CHAPITRE TROIS
QUELLE POLITIQUE POUR UN SECTEUR
EN PLEINE
MUTATION ?
Sur un
sujet aussi vaste, complexe et méconnu, votre rapporteur ne
prétend pas détenir la vérité.
A partir d'une analyse objective de la politique poursuivie actuellement par
les pouvoirs publics, et de ses insuffisances, il espère faire oeuvre
utile en se contentant d'émettre des suggestions et de soulever des
interrogations.
I. LES INCONVÉNIENTS D'UNE ATTITUDE TROP LIMITATIVE
A. UNE POSITION RESTRICTIVE
La politique actuelle de l'Etat vis-à-vis d'un secteur en pleine expansion semble être, dans l'ensemble, plutôt limitative.
1. Des objectifs différemment déclinés selon les ministères
a) le rôle coordonnateur du ministère chargé du budget
Censée assurer la coordination des actions des
différents départements ministériels impliqués, la
Direction du Budget privilégie la poursuite de trois objectifs :
- maîtrise de l'offre de jeux ;
- permettre une croissance régulière du secteur susceptible
d'éviter un tarissement de la source de prélèvements
publics qu'il représente ;
- maintenir une concurrence équilibrée entre ses trois
principales composantes.
Malheureusement, les deux premiers de ces buts, maîtrise et croissance
peuvent, dans une certaine mesure, se contrarier (notamment en cas de forte
progression spontanée des activités en cause) ;
b) le point de vue du ministère de l'intérieur
La rue
des Saussaies
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, comme il
est naturel, met plutôt l'accent, de son côté, sur la
protection de l'ordre public au sens large (dans une conception qui englobe la
défense de la moralité publique et la protection sociale des
individus...).
Cette vue des choses est compatible avec l'objectif de maîtrise de
l'offre de la Direction du Budget énoncé plus haut.
c) la mission du ministère de l'agriculture
Quant au ministère de l'agriculture, il se préoccupe, spécifiquement, des intérêts de la filière hippique tout en s'intéressant en même temps, conjointement avec les renseignements généraux, à la police des courses (en même temps qu'à leur réglementation).
2. Une réprobation sous-jacente
a) des réticences compréhensibles...
L'espèce de suspicion sous-jacente aux textes qui
réglementent les jeux et à l'attitude envers eux des
autorités est compréhensible, étant donné les
dangers inhérents à ces activités qu'elles ne sont
cependant pas les seules, il faut le souligner, à comporter.
Elle concerne aussi bien :
-l'offre (escroquerie, trucages...)
- que la demande (fraude, dépendance...).
Les deux côtés peuvent se prêter à des
opérations de blanchiment, surtout l'offre
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.
b) ... exprimées souvent devant le juge
La jurisprudence témoigne souvent de cette méfiance. Des exemples en ont été donnés dans le chapitre premier (une interdiction d'exploiter un casino étant notamment assimilée par un commissaire du Gouvernement à la fermeture d'un lieu de débauche). Plus récemment, à l'occasion d'une requête, présentée en Conseil d'Etat par la CFA, afin d'obtenir l'annulation du décret de 1978 relatif à la Française des jeux, le ministère de l'Intérieur a évoqué, comme justification du monopole de cette dernière, « une préoccupation morale très marquée qui excède les seules exigences tenant à la protection de l'ordre public ». Il a rappelé que « le droit positif français reste imprégné par la force de ces principes moralisateurs qui sont à la base du principe général de prohibition ». « Si l'exigence de protection de l'ordre public répond à une nécessité objective, -a-t-il fait valoir- l'aspect socioculturel de la question ne doit pas être négligé ».
3. Un cadre juridique et financier contraignant
Pour les raisons ci-dessus évoquées, auxquelles se réfèrent d'autres pays européens, l'Etat a soumis les jeux de hasard et d'argent à un régime juridique et financier rigoureux.
a) la prohibition et ses exceptions
Le cadre
juridique des jeux de hasard et d'argent en France s'articule en un triptyque
prohibition-exceptions-monopole :
- prohibition
• des loteries, par la loi de 1836
• des paris sur les courses, par celle de 1891
• des jeux d'argent en général, par le code pénal,
puis par la loi du 12 Juillet 1983
- exception, moyennant des prélèvements en faveur d'oeuvres de
bienfaisance (l'argent du vice ainsi mis au service la vertu) au profit :
• des casinos (par la loi du 15 juin 1907, puis celle
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du 31 mars 1931)
• de sociétés agréées contribuant à
l'amélioration de la race chevaline (1891)
• de la loterie nationale (loi du 31 mai 1933)
- monopole
• sur les loteries prohibées (jeux de hasard et d'argent) au profit
de la Française des Jeux (décret modifié d'application de
la loi de 1933 précitée de novembre 1978)
• sur les paris hors des champs de course, au bénéfice d'un
service (PMU), commun aux sociétés précitées
agréées par le ministère de l'Agriculture (loi du 16 avril
1930)
• sur les machines à sous, en faveur des casinos (loi du
5 mai 1987)
b) un lourd système de prélèvements
Aux
affectations aux bonnes oeuvres sont rapidement venues s'ajouter
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des prélèvements
directs, majoritairement non fiscaux, au profit de l'Etat.
Ceux-ci qui rapportent, aujourd'hui, au total, plus de 2 milliards
d'euros, ont déjà été décrits dans le
chapitre qui précède.
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Reflétant une prédominance des préoccupations d'ordre public conduisant à privilégier la maîtrise de l'offre, la politique actuelle des jeux de hasard et d'argent que mène l'Etat n'est pas sans inconvénients.