B. LE DÉVELOPPEMENT DE FORMES DE SPÉCIALISATION PLUS SOUPLES AUTOUR DE LA NOTION DE PÔLES DE COMPÉTENCES
Le
mouvement de spécialisation prend aujourd'hui des formes nouvelles,
caractérisées par leur souplesse et une
logique de
concentration des moyens
.
A la création de nouvelles juridictions sur l'ensemble du territoire est
préféré un
regroupement des contentieux sur un petit
nombre de tribunaux de grande instance
.
La réussite de cette politique suppose de bien apprécier la
taille critique des juridictions et de leur donner des moyens
conséquents.
1. Le pôle antiterroriste
La
France s'est dotée en 1986 d'un arsenal juridique spécifique pour
lutter contre le terrorisme à la suite de la vague d'attentats commis
sur son sol par des terroristes du Moyen-Orient. Treize actions criminelles
revendiquées par un certain « comité de
solidarité avec les prisonniers arabes » avaient
provoqué la mort de onze personnes et en avaient blessé 275.
La loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 définissait pour la
première fois la notion d'acte de terrorisme et surtout y attachait des
règles de
procédure spéciales
en vue de renforcer
les prérogatives des enquêteurs.
Ce dispositif a été modifié à plusieurs reprises,
en mars 1994 avec l'entrée en application du nouveau code pénal,
en janvier 1995 pour allonger les délais de prescription de l'action
publique et des peines, en juillet 1996 pour étendre le champ des
infractions, et en décembre 1996 pour autoriser, sous de strictes
conditions, les perquisitions de nuit.
A la suite des attentats commis le 11 septembre 2001 aux Etats-Unis,
la
loi
n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la
sécurité quotidienne
a renforcé l'arsenal
juridique français
pour combattre avec pleine efficacité le
terrorisme en :
- permettant la fouille des véhicules par des officiers et agents
de police judiciaire sur réquisitions du procureur de la
République ;
- autorisant sous certaines conditions des perquisitions au cours
d'enquêtes préliminaires ;
- prévoyant la possibilité pour les agents d'entreprises de
sécurité de procéder à des fouilles de bagages et
à des palpations de sécurité ;
- réglementant la conservation des données de communication
avec l'obligation pour les opérateurs de télécommunication
de conserver certaines données pour la recherche et la constatation
d'infractions pénales ;
- autorisant les auditions, interrogatoires et confrontations à
distance par l'utilisation de moyens de télécommunication
adaptés.
En raison de l'avancement de la date de remise de son rapport, la mission
d'information n'a pas pu se rendre au pôle antiterroriste de Paris. Aussi
ne seront ici rappelés que les principaux éléments de son
fonctionnement.
a) La compétence concurrente des juridictions locales et des juridictions parisiennes
Les
articles 706-16 à 706-22 du code de procédure pénale
prévoient la centralisation à Paris des affaires de terrorisme. A
cet effet, le procureur de la République, les juges d'instruction et les
juridictions de jugement parisiens se sont vus attribuer une
compétence concurrente
de celle qui résulte des
règles de droit commun (lieu de commission de l'infraction,
résidence de l'une des personnes soupçonnées d'avoir
participé à l'infraction ou lieu d'arrestation de l'une de ces
personnes).
L'objectif n'était pas de
« déposséder » les juridictions
territorialement compétentes mais de créer une compétence
supplémentaire. La loi du 9 septembre 1986 n'a donc
conféré aucune prééminence aux juridictions
parisiennes.
En pratique, la saisine de la juridiction parisienne est réalisée
selon des modalités différentes en fonction du moment où
elle intervient. Il convient en effet de distinguer la
saisine initiale
de la procédure de dessaisissement après l'ouverture d'une
information judiciaire.
Dans le premier cas, le parquet de Paris fait jouer auprès du parquet
local sa compétence nationale concurrente. Cette saisine s'opère
selon une procédure informelle avec l'accord du procureur de la
République et, en cas de problème, du procureur
général. Elle est confirmée et formalisée à
la suite des échanges téléphoniques nécessaires par
la transmission d'une note écrite de saisine du parquet de Paris au
parquet local qui accepte de se dessaisir. Cette modalité de saisine
s'applique lorsque le parquet de Paris évoque des faits de terrorisme
immédiatement ou presque immédiatement après leur
commission mais aussi en cas de saisine différée tant que le
parquet initialement compétent n'a pas procédé à
l'ouverture d'une information.
Lorsqu'une information a déjà été
ouverte
223(
*
)
, une
procédure de dessaisissement
du juge d'instruction doit alors
être envisagée, mais son initiative est réservée au
procureur de la République local. Conformément à l'article
706-18 du code de procédure pénale, celui-ci va requérir
le juge d'instruction de se dessaisir au profit de la juridiction d'instruction
de Paris. La présentation de cette requête suppose
évidemment que le parquet de Paris ait donné son accord.
Avant de statuer, le juge d'instruction avise la personne mise en examen ainsi
que la partie civile et les invite à faire connaître leurs
observations. L'ordonnance ne peut être rendue par le juge que huit jours
au plus tôt après cet avis.
Une seule voie de recours est ouverte contre une telle ordonnance : dans
un délai de cinq jours, le ministère public, la personne mise en
examen ou la partie civile peuvent la déférer à la chambre
criminelle de la Cour de cassation. Celle-ci doit alors désigner dans un
délai de huit jours à compter de la réception du dossier
le juge chargé de continuer l'information. Si le dessaisissement est
ordonné au profit du juge d'instruction de Paris, le parquet localement
compétent adresse le dossier au procureur de la République de
Paris.
Inversement,
lorsque
le juge d'instruction de Paris se rend compte que
les faits ne constituent pas un acte de terrorisme
et ne relèvent
pas de sa compétence à un autre titre, il doit alors se
déclarer incompétent, soit de son propre chef, soit sur
requête du procureur de la République ou des parties
224(
*
)
.
La décision du juge est susceptible d'être
déférée à la chambre criminelle de la Cour de
cassation selon les mêmes modalités que celles
précisées plus haut. Si elle décide que le juge
d'instruction n'est pas compétent, la Cour de cassation peut soit
désigner un autre juge d'instruction, soit estimer «
dans
l'intérêt d'une bonne administration de la justice que
l'instruction sera poursuivie au tribunal de Paris
». Mais, dans
les deux cas, les dispositions procédurales spécifiques de la loi
du 9 décembre 1986 cesseront de s'appliquer. Dès que l'ordonnance
est devenue définitive, le procureur de la République de Paris
adresse le dossier de la procédure à son homologue
territorialement compétent.
Qu'il y ait ordonnance de dessaisissement ou ordonnance d'incompétence,
le juge initialement saisi garde sa pleine compétence jusqu'à
l'expiration du délai de cinq jours prévu pour le recours ou
jusqu'à la date où l'arrêt de la chambre criminelle a
été porté à sa connaissance. Dans les deux cas, les
mandats de dépôt ou d'arrêt conservent leur force
exécutoire et les actes de procédure intervenus toute leur valeur.
Comme l'a montré le rapport de la commission d'enquête du
Sénat sur la conduite de la politique de sécurité
menée par l'Etat en Corse l'application des règles de
dessaisissement n'est pas sans susciter des
difficultés
225(
*
)
.
b) Des structures spécialisées
La
centralisation des poursuites a entraîné la création de
structures spécialisées dans la lutte contre le terrorisme au
sein du tribunal de grande instance de Paris, de la direction centrale de la
police judiciaire et de la direction centrale des renseignements
généraux du ministère de l'intérieur.
En effet, la spécificité des infractions pénales requiert
une
connaissance
approfondie
des milieux
dans lesquels les
terroristes
opèrent et des moyens qu'ils utilisent. En outre, les
investigations, tant policières que judiciaires, exigent de
nombreux
rapprochements
entre les éléments matériels, les
personnes et les groupes clandestins.
S'agissant des seules structures judiciaires, la mission rappelle que,
contrairement à la formule fréquemment employée, il
n'existe pas « une section antiterroriste » au tribunal de
grande instance de Paris regroupant juges d'instruction et magistrats du
parquet, mais
deux sections distinctes
.
Au sein du
parquet
, c'est la
section «
terrorisme et
atteintes à la sûreté de l'Etat
» dite
14
ème
section
ou section A6, composée de quatre
magistrats, à laquelle incombent l'engagement de l'action publique, le
suivi des instructions et les poursuites en matière de terrorisme.
Du côté de l'
instruction
, les affaires de terrorisme
relèvent de la
4
ème
section
, elle aussi
composée de quatre magistrats.
Si la poursuite et l'instruction des dossiers de terrorisme sont confiés
à des magistrats spécialisés, le
jugement
de ces
affaires relève d'une
juridiction de droit commun pour les
délits
.
Cependant, comme on l'a vu, la juridiction appelée à
connaître des
crimes
de terrorisme est une
cour d'assises
composée uniquement
de
magistrats professionnels
, afin
de limiter l'effet des pressions ou des menaces pouvant peser sur les
jurés.