés du palais
de justice
. Les magistrats regrettent en effet de ne pouvoir entretenir
avec leurs collègues des contacts aussi réguliers qu'auparavant,
qui leur permettaient d'échanger utilement informations et conseils.
L'importance de ces contacts informels a également été
soulignée par leurs homologues marseillais qui se félicitent,
quant à eux, de pouvoir travailler dans les locaux du tribunal de grande
instance.
On notera que les juridictions spécialisées de Bordeaux, Nanterre
et Fort-de-France, bien que ne constituant pas des pôles financiers, ont
été dotées de moyens supplémentaires par
l'affectation d'assistants spécialisés. Toutefois, la mission a
pu constater que le tribunal de grande instance de Bordeaux ne
bénéficiait du concours que d'un seul assistant
spécialisé !
c) Le fonctionnement du pôle économique et financier de Paris
Le
pôle économique et financier de Paris, qui est le plus important,
compte
27 juges d'instruction
alors que l'effectif théorique
s'élève à 30 magistrats. Les magistrats sont
regroupés en
deux sections
, l'une chargée respectivement
de la
délinquance astucieuse
, l'autre de la
délinquance
financière
.
Chaque juge
du pôle est constamment en charge, en moyenne, de
60 dossiers
. Les affaires sont réparties par Mme Edith
Boizette, doyenne, par délégation du président du tribunal
de grande instance.
La division économique et financière du
parquet
du
tribunal de grande instance de Paris est divisée en
plusieurs
sections
:
- la section de la lutte contre la
délinquance astucieuse
(F1), qui traite les affaires de faux et d'escroquerie et enregistre
600
à 700 affaires nouvelles par mois
;
- la
section financière
(F2), qui s'occupe des dossiers de
droit pénal des sociétés, de droit pénal boursier,
de droit pénal fiscal et de lutte contre le blanchiment, et enregistre
60 à 70 affaires nouvelles par mois
,
bien
plus
complexes que celles de la section F1 ;
- la
section économique et sociale
(F3), qui est
chargée des dossiers liés au droit du travail, au droit de
l'environnement, au droit de l'urbanisme et de la construction, au droit de la
consommation (contrefaçons notamment) et à la pollution maritime
(affaire de l'Erika notamment), et qui est saisie d'environ
400 dossiers par
mois
;
- ainsi que la
section commerciale
(F4)
installée au
tribunal de commerce
.
Outre le procureur adjoint, elle comprend en théorie 30 magistrats
(12 dans la section F1, 10 dans la section F2, 5 dans la section F3 et 4
dans la section F4). Les personnels des greffes sont au nombre de 54.
Chaque année, le parquet du pôle économique et financier de
Paris traite 17.000 affaires nouvelles, établit 1.100
réquisitoires introductifs (80 % des réquisitoires
introductifs sont établis à la suite de plaintes avec
constitution de partie civile), 2.200 citations directes et 150 convocations
par officier de police judiciaire ou procès verbal.
Il est actuellement question de mettre en place de nouveaux pôles
économiques et financiers dans le Nord, à Lille, et aux Antilles,
à Fort-de-France.
La mission observe que la logique de concentration de moyens qui est celle
des pôles spécialisés exclut leur trop grande
multiplication. Il conviendrait donc, avant toute nouvelle
création, de renforcer les pôles existants, non seulement par
l'affectation de magistrats et de fonctionnaires mais également
d'assistants spécialisés supplémentaires. Toutefois que le
maillage des pôles devrait progressivement concerner l'ensemble du
territoire national.