3. La question lancinante des relations entre les chefs de cour ou de juridiction et les chefs de greffe
Aux tensions résultant de l'existence des services administratifs régionaux s'ajoutent en effet les habituelles difficultés liées à la gestion tripartite des juridictions par le premier président de la cour d'appel (ou le président du tribunal de grande instance), le procureur général (ou le procureur de la République) et le chef de greffe.
a) Les ambiguïtés de la gestion tripartite
Les
termes des articles R. 812-1 et R. 812-2 du code de l'organisation
judiciaire qui définissent les responsabilités de chacun sont, il
est vrai, pour le moins ambigus puisque
le greffier en chef exerce ses
attributions
pour partie sous l'autorité et pour partie sous le
contrôle des chefs de juridiction, sans que ces derniers puissent se
substituer à lui
.
Cette ambiguïté subsiste malgré une circulaire du 6 juin
1979 qui analyse la relation hiérarchique entre les chefs de juridiction
et les chefs de greffe : l'autorité constitue le pouvoir d'ordonner
et donc d'établir des orientations et des directives ; l'initiative
des fonctions sous le contrôle des chefs de cour ou de juridiction
revient au greffier en chef, chef de greffe.
Une clarification de ce texte à caractère réglementaire
semble nécessaire. A l'instar des conférences des premiers
présidents de cour d'appel et des procureurs généraux, la
mission considère que les chefs de juridiction devraient conserver
in
fine
le pouvoir de décision, dans la mesure où la
façon de rendre la justice est étroitement dépendante des
moyens accordés.
M. André Ride, président de la Conférence des
procureurs généraux déclarait ainsi devant elle :
«
parce que la mise à disposition des moyens,
forcément limités, d'une juridiction, tant en personnels qu'en
crédits, a une incidence très directe sur la fonction judiciaire
elle-même, dans la poursuite comme dans le jugement, il importe que ces
décisions continuent à être prises dans le cadre de ce
dialogue, et que la décision revienne aux deux chefs de juridiction,
comme le veut la dyarchie qui préside au mode de fonctionnement des
cours et tribunaux et qui garantit que les deux principes qui conditionnent
l'exercice de la justice, la poursuite et le jugement, soient également
pris en considération
. »
En revanche, les chefs de cour ou de juridiction ne devraient pas s'impliquer
dans la gestion au quotidien. Comme le faisait justement observer
Mme Véronique Rodero, présidente de l'Association des
greffiers en chef des tribunaux d'instance, «
les hôpitaux
ne sont pas gérés par les médecins
. »
La mission propose, reprenant en cela les conclusions du rapport de notre
collègue Jean Arthuis au nom de la commission sénatoriale de
contrôle chargée d'examiner les modalités d'organisation et
les conditions de fonctionnement des services relevant de l'autorité
judiciaire, présidée par notre collègue Hubert
Haenel
108(
*
)
, que les chefs de
juridiction aient autorité sur le fonctionnement des services de leur
juridiction et que, par délégation et sous leur contrôle,
le greffier en chef dirige et gère l'ensemble des services
administratifs
.
Pour autant, il est évident qu'indépendamment de toute
clarification textuelle,
la qualité des relations entre chefs de
juridiction et chef de greffe restera la clef d'un bon fonctionnement
.
Comme le rappelait à juste titre M. André Ride :
«
Premier président, procureur général et
greffiers en chef des cours, président, procureur de la
République et greffiers en chef des tribunaux de grande instance se
réunissent de façon constante, que ce soit de manière
informelle ou, de plus en plus souvent, institutionnelle, pour régler
les questions relatives au fonctionnement de la juridiction. »
b) La mise en cause récurrente de la dyarchie
La
dyarchie entre les magistrats du siège et ceux du parquet qui
préside au fonctionnement des cours et des juridictions est
régulièrement dénoncée par les premiers et
revendiquée par les seconds.
La Conférence des premiers présidents de cour d'appel, favorable
à la séparation du siège et du parquet, considère
qu'au nom de l'indépendance de la justice et compte tenu du fait que le
parquet constitue l'une des parties au procès, il ne devrait pas
détenir de pouvoir de décision dans l'allocation des moyens de la
juridiction.
Inversement, les magistrats du parquet sont attachés à conserver
la maîtrise des moyens humains, matériels et financiers
nécessaires à la conduite de leur action.
A la Cour de cassation, comme l'indiquait M. Jean-François
Burgelin, son procureur général, le premier président a
acquis au fil des ans la primauté par rapport au procureur
général : «
Lors des décennies
antérieures, dans le cursus des magistrats responsables de la Cour de
cassation, les premiers présidents étaient traditionnellement
recrutés parmi les procureurs généraux. Tel fut le cas de
nombre de mes prédécesseurs. Quittant leurs fonctions de
procureur général pour devenir premier président, ceux-ci
avaient tendance à « emporter » avec eux les
responsabilités qui leur étaient propres. C'est ainsi que le
centre de documentation de la Cour de cassation, qui ressortissait à
l'autorité du procureur général, dépend maintenant
de la première présidence. Il en est de même du budget de
la Cour de cassation. Ainsi, historiquement s'explique un affaiblissement de
l'autorité administrative du procureur général au profit
de la première présidence. La dyarchie est
déséquilibrée au sein de la cour
. »
Selon le procureur général de la Cour de cassation, sous la
pression de l'Europe, la tendance actuelle irait dans le sens d'une
primauté accrue des premier présidents et présidents
sur les procureurs généraux et procureurs de la
République
.
Après en avoir longtemps débattu, la commission
sénatoriale de contrôle chargée d'examiner les
modalités d'organisation et les conditions de fonctionnement des
services relevant de l'autorité judiciaire avait estimé
«
qu'il convenait de doter chaque juridiction d'un chef unique
- le premier président pour la cour d'appel, le président
pour le tribunal de grande instance - afin d'en faciliter la gestion et de
simplifier les rapports administratifs avec l'extérieur
. »
En contrepartie, elle avait souligné la nécessité de
«
garantir le plus efficacement possible l'indépendance du
parquet en donnant au procureur général et au procureur la pleine
maîtrise des moyens matériels nécessaires à son
activité, c'est-à-dire des locaux, des personnels, une enveloppe
budgétaire autonome, les quelques services en commun faisant l'objet
d'un accord entre le président et le procureur
109(
*
)
. »
La mission n'a pas pris parti sur la question compte tenu de son lien
étroit avec celle du
statut du parquet
.
Dans l'immédiat et en tout état de cause, elle juge
nécessaire de doter les chefs de cour et les chefs de juridiction d'une
«
équipe de cabinet
» animée par un
secrétaire général institutionnalisé et
professionnalisé
.
*
En
quelques années,
les juridictions ont donc vécu
d'indéniables bouleversements
dans leurs modes de fonctionnement.
Cette
mue
, qui n'est pas encore terminée, exige des efforts
d'adaptation importants de la part des magistrats et des fonctionnaires des
greffes. Ceux-ci sont tout à fait capables de les accomplir et
disposés à le faire
pour peu qu'on leur accorde la
considération qu'ils mériten
t. Les lourdeurs imputées
au fonctionnement des services judiciaires sont inhérentes à la
fonction publique dans son ensemble.
Plus généralement, c'est l'ensemble de la communauté
judiciaire qui doit s'adapter aux attentes des citoyens d'une justice plus
simple, plus rapide et plus claire, à l'accroissement et à la
complication des contentieux, à la concurrence européenne et
internationale et à l'évolution des technologies de l'information
et de la communication.
Pour prendre toute la mesure des mutations de la communauté judiciaire,
la mission s'est donc également intéressée à
l'évolution des métiers des auxiliaires de justice qui jouent un
rôle non moins essentiel que les magistrats et les fonctionnaires.