3. Les attentes de la profession
La profession a ainsi exprimé devant la mission son souhait de voir réviser son tarif et rénover le droit de l'exécution.
a) La révision du tarif
Les
huissiers de justice perçoivent, pour les actes de leur ministère
en matière civile et commerciale, des émoluments tarifés
prévus au décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996.
En matière pénale, leur sont alloués différents
émoluments prévus aux articles R. 92, R. 181 et
suivants du code de procédure pénale. Aux yeux de tous, ce tarif
est
trop complexe
. Pour la profession, il nécessite d'être
revalorisé
,
en particulier en matière pénale
.
Aux termes de l'article 11 du décret n° 56-222 du 29
février 1956, les huissiers audienciers ont pour fonctions d'assister
aux audiences solennelles ou aux audiences publiques, de faire l'appel des
causes et de maintenir l'ordre sous l'autorité du président.
Chaque huissier audiencier reçoit une indemnité de 15 euros pour
le service d'une audience de cour d'assises et de la Cour de cassation, de
10 euros pour le service d'une audience du tribunal correctionnel ou du
tribunal pour enfants, et de 7,5 euros pour le service d'une audience du
tribunal de police
189(
*
)
.
Il perçoit une somme forfaitaire de 2,74 euros (18 francs) pour
toutes citations en matière criminelle, correctionnelle et de police,
pour les significations des mandats de comparution, pour toutes significations
d'ordonnances, jugements et arrêts et tous autres actes ou pièces
en matière criminelle, correctionnelle et de police
190(
*
)
.
Selon la profession, ce tarif est tellement insignifiant qu'il ne permet
même pas de couvrir les frais supportés par l'huissier.
Me Yves Martin déclarait ainsi à la mission :
«
Les audiences sont une servitude que nous acceptons mais on nous
verse une
aumône
. Nous sommes présents à ces
audiences quatorze ou quinze heures d'affilée pour 50 francs. Cela
me paraît tellement vexant que je ne me fais même pas indemniser.
L'aumône, très peu pour moi ! J'en fait une question de
principe. Il en est de même pour mes confrères
. »
D'après ses indications, le tarif fixé pour la délivrance
d'un acte pénal devrait être augmenté de 60 %
prochainement : un projet de décret prévoit en effet de
fixer à 4,50 euros la rémunération des citations et
significations prévue à l'article R. 181 du code de
procédure pénale.
b) La réforme des procédures civiles d'exécution
La
crédibilité de la justice suppose que les décisions prises
par les juges soient exécutées de manière rapide et
sûre. La Cour européenne des droits de l'homme a d'ailleurs
érigé le
droit à l'exécution
en
droit
fondamental
du justiciable en décidant que
«
l'exécution d'un jugement ou d'un arrêt, de quelque
juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant
partie intégrante du procès
191(
*
)
. »
Les huissiers de justice estiment ne pas disposer de moyens suffisants pour
remplir leurs fonctions. Ils regrettent, en premier lieu, d'avoir un
accès limité aux informations
.
La loi n° 73-5 du 2 janvier 1973 relative au paiement direct de la
pension alimentaire permet aux créanciers d'aliments d'obtenir des
administrations de l'Etat et des collectivités publiques ainsi que des
organismes de sécurité sociale les renseignements
nécessaires à la mise en oeuvre de poursuites contre le
débiteur.
S'agissant des autres créances et pourvu qu'il soit porteur d'un titre
exécutoire, la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant
réforme des procédures civiles d'exécution a
autorisé l'huissier de justice à demander au procureur de la
République d'entreprendre les diligences nécessaires pour
connaître l'adresse des organismes auprès desquels un compte est
ouvert au nom du débiteur, ainsi que l'adresse du débiteur et
l'adresse de son employeur, à l'exclusion de tout autre renseignement.
Cependant, faute de moyens, le parquet ne peut répondre rapidement et,
à l'issue d'un délai de trois mois, fixé par décret
en Conseil d'Etat, l'absence de réponse du procureur de la
République vaut réquisition infructueuse.
Me Yves Martin déclarait ainsi à la mission :
«
Lorsque nous devons exécuter un jugement contre une
personne, nous ignorons si celle-ci a un compte en banque, à quel
endroit elle travaille et si elle possède des biens. Pour obtenir ces
renseignements, nous sommes obligés, malgré notre qualité
d'officier ministériel, de faire appel aux procureurs de la
République. Or ils n'ont plus le temps d'enregistrer nos demandes !
« Nous avons ce pouvoir en matière de recouvrement de pensions
alimentaires. Par exemple, si une créancière fait appel à
moi pour recouvrer la pension alimentaire que son mari lui doit, j'ai
qualité pour interroger tous les fichiers nécessaires. Depuis
environ trente ans qu'existe cette procédure de recouvrement des
pensions alimentaires, aucun confrère n'a été poursuivi
pour avoir usé et abusé de ce droit
« exorbitant ».
« En revanche, si une créancière se présente
avec un jugement exécutoire, si elle a obtenu un jugement au
pénal et des dommages et intérêts parce que son mari ne lui
verse pas de pension alimentaire, elle risque d'attendre six mois avant que je
puisse exécuter le jugement parce que M. le procureur de la
République - avec qui nous avons de bonnes relations - souhaite que nous
ne lui demandions plus de renseignements ! Il ne peut nous répondre
parce qu'il n'a pas de personnel. C'est discriminatoire. »
Le risque évoqué par la profession face à ces
difficultés est de voir se développer le recours à des
sociétés spécialisées dans la recherche
d'informations et à des «
exécutions
sauvages
», c'est-à-dire la résurgence d'une
justice privée.
Pour autant, il convient également de veiller au
respect des
libertés individuelles
.
M. Tony Moussa, président de chambre à la cour d'appel de
Lyon, ancien juge de l'exécution, relevait devant la mission que des
saisies étaient actuellement pratiquées contre des
débiteurs ne disposant que d'une somme égale au revenu minimum
d'insertion, donc insaisissable, ce qui entraînait des contestations
devant le juge de l'exécution et des frais d'actes importants venant
s'ajouter à la dette.
Une réflexion est actuellement en cours à la Chancellerie pour
permettre aux huissiers de justice d'interroger directement les fichiers des
comptes bancaires (FICOBA), ce qui suppose une modification de la loi de 1991.
La mission
ne peut donc qu'inviter la Chancellerie à conduire
une réflexion avec la Chambre nationale des huissiers de justice et avec
la Commission nationale de l'informatique et des libertés pour
rechercher les voies d'une meilleure exécution des décisions de
justice compatible avec le nécessaire respect des libertés
individuelles, au premier rang desquelles le droit au secret
.
D'une manière générale, elle estime nécessaire,
afin de permettre aux magistrats de se recentrer sur leurs activités
juridictionnelles, de les décharger des tâches pour lesquelles
leur intervention n'est pas indispensable en confiant celles-ci à des
professionnels mieux à même de les accomplir.
En second lieu, les huissiers de justice souhaitent que soit
créée, aux côtés des clercs assermentés
à la signification des actes et de ceux habilités au constat, une
troisième catégorie de
clercs spécialisés dans
des mesures d'exécution
telles que la saisie-attribution.
Cette revendication soulève toutefois une question de principe, celle
d'une
véritable sous-délégation de prérogatives
de puissance publique
. Les missions délicates des huissiers, le
rôle social dont ils se prévalent à juste titre plaident en
faveur d'une intervention personnelle. Faut-il rappeler, signe de l'importance
du contact
intuitu personae
, que les
sergents
, ancêtres des
huissiers, portaient une baguette ronde en ébène garnie de cuivre
ou d'ivoire, avec laquelle ils devaient toucher ce dont ils avaient la charge
de faire exploit ?
Sur cette question également, la réflexion mérite
d'être approfondie.
Une solution alternative conciliant les objectifs
d'intégration des jeunes diplômés et la préservation
des prérogatives personnelles de l'huissier pourrait consister dans la
création d'un statut d'huissier salarié comme cela a
été fait pour les professions de notaire et d'avocat, mais la
Chambre nationale des huissiers de justice n'y semble guère favorable.